COMPTE RENDU DE MISSION
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COMPTE RENDU DE MISSION
ASSEMBLÉE PERMANENTE DES CHAMBRES DE MÉTIERS - GUILDE EUROPÉENNE DU RAID - PROGRAMME COSAME Chambre de Commerce, d’Industrie, des Mines et de l’Artisanat du Cameroun (CCIMA) Mission de compagnonnage artisanal cuir « Vous êtes de très bons maroquiniers, ayez le courage d'avancer » Maroua : 18 novembre - 16 décembre 2006 Françoise LAPORTE Sommaire Introduction Contexte Arrivée à Yaoundé et Maroua La mission Programme de travail Intervention avec les tanneurs Conclusions et perspectives Introduction : Avant de rentrer dans le vif du sujet de ce compte-rendu de mission, je voudrais rapporter une petite anecdote personnelle; il y a 17 ans, lors d'un voyage au Bangladesh, pays pauvre s'il en est, j'ai fait deux rencontres. La première avec deux artisans cordonniers travaillant par terre dans une cabane de 2 m² précairement montée sur le trottoir et sans aucun outillage. La seconde avec un petit groupe de femmes battues et en grande difficulté, qui suivaient une formation en maroquinerie afin de pouvoir trouver une autonomie, stage organisé par une ONG italienne. Ce jour là, je me suis dit : "Voilà, ce que tu dois faire !" C'est pourquoi 17 ans plus tard, me retrouver à Maroua auprès des artisans maroquiniers est, pour moi, "dans l'ordre des choses !!" Contexte : La mission cuir à Maroua n'est pas "une première". Mr Luinaud, bottier, est parti l'année passée dans les mêmes conditions travailler auprès des artisans maroquiniers, bottiers et tanneurs. Cette mission repose sur une synergie tripartite : ¾ ¾ ¾ Le GIC-ADA qui est un regroupement d'artisans sur Maroua qui aide à la formation, l'alphabétisation et autres soutiens aux artisans La chambre de commerce camerounaise, CCIMA Le COSAME, organisme français de soutien aux artisans et projets de micros entreprises dans les pays du sud La première mission a eu un grand succès dans le sens où elle a redynamisé les artisans par l'intérêt que l'on portait à leur entreprise. En effet le groupe d'artisans concernés par la mission, sous la tutelle du GIC-ADA, est à l'origine d'une labellisation de leur production en fonction d'un certain nombre de critères de qualité déterminés par l'ensemble du groupe. Les articles réalisés sous le label "KALKAL" sont vendus au local du GIC-ADA, dans la boutique de la "porte Mayot", hôtel-restaurant très connu à Maroua et tenu par une française, et dans certaines foires africaines, comme par exemple le SIAO, la foire artisanale de Ouagadougou très connue et reconnue. "KALKAL", si j'ai bien compris intègre une notion d'égalité, un peu difficile à transcrire en français. Lorsque tout est égal, on trouve l'harmonie Il faut qu'il y ait un équilibre entre la qualité du travail, de la matière première, le prix de vente, mais aussi le prix d'achat (précision des artisans), pour que ce soit "KALKAL". Maroua, à l'heure actuelle est en difficulté; l'aéroport est fermé, la frontière avec le Tchad très surveillée. Les échanges commerciaux sont rendus très compliqués et le tourisme inexistant, à l'image de l'ensemble du pays l'activité économique est à plus de 70% de type informelle. L'objectif principal et quotidien dans ce contexte est de trouver ce qu'on appelle "la ration", c'est-à-dire de quoi nourrir sa famille chaque jour. Toutes ces explications pour comprendre le comportement parfois versatile des artisans. Enfin, je voudrais rappeler que la population de Maroua est dans sa grande majorité issue du milieu agricole. Quasiment tous ont des racines "au village" et y retournent fréquemment. Certains cultivent encore. Je me suis laissé expliquer que dans un temps où tout le monde vivait en brousse, chaque famille après le travail des champs se livrait à des pratiques artisanales; la poterie, le tissage, la vannerie, le travail du bois et donc du cuir. L'artisanat est donc une pratique culturelle ancestrale, qui se transmet de façon orale pour la confection d'objets utilitaires, qui correspondait à une réalité rurale pour des besoins précis ; la chasse, la pêche etc. Les notions de création, de temps de travail, et techniques adaptées de travail n'existaient pas dans ce contexte, il y à présent un décalage entre ces pratiques ancestrales et une réalité économique. Toutes ces explications