L`Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et

Transcription

L`Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et
Université Lumière Lyon 2
Institut d’Études Politiques de Lyon
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action
culturelle et transformations sociales
Jeanne-Leïla Cousin
Séminaire Sociologie des acteurs et enjeux du champ culturel
sous la direction de Max Sanier
soutenu le 3 septembre 2009
Max Sanier et Isabelle Garcin-Marrou, membres du jury
Table des matières
1.1. Les grandes lignes de la politique culturelle depuis Malraux . .
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1.2. La prise en compte de la question du public : une voie ouverte par le théâtre
..
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Remerciements . .
Partie 1. Construction de l’objet de recherche . .
Chapitre 1. Présentation du sujet . .
1.1. Le choix de l’action culturelle . .
1.2. L’Opéra National de Lyon . .
Chapitre 2. Établissement de la problématique . .
2.1. Contexte . .
2.2. Quelques définitions . .
Chapitre 3. Cadre d’analyse . .
Chapitre 4. Hypothèses . .
Chapitre 5. Méthodologie . .
Chapitre 6. Annonce du plan . .
Partie 2. Contexte . .
Chapitre 1. Contexte historique . .
1.3. Quelques débats qui ont sous-tendu la réflexion autour des questions d’action
culturelle et de médiation . .
Chapitre 2. Contexte théorique . .
2.1. La sociologie de Bourdieu comme référence à un grand nombre de travaux sur
la question des publics . .
2.2. La mise en évidence des limites de la démocratisation par les études
statistiques . .
2.3. Sociologie des publics traditionnels de l’opéra . .
Chapitre 3. L’Opéra national de Lyon et le projet Kaléidoscope . .
3.1. Un opéra inscrit dans son environnement urbain . .
3.2. Le projet Kaléidoscope, un projet ambitieux et novateur au service de
l’ouverture . .
Partie 3. Faire découvrir l’opéra autrement . .
Chapitre 1. Le regard sur l’institution . .
1.1. Une institution engagée qui inspire la reconnaissance . .
1.2. La désacralisation d’un lieu réputé élitiste . .
Chapitre 2. La découverte par la pratique comme moyen de diversification des pratiques
culturelles . .
2.1. Un spectacle accessible que les participants apprennent à décoder par rapport
à leur propre pratique . .
2.2. Un regard aiguisé sur les œuvres et un développement des préférences . .
2.2. Un profil qui gagne en dissonances grâce à l’action de l’institution culturelle . .
Chapitre 3. Des freins matériels qui persistent . .
Partie 4. La question de l’impact social : un constat flagrant dans les propos des acteurs
..
Chapitre 1. Des changements vis-à-vis des autres . .
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1.1. Rencontre et convivialité . .
1.2. Reconnaissance et dignité . .
Chapitre 2. Des changements vis-à-vis de soi . .
2.1. Confiance en soi . .
2.2. Sortir du quotidien . .
2.3. Responsabilisation . .
2.4. Expression de la créativité et acquisition de compétences . .
Chapitre 3. Des changements vis-à-vis de l’environnement . .
3.1. Relation aux territoires . .
3.2. Perception des institutions culturelles par le public . .
Partie 5. Une nouvelle attente vis-à-vis des artistes et des institutions culurelles : être
engagés dans la société . .
Chapitre 1. Les artistes et les institutions investis de nouvelles missions à visée sociale . .
1.1. Constat dans les propos des interrogés . .
1.2. Conséquences de ces nouvelles missions sur les relations entre structures
culturelles et structures sociales . .
1.3. Une communication interne au sein des institutions culturelles à développer . .
Chapitre 2. La réapparition d’interrogations quant à l’autonomie des artistes et des
institutions . .
2.1. La question de la motivation des artistes . .
2.2. Un nécessaire équilibre entre création et actions pédagogiques . .
2.3. Les questions soulevées par une éventuelle obligation d’action à teneur
socioculturelle . .
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ANNEXE 2 : Statistiques relatives aux pratiques culturelles des Français . .
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ANNEXE 3 : Article « Twitter au secours du Royal Opéra House », Le Monde, 15
août 2009 . .
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ANNEXE 4 : Extraits de l’entretien avec Hélène Sauvez et Stéphanie Petiteau,
responsable et responsable adjointe du pôle de développement culturel de l’Opéra
de Lyon . .
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ANNEXE 5 : Retranscription intégrale de l’entretien avec Carole Jacques,
musicienne intervenante auprès de deux groupes . .
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ANNEXE 6 : Retranscription intégrale de l’entretien avec Jean-Christophe,
participant du groupe Factors . .
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Conclusion . .
Bibliographie . .
Ouvrages de sociologie . .
Ouvrages et articles consacrés aux questions culturelles . .
Documents multimedia . .
Sites internet . .
Autres documents . .
Annexes . .
ANNEXE 1 : Provenance et description des groupes du projet Kaléidoscope . .
Remerciements
Remerciements
Un grand merci à Max Sanier pour sa disponibilité et ses conseils avisés : son aide méthodologique
m’a évité de trop m’égarer...
Merci à Isabelle Garcin-Marrou d’avoir accepté de faire partie du jury d’évaluation de ce
travail.
Un immense merci à tous ceux qui ont accepté de prendre sur leur temps pour répondre à mes
questions, et en particulier à Stéphanie et Hélène, qui m’ont embarquée avec elles dans un petit
bout de l’aventure Kaléidoscope et m’ouvrent régulièrement la porte de leur bureau.
Enfin, merci à Marianne pour sa feuille de style et ses conseils téléphoniques en pleines
vacances ; merci à Hugues Cousin, mon père, pour ses relectures toujours précieuses ; merci à
Mayeul de m’avoir encouragée tout au long de ce travail.
Cousin Jeanne Leila
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L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
Partie 1. Construction de l’objet de
recherche
Chapitre 1. Présentation du sujet
1.1. Le choix de l’action culturelle
Le sujet choisi pour cette étude l’a été pour de nombreuses raisons que nous allons
tenter d’expliquer brièvement ici. On peut y distinguer deux composantes : celle de l’action
culturelle et celle de l’art lyrique. Le choix d’un sujet abordant la question des publics dits
« empêchés » et des actions que les structures culturelles mettent en œuvre pour les
sensibiliser est directement lié à notre projet professionnel. Cette problématique, nous le
verrons plus tard, baptisée au gré des époques action culturelle, développement culturel
ou médiation culturelle, a considérablement évolué depuis l’ère Malraux. Le décret de
création du ministère de la Culture lui donnait en effet pour mission de « rendre accessibles
les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre de
1
Français » . Cette formulation résume à elle seule la conception de l’action culturelle que
va défendre le ministère de la Culture au cours de ses premières années d’existence :
le postulat que l’augmentation de l’offre culturelle suffira, grâce à l’aura des œuvres, à
intéresser les Français. Aujourd’hui, la démarche des professionnels de l’action culturelle a
considérablement évolué et repose sur la conviction d’une nécessité à imaginer des outils
permettant d’intéresser le public non captif dans une logique d’accompagnement de la
découverte artistique.
Souhaitant nous-même travailler dans le secteur de la médiation culturelle, nous
étions, avant même l’écriture de ce travail, intimement convaincue de la justesse d’une
telle démarche. À travers ce mémoire, dans lequel nous avons tenté d’adopter une
position objective, nous souhaitons pouvoir rendre compte de l’efficacité des démarches
d’accompagnement et de découverte en direction des publics qui ne sont pas habitués à
fréquenter les équipements culturels.
1.2. L’Opéra National de Lyon
L’exemple de l’opéra, et plus précisément de l’Opéra national de Lyon, s’est imposé
à nous de manière naturelle. D’abord, l’opéra est probablement l’art dont la réputation
élitiste dépasse toutes les autres : c’est celle d’un art qui, plus que tout autre, nécessite
des connaissances pour le comprendre et l’apprécier, et surtout des moyens financiers
importants pour y assister. De ce fait, et compte tenu de la hauteur des subventions reçues
1
Décret 59-889 du 24 juillet 1959 cité par WALLACH, Jean-Claude. La Culture pour qui ? Essai sur les limites de la démocratisation
culturelle. Toulouse : Éd. de l’Attribut, 2006. p. 21
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Partie 1. Construction de l’objet de recherche
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par ce type d’institutions – elles constituent en moyenne 85% de leur budget
–, la
démarche d’ouverture y est à la fois plus difficile et plus indispensable encore que pour
les autres structures culturelles. Dans ce cadre, l’Opéra de Lyon mène depuis 2003 une
politique particulièrement ambitieuse et novatrice en matière d’ouverture aux publics. Cette
politique consiste à mettre en œuvre à la fois des projets en direction du jeune public –
champ d’action traditionnel des maisons d’opéra et des structures culturelles en général,
dans une logique de renouvellement d’un public souvent vieillissant – et des actions en
direction de tous les types de publics éloignés de la culture, habitants des quartiers réputés
difficiles, personnes en situation de handicap, hospitalisées, incarcérées…
Au sein de cette large palette d’actions, le projet Kaléidoscope, que nous présenterons
en détail par la suite, nous a semblé particulièrement intéressant à étudier dans le cadre de
notre travail. Il s’agit en effet d’un projet unique en son genre en France, aucun directeur
d’opéra n’ayant jusqu’à présent mis à disposition de tels moyens, humains et financiers,
pour un projet participatif n’ayant pas pour but direct de contribuer au renouvellement du
public et au remplissage de salle.
Il faut ajouter à cela une raison pratique, qui réside dans les six mois de stage que
nous avons effectués au pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon entre janvier et
juillet 2008 dans le cadre de notre année de mobilité. Cette période ayant coïncidé avec les
six derniers mois du projet et son aboutissement, nous avons eu l’opportunité d’observer
le travail des groupes et des artistes qui les avaient accompagnés et d’acquérir ainsi une
bonne connaissance de cette action.
Nous allons donc procéder à une étude approfondie du projet Kaléidoscope, afin de
tenter de répondre à la question suivante : peut-on dire que les institutions culturelles – et
en particulier les actions qu’elles mènent en dehors de leur mission de programmation de
spectacles – ont un rôle à jouer dans la structuration des pratiques culturelles des individus
et des rapports sociaux ? La structuration des pratiques culturelles des individus et des
rapports sociaux constitue l’angle d’étude choisi pour mesurer ce que nous appelions plus
haut l’ « efficacité ».
Chapitre 2. Établissement de la problématique
2.1. Contexte
Le contexte choisi pour notre étude est donc celui du projet Kaléidoscope, imaginé et
coordonné par l’Opéra national de Lyon entre 2006 et 2008 avec des habitants du quartier
er
des Pentes de la Croix Rousse (1 arrondissement de Lyon) et de Vénissieux.
Les individus que nous allons ici évoquer sont des personnes ayant participé, quel que
soit leur statut, au projet : artistes, animateurs ou responsables de structures socioculturelles
au sein desquelles des groupes se sont formés, coordinateurs, institutionnels ayant apporté
leur soutien et, bien sûr, participants : adolescents, adultes et personnes âgées, habitant
pour la grande majorité les quartiers cités. Certains avaient pour habitude de fréquenter les
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Chiffres du ministère de la Culture et de la Communication pour 2006
Cousin Jeanne Leila
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L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
équipements sociaux (centres sociaux, maisons de quartier, associations…) avant le projet,
d’autres les ont rejoints suite à la proposition de l’Opéra.
2.2. Quelques définitions
La notion d’accès à la culture
Le terme de culture a renvoyé, au fil des époques et des disciplines, à des réalités diverses.
Cette multiplicité des approches nous contraint à donner ici une définition précise du mot
lorsqu’il sera employé dans les pages qui vont suivre. Afin de nous orienter, nous avons
cherché la définition donnée par le dictionnaire Petit Robert : « Culture : Développement de
certaines facultés de l’esprit par des exercices intellectuels appropriés. par ext. Ensemble
des connaissances acquises qui permettent de développer le sens critique, le goût, le
3
jugement » .
On trouve plus bas dans l’article les termes de maison de la culture et ministre de
la Culture mais il est intéressant de noter qu’aucune des définitions proposées ne fait
état du lien entre culture et art. Néanmoins, compte tenu du sujet de cette étude, nous
considérerons la culture telle qu’on l’entend traditionnellement dans l’expression « pratiques
culturelles », dont nous emprunterons la définition à Philippe Coulangeon :
« Par pratiques culturelles, on entend généralement l’ensemble des activités de
consommation ou de participation liées à la vie intellectuelle et artistique, qui
engagent des dispositions esthétiques et participent à la définition des styles de
vie : lecture, fréquentation des équipements culturels (théâtres, salles de cinéma,
salles de concerts, etc.), usages des médias audiovisuels, mais aussi pratiques
4
culturelles amateurs. »
La notion de culture ici définie renvoie donc à un sens plus large que la seule culture savante,
tout en n’atteignant pas un sens anthropologique qui nous semblerait ici peu approprié.
Cette définition est inspirée du domaine d’intervention du ministère de la Culture depuis sa
création en 1959.
Par extension, nous parlerons d’ « accès à la culture » pour évoquer l’accès aux
équipements culturels tels que les théâtres, les salles de spectacles, les opéras ou encore
les musées et les bibliothèques.
Institution/Structure culturelle
Cette étude concernera en premier lieu les structures dédiées au spectacle vivant – notion
qui désigne à la fois le théâtre, la musique, la danse, le cirque, les arts de rue – et par
extension celles consacrées aux arts visuels qui élaborent traditionnellement le même type
d’actions en direction des publics.
Terminologies propres à la politique culturelle
L’emploi successif et parfois simultané des termes d’action culturelle, de médiation culturelle
et de développement culturel s’explique au fil des époques à la fois par des effets de mode et
3
4
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Article « Culture » du Nouveau Petit Robert 2007 p. 601
COULANGEON, Philippe. Sociologie des pratiques culturelles. Paris : La Découverte, 2005. p. 4
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Partie 1. Construction de l’objet de recherche
5
des nuances théoriques . Pour tenter d’y voir un peu plus clair, nous avons choisi d’aller sur
le site du ministère de la Culture et de la Communication afin de constater quelles définitions
en étaient faites :
Pour l’action culturelle
« À partir des contraintes de contexte et d’environnement, l’action culturelle
est l’ensemble des moyens mis en œuvre pour mettre en relation la création et
l’ensemble des richesses patrimoniales avec l’ensemble des populations d’un
territoire, afin de permettre à l’individu et à des groupes d’individus de maîtriser
la réalité culturelle qui les environne. La volonté de réduire les inégalités d’accès
6
à la culture est au cœur de cette démarche. »
Pour la médiation culturelle
« Assurer une médiation, c’est jouer un rôle d’intermédiaire, celui d’un tiers
#…# en vue de créer ou de maintenir entre des personnes, des groupes, des
institutions… des liens, qu’ils soient insuffisants ou inexistants ou qu’ils soient
rompus. #…# La médiation culturelle regroupe l’ensemble des actions qui visent
à réduire l’écart entre l’œuvre, l’objet d’art ou de culture, les publics et les
7
populations. »
Pour le développement culturel
« Le concept de développement culturel contient l’idée d’une ouverture de l’offre
culturelle vers les franges de la population qui en sont maintenues éloignées.
Cet élargissement s’opère de deux façons, du centre vers la périphérie, ou de la
périphérie vers le centre. Dans le premier cas, il s’agit de mieux faire connaître la
culture existante, consacrée par l’histoire ou la renommée. #…# Dans le second
cas, on fait remonter des #ténèbres extérieures# vers la lumière du centre les
8
ressources culturelles de la périphérie. »
À travers ces trois définitions que le ministère de la Culture et de la Communication
a choisi de citer – parmi d’autres – sur son site Internet, on distingue clairement des
nuances théoriques rattachées à chacun de ces termes, dont l’idée principale réside dans
l’instauration d’une relation entre les populations, que l’on souhaite les plus larges et
5
6
Cf. paragraphe sur les changements de terminologie successifs pp. 22-23
Définition de la DRAC Île de France citée par le ministère de la Culture et de la Communication �en ligne�. �page
consultée le 10 janvier 2009�. <http://www.culture.gouv.fr/culture/politique-culturelle/ville/mediation-culturelle/index.html>
7
BEILLEROT, Jacques. Article « Médiation », Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation. Paris :
Nathan, 2000, cité par le ministère de la Culture et de la Communication �en ligne�. �page consultée le 10 janvier 2009�.
<http://www.culture.gouv.fr/culture/politique-culturelle/ville/mediation-culturelle/index.html>
8
MAYOL, Pierre. « La dynamique du développement culturel », Informations sociales, 1995, n°44, cité par le ministère de
la Culture et de la Communication �en ligne�. �page consultée le 10 janvier 2009�. <http://www.culture.gouv.fr/culture/
politique-culturelle/ville/mediation-culturelle/index.html>
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9
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
diversifiées possibles, et les œuvres. La notion de développement culturel semble être la
plus riche puisqu’elle inclut, dans une définition aux accents quelque peu lyriques, la notion
de démocratie culturelle, consistant à faire « remonter des �ténèbres extérieures� vers la
lumière du centre les ressources culturelles de la périphérie », que nous définirons plus bas.
Néanmoins, il semble que ces nuances soient globalement effacées dans le champ
lexical des acteurs professionnels, qui utilisent tour à tour chacun de ces termes comme des
9
synonymes . En effet, même si la dimension sociale et sociétale était au départ davantage
contenue dans la notion de développement culturel (par analogie au développement
économique, durable…), elle a progressivement pris une place plus importante au sein des
deux autres, au point qu’on peut désormais parler d’ « action culturelle dans les quartiers ».
Dans cette logique, nous nous autoriserons à employer tour à tour dans cette étude les
trois expressions, en nous focalisant sur leur objectif commun : la création d’un lien entre
les œuvres et le public ; et cela tout en préservant l’appellation choisie par l’Opéra de Lyon
pour le service auquel cette mission est confiée : le pôle de développement culturel.
La notion d’objectif social
Ayant abandonné la notion d’ « efficacité » de l’action culturelle faute d’instruments de
mesure pertinents, nous allons chercher à montrer que le projet Kaléidoscope a contribué
à la réalisation d’ « objectifs sociaux », argument de plus en plus souvent invoqué par les
acteurs culturels et politiques pour justifier la mise en place de ce type de projets dans
les quartiers difficiles. Par « objectifs sociaux », on entendra ici des fonctions qui sont
habituellement attribuées à des structures dites « sociales », voire « socioculturelles » :
centres sociaux, maisons de quartier, associations… Il s’agit donc d’objectifs à la fois en
termes de socialisation – favoriser la rencontre et l’échange entre les individus – et parfois
de retombées concrètes sur le comportement des individus ayant participé à ces projets.
Chapitre 3. Cadre d’analyse
Dans cette étude, nous nous plaçons dans la lignée de Bernard Lahire et de sa théorie des
10
dissonances culturelles , complémentaire de celles de Pierre Bourdieu sur la séparation
entre culture légitime et illégitime et sur le conditionnement social des pratiques culturelles.
En effet, tout en ayant pleinement conscience que le public visé par cette étude appartient
à ce que Bourdieu appelle les classes populaires, socialement et culturellement dominées
11
, l’idée est de montrer en quoi le profil des individus ayant pris part au projet Kaléidoscope
a, selon les termes de Lahire, « gagné en dissonances » grâce à l’appropriation d’un art
particulièrement représentatif de la culture légitime : l’opéra.
9
10
11
Observation réalisée au cours des différents stages effectués au sein de structures culturelles
LAHIRE, Bernard. La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi. Paris : La Découverte, 2004. 778 p.
BOURDIEU, Pierre. L’Amour de l’art. Paris : Éd. de Minuit, 1969. 256p. ; BOURDIEU, Pierre. La Distinction. Paris : Éd. de Minuit,
1979. 670 p.
10
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Partie 1. Construction de l’objet de recherche
Concernant la construction et la réalisation des entretiens, nous avons choisi comme
12
référence les méthodes de Jean-Claude Kaufmann , considérant que l’important pour
notre étude résidait dans les propos des acteurs et le sens qu’ils donnent à leurs pratiques.
Il nous semble en effet que la confirmation ou l’infirmation des hypothèses posées ne pourra
s’effectuer qu’à partir de l’analyse du point de vue des différents protagonistes du projet et
que la participation à la réalisation d’objectifs sociaux est intimement liée au sens que les
participants donnent à leur implication dans le projet.
Chapitre 4. Hypothèses
Une fois cette problématique définie, nous nous sommes attachée à dégager trois
hypothèses auxquelles cette étude va tenter de répondre.
L’analyse des propos des différents protagonistes permettrait de mettre en
évidence l’idée d’une prise en charge d’objectifs sociaux par ce type d’actions.
