structures conditionnelles du type p,q, p and/et q, p or/ou q

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structures conditionnelles du type p,q, p and/et q, p or/ou q
Christiane ROCQ-MIGETTE -21/06/05
1
La construction de l'interdépendance: structures conditionnelles du
type <p, q>, <p and/et >q, <p or/ou q>
Christiane ROCQ-MIGETTE
Université Paris XIII-LLI (UMR7546-CNRS)
Cet article aura pour objet l'étude des opérations syntaxiques, sémantiques et prosodiques
mises en œuvre dans des constructions conditionnelles apparemment coordonnées ou
parataxiques, mais qui peuvent être paraphrasées par des phrases incluant une subordination:
1) Hang Flor … and you hang justice
(photo publiée dans Newsweek, March 27, 95)
Pendez Flor …et vous pendez la justice
1') If you hang Flor, you hang justice
2) You just keep on imitating people…You'll get yourself into trouble, Snoopy
(Here comes Charlie Brown! Charles Schulz)
Tu continues à imiter les gens… Tu vas te créer des problèmes, Snoopy
2') If you keep on imitating people…You'll get yourself into trouble, Snoopy
3) Just hand over the chieftain’s shield and we’ll call it quits!
(Astérix and The Chieftain's Shield)
Donne-nous le bouclier Arverne et nous serons quittes (Astérix et le bouclier arverne)
3') If you hand over the chieftain's shield, we'll call it quits.
4) Calvin, quit running around and crashing into things, or I'll sell you to the monkey house
(The Indispensable Calvin and Hobbes, Bill Watterson)
Calvin, arrête de courir partout en cassant tout, ou je te vends au zoo! (Allez, on se tire!)
4') Calvin, unless you quit running around and crashing into things, I'll sell you to the monkey
house
Mais dès le stade de la reformulation, des différences apparaissent entre ces énoncés:
l'exemple 4) pourrait également être paraphrasé comme suit :
4") Calvin, quit running around and crashing into things! If you don't quit running and
crashing into things, I'll sell you to the monkey house
Il peut être également reformulé avec une structure corrélative comportant un double
connecteur:
4"') Calvin, quit running around and crashing into things! Either you quit running around
and crashing into things, or I'll sell you to the monkey house.
Quant à l'exemple 3) la reformulation dépendra de l'intonation de l'énoncé de départ. La
paraphrase pourrait être comparable à 4")
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2
3") Just hand over the chieftain’s shield! If you hand over the chieftain's shield, we'll call it
quits
Les énoncés de départ dont les formes de surface sont très semblables, du moins à
l'écrit, relèvent-ils d'opération de structuration différentes?
Cet article va surtout étudier les structures de l'anglais; elles ont été étudiées à
plusieurs reprises souvent sous des angles différents : essentiellement sur le plan syntaxique
par Culicover et Jackendoff (1997), essentiellement du point de vue pragmatique ou cognitif
par Haiman (1986), Fullenbaum, (1986), Sweetser (1990). Bolinger les a également étudiées
du point de vue de la nature de la forme impérative utilisée dans la première proposition
grammaticale (1977) et pour leur intonation (1989). Pour le français, une étude syntaxique
soulignant l'appartenance à un système corrélatif a été faite par Allaire (1977, 1996) pour une
partie des constructions en et et les variantes possibles que Rebuschi (2001) 1 étudie
également. Il n'y a pas de parallélisme complet entre les deux langues, certaines variantes du
français n'existant pas en anglais, mais le nombre important de points communs peut amener à
la conclusion que ces structures relèvent du même ordre de mise en relation.
1. Coordination, subordination, interdépendance
Les constructions citées ci-dessus, du moins les deux premiers exemples, posent des
problèmes syntaxiques et sémantiques et il n'est pas facile d'identifier ce qui relève de l'un ou
l'autre niveau comme le montre l'article de Culicover et Jackendoff (1997). Posant la question
de l'appartenance de ces structures à la subordination ou à la coordination, ils concluent à une
discordance (mismatch) entre structurations syntaxique et sémantique: ces énoncés
relèveraient d'une coordination syntaxique mais exprimeraient une subordination sémantique.
Cette subordination sémantique est tout d'abord liée dans l'article, semble-t-il, à l'équivalence
de ces constructions à une phrase conditionnelle dans laquelle la première proposition est
introduite par if, marqueur non contesté de subordination. Les contraintes de fonctionnement
habituellement associées à la coordination, mais qui ne s'appliquent pas aux énoncés en and
étudiés, sont ensuite analysées comme relevant de la structuration sémantique. Mais est-il
possible de résoudre les problèmes soulevés par ces structures en séparant structuration
1
la liste des auteurs cités n'est certainement pas exhaustive.
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3
syntaxique et structuration sémantique et en acceptant une non-concordance de ces
structurations? Ou s'agit-il d'une construction montrant la nécessité d'associer les deux
niveaux, syntaxique et sémantique dans l'analyse d'un phénomène langagier? C'est cette
deuxième approche qui nous semble appropriée, à condition d'y associer la prosodie, ces
structures appartenant essentiellement au discours oral.
Avant d'étudier précisément un corpus d'exemples, il semble nécessaire de s'interroger,
de façon succincte et forcément schématique, sur ce que recouvrent les opérations de
coordination et de subordination. Toutes deux sont des opérations d'organisation hiérarchique
dans la structure d'une phrase et donc d'abord syntaxiques. Le point commun entre
subordination et coordination est qu'il y a mise en relation de deux propositions. La
distinction entre les deux types d'opération peut se faire sur la base d'une définition de ce que
chacune recouvre mais aussi par des tests distributionnels, qui ont abouti à la classification
des connecteurs entre coordonnants ou subordonnants 2 .
