L`Enfant du Nuage - Extrait -

Transcription

L`Enfant du Nuage - Extrait -
L’Enfant du Nuage
Sonia Nadeau
Gérard Cuq
- Extrait L'homme sortit précipitamment de la
douche. Un hurlement provenant de la chambre ne couvrait
pas les vociférations stridentes de l'alarme. Sans prendre le
temps de se couvrir, il se rua vers sa femme, affolé par la
souffrance et la terreur qui se lisaient sur son visage
— Ca y est... appelle l'ambulance ! Vite ! Il va naître, je
te dis !
L'homme obtempéra. Sa femme souffrait et l'image
d'un prématuré mort lui traversa l'esprit.
S'il naissait maintenant... Mon Dieu, faites qu'il ne
naisse pas avec trois mois d'avance ! Tout se déroulait si
bien ! Pourquoi faudrait-il que cela cesse aujourd'hui ?
L'homme décrocha l'interphone, alerta le service
médical... Une fine pellicule de liquide couvrait son visage,
remplaçant déjà l'eau fraîche de la douche. Sa femme
haletait, se sentait mourir. L'homme couvrit son front d'une
serviette imbibée. Mais l'eau était tiède. Ses yeux brûlaient,
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sa chevelure était trempée. Il fut effrayé devant l'abondance
soudaine et ininterrompue de la sueur.
L'oiseau entendit la voix de l'homme qui murmurait
d'une voix basse et apaisante. Les cris reprirent en même
temps que les contractions. L'animal sentit l'odeur de la
peur de l'homme et celle de la femme. Il se dit que les
humains ne savent pas écouter le langage de la nature.
L'oiseau savait lui, qu'il n'y avait rien à craindre pour la
femme et pour l'enfant. Il se dit que l'humanité est amputée
d'un certain état de conscience.
L'homme avait de nouveau le combiné de
l'interphone entre les mains. Seigneur... Il n'y a pas de
médecin accoucheur... Il n'y a rien... Elle va souffrir, ma
pauvre, pauvre petite Anna... On aurait dû partir avant...
J'ai eu tort de vouloir attendre la limite... Je l'aime... Je ne
veux pas la perdre... Faites qu'elle ne meure pas... Sauvezles tous les deux, je vous en prie, mon Dieu....
Son visage se décomposa lorsqu'il apprit qu'un
lancement devait se faire dans la minute. Il allait devoir
laisser sa compagne souffrir toute seule. Il fut si
profondément ému qu'il oublia le danger que représentait
un essai avant l'accord de toute la communauté
scientifique. Or... les dernières vérifications étaient loin
d'être terminées et tout danger loin d'être écarté.
Mais l'homme n'y pensait pas. Pour le moment, la
souffrance de sa femme l'effrayait et il la partageait. Il
enfila des vêtements, n'importe lesquels, ceux de la veille,
en boule sur le tapis. Il ouvrit la porte. Des hommes en
blanc emmenèrent Anna. Loin de lui...
Dehors, l'homme tenta de la protéger des rafales,
jusqu'à l'ambulance. Il la regarda s'éloigner et se dirigea
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d'un pas pressé mais sans enthousiasme vers l'enceinte
militaire.
***
Le long des couloirs sans fin régnait une
agitation fébrile. L'homme se sentait désormais étranger à
cette atmosphère que d'ordinaire il adorait... Il passa trois
sas puis entra dans la salle des radars. L'homme trouva la
luminosité verte et bleue maléfique.
— Putain ! Qu'est-ce qui te prend, c'est pas le premier
accouchement du monde et t'es pas le premier père,
merde !
— Oui, mais Anna... c'est très prématuré et...
— Les derniers réglages sont effectués. Les calculs sont
presque terminés. A ton poste et pas de discussion !
— On ne va pas... on n'est pas au top... on va sauter on
va...
L'homme avait soudain pris conscience du danger.
Il vit les autres, tendus et silencieux devant leurs machines.
L'homme regarda Sean, son meilleur ami. Sa peau rosée de
jeune homme encore imberbe, avait pris une teinte terreuse.
— Eh, les mecs... on peut pas laisser faire ça, faut faire
quelque chose !
Mais personne ne broncha.
— A ton poste !
L'homme s'installa devant une console. Une
myriade de chiffres verts défilait devant ses yeux et il n'en
comprit plus le sens... ensuite, il se ressaisit.