nous aideront peut-être à expliquer en partie le fonctionnement des artisans avec qui je vais travailler durant cette mission. Arrivée à Yaoundé et Maroua L'accueil qui m'a été réservé à mon arrivée à Yaoundé est au-delà de tout ce que l'on peut espérer en matière d'hospitalité. L'intérêt des artisans pour l'arrivée d'un artisan (e) français est très grand. J'ai été bloquée deux jours à Yaoundé et j'ai eu l'occasion de rencontrer une partie de la corporation des bottiers, dont un certain Sadeu Tayou, bottier génial dont la soif d'apprendre n'a d'égal que le peu de moyens qu'il a. Mais je n'avais encore rien vu et Maroua devait me réserver bien d'autres surprises !! Mon arrivée à Maroua a été tout aussi chaleureuse, accueillie par David Tofeukeu et Chérif Mahamat, et j'ai donc commencé à travailler dés le lendemain de mon arrivée. La mission Elle a commencé par une tournée des ateliers concernés par cette mission, c'est-à-dire les ateliers "KALKAL"(ce qui représente environ une quinzaine d'ateliers sur, peut-être, des centaines dans la ville), accompagnée par Chérif Mahamat, délégué à la chambre de commerce, et Martine Foutchou, animatrice du Gic-Ada qui suit plus particulièrement les maroquiniers. J'ai pu rencontrer les artisans, voir dans quelles conditions ils travaillent et leur demander ce qu'ils attendaient de ma venue auprès d'eux. A partir de là, au local du Gic avec M Hamka, coordinateur du GIC-ADA, Martine et les artisans nous avons établi un emploi du temps s'articulant sur plusieurs thèmes et organisé le travail en modules dans lesquels les artisans sont venus s'inscrire : 1er module : croquis, dessin patronage et gabarits, 2° module : "sur mesure " - rectification de leurs patrons existants, - montages techniques particulières - création d'une ligne de produits en fonction d'un design 3° module : réalisation d'une paire de chaussures fermées 4° module : réalisation d'un nouveau modèle pour les maroquiniers Vue de loin l'organisation en petits groupes de travail dans lesquels les artisans doivent venir s'inscrire peut paraître bonne. Dans la réalisation à Maroua, c'est extrêmement difficile, la plupart ayant oublié à quel groupe ils appartenaient, très vite tous les groupes ont été mélangés et pour finir le local du Gic-Ada dans lequel je travaillais est devenu une sorte de self-service de l'apprentissage maroquinier-bottier, où chacun organisait son temps à sa guise et où je me rendais disponible de 9h à 17h30!!!! Programme de travail Premier module - maroquinerie : Croquis, dessin, patronage, gabarits Pratiquement aucun artisan n'est capable de dessiner un sac qu'il imagine et voudrait réaliser. Par contre si vous leur donnez un sac, un cartable ou autre, ils en feront la copie à l'identique, sans aucun problème. La consigne était de dessiner un article nouveau. Ils ont eu beaucoup de difficultés et je me suis très vite aperçue qu'ils ont tous dessiné (sauf Sali) un sac déjà fabriqué par eux avec une toute petite variante pour se persuader (et essayer de me persuader !!) que l'article était bien différent ! Nous continuons donc le cheminement qui va être : réaliser le modèle en papier en fonction du dessin. Evaluer alors si le dessin correspond à la réalisation en papier, ou si la réalité correspond à leur rêve !! Ensuite il s'agissait de faire le patronage, c'est-à-dire à plat sur papier, être capable de décortiquer les différentes parties d'un sac (donc un volume) afin ensuite de pouvoir les découper avec exactitude dans le cuir. Les artisans ont l'habitude de cela, mais le pratiquent de façon instinctive et empirique, ce qui les amène à faire beaucoup d'erreurs, à sacrifier du cuir pour corriger les erreurs et à passer deux fois plus de temps. Ce travail leur a demandé beaucoup d'effort d'attention, de précision, d'effort également pour ne pas céder à la tentation de faire comme ils le sentent c'est-à-dire : "on se débrouille, et on a l'habitude comme çà " Enfin nous avons réalisé les gabarits, c'est-à-dire en fonction du patron, découper les différentes parties du sac dans un carton épais, qui servira à reproduire à l'identique l'article autant de fois que nous en aurons besoin. Ce module a été bien suivi dans l'ensemble, même si certains ont abandonné tout de suite, d'autres sont venus chaque jour et ont réalisé