1.1. Coordination
Dans le cas d'une coordination, les deux propositions grammaticales appartiennent
normalement à un même niveau de structure syntaxique, si l'on prend le terme de coordination dans son sens littéral: mise en ordre sur un même plan 3 . Si l'ensemble coordonné
n'est pas lui-même enchâssé dans une phrase complexe, chacune peut être autonome dans un
autre contexte, ce qui implique deux choses:
•
qu'elle soit syntaxiquement bien formée;
•
que le contenu de cette proposition ne change pas si elle est isolée (pour le cas
qui nous intéresse ici, elle ne doit pas changer de force illocutoire).
Le terme de co-ordination dans son sens littéral ne convient pas vraiment pour tout ce qui est
traditionnellement reconnu comme faisant partie de la coordination puisque les propositions
coordonnées qui répondent aux deux critères ci-dessus n'apparaissent pas forcément dans un
ordre libre: les propositions conjointes ne peuvent pas permuter de part et d'autre du
coordonnant dans les cas de coordinations dites asymétriques. Comme pour le deuxième
critère d'autonomie évoqué ci-dessus, il est fait appel au sémantisme.
2
Piot M. (1988, 2001) fait le point sur ces critères pour le français; un tableau récapitulatif comparable peut être
trouvé dans Quirk et al. (1986) pour l'anglais
3
Le terme coordination a également longtemps été défini comme étant également une mise en relation de
conjoints de même nature. Progovac(1998, I: 4) souligne que cet élément de la définition de la coordination a été
abandonné face aux nombreux contre-exemples. La contrainte de la catégorie s'applique au premier conjoint.
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4
Les tests distributionnels ont permis de souligner que le coordonnant fait partie de la
seconde proposition, et que l'ensemble coordonnant et proposition ne peut jamais être placé en
position initiale. Ils montrent également qu'un pronom personnel utilisé dans la première
proposition ne peut pas être cataphorique. Enfin, la coordination de propositions permet
l'ellipse d'un argument quand les référents sont identiques, ou encore la non-répétition du
verbe. Cependant l'absence d'un des arguments ou du verbe dans l'une des propositions peut
également être analysée comme relevant du niveau auquel s'opère la mise en relation: il s'agit
en particulier du point de vue de Foley et Van Valin, (1984) et Van Valin et LaPolla (1997).
Ils nomment le phénomène une co-subordination.
1.2. Subordination
Plusieurs termes apparaissent régulièrement en liaison avec l'opération de
subordination: intégration, enchâssement, dépendance. Ils ne sont pas interchangeables. Ils
seront utilisés ici dans les acceptions suivantes: il y a enchâssement quand une proposition
occupe une place syntaxique soit à l'intérieur d'une autre proposition et qu'elle lui sert
d'argument (proposition nominale), soit à l'intérieur d'un constituant de cette autre
proposition. Il y a dépendance quand une proposition ne peut être utilisée de façon autonome
et/ou qu'elle répond à certaines caractéristiques de l'emploi des temps. Il y a intégration quand
une proposition fait partie d'une prédication première. Ainsi dans un énoncé tel que If you kept
on imitating people, you would get yourself into trouble, la proposition If you kept on
imitating people peut être analysée comme dépendante et intégrée mais non enchâssée: elle
n'est pas enchâssée car elle ne fait pas partie de l'apodose 4 ; elle est dépendante parce qu'elle
est introduite par if d'une part et que, d'autre part, le prétérit du verbe ne réfère pas au
temporel, contrairement à ce que l'on aurait dans you kept on imitating people. Elle est
intégrée puisqu'elle permet de construire la prédication <you keep on imitating people>
implique <you'll get yourself into trouble>. Ce à quoi elle est intégrée est l'échelon supérieur,
le système conditionnel dont elle est le premier terme.
L'un des tests distributionnels donnés pour identifier en particulier les propositions
dites adverbiales est leur mobilité. Les propositions conditionnelles en if peuvent ainsi être
4
Une proposition en if peut être enchâssée quand elle est insérée en position finale et quand divers facteurs
montrent qu'il ne s'agit pas d'un thème postposé fonctionnant en rappel: l'intonation dans ce cas joue un rôle
primordial (contour intonatif, place de l'accent nucléaire et absence de pause). Dans ce cas, la proposition en if
restreint la portée du verbe de la proposition matrice.
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placées en position finale (mais elles deviennent alors un thème postposé 5 si elles ne sont pas
enchâssées). Cependant, dès que l'on a if p, then q, il n'y a plus mobilité 6 . Une autre
caractéristique est d'avoir la possibilité d'un pronom personnel cataphorique dans if p en
position initiale, contrairement à ce qui se passe avec les coordonnées. Enfin, il n'y a pas de
possibilité d'ellipse d'un argument quand il y a identité des référents.
1.3. Interdépendance
Ce qui a été dit de la dépendance pour les phrases conditionnelles en if ne concernait
que la protase, if p. L'apodose a un statut différent puisque c'est elle qui porte la valeur
illocutoire de l'énoncé; cependant You would get yourself into trouble ne peut s'interpréter
qu'en corrélation avec la protase. Les marqueurs verbaux de l'apodose dépendent de ceux de
la protase: le choix de would au lieu de will est contraint par le choix qui a été fait dans
l'hypothèse. Nous avons donc une interdépendance des deux propositions, ce qui ne veut pas
dire que leur statut soit assimilable l'un à l'autre. L'interdépendance est une caractéristique des
systèmes corrélatifs dont font partie les systèmes conditionnels et dont font également partie
au moins certains des énoncés cités en introduction, ceux qui peuvent être directement
paraphrasés par une phrase en if. Ce sont ces derniers énoncés qui posent problème quant à la
caractérisation de leur mise en relation. L'interdépendance est marquée, comme le dit Allaire
(1996:17) dans son étude des énoncés du français en et et leurs variantes
Encore faut-il accepter de voir que si l'énoncé en question présente la particularité de distribuer ses
verbes de part et d'autre d'un axe central signalé soit par et, soit par une pause, cette variation
n'affecte en rien le rapport qui s'instaure entre les constituants. Les deux verbes sont ici solidaires
l'un de l'autre dans le cadre d'un seul et même ensemble syntaxique. Frappés de restriction modale,
l'un nécessairement au subjonctif et l'autre à l'indicatif, bloqués l'un et l'autre dans leur position
relative, accordés de surcroît dans leurs modalités temporelles, ils ne forment plus qu'un seul et
même complexe de mots : Qu'on parte et il pleure - Qu'il juge et je m'incline.
