Chèvrerie du Moulin du Wez Margot Moreau épaule son papa
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Chèvrerie du Moulin du Wez Margot Moreau épaule son papa
Chèvrerie du Moulin du Wez Margot Moreau épaule son papa : chèvres et légumes au cœur des Ardennes Les projets de Margot Moreau, à la Chèvrerie du Moulin du Wez vous ont été récemment relatés dans les pages de Valériane n°99. Mais rien n'est simple, décidément, quand on a en soi tout autre chose que l'ambition démesurée de brasser beaucoup d'argent et de tout croquer autour de soi. Après avoir patiemment reconstitué le patrimoine d'une modeste ferme à l'abandon, les Moreau veulent à présent prospérer doucement en diversifiant progressivement leur activité. Il ne leur manque, idéalement, qu'un - tout petit - peu de place… "Quand j'étais encore à l'école - option agriculture à La Reid -, j'avais déjà l'idée de reprendre la ferme familiale, dit Margot Moreau. J'étais allée à là-bas pour l'option équitation mais, comme il n'y avait pas de place, on m'a mise dans l'option agricole ! Du coup, je n'ai plus jamais voulu aller en équitation. J'étais bien là où j'étais ! Bien sûr, j'ai réellement appris le métier en regardant ce que faisaient mes parents. Et c'est cela qui me plaisait réellement, l'élevage essentiellement. Nous avons quand même vécu et fonctionné pas mal de temps ensemble. Mes parents m'ont toujours donné une très belle image de la pratique agricole…" "Il est vrai que je n'étais pas le râleur fini qui, après la traite, se dit : 'Mon Dieu mais qu'est-ce que je fais dans ce métier ?', sourit Bernard Moreau, même si j'ai sans doute dû être un peu comme cela à certaines périodes… Il y a trente ans que nous sommes installés et, vu les difficultés depuis cette époque d'une installation que je qualifierais de progressive, il nous fut impossible de quitter ensuite cet endroit qui était vraiment devenu le nôtre. Il y a tellement d'éléments à maîtriser quand on part de zéro euro d'épargne que l'ensemble acquiert ensuite une valeur tout autre que financière... Nous nous sommes toujours accrochés à ce lieu car nous avons vraiment dû lutter pour pouvoir y vivre et y travailler." Lutter pour le droit de cultiver en bio ! "Une fois l'endroit trouvé, se souvient Bernard, nous avons d'abord dû négocier le fait que le bâtiment soit à vendre ; nous avons dû faire évoluer le propriétaire initial et lui faire accepter de nous céder ce bien isolé qui n'était plus entretenu depuis longtemps. Il n'y avait eu là que des fermiers loueurs qui n'en avaient jamais correctement pris soin et tout était littéralement dévasté, ruineux… Il nous a donc permis de louer pendant quelques temps, et ce temps-là fut bien utile afin de trouver l'argent nécessaire à l'achat : nous avions convenu qu'au bout de la période de location, soit nous partions, soit nous achetions. Bien sûr, nous n'avions pas un profil de bons payeurs potentiels et il nous fut vraiment difficile de trouver un prêt. De plus, comme la ferme avait été abandonnée, toutes les terres qui en faisaient initialement partie avaient été reprises par des fermiers locaux. Pour en récupérer un minimum - c'est la convention que j'avais établie avec l'ancien propriétaire -, il a encore fallu négocier, dans le même temps, avec les repreneurs intéressés, c'est-à-dire les quatre familles de fermiers encore en activité actuellement au village. J'ai sauvé quatre hectares et trois quarts, attenants au bâtiment, que j'ai eus en location pendant plus de vingt-cinq ans ! Déjà, à cette époque, lâcher une terre était une chose terrible ! Tous ces obstacles que nous avons surmontés font que c'est d'autant plus important pour nous d'y vivre et d'y pratiquer notre métier… Nos enfants ont donc souvent entendu parler de cet aspect de lutte sociale, ou presque. Nous avons toujours continué nos démarches pour pouvoir exploiter quelques terres en plus, mais tout ce que nous avons obtenu, ce sont trois petits hectares à une demi-heure de tracteur d'ici ! Ils nous permettent au moins d'être autonomes en fourrage grossier. Cette lutte est toujours au cœur de nos propos et je crois que cela a peut-être été un élément déclencheur chez Margot." "L'attachement à la ferme est d'autant plus sentimental qu'il est familial, dit Margot. Rien n'est venu d'un patrimoine ancien mais c'est, en quelque sorte, un patrimoine reconstitué par trente années de vie et d'efforts de toute une famille qu'il faut continuer à préserver. Après La Reid, j'étais quasiment sûre de ma décision ; j'avais même réalisé mon