Martin Nicoulin Jean-Jacob Meyer, le Suisse de Missolonghi*1

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Martin Nicoulin Jean-Jacob Meyer, le Suisse de Missolonghi*1
042MélangNicoulin//25'600 s.e.c//10juill2009//version finale
Martin Nicoulin
Jean-Jacob Meyer, le Suisse de Missolonghi*1
Le 26 avril 1926, le Représentant de la Confédération suisse à Athènes envoie cette note au
Conseil Fédéral : « La Grèce vient de fêter solennellement le centenaire du siège et de la sortie de Missolonghi…
La Suisse a le privilège d’avoir donné à la Grèce, en cette occasion épique, l’étranger qui se distingua le plus dans
la lutte contre le Turc. »(1)
Le Chargé d’Affaires de la Suisse n’assiste pas à la cérémonie qui se déroule en présence du
Président de la République. Mais il dévoile le nom de l’illustre inconnu : Jean-Jacob Meyer né en
1798 et mort en 1826.
Ainsi le destin d’un émigrant, qui meurt à 28 ans, afflue au rivage de l’histoire. Cette vie si brève
et si intense exige de l’historien une certaine compréhension pour les péchés de jeunesse.
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* Immigration, émigration ! Voilà deux concepts toujours opérationnels dans l’histoire
suisse et toujours chargés d’émotions paralysantes ou créatrices. Il y a un plus de 40 ans,
Georges Andrey préparait son doctorat sur l’immigration française dans le canton de Fribourg
et je préparais le mien sur l’émigration fribourgeoise au Brésil. A cette époque, tous les
samedis matins, nous nous retrouvions dans la salle du Séminaire d’histoire moderne et
contemporaine dirigé par le grand professeur Roland Ruffieux. Ensemble, nous avons
travaillé la problématique de la migration, en dépouillant avec ravissement la fameuse revue
des Annales, en lisant les monographies récentes ou les grands classiques sur ce thème. Nous
terminions nos séances en commentant nos fiches-idées et en jouant aux quilles au café du
Plazza. Puis autour d’un pastis, Georges Andrey faisait découvrir, au Jurassien séparatiste que
j’étais, les originalités et les beautés de la culture fribourgeoise, qui allaient du tavillon aux
entreprises grandioses de Georges Python en passant par Reynold et Siffert. Et mes nouvelles
racines naissaient au soleil de cette amitié. Aussi, pour honorer le jubilaire, ai-je choisi un
thème sur l’émigration en partant de mon champ de recherches actuelles imposées par la
Présidence des Amis de la Bibliothèque d’Andritsena dans le Péloponèse. Alors j’ai pris le
bestseller de Georges Andrey, son livre sur « L’Histoire de la Suisse pour les Nuls », et j’ai
été conquis par ses pages sur le philhellénisme. En préparant une émission de télévision, je
suis tombé aux Archives fédérales à Berne sur un document inédit. J’en fais ma présente
contribution à « Clio dans tous ses états ».
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Cet article tente d’élucider trois problèmes pour décrire la courte aventure terrestre de notre
personnage. Pourquoi Meyer part-il en Grèce ? Quelle est son activité principale dans ce pays ?
Comment est-il devenu célèbre ?
1. Un départ critiqué par la presse.
Jean- Jacob Meyer naît le 30 décembre 1798 à Zurich où son père, médecin diplômé de
l’Université de Tübingen, possède un immeuble. Cette famille Meyer a la bourgeoisie de
Schöflisdorf dans le même canton.
Jean-Jacob se montre à l’école un élève studieux et obéissant. Il a onze ans lorsque meurt sa
maman qui est vite remplacée. Il apprend la profession de pharmacien à Vevey. Il se marie le 24
avril 1817, à l’âge de 19 ans avec Salomée Staub. Il habite à Dättlikon et y exerce son métier.
Tout à coup, sa vie dessine de grands virages. En été 1817, il quitte sa jeune femme, visite Paris
et assiste à l’autopsie du cadavre de Mme de Staël. Divorcé le 3 septembre 1818, Jean-Jacob
Meyer s’établit comme pharmacien à Frauenfeld. Mais il veut être médecin comme son père. En
mai 1819, il étudie la médecine à l’Université de Fribourg en Brisgau. Un an plus tard, il est puni
de relégation perpétuelle par le Sénat académique pour cause de dettes. Le jeune Meyer
vagabonde à travers l’Allemagne. Arrêté par la police prussienne, faute de passeport valable, il
retourne chez son père qui vit maintenant à Elgg.
Notre Jean-Jacob a 23 ans et peine à trouver son chemin. Pourquoi ? Son biographe, qui a
étudié sa vie à deux reprises en 1931 et en 1948, ne le dit pas. Sec et précis comme un
positiviste, il ne donne aucune explication sur son comportement. (2)
Ce jeune homme né sous la République helvétique épouse dans sa vie comme dans sa pensée le
mouvement libéral. Ce beau romantique, à voir sa statue à Missolonghi, ne supporte pas le temps
de la Restauration qui voit revenir au pouvoir les Patriciens avec leur police, leur arrogance et leur
injustice. Meyer se situe à l’aile gauche du libéralisme de l’époque, un vrai radical, un vrai
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républicain. Grillé aux yeux du régime par son séjour en Allemagne, il ne voit pas son avenir en
Suisse.
Tout à coup, la presse lance une information sensationnelle qui donne l’espoir d’une vie
nouvelle à ce jeune désespéré.
Des Grecs luttent contre l’Empire ottoman et se battent pour la renaissance de la Grèce. Cette
nouvelle enthousiasme les libéraux et les chrétiens de l’Europe. Ce mélange explosif (la Croix
contre le Croissant et la liberté contre la tyrannie) mobilise l’opinion publique jusque dans les
campagnes. Des comités philhellènes récoltent de l’argent en Suisse, en Allemagne, en Angleterre,
en France. Des jeunes, par centaines, se rendent à Livourne ou à Marseille et s’embarquent pour
aider leurs frères grecs dans la lutte contre les Turcs.
Meyer s’enflamme pour cette cause. Il prend contact avec la Société des missions de Bâle en
qualité de « Dr Jean-Jacob Meyer de Zurich ». A Berne, il discute avec le comité philhellène
fondé le 1er août 1821, le premier en Suisse. Il promet d’adresser des rapports sur la situation de
la guerre et de trouver le canal sûr pour envoyer de l’argent aux Grecs.
Cette communication paraît dans la presse et s’attire les foudres de la Neue Zürcher Zeitung. Ce
grand journal libéral annonce qu’il n’y a pas de Dr Jean-Jacob Meyer à Zurich, qu’il s’agit
probablement de l’étudiant en médecine, originaire de Schöflisdorf et exclu définitivement de
l’Université de Fribourg. Ce numéro publie même un extrait en latin de la sentence académique.
(3).
Meyer ne quitte pas la Suisse comme un héros ; sa réputation est salie publiquement. Il apprend à
ses dépens le pouvoir des mots. Il rumine cette défaite avant de la positiver et de prendre sa
revanche.
2. Journaliste à Missolonghi
Début 1822, Meyer débarque à Missolonghi après avoir participé, comme chirurgien, à une
bataille navale gagnée par la flotte grecque. Dans cette petite ville, il rencontre l’amour. Il épouse
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une jeune fille de la famille des Igglézis qui lui donne deux enfants. Il se convertit à la religion
orthodoxe. Il ouvre une pharmacie. Il améliore l’hôpital existant et pratique la médecine. Ses
confrères louent ses compétences et son sens de l’organisation.
Son destin change avec l’arrivée de Lord Byron. A la demande du Comité philhellène de Londres,
le grand poète anglais dit adieu à la littérature et arrive à Missolonghi le 5 janvier 1824. Il veut
être le Napoléon Bonaparte de la Grèce. Il est secondé dans sa mission par un autre Britannique,
le colonel Stanhope. Ce dernier se bat pour le développement intellectuel de Missolonghi. Il
ouvre une école d’enseignement mutuel. Surtout ce militaire très libéral croit au pouvoir de la
presse et veut lancer un journal. Il réussit à convaincre de cette nécessité Byron et Alexandre
Mavrocordato, gouverneur de la cité et membre du gouvernement provisoire de la Grèce.
Stanhope choisit Meyer comme rédacteur de ce futur périodique pour deux raisons. L’Anglais
veut une future Grèce libre et indépendante calquée sur le modèle de la Suisse. Comme lui, le
Zurichois est un fervent partisan de la liberté de la presse. Notre Meyer rédige et signe le
prospectus de lancement du journal le 18 décembre 1823. Le titre du journal sera Ellinika
Chronica ou Chroniques Helléniques. Le journaliste en chef hellénise son nom et signe : le
médecin Dr Johannis Jacobos Maier.
Le premier numéro paraît le 1er janvier 1824 avec un article de Lord Byron et sous la lumière
d’une phrase du philosophe anglais Jérémie Bentham : le plus de bonheur pour le plus grand
nombre.
Le Suisse entre très vite en conflit avec le célèbre poète. Meyer le libéral ne supporte pas
l’aristocrate anglais. D’ailleurs Byron censure parfois les articles de son rédacteur en chef. Le 19
mars 1824, dans une lettre à Samuel Barff, Byron se plaint de son rédacteur en chef qu’il trouve
trop républicain : « Of all petty tyrants, he is one of the pettiest, as are most demagogues, that
ever I knew ». (4)Mais Meyer reste inébranlable. Fidèle à son caractère, il aime écrire que « la
presse libre est l’âme de la justice ».(5)
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Byron lutte contre la division des chefs, leur corruption et leurs mensonges. Il tombe malade et
meurt le 19 avril 1824. Il a beau utiliser dans sa correspondance les initiales N.B., il ne sera jamais
le Napoléon Bonaparte de la Grèce. Le Prince Mavrocordato qui a reçu beaucoup d’argent du
Lord Anglais décrète un deuil officiel de 21 jours. Meyer ne pleure pas ce grand disparu. Pour lui,
le décès de Byron n’est pas la mort de la Grèce. (6)
Dans cette petite ville tranquille protégée par sa lagune et encore éloignée du théâtre de la guerre,
Meyer mène un remarquable combat culturel. Dans son journal, le 2 août 1824, il publie ses
« Pensées sur la création d’une bibliothèque nationale grecque ». L’article commence ainsi : « La
guerre contre les tyrans ne doit pas interdire aux hellènes d’accéder aux anciennes lumières de
l’instruction. Pour acquérir de nouveau toutes ses beautés, il faut créer une bibliothèque
nationale ». (7) Il lance un appel aux savants de l’Europe occidentale pour envoyer en Grèce les
livres imprimés d’Homère, de Sophocle, etc. Ce combat montre l’identification du Zurichois à sa
nouvelle patrie. Pour lui, la Grèce moderne est la fille de la Grèce antique, celle de Platon et
d’Aristote Son appel sera-t-il entendu ? En 1828, Jean Capodistria, citoyen d’honneur de Genève,
le sauveur de la Suisse au congrès de Vienne devient le premier Président de la Grèce nouvelle.
En 1828, il reprend l’idée de Meyer et fonde la Bibliothèque nationale.
Meyer a des contacts avec l’île de Zante où vit le poète Dionisios Solomos. Ce dernier en mai
1823 écrit le fameux Hymne à la Liberté pour secouer l’Europe et encourager les combattants.
Meyer vibre en lisant le premier vers : « Je te reconnais au tranchant de ton glaive redoutable ». Et
ce poème, futur hymne national de la Grèce, paraît pour la première fois dans sa maison d’édition
en 1824.
Au printemps 1825, Missolonghi, le boulevard de la Grèce, se croit invincible. La ville vient de
repousser plusieurs sièges des Ottomans. Elle se croit protégée par les exploits commis par ses
héros morts ou vivants .Elle a confiance en ses fortifications toutes neuves dont les bastions
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s’appellent Franklin, Guillaume Tell, Rigas etc. De plus, elle espère que l’Europe viendra
finalement à son secours.
Avril 1825, l’empire ottoman vient de reconquérir le terrain perdu dans le Péloponnèse et dans la
Grèce occidentale. Le général du Sultan, Rachid Pacha reçoit l’ordre : »Missolonghi ou ta tête ! »
Meyer prend sa plume et publie régulièrement la chronique des événements dans son journal.
Son reportage permet de connaître les gestes heureux ou malheureux des Grecs et le nom des
principaux acteurs. Le lecteur s’émeut en voyant le jeune Spyridon planter la croix, symbole de
la religion et de la liberté, dans le camp des Turcs. Il admire l’esprit de résistance des assiégés,
qui répondent à l’offre d’une capitulation honorable : « Seules les armes parleront entre les grecs
et les turcs. » Le liseur vibre à la joie de la foule lorsqu’elle voit les navires grecs du grand
Miaulis apporter des vivres et de la munition. Pour lutter contre le découragement et ranimer la
flamme de la résistance, le rédacteur en chef publie un discours prononcé à Nauplie devant les
autorités du gouvernement provisoire :
« Je m’adresse maintenant à toi, ville sacrée de Missolonghi ; oui, sacrée, et c’est avec le respect le
plus profond que je foule en esprit ton sol ensanglanté, quand je songe à tous les prodiges qui se
sont renouvelés tant de fois dans ton sein…Je t’appelle sacrée ; et tu l’es en effet, puisque, depuis
le commencement de cette guerre et tu n’as jamais été profanée par les pieds des barbares. »(8)
Pendant le siège, Meyer fonde une société « les amis de la justice ». Cette association
paramaçonnique prêche l’égalité des citoyens, lutte contre les privilèges des grands militaires et
politiques et se bat pour une meilleure répartition des vivres et des médicaments. Elle dénonce
aussi les partisans de la capitulation.Et sa popularité augmente encore. (9)
Et la ville résiste. Découragé, Rachid Pacha lève le siège en octobre. Une fois de plus, les Grecs
triomphent.
Mais en janvier 1826, Ibrahim Pacha, le général égyptien débarque. Les missolonghiens
souffrent de voir des officiers français commander des régiments arabes et africains. Ibrahim se
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moque des remparts de la ville et se donne quinze jours jours pour abattre cette clôture. Il
prépare soigneusement ses assauts mais ne réussit jamais à franchir les murailles. Lors d’un
bombardement, le 20 février 1826, un boulet démolit l’imprimerie. Et le journal de Meyer cesse
de paraître.
Le Général musulman appelle au secours son rival Rachid Pacha. Surtout il change de stratégie. Il
décide d’affamer la ville. Pour gagner la bataille de la faim, il doit être maître de la mer. Il organise
le blocus maritime. Les navires de Miaulis ne peuvent plus ravitailler la ville. Le gouvernement
provisoire de la Grèce perd son temps à légiférer.
L’Europe vit au souffle de Missolonghi. Elle se mobilise pour sauver les affamés. Mais ses
gouvernements restent les bras croisés. Jean-Gabriel Eynard entre en scène. Il récolte de
l’argent pour acheter des vivres et des munitions. Victime d’une désinformation journalistique , il
ne peut rien faire pour Missolonghi et souffrira toujours de cet échec.
3. Meyer crée sa propre gloire
Les libres assiégés, pour parler comme le poète Solomos, se sentent abandonnés. A cette
souffrance psychologique s’ajoutent les attaques de la faim, de la soif et du froid. La mort fauche
plus que le Turc. Trois attitudes semblent diviser l’opinion : celle de la capitulation (courant
minoritaire), celle de mourir sur place ou celle de tenter de sauver une partie des vivants mais
sans jamais se rendre.
La position extrémiste et radicale domine longtemps. Alors Meyer se prépare à la mort selon
cette décision. Il veut sauver lui-même sa propre mémoire. Il veut la gloire en récompense de
son sang versé. Il rédige un manuscrit sur les derniers jours de Missolonghi. Il enterre
solennellement les caractères de son imprimerie afin qu’ils ne soient point souillés par la main des
barbares. Puis il rédige ses adieux au monde en grec, en français, en allemand et en anglais,
adieux qu’il envoie aux grands journaux libéraux de l’Europe. Si sa sortie de Suisse a été dénigrée
par la presse, il prend sa revanche. Il crée lui-même sa propre gloire. Sa lettre, seul reportage en
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direct, donne aussi des informations sur la situation tragique dans la ville avant la catastrophe. A
noter que notre auteur ne parle ni de sa femme ni de ses deux enfants.
Voici la publication de ce document extraordinaire
« Les travaux que nous supportons, une blessure que j’ai reçue à l’épaule en attendant que j’en
reçoive une qui sera mon passeport pour l’éternité, m’ont empêché jusqu’à présent de vous
adresser mes derniers adieux. Nous sommes réduits à nous nourrir des animaux les plus
immondes ; nous souffrons horriblement de la faim et de la soif. Les maladies ajoutent beaucoup
aux calamités qui nous accablent ; dix-sept cent quarante de nos frères sont morts ; plus de cent
mille bombes et boulets lancés par l’ennemi ont rasé nos bastions et détruit nos maisons. Le froid
nous a beaucoup tourmentés à cause du manque total de bois que nous éprouvons. Malgré tant
de privations, c’est un grand et beau spectacle de voir l’ardeur de la garnison, son dévouement.
Dans quelques jours, tant de braves ne seront plus que des âmes angéliques qui accuseront devant
Dieu l’indifférence de la chrétienté pour une cause qui est celle de la religion. Tous les Albanais
qui avaient déserté les drapeaux de Reschid-Pacha, sont maintenant ralliés sous ceux d’IBrahim.
Au nom de tous nos braves, parmi lesquels se trouvent Nothi Botzaris, Tzavellas,
Papadiamantopoulos, et moi que le gouvernement a nommé général d’un corps de ses troupes, je
vous annonce la résolution jurée à la face du ciel de défendre pied à pied la terre de Missolonghi
et de nous ensevelir, sans écouter aucune capitulation, sous les ruines de cette ville. Nous
touchons à notre heure suprême. L’histoire nous rendra justice, la postérité pleurera nos
malheurs. Je suis fier de penser que le sang d’un Suisse, d’un enfant de Guillaume Tell, va se
confondre avec celui des héros de la Grèce. » (10)
Mais le 18 avril 1826, les partisans de la vie l’emportent. Les assiégés sous la Présidence de
l’évêque Joseph et de la Sainte Trinité décident de tenter une sortie en laissant sur place les
invalides qui subiront un suicide collectif. La sortie tourne au carnage. Ibrahim Pacha a vent du
projet par un traître. La panique s’empare des fuyards qui reviennent dans la ville. Les musulmans
massacrent des milliers de personnes et font 1582 prisonniers.
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Meyer meurt un des premiers. Il n’a pas 28 ans. L’historiographie grecque qui commence à opérer
un regard critique sur la glorieuse Sortie ne met pas en doute ce fait. Elle privilégie la version
donnée par un témoin oculaire. Une femme, Artémis Michod déclare : « Nous l’avons rencontré
avec deux autres philhellènes quelques minutes avant sa mort, il était vif et gai ». (11) En 2000,
dans le catalogue d’une exposition, l’historien Spyridon Sakalis déclare : « La mort du philhellène
suisse Jean-Jacob Mayer dans la nuit du 22 au 23 avril 1826 à Missolonghi lors de la Sortie est un
événement historique absolument exact ». (12)
La chute de Missolonghi et l’image du drapeau du Croissant sur ces églises réveillent l’Europe.
L’opinion publique pour la première fois devient une force et fait plier les gouvernants. La
France, l’Angleterre et la Russie commencent à voler au secours du jeune Etat grec. Missolonghi
devient la ville martyre, la ville sacrée.
Meyer a appris le pouvoir de l’écrit et réussi sa manœuvre. Il
monte la même année sur l’autel
de la gloire. Victor Hugo, qui a lu la lettre d’adieu de Meyer dans le Courrier français du 6 juin
1826, rédige le poème consacré à la chute de Missolonghi durant le même mois. Il y célèbre le
philhellène suisse :
« Et cet enfant des monts, notre ami, notre émule,
Mayer, qui rapportait au fils de Thrasybule
La flèche de Guillaume Tell ! » (13)
En avril 1828, à Paris, le théâtre de l’Odéon joue un opéra sur la chute de Missolonghi. Le
personnage de Meyer apparaît sur la scène, comme « le généreux enfant des rochers helvétiques
et l’auteur de nos belles chroniques ». (14)
Dimanche 8 février 2009, la Suisse vote sur son avenir en Europe et je suis à Missolonghi sur les
traces de Meyer. Au jardin des Héros, à côté des superbes mausolées de Byron et de Marco
Botzaris, je vois la tombe de Meyer. Avec une humble inscription qui donne son nom et ses
prénoms, son village d’origine, ses dates de naissance et de décès et mentionne son activité de
rédacteur. Cette épitaphe toute fraîche date de 1991 et a été financée par sa commune d’origine.
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Ainsi, sans le geste mémoriel de Schöflisdorf , Meyer serait maintenant un héros inconnu. Le
musée historique de la ville offre aussi un espace à la vie de Meyer en Grèce. Le visiteur peut
regarder un exemplaire de son journal à côté d’une cloche de vache et d’une arbalète. Mais un
document ouvre le futur : l’accord signé le 5 octobre 1991 entre le maire de Schöflisdorf et celui
de Missolonghi Puis je marche de la cathédrale en direction de l’occident. Sur une place bien
entretenue et encadrée par des palmiers s’élève une stèle en marbre de Pentéli, le matériau du
Parthénon. Avec deux sculptures symbolisant le destin de Meyer : un sabre et une plume. Mais les
mots « ellinika chronika » ne se lisent bientôt plus.
Le temps passe, les lettres s’effacent, la mémoire s’estompe. Le nom de Meyer doit-il tomber
dans la nuit froide de l’oubli. Non ! La Suisse, en coopération avec la Grèce et l’Europe, doit
suivre l’exemple de la commune de Schöflisdorf et entreprendre la restauration de ces
monuments. De belles et fécondes surprises l’attendent. Au début, des vers en grec classique et
dans le style d’Homère, ornaient le tombeau de Meyer. (15) Sous les rois et les dictatures, la stèle
de Meyer a souvent encouragé les journalistes grecs à revendiquer l’indispensable et bienfaisante
liberté de la presse. En effectuant ce travail de mémoire, la Suisse découvrira que l’Europe est
aussi son œuvre et aussi sa maison grâce à l’action des Meyer et des émigrés suisses, à leurs
mains, à leurs idées, à leur argent, à leurs amours et parfois à leur sang versé.
I. Références et notes
1) Berne, Archives Fédérales, E 2300, vol. 20. Lettre du Chargé d’Affaires de Suisse du 26
avril 1926.
2) Rothpletz, Emil : Der Schöflisdorfer Philhellene Johann Jakob Meyer (1798-1826). Ein
Beitrag zur Geschichte der Griechenbewegung in Europa während des griechischen
Freiheitskrieges (1821-1829). Bâle, 1931, 22 p.
Rothpletz, Emil :Zur Geschichte des Philhellenismus im 19. Jahrhundert. Die
Griechenbewegung in der Schweiz während des hellenischen Freiheitskampfes 1821-1830.
Affoltern am Albis, 1948, pp.30-35
Capus, Alex : Himmelsstürmer. Zwölf Portraits. Munich, 2008, pp.82-98.
10
3) Neue Zürcher Zeitung du 19.9.1821 et du 29.9.1821
4) Marchand, Leslie : Byron’s letters and journals. For Freedom’s battle. Londres, 1981, vol.
11, pp. 138-139.
5) Makrykostas, Konstantinos : I Biographia tou Ioannou-Iakobou Mayer.Athènes, 1990, p.
293. Je remercie chaleureusement M. Alexandre Lascaris, professeur à Athènes, qui m’a lu
et résumé des passages de ce livre à la Bibliothèque Gennadius.
Meyer pratique par « devoir journalistique » le droit de réponse. Dascalakis, Apostolos. La
Presse néo-hellénique. Paris, 1930, p.35.
6) Schmitz, Heinz : Das abenteuerliche Leben des Schweizer Philhellenen Johann Jacob
Meyer, Redaktor der ersten Zeitung in Griechenland. Http:/ www.mike-epidavros.com/meyer
7) Athènes, Bibliothèque nationale : Ellinika Chronika du 2.8 ; 6.8 ; 30.8 ; 3.9 ; 6,9. 1824.
La Grèce vit sa rupture avec l’Asie et son retour en Europe de manière originale. A Paris,
des intellectuels grecs collectionnent avec passion les livres des auteurs de la Grèce antique.
Cette quête est très significative. Ces savants ramènent au bercail cette littérature sauvée par
l’imprimerie européenne après la conquête ottomane. Ils participent aussi au combat pour
l’indépendance. Cette entreprise délivre un message politique clair aux gouvernements
hésitants ou hostiles au jeune Etat grec : L’Europe est fille de la Grèce. Par exemple,
Constantin Nicolopoulos (1778-1841), bibliothécaire à l’Institut de France, passe sa vraie vie
à constituer une bibliothèque des auteurs classiques qu’il donne en 1838 à la ville
d’Andritsena dans le Péloponnèse.
8) Athènes, Bibliothèque nationale : Ellinika Chronika du 26 août 1825. La traduction est
copiée dans le livre suivant : Fabre, Auguste : Histoire du siège de Missolonghi. Paris, 1827.
pp. 181-183. Cet écrivain français qui lisait le grec a utilisé comme source principale le
périodique de Meyer.
« Comme un ange consolateur aux côtés des combattants, l’Hellinika Chronika les
encourageait à la résistance et au sacrifice pour la cause de la liberté ». Dascalakis,
Apostolos, op. cit. p 37.
9) Makrykostas, Konstantinos : op. cit., pp.228-258.
10) Le Courrier français du 6 juin 1826. La BCU de Lausanne possède ce numéro.
11) Sakalis, Spyridon : Mesologgi 1826. Athènes, 2000, p. 13. Je remercie cordialement
Danielle Morichon pour sa traduction dans cet ouvrage du document : Les textes et la
tradition.
12) ibidem, p.9.
13) Hugo, Victor : Œuvres complètes, vol. 17.Lausanne, 1968, p.317
14) Ozaneaux, Georges : Le dernier jour de Missolonghi. Drame héroïque, en trois actes, en
vers, avec des chants. Musique de Ferdinand Herold. Paris, 1828, p.19
15) ΕΝΘΑ ΦΑΟΣ ΛΙΠΕΣ ΗΕΛΟΙΟ
11
ΕΠΕΣΣΙΝ ΑΜΥΝΩΝ ΕΡΓΜΑΣΙ
Τ’ ΕΛΛΑ∆Ι
ΜΝΗΜΑ ΤΟΙ Ι∆ΡΥΣΕΝ ΜΑΥΕΡ Ω∆Ε
Ici tu as quitté la lumière du soleil
Défendant en paroles et en œuvres
La Grèce
À ta mémoire, Mayer, s’élève ainsi ce signe
Je remercie Mme Danielle Morichon, Professeure de langues et littératures grecque et
française à Athènes pour sa traduction et son commentaire très intéressant.
II. Bibliographie très sommaire. Pour en savoir plus
1) Bouvier-Bron, Michelle : Jean-Gabriel Eynard (1775-1863) et le philhellénisme genevois.
Genève, 1963, 71 p.
2) Dimakis, Jean : La presse française face à la chute de Missolonghi et à la bataille de
Navarin. Thessalonique, 1976, 477 p.
3) Dünki, Robert : Aspekte des Philhellenismus in der Schweiz 1821-1930.Berne, 1984, 371p.
4) Philhellenismus-Datenbank, http/ www. europa-zentrum-wuerzburg.de
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