L'oiseau avait suivi le véhicule blanc de
l'ambulance et s'était posé sur un arbuste devant la porte
vitrée du dispensaire. Couchée sur une civière poussée par
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deux infirmiers, la femme profitait d'une accalmie. Elle vit
l'oiseau et elle comprit qu'il était venu là pour elle.
A la base, le compte à rebours venait de
commencer. 5'... 4' 59"... 4' 58"... 4' 57"... 4' 56"...
***
Anna regardait l'oiseau. Elle entendit une
voix qui venait de l'intérieur et se tordit de douleur. Dans
sa souffrance, elle pensa que l'oiseau lui parlait. Mais elle
se dit qu'elle perdait la tête et tenta de respirer avec
application.
Anna haletait comme on le lui avait appris. Elle
refoula ce qu'elle prenait pour un délire déclenché par la
douleur. Mais la voix insistait et elle fut bien forcée de
l'écouter.
— Dépêche-toi !.. Il faut faire un effort, il le faut... vite !
Les contractions reprirent avec une violence qu'elle
n'eût jamais soupçonnée. Dans un état second, elle capitula,
cessa de résister et accepta la voix intérieure.
— Dépêchez-vous, il veut naître, vite !
L'oiseau avait lui aussi entendu la voix de l'enfant.
Tous les oiseaux l'avaient perçue. La femme vit une
immense nuée de plumes tacheter le ciel. Tous s'élevaient
vers l'azur.
L'atoll disparut bientôt. En dessous ne restait que
l'immensité de l'océan. La saison des amours s'était
terminée avant d'avoir commencé.
L'oiseau se dit que c'était bien dommage, tout ça... et que
les humains étaient décidément complètement fous.
La descente en ascenseur vers les chambres et la
salle d'opération, fut interminable. Puis la femme se sentit
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soulevée. On l'installait sur la table, les pieds dans les
étriers. Elle aurait voulu accoucher sous péridurale, enfin,
de manière plus moderne, avoir le temps de rentrer en
Métropole, d'être entourée d'affection féminine, mais il
n'était plus temps de réclamer quoi que ce fût. La nouvelle
équipe médicale et moderne promise depuis toujours était
devenue une légende !
La voix ne cessait maintenant de lui parler et la
femme se concentrait sur elle pour supporter la souffrance.
— Vite il se passe quelque chose je ne sais pas quoi...
C'était pas prévu... Faut que j'arrête ça... Respire,
ouvre-toi... respire... Vite, vite ! On est beaucoup trop
près !
Le ventre fut à nouveau le siège de spasmes d'une
violence qui sidéra les médecins. Un fortifiant irradiait
dans les veines de la femme qui sentit une chaleur l'envahir.
À la base, le compte à rebours s'égrenait,
implacable. 3' 59"... 2'... 2' 59"... 2' 58"... 2' 57"...
Le chirurgien inséra une main dans le vagin...
l'enfant se présentait par le siège. Il ordonna une anesthésie
légère avant de pratiquer la césarienne. La femme se sentit
couler dans les abysses. La voix ne cesserait plus jamais...
plus jamais...
— Vraiment, Anna... dépêche-toi... Il le faut. J'ai peur...
j'ai très peur... je ne peux rien faire tant que je suis ici,
en toi... vite !
Soudain, au-dessus de la porte, le praticien vit
l'ampoule rouge de l'alarme s'allumer. Danger-dangerdanger
— Mais qu'est-ce qu'ils foutent encore, là-haut ?
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— On devrait suivre la consigne.
— Oui et qu'est-ce qu'on fait d'elle ? Ca va s'arrêter, ils
vérifient leur connerie... Surveille le rythme cardiaque.
— C'est bon.
Le chirurgien fendit le ventre de haut en bas sans
souci d'esthétique. L'enfant était si pressé de naître ! Un
coup violent fit glisser le scalpel. Une profonde entaille à
la main, le médecin regarda son sang se mêlant à celui de
la parturiente.
— J'aimerais pas être son père, à celui-là ! Qu'est-ce que
ça va être, s'il commence déjà ! Sale petit con, va !
Un autre praticien prit le relais.
L'écran vert affichait le décompte pendant qu'une
voix l'énonçait dans un micro. 10 secondes... 9... 8... 7... 6...
5... 4... 3... 2... 1... Zéro...
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