La réflexion autour de cette hypothèse aura pour fondement principal les entretiens
réalisés avec les différents acteurs du projet. Il s’agira de voir si ces derniers, en particulier
les artistes et les responsables de structures socioculturelles, ont pu constater une évolution
d’attitude chez les participants ; on prendra aussi en compte la question de la socialisation
et des rencontres.
La découverte de l’univers de l’opéra et son appropriation permettraient de
modifier les représentations des participants sur un art et une structure réputés
élitistes, tout en diversifiant leurs pratiques culturelles.
L’idée serait ici de constater un changement de regard des participants sur l’institution
opéra et l’art lyrique grâce à leur implication dans le projet Kaléidoscope. On pourra aussi
tenir compte des propos relatifs à une modification des représentations du public du projet,
confronté à une forme de spectacle à laquelle il n’est pas habitué.
Le projet Kaléidoscope constituerait une action qui témoignerait d’une mutation
du rôle des artistes et des structures culturelles dans l’espace social et ferait ainsi
ressurgir des interrogations sur une éventuelle remise en cause de leur autonomie.
Cette hypothèse est arrivée tardivement dans notre travail, consécutivement à la
réalisation des entretiens avec les artistes notamment, pour qui la question de leur
autonomie et du sens de leur engagement est extrêmement présente, dans un contexte
où la politique de la ville fait de plus en plus appel à eux. Elle s’est révélée présente aussi
dans les propos des participants, qui investissent désormais les artistes et les institutions
culturelles d’une mission sociale.
Chapitre 5. Méthodologie
Nous avons travaillé avec un corpus d’une vingtaine d’ouvrages, rassemblant à la fois des
« classiques » de la sociologie de la culture et des études statistiques, mais aussi des écrits
12
KAUFMANN, Jean-Claude. L’Entretien compréhensif. Paris : Armand Colin, 2005. 127 p.
Cousin Jeanne Leila
11
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
de théoriciens de la médiation, tels que Jean Caune
culturelle
14
13
, et des récits d’expérience d’action
.
Le matériau principal de notre étude réside toutefois dans les entretiens réalisés entre
15
les mois de mars et mai 2009 auprès d’une douzaine de protagonistes du projet
.
Nous avons imaginé différentes grilles d’entretien en fonction du statut des personnes
interrogées : participants, artistes, responsables de structure socioculturelle, institutionnels
et coordinateurs de projet. Ces grilles étaient souples, ce qui nous a parfois conduit à
adapter l’ordre et la formulation des questions à la conversation mais tous les sujets prévus
ont été abordés. Nous avons choisi de nommer explicitement les artistes, responsables
de structures, institutionnels et coordinateurs du projet car leur participation au projet
Kaléidoscope relevait du cadre professionnel ; en revanche, en ce qui concerne les
participants, seul leur prénom sera cité.
Nous avons en outre réalisé de petits entretiens informels auprès d’un nombre
restreint de personnels de l’Opéra de Lyon. Ces entretiens sont anonymes car ils
reflètent parfois le scepticisme des personnes interrogées quant à une action largement
soutenue, voire portée, par la direction de l’institution. Les propos tenus ne sont en aucun
cas généralisables, notamment du fait du petit nombre de personnes interrogées, mais
nous souhaitions avoir des avis internes n’émanant pas des responsables du pôle de
développement culturel que l’on peut imaginer, compte tenu de leur fonction, intimement
convaincues de la justesse de la démarche. En outre, nous tiendrons compte dans l’étude
de ces entretiens, qui n’ont pas été retranscrits de manière intégrale, du fait que les individus
ne tiennent en général pas le même discours lors d’un entretien formalisé et enregistré, au
cours duquel il leur est demandé de mettre en ordre leur pensée, et au cours d’une simple
conversation d’échange d’opinion. Il est donc davantage question de recueillir des ressentis
et des impressions.
Enfin, nous avons choisi d’utiliser les documentaires – intitulés « Tous en scène »
– tournés au cours des trois étapes de création par la C.L.C. (Compagnie lyonnaise de
cinéma) et diffusés en fin d’année 2008 sur T.L.M. (Télé Lyon Métropole). Ils incluent en
effet un certain nombre de témoignages d’artistes et de participants que nous n’avons pas
forcément pu toucher dans nos entretiens du fait de leur nombre trop important. La revue de
presse, réalisée par l’Opéra de Lyon à l’occasion de l’aboutissement du projet en juin 2008
a aussi été une source d’informations quant à la manière dont l’événement a été perçu.
13
14
CAUNE, Jean. La Culture en action. De Vilar à Lang : le sens perdu. Grenoble : PUG, 1992. 368 p.
COLIN, Bruno. L’Action culturelle dans les quartiers. Enjeux, méthodes. Culture et proximité, Hors série, octobre 1998. 219 p.
15
12
Cf. Tableau récapitulatif des entretiens pp. 16-17
Cousin Jeanne Leila
Partie 1. Construction de l’objet de recherche
(NOM) Prénom Fonction ou nom du
groupe
Hélène
Responsable
SAUVEZ et
et responsable
Stéphanie
adjointe du pôle
PETITEAU
de développement
culturel de l’Opéra de
Lyon
Marie-Hélène
Responsable du
MATHURIN
secteur activités
périscolaires
Danielle
Retraitée des
Télécoms,
participante du groupe
Mélissa (Vénissieux)
Date et lieu de
l’entretien
16 mars 2009
au pôle de
développement
culturel
16 mars 2009
au centre social
Eugénie Cotton
2 avril 2009, chez
elle, une toute petite
maison dans le
quartier de la gare
de Vénissieux
Metteur en scène
7 avril 2009, dans un
intervenant auprès de
er
salon de thé du 1
deux groupes
arrondissement
Remarque
Parcours d’animatrice ; elle
parle de la culture comme
étant son « dada »
Loisirs modestes : tricot,
crochet, broderie mais fait de
la chorale et de la clarinette,
bénévole pour le défilé de la
Biennale de la danse
Pierre HEITZ
Comédien de formation,
metteur en scène depuis
deux ans, le projet
Kaléidoscope est sa
première expérience d’action
culturelle
Éric JAYAT
Président et fondateur 11 avril 2009,
Lui-même ancien détenu,
de l’association Axès dans les locaux de a une conscience viscérale
libre
l’association dans le de l’importance de la culture
er
dans les démarches de
1 arrondissement
réinsertion
Chérif
Travaille au service
15 avril 2009, dans Très impliqué dans le milieu
propreté de la
er
associatif ; apprécie le fait de
un café du 1
communauté urbaine,
parler de lui et de ce qu’il fait
arrondissement
participant du groupe
er
Macadam (Lyon 1 )
Roucailla
Ancienne mère
15 avril 2009, chez Fait de la couture, du tricot,
au foyer retraitée,
elle, un appartement très impliquée dans le réseau
participante des
aux Minguettes
associatif, bénévole pour
groupes Baryton
le défilé de la Biennale de
Cie (Vénissieux) et
la danse, a toujours habité
er
les Minguettes mais veut
Tsunami (Lyon 1 )
déménager car elle ne s’y
sent plus chez elle
Carole
Musicienne
17 avril 2009, dans Se définit comme une
JACQUES
intervenante auprès un salon de thé du touche-à-tout dans le
de deux groupes
er
domaine de la création et de
1 arrondissement
l’action culturelle
Abel
Collégien, participant 17 avril 2009, chez Difficile à faire parler mais
du groupe Dark Party ses parents dans le impression que le projet lui
(Vénissieux)
e
a beaucoup plu ; poussé par
8 arrondissement
ses parents à participer au
premier volet, il a choisi seul
de s’investir sur le deuxième
Cousin Jeanne
Leila
Francine KAHN Écrivaine intervenante
23 avril
2009, dans Se définit avant tout comme 13
auprès de trois
e
formatrice et animatrice
un café du 3
groupes
d’atelier d’écriture plutôt que
arrondissement
comme écrivain, a travaillé
avec Armand Gatti
JeanResponsable au
24 avril 2009, au
Se dit « multi-passionnel »,
Christophe
centre de tri de
centre de tri
aime la musique (le
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
À noter : compte tenu de la durée de notre stage au pôle de développement culturel de
l’Opéra et de notre présence au cours des six derniers mois du projet, le tutoiement était
employé avec la plupart de nos interlocuteurs.
Chapitre 6. Annonce du plan
La première partie de notre travail sera dédiée à l’étude du contexte historique et théorique
dans lequel s’inscrit le projet Kaléidoscope : contexte historique d’évolution des conceptions
de l’action culturelle en France depuis l’époque Malraux ; contexte théorique porté par les
études statistiques d’Olivier Donnat qui met en lumière les limites de la démocratisation
culturelle
16
17
, corroborant ainsi les thèses émises par Pierre Bourdieu dans les années
soixante . Contexte enfin lié aux spécificités de l’Opéra national de Lyon dont le directeur
a choisi de mettre en œuvre une politique d’ouverture ambitieuse grâce à un outil créé en
2003 : le pôle de développement culturel. Nous terminerons cet exposé par une présentation
détaillée du projet Kaléidoscope, indispensable à l’exploitation des entretiens.
Nous nous consacrerons par la suite à ce qui peut sembler être l’objectif principal de
ces actions du point de vue des institutions culturelles : l’étude des retombées du projet
Kaléidoscope concernant l’image de l’opéra et la diversification des pratiques culturelles
des participants, confirmant ou infirmant ainsi les idées de la deuxième hypothèse. Il s’agira
notamment de confronter le contenu des entretiens réalisés avec la thèse de Bernard Lahire
18
sur les dissonances culturelles intra-individuelles , tout en élaborant un rapprochement
avec l’idée, développée par Laurent Fleury, d’une capacité des institutions culturelles à
infléchir l’habitus des personnes
19
.
Notre troisième partie sera consacrée à la vaste question de l’impact social de l’action
culturelle, constatant dans les propos des acteurs un certain nombre de retombées à visée
« sociale » du projet. Il s’agira donc de voir en quoi la participation à un projet tel que celui
mené par l’Opéra de Lyon peut permettre la réalisation de certains objectifs liés par exemple
à l’amélioration des relations entre les individus ou la prise de confiance.
Enfin, nous verrons que les propos des acteurs traduisent l’apparition de nouvelles
attentes vis-à-vis des artistes et des institutions culturelles, concernant leur engagement
social ou sociétal. Nous nous interrogerons sur les conséquences d’un tel changement sur
les relations entre les structures culturelles et sociales et sur la communication interne au
sein même des institutions, le paroxysme des interrogations résidant dans la crainte d’une
remise en cause de l’autonomie des artistes. Cette dernière réflexion, largement abordée
au cours des entretiens alors qu’il ne s’agissait pas au départ du cœur de notre étude, nous
étant finalement apparue comme incontournable.
16
DONNAT, Olivier (dir.). Les Pratiques culturelles des Français : enquête 1997. Paris : ministère de la Culture et de la Communication,
DEPS, La Documentation française, 1998. 393 p.
17
BOURDIEU, Pierre. Idem
18
19
14
LAHIRE, Bernard. Idem
FLEURY, Laurent. Sociologie de la culture et des pratiques culturelles. Paris : Armand Colin, 2005. 127 p.
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
Partie 2. Contexte
Chapitre 1. Contexte historique
1.1. Les grandes lignes de la politique culturelle depuis Malraux
Historique
Nous n’avons pas l’ambition ici de brosser un historique précis des politiques culturelles
depuis 1959 – de nombreux ouvrages sont disponibles sur ce sujet qui pourrait constituer à
lui seul le sujet d’une étude – mais d’évoquer les grandes lignes de son évolution notamment
en matière de démocratisation et d’action culturelle.
La création du ministère des Affaires culturelles en 1959 ne s’effectue pas autour d’un
projet mais autour d’un homme : le général De Gaulle souhaite que Malraux soit à ses côtés
20
et il lui créé donc un poste à sa mesure . Pour surmonter cette ambiguïté et légitimer
l’existence d’un ministère en lieu et place du secrétariat aux Beaux-Arts de la Troisième
République et de la direction générale des Arts et des Lettres de la Quatrième, le décret
de création du ministère met en avant l’objectif de démocratisation culturelle : il s’agit de
« rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus
grand nombre de Français ; assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et
favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent »
21
.
Et puisque pour Malraux la démocratisation – la lutte contre les inégalités sociales
d’accès à la culture – va de pair avec la décentralisation – la lutte contre les inégalités
géographiques –, le projet de construction d’une maison de la culture par département, mis
en œuvre à partir de 1961 sous la houlette d’Émile Biasini alors à la tête de la direction
du Théâtre, de la Musique et de l’Action culturelle, devient rapidement le symbole de la
politique culturelle de démocratisation. Sur la centaine prévue, 16 verront finalement le jour
entre 1962 et 1981, suivies dans les années soixante et soixante-dix par quelques centres
d’action culturelle et établissements culturels
22
.
Nous ne pouvons nous attarder ici sur l’action des différents successeurs de Malraux
qui serait bien trop longue à décrire et qui s’est principalement inscrite dans la continuité.
Néanmoins, il est important de prendre en considération que la politique liée aux maisons
de la culture a été remise en cause dès la fin des années soixante : la parution des
premières études statistiques laissant paraître l’idée d’un échec de la démocratisation, celle
20
Culture, une affaire d’État. La Ve République des affaires culturelles. �Dvd�. Paris : C.N.C., ministère de la Culture et de
la Communication, 2002. 86 mn.
21
22
Décret 59-889 du 24 juillet 1959 cité par WALLACH, Jean-Claude. Idem
URFALINO, Philippe. L’Invention de la politique culturelle. Paris : Hachette Littératures, 2004 p. 362
Cousin Jeanne Leila
15
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
des ouvrages de Pierre Bourdieu
23
, ou encore l’invention de la notion de « non-public »
par une quarantaine de metteurs en scène signataires de la Déclaration de Villeurbanne
ont largement contribué à ce mouvement.
24
En revanche, on ne peut avoir l’ambition de réaliser un historique de l’action culturelle
sans évoquer la politique menée par Jack Lang à partir de 1981. Les grandes lignes de
son action résident principalement dans la course au 1% culturel, qui revendique une part
de 1% réservée à la culture dans le budget de l’État, et l’élargissement de la notion de
culture, qui a été tantôt loué, tantôt dénoncé sous le terme de « tout culturel » et qui
englobe désormais des disciplines qui n’étaient auparavant pas reconnues : le rock, le
cirque, les graffitis… En outre, cette période coïncide aussi avec la prise de conscience
de l’importance du rôle de la culture dans l’économie : Jack Lang est animé par l’idée
que les arts et la culture peuvent être mis à contribution pour lutter contre le chômage.
Effectivement plusieurs milliers d’emplois sont créés dans ce secteur au cours des années
25
quatre-vingt . Enfin, on peut citer en 1982 la création au sein du ministère d’une direction
du Développement culturel, sans spécialisation artistique, dont la mission est de coordonner
l’action des directions sectorielles en la matière, d’ « insuffler à ces dernières l’esprit et les
méthodes de l’action culturelle »
26
.
En 1995, le nouveau ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy se positionne en
faveur d’un élargissement de l’accès à la culture et définit la culture comme un des derniers
27
liens sociaux . Dans cette logique, 20 sites de banlieues difficiles sont choisis pour être le
lieu d’intervention d’artistes professionnels en direction des habitants. Ce sont les Projets
culturels de quartier qui constitueront des expériences plus ou moins réussies dans le
domaine
28
.
Depuis, l’action du ministère n’a cessé de chercher un équilibre entre accès à la
culture légitime et expression des cultures de chacun, tout en poursuivant les transferts de
compétences aux DRAC et aux collectivités territoriales. Ces dernières, et en particulier
les municipalités, ont en effet pris depuis une trentaine d’années une place de plus en
plus importante au niveau culturel et cela s’est traduit notamment par l’accroissement des
financements – la majeure partie du budget des établissements culturels locaux est assurée
par les municipalités – et par un phénomène d’institutionnalisation avec la création de
29
services culturels au sein des mairies et des collectivités territoriales . Les municipalités
sont donc elles aussi confrontées à la nécessité d’un équilibre entre les logiques de
financement de la culture légitime et des projets d’action culturelle :
« Plus précisément, deux logiques politiques convergent avec les intérêts des
promoteurs de projets culturels et confortent l’opportunité d’un soutien à la
23
24
25
26
27
28
29
16
Cf. paragraphe consacré à la sociologie de Bourdieu p. 31
Cf. paragraphe Public/Non-public p. 27
Culture, une affaire d’État. Idem
URFALINO, Philippe. Idem. p. 367
Culture, une affaire d’État. Ibid
voir à ce sujet l’ouvrage de Bruno COLIN, cité p. 14
URFALINO, Philippe. Ibid. pp. 311-314
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
culture : d’une part, la recherche d’une visibilité nationale qui s’appuie sur les
manifestations de l’excellence culturelle (musées, orchestres, théâtre, danse) et,
d’autre part, la prestation de services aux habitants correspondant au secteur
30
socioculturel et à l’éducation musicale. »
Différentes manières de concevoir la médiation culturelle : changements de
terminologie successifs
Depuis la création en 1959 du ministère des Affaires culturelles, la terminologie associée
aux actions de démocratisation n’a cessé d’évoluer. Ces changements marquent le passage
entre différentes conceptions de la médiation culturelle que nous allons tenter ici de
distinguer.
Malraux étant ministre, on confère à l’œuvre d’art une dimension universelle, presque
magique, qui suffit à créer un choc esthétique pour celui qui la contemple. Dans cette
logique, la mission de l’action culturelle se résume à faciliter la rencontre entre les œuvres
de la haute culture et les Français, le choc de la mise en présence avec l’art contribuant
31
à l’apparition d’un sentiment d’appartenance à une humanité universelle . Les maisons
de la culture sont le symbole de cette conception qui écarte toute idée de médiation ou
de pédagogie : elles existent uniquement pour accueillir les œuvres dans un lieu unique
destiné à la confrontation avec le public. Selon les termes de Malraux : « Démocratie, ici veut
dire : permettre au plus grand nombre d’hommes de voir le plus large éventail de grandes
œuvres
32
.»
Dans le sillage de mai 1968, l’idée d’une remise en cause de cette conception liée
33
au constat d’échec de la démocratisation
se fait de plus en plus présente. L’apparition
de l’expression « développement culturel » correspond à une rupture avec l’idéologie du
choc esthétique au début des années soixante-dix. On peut ainsi souligner le paradoxe
qui réside dans l’association de cette conception à l’action de Jack Lang alors que c’est
Jacques Duhamel, ministre entre 1970 et 1973, qui l’a le premier mis en œuvre : « Il ne suffit
donc pas à une œuvre d’être exposée pour qu’un contact vrai s’établisse. (…) La nécessité
34
d’une médiation s’impose et c’est ce que l’on appelle l’animation » . Outre la prise en
compte de l’importance de la médiation, la conception du développement culturel repose
aussi sur le constat d’une coupure entre créateurs et population qui conduit à considérer
35
l’expression culturelle des groupes sociaux et locaux . Il s’opère ainsi un basculement
entre démocratisation et démocratie culturelle, qui prendra sous l’action de Jack Lang une
ampleur inédite dans l’avènement du « tout culturel » et la création en 1982 d’une direction
du Développement culturel au sein du ministère.
30
URFALINO, Philippe. Ibid. p. 328
31
32
33
URFALINO, Philippe. Ibid. p. 362
MALRAUX, entretien dans Carrefour, 26 mars 1952, n°393 cité par CAUNE, Jean. Ibid. p. 147
Constat, nous le verrons par la suite, auquel les ouvrages de Pierre Bourdieu avaient ou allaient contribué et qui serait
bientôt confirmé par les études statistiques menées par Olivier Donnat.
34
35
DUHAMEL, Jacques. L’Ère de la culture, cité par CAUNE, Jean. Ibid. p. 175
URFALINO, Philippe. Ibid. p. 365
Cousin Jeanne Leila
17
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
On peut donc distinguer deux grandes périodes : la première, correspondant à l’ère
Malraux, est celle qui a vu consacrer l’action culturelle comme simple mise en présence
des œuvres et du public ; la seconde, à laquelle est associé le développement culturel,
renvoie à la fois à la consécration de la médiation et de l’animation culturelle afin de faciliter
la découverte des œuvres et à l’avènement de la démocratie culturelle.
Aujourd’hui, la frontière entre ces conceptions est de plus en plus floue ; on distingue
simplement les démarches de médiation et d’action culturelle, reposant sur des outils qui
facilitent l’accès aux œuvres, et celles visant à favoriser l’expression culturelle et artistique
des populations.