travail de qualification, en fin d'études, sur l'analyse de cette ferme-ci : décrire l'exploitation et son projet en long et en large, montrer comment elle fonctionne et examiner le potentiel dont elle dispose pour l'avenir… Ceci dit, ce que j'apprenais là-bas correspondait assez peu à ce que je voyais ici. Je dirais même pas du tout : à La Reid, on était dans le conventionnel à fond - essentiellement l'élevage bovin laitier et viandeux, et les cultures - et il n'y avait évidemment pas un seul cours d'agriculture biologique. J'avais des cours de phytotechnie - prairies et cultures - et de zootechnie - aliments et élevage… J'ai gardé le meilleur de ce qu'on m'a enseigné tout en conservant l'esprit critique que j'avais acquis en participant à la ferme familiale. L'école m'a quand même permis d'améliorer et de moderniser quelques points ici. Je ne vais donc pas rejeter en bloc tout ce que j'ai appris. De plus, je continue mes formations : je suis partie, par la suite, faire trois mois de maraîchage à l'Asinerie de l'Ô et je viens de terminer le module fromagerie proposé par la FUGEA…" Un deuxième revenu lié à la diversification "L'annonce de ma volonté de reprendre n'a pas troublé la quiétude familiale. J'étais sûre, poursuit Margot, que mes deux sœurs du côté de ma maman n'étaient pas intéressées, qu'elles n'avaient aucune envie de faire leur vie professionnelle ici. J'ai peut-être eu quelques doutes quant à ma grande sœur, du côté de papa... Nous nous renseignons, depuis une petite année, au sujet des aides possibles ; la question est donc ouverte depuis lors. Libre à chacun de s'exprimer…" "Si je peux donner une impression, ajoute Bernard, je crois que Margot a eu une période de flottement - environ une saison - juste après ses études. Elle a continué différentes formations dans l'idée de travailler avec les ânes et probablement de développer un projet maraîcher. Je la voyais, de temps en temps, m'accompagner dans un travail ou me demander conseil sur des questions très ponctuelles. Puis, la saison suivante, sans qu'il y ait eu d'intervention précise de qui que ce soit, son investissement est devenu pratiquement quotidien. Elle s'est mise au boulot toute seule ! Cela a commencé avec les mises-bas, ce qui correspond, pour nous, au début de la saison, et ce fut clairement, me semble-t-il, un déclic chez elle… Pour reprendre, il ne suffit pas de dire qu'on va y aller. Il faut y aller !" "Le maraîchage, enchaîne Margot, est clairement une diversification de la ferme liée à mon intention de reprendre. Quand ma formation en traction animale à l'Asinerie de l'Ô s'est terminée, j'ai absolument voulu faire quelque chose avec mes ânesses. Nous avons alors acquis une Kassine (1) mais la saison était déjà bien entamée quand elle nous fut livrée, au mois de mai 2011. C'est à ce moment que nous avons démarré le projet de maraîchage. Sachant que j'avais l'intention de m'investir dans la ferme, il était nécessaire de sortir quelque chose de supplémentaire au niveau des revenus. Cette diversification était indispensable pour envisager une association avec mon père. Ou alors, il fallait doubler ou tripler le cheptel de chèvres, ce qui n'a jamais semblé possible vu la surface de terres dont nous disposons." "Nous devons respecter la liaison, l'équilibre entre le nombre d'animaux élevés et les surfaces que nous travaillons, confirme Bernard. Or je ne vois vraiment pas comment acquérir des terres supplémentaires sauf à toucher une sorte de "gros lot"; de plus, il y a toujours bien quelqu'un qui est informé avant nous au village. Louer d'autres terres agricoles, dans le cadre d'un bail à ferme ou quelque chose comme cela, est devenu une option de plus en plus rare. Maintenant, tout le monde vend et les sommes demandées à l'hectare deviennent complètement astronomiques. Nous devons donc nous adapter à ce problème majeur qu'est devenu l'accès à la terre… Une grave question que la société devra un jour prendre en compte si on veut maintenir une agriculture et des agriculteurs." Trois hectares de plus : un rêve ! "Le maraîchage, poursuit Bernard, sans qu'il soit très intensif pour l'instant, est évidemment une démarche qui nous permet de valoriser le peu de terre que nous avons à proximité de la ferme. Nous avons dû nous équiper de serres et je pense que nous en aurons bientôt encore une de plus afin de pouvoir contrecarrer une certaine médiocrité de climat locale ou, en tout cas, un net décalage par rapport aux belles régions. Beaucoup de cultures sont très bien adaptées aux Ardennes mais, si nous voulons être raisonnablement "dans les temps", nous devons préférer les cultures de saison car les cultures hâtives sont pratiquement irréalisables ici. Nous devons donc également convaincre le consommateur que c'est comme cela qu'il doit s'alimenter… J'aimerais être autant cultivateur qu'éleveur. Nous avons huit hectares travaillés en bio sur lesquels nous n'apportons que le compost de nos animaux et un tout petit peu de lithotamne rien d'autre ! -, ce qui ne garantit pas des rendements très importants quoi que nous étonnions souvent plus d'un fermier conventionnel avec nos productions fourragères. Nous sommes autonomes en fourrage grossier dans l'état actuel de la composition du cheptel - ânes, chevaux, chèvres - mais il nous manque juste deux ou trois hectares de céréales. Nous aurions ainsi la paille et nous aurions aussi le grain. Nous faisons déjà nos propres pains et nos propres pâtisseries, nous pourrions les fabriquer avec nos propres farines… C'est un rêve, cela arrivera peut-être un jour… Trois hectares, ce n'est pourtant pas si énorme…" Un statut pour Margot ! "Reste maintenant à "officialiser" le projet dans lequel je me suis investie, résume Margot. Depuis l'année dernière, je rencontre différentes personnes pour me faire conseiller mais j'ai toujours un peu de mal à trouver toutes les réponses à mes questions, et surtout le statut qui doit être le mien. Suivre des cours est nécessaire pour obtenir des aides ; je suis en ordre à ce niveau-là. Je ne suis, par contre, pas satisfaite du statut sous lequel je travaille actuellement : mon problème est que le revenu dégagé sur cette ferme est, semble-t-il, insuffisant pour prétendre en tirer deux salaires. Mon père sera pensionné dans deux ans et la ferme sera donc mon activité principale dès 2015 ; il me faut donc trouver un statut correspondant à cette période d'attente et je n'arrive pas à déterminer ce qui me convient le mieux. Mais je n'ai peutêtre pas encore frappé à la bonne porte… J'ai pris le statut d'aidante depuis le mois d'avril 2013, en tant qu'indépendante faute de mieux, mais les cotisations sociales sont énormes ; je paie presqu'autant que mon père et je trouve cela vraiment aberrant. Je me demande aussi ce qui définit un revenu basique d'agriculteur alors que j'habite sur la ferme et que je me nourris de ce qu'elle produit ; d'autres doivent peut-être payer leur loyer, se nourrir dans un supermarché ou prendre leur voiture pour aller travailler tous les jours ? Notre structure est entièrement autonome et a donc besoin de beaucoup moins de rentrées d'argent que d'autres pour tourner correctement. De plus, mon installation n'engendre pas le moindre frais supplémentaire… Devrais-je me mettre en société avec mon père et apporter un capital 7.500 euros minimum - que je n'ai de toute façon pas ? Restera encore à régler la question du partage du patrimoine immobilier ; c'est en cours de réflexion avec notre notaire. Il est nécessaire d'évaluer la valeur actuelle de la ferme au moment de la reprise. J'espère qu'elle vaudra beaucoup plus dans cinq ans. Je veux évidemment éviter tout souci de ce côté-là car c'est aussi la pérennité de mon activité future qui est en jeu…" Et d'ici cinq ans ? "Cinq ans, c'est loin, dit Margot ! Mais je me vois toujours en train de faire du fromage, c'est une chose sûre. J'élèverai toujours mes chèvres, c'est une chose sûre aussi. Pour le maraîchage, je suis moins sûre… Je ne serai peut-être pas en mesure de gérer la totalité de la ferme toute seule et, si je dois choisir entre les chèvres et le maraîchage, je crois que je sais parfaitement de quel côté mon cœur va balancer… Il y a aussi la vente directe, à la ferme et sur les marchés, une activité qui nous prend énormément de temps. Mais je ne sais vraiment pas, à l'heure actuelle, si je travaillerai avec quelqu'un d'autre, en association, en collaboration… Mon campagnon, quant à lui, est mécanicien agricole, un métier proche de la ferme mais cependant très différent. Et mon père, même s'il sera pensionné, n'arrêtera jamais je sais très bien ! - de se passionner pour ce que nous faisons…" Note : (1) La Kassine est un porte-outils polyvalent destiné à travailler la terre grâce à la traction animale, souvent asine. Elle a été créé par Jean Nolle, initialement sous la forme de la Kanol, puis développée et améliorée, pour obtenir la Kassine, par l’association Prommata (voir : www.prommata.org). Bernard et Margot Moreau Chèvrerie du Moulin du Wez 14, Mierchamps - 6980 La Roche-en-Ardenne 084/41.19.59