plusieurs modèles. A chaque étape du travail, j'ai tenu à faire une mise en commun pour que tous puissent exprimer ce qu'ils avaient compris ou pas compris, pouvoir analyser les réalisations, les critiquer pour mieux les comprendre et mieux les intégrer. Second module - maroquinerie : sur mesure Je vais rendre compte de ces trois thèmes ensemble (rectification de leurs patrons existants, montages techniques particulières, création d'une ligne de produits en fonction d'un design) car là encore, nous avions établi des groupes répondant aux demandes de certains artisans et finalement l'artisan inscrit à un module venait au suivant, celui pas inscrit du tout venait à tous les modules, à 10h, à 11H, à 16h, jamais à l'heure prévue, bref le maître-mot pour pouvoir travailler avec les artisans de Maroua est : s'adapter. Ces ateliers ont été très productifs, les artisans venaient avec leurs problèmes du moment et travaillaient ensemble pour les résoudre. Ainsi, nous avons revu des patronages un peu "bancales". Nous avons planché sur des problèmes techniques : une patte en cuir pour une bandoulière de cartable, un soufflet dont on ne voit pas la couture centrale, la rigidité d'une mallette de petits outils de chirurgie, etc. Enfin, et ceci à la demande d'un seul artisan (Hassana), nous avons élaboré une ligne de produits, à savoir : un sac de voyage, un sac dame, un portefeuille autour d'un design. Nous avons réalisé entièrement le patronage du sac de voyage, je souhaite vivement qu'un suivi soit fait pour encourager Hassana à poursuivre et espère recevoir bientôt une photo de son premier sac de voyage. Ce qu'il a commencé à élaborer est vraiment super !! J'ai abandonné les maroquiniers à ce moment, afin de leur laisser le temps de ruminer et digérer. Troisième module cordonniers; fabrication d'une paire de chaussures fermées Ici cordonnier, c’est tout ce qui touche de prés ou de loin à ce qu'on enfile aux pieds ! Donc 7 personnes étaient prévues au départ pour ce module. Le premier jour, deux sont venues, le deuxième jour, les deux premières personnes plus une troisième pas prévue, enfin une quatrième, prévue, est arrivée. Ces quatre artisans sont jeunes et volontaires. La demande clairement exprimée était la réalisation d'une chaussure fermée ou "couvre-pied". Nous avons récupéré de vieilles formes toutes "destroy" pour un modèle très simple de Derby. Ils ont alors réalisé : le relevé de forme, c.a.d le dessin à plat du volume de la forme (= volume du pied), le patronage à partir de ce relevé de forme, la découpe des gabarits, du cuir et processus normal de fabrication : coupe, parage, couture, montage semelles etc. Ces journées ont été très difficiles pour tous .Mais sans doute plus encore pour moi, car moins habituée à toutes ces difficultés. • • • Difficile, car le travail de la chaussure est difficile, particulièrement le patronage Difficile par le manque de tout, il faut tout adapter, improviser, recycler. Mais ces jeunes excellent dans ces domaines Difficile pour moi, car j'ai mes limites et c'est la première fois que je fais de la transmission dans la chaussure. Nous y sommes arrivés, le résultat n'était pas exactement à la hauteur de leurs désirs; ils imaginaient sortir samedi soir avec des "weston" ou encore des "stanford" !!! Ceci nous a très vite permis de faire un premier bilan : la chaussure, c'est très difficile et il faut vraiment beaucoup de matériel. La quatrième personne qui nous a rejoints est un cordonnier, un vrai ! Il avait une commande d'une paire de chaussures orthopédiques, dont il avait le modèle et qu'il devait réaliser 2 ou 3 tailles au-dessus. Lorsqu'il est venu me voir, il avait déjà bien commencé à élaborer son travail de façon totalement empirique, mais combien génial ! Je l'ai aidé à modifier la paire de formes en fonction du modèle qu'il avait à réaliser. Nous avons fait le patronage (modèle particulier, à plateau), et il a réalisé sa paire qui est tombée "pile poil", Fantastique!! Ce jeune a de l'or dans les doigts ! Cette semaine avec les cordonniers a été très intense. Malgré les difficultés, les jeunes artisans ont été extrêmement assidus, présents, actifs. L'évaluation que nous avons faite samedi a été très positive. Chacun a pu exprimer comment il avait ressenti ces jours de formation, la possibilité ou non d'utiliser ce qu'il avait appris, dans son travail, le désir ou non de continuer dans la chaussure. Tous ont réalisé et admis qu'il était vraiment trop difficile de fabriquer de bonnes chaussures avec les moyens actuels. Pour ma part, je pense que le travail qu'ils ont réalisé est tout à fait magnifique, au vu des conditions dans lesquelles ils travaillent. Mais était-ce l'objectif ??? Pour moi le but à atteindre était la prise de conscience de leurs difficultés et les moyens à prendre pour y remédier. Quatrième module ; fabrication d'un sac avec les maroquiniers Mon séjour s'est terminé par ce dernier module de cinq jours, en notant que le samedi, je n'ai vu personne venir travailler !! Que nous n'avons pas eu le temps de finir le travail, et pas eu le temps non plus de faire ensemble la réunion d'évaluation. J'envoie à M. Hamka une petite note sur ce travail, je compte sur lui pour la transmettre aux artisans. Ensemble nous avons choisi un modèle dessiné par l'un d'entre eux, nous avons élaboré le patronage. Trois groupes de trois personnes devaient travailler sur ce projet. Le modèle n'était pas facile et surtout je leur demandais de travailler en suivant les règles établies lors de la première semaine. Changer leur façon empirique de procéder a été une lutte pour moi. De plus, travailler en groupes, s'organiser, distribuer les tâches est très compliqué pour eux, voir impossible. Si bien que deux groupes se sont retrouvés avec un seul artisan. L'idée était aussi que je travaille avec eux, non pour imposer mes techniques, mais pour pouvoir échanger sur les méthodes et les améliorer et surtout appliquer ce que nous avions vu ensemble la première semaine. Deux groupes sont partis travailler dans les ateliers, je n'ai donc pas pu les suivre. Donc, un seul groupe a mené ce travail à bien avec moi, et l'échange a été très riche. La réalisation est très loin d'être parfaite, elle a plus une valeur de prototype, qui doit leur donner à réfléchir sur le processus qu'ils ont mis en œuvre pour la réalisation. Je tiens à préciser que de nombreuses petites erreurs ont été faites par moi pour les raisons suivantes : • • • difficulté à travailler avec leur matériel, manque d'habitude de la matière première, méconnaissance des colles qu'ils utilisent et qui ne réagissent pas comme celles que j'utilise. Ce module a été très difficile dans sa mise en place, dans son déroulement, pour différentes raisons : L’assiduité des artisans est très difficile à gérer. Ils sont des électrons libres qui s'organisent comme bon leur semble, sans tenir compte de l'organisation proposée par l'ensemble du groupe. De plus, ils n'étaient pas très contents de travailler avec les peaux que j'avais commandées, dont la qualité était assez médiocre et dont j'avais payé le prix fort. Ce problème m'a d'ailleurs valu d'autres déboires puisque je n'ai pas pu mettre en application certains principes de coupe de la peau, que j'avais abordés de façon théorique. Intervention avec les tanneurs Avant mon départ, il m'a été demandé de travailler (dans la mesure de mes possibilités) sur le problème du tannage. La corporation des tanneurs à Maroua est assez importante. Les conditions de travail sont pénibles, les installations précaires. Chaque jour se tient un marché des tanneurs, où ils vendent leurs peaux brutes sans aucune finition. Il faut ajouter à cela que le climat entre les tanneurs et les maroquiniers est plutôt orageux. J'ai donc rencontré un tanneur, j'ai visité sa tannerie. Il m'a longuement expliqué chaque étape, j'ai noté avec le plus de détails possibles le processus de tannage, pour m'apercevoir qu'il travaille dans l'imprécision totale. J'ai alors consulté la nombreuse documentation que j'avais emportée pour établir un comparatif entre ce que j'ai vu et ce que je lisais. Il ressort que, dans l'ensemble, le processus de tannage est correct. Cependant, ce métier demande une certaine précision, alors que les artisans– tanneurs n'en ont aucune. De plus, certaines pratiques sont soit mal faites, soit pas faites du tout. Je donne au dernier chapitre de ce compte-rendu le détail de mes investigations auprès des tanneurs. Conclusions et perspectives ¾ Secteur Maroquinier : Malgré beaucoup de problèmes d'organisation, une participation nonchalante des artisans, j'ai le sentiment d'avoir beaucoup travaillé. Dès le début j'ai compris qu'il était inutile de vouloir changer leurs techniques de travail. Ils ont leurs outils, j'ai les miens et seul le résultat compte. Par contre, j'ai essayé qu'ils aient un regard analytique sur leur organisation, le déroulement des opérations de fabrication, afin de "professionnaliser" leur activité qui est à mon sens un peu trop dilettante pour "apporter la ration". Deux choses sont à mon avis essentielles à améliorer : • la qualité des peaux, pour réduire leur temps de travail. Donc, je me rallie à présent à la proposition faite par Mr Luinaud et Mr Tofeukeu. Créer une petite unité de corroyage des peaux (finition). L'idée est de pouvoir proposer cette activité à un groupe de jeunes déscolarisés et sans travail (4 ou 5 personnes) • la commercialisation : déjà avoir une boutique qui donne sur la rue et non dans une ruelle invisible. Ensuite, je crois qu'il faudrait pousser la réflexion avec les artisans pour envisager un commercial sur Yaoundé, Douala, voire plus loin. Mais sont-ils prêts à cela ? Il semble que non. J'ai développé toute la partie "dessin, patron, gabarit" avec eux. Je suis convaincue que c'est la base d'un travail professionnel, il tient à eux de mettre en application ce que nous avons vu ensemble, pour les amener peu à peu vers l'organisation, la rigueur nécessaire à un travail plus efficace, plus rentable. Je me suis posé plusieurs fois la question durant mon séjour: "Ont-ils vraiment envie de changer ?", "Est-ce trop difficile pour eux de changer ?" A mon avis, ceci est une vraie réflexion à mener avec eux, afin que l'idée d'une formation soit vraiment leur demande. A l'issue de la réunion finale à la chambre de commerce, cinq artisans ont été désignés comme relais pour la transmission parmi les jeunes. A mon avis cette initiative est bonne car elle les responsabilise par rapport à l'apprentissage qu'ils ont reçu, mais ceci est encore prématuré. Je veux encore rappeler, qu'il semble que cette corporation a par le passé reçu déjà beaucoup de soutien; stage maroquinier, stage avec une designer, stage gestion, alphabétisation. Finalement ce sont des enfants gâtés (au sens français du terme !!). Alors ont-ils envie de changer ?!? ¾ Secteur bottier : à l'issue de nos journées de travail en atelier, nous sommes tous tombés d'accord sur l'évidence que faire des chaussures aujourd'hui à Maroua est beaucoup trop difficile pour en faire une activité professionnelle rentable. La première étape serait que chacun rende déjà sa propre activité rentable, pour cela il faudrait améliorer leurs conditions de travail, investir peut-être dans un peu d'outillage, perfectionner les modèles de sandales déjà en cours. Mais n'était-ce pas ce que Mr Luinaud avait proposé ?!?. Nous avons évoqué la possibilité d'un regroupement de ces 4 personnes. Trouver un atelier en commun, c'est bénéficier d'un local plus spacieux, avec un loyer à partager, c'est acheter des machines à plusieurs, enfin faire un atelier avec des compétences diverses : réparation, fabrication de sandales, création de nouveaux modèles etc. Nous avons proposé que l'un d'entre eux, Sali, puisse suivre un stage d'un mois chez Sadeu Tayou à Yaoundé, afin de poursuivre sa formation commencée avec moi et être en contact à Yaoundé avec des artisans pour trouver du matériel par exemple. Il me semble que le suivi doit s'orienter dans ce sens : restructurer les ateliers, patronner tous les modèles déjà existants, faire du stock, gérer leur gains et dépenses et se fédérer pour trouver une force d'action. D'ores et déjà établir un contact avec Sadeu Tayou, bottier à Yaoundé. ¾ Secteur Tanneur : n'étant pas technicienne du tannage, il est difficile que je préconise quelque chose de définitif. Je vais donc me contenter de signaler les disfonctionnements que j'ai pu relever. Néanmoins, je pense que si une nouvelle mission devait avoir lieu à Maroua, il serait bien de pouvoir envoyer un véritable technicien du tannage qui travaillerait tout un mois avec cette corporation. A ce sujet, il peut être intéressant de contacter la FAO qui a fait dans ce secteur un travail intéressant au Kenya, au Burkina et au Sénégal. A contacter également à Lyon le CTC (centre technique du cuir) qui peut nous mettre en relation avec des techniciens du tannage ou encore la Maison de la peau et du gant à Millau (Aveyron) qui a coordonné des missions sur le tannage en Afrique. Erreurs que j'ai pu relever au cours de mes investigations sur le tannage : 1. La première grosse erreur que j'ai relevée concerne les personnes qui travaillent à l'abattoir; au moment de l'abattage, la bête est aussitôt "déshabillée" de sa peau, à ce moment il existe une opération que l'on appelle "la PARFENTE". Cette opération consiste à faire trois incisions sur la dépouille coté "chair", l'une allant de la tête à la queue, la seconde entre les deux pattes antérieures, et la dernière entre les deux pattes postérieures, en même temps que l'on doit couper la tête la queue et les pattes. Je ne suis pas allée à l'abattoir vérifier que cette opération soit faite, si elle l'est, elle est à mon sens mal faite. Et cette opération est déterminante pour une certaine tenue de la peau. 2. Le séchage que l'on doit pratiquer avant de commencer les opérations de tannage est une opération difficile. Les peaux, à aucun moment, ne doivent subir ce qu'on appelle "l'ECHAUFFE", ceci indique l'échauffement des fibres vivantes de la peau et donc le premier stade de la putréfaction. Lorsque des fibres ont été touchées par l'échauffe, aussi peu soit-il, ces fibres ne reviennent jamais et cela altère la qualité de la peau. Il faut sécher en suspension, étiré, jamais par terre, jamais au soleil. Pour "dépoiler" ou "délainer", les peaux sont mises dans des bains de chaux; Il est important de surveiller les dosages et changer régulièrement ces bains. Il convient de surveiller régulièrement le pH. Le "confitage" est l'opération qui permet d'éliminer la chaux et donc de stopper son action. Peu importe les produits utilisés (à Maroua, ce sont des fientes d'oiseaux !) il est important ici aussi de surveiller le pH qui doit se trouver entre 7,5 et 8,5. 3. Pour le tannage proprement dit, on utilise à Maroua des graines d'acacia. Ici aussi, il est nécessaire de respecter les dosages. Les produits tannants sont des produits astringents, qui peuvent racornir les fibres si les bains sont trop dosés. Il est donc important de faire plusieurs bains en commençant par des dosages assez faibles et en augmentant les doses ensuite. A Maroua, j'ai vu jeter les graines d'acacia sans aucune mesure préalable. 4. Enfin le rinçage doit être soigné et le séchage, peau étirée, toujours à l'ombre !! Ce que je n'ai pas vu dans la tannerie. N'étant pas spécialiste, j'émets des réserves sur mes remarques, et recommande l'avis d'un technicien pour confirmation. D'une manière générale, je pense qu'il faut assurer vite le suivi de la mission que je viens de faire ; activer le contact avec Sadeu Tayou à Yaoundé, prévoir le stage de Sali, encourager Hassana dans la finalisation de ses nouveaux modèles, suivre les autres dans l'organisation de leur travail, dans une plus grande rigueur. Enfin, j'en ai déjà parlé avec un certain nombre, il faudrait pouvoir établir un pont entre Maroua et la France, afin de nous permettre de leur faire parvenir différentes choses. Pour cela, je pense qu'il faudrait établir un carnet d'adresses de personnes voyageant régulièrement entre la France et le Cameroun et trouver un pôle de réception/coordination. Le COSAME pense-t-il pouvoir jouer ce rôle ?? Si non, quelle autre solution serait possible ? Et, pour conclure, ce mois passé à Maroua a été une expérience formidable pour moi. La complicité due à nos pratiques communes, avec les artisans, la présence toujours gaie de Martine l'animatrice, le dévouement de toutes les personnes avec lesquelles j'ai pu travailler : messieurs Tofeukeu, Mahamat, Hamadou le chauffeur, toutes les personnes du staff de l'hôtel qui ont rendu mon hébergement moins impersonnel et solitaire, l'ambiance simple et gaie de la ville de Maroua dans son ensemble. Enfin, je tiens à remercier tout particulièrement Catherine Lecome pour son accueil tout à fait amical, sa grande connaissance du contexte particulier de la corporation des maroquiniers de Maroua, qui m'a permis de comprendre beaucoup de choses. Je ne sais pas si je retournerai un jour à Maroua, Inch'allah !!, mais je souhaite vivement que les produits "KALKAL" se vendent dans le monde entier et je dis à tous les artisans : " Vous êtes de très bons maroquiniers, ayez le courage d'avancer !!!"