1.2. La prise en compte de la question du public : une voie ouverte
par le théâtre
Dans La Culture en action, Jean Caune met en évidence l’objectif d’éducation morale qui a
été reconnu au théâtre dès la Révolution française :
« La possibilité offerte par le théâtre de réunir des groupes, de les unifier, de les
dynamiser, de les enthousiasmer lui confère un rôle éminent. La scène n’est plus
seulement une tribune où s’expriment les idées des philosophes, elle ambitionne
36
de devenir un instrument d’éducation civique. »
Cette vocation, reconnue à l’heure où l’émancipation du peuple par l’instruction était au
cœur des préoccupations, constitue probablement une explication au fait que c’est dans le
domaine du théâtre que s’est ouverte la voie de la démocratisation et de la prise en compte
du public.
Jeanne Laurent et la décentralisation théâtrale
Sous le Front populaire déjà, des propositions avaient été émises quant à la nécessité de
permettre l’accès de tous aux théâtres par une implantation en région, mais il faut attendre
la Quatrième République, et l’action de Jeanne Laurent pour voir se concrétiser l’idée d’une
décentralisation théâtrale.
En 1946, Jeanne Laurent, alors sous-directrice des spectacles et de la musique au
sein de la direction générale des Arts et des Lettres du ministère de l’Éducation Nationale,
s’appuie sur les réseaux d’éducation populaire et sur quelques metteurs en scène militants
– Vilar, Dullin, Jouvet – pour mettre en place un réseau de Centres dramatiques nationaux
(les C.D.N.). L’idée est d’implanter dans les villes qui le souhaitent des compagnies de
théâtre, subventionnées par l’État, afin d’assurer une création de qualité en province ; il s’agit
des premières mesures d’aménagement du territoire en matière culturelle. Le dispositif est
enrichi par la mise en place d’un concours des jeunes compagnies, visant à confronter les
expériences théâtrales et à repérer les plus prometteuses d’entre elles afin de leur proposer
un C.D.N., et d’une subvention à la première pièce, afin de faciliter le travail des jeunes
créateurs
36
37
.
CAUNE, Jean. Ibid. p. 51
37
ORY, Pascal. « L’État et la culture de la Révolution à 1959 » in SAEZ, Guy. Institutions et vie culturelle. Paris : La
Documentation française, 2005. p. 13
18
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
Cinq premiers C.D.N. voient ainsi le jour à partir de 1946 à Colmar, Saint-Étienne,
Toulouse, Rennes et Aix-en-Provence. Il en existe aujourd’hui une trentaine, à laquelle
s’ajoute une dizaine de Centres dramatiques régionaux.
Mais la démarche de décentralisation ne pouvait, dans l’esprit de Jeanne Laurent, que
s’accompagner d’une politique de démocratisation, dont le symbole sera le T.N.P. réouvert
sous la houlette de Jean Vilar.
Le Théâtre National Populaire : la qualité au sein d’une institution
désacralisée
Lorsque Jean Vilar prend les rênes du Théâtre National Populaire en 1951, il met en œuvre
un triple processus : « l’affirmation d’un théâtre service public, l’invention du �public�
comme catégorie d’action et l’élaboration d’une série de dispositifs de mise en relation des
spectateurs avec le théâtre »
38
.
Par l’affirmation d’un théâtre service public, Jean Vilar entend rendre l’accès du théâtre
au peuple en tant qu’ensemble des citoyens
« comme l’eau, le gaz et l’électricité »
40
39
. Pour lui, le théâtre est un service public
.
En outre, Vilar est le premier à s’interroger sur la nature du public du théâtre : quelles
sont ses origines sociales et géographiques, quels sont les freins qui empêchent certaines
catégories de population de venir assister à des spectacles et comment peut-on contourner
ces freins ? C’est à partir de cette interrogation que le metteur en scène crée la notion de
public comme catégorie d’action : il s’agit de prendre des mesures pour contourner ces
freins et amener le peuple au théâtre.
Pour cela, le directeur du T.N.P., qui est aussi créateur et directeur du festival d’Avignon
depuis 1947, va mettre en œuvre des mesures concrètes visant à désacraliser l’institution
Théâtre – la majuscule étant ici employée pour souligner le caractère sacré et donc
impressionnant du lieu – pour le rapprocher des spectateurs. Parmi ces mesures, on
peut citer l’avance de la représentation à 20h15, qui permet au public de banlieue de
rentrer à des horaires convenables, la gratuité des vestiaires ou encore la suppression du
pourboire aux ouvreuses – qui est désormais intégrée dans tous les établissements culturels
subventionnés. On peut ajouter à cela la réservation de la première représentation pour le
public, avant la présentation à la presse qui s’effectue dans un second temps, et la mise en
place d’abonnements populaires
41
.
Par ces mesures concrètes, mais possédant une large portée symbolique, le T.N.P.
a donc largement participé à la démarche de démocratisation, constituant une sorte de
pendant parisien de la décentralisation dramatique.
Le jeune public comme fer de lance de l’action culturelle
38
FLEURY, Laurent. « Retour sur les origines : le modèle du T.N.P. de Jean Vilar » in DONNAT, Olivier, TOLILA, Paul. Le(s) Public(s)
de la culture. Vol. 1. Paris : Presses de Sciences Po, 2003. p. 124
39
40
41
Cf. paragraphe Public/Non-public p. 27
Jean VILAR cité par FLEURY, Laurent in DONNAT, Olivier, TOLILA, Paul. Idem. p. 124
FLEURY, Laurent in DONNAT, Olivier, TOLILA, Paul. Ibid. p. 126
Cousin Jeanne Leila
19
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
Dans les années quatre-vingt-dix, à l’heure où les théâtres lyriques commencent à prendre
conscience de la nécessité de renouvellement d’un public âgé, les musées et les théâtres
ont déjà commencé à imaginer des actions en direction d’autres publics éloignés de la
culture, incités par les nouveaux dispositifs législatifs des ministères de la Culture et de
l’Éducation Nationale. Néanmoins, les opéras vont peu à peu rattraper leur retard en
se dotant d’outils propres à sensibiliser la jeunesse à l’art lyrique : à la fin des années
1990, quatre années suffisent à l’ensemble des maisons d’opéra françaises pour se
42
doter de départements pédagogiques ou autres services jeune public . Cette révolution
s’accompagne d’une professionnalisation du secteur de la médiation culturelle et d’un
accroissement des budgets de ces départements.
Il faut ajouter à cela la multiplication des réductions tarifaires en direction des jeunes
– les étudiants en particulier, qui constituent aujourd’hui une part non négligeable du public
des opéras – et le développement d’une offre de spectacles adaptés aux plus petits. On peut
par exemple citer la mission d’Hélène Sauvez à l’Opéra de Lyon qui, en tant que responsable
du service des relations avec le jeune public, participait aussi au choix des spectacles qui
seraient donnés pour les familles et dans le cadre de la programmation scolaire.
La prise en compte des questions de démocratisation s’est donc effectuée, dans
le champ des théâtres lyriques, par le biais du jeune public, dans une logique de
renouvellement. À l’heure actuelle, la prise en compte des publics adultes plus éloignés
constitue un processus encore en cours.
1.3. Quelques débats qui ont sous-tendu la réflexion autour des
questions d’action culturelle et de médiation
Public/Non-public
La notion de public est porteuse d’ambiguïté dans sa signification au point qu’on peut
légitimement se demander ce qu’on entend par « le public ». Jean Vilar pensait cette entité
au sens de populus, qui en latin désigne le peuple des citoyens, et non au sens de plebs
(la plèbe en français) qui renvoie au bas peuple et à sa place inférieure dans la hiérarchie
43
sociale . C’est la définition qui correspond à l’idéal d’un Théâtre National Populaire qui se
doit de rassembler tout le peuple des citoyens autour de l’œuvre.
Aujourd’hui, le terme de « public » renvoie à la fois au public d’un soir – la masse de
spectateurs qui s’engouffre dans la salle pour regarder le spectacle – et à ce qu’on appelle
le public d’une structure culturelle, qui correspond à ses « clients » plus ou moins réguliers,
bien que ce terme ne soit que très peu utilisé dans la profession. Ainsi, quand on parle du
public, on imagine un ensemble d’individus fréquentant une structure culturelle sans prendre
en compte les situations et les motivations qui ont conduit chaque spectateur à prendre
son billet. Cette notion englobe et efface les différences entre le public d’habitués – petit
nombre d’abonnés qui vient plusieurs fois par an et parfois depuis plusieurs années, les
étudiants qui se risquent pour la première fois à l’intérieur d’un théâtre à la faveur d’une carte
de réduction, ou encore les collégiens accompagnés par un professeur passionné qui les
a d’ores et déjà sensibilisés. On crée ainsi une entité unique considérablement réductrice
42
SAINT CYR, Sylvie. « Les jeunes publics à l’opéra. L’influence des actions menées en direction des jeunes sur l’institution lyrique
et ses publics » in DONNAT, Olivier, TOLILA, Paul. Ibid. Vol. 2. p. 242
43
20
FLEURY, Laurent. Idem. p. 32
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
au regard de la multiplicité des profils des individus et c’est probablement ce qui a conduit
les professionnels et les spécialistes à abandonner progressivement le terme au singulier
au profit de son utilisation au pluriel, ce qui rend mieux compte de sa diversité. Laurent
Fleury, quant à lui, met en avant le caractère imaginé de la notion de public au singulier :
« Cette catégorie véhicule un imaginaire qui se réfère au politique de même qu’elle trahit
une volonté politique de conquérir et de fidéliser le public, sur le mode bien connu de la
mission civilisatrice. »
44
Outre cette distinction relativement récente entre le public et les publics, il nous semble
intéressant d’évoquer ici un débat plus ancien qui a vu naître la notion de « non-public »,
introduite pour la première fois au sein de la Déclaration de Villeurbanne. Ce texte a été
signé par quarante metteurs en scène réunis pendant les événements de mai 1968 autour
de Roger Planchon, alors directeur du Théâtre de la Cité à Villeurbanne, à une époque où
tous commençaient à prendre conscience du piétinement de l’action culturelle. En inventant
de toutes pièces cette notion, ces hommes de théâtre effectuent une sorte de constat
résigné d’un échec de la démocratisation, perçue comme un idéal inaccessible puisque
malgré tous les efforts effectués, la culture semble toujours être réservée à un petit nombre
de privilégiés. Francis Jeanson utilise ainsi des termes particulièrement exclusifs pour définir
cette notion :
« Il y a d’un côté le public, notre public, et peu importe qu’il soit selon les
cas, actuel ou potentiel ; et il y a de l’autre, un #non-public# : une immensité
humaine composée de tous ceux qui n’ont encore aucun accès ni aucune chance
d’accéder prochainement au phénomène culturel sous les formes qu’il persiste à
45
revêtir dans la presque totalité des cas. »
Francis Jeanson fait ici le postulat d’une inégalité irréductible des capacités des individus à
se confronter à la culture : certains sont aptes à apprécier le théâtre, d’autres non. À l’image
de Laurent Fleury, qui y voit l’imposition d’un ethnocentrisme de classe, on ne peut que
constater le processus d’exclusion engendré par cette notion qui nie de fait toute possibilité
de formation ou de sensibilisation :
« Lorsqu’on passe de la notion de public potentiel à celle de #non-public#, on
passe imperceptiblement d’un univers probabiliste à un univers certain. (…)
la rigidité de la notion de #non-public# ouvre à un ethnocentrisme de classe :
46
imposition d’une violence symbolique qui fait peser un sentiment d’indignité. »
On comprend donc pourquoi cette notion n’a pas perduré dans le milieu professionnel à
l’heure où tous les moyens sont mis en œuvre pour sensibiliser de nouveaux publics. On
lui préfère celle de « publics empêchés » ou de « publics éloignés », qui renvoie davantage
aux freins qui conduisent certains individus à ne pas fréquenter les structures culturelles et
qu’il va falloir supprimer par le biais de la médiation ou l’action culturelle.
Enfin, il nous semble important d’effectuer une dernière nuance entre ces notions et
celle de public potentiel qui n’est pas la plus utilisée par les professionnels : dans le cas
du projet Kaléidoscope par exemple, comme pour de plus en plus de projets culturels, le
but premier n’est pas de former des spectateurs assidus voire occasionnels. En effet, les
44
FLEURY, Laurent. Idem. pp. 32-33
45
Cité par FLEURY, Laurent. Idem. p. 34
46
FLEURY, Laurent. Idem. p. 35
Cousin Jeanne Leila
21
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
responsables de structure sont conscients que la participation à un atelier de pratique ne
supprime pas tous les freins à la venue au spectacle ; le but affiché est donc de montrer à
ces publics qu’ils ont la possibilité, s’ils le souhaitent, de venir assister à un spectacle, que
ce n’est pas un luxe intellectuel et matériel réservé à une frange restreinte de la population.
L’impossible accord entre démocratisation culturelle et démocratie culturelle
Le second débat qui a sous-tendu une grande partie des politiques culturelles réside
dans l’articulation entre idéal de démocratisation culturelle et expression de la démocratie
culturelle. Sous Malraux, le projet est simple : « rendre accessibles les œuvres capitales
47
de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre de Français » . Il s’agit
donc bien de réduire les inégalités d’accès à la culture, un idéal de démocratisation qui n’a
jamais quitté les successeurs de Malraux. Mais cet idéal concerne d’abord les œuvres de
culture dite légitime : littérature, musique classique, arts plastiques, œuvres théâtrales etc.
et correspond donc à une certaine logique d’action publique dans le domaine culturel, dont
les maisons de la culture et la décentralisation théâtrale ont été l’amorce.
Dans le sillage de mai 1968 et plus particulièrement à partir des années quatre-vingt,
on a vu apparaître l’idée de démocratie culturelle que Philippe Coulangeon a défini par les
termes d’un décret de 1982 :
« Permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer,
d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur
choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional ou des divers
48
groupes sociaux pour le bénéfice de la collectivité toute entière. »
Cette approche est imaginée en partie en réaction à la parution d’un certain nombre d’études
statistiques – il s’agit entre autres des enquêtes sur les Pratiques culturelles des Français
menées par le Service d’études et de recherche, devenu le Département des études, de la
prospective et des statistiques, en 1973, 1981, 1989 et 1997 – qui mettent en évidence un
échec relatif de la démocratisation culturelle. Dans sa contribution à l’ouvrage Le(s) Public(s)
de la culture, Loïc Lafargue de Grangeneuve met en avant ce lien de cause à effet entre
les deux logiques d’action publique :
« L’apparition de la question des publics fait suite à la mise en évidence des
limites d’une politique de l’offre, selon laquelle la culture – et, en l’occurrence,
la culture #légitime# – est, en quelque sorte, un #produit# à diffuser de façon
uniforme dans le corps social ; puisque la #grande# culture, globalement,
reste réservée de fait à certains publics malgré les efforts déployés, il s’agit
de procéder à la légitimation artistique progressive de formes d’expression
jusque-là considérées comme mineures ou particulières (au sens de : réservées à
49
certains groupes sociaux). »
Cette conception est symbolisée par l’arrivée de Jack Lang au ministère de la Culture qui
ouvre l’ère du « tout culturel » dans une logique de démocratie.
47
Décret 59-889 du 24 juillet 1959 cité par WALLACH, Jean-Claude. Ibid
48
Décret 82-394 du 10 mai 1982 cité par COULANGEON, Philippe. Idem. pp. 10-11
49
LAFARGUE DE GRANGENEUVE, Loïc. « L’opéra de Bordeaux, la danse hip-hop et ses publics» in DONNAT, Olivier,
TOLILA, Paul. Ibid. p. 343
22
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
Au sein de ce débat, on peut donc se demander quelle cohabitation est possible entre
ces deux logiques d’action publique – démocratisation et démocratie culturelles – dans la
mesure où la première suppose implicitement l’idée d’une culture légitime qu’on veut rendre
accessible, idée qui est précisément remise en cause par la seconde. Nous le verrons, les
projets d’action culturelle sont en permanence à la recherche d’un équilibre entre ces deux
logiques.
Chapitre 2. Contexte théorique
2.1. La sociologie de Bourdieu comme référence à un grand nombre
de travaux sur la question des publics
La sociologie de Bourdieu a largement contribué à la mise en évidence des limites
de l’idéal de démocratisation culturelle prôné par le ministère de la Culture, limites qui
seront confirmées quelques années plus tard par les premières enquêtes sur les pratiques
culturelles des Français.
Deux ouvrages en particulier émettent des constats très forts quant aux inégalités
d’accès à la culture légitime : L’Amour de l’art – étude sur le public des musées européens,
parue en 1966 soit cinq années seulement après le début du programme de construction
des maisons de la culture – et La Distinction, qui date de 1979.
On ne peut résumer en quelques lignes la pensée développée par le sociologue dans
ces deux ouvrages. Néanmoins, nous allons tenter ici de mettre en évidence quelques points
importants qui donnent une idée de l’ampleur de la tâche à accomplir pour ébranler ne seraitce que de manière infime les inégalités d’accès à l’art dans un objectif de démocratisation.
Dans L’Amour de l’art, Bourdieu analyse les relations entre la fréquentation des musées
d’art et les caractéristiques sociales, scolaires et économiques des visiteurs. Partant du
constat que les musées sont fréquentés essentiellement par les classes cultivées, il en
dégage l’idée que les pratiques culturelles sont déterminées par la classe sociale et
l’éducation. Au sein des classes populaires, le sentiment d’incompétence qui apparaît face
aux objets de culture légitime est dû à un manque d’instruction, tout en étant accentué par
l’idéologie du don – l’idée que la capacité à apprécier l’art relève d’un don naturel – véhiculée
notamment par les classes cultivées, elles-mêmes soucieuses de limiter l’accès à la culture
légitime, de manière consciente ou non.
La Distinction peut être considérée comme la suite du raisonnement du sociologue ;
celui-ci y revient sur les effets structurants de l’habitus, qui conduisent l’individu à adapter
inconsciemment ses goûts à sa position sociale. Les goûts – le « goût de luxe » ou de
liberté est l’apanage des classes supérieures, par opposition au « goût de nécessité » – et
les jugements, selon qu’ils s’effectuent sur des critères esthétiques (classes supérieures)
ou éthiques (classes populaires) deviennent donc un instrument de classement entre les
catégories sociales. L’école, quant à elle, ne fait qu’accentuer les inégalités. On comprend
donc que ces théories aient servi de fondement à tous ceux dont les voix se sont élevées
pour dénoncer la persistance des inégalités d’accès à la culture en fonction de critères liés
à la catégorie socioprofessionnelle ou au niveau de diplôme.
Cousin Jeanne Leila
23
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
Le jugement sans appel porté par Bourdieu sur l’action culturelle dans L’Amour de l’art
est propre à résumer les critiques de tous ceux qui prendront appui sur sa sociologie pour
dénoncer un échec de la démocratisation.
« On ne peut que douter de l’efficacité de toutes les techniques d’action culturelle
directe, depuis les maisons de la culture jusqu’aux entreprises d’Éducation
populaire, qui, tant que se perpétuent les inégalités devant l’École, seule capable
de créer l’attitude cultivée, ne font que pallier (au sens précis de dissimuler)
les inégalités culturelles qu’elles ne peuvent réduire réellement et surtout
durablement. (…) Mais elles ont en tout cas pour effet de convaincre ceux qui les
50
entreprennent de la légitimité de leur entreprise. »
Quelques années après ce constat, le ministère de la Culture lui-même publiera des chiffres
formels qui confirmeront les limites de la politique culturelle en vigueur.
2.2. La mise en évidence des limites de la démocratisation par les
études statistiques
Depuis 1973, le ministère de la Culture a régulièrement été à l’origine d’enquêtes sur les
pratiques culturelles des Français menées par le Service d’études et de recherches, devenu
par la suite le Département des études, de la prospective et des statistiques. Le constat
d’une inégalité de fréquentation des structures culturelles selon les catégories de population
y a été flagrant dès l’origine. Dans ce paragraphe, nous nous appuierons sur les chiffres
cités par Olivier Donnat dans l’enquête de 1997, qui permettent de constater, s’il y a lieu,
les évolutions des dernières décennies. Il ne s’agit pas néanmoins de présenter ici un
résumé des résultats de l’enquête mais de revenir sur quelques grandes tendances qui
nous permettent de mieux appréhender le contexte dans lequel le projet Kaléidoscope s’est
élaboré.
Olivier Donnat constate tout d’abord que, si quatre Français sur dix sortent au moins
une fois par semaine – chiffre en augmentation par rapport à 1973 et 1989 – le spectacle
est toutefois la moins fréquente des sorties : 19% des personnes interrogées déclarent être
allées au spectacle au cours des douze derniers mois, contre 33% au cinéma et 42% au
restaurant
51
.
En outre, si la fréquentation des équipements culturels a légèrement augmenté depuis
1973, cette hausse ne correspond absolument pas à un élargissement des publics qui serait
synonyme de démocratisation
52
. Ainsi, l’étude révèle que 10% seulement des Français
53
représentent 60% des entrées des théâtres et concerts classiques
et que moins de la
moitié des Français (47%) sont allés assister à une représentation de spectacle vivant au
cours des douze derniers mois
50
.