Ces caractéristiques amènent Allaire à rejeter la notion de coordination pour ces énoncés. Les
différences de fonctionnement entre l'anglais et le français conduisent à se poser la question
du statut de la proposition initiale: en effet, l'anglais ne dispose pas des mêmes marqueurs
modaux que le français. Il ne dispose pas non plus d'un connecteur comme que qui, associé au
subjonctif, montre pour Allaire la dépendance de la première proposition. Il ne dispose
d'aucun équivalent de que (comme dans Une fille se ferait enlever sur ces marches par trois
monstres de Jurassic Park qu’ils ne le remarqueraient pas 7 .) pour articuler la seconde
proposition à la première. L'utilisation de conditionnels ou d'imparfaits en parallèle dans
5
Voir Rousseau (1996)
Voir Rousseau (1996) pour le français et le rôle de alors et Rebuschi(2001)
7
traduction française de l'exemple 26) cité p12
6
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6
chaque proposition, ce qui marque leur solidarité, n'est pas non plus possible. Mais il dispose
d'autres marqueurs indiquant l'absence d'autonomie de la première proposition. Différentes
constructions vont donc être étudiées ci-dessous sous cet angle. Cependant certains énoncés
(en particulier ceux articulés avec or) conduisent à s'interroger sur l'opération syntaxique qui
y est mise en œuvre: le statut de la première proposition p n'est pas forcément identique bien
qu'il semble y avoir construction d'un seul ensemble syntaxique. L'autre question abordée sera
celle de la fonction des connecteurs and et or.
2. La proposition p ne peut être autonome
2.1. Dans <p and q> ou <p, q>, p est un groupe nominal
C'est avec ces énoncés que nous sommes le plus loin de la coordination telle qu'elle est
définie traditionnellement: non seulement les deux conjoints ne sont pas de même catégorie,
mais le premier conjoint qui, dans ce cas, doit satisfaire aux contraintes syntaxiques du
contexte linguistique ne le fait pas.
5) For such persons, being a butler is like playing some pantomime role; a small
push, a slight stumble, and the façade will drop off to reveal the actor underneath.
(The Remains of the Day, Kazuo Ishiguro)
5') Pour ces gens-là, être un majordome, c’est comme de jouer dans une pantomime:
une petite poussée, un léger choc et la façade s’effondre, révélant l’acteur qu’elle
masquait.
(Les Vestiges du jour, traduction de Sophie Mayoux)
6) Keep still, I told myself. No one has seen you yet. There’s no reason in the world
why they should come and look behind the screen. But one false move, one cough,
one sneeze, one nose-blow, one little sound of any sort and it won’t be just one witch
that gets you. It’ll be two hundred! (The Witches, Roal Dahl)
(…) Mais un seul faux mouvement, un seul toussotement, un seul éternuement, un seul
monchement, un seul petit bruit quel qu'il soit, et … 8
6') (…) Mais le moindre faux mouvement, le moindre toussotement, le moindre
éternuement, le moindre bruit, et tu seras pris. (…) (Sacrées sorcières, traduction de JO Héron et P. Marchand)
7) A couple of weeks in Kenbourne Vale and you’ll get your eyes opened.
(Murder being once done, Ruth Rendell)
Une quinzaine de jours à Kenbourne Vale, et vous ouvrirez les yeux
8) A message from you and I'll get back to you.
8
Je donne d'abord une traduction littérale, ce qui explique le rare 'mouchement', puis la traduction publiée quand
je l'ai, ce qui permet de voir des variations.
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7
Un message de ta part, et je te recontacte.
9) Now I'm almost there, a little more time and I'll prove my innocence.
The shoemaker's daughter. Iris Gower, (BNC)
(…) Quelque temps de plus et je prouverai mon innocence
10) One more greasy meal and you're gone (Médecin dublinois à ses patients 9 )
Un repas bien gras de plus/ Encore un repas bien gras, et vous êtes mort.
Le premier conjoint n'a pas d'autonomie: Les segments A small push! a slight stumble! utilisés
seuls ne peuvent recevoir d'interprétation plausible. Dans l'exemple 9), le groupe nominal A
little more time! qui, s'il est isolé, est un énoncé acceptable, recevra une autre interprétation
que dans l'énoncé d'origine; il s'agira alors d'une injonction ou d'une requête, l'intonation sera
descendante. Dans l'exemple 9) il y a au contraire, en l'absence de pause, une remontée
intonative sur time. Autre marqueur de dépendance, c'est le verbe inclus dans q qui donne ici
la valeur de l'hypothèse. Dans tous les exemples cités, will peut être transformé en would si le
contexte est approprié.
7') A couple of weeks in Kenbourne Vale and you would get your eyes opened.
Une quinzaine de jours à Kenbourne Vale et vous ouvririez les yeux.
Par ailleurs, la construction du groupe nominal fonctionnant en tant que p répond à un
certain nombre de contraintes. Les exemples ci-dessus illustrent trois possibilités:
- en 5) et 6) les noms noyaux renvoient à des actions, il s'agit de procès nominalisés.
Ces procès sont envisagés sur le plan notionnel, ils ne sont pas identifiés de façon spécifique.
Dans le cas d'un groupe nominal incluant un article indéfini, un adjectif minimisant sur le plan
qualitatif ou quantitatif (small, slight, mere, single) est utilisé. One est également possible, ou
encore un adverbe tel que just
Ce type de groupe nominal permet, du point de vue
sémantique, l'expression d'une condition suffisante. En français, la structure parallèle, un seul
x et… est possible, elle peut être paraphrasée par il suffit/ suffirait de p pour que q, ou, selon le
registre de langue rien que … et…. La traduction publiée montre également la possibilité
d'utiliser un superlatif d'infériorité, qui provoque l'utilisation de l'article défini, ce qui existe
également en anglais: The smallest push, the slightest stumble , and… 10 .
Une autre caractéristique des énoncés illustrés par 5) et 6) est la possibilité de
juxtaposer des éléments équivalents: il n'y a pas forcément en fait un seul groupe nominal en
p mais possibilité d'itération de la même structure, chacun de ces éléments pouvant être
complété par and q, ce qui bloque l'insertion d'un and de coordination entre les segments dans
9
Contribution de Eithne O'Neill, de même que 8)
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8
les exemples ci-dessus. Or pourrait être inséré ici, mais pas and car l'insertion de and créerait
une unité supérieure de deux éléments et ce serait cette unité supérieure qui serait complétée
par le conséquent and q. 11
- Dans les exemples 7) et 8) les complémentations in Kenbourne Vale et from you
permettent de construire une prédication. Là encore le groupe nominal est dépendant: A
couple of weeks in Kendale Vale et a message from you ne sont interprétables que parce que
le groupe nominal complexe est associé à and q.
- Le troisième cas illustre les groupes nominaux incluant une comparaison quantitative
par rapport à la situation d'énonciation, ce qui introduit un aspect non-factif, comme dans
l'exemple 10) parallèle à One more beer and I leave de Culicover et Jackendoff (1997)
Ces différents énoncés ont en commun de pouvoir être insérés à l'intérieur de q soit en
position sujet, par exemple A couple of weeks in Kendale will/would open your eyes 12 soit
sous forme de syntagme prépositionnel: At a message from you, I'll get back. Mais la mise en
relation des deux procès est plus explicite avec leur articulation au moyen de and.
And peut ne pas être utilisé dans ces constructions où p est réduit à un groupe nominal:
11) ‘You must send him to Sensei here, Obasan! A good word from Sensei in the right
place, your relative will soon find a good post.’(An Artist of the Floating World,
Ishiguro)
…Un mot positif de Sensei au bon endroit, votre parent trouvera vite un bon emploi.
11') Sensei n’aura qu’un mot à dire où il faut, et votre parent trouvera bientôt une
bonne place. (Un Artiste du monde flottant, traduction de D.Authier)
La construction interne de p dans ce cas est identique à ce qui se rencontre dans les structures
avec and.
2.2. La proposition p contient un verbe à la forme impérative qui ne peut être interprété comme une
injonction
Ce sont des énoncés qui permettent très régulièrement une paraphrase en if p, q.
L'intonation est le plus souvent déterminante dans l'interprétation, mais d'autres éléments
peuvent entrer en jeu.
10
Les deux constructions ne sont pas équivalentes sur le plan sémantique.
Il n'est pas impossible d'avoir une coordination en and à l'intérieur de p: on peut imaginer, à partir del'exemple
10) A couple of weeks in Kenbourne Vale and some experience of their behaviour and you would get your eyes
opened. Un exemple attesté concerne une construction où plusieurs impératifs sont additionnés dans p pour
obtenir q : Sit down and shup up and behave, and you'll last longer. (The Maltese falcon). Cette construction
semble moins probable quand il s'agit d'exprimer une condition minimale, où des éléments proches dans le
champ lexical sont passés en revue.
11
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2.2.1. L'impératif ne s'adresse pas à un interlocuteur particulier
La forme impérative dans ce cas renvoie à un événement virtuel mentionné pour construire le
conséquent, qu'il s'agisse de deux événements distincts (ex.12) ou d'un seul événement dont
on tire une inférence logique (ex.1). Quiconque effectuera le procès évoqué en p obtiendra le
résultat q. Il n'y a pas alors de construction d'une situation de référence spécifique.
12) Ask about guilt and responsibility in Croatia, in Muslim-led Bosnia-Herzegovina,
or in Serbia, and the response is not very different: only the name of the culprit -Serb,
Croat or Muslim - changes.
Guardian Weekly Dec24 95, p1
Posez la question de la culpabilité et de la responsabilité en Croatie, en BosnieHerzégovine, dirigée par les musulmans, ou en Serbie, et la réaction n'est guère
différente (…)
Un you impersonnel, comparable à l'indéfini on français peut alors être utilisé en q:
13) Look at working women and you see a different story . (The Economist June 8 96)
Les deux exemples 12) et 13) permettent aussi bien une reformulation par when que par if
Ces impératifs et ce you impersonnels qui ne permettent pas de construire une référence à une
situation spécifique 13 sont à comparer au caractère indéfini des procès nominalisés dans les
structures où p est réduit à un groupe nominal. Ces impératifs renvoient alors simplement à la
notion exprimée par le verbe lexical. L'événement évoqué reste virtuel, ce qui permet de faire
alterner will et would en q. Cette possibilité n'existe que lorsque l'impératif inclus dans p
exprime une pure hypothèse: un impératif ayant une valeur d'injonction ne permettrait pas
cette alternance.
14) Put us out of our kingdom tomorrow and I would not want for employment.
(The Madness of King George, Alan Bennett)
?Chassez-nous de notre royaume demain et je n'aurais pas à chercher une
occupation.
Que l'on nous chasse de notre royaume et je n'aurais pas à chercher…
Bolinger (1977: 161) indique deux autres tests pour vérifier la valeur de la forme impérative:
l'utilisation de any
et de verbes d'état possibles dans ce type d'énoncés alors que non
acceptables avec un impératif à valeur d'injonction.
12
avec, selon le type de verbe, nécessité ou non d'introduire un verbe causatif
Us renvoie bien à un référent identifié, mais le procès concernant ce référent est envisagé sur un plan
théorique.
13
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10
Les mêmes caractéristiques peuvent se retrouver dans les structures périphrastiques en
let 14 . Comme pour les énoncés précédents, la valeur de l'hypothèse reconstructible par le
modal exprimé en q peut varier; le verbe see utilisé ici dans son sens de perception
involontaire ne peut avoir une valeur d'injonction:
15) I could watch Miss World doing a striptease and it would leave me cold, but let me
see a woman in a clean white apron doing pastry and I’d be in love before she could
close the kitchen door.
(Murder being once Done, Ruth Rendell)
(…) mais que je voie une femme en tablier blanc bien propre faisant de la pâtisserie et
je tomberais amoureux avant qu'elle ne puisse fermer la porte.
2.2.2. La forme impérative est adressée à un interlocuteur spécifique.
Les énoncés dans ce cas peuvent être ambigus: l'impératif peut alors être interprété comme
une injonction mais l'évocation d'un événement virtuel qui serait effectué par le destinataire
de l'énoncé reste possible. Deux critères permettent de lever l'ambiguïté: la prosodie et/ou le
contenu sémantique des deux propositions mises en relation.
— Ce qui est exprimé dans p est incompatible avec une injonction qui indiquerait que p est
souhaité par l'énonciateur 15 :
16) Keep asking for it and you are going to get it
(The Maltese Falcon, Dashiell Hammett, adaptation de la BBC)
17) Put your paw on me and I'm going to make you use the gun .
(The Maltese Falcon, Dashiell Hammett)
Pose ta patte sur moi et je t'obligerai à utiliser ton arme.
Sur le plan pragmatique, ces énoncés expriment des menaces et /ou des défis.
— Une intonation montante en p ne permet pas d'interpréter la proposition comme une
injonction. L'intonation standard pour les injonctions est nettement descendante. Mais pour ce
qui concerne l'exemple 18), qui à l'écrit laisse ouverte la possibilité de deux interprétations,
l'intonation montante (de faible amplitude mais continue) adoptée dans l'adaptation orale16 du
texte lève toute ambiguïté: il s'agit dans ce cas à nouveau d'un procès envisagé sur le mode
virtuel:
14
L'anglais n'a de forme impérative qu'à la deuxième personne. Let me, let's/let us, let him/them sont à l'orgigine
des impératifs. Associée à une base verbale, la structure let him/them est très régulièrement utilisée là où le
français a recours à que et un subjonctif, qu'il s'agisse d'exprimer une injonction indirecte ou une hypothèse.
15
Ces caractéristiques sémantiques peuvent également être présentes dans des énoncés évoqués précédemment,
comme l'ex 1) Hang Flor…and you hang justice, texte d'une banderole lors d'une manifestation visant à
empêcher l'éxécution de 'Flor'.
16
Puffin audiobooks (1998)
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11
18) Come down out of that tree, little boy, and I shall give you the most exciting
present that you've ever had. (The Witches, Roal Dahl)
18') Descends de cet arbre, petit garçon, continua-t-elle, et je te donnerai un cadeau
extraordinaire. (Sacrées sorcières, traduction de J.O. Héron et P. Marchand)
L'exemple 19) pour lequel seule une version écrite est disponible présente la même ambiguïté,
qui ne peut être levée que par l'intonation:
19) “Let the IRA stop,” they said, “and we can speedily bring about a democratic
settlement” (Newsweek October 3, 1994)
Que l'IRA s'arrête, disaient-ils et nous pourrons rapidement parvenir à un règlement
démocratique.
Une intonation montante pour la proposition p n'est pas la seule possibilité. Le locuteur
comme dans les exemples 16) et 17) peut également utiliser une intonation plate, mais dans ce
cas, le connecteur est fréquemment intégré à la proposition p. Si il y a une pause, elle
intervient alors après le connecteur. Il s'agit là d'un autre moyen de montrer l'absence de
clôture, la co-dépendance et la nécessité donc de lier les deux propositions.
2.3 La proposition p est constituée par un verbe avec un sujet grammatical
2.3.1. Le verbe lexical est au présent simple
20) I'm involved now; you let go,and I'm going to have to jump in there after you.
(Titanic)
21) I'm too involved now; you jump, I jump, remember. (Titanic) 17
22) You've got your mobile, you can send them a text message
(enregistrement Speakeasy 2004, Nathan)
Tu as ton mobile, tu peux leur envoyer un texto
Comme pour les constructions de p étudiées précédemment, la proposition initiale n'a pas
d'autonomie: Ceci est marqué d'abord par l'intonation qui joue à nouveau ici un rôle décisif. Il
est également à noter que c'est avec ce type de constructions que l'on a très fréquemment une
absence du connecteur, l'intonation étant suffisamment marquée sans doute pour marquer
l'absence d'autonomie de la première proposition. Quand les deux propositions sont
juxtaposées, il peut en effet encore y avoir deux possibilités d'interprétation et c'est
l'intonation qui sera le critère distinctif. Si la proposition p est isolée, elle prend
17
Les deux exemples 20 et 21ont été cités par Fiona Rossette dans sa communication à l'atelier de linguistique
du congrès de la SAES, "la parataxe et l'expressivité", Mai 2004
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nécessairement un caractère déclaratif qui correspond à un constat, you ne peut plus s'adresser
qu'à un interlocuteur spécifique (en 22) et l'intonation aura la mélodie nucléaire descendante
propre aux constats. Dans les enregistrements des trois énoncés cités ci-dessus, la montée
intonative très marquée bloque cette interprétation. La non-assertion exprimée par l'intonation
situe à nouveau l'événement sur le plan virtuel. S'il y avait assertion, la mise en relation
logique des deux propositions serait différente, so en anglais, donc en français pourrait être
inséré entre les deux propositions:
22') You've got your mobile, (so) you can send them a text message.
Tu as ton mobile, (donc) tu peux leur envoyer un texto.
L'utilisation du présent simple à la deuxième personne peut dans certains cas exprimer une
injonction, cette interprétation est bloquée en 23), comme pour certains énoncés à la forme
impérative étudiés plus haut, pour des raisons sémantiques, quand le procès évoqué ne peut
être souhaité par l'énonciateur. C'est d'ailleurs le contenu de q qui l'indique souvent:
23) 'Now I mean it, Scout, you antagonize Aunty and I'll — I'll spank you.'
(To Kill a Mocking Bird, Harper Lee)
(…) Tu contraries Tata et je … et je te donne une fessée.
Comme pour les groupes nominaux ou les formes impératives, la première proposition peut
exprimer la condition suffisante:
24) I just have to say the words and her skirt's up, legs in the air…I just tip her the
wink and I'm in there.
(The Madness of King George, Alan Bennett)
24') Je n'ai qu'à lui dire un mot et ses jupes sont relevés, les jambes en l'air. Je n'ai qu'à
lui faire un clin d'œil et je suis là-dedans.
Les énoncés où le verbe de p est au présent simple et où l'intonation est montante évoquent un
événement de façon théorique, sur le plan virtuel. Comme dans les exemples précédents
(groupe nominal, impératif non injonctif), ils permettent d'exprimer une pure hypothèse qui
demande à être complétée. Les événements gardent un caractère réalisable, du fait du choix
du présent, ce qui bloque la possibilité d'avoir une présupposition non-certaine, qui était
encore possible dans les énoncés où une forme impérative était utilisée.
2.3.2. Le verbe lexical est subordonné à un modal dans chaque proposition.
Pour exprimer une présupposition non-certaine, un modal au prétérit est utilisé dans p
et dans q, avec une répartition qui n'offre pas de choix, du moins pour p :could ou might dans
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p, sont la plupart du temps mis en relation avec would dans q : Ce sont ces énoncés qui se
rapprochent le plus de la mise en parallèle de deux propositions au conditionnel en français :
25) I could watch Miss World doing a striptease and it would leave me cold, but let
me see a woman in a clean white apron doing pastry and I’d be in love before she
could close the kitchen door.
(Murder being once Done, Ruth Rendell)
Je pourrais regarder Miss Monde faire un strip-tease et cela me laisserait froid, mais…
26) ‘I suppose they knew nothing about her?’
‘Not a thing. You could have a girl abducted on those steps by three characters from
Jurassic Park and they wouldn’t notice.’
(Simisola, Ruth Rendell)
26') Ils ne savaient rien sur elle, je suppose.
— Rien de rien. Une fille se ferait enlever sur ces marches par trois monstres de
Jurassic Park qu’ils ne le remarqueraient pas.
(Simisola, traduction de Corinne Derblum)
Un isolement de la première proposition changerait la valeur du modal could : il s'agirait
d'une suggestion, ou d'une éventualité selon le contexte. Avec à la fois une intonation
montante et la mise en relation avec la deuxième proposition, la proposition p prend une
valeur d'hypothèse avec présupposition non certaine marquée par les modaux dans chacune
des deux propositions.
2.4. Propriétés des énoncés conditionnels en and et co-référence d'un argument
La possibilité d'effacement est considérée comme un critère possible pour distinguer entre
coordination et subordination:
Ainsi, il apparaît que dans la coordination tout le matériel identique et coréférent à celui de la
première phrase (Pi) peut être effacé dans la seconde (Pii), et notamment le sujet. En sorte que nous
avons la phrase :
a) Pierre dépense sans compter mais (est insolvable+n'a pas d'argent)
qui est acceptable après effacement du sujet en présence de la Conjco mais, alors que la séquence:
b) * Pierre dépense sans compter, quoiqu((est+soit) insolvable+n'a pas d'argent).
est aggrammaticale; le sujet de Pii ne pouvant être effacé en présence de la Conjs quoique.
En revanche dans la subordination, le matériel identique et coréférent à la première phrase ne
peut simplement être effacé dans la seconde.
Lorsqu'il s'agit du sujet, comme dans l'exemple précité, celui-ci ne pouvant être effacé ne peut
être que pronomainalisé.
(Piot : 1988:9)
Le même phénomène se vérifie en anglais : Peter spends a lot but does not have
money/*Peter spends a lot although does not have money.
Si les exemples du corpus sont transformés afin d'avoir une coréférence dans les deux
propositions, il apparaît une différence de fonctionnement entre les énoncés au présent simple
en p et, dans certains cas, ceux où p comporte un modal. En l'absence de modal, il ne peut y
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avoir d'ellipse du second coréférent. Quand un modal est présent, le même modal doit
gouverner le verbe lexical de chaque proposition pour pouvoir éventuellement être effacé.
(27) You antagonize Aunty, and you will be spanked.
27') *You antagonize Aunty and will be spanked.
28) I could watch Miss World doing a striptease and I would remain cold
28') * I could watch Miss World doing a striptease and would remain cold
29) I could watch Miss World doing a striptease and I could remain cold
29') I could watch Miss World doing a striptease and remain cold.
En 29'), les deux procès sont subordonnés ensemble, dans l'exemple au modal could. C'est ce
type de construction qui permet d'ailleurs de nier ou de mettre en question la relation ellemême:
30) You can't drink and drive.
31) How much can you drink and still stay sober?
La reformulation de 30) peut être bipartite : If you drink, you can't drive, et If you drive, you
can't drink. En fait, la négation not porte, non pas sur le modal mais sur le connecteur and, de
même que l'interrogation en 31). Les conjoints sont symétriques en 30, mais la portée de la
négation est la même (c'est-à-dire le connecteur effectuant la mise en relation) en cas de
conjoints disymétriques :
29") I couldn't watch Miss World doing a striptease and remain cold.
Dans une phrase p and q déclarative et paraphrasable par if p, q, ce qui est asserté est la mise
en relation des deux procès, ce qui explique que dans un enchâssement en tant que complétive
d'un autre verbe, il ne puisse y avoir l'insertion d'un deuxième that sans changement de
structuration syntaxique et de sens, comme le montre la manipulation de Culicover et
Jackendoff (1997:198)
32) 18 a) You know, of course, that you drink one more beer and you get kicked out (=
…that if you drink one more beer you get kicked out)
b) You know, of course, that you drink one more beer and that you get kicked out
(≠ …that if you drink one more beer you get kicked out)
Ce qui est connu en 32a) est la liaison des deux événements. Ce qui est connu en 32b), ce sont
deux événements distincts.
18
les exemples sont numérotés 6 a et b) dans leur article
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Pour les énoncés où il n'y a pas subordination à un modal, l'impossibilité d'effacer un
coréférent n'est pas forcément analysable comme due à la subordination de p. Un autre test
mettant en œuvre la coréférence 19 est la possibilité d'avoir un pronom cataphorique dans les
subordonnées, mais pas dans les coordonnées (Quirk et al., 1985: 922): ainsi, dans Although
she felt ill, my mother said nothing, il n'y a qu'un référent. Dans She felt ill, and my mother
said nothing, il y a deux référents. Les constructions telles que p and q, ou p, q permettent
difficilement d'utiliser un pronom personnel cataphorique.
33) A teenager has got a mobile, (and)he can send his friends a text message. 20
33') ?? He has got a mobile,(and) a teenager can send his friends a text message
L'impossibilité d'effacer un coréférent relève plutôt de la nature de ce qui est mis en relation
dans l'opération syntaxique: ce sont deux situations ou événements qui sont liés, chacun de
ces événements forme un tout et leurs repérages spatio-temporels sont différents: la
proposition qui les exprime doit être complète, comporter tous ses arguments: la jonction ne
se fait pas au niveau des prédicats.
3. Énoncés où p peut être isolé sans changer de force illocutoire
Dans les énoncés étudiés en détail jusqu'à présent p ne peut être isolé sans changer de
statut et appelle nécessairement une proposition qui lui est solidaire. Or parmi les
constructions telles que p and q où le verbe est à la forme impérative, certaines permettent le
détachement de p sans que la proposition change de force illocutoire. C'est également le cas
pour les énoncés du type p or q, que p soit dans ce cas un groupe nominal ou une proposition
à l'impératif ou à l'indicatif. Culicover et Jackendoff (1997:214) les distinguent des structures
précédentes et évoquent une possibilité d'implicature ou d'inférence pour expliquer qu'il
puisse y avoir paraphrase par des énoncés en unless ou if not. Ces énoncés présentent certes
des différences avec ceux qui ont été étudiés jusqu'à présent:
34) Just be sensible and we’ll let you sleep - drink - anything you like. Just tell us.
(Enter a Free man, Tom Stoppard)
34') Coopérez et nous vous laisserons dormir... boire... tout ce que vous voudrez. Mais
répondez (Les Dimanches de Monieur Riley, adaptation de Roger Andrieux)
19
20
Quik et al. (1985: 922)
manipulation de l'exemple 21)
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P, ici Just be sensible, repris par un impératif utilisé seul, a de fortes chances d'être une
injonction, et peut rester une injonction tout en étant suivi par une seconde proposition
introduite par and.
Sur le plan de la prosodie, dans les énoncés articulés par or (ou and, comme en 34),
l'intonation des propositions impératives est très régulièrement descendante confirmant la
valeur illocutoire d'injonction.
35) Give me my property or the country will be drenched in blood.
(The Madness of King George, Alan Bennett)
Rendez-moi ce qui m'appartient ou le pays baignera dans le sang
36)Be off, or I'll kick you downstairs
(Alice in Wonderland, Lewis Carroll)
36') Filez! ou je vous mets mon pied dans le derriere!
(Les Aventures d'Alice au pays des merveilles, traduction de Henri Parisot)
Le statut de p est donc différent de ce qui a été étudié jusqu'à présent. Il n'est pas pour autant
possible de conclure qu'il n'y a pas ici de construction corrélative: celle-ci est mise en œuvre
explicitement par l'intermédiaire des connecteurs and et or, qui permettent d'intégrer les deux
propositions dans une unité supérieure, celle d'un système conditionnel. Sur le plan
sémantique tout d'abord, il n'est pas équivalent de dire 35) dans son ensemble et Give me my
property d'une part et the country will be drenched in blood d'autre part: comme
précédemment, cette proposition p sert de cadre à ce qui est exprimé en q. La valeur de nonréalisation de l'événement contenue dans l'impératif permet de construire une prédiction ayant
pour base le résultat de l'acte d'injonction (envisagé comme réalisé avec and et comme non
réalisé avec or). Le côté anaphorique de or quand il relie deux propositions et qui peut être
explicité par else a été fréquemment souligné: c'est sur non-p qu'est construite l'hypothèse
contenue dans les exemples 35 à 38 ainsi que l'exemple 4) donné dans l'introduction. Ce que
l'on a en fait c'est deux énonciations P! (p) and q ou P! (p) or q .
L'énoncé est orienté vers la réalisation de ce qui est exprimé dans p, qu'il s'agisse d'un groupe
nominal (37) ou d'une proposition à l'impératif (34, 35 et 36). L'actualisation de l'hypothèse
est envisagée et il ne peut donc y avoir de variation du conséquent: will est régulièrement
possible mais l'alternance avec would est exclue:
37) Silence, or I’ll have the village cleared!!!
( Asterix and the Cauldron)
37') *Silence or I would have the village cleared!
Christiane ROCQ-MIGETTE -21/06/05
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Will n'est pas utilisé en référence au moment d'énonciation mais marque l'ultériorité
(temporelle et logique) par rapport au procès exprimé dans p. Si la correspondance avec un
système conditionnel est plus limitée que précédemment dans l'éventail de ces hypothèses,
c'est bien parce que p oriente q et qu'il y a solidarité entre les deux propositions. La fonction
de la deuxième proposition ne présente pas de différence par rapport à celle tenue dans les
énoncés étudiés dans la seconde partie (ceux où p ne peut pas être reconstruit de façon
autonome sans changer de sens). Il semble ainsi difficile de distinguer sur le plan syntaxique
l'exemple 16) (rappelé ci-dessous) où un système corrélatif peut être mis en évidence et la
construction parallèle en or, obtenue simplement avec l'antonyme de keep :
16) Keep asking for it and you are going to get it.
(The Maltese Falcon, Dashiell Hammett, adaptation de la BBC)
16') Stop asking for it or you're going to get it.
Les énoncés corrélatifs construits avec or ne se limitent pas à ceux où la proposiotion p
contient un impératif. Il est également possible d'avoir une première proposition déclarative.
L'étude de ces énoncés permet de constater un fonctionnement similaire à celui des énoncés
construit avec and, avec la possibilité d'avoir différents présupposés dans l'hypothèse, de
l'ordre du réél en 38), contrefactuel en 39) :
38) He has to recover soon or we are done for
(The Madness of King George, Alan Bennett)
Dans l'exemple 39), la courbe montante en p et l'absence de pause marque la solidarité des
deux propositions. Q est utilisé ici pour argumenter sur la validité de la déclaration effectuée
avec p.
39) He said nobody didn't come out of here while he was coming from Powell or he
would have seen them 21 .
Il a dit que personne n'est sorti d'ici pendant qu'il arrivait de Powell, sinon il l'aurait
vu.
Un autre point commun avec les systèmes précédents est la difficulté d'effacer un coréférent
dans la deuxième proposition. Si l'exemple 38) est modifié afin d'y introduire un pronom
anaphorique, l'ellipse n'est pas possible:
21
L'énoncé est en discours rapporté, mais on aurait la même présupposition contrefactuelle en discours direct:
nobody came out of here while I was coming down from Powell or I would have seen them.
Christiane ROCQ-MIGETTE -21/06/05
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38") He has to recover soon or he is done for.
*He has to recover soon or is done for.
40) True, they dare not challenge or they will get the sack, but few challenge if only in
their minds.
(Summerhill, A.S. Neill)
40') *They dare not challenge or will get the sack
* They don't challenge or will get the sack
Pour ces énoncés, ce sont également deux propositions complètes qui sont mises en relation.
Ce qui est commun à tous les exemples donnés ici est donc bien l'articulation autour d'un axe
central et la création d'une unité supérieure, dont la valeur est différente de chaque élément
pris séparément.
4. Le rôle des connecteurs
Ils ont un rôle fonctionnel: ce sont eux qui organisent la mise en relation des deux
propositions autour d'un axe central, dans un ordre contraint. Dans ces constructions, le statut
de p peut varier 22 sans qu'il soit nécessaire pour autant de remettre en question la solidarité
des deux propositions, leur complémentarité et donc leur interdépendance dans une unité
supérieure syntaxique. Ce ne sont pas uniquement les connecteurs qui marquent le statut
respectif des deux termes conjoints, ce statut dépend d'autres opérations pour ce qui concerne
p, en particulier la construction de la référence.
Ces connecteurs ont également un rôle sémantique essentiel, celui d'associer ou de dissocier
de façon nécessaire les deux termes qui sont mis en relation à l'intérieur d'un même système
syntaxique. Ils peuvent être comparés à un prédicat entouré de ses deux arguments: quand on
a une structure du type p and q, ou p or q, en fait quelque chose est dit de p par rapport à q et
vice-versa. Dans cette construction corrélative, on trouve une valeur qui a été reprise comme
outil par la logique formelle: avec and, l'actualisation (éventuelle) de p entraînera
nécessairement celle de q. Avec or, p et q ne peuvent être tenus pour vrais simultanément.
Enfin, il a été dit plus haut que le connecteur est utilisé pour asserter le lien entre deux
prédications. Les énoncés en if permettent de faire varier la force illocutoire de l'énoncé, en
mettant q à la forme interrogative sans que soient modifiés les présupposés inclus dans p.
22
Ces variations sont possibles à l'intérieur d'un cadre limité cependant, celui d'un événement présenté comme
non réalisé, comme le montre la remarque de Culicover et Jackendoff sur la nécessité d'avoir un contexte très
précis pour permettre un aspect accompli
Christiane ROCQ-MIGETTE -21/06/05
19
Mais il semble particulièrement difficile d'avoir des formes interrogatives dans un énoncé tel
que p and q quand cette construction est un système corrélatif conditionnel:
26) You could have a girl abducted on those steps by three characters from
Jurassic Park and they wouldn’t notice.’
26'') If a girl was abducted on those steps by three characters from Jurassic
Park , would they notice?
26''') *You could have a girl abducted on those steps by three characters from
Jurassic Park and would they notice?’’
Notre hypothèse est que le connecteur transmet la valeur illocutoire à l'unité complexe formée
par la mise en relation des deux propositions, et que cette valeur illocutoire est une assertion.
Christiane ROCQ-MIGETTE -21/06/05
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