BOURDIEU, Pierre. L’Amour de l’art. Ibid. p. 262
51
52
53
54
24
54
DONNAT, Olivier. Idem. p. 46
DONNAT, Olivier. Ibid. pp. 217-218
DONNAT, Olivier. Ibid. pp. 221-222
DONNAT, Olivier. Ibid. p. 223
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
En ce qui concerne l’art lyrique, cette pratique est tout simplement celle qui concerne
la plus petite proportion de la population puisque 81% des personnes interrogées déclarent
n’avoir jamais vu d’opéra, contre 72% pour un concert de musique classique et 43% pour
une représentation de théâtre professionnel. En outre, il est intéressant de noter que la
proportion d’individus n’étant jamais allés à l’opéra varie considérablement en fonction de
la catégorie socioprofessionnelle et du niveau de diplôme : cette déclaration concerne 56%
des catégories socioprofessionnelles supérieures contre 80 à 96% des autres catégories
et seulement 54% des personnes ayant fait des études supérieures contre 84 à 90% des
individus ayant au maximum un CAP ou un BEP
55
.
Ces tendances sont confirmées par Jean Coulangeon dans son ouvrage Sociologie des
pratiques culturelles au sein d’un tableau qui met en évidence les disparités de fréquentation
de l’opéra en fonction des catégories socioprofessionnelles et du diplôme, plus encore que
dans les autres formes de spectacle vivant :
Caractéristiques sociodémographiques du public du spectacle vivant : théâtre, concert, opéra
Catégorie socioprofessionnelle
Cadres et professions intellectuelles
supérieures
Employés
Ouvriers
Agriculteurs
Artisans, commerçants
Niveau de diplôme
Bac + 2
56
Théâtre Concert Concert dont
classique
Opéra
25
20
39
40
19
8
2
6
23
11
2
4
12
7
2
4
17
6
1
4
28
23
37
42
2.3. Sociologie des publics traditionnels de l’opéra
L’établissement du profil du public d’un opéra constituerait à lui seul un sujet d’étude à part
entière et c’est pourquoi nous ne pouvons ici que mentionner quelques constats réalisés au
cours des récentes études sur la fréquentation des théâtres lyriques. Mais on ne peut parler
du public de l’opéra sans évoquer au préalable les représentations que ce genre véhicule
au travers de la littérature, la télévision ou le cinéma : il y est en général représenté comme
un art mondain et un lieu où se retrouvent au fil des époques l’aristocratie et la bourgeoisie
57
. Et si, à l’image de Pierre Sorlin, on soupçonne que « la réputation dont sont entourés un
divertissement ou un spectacle exerce une influence souvent décisive dans la constitution
58
d’une audience » , on ne peut que craindre que la réputation mondaine et bourgeoise de
l’opéra ne contribue à accentuer l’effet de rejet en direction des classes les plus modestes.
55
56
57
58
DONNAT, Olivier. Ibid. p. 251
COULANGEON, Philippe. Ibid. p. 104
PEDLER, Emmanuel. Entendre l’opéra. Une sociologie du théâtre lyrique. Paris : L’Harmattan, 2003. pp. 87-88
Cité par ESQUENAZI, Jean-Pierre. Sociologie des pratiques culturelles. Paris : La Découverte, 2005. p. 5
Cousin Jeanne Leila
25
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
Ainsi, il semble que l’opéra soit le siège d’un paradoxe dont la mise en évidence est
un des principaux enjeux de l’ouvrage d’Emmanuel Pedler : alors que le genre opéra a la
capacité de séduire toutes les couches de population, son public est quasi exclusivement
constitué d’individus issus des catégories supérieures. En effet, l’auteur insiste sur le fait
que, grâce à la présence des voix, la narration – qui permet de retenir l’attention du public
pendant deux ou trois heures sans trop de difficulté, la magnificence des décors et des
costumes et parfois même la place des ballets, situés en intermède, l’opéra a la capacité de
susciter l’intérêt de publics très divers. Il est ainsi beaucoup plus accessible que la musique
symphonique, sans parler de la musique de chambre ou de la musique religieuse.
« En définitive, et on l’a souvent remarqué, l’opéra souffre d’une contradiction
radicale : comme spectacle vivant, il constitue un espace rare et favorise de ce
fait des appropriations matérielles aussi inégalitaires que celles qu’autorisent
les objets visuels – qui s’achètent et se privatisent –, alors que la matière
musicale dont il se constitue est de nature à diversifier, plus qu’aucune autre
forme, les fractions sociales susceptibles d’y investir leurs intérêts culturels et
59
esthétiques. »
Nous le verrons par la suite, les propos des participants du projet Kaléidoscope ayant été
invités à des représentations d’opéra ne peuvent que corroborer cette idée : tous mettent
en avant le plaisir qu’ils ont eu à assister au spectacle, seuls les freins matériels, comme le
prix des places ou l’éloignement, entraînent une appropriation inégalitaire.
Dans la recherche d’explications à ce phénomène, Emmanuel Pedler émet une critique
significative contre le manque de réalisme des enquêtes sur les pratiques culturelles des
Français et ce qu’il appelle l’ « explication omnibus » des effets de la formation scolaire
60
sur les pratiques culturelles . Pour lui, le revenu est plus discriminant en ce qui concerne
l’accès aux théâtres lyriques, phénomène dont on peut chercher l’explication à la fois
dans l’histoire – dès la fin du XIXe siècle, 90% des abonnés du palais Garnier étaient
issus des fractions les plus riches de la haute et moyenne bourgeoisie (financiers, gros
61
commerçants, industriels) , et dans les tarifs actuels des maisons d’opéra qui sont, en
dépit de l’importance des subventions reçues, parmi les plus élevés dans le domaine du
spectacle vivant, compte tenu du prix de revient d’une représentation lyrique – à l’Opéra de
Lyon, un lever de rideau coûte en moyenne 100 000 euros
62
.
Ces constats viennent donc confirmer ce qu’une observation régulière du public présent
63
les soirs de représentation à l’Opéra de Lyon laissait supposer
: les spectateurs de
plus de 35 ans sont majoritairement issus des catégories supérieures de la population.
La seule exception réside dans la tranche la plus jeune du public – qui, phénomène
relativement récent, tend à augmenter – dont la composition est relativement mitigée grâce
aux dispositifs tarifaires mis en place non seulement par la structure mais aussi par les
services universitaires, tels que le « Pass culture ».
59
PEDLER, Emmanuel. Idem. p. 106
60
61
62
63
26
PEDLER, Emmanuel. Ibid. p. 94
PEDLER, Emmanuel. Ibid. p. 49
Données recueillies au cours du stage effectué au pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon
Observation réalisée tout au long de la saison à la faveur d’un emploi au sein de l’équipe d’accueil de l’Opéra de Lyon
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
Chapitre 3. L’Opéra national de Lyon et le projet
Kaléidoscope
3.1. Un opéra inscrit dans son environnement urbain
Historique rapide de l’opéra à Lyon
64
Le genre opéra est arrivé à Lyon relativement tôt après sa naissance en Italie sous la plume
de Monteverdi au début du XVIIe siècle. C’est en effet dès 1688 que la toute première
représentation de théâtre lyrique est donnée, dans une salle du jeu de paume du quartier des
Terreaux. Il s’agit d’une pièce du compositeur français Jean-Baptiste Lully : Phaëton. Tout au
long du XVIIIe siècle, différentes représentations continuent d’être données à Lyon sur les
places publiques et dans des salles de sport, jusqu’à la construction en 1756 d’un premier
opéra, sur l’emplacement même de celui qui existe aujourd’hui, place de la Comédie. Dès
lors se constitue un public de fidèles qui va progressivement se développer dans une tranche
relativement restreinte de la population : celle des bourgeois aisés.
C’est au milieu du XXe siècle, dans le sillage de mai 1968, que la direction de
l’Opéra de Lyon commence à prendre conscience de la nécessité d’une certaine ouverture,
indispensable à l’élargissement et au renouvellement du public. Il ne s’agit évidemment pas
encore d’aller toucher les ouvriers des banlieues lyonnaises mais au moins de chercher
à amorcer une démarche de démocratisation déjà prônée par le théâtre. Dès les années
soixante-dix, Louis Erlo, alors directeur, fait appel à des metteurs en scène de théâtre pour
renouveler le genre et attirer ainsi de nouveaux publics. Mais c’est dans l’architecture du
bâtiment tel qu’il a été refait par Jean Nouvel entre 1989 et 1993 que se manifeste le plus
la volonté de démocratisation prônée sous le mandat de Erlo, rejoint en 1981 par JeanPierre Brossman. En effet, les baies vitrées qui entourent le bâtiment et offrent ainsi un
contraste saisissant avec la couleur noir, largement prédominante à l’intérieur de l’édifice,
ont été pensées par l’architecte français comme une ouverture sur l’extérieur, un ancrage
de l’opéra dans son environnement urbain direct. Il s’agit de permettre à chacun passant
aux alentours de s’identifier aux spectateurs se dirigeant vers la grande salle et d’imaginer
pouvoir le faire un jour.
Ce ne sont évidemment là que des intentions d’architectes et on a souvent prêté à
l’Opéra de Lyon une réputation élitiste, due notamment à sa programmation, qui laisse une
belle place à la musique contemporaine, ainsi qu’au caractère intimidant, voire repoussant,
de son entrée peu accueillante, dont la caractéristique retenue n’est pas tant la transparence
que la couleur noire. Néanmoins, depuis quelques années, un vent de démocratisation
semble souffler sur l’institution, dont l’investissement du péristyle – l’espace situé entre les
arcades et l’entrée – par les danseurs hip-hop est devenu, sous la direction de l’actuel
directeur Serge Dorny, un symbole.
Monsieur Dorny a en effet choisi d’exploiter la situation géographique particulière du
bâtiment, situé en plein cœur de la presqu’île, au carrefour de quartiers extrêmement
différents.
Une situation géographique à exploiter
64
Les informations développées dans ce paragraphe ont pour source les commentaires délivrés par les guides au cours
de la visite du bâtiment de l’Opéra.
Cousin Jeanne Leila
27
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
La situation dans l’espace urbain de l’Opéra national de Lyon lui confère aujourd’hui des
atouts que son directeur a choisi d’exploiter. Son bâtiment principal, place de la Comédie,
est non seulement situé en plein cœur de la presqu’île et donc du centre ville, mais aussi
er
à l’intersection de deux quartiers très différents qui se complètent. Le bas du 1 et le
e
2 arrondissement sont des quartiers commerçants qui drainent un très grand nombre
d’individus, qu’ils soient lyonnais ou étrangers. En ce qui concerne l’habitat, on y trouve
surtout des classes moyennes voire aisées, la proportion de ces dernières augmentant à
65
mesure que l’on descend vers le sud de la presqu’île jusqu’au quartier de Perrache . De
l’autre côté de la place la Comédie à l’inverse, les Pentes de la Croix Rousse constituent
un quartier traditionnellement populaire – la zone est classée Zone urbaine sensible par
66
le ministère de la Ville
– qui voit pourtant depuis peu arriver ceux que l’on appelle les
« bobos » ; ces derniers conduisent à une transformation progressive du quartier où l’on
voit désormais fleurir ateliers d’artiste et boutiques de créateurs, petits théâtres, boutiques
et cafés à tendance bio/équitable.
En outre, on peut mentionner le fait que l’Opéra de Lyon est situé sur l’axe du métro
A, qui dessert l’Est de l’agglomération et constitue ainsi un moyen de transport idéal pour
e
e
les spectateurs du 6e arrondissement, de Villeurbanne et par extension du 3 et du 7
arrondissement.
Cette position particulière donne à l’Opéra de Lyon une image dynamique accentuée
par l’ouverture qui est réalisée en direction des publics des Pentes de la Croix Rousse
qui, en ce qui concerne l’habitat populaire, ne fait pas partie de son public traditionnel. En
outre, compte tenu du peu d’espace disponible dans les locaux de la place de la Comédie,
l’institution possède différentes annexes qui lui permettent d’être présente en différents
points de l’agglomération. On peut ainsi évoquer la salle de répétition de l’orchestre,
e
située dans le 7 arrondissement, la maîtrise – école dépendant de l’Opéra et accueillant
e
des enfants pour les former au chant et à la scène – dans le 5 arrondissement, les
ateliers de costumes sur les Pentes de la Croix Rousse et les ateliers de décors à
Vénissieux, territoire où l’opéra a choisi de s’investir de manière particulièrement forte
depuis quelques années. En effet, l’engagement de l’institution dans une des communes
les plus populaires de l’agglomération est probablement un exemple majeur de la mise
à profit de la situation géographique de l’Opéra dans un soucis de démocratisation et
d’ouverture. L’actuel directeur est en effet à l’origine d’un partenariat fort avec la mairie qui
se traduit par un véritable traitement privilégié des populations habitant ce territoire, le pôle
de développement culturel constituant l’outil principal de ce partenariat.
Le pôle de développement culturel comme outil d’investissement sur le
territoire urbain
67
Lorsque l’actuel directeur est arrivé à la tête de l’Opéra national de Lyon en 2003 , les
relations avec les publics se résumaient à l’action d’un service aux relations avec le jeune
65
66
67
Informations issues de l’observation de l’habitat et de notre propre connaissance de ces quartiers
Comité interministériel des villes �en ligne�. �page consultée le 3 juillet 2009�. <http://i.ville.gouv.fr/divbib/doc/chercherZUS.htm>
Entretien avec Hélène Sauvez et Stéphanie Petiteau, responsable et responsable adjointe du pôle de développement culturel
de l’Opéra de Lyon (16/03/09)
28
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
public, qui avait pour but principal de gérer la venue d’un public d’enfants et d’adolescents
sur le temps scolaire, tout en participant à la programmation des spectacles qui leur étaient
spécifiquement destinés. Serge Dorny a impulsé la transformation de ce service en un
« pôle de développement culturel » dont il a lui-même choisi l’appellation, comme nous l’a
confié Hélène Sauvez, ancienne responsable du service des relations avec le jeune public
et actuelle responsable du pôle de développement culturel, que nous avons interrogée
dans le cadre de notre étude. En effet, si le terme est en France extrêmement associé aux
années quatre-vingt et à l’action de Jack Lang, la tradition anglo-saxone à laquelle appartient
l’actuel directeur lui a inspiré cette expression qui est désormais pleinement intégrée par le
personnel et les partenaires de l’Opéra :
« C’est lui #Serge Dorny# qui m’a proposé développement culturel. Moi, je
trouvais que ça faisait trop années quatre-vingt en France et j’en avais discuté
avec certaines personnes à l’Opéra mais lui il n’avait pas toute cette connotation
parce qu’il est anglo-saxon et il a insisté pour développement culturel. Il a dit
que c’était l’idée qu’on était sans cesse en train de se développer, de se poser
des questions sur pourquoi on faisait ça, comment on pouvait mieux faire, faire
différemment. C’était l’idée d’un développement interne. (…) Et c’est ce qui fait
que l’action culturelle, on la développe continuellement. C’est un travail qui n’est
68
jamais fini. »
Le pôle de développement culturel est désormais l’outil principal d’investissement de l’Opéra
de Lyon dans son environnement urbain et social. Il imagine et coordonne des propositions
très diverses à destination de publics qui le sont tout autant. Afin de donner une idée de
l’étendue de ces actions, on peut ici en citer quelques unes, dans une liste qui ne peut
être considérée comme exhaustive : organisation de visites des ateliers techniques ou du
bâtiment, d’ateliers hip-hop avec la compagnie dans les murs, projet d’année rassemblant
des classes du Réseau réussite scolaire des Pentes de la Croix Rousse et des classes
d’enfants porteurs de handicap, élaboration de projets de pratique et de découverte du chant
auprès de personnes incarcérées ou hospitalisées… Il est en outre nécessaire de noter que
er
toutes les actions menées le sont en priorité pour les habitants du 1 arrondissement et de
Vénissieux, donnant ainsi une dimension concrète à l’engagement de l’Opéra sur les deux
territoires où il est principalement implanté.
Au sein de cette palette d’actions, le projet Kaléidoscope fait figure d’exception par sa
durée – deux ans –, par le nombre de personnes touchées – 300 habitants des Pentes et
de Vénissieux –, et par l’ampleur des moyens humains et financiers mis en œuvre pour sa
réalisation.
3.2. Le projet Kaléidoscope, un projet ambitieux et novateur au
service de l’ouverture
Présentation du projet
La démarche
Le projet Kaléidoscope est un projet de soutien à la pratique amateur qui a été coordonné
et animé par le pôle de développement culturel de l’Opéra national de Lyon entre octobre
68
Entretien avec Hélène SAUVEZ, responsable du pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon (16/03/09)
Cousin Jeanne Leila
29
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
2006 et juin 2008. Ambitieux, il consistait à accompagner 300 amateurs dans un travail
de création de petites formes de théâtre musical, de l’écriture du texte à la présentation
au public, en passant par la création musicale et la mise en scène. L’objectif affiché était
de construire une relation à long terme entre les quartiers et l’Opéra, de « sensibiliser les
populations au monde artistique et professionnel de l’Opéra de Lyon »
69
.
Tout au long de ces deux années, des ateliers ont été organisés auprès des groupes
de participants qui s’étaient formés, animés par 45 artistes professionnels, écrivains,
musiciens, et « metteurs en espace » – les coordinateurs ayant jugé que ce terme ouvrait
davantage de possibilités de création que celui de mise en scène ; la coordination était
assurée par une équipe de directeurs artistiques en lien permanent avec le pôle de
développement culturel.
Le projet était conçu selon une double démarche : le soutien à la pratique amateur par
la création de spectacles par petits groupes, mais aussi la découverte de l’univers de l’opéra
grâce à la venue des participants pour des visites du bâtiment et des ateliers techniques,
des ateliers de découverte animés par le personnel permanent de l’institution ou encore la
venue à des générales de spectacle afin de prendre la mesure du « produit fini ». Il s’agit
donc bien d’un projet alliant volonté de démocratisation et d’ouverture de l’art lyrique à des
publics qui n’y sont pas habitués et mise en œuvre d’une forme de démocratie culturelle,
les intervenants « respectant et reflétant la diversité des esthétiques et des cultures, mais
aussi l’histoire des groupes »
70
.
Ces deux années de travail ont abouti les 7 et 8 juin 2008 à la représentation dans des
conditions professionnelles de 21 mini-spectacles créés sur des scènes installées au détour
des rues de Vénissieux et des Pentes de la Croix Rousse. On peut se risquer à affirmer que
les spectacles présentés laissaient relativement bien transparaître la diversité des groupes,
puisque on y a vu à la fois des spectacles se rapprochant plus du théâtre, d’autres de la
comédie musicale, des chants du Maghreb, du hip-hop, du slam, de la variété, du jazz et
bien d’autres formes musicales.
Au soir du 8 juin, le directeur de l’Opéra de Lyon a annoncé la tenue d’un deuxième
puis d’un troisième volet du projet Kaléidoscope pour les années à venir. Le deuxième
volet a débuté en mars 2009 pour s’achever en juin 2010 et son principe est différent :
tous les participants seront acteurs d’un spectacle donné sur la scène de la grande salle
de l’Opéra, écrit et mis en scène pour eux par Jean Lacornerie – par ailleurs metteur en
scène et directeur du théâtre d’Oullins – et Richard Dubelski – compositeur, qui étaient tous
deux coordinateurs artistiques du premier volet. Les participants pourront s’investir en tant
que chanteurs, musiciens, comédiens mais aussi dans la réalisation des costumes, des
décors… La date et les modalités du dernier volet n’ont pas encore été déterminées.
Il nous semble important pour la suite de notre étude de souligner le succès de ce
deuxième volet puisque le nombre de participants inscrits pour les ateliers qui ont eu lieu
entre les mois de mars et juillet de cette année a atteint en quelques semaines celui du
71
premier volet . Cela nous a en effet permis d’éclairer de manière concrète les réactions
extrêmement enthousiastes recueillies au cours des entretiens avec les participants de la
première partie du projet.
69
Dossier de presse établi à l’occasion des journées de représentations du projet Kaléidoscope les 7 et 8 juin. p. 3
70
71
30
Dossier de presse établi à l’occasion des journées de représentations du projet Kaléidoscope les 7 et 8 juin. p. 3
Source : pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
Une inspiration anglo-saxonne pour un projet unique en France
En France, la première expérience du type du projet Kaléidoscope a été menée dans en
72
1973 par Armand Gatti
: dans le cadre de l’expérience dite « de l’Arche d’Adelin »,
3000 personnes issues des milieux ruraux de la région du Brabant-Wallon ont été placées,
73
selon l’expression de Jean Caune, en « état de créativité » . Il s’agissait de proposer
des ateliers qui ont abouti à la création de vingt heures de spectacle jouées simultanément.
L’important pour Armand Gatti était que les participants se soient « aventurés dans des
territoires différents de celui dans lequel leur quotidien les enfermait ; qu’elles aient constaté
que ce territoire différent, c’était elles-mêmes qui pouvaient le créer ; qu’elles aient entrevu la
possibilité (acceptée ou pas) de changer le monde et non plus de le subir ; qu’à un moment,
elles se soient senties capables de « voir » les hommes d’une autre façon »
74
.
Néanmoins, et sans pour autant minimiser l’importance de cette expérience fondatrice,
c’est plutôt du côté de la tradition anglo-saxonne qu’il faut chercher les origines du projet
mené par l’Opéra de Lyon. Cette piste nous a été donnée par Hélène Sauvez, qui a
longuement évoqué au cours de notre entretien la « culture anglo-saxonne » du directeur
de l’Opéra, qui a lui-même imaginé le projet.
« C’est Serge Dorny qui est arrivé en 2003 avec cette idée. Il m’en a parlé dès
juillet 2003 : il voulait faire un spectacle avec des amateurs qui ne soient ni des
jeunes scolarisés, ni un spectacle fait par les professionnels pour des amateurs
qui seraient les spectateurs. Il voulait vraiment que les amateurs soient des
adultes impliqués dans le projet de création. »
Au Royaume Uni notamment, la tradition de ce qui est appelé les « workshop », ou encore
« community opera » est bien plus répandue qu’en France. Ainsi, le Royal Opera House à
Londres propose un large éventail d’actions, dont les objectifs ne sont pas sans rappeler
ceux du projet Kaléidoscope. Citons en exemple – dans une traduction établie par nos soins
– l’un des buts désignés pour le projet Street Stories Header, qui implique des adolescents
dans un projet de création qui mêle danse, théâtre, chant…
« Donner aux adolescents l’opportunité de comprendre tous les stades de la
création et de la réalisation d’un spectacle et d’y prendre part, explorant et
75
expérimentant leurs propres idées et émotions. »
L’institution londonienne propose en outre depuis 1988 des ateliers hebdomadaires avec les
danseurs du ballet à destination des personnes malvoyantes – rappelons que les premiers
services d’action culturelle dans les opéras datent en France de la fin des années quatrevingt-dix –, un programme d’accompagnement autour des spectacles (rencontre avec les
artistes, événements), et des ateliers de création et de pratiques dans la banlieue qui
accueillera prochainement les ateliers de décors. Enfin, on peut mentionner une récente
initiative de l’institution londonienne qui, depuis le 3 août dernier, invite tous ceux qui le
72
73
74
Armand Gatti �en ligne�. �page consultée le 28 juillet 2009�. <http://www.armand-gatti.org/index.php?cat=biographie>
CAUNE, Jean. Ibid. p. 235
« Gatti : de la Wallonie à Montbéliard, ou du théâtre au cinéma… ». ATAC Information, mai 1975, n°68, p. 24 cité par CAUNE,
Jean. Ibid. p. 247
75
Royal Opera House �en ligne�. �page consultée le 28 juillet 2009�. <http://www.roh.org.uk/communities/
streetstories.aspx>
Cousin Jeanne Leila
31
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
souhaitent à participer à l’écriture d’un livret d’opéra par le biais du réseau social Twitter.
Les internautes peuvent y déposer des contributions, limitées à 140 caractères, qui sont
retravaillées par des professionnels en vue de la représentation de l’opéra ainsi écrit, en
ouverture de la saison de Covent Garden du 4 au 6 septembre
76
.
Mais le projet Kaléidoscope a ceci d’original qu’il propose à la fois une découverte par
la création au sein d’un projet participatif – il s’agit là du modèle anglo-saxon – et par la
venue au spectacle pour découvrir une œuvre patrimoniale – qui se pratique plutôt dans
les pays latins.
« La démarche se faisait toujours dans un aller-retour entre le faire et le voir faire
par des professionnels. C’était important et c’était une demande d’ailleurs qu’on
avait au moment du montage : c’était que comme les gens ne savaient pas ce que
c’était que l’opéra, ils étaient en demande que pendant le projet, il y ait ces allersretours vers la pratique professionnelle. Et j’ai bien insisté pour qu’il y ait cette
ouverture inclue au spectacle parce que justement dans certains modèles anglo77
saxons, il n’y a pas forcément les deux. »
Territoires et populations concernés
Les populations concernées par le projet Kaléidoscope ont été dès le départ relativement
ciblées par le pôle de développement culturel, ce dernier ayant fait le choix de proposer la
démarche aux habitants des deux territoires prioritaires de son action. Il s’agit de quartiers
rassemblant des populations d’origine plutôt modeste, avec une forte proportion de familles
issues de l’immigration.
Les relais choisis étaient les structures socioculturelles présentes dans les quartiers
et c’est donc au sein des centres sociaux, maisons de quartier, parfois bibliothèques et
associations que des groupes se sont formés ou que des personnes se retrouvant déjà
régulièrement ont choisi d’intégrer le projet. Quelques exceptions ont toutefois été faites
e
à la règle avec des groupes rassemblés à la bibliothèque du 4 ou à Villeurbanne et
quelques habitants d’Oullins qui ont rejoint l’action au cours de l’étape de mise en scène –
le coordinateur artistique de cette étape étant par ailleurs de directeur du théâtre de la ville.
Les groupes n’avaient au départ aucune obligation d’aller au bout du projet qui leur avait
été présenté en trois étapes : écriture, mise en musique et mise en scène, leur engagement
à participer pouvant se renouveler en chaque. Ainsi, quelques groupes se sont retirés
faute de participants ou de motivation quand d’autres ont rejoint l’aventure principalement
avant l’étape de mise en musique, utilisant des textes écrits par d’autres ou rattrapant leur
retard. Au total, environ 300 personnes ont participé au projet ; les plus jeunes étaient des
er
adolescents se retrouvant au centre social Quartier vitalité dans le 1 arrondissement et la
doyenne était âgée d’environ 80 ans. La proportion d’hommes et de femmes était à peu près
équivalente et seuls quelques participants avaient déjà pratiqué la musique ou le théâtre
en amateur
76
77
.
ROCHE, Marc. Twitter au secours du Royal Opera House. Le Monde, 15 août 2009, n° 20079, p. 16
Entretien avec Hélène Sauvez, responsable du pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon (16/03/09)
78
32
78
Informations recueillies au cours du stage effectué au pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon
Cousin Jeanne Leila
Partie 2. Contexte
On peut enfin noter que le rythme des ateliers et répétitions était fixé par chaque
intervenant avec son groupe, afin de s’adapter au mieux aux dispositions et aux contraintes
des participants.
Le projet Kaléidoscope s’est donc construit dans un contexte plutôt défavorable qui
a vu mettre en avant depuis les années soixante les limites des outils imaginés par
l’action culturelle pour favoriser la démocratisation. Il est principalement le résultat d’une
dynamique interne due à la personnalité du directeur de l’institution et à l’équipe du pôle
de développement culturel. Ce projet a été largement salué par la DRAC et les collectivités
territoriales ; à Lyon, il entre dans le cadre de la Charte de coopération culturelle de la
ville et du Contrat urbain de cohésion sociale. Il a en outre reçu le soutien de la Fondation
d’entreprise la Poste, mécène principal du projet, qui a choisi d’apporter des financements
au titre de son engagement en faveur des actions rendant accessible au plus grand nombre
l’écriture dans toute ses formes. Il a enfin bénéficié de financements émanant de l’État, de
l’Europe et de la ville de Vénissieux. Le budget total de l’action a atteint 600 000 euros
79
.
Ayant pris la mesure de ce contexte, nous pouvons dès lors nous attacher à étudier les
différentes hypothèses que nous avons soulevées afin de vérifier si le projet Kaléidoscope
a, ou non, réussi son pari d’ouverture et de démocratisation.
79
Source : pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon
Cousin Jeanne Leila
33
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
Partie 3. Faire découvrir l’opéra
autrement
La particularité du projet Kaléidoscope résidait dans sa double proposition à la fois d’une
pratique amateur de création et d’une découverte du fonctionnement de l’opéra à travers
des visites et des invitations aux générales de spectacles par exemple. Sur ces questions,
les propos de personnes ayant été impliquées – participants, intervenants artistiques,
responsables de structure relais dans les quartiers et coordinateurs – sont en mesure de
nous éclairer sur la perception du projet et sur la manière dont il a influé ou non sur les
représentations des participants qui, nous allons le voir, correspondaient pour la plupart à
celles d’une institution élitiste consacrée à un art qui ne les concernait pas.
Chapitre 1. Le regard sur l’institution
1.1. Une institution engagée qui inspire la reconnaissance
Un outil pour découvrir l’art lyrique et vaincre ses craintes
La question du regard porté sur l’institution est difficile à appréhender par le biais d’un
entretien : comment mesurer et constater si le regard des participants sur l’opéra a changé
après le projet Kaléidoscope ? Pour tenter d’apporter des éléments de réponse, il nous
semble important de commencer par souligner le fait qu’aucun des participants interrogés
n’avaient franchi les portes de l’Opéra de Lyon avant le projet Kaléidoscope, et cela même
pour les habitants des Pentes de la Croix Rousse, dont la proximité géographique est
pourtant indéniable. Ainsi, sur sept participants interrogés, quatre déclarent explicitement
qu’ils considéraient jusqu’à présent l’opéra comme ne leur étant pas destiné. Les propos
er
de Chérif, habitant du 1 arrondissement appartenant à un groupe du projet Kaléidoscope,
sont révélateurs d’une prise de conscience consécutive au projet :
« Moi-même, j’ai remercié l’opéra parce qu’au départ, j’avais une certaine image
de l’opéra : au départ, on se dit dans la tête qu’il n’y a qu’une seule catégorie
de personnes qui peut accéder à l’opéra alors que c’est totalement faux. En
fait, l’opéra est accessible à tout le monde, mais faut-il bien évidemment venir y
80
assister. »
De la même manière, Danielle, retraitée des Télécoms habitant Vénissieux et participant au
projet, a fait le rapprochement entre sa participation au projet Kaléidoscope et la découverte
de l’univers de l’opéra par sa mère, détentrice du Certificat d’études, emmenée à l’opéra
par son mari qui possédait un niveau baccalauréat :
80
34
Entretien avec Chérif, participant du groupe Macadam (15/04/09)
Cousin Jeanne Leila
Partie 3. Faire découvrir l’opéra autrement
« Un jour, il a voulu emmener sa femme mais elle ne voulait pas car elle pensait
ne rien comprendre. Il a insisté pour qu’elle vienne voir et finalement elle a adoré.
Ils n’ont pas arrêté d’y retourner. C’est pareil pour nous : on a peur de ne pas
comprendre, on se dit #c’est pas pour nous#, surtout ici à Vénissieux où les gens
n’ont pas le niveau scolaire et où beaucoup ont des origines étrangères car il y a
le problème de la langue. Ils se disent que ce n’est pas pour eux car ils ont peur.
Mais c’est faux : quand on y va, ce n’est pas une question de compréhension.
C’est bien que l’opéra vienne à eux car du coup, les gens osent y aller : ils se
81
familiarisent avec l’opéra par le biais du projet Kaléidoscope. »
Même si les propos de notre interlocutrice trahissent déjà, par l’emploi de la troisième
personne du pluriel notamment, un certain recul par rapport aux autres participants, ils
sont néanmoins significatifs quant au sentiment général d’un engagement fort de la part de
l’Opéra de Lyon pour aller chercher ces publics là où ils se trouvent.
Reconnaissance des participants, surprise des partenaires
L’opéra se voit ainsi affublé d’une étiquette d’institution engagée, au point qu’on est en
mesure de relever dans les propos des participants une forme de reconnaissance à l’égard
de l’institution
82
, qui a aussi été ressentie par les artistes intervenants.
« De la reconnaissance, comme si on leur faisait un cadeau énorme et que #
on remercie les institutions de penser à nous, qui nous permettent de rentrer
dans cette antre ultra-impressionnante#. Oui, il y a un petit côté comme ça
83
d’admiration, de reconnaissance. C’est un peu gênant… »
Cela montre bien que la démarche de l’Opéra de Lyon n’était pas perçue comme tout à
fait conforme aux propositions traditionnelles des structures culturelles. Même Éric Jayat,
pourtant relativement au fait de ces propositions en tant que président de l’association Axès
libre
84
, nous a confié qu’il avait été surpris par la sincérité de la démarche :
« Ça m’a semblé être un projet intéressant parce que l’opéra est un lieu
emblématique et qu’il se donnait la volonté, et ça, ça a été très compliqué, d’aller
directement en direction de ces publics-là #éloignés de la culture#, en passant
par des relais mais ils faisaient cet effort-là. Et cet effort-là, moi j’ai senti dès
le départ dans les discours d’Hélène #Sauvez# quand elle présentait le projet,
que c’était quelque chose qui était non pas la résultante : on a signé une charte
culturelle, on respecte, mais c’était vraiment de l’implication réelle, et on sentait
vraiment ça. Moi, ça m’a un peu étonné au départ parce que j’avais l’habitude,
j’étais passé par le MAC #Musée d’art contemporain#, les Célestins – je n’avais
pas encore développé avec les Célestins – mais c’était vraiment la première fois
que j’ai senti #oui, on fait attention à vous, venez avec nous. Vous êtes dans une
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82
83
84
Entretien avec Danielle, participante du groupe Mélissa (02/04/09)
Cf : Entretien avec Chérif cité page précédente
Entretien avec Carole Jacques, musicienne intervenante (17/04/09)
L’association Axès libre a pour but de favoriser la réinsertion de personnes sortant de prison ou confrontées à des difficultés
sociales par le biais de la sensibilisation à l’art par la découverte des œuvres et la pratique.
Cousin Jeanne Leila
35
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
catégorie, on vient vers vous et on se donne les moyens de le faire, à la fois en
temps, en argent, mais aussi en envie#. Il y avait vraiment l’envie d’aller vers ces
85
publics-là et à l’époque, c’est ce qui m’a touché. »
L’accueil reçu particulièrement salué
De la même manière, trois participants se sont montrés étonnés de la chaleur de l’accueil
reçu et du fait qu’on les prenait au sérieux en tant qu’amateurs : Danielle s’est dite fascinée
par cet accueil, elle qui pensait que les techniciens « prendraient le truc à la rigolade » parce
qu’ils étaient des « amateurs au ras des pâquerettes ». Au lieu de ça, ils ont été traités
86
« comme des rois »
. Laïdia, une femme fréquentant les cours de français du centre
Eugénie Cotton et ayant choisi d’intégrer le projet a quant à elle apprécié qu’on l’accueille
en dépit de ses difficultés à s’exprimer : « Moi, j’aime bien les gens de l’opéra : ils sont
très gentils. Chaque fois que je passais là-bas, il y avait beaucoup de respect. Je parle
pas bien le français parce que je n’ai pas été à l’école et j’ai présenté comme je suis. »
87
Quant à Jean-Christophe, c’est en tant que manager qu’il a salué les efforts du pôle de
développement culturel et des artistes pour mener à bien le projet :
« J’ai trouvé une écoute chez Juliette #musicienne intervenante#, chez Vanessa,
chez Stéphanie comme chez Hélène #coordinatrices du projet# qui était très
intéressante. Parce que c’est vrai qu’ils auraient pu très bien, surtout les artistes,
ils auraient pu nous prendre de haut, ils auraient eu de quoi #rires#, au contraire,
ils ont toujours été à notre écoute et toujours à essayer d’arranger les choses,
de trouver des solutions. (…) Je le vois de l’extérieur en tant que responsable,
quand il faut mener des affaires comme ça, il y a du boulot et je les félicite ! Et
puis en plus, elles restent accessibles, elles sont là, on essaye de communiquer
88
et je pense que ça se passe bien. »
À travers ces propos, on est donc en mesure de constater une remise en cause par le
projet Kaléidoscope des représentations des participants sur l’opéra en tant qu’institution
dépositaire d’un art réservé à une élite, un changement d’image qui s’est accompagné d’une
désacralisation de l’institution par la venue au spectacle.
1.2. La désacralisation d’un lieu réputé élitiste
Jean Vilar l’avait bien compris pour le T.N.P. : la démocratisation d’une institution passe par
sa désacralisation aux yeux du public populaire. Cela est d’autant plus vrai pour l’opéra qui
véhicule encore beaucoup de phantasmes autour de la manière dont il faut s’y comporter,
les vêtements que l’on doit porter… Ce n’est pas un hasard si la plaquette de la saison
2009-2010 comporte au sein de sa rubrique Informations pratiques une page intitulée « C’est
ma première fois à l’Opéra de Lyon » et dans laquelle on peut lire deux paragraphes
particulièrement significatifs :
85
86
87
88
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Entretien avec Éric Jayat, président de l’association Axès libre (10/04/09)
Entretien avec Danielle, participante du groupe Mélissa (02/04/09)
Entretien avec Laïdia, participante du groupe Les étoiles du soleil (07/05/09)
Entretien avec Jean-Christophe, participant du groupe Factors (24/04/09)
Cousin Jeanne Leila
Partie 3. Faire découvrir l’opéra autrement
« Ce n’est pas pour moi : je serai mal à l’aise. Une seule visite à l’Opéra de
Lyon vous convaincra du contraire. Ici, tous les publics sont au rendez-vous :
étudiants, artisans, sportifs, secrétaires, enseignants, jeunes retraités… des
quatre coins de la région ! Chic ou décontracté ? Je ne sais pas quoi me mettre !
Jeans ou robe longue, veste ou T-shirt, baskets ou escarpins… Il n’y a pas de
règle, ce qui compte c’est d’être à l’aise et de se faire plaisir. C’est votre soirée
89
après tout ! »
Aujourd’hui encore, bon nombre de personnes imaginent que pour venir à l’opéra, robes
du soir et costumes chics sont de rigueur. En invitant les participants à venir assister à
des spectacles et donc à se confronter au public et aux personnels de l’institution, le projet
Kaléidoscope a permis de faire tomber un certain nombre de barrières et de donner une
certaine aisance à des individus qui n’avaient pour la plupart jamais franchi les portes du
bâtiment.
Nous avons pu constater, lors de l’observation effectuée auprès de ces publics lorsqu’ils
étaient invités, que tous semblent désormais être à l’aise – voire plus à l’aise qu’une partie
90
du public traditionnel – dans l’édifice pourtant impressionnant . Mais ce sont les propos
des accompagnateurs – permanents au sein des structures locales – qui révèlent le mieux
cette prise de confiance due aux venues successives.
« Les premières sorties, ça a été : comment on s’habille ? Comment on s’habille
pour aller à l’opéra ? Du coup, la première sortie que j’ai faite avec eux (…) j’y
suis allé avec un jean à trous et un vieux sweet-shirt tout pourri et je suis rentré
comme ça. Et on a fait le spectacle comme ça avec eux, et personne ne m’a
regardé particulièrement. La fois d’après, c’était terminé. La première frayeur
d’aller dans un lieu institutionnel aussi prestigieux avait été complètement brisée.
Les fois d’après, j’ai fait attention à m’habiller plutôt pas mal… pas normal, plutôt
un peu mieux… Et ils ont fait pareil parce que c’est aussi sympa : il y a une sortie,
c’est le soir… Je leur ai dit que la dernière fois, c’était pour leur montrer que
l’opéra c’est pour tout le monde, même si ce n’est pas forcément évident d’y
accéder. Les gens peuvent même ne pas savoir comment y entrer au départ,
avec ces trois portes #les portes-tambours qui donnent accès au bâtiment#. Ils
y ont accédé maintenant par l’entrée, par l’entrée des artistes, ils connaissent le
lieu beaucoup mieux que moi. Maintenant, je leur dit : #emmenez-moi !#. Ils s’y
sentent à l’aise, il n’y a pas de problème. Ils savent, ils connaissent la salle, ils
91
savent où s’asseoir : #non, là haut, on ne va rien voir, mets toi au troisième.# »
Ainsi, si tel est le cas pour tous, on ne peut que se féliciter de l’action du projet Kaléidoscope
sur les rapports que les participants entretiennent avec le lieu et l’art opéra. On pourrait
néanmoins légitimement s’interroger, à l’instar d’une des participantes, sur le fait que les
participants n’ont été invités qu’à des générales de spectacles et non à des représentations
89
Plaquette 2009-2010 de l’Opéra national de Lyon p. 68
90
91
Observation réalisée tout au long de la saison à la faveur d’un emploi au sein de l’équipe d’accueil de l’Opéra de Lyon
Entretien avec Éric Jayat, président de l’association Axès libre (10/04/09)
Cousin Jeanne Leila
37
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
92
tout public
. Serait-ce dû à une volonté de ne pas bousculer le public traditionnel de
l’institution en le confrontant à une catégorie de public inhabituelle et qui, parce qu’elle n’est
pas familière de ce type de spectacles, peut parfois perturber quelque peu le déroulement
traditionnel de la représentation – par des applaudissements entre les actes par exemple,
les incidents plus importants ayant été extrêmement rares ? À cela, l’opéra répond que ce
n’est que pour des raisons pratiques et économiques que la venue des participants, invités
gratuitement, ne pouvait s’effectuer que pour les générales. En effet, les billets étant mis
en vente au mois de mai pour la saison suivante, une grande partie des places sont déjà
réservées lorsque se décident les invitations et la générale est la seule date à laquelle un
nombre aussi important de places – entre 100 et 300 – est disponible. De plus, la distribution
de places gratuites les soirs où le public traditionnel paye constituerait à la fois un manque
à gagner très important et peut être aussi une indélicatesse vis-à-vis de spectateurs ayant
des budgets limités mais faisant tout de même le choix de venir assister à la représentation.
Nous sommes donc en mesure d’affirmer que le projet Kaléidoscope, grâce au
sentiment d’engagement de l’institution qu’il véhicule et à l’opportunité donnée aux
participants d’assister à des spectacles, a contribué à bouleverser les représentations
des différents protagonistes du projet en rapprochant l’Opéra de Lyon des publics dont il
était traditionnellement éloigné. Mais pour les mêmes raisons, il a aussi participé d’une
diversification des pratiques culturelles des habitants impliqués, qui se qualifient désormais
d’amateurs d’opéra et de ballet.
Chapitre 2. La découverte par la pratique comme
moyen de diversification des pratiques culturelles
Emmanuel Pedler et Aurélien Djakouane, dans leur contribution à l’ouvrage d’Olivier Donnat
et Paul Tolila, Le(s) Public(s) de la culture, émettent l’idée de l’existence de « phénomènes
d’incitation ponctuelle » qui font qu’à un moment donné, des individus vont être amenés
à une pratique. Il peut s’agir d’un parent, un ami ou parfois une institution, autant de
93
« prescripteurs » dont l’action va infléchir la « carrière de spectateur » de l’individu . Dans
cette partie, nous allons nous attacher à montrer que le projet Kaléidoscope a constitué
un phénomène de ce type en permettant une diversification des pratiques culturelles des
participants.
2.1. Un spectacle accessible que les participants apprennent à
décoder par rapport à leur propre pratique
Grâce à la dimension « pratique amateur » du projet, les participants acquièrent certaines
bases, certains codes relatifs à la représentation d’un opéra. Étant eux-mêmes impliqués
dans une démarche de création, ils ont une idée un peu plus précise des difficultés et du
92
93
Entretien avec Roucailla, participante des groupes Baryton Cie et Tsunami (15/04/09)
PEDLER, Emmanuel, DJAKOUANE, Aurélien. « Carrières de spectateurs au théâtre public et à l’opéra. Les modalités des
transmissions culturelles en questions : des prescriptions incantatoires aux prescriptions opératoires » in DONNAT, Olivier, TOLILA,
Paul. Ibid. Vol. 2. pp. 203-214
38
Cousin Jeanne Leila
Partie 3. Faire découvrir l’opéra autrement
travail nécessaire à la préparation d’une représentation. C’est ce que Bruno Colin appelle
94
« maîtriser de nouveaux langages » , des langages qui leur permettent de décoder et
éventuellement d’apprécier davantage un spectacle professionnel, dans lequel ils retrouvent
des éléments connus. Jean-Christophe déclare ainsi avoir mieux pris la mesure du travail
de la voix dans le spectacle lyrique :
« La plupart d’entre nous n’avaient jamais été à l’opéra, il faut être clair, on y a
appris plein de choses. Le fait aussi de faire de la technique vocale avec Juliette
#intervenante sur les étapes de mise en musique et de mise en scène#, ça nous
95
permet d’apprécier davantage et d’être un peu initiés à tout ce qui est vocal. »
De la même manière, Abel, un jeune collégien qui a démarré le projet Kaléidoscope poussé
par ses parents – mais qui a choisi de lui-même de s’impliquer dans le deuxième volet –
met en avant sa découverte des rouages de la fabrication d’un spectacle :
« Quand j’y pense, je me dis qu’il y a plein de choses auxquelles je pense
maintenant, quand je fais la comparaison avec ce qu’il se passe. Par exemple,
quand je vais voir des pièces professionnelles, je fais la comparaison : quand je
96
pense à ce que moi j’ai fait et à ce qu’ils font, ça doit être plus compliqué. »
On peut donc émettre l’hypothèse qu’une telle démarche de découverte par la pratique
amateur constituerait un bon moyen de sensibiliser les jeunes spectateurs au théâtre ou à
l’art lyrique et de préparer des venues au spectacle qui, si elles sont accompagnées par
des enseignants et anticipées par des lectures, constituent tout de même trop souvent un
pari sur la bonne tenue des élèves.
2.2. Un regard aiguisé sur les œuvres et un développement des
préférences
À partir de cette première découverte facilitée par la pratique, les participants apprennent
à savoir ce qu’ils aiment et aiguisent leur sens critique par rapport aux spectacles vus. Si
certains auteurs ont mis en avant la difficulté des primospectateurs à faire un choix au sein
d’une offre culturelle trop importante ou simplement trop impressionnante
le projet Kaléidoscope aide à franchir cette barrière de la première fois.
97
, il semble que
Au cours des entretiens, toutes les personnes interrogées ont à un moment ou à un
autre émis une préférence pour tel ou tel spectacle vu, pour l’opéra plutôt que pour la danse,
ou l’inverse, révélant ainsi que leurs goûts en matière de spectacles s’affinaient au fur et à
mesure des représentations. Et cette forme d’apprentissage n’a pas échappé aux personnes
« encadrant » le projet :
« Dès le premier spectacle, elles #les femmes participant au projet avec le centre
social Eugénie Cotton# ont été très critiques parce qu’il y avait deux propositions
des ballets de l’Opéra et donc elles disaient : moi j’ai préféré le premier, j’arrivais
94
COLIN, Bruno. Ibid. p. 175
95
Entretien avec Jean-Christophe, participant du groupe Factors (24/04/09)
96
Entretien avec Abel, participant du groupe Dark Party (17/04/09)
97
DOUBLET, Gérard. « Opéra : nouveau public, nouvelles pratiques » in DONNAT, Olivier, TOLILA, Paul. Ibid. Vol. 2. p. 220
Cousin Jeanne Leila
39
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
mieux à comprendre, mais alors le deuxième, j’ai rien compris du tout… Mais
98
elles étaient vraiment ouvertes. »
« Ils ont vu de la danse, des opéras très
pointus pour certains (…) Maintenant, c’est rigolo parce que j’étais samedi à
l’école de musique parce qu’on avait ouvert un nombre assez conséquent de
places pour Giselle et il y a une dame qui m’a dit : #Moi, je n’ai pas répondu parce
que le ballet, ça m’intéresse moins#. Donc ils commencent à devenir un peu
spécialistes, à choisir. Après, nous, notre tâche est peut être accomplie parce
99
qu’on s’aperçoit qu’ils ont un œil plus éclairé qu’au début. »
On peut donc y voir une sorte d’apprentissage puisque les participants ont, grâce au projet,
apprivoisé l’art lyrique ou la danse, pour commencer à se créer leurs propres repères de
goûts au sein de disciplines auxquels la plupart pensaient ne pas avoir accès.
2.2. Un profil qui gagne en dissonances grâce à l’action de
l’institution culturelle
Le constat qui peut être fait à partir des entretiens réalisés est sans appel : tous ont apprécié
ce qu’ils ont vu – ils ont parfois mieux ou moins aimé certains spectacles mais aucun n’a
délibérément choisi de ne plus répondre aux invitations de l’opéra parce que le spectacle
précédent l’avait déçu. Tous se montraient à chaque fois curieux de découvrir les œuvres.
Cela semble aller dans le sens d’Emmanuel Pedler pour qui l’opéra est un art
susceptible d’être apprécié par une population très large, mais c’est d’autant plus surprenant
pour la danse contemporaine, qui est un langage artistique particulièrement ardu. Ainsi, on
peut s’étonner que des femmes fréquentant le centre social Eugénie Cotton à Vénissieux
soient allées puis retournées à des spectacles de danse contemporaine. Certes, l’ouverture
d’esprit de Laïdia – qui n’aime pas rester enfermée chez elle et préfère aller se promener
dans le quartier et rencontrer des gens, qui est en outre toujours volontaire pour parler aux
100
journalistes
– laisse penser qu’une telle démarche aurait probablement été plus difficile
à mettre en œuvre auprès de personnes moins ouvertes. Mais la coordinatrice de l’action
au centre social souligne tout de même l’exploit accompli :
« On prend des risques des fois… C’est vrai qu’une fois on s’était dit qu’après
avoir vu un ballet de danse contemporaine, on pouvait aller voir ce qu’on veut !
Mais quelque part, c’était pas plus mal que ça commence par ça et c’est vrai que
101
ces personnes-là, elles ont beaucoup apprécié. »
98
Entretien avec Marie-Hélène Mathurin, responsable du secteur d’activités périscolaires au centre social Eugénie Cotton
(16/03/09)
99
Entretien avec Stéphanie Petiteau, responsable adjointe du pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon
(16/03/09)
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Entretien avec Laïdia, participante du groupe Les étoiles du soleil (07/05/09)
Entretien avec Marie-Hélène Mathurin, responsable du secteur d’activités périscolaires au centre social Eugénie
Cotton (16/03/09)
40
Cousin Jeanne Leila
Partie 3. Faire découvrir l’opéra autrement
Quant au groupe de facteurs de Vénissieux, ils ont désormais pris l’habitude de sortir de
temps en temps entre collègues, Jean-Christophe allant même jusqu’à prendre l’initiative
d’aller voir d’autres spectacles dans d’autres structures :
« J’ai été voir aussi – ça n’a rien à voir avec l’opéra – mais j’ai été voir aussi
Béjart qui est passé il n’y a pas longtemps. En fait, ça m’a donné envie de voir
des choses que je n’avais pas l’habitude de voir avant. Et ça a déclenché aussi je
pense chez d’autres personnes cette envie-là, et nous, quand on est invités par
102
l’opéra, c’est toujours une fête. »
103
Il semble donc bien que, selon la formule consacrée par Bernard Lahire
, le profil des
individus ayant participé au projet Kaléidoscope ait « gagné en dissonances » : alors qu’ils
n’avaient jamais franchi les portes de l’opéra, après avoir considéré que « ce n’était pas leur
monde » ou qu’ils « n’y avaient pas été initiés »
de danse ou d’art lyrique.
104
, tous apprécient désormais les soirées
Chapitre 3. Des freins matériels qui persistent
Néanmoins, en dépit de la diversification des pratiques constatée au cours des entretiens,
on ne peut pas minimiser l’effet d’une invitation gratuite pour une sortie en groupe qui
est encore souvent coordonnée – en tous cas pour les personnes les plus éloignées
géographiquement et socialement – par les animateurs locaux. À Axès libre ou au centre
social Eugénie Cotton, les structures constituent encore aujourd’hui le relais du pôle de
développement culturel pour toutes les propositions visant à inviter les participants du
projet Kaléidoscope ; une relation personnalisée ne s’est pas encore instituée et parmi les
personnes rencontrées, aucune n’a pris seule l’initiative de venir à l’opéra par le circuit
« normal ».
Si certains se disent prêts à revenir par eux-mêmes, à l’image de Danielle ou de JeanChristophe qui aimeraient prendre eux-mêmes une place pour aller voir un spectacle qu’ils
auraient choisi – « ce serait la moindre des choses après ce que l’opéra nous a donné »
105
– mais qui ne l’ont pas encore fait, faute de temps, d’autres mettent en avant l’aspect
financier et l’éloignement géographique qui constituent toujours des freins. En outre, il est
nécessaire de tenir compte du fait que, de par leur situation, les deux personnes citées ne
sont probablement pas parmi les plus éloignées de l’accès à la culture
106
.
« L’opéra, c’est chouette, c’est vraiment autre chose de voir un spectacle comme
cela, c’est vraiment grandiose. C’est ce qui fait que j’aime bien, parce qu’il y
102
103
104
Entretien avec Jean-Christophe, participant du groupe Factors (24/04/09)
LAHIRE, Bernard. Ibid.
Entretien avec Jean-Christophe, idem
105
106
Entretien avec Danielle, participante du groupe Mélissa (02/04/09)
Danielle joue de la clarinette et chante dans une chorale ; Jean-Christophe a déclaré écouter de la musique et en particulier
du jazz.
Cousin Jeanne Leila
41
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
a tout : le chant, la danse… Mais pourquoi est-ce que c’est aussi cher ? Je
prendrais bien un abonnement pour voir tous les spectacles de danse et d’opéra
107
si ce n’était pas aussi cher. C’est une question de prix. »
De la même manière, il est aisé d’extrapoler les propos tenus par Marie-Hélène Mathurin
à propos des difficultés rencontrées pour mettre en place les sorties à l’opéra, et qui ne
pourraient qu’être plus importantes si ces sorties n’étaient plus organisées par le centre
social :
« Quand c’est le vendredi, c’est même pas la peine parce qu’il y a toute
l’organisation familiale : les grands qui rentrent, le mari parfois qui est en
déplacement et qui rentre. Donc ce n’est pas qu’elles ne peuvent pas y aller,
qu’elles ont une interdiction formelle mais elles ne peuvent pas par rapport à
l’organisation familiale. (…) Et il faut vraiment organiser le retour, parce que
revenir aux Minguettes tard le soir, ça ne s’improvise pas. Il faut leur garantir
qu’on les ramènera bien devant la maison ou en tous cas qu’il y aura un transport
108
prévu. »
Il semble donc nécessaire de relativiser l’idée d’une diversification des pratiques culturelles
qui reste tributaire de freins matériels comme le prix d’une place d’opéra ou l’éloignement
géographique des individus. Il serait donc erroné d’affirmer que le projet Kaléidoscope
est générateur de nouveaux publics car en dehors de la participation aux ateliers et des
invitations qu’ils reçoivent, l’opéra reste éloigné des préoccupations et des habitudes des
participants. En outre, il est nécessaire de faire une différence entre les participants les plus
fragiles, les plus éloignés géographiquement et socialement de l’opéra et ceux qui, plus
intégrés, habitant par exemple les Pentes de la Croix Rousse, y retourneront peut être à la
faveur d’un ballet ou d’un opéra familier.
Olivier Donnat déjà l’avait souligné dans son étude et les professionnels du spectacle
vivant le constatent tous les jours : l’augmentation des pratiques amateurs, constatée par
ailleurs au cours des dix dernières années, n’entraîne pas mécaniquement une hausse de
la fréquentation des spectacles professionnels.
109
On peut donc conclure que le projet Kaléidoscope, comme d’autres projets d’action
culturelle construits sur le diptyque pratique amateur/venue accompagnée au spectacle,
contribue à une diversification relative des pratiques culturelles des participants : leur profil
gagne en dissonance grâce à l’appropriation symbolique d’un bien de culture légitime réputé
élitiste mais les barrières liées à son appropriation matérielle persistent.
107
Entretien avec Roucailla, participante des groupes Baryton Cie et Tsunami (15/04/09)
108
Entretien avec Marie-Hélène Mathurin, responsable du secteur d’activités périscolaires au centre social Eugénie
Cotton (16/03/09)
109
42
DONNAT, Olivier. Ibid. pp. 279-280
Cousin Jeanne Leila
Partie 4. La question de l’impact social : un constat flagrant dans les propos des acteurs
Partie 4. La question de l’impact social :
un constat flagrant dans les propos des
acteurs
La notion d’ « impact social » n’est pas quantifiable : quels outils pourrait-on utiliser pour
mesurer les bienfaits d’un projet d’action culturelle au plan social ? Il ne s’agit ici ni de recul
du taux de chômage, ni de baisse des interventions policières dans les quartiers difficiles
et pourtant, bon nombre d’acteurs s’accordent à dire que les retombées sociales de ces
actions sont indéniables. Pour tenter de contourner cette difficulté méthodologique, nous
avons cherché à mettre en évidence les changements constatés par les acteurs du projet
sur différents sujets qui nous semblaient se rapporter à une problématique sociale au sens
large du terme : rapport aux autres, rapport à soi et rapport à l’environnement. Dans cette
partie, nous effectuerons des rapprochements réguliers avec l’étude menée par Bruno Colin
110
à propos des Projets culturels de quartier
– programme d’établissement d’une vingtaine
de projets culturels dans des quartiers dits difficiles mené alors que Philippe Douste-Blazy
était ministre de la Culture – étude qui semble être relativement exhaustive quant aux enjeux
liés aux questions d’action culturelle.
Lors d’un discours établissant un premier bilan des Projets culturels de quartier, le
ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy émettait des propos susceptibles de donner
satisfaction à ceux qui avaient défendu l’action culturelle comme ayant une portée sociale
significative :
« Lorsqu’en avril 1996 j’ai lancé ce programme, je m’étais fixé pour objectif de
démontrer que le domaine culturel est l’un des points forts de la lutte contre
l’exclusion. (…) La lutte contre l’exclusion était l’objectif premier : les projets
culturels de quartier ont démontré que l’intervention artistique permettait à
des habitants de ces quartiers, jeunes et moins jeunes, d’acquérir des savoirfaire, mais aussi, une capacité à choisir, une confiance en eux qui leur donne le
goût de développer leurs propres projets, culturels, sociaux, ou économiques.
(…) Avec ce programme, nous sommes, croyez-le bien, dans un retournement
de valeurs. Lorsqu’on a reconnu que des populations, des personnes, dites
précarisées, sont dotées de compétences, lorsque l’on a compris que les
individus, considérés a priori comme captifs de situations, sont capables
également de développer des savoirs, la question se pose à nous, qui ne sommes
ni exclus, ni précarisés, de la place que nous faisons à ces démarches, de la
111
légitimité que nous leur accordons. »
110
111
COLIN, Bruno. Ibid
Philippe Douste-Blazy cité par COLIN, Bruno. Ibid. pp. 38-39
Cousin Jeanne Leila
43
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
À l’image de ces Projets culturels de quartier, on peut déceler dans les propos des différents
protagonistes du projet Kaléidoscope les signes de la prise en charge de certains objectifs
sociaux par cette action.
Chapitre 1. Des changements vis-à-vis des autres
1.1. Rencontre et convivialité
Le groupe comme espace de dialogue privilégié
Le premier point important qui se dégage des entretiens avec les protagonistes du projet
réside dans le bonheur et le plaisir qu’ils ont eu à se rencontrer, se retrouver pour répéter,
aller à l’opéra et échanger.
« C’est vrai que le projet Kaléidoscope demandait beaucoup de travail, beaucoup
d’efforts au sein même du groupe, ce qui nous a permis de nous côtoyer entre
nous, de partager des moments conviviaux avec le groupe, avec la formation
du groupe et des liens amicaux se sont créés par la suite. Parce que bien
évidemment quand on s’atèle à un groupe, c’est vrai que s’il n’y a pas un lien
112
amical, ça ne voudra strictement rien dire. »
En outre, certains groupes avaient pris l’habitude de se retrouver, en dehors des horaires
de répétition fixés avec l’intervenant, chez les uns ou les autres « pour goûter, pour discuter,
113
parfois aussi pour travailler en plus des séances normales »
. Les sorties à l’opéra
constituaient de plus de réels moments de convivialité puisque les groupes s’y rendaient
pour la plupart ensemble, ce qui explique en partie leur engouement : Gérard Doublet a en
effet souligné que la présence d’amis est la quatrième source de motivation citée par les
spectateurs d’opéra pour expliquer leur venue : ils accordent une importance particulière
aux discussions qui peuvent survenir après la représentation
114
.
Néanmoins, une des intervenante a insisté sur la nécessité pour le groupe, qui existe
pour un projet précis de création, de ne pas se transformer pas en « groupe de dialogue ».
C’est parfois le risque encouru, en particulier pour les ateliers d’écriture et quand les
115
participants décident de choisir comme matériau de travail des récits de vie.
Il est ainsi
possible de créer un climat de confiance qui facilite les relations privilégiées et le dialogue
mais l’intervenant et l’animateur issu de la structure doivent veiller à ce que la création reste
l’objet principal des rencontres.
L’art comme média pour la mise en place de relations privilégiées
112
113
114
Entretien avec Chérif, participant du groupe Macadam (15/04/09)
Entretien avec Danielle, participante du groupe Mélissa (02/04/09)
DOUBLET, Gérard. Ibid. p. 221
115
44
Entretien avec Francine Kahn, écrivaine intervenante (23/04/09)
Cousin Jeanne Leila
Partie 4. La question de l’impact social : un constat flagrant dans les propos des acteurs
116
L’apparition d’un espace de dialogue, déjà mise en avant par Bruno Colin
semble
donc bien exister au sein des groupes d’individus. Mais ces espaces de création devenant
espaces de convivialité à la faveur des répétitions successives, le projet Kaléidoscope peut
aussi dans certains cas être considéré comme média dans l’établissement de relations entre
les cultures ou au sein d’une équipe professionnelle.
À ce sujet, on peut rapporter ici les propos de deux participants :
« Pour moi, je me sens bien intégrée, je suis bien dans ma peau, je vois du
monde, donc un projet comme ça, ça ne change pas tant de choses pour moi.
Mais c’est très important pour certaines personnes qui sont isolées, comme les
jeunes de l’association de réinsertion : c’est génial pour eux ! #silence# Quoique,
l’autre jour, dans le métro, j’étais assise à côté de quelqu’un manifestement
maghrébin, il a commencé à me parler du changement d’heure et je lui ai
répondu, on a discuté. Est-ce que j’aurais agis pareil si je n’avais pas été intégrée
dans un projet long avec des personnes venant d’Afrique du Nord, je ne suis pas
117
sûre… »
Cet aveu, alors même que notre interlocutrice venait de sous-entendre que le projet était
peut être moins important pour elle sur le plan de l’ouverture aux autres que pour d’autres
personnes plus « isolées », n’est pas anodin : pour une habitante de Vénissieux – certes, la
petite maison dans laquelle elle nous a reçue est située relativement loin des Minguettes,
mais le tramway qui passe a quelques mètres transporte chaque jour une grande partie
de leurs habitants – le fait de se sentir peut-être un peu moins méfiante vis-à-vis des
populations d’origine maghrébine ne peut aller que dans le sens de meilleurs rapports entre
les différentes cultures.
Pour Jean-Christophe, par ailleurs supérieur hiérarchique des autres participants du
groupe Factors – qui rassemblait spécifiquement des personnels du centre de tri de
Vénissieux – le projet Kaléidoscope a constitué un moyen unique de découvrir ses collègues
sous un autre jour. Il revendique la mise en place de projets tels que celui-ci pour « souder
les équipes » et créer des rapports différents au sein de l’entreprise :
« C’est une chance inespérée pour nous de faire un spectacle, c’était
inimaginable ! De faire ça en plus ensemble, non seulement au niveau personnel
ça nous a enrichis, mais au niveau professionnel, moi en tant que manager, j’ai
des liens que je n’aurais certainement pas tissés autrement qu’avec ce projet-là.
(…) C’est une découverte des uns et des autres, c’est pour ça qu’on est parti làdessus et pour la Poste, je crois que c’est important d’avoir des projets comme
ça, tout simplement pour souder ses équipes. On a besoin de ça, sinon, on n’a
qu’un aspect hiérarchique qui rentre en ligne de compte et c’est dommage parce
118
que tous nos collègues ont une richesse intérieure qui est extraordinaire. »
La présence de la création et du travail artistique comme média bouleverse les termes
de la rencontre en mettant tout le monde sur un pied d’égalité. Nous terminerons en
citant les propos de Marie-Hélène Mathurin à propos d’une expérience de création croisée,
116
COLIN, Bruno. Ibid. p.173
117
Entretien avec Danielle, participante du groupe Mélissa (02/04/09)
118
Entretien avec Jean-Christophe, participant du groupe Factors (24/04/09)
Cousin Jeanne Leila
45
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
sur laquelle elle est longuement revenue au cours de l’entretien, entre des enfants des
Minguettes et des étudiants de l’école de comédie de Saint-Étienne – un projet dont elle dit
elle-même qu’elle ne s’y serait probablement pas risquée s’il n’y avait pas eu juste avant
la réussite de Kaléidoscope :
« L’action culturelle, c’est pas du luxe parce qu’il se vit des choses dans la
rencontre de deux mondes différents. Si je reprend l’exemple du projet avec
les enfants, il y a eu des jeunes de Saint-Étienne qui disaient : #C’est le choc
culturel !# (…) parce que les gamins ramenaient dans la création leurs difficultés
du quotidien, de façon inconsciente. (…) Et du coup, c’est vrai que c’était
intéressant de voir ces petits à côté du grand en train de se raconter leur vie. Et je
pense que s’il n’y avait pas eu comme média le théâtre, ça ne se serait peut-être
pas fait, parce qu’ils ne se seraient jamais croisés dans la rue et ne se seraient
119
jamais adressé la parole. »
Il s’agit là des propos d’une animatrice convaincue par l’utilité des projets d’action culturelle,
mais les différentes expériences rapportées ne peuvent que nous conduire à conclure que
ce type de projets contribue bien à créer des relations nouvelles entre les individus.
1.2. Reconnaissance et dignité
Fierté d’avoir participé
Bruno Colin évoque assez longuement la difficulté du traitement médiatique des actions en
direction des populations des quartiers : comment trouver l’équilibre entre valorisation du
projet et des réalisations des habitants, et mise en avant de la « misère du monde », qui
déforme souvent la réalité à la recherche de spectaculaire. L’auteur le rappelle : ce sont
bien les réalisations qu’il faut mettre en avant et l’écho médiatique est souvent source d’une
certaine fierté qu’il faut entretenir
120
.
Ainsi, les artistes et les responsables de structures locales ont tous mis en avant la
fierté des participants du projet Kaléidoscope quant à leur réalisation. Fierté de Laïdia qui va
raconter son expérience dans le journal, fierté des facteurs qu’on interpelle sur leur tournée
pour les féliciter, fierté de tous ceux qui ont donné leurs spectacles une dernière fois dans
leur maison de quartier ou leur centre social « juste pour le plaisir »
121
.
« Mais moi, en tant que Lyonnais, le plus grand moment, c’est la descente…
pour tout vous expliquer, on garait notre véhicule qui nous permettait de
promener nos vélos à la Poste principale, place Antonin Poncet. On prenait nos
vélos là et on remontait toute la rue de la République, quand même, pour un
Lyonnais comme moi, je crois que ça a été le plus beau souvenir de ma vie en
tant que Lyonnais c’est ça : c’est remonter à six en tenue de facteur la rue de la
119
Entretien avec Marie-Hélène Mathurin, responsable du secteur d’activités périscolaires au centre social Eugénie
Cotton (16/03/09)
120
COLIN, Bruno. Ibid. pp. 36-37
121
46
Entretien avec Danielle, participante du groupe Mélissa (02/04/09)
Cousin Jeanne Leila
Partie 4. La question de l’impact social : un constat flagrant dans les propos des acteurs
République et d’être interpellé par les gens (…) J’ai eu un sentiment de fierté et
122
ça m’a fait aussi beaucoup plaisir d’être avec mes collègues comme ça. »
Changement de regard de la part des proches
Dans les propos de ceux qui encadrent, on distingue plutôt l’importance du changement
de regard des proches qui, nous le verrons par la suite, est aussi lié à l’acquisition de
compétences nouvelles ou à la mise en avant de capacités jusque-là cachées :
« Au niveau de Kaléidoscope, ça a permis aux enfants, par rapport à leur maman,
de voir ce qu’elles étaient capables de faire, qu’elles n’étaient pas ridicules,
qu’elles étaient vraiment valorisées. Je pense que ça change aussi le regard des
parents et ça peut aussi changer le regard de l’environnement, des voisines… On
a eu des voisines qui sont descendues jusqu’à Lyon pour aller les voir. Je pense
que ça change les choses au niveau des relations sociales simplement. C’est un
média qui est intéressant pour ça parce qu’on ne fait pas du social, rien que du
123
social ! »
La prise en compte d’une personnalité capable de participer à un projet artistique de grande
envergure et qui semble s’épanouir en le faisant peut être fondamentale dans le cadre d’une
démarche de réinsertion. Dans le cas des facteurs, Jean-Christophe revendique la mise en
valeur de ses collègues qui ont, d’une certaine manière, prouvé qu’ils savaient faire autre
chose que distribuer le courrier. Ils ont ainsi particulièrement apprécié les représentations
sur la commune de Vénissieux qui ont rassemblé, parmi le public, certains de leurs clients.
« C’était pas la même chaleur tout simplement parce qu’à Vénissieux, les gens ils
voient les facteurs, d’ailleurs maintenant, quand mes collègues font la tournée, ils
se sont fait chambrer, mais gentiment au contraire, parce qu’ils les ont vu sous
un autre œil. D’ailleurs je pense même par rapport à ça, professionnellement
parlant, ça a prouvé qu’on était capable de faire autre chose que notre simple
métier, et pour les gens qui nous côtoient tous les jours, nos clients, et bien ils
nous voient peut-être autrement, ça leur prouve qu’on sait bouger, qu’on sait
124
avancer aussi et ça c’est important. »
Donner la parole à ceux qui l’ont trop peu
En outre, la possibilité, pour des individus que Pierre Bourdieu aurait qualifié de socialement
et culturellement dominés, de s’exprimer librement, par le biais de la création artistique,
sur des sujets qui leur tiennent à cœur, est pour eux une occasion unique de changer leur
regard sur eux-mêmes en apprenant à dire « je » ; cette « fonction d’information » est mise
en avant par Jean Caune comme une des fonctions de la culture en action. Il s’agit d’une
manière particulièrement positive de s’exprimer, qui ne passe pas par la confrontation ou
le rapport de force.
122
Entretien avec Jean-Christophe, participant du groupe Factors (24/04/09)
123
Entretien avec Marie-Hélène Mathurin, responsable du secteur d’activités périscolaires au centre social Eugénie
Cotton (16/03/09)
124
Entretien avec Jean-Christophe, idem
Cousin Jeanne Leila
47
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
« Plus les communications de masse tendent à faire circuler les informations
dans un seul sens, du centre à la périphérie, plus la culture en action devrait
pouvoir proposer des supports dans lesquels les groupes trouvent les moyens
de rendre compte de leur situation. Les expressions artistiques peuvent
contribuer, par leur efficacité spécifique, à dynamiser les réseaux par lesquels les
125
individus et les petites collectivités donnent leur point de vue sur la réalité. »
Pour Francine Kahn, qui possède une longue expérience des interventions dans les
quartiers, l’importance du « je » est capitale, en particulier pour des personnes que l’on
imagine aisément « en marge » de la société et la démarche de l’écriture, qui constitue un
moyen d’expression privilégié, parce que relativement accessible, est « au plan narcissique,
super importante »
126
.
« Il y a eu de leur part une très grande surprise de se dire d’abord on est reconnu,
on existe, il n’y a pas d’a priori. Parce qu’il y avait vraiment des femmes qui
étaient dans un état physique et moral extrêmement délabré, assez loin de
l’insertion, avec des parcours, des histoires…(…) Ce genre de projets, c’est très
important parce que ça leur donne confiance en eux-mêmes, ça leur donne une
127
dignité, ça leur permet de dire « je », c’est incroyable… »
L’idée qui consiste à soutenir l’expression de populations « laissées à l’écart » pour « résister
128
aux phénomènes de l’exclusion »
constituait déjà le fondement du théâtre dit « de
l’opprimé » inventé par Augusto Boal au Brésil. On peut aussi y voir, à l’image de Pierre
Heitz, un moyen de se rendre acteur de sa propre culture dans une société où tout est de
plus en plus uniformisé et où les pratiques culturelles passent davantage par les médias –
la télévision au premier plan – que par les rapports sociaux :
« Quelqu’un qui s’exprime, quelqu’un qui est entendu, quelqu’un qui est reconnu
pour ce qu’il fait, c’est une personne qui est un peu plus heureuse, un peu plus
calme. (…) C’est primordial parce que c’est toute la différence entre être actif
et être passif. Consommer de la culture ou être acteur de culture, c’est déjà
différent. Consommer, et prendre les choses en main soi-même et dire #je fais
moi-même les choses#, c’est complètement différent, c’est un autre regard sur
129
soi. »
Néanmoins, on peut éventuellement se demander si la reconnaissance et l’expression de
couches populaires peuvent être considérées comme la réalisation d’un objectif social, mais
à l’heure où les tensions entre communautés se multiplient dans une logique de prise en
compte et de reconnaissance des minorités, cela ne peut aller que dans le bon sens. Il n’est
évidemment pas question de dire qu’à l’échelle d’un quartier, une action comme le projet
Kaléidoscope est en mesure de pacifier les relations entre les habitants – si on prend pour
exemple les Minguettes, le projet a rassemblé un peu plus d’une centaine de personnes, sur
125
126
127
128
129
48
CAUNE, Jean. Ibid. pp. 351-352
Entretien avec Francine Kahn, écrivaine intervenante (23/04/09)
Entretien avec Francine Kahn, idem
COLIN, Bruno. Ibid. p.147
Entretien avec Pierre Heitz, metteur en scène intervenant (07/04/09)
Cousin Jeanne Leila
Partie 4. La question de l’impact social : un constat flagrant dans les propos des acteurs
une population totale de 25000 habitants
des rapports entre certains d’entre eux.
130
– mais cela peut contribuer à une amélioration
Chapitre 2. Des changements vis-à-vis de soi
2.1. Confiance en soi
Le gain en confiance en soi, favorisé par l’expression orale et l’expérience de la scène,
131
est un argument récurrent des défenseurs de l’action culturelle
. Le projet Kaléidoscope
ne déroge pas à cette règle et c’est surtout dans les propos de ceux qui connaissaient les
participants avant le projet et qui suivent leur parcours au quotidien que cette idée est la
plus présente.
On peut néanmoins citer les propos d’Abel, adolescent qui, sur scène, donnait
l’impression d’un garçon plutôt extraverti, voire très sûr de lui, et qui, devant la caméra de
la C.L.C. comme au cours de notre entretien, a affirmé que le projet Kaléidoscope l’avait
« changé » : « Ça m’a aidé un peu à me dégager parce qu’avant, j’étais super timide. Deux
ans avant, je n’aurais pas pu passer sur scène et dire mon texte. Maintenant, je suis plus
débloqué. »
132
La réaction de sa mère, arrivée à la fin de l’entretien et semblant attachée à nous
réaffirmer combien son fils avait été désinhibé par le projet Kaléidoscope, laisse supposer
que l’adolescent a peut être été aidé dans l’établissement de ce constat. Peu importe :
il semble bien que sa participation, qui, rappelons-le, a débuté sous la pression de ses
parents, lui ait permis de gagner une certaine facilité d’expression qui n’est pas rare chez
ceux qui pratiquent le théâtre en amateur.
Cependant, s’il est relativement aisé d’admettre que la pratique du théâtre et du chant
a pu donner confiance en lui à un adolescent de 13 ans, il est plus remarquable de
constater les changements de comportement chez des individus parfois encore éloignés
de la réinsertion, qui sont apparus consécutivement à leur participation au projet. On peut
ainsi mentionner les adhérents de l’association Axès libre, issus de structures telles que les
centres d’hébergement et de réinsertion sociale, dont certains ont été transformés par le
projet Kaléidoscope.
« Il y a deux personnes sur Kaléidoscope qui se sont complètement désinhibées
sur descendre dans le métro, prendre la rame et sortir du métro, c’était
compliqué pour elles parce que le monde, le métro, parce que le bruit, on est
en dessous, c’est fermé… Des personnes qui sont complètement agoraphobes
et claustrophobes et qui prenaient le métro sans aucune difficulté après. Donc
les gens, en avançant comme ça, sur un axe culturel, on s’aperçoit que ça leur
permet aussi, à côté de l’ouverture aux autres, de rencontres, des discussions,
130
131
Entretien avec Emmanuel Coustère, directeur Culture et Fête à la mairie de Vénissieux (27/04/09)
COLIN, Bruno. Ibid. p. 172
132
Abel dans Tous en scène 3 �DVD�. Lyon : C.L.C., 2008. 52 mn.
Cousin Jeanne Leila
49
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
une prise de confiance. Et là, on a une jeune femme, elle était à Kaléidoscope
l’année dernière et je l’ai retrouvée il n’y a pas longtemps sur une scène slam !
133
C’est hallucinant ! »
Dans cette logique, il est parfois nécessaire de veiller à ce que l’attrait du projet culturel ne
prenne pas le dessus par rapport à une démarche globale de réinsertion et Éric Jayat a
rapidement mis en garde contre le fait de faire de ces personnes des « super-cultureux » :
l’art et la culture dans ce cas-là doivent rester un vecteur d’insertion.
Autre population, autres avancées : dans le cas des femmes fréquentant le centre social
Eugénie Cotton, c’est l’apprentissage du français qui a été facilité par la participation au
projet Kaléidoscope. Certes, bien que le projet ait été proposé aux personnes de l’atelier
d’alphabétisation, il n’a en aucun cas remplacé ces ateliers, mais il a pu jouer un rôle dans la
prise de confiance des femmes face à la langue française dans laquelle elles avaient choisi
d’écrire leur texte. Marie-Hélène Mathurin prend ainsi l’exemple d’une des participantes, qui
devait régulièrement appeler le lycée de son fils et qui a peu à peu cessé de demander
aux animatrices du centre de le faire à sa place car, auparavant, elle avait peur de ne pas
maîtriser suffisamment le vocabulaire : « Et c’est vrai qu’à partir de la partie mise en musique,
quand il y avait déjà eu des présentations publiques, elle avait pris plus d’assurance donc
elle me disait : tu me fais juste le numéro et puis tu écoutes. »
134
Cette prise de confiance, mise en avant par ceux qui sont présents avant et après le
projet, est un élément fondamental de la construction des identités des individus et de leur
expression.
2.2. Sortir du quotidien
Certains des acteurs ont aussi mis en évidence la possibilité offerte par un projet
comme celui-là de sortir des préoccupations quotidiennes qui sont trop souvent celles des
populations en insertion : recherche d’emploi, gestion du logement, difficultés financières,
autant de problématiques dont il est agréable de pouvoir s’éloigner par la pratique artistique.
C’est peut-être ce qu’a voulu dire Chérif en remerciant l’opéra de lui permettre de
135
s’investir sur une « activité noble », qui change de d’habitude
; ou encore ce que révèlent
les propos de Roucailla sur le « souffle de culture » à apporter aux jeunes de quartiers :
« Il faut leur donner un souffle de culture quelque part. Ces enfants qui n’ont
rien à part les bêtises qu’on leur laisse faire, de temps en temps, il faut leur
apporter un peu de souffle, surtout pour la jeunesse actuelle qui pousse dans
des conditions horribles. L’école n’est plus ce qu’elle était, tout devient difficile
pour eux, ils ont très peu le soutien des parents pour la plupart. Ça leur apporte
136
un petit plus, un souffle de culture. »
133
Entretien avec Éric Jayat, président de l’association Axès libre (10/04/09)
134
Entretien avec Marie-Hélène Mathurin, responsable du secteur d’activités périscolaires au centre social Eugénie Cotton
(16/03/09)
135
136
50
Entretien avec Chérif, participant du groupe Macadam (15/04/09)
Entretien avec Roucailla, participante des groupes Baryton Cie et Tsunami (15/04/09)
Cousin Jeanne Leila
Partie 4. La question de l’impact social : un constat flagrant dans les propos des acteurs
Ces propos étant ceux d’une femme qui a toujours habité les Minguettes mais qui a décidé
de déménager car elle ne s’y sent plus chez elle, on peut considérer qu’ils traduisent
simplement une exaspération quant aux jeunes du quartier qui « jouent au foot et font des
bêtises », mais on peut aussi y voir la volonté de leur offrir la possibilité d’expérimenter autre
chose par le biais d’un projet culturel.
L’idée de projets sortant du quotidien est aussi défendue par Emmanuel Coustère qui,
dans l’entretien qu’il nous a accordé, prône la réalisation d’actions déconnectées d’une
logique purement utilitaire : « Il faut toujours alimenter la vie, la réflexion, la poésie, c’està-dire qu’il faut aussi sortir de l’utilitaire. (…) Au-delà de l’utilité, il y a aussi la question
de la poésie, des propositions qui sont décalées par rapport à la vie quotidienne. C’est
indispensable aussi. »
137
Certes, le terme de « poésie » et son opposition par exemple à l’ « utilité » du nouveau
tramway, peuvent apparaître comme une justification hâtive et avouons-le quelque peu
bancale, dans des quartiers où la nécessité matérielle est encore trop souvent présente.
Néanmoins, si le directeur Culture et fête ne voit dans les projets d’action culturelle
pas d’utilité directe, c’est précisément cet éloignement du quotidien qui, selon Stéphanie
Petiteau, fait leur force et leur richesse :
« Par la pratique culturelle, par l’engagement individuel autour de quelque chose
qui n’est ni le travail, ni l’argent, on arrive à faire levier sur les populations…
C’est pour ça qu’on est complémentaire des structures sociales de proximité et
138
que notre positionnement est juste. »
Être utile sans en avoir l’air, cela semble être l’idée maîtresse de ces propos, et c’est aussi
celle que défend une éducatrice impliquée sur un Projet d’action culturelle et citée par Bruno
Colin :
« Le contact avec l’artiste est de l’ordre du magique parce que l’artiste est
mythifié et que ce n’est pas de l’ordre du quotidien mais de l’événement. Ce
n’est pas banal. Je suis convaincue qu’une expérience artistique comme celle-là
vaut la peine d’être vécue, et que les enfants qui ont participé à cette création ne
seront plus vraiment tout à fait les mêmes. Mettre en jeu son vécu quotidien, c’est
une façon de déjouer la réalité, de ne pas subir les difficultés de la réalité liées à
139
ces quartiers. »
2.3. Responsabilisation
La question de la responsabilisation peut être abordée sur différents plans avec en premier
lieu celle des participants par l’engagement pris d’aller au bout de l’aventure, d’assister aux
ateliers pendant près de deux ans et de monter sur scène. Car si c’est justement le problème
de cet engagement qui a conduit le pôle de développement culturel à revoir ses exigences et
à proposer un engagement « à la carte » des groupes sur les étapes de création, la plupart
des groupes ont néanmoins été au bout du projet et ont joué le jeu des répétitions, pourtant
137
138
Entretien avec Emmanuel Coustère, directeur Culture et Fête à la mairie de Vénissieux (27/04/09)
Entretien avec Stéphanie Petiteau, responsable adjointe du pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon
(16/03/09)
139
COLIN, Bruno. Ibid. p. 51
Cousin Jeanne Leila
51
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
très fréquentes – jusqu’à deux fois par semaine – à l’approche des dates de représentations
140
.
Mais c’est probablement avec l’exemple d’Axès libre – compte tenu de la situation
particulière des participants, qui faisaient sans doute partie des personnes les plus « en
marge » impliquées dans le projet – que l’idée d’une responsabilisation est la plus forte.
Pour Carole Jacques, qui a été leur artiste-intervenante tout au long du projet, il faut mettre
au compte d’un véritable « amour du métier » leur prise de responsabilité par rapport à leur
participation régulière, qui leur a en outre permis de lever certains freins, par exemple quant
à la peur du métro.
« Et avec les personnes qui sont restées jusqu’au bout, on a senti une aisance et
un amour de ce métier… À la fin, ces personnes se sentaient vraiment artistes,
c’était leur métier et ils allaient monter une troupe et ils allaient faire ça ! Et une
conscience professionnelle absolument incroyable : quand il y en avait un qui
était absent à une répétition, il se faisait lyncher par les autres ! #rires# Mais en
attendant qu’il soit là pour se faire lyncher, chaque personne trouvait le moyen
de se responsabiliser et trouvait le moyen de remplacer la partie des absents.
Il y avait une prise en charge du projet, c’était vraiment une faute grave que de
se tromper… parce que ceux qui ne venaient pas, souvent c’est parce qu’ils
s’étaient trompés de métro, souvent c’était des petites erreurs comme ça, un peu
141
bêtes. »
Pour certaines personnes qui n’ont par exemple pas d’emploi, le fait de retrouver un certain
rythme en se rendant régulièrement à des ateliers, de participer à un véritable travail collectif
de création peut permettre d’acquérir un certain nombre de repères et de « renouer avec
le goût et le sens de l’effort »
142
.
2.4. Expression de la créativité et acquisition de compétences
Le dernier point que nous évoquerons ici est probablement le plus tangible : celui de
l’acquisition de compétences artistiques ou créatives. Dans le cas des participants, qui
n’avaient pour la plupart jamais eu de pratique artistique, cette acquisition est à la fois
flagrante – certains n’avaient jamais chanté ou suivi un rythme – et relative – aucun n’est
devenu en l’espace de deux ans un comédien ou un chanteur hors pair.
Tous les observateurs, et en particulier ceux qui ont été présents du début à la fin du
projet, ont été surpris par l’ampleur des progrès réalisés par les participants.
« Moi, ma surprise, c’est des gens que j’ai vus commencer très timidement, à
se dire : non, je ne monterai pas sur scène, non, moi je ne suis pas capable,
à commencer sur ces postulats-là, et que je vois maintenant sur la scène de
l’Amphithéâtre s’éclater, partager. Je suis moi-même étonnée que mes propres
stéréotypes soient partis en fumée. C’est des groupes pour lesquels je me
disais : on part de loin… Et puis non, ils y arrivent, ils ont envie. C’est super
140
141
142
52
Données recueillies au cours du stage réalisé au pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon
Entretien avec Carole Jacques, musicienne intervenante (17/04/09)
COLIN, Bruno. Ibid. p. 159
Cousin Jeanne Leila
Partie 4. La question de l’impact social : un constat flagrant dans les propos des acteurs
143
bien d’être étonné par ce qui se passe. »
« Je suis assez content car je
n’aurais pas pensé qu’on arrive là où on en est arrivé avec pas mal de groupes…
Pareil : si on y arrive… on peut dire j’aime, j’aime pas mais après il faut voir d’où
viennent les gens, d’où ils sont partis, des gens qui n’avaient souvent jamais
rien fait de musique, de théâtre, parfois des milieux difficiles, loin des offres
144
culturelles et là, quand on voit ce qu’ils font, c’est quand même génial. »
Si nous n’avions pas nous-même assisté aux représentations et suivi les six derniers
mois du projet, nous aurions pu taxer ces propos au mieux d’exagération, au pire
d’autosatisfaction. Mais les progrès effectués par les participants ont été réels : ils ont appris
à suivre un rythme, à chanter ensemble, à imaginer une mélodie à partir de paroles aussi
pour certains. Et cette acquisition est à mettre au crédit des artistes qui ont eux-mêmes mis
à profit leurs techniques d’apprentissage – techniques qui, pour Jean Caune, sont propres
à remplir la « fonction de créativité » de la culture en action
145
.
« Avec Axès libre, on a travaillé un très long moment, peut être pendant quatre
mois, sur la fabrication de matériau sonore, leur donner une aisance vocale, leur
donner un peu de technique aussi, sans qu’ils s’en rendent compte, dans des
jeux, en se baladant dans l’espace, en faisant les statues, en se mettant seul face
à un groupe à raconter une histoire… plein de situations qui les ont mis à l’aise
face à un public et prêts à lâcher les choses aussi. (…) acquérir les éléments
qui vont te mettre à l’aise dans la discipline et après, une fois que tu as acquis
les éléments – ça c’est dans le musical, le théâtral – mettre le sens : le sens du
phrasé, la ponctuation. Et ensuite, te mettre sur scène et donner. Donc c’est
146
énorme tous les acquis qui vont s’ajouter, qui vont participer à la création. »
On peut enfin mentionner le fait que le deuxième volet du projet Kaléidoscope mettra encore
davantage l’accent sur la notion de compétence puisque les participants ont eu à choisir
deux disciplines dans lesquelles ils souhaitent se perfectionner en vue du spectacle : gospel,
chant choral, couture, technique vocale etc.
Chapitre 3. Des changements vis-à-vis de
l’environnement
3.1. Relation aux territoires
La personne la plus à même d’évoquer les effets positifs qu’un projet tel que Kaléidoscope
peut avoir sur la perception du territoire par les habitants est probablement Emmanuel
143
Stéphanie Petiteau dans Tous en scène 2 �Dvd�. Lyon : C.L.C., 2008. 52 mn.
144
Richard Dubelski dans Tous en scène 3. Ibid.
145
146
CAUNE, Jean. Ibid. p. 350
Entretien avec Carole Jacques, musicienne intervenante (17/04/09)
Cousin Jeanne Leila
53
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
Coustère, interlocuteur privilégié du pôle développement culturel dans le cadre du
partenariat entre la ville de Vénissieux et l’Opéra de Lyon.
Si Bruno Colin mentionnait l’image, positive ou négative, qui pouvait être donnée des
147
quartiers à travers la médiatisation d’un projet culturel
, à l’échelle locale, il n’est pas
forcément nécessaire de passer par les médias pour parler d’une action et ainsi valoriser
le territoire qui l’accueille.
« Je pense que de toute façon, la dynamique que ça apporte ponctuellement,
dans tel ou tel quartier, à telle ou telle période de l’année, fait que ça fait circuler
une sorte d’énergie qui n’est pas simplement au niveau du territoire de la
commune. C’est quelque chose qui fait vivre la ville, qui fait vivre les habitants,
et qui fait qu’ils se sentent exister, reconnus à travers les projets dont on peut
parler, aussi bien au niveau du territoire et à l’extérieur, sur l’agglomération et
c’est, je pense, une notion de valorisation du territoire et des habitants qui y
148
habitent. »
Cela est d’autant plus vrai pour la ville de Vénissieux dont la participation a été la plus mise
en avant au plan médiatique, probablement du fait de l’incongruité du partenariat qui unit
une des communes les plus populaires de l’agglomération et l’institution lyrique.
En outre, Monsieur Coustère admet que, même si le projet Kaléidoscope ne concerne
qu’une petite partie des habitants de Vénissieux et surtout des Minguettes, le fait que le reste
de la population en entende parler, par des voisins, des amis, au centre social – presque
tous les groupes se sont produits au sein de la structure dans laquelle ils répétaient – ou
dans les colonnes du journal local Expressions, qui a particulièrement bien relayé l’action,
est déjà un gage de réussite.
« L’impact, il n’est pas forcément direct en termes de consommation culturelle, il
est indirect en termes de perception autre que les habitants peuvent avoir de leur
quartier : il s’y passe des choses, aussi bien qu’il peut y avoir des œuvres d’art
dans l’espace public, souvent on ne les voit plus, on ne les voit pas et pourtant
elles sont là. Et quand pour les journées du patrimoine, on va faire une ballade
contée en bus où on va emmener cinquante personnes parce qu’il n’y aura que
cinquante personnes qui se seront présentées, ça ne sera pas grand chose
mais il n’empêche qu’on se déplacera sur le territoire de la commune et on fera
quelque chose d’inhabituel qui sera vu par 150, peut être 200 personnes sur le
plateau #des Minguettes# ou ailleurs. Donc c’est ce côté décalé, inhabituel qui
est source d’interrogations et à partir de là, on a une accroche, une amorce de
149
quelque chose. »
Mais si le projet Kaléidoscope a eu un effet plutôt positif concernant la perception de
territoires qui sont trop souvent catalogués comme peu accueillants, voire sensibles, l’Opéra
de Lyon a aussi pu bénéficier d’une image positive portée par l’idéal d’ouverture.
147
COLIN, Bruno. Ibid. pp. 36-45
148
Entretien avec Emmanuel Coustère, directeur Culture et Fête à la mairie de Vénissieux (27/04/09)
149
Entretien avec Emmanuel Coustère, directeur Culture et Fête à la mairie de Vénissieux (27/04/09)
54
Cousin Jeanne Leila
Partie 4. La question de l’impact social : un constat flagrant dans les propos des acteurs
3.2. Perception des institutions culturelles par le public
Le choix de l’Opéra de Lyon de sortir de ses murs pour aller à la rencontre de publics qui
n’en sont pas, et de persister dans la démarche en s’affichant dans les rues de Lyon et
de Vénissieux comme établissement permettant à des amateurs de créer des spectacles
dans des conditions professionnelles contribue aussi à transformer son image auprès de
la population.
Dans sa contribution à l’opus 4 de la série Culture publique, Jean Blaise mettait déjà
en avant cette problématique du « sortir » :
« Ce travail d’imprégnation est le seul aujourd’hui qui soit susceptible de
sensibiliser, d’accoutumer… On sait très bien que ce n’est pas dans nos théâtres
que cela se passe, même avec des politiques volontaristes telles que celles qu’on
appliquait dans les années 1970… Je ne dis surtout pas qu’il faudrait supprimer
ces lieux, mais si on a la prétention de #démocratiser#, il faut en sortir, aller sur
l’espace public, qui est un espace complexe puisqu’il appartient à tout le monde.
150
#Nos# espaces culturels nous appartiennent. »
Cette nécessité de sortir de l’espace traditionnel fermé a été bien comprise par l’Opéra –
Pierre Heitz définissait lui aussi deux démarches à ce sujet : « montrer que ça existe dehors
151
puis venir à l’intérieur »
. Mais le plus surprenant est que l’enjeu a aussi été perçu par les
participants : les entretiens ont montré que certains se sentaient investis d’une mission pour
aller changer l’image de l’opéra, puisque eux-mêmes avaient découvert qu’il s’agissait d’un
art accessible : « C’est l’idée d’apporter aux autres, même si c’est à une infime partie, de
leur montrer que l’opéra n’est pas un lieu fermé. Ça fait tilt dans la tête d’une personne. »
152
La jeune retraitée regrette que la pluie tombée le 7 juin 2008 ait obligé l’opéra à annuler
les représentations en plein air, prévues sur le plateau des Minguettes et raconte avec fierté
la répétition générale du défilé de la Biennale de la danse, que les bénévoles avaient réussi
à faire passer entre les tours :
« Des grands-mères qui ne pouvaient pas marcher voyaient le spectacle du
trottoir, de leur balcon ; on était en costume, en générale, mais elles savaient que
ça venait de leur ville. (…) Et quelques grands-mères ont incité leur petite fille à
153
venir parce qu’elles ont compris ce qu’on faisait. »
Il semble donc bien que les participants soient animés d’une réelle envie d’investir leur
territoire, tout en montrant que ce qu’ils ont fait dans le cadre d’un projet coordonné par une
structure culturelle d’excellence est à la portée de chacun. Chacun des protagonistes est
donc valorisé par son action : les structures culturelles et les équipements de proximité, les
participants, ce qui valorise le territoire lui-même.
À travers ces témoignages, on ne peut que constater les petites avancées auxquelles
la participation à un projet d’action culturelle a contribué. Il n’est évidemment pas question
150
BLAISE, Jean. « Il faut aller dans l’espace public » in Culture publique opus 4 : La Culture en partage. Paris : Sens &
Tonka, 2005. p. 153
151
152
153
Entretien avec Pierre Heitz, metteur en scène intervenant (07/04/09)
Entretien avec Roucailla, participante des groupes Baryton Cie et Tsunami (15/04/09)
Entretien avec Roucailla, idem
Cousin Jeanne Leila
55
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
d’ériger ces projets en « remède miracle » de tous les maux de la société mais de reconnaître
qu’ils ont la capacité de prendre en charge un certain nombre d’objectifs sociaux en termes
d’établissement d’un dialogue entre les populations, de valorisation de l’image de soi – qui
ne peut être que positive pour des personnes inscrites dans une démarche de réinsertion
– par l’acquisition de compétences et la prise de confiance. Il s’agirait donc de moyens
détournés de concourir à la réalisation d’objectifs sociaux.
Pour conclure cette partie, nous mentionnerons ici quelques aspects mis en évidence
par l’association Arts et Développement, qui a mené des ateliers dans des quartiers de
154
Marseille
. Il s’en dégage l’idée que l’action culturelle permet le « mélange des âges »,
l’évitement des ségrégations et « le passage de la trace au langage », que l’on pourrait
traduire par l’enrichissement de la communication entre les individus par l’apprivoisement du
langage : « Pour un public accoutumé à l’accumulation des échecs économiques, sociaux,
culturels ou affectifs, il y a là une offre d’accès au plaisir et à la liberté qui n’est pas entachée
du danger de la note. »
155
Enfin, s’il ne constitue pas un « objectif social » au sens strict, le plaisir manifestement
éprouvé sur scène par les participants – que nous avons pu observer – et la tristesse que
toutes les personnes interrogées ont mentionnée au cours des entretiens à l’évocation de la
fin du projet suffit à justifier l’existence de telles actions. Mais alors même que nous venons
de conclure à la prise en charge d’objectifs sociaux par les projets d’action culturelle, nous
allons voir que les propos recueillis révèlent de nouvelles attentes de ces populations visà-vis des artistes et des institutions culturelles.
154
155
56
Rapport cité par COLIN, Bruno. Ibid. p. 168
COLIN, Bruno. Ibid. p. 169
Cousin Jeanne Leila
Partie 5. Une nouvelle attente vis-à-vis des artistes et des institutions culurelles : être engagés
dans la société
Partie 5. Une nouvelle attente vis-àvis des artistes et des institutions
culurelles : être engagés dans la société
Chapitre 1. Les artistes et les institutions investis de
nouvelles missions à visée sociale
La prise de conscience croissante par les structures de proximité et les pouvoirs publics
des effets positifs des projets d’action culturelle a pour conséquence que de plus en
plus d’individus considèrent que l’investissement des établissements de production et de
diffusion artistique auprès des individus éloignés de la culture fait partie de leur mission, en
particulier lorsqu’ils sont subventionnés. L’idée que l’argent public soit utilisé pour le seul
plaisir d’un petit nombre de personnes aux revenus le plus souvent confortables n’est plus
acceptée par les tutelles institutionnelles des établissements et par les groupes d’individus
qui sont tenus à l’écart.
Cette tendance est largement présente dans les propos des protagonistes du projet
Kaléidoscope.
1.1. Constat dans les propos des interrogés
« N’importe quelle institution devrait pouvoir se rendre disponible à tout un
chacun, montrer qu’elle existe pour tout le monde. Après, culturellement, les
gens qui vont à l’opéra, c’est qu’il y a une culture de l’opéra ou dans leur famille
ou dans leur milieu. Si tu n’es jamais allé à l’opéra, en effet, c’est peut-être à
l’opéra de venir te chercher, ou des organismes comme Axès libre qui sont un
genre de pont entre ces institutions, qui peuvent dire à ces personnes que c’est
possible aussi, essayer de casser ces repères socioculturels. Mais ce n’est pas
évident parce que c’est une institution imposante et qui peut faire peur aussi :
l’opéra, tu sors ta fourrure, ton grand chapeau, si tu n’as pas de fourrure et de
grand chapeau et que tu n’y connais rien, tu peux facilement te dévaloriser, te
156
dire que ce n’est pas pour toi. »
Dans ces propos, on distingue clairement une attente vis-à-vis des institutions culturelles.
Certes, cette attente n’est pas nouvelle et elle résulte – encore – de l’idéal de
démocratisation qui était prôné par Malraux. Mais si Malraux comptait sur le simple contact
avec l’œuvre d’art, et le choc qu’il entraîne, pour « convertir » les classes populaires à l’art,
156
Entretien avec Carole Jacques, musicienne intervenante (17/04/09)
Cousin Jeanne Leila
57
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
on attend désormais des établissements culturels qu’ils développent des outils de médiation
pour favoriser et préparer cette rencontre avec l’œuvre.
À l’image de Marie-Hélène Mathurin et Éric Jayat, qui travaillent pourtant avec des
fonctionnements différents et auprès de publics qui le sont aussi, les salariés ou les
bénévoles investis sur le terrain sont particulièrement en demande d’actions de qualité
proposées par les établissements culturels. Dans les maisons de quartier, centres sociaux,
il s’agit de proposer des activités artistiques originales pour lesquelles les animateurs
permanents n’ont pas les compétences (ateliers d’écriture, chorale, théâtre, voire, dans le
cas de Kaléidoscope, création de spectacle) ; dans une association comme Axès libre,
dont l’objectif principal est de prendre appui sur l’art et la culture dans une démarche de
réinsertion, les besoins résident dans l’établissement de partenariats avec les structures
culturelles et les artistes pour pouvoir emmener les adhérents au spectacle, tout en mettant
en place des ateliers de pratique
157
.
Néanmoins, un paradoxe se dégage des propos des participants : si certains se sont
montrés surpris que ce soit l’Opéra, institution élitiste par excellence, qui ait entrepris une
telle démarche, tous ont affirmé que l’ouverture faisait partie de la mission des institutions
culturelles. Roucailla est même allée jusqu’à émettre le souhait qu’il y ait chaque saison
une représentation gratuite pour que « les gens comme �elle�, dans le même état d’esprit,
158
qui sont intéressés, puissent y aller »
. Mais la contradiction réside dans le fait que,
comme nous l’avons évoqué précédemment, parallèlement à ce discours, tous se sont
montrés reconnaissants vis-à-vis de l’Opéra. Il semble donc que la mission d’ouverture ait
été intégrée comme une mission théorique et légitime des établissements culturels mais
qui, dans les faits, n’est jamais mise en œuvre.
Paradoxalement, on ne peut que constater, avec Bruno Colin, qu’on interroge d’ores et
159
déjà l’action culturelle sur des critères d’évaluation liés à l’impact social
. Et de la même
manière, c’est en tant qu’acteur de la société, agissant sur son territoire dans le domaine de
compétences qui est le sien, que l’Opéra de Lyon se positionne dans ce domaine. Mais cette
nouvelle mission ne peut être réalisée sans le concours des structures locales, maisons
de quartier, centres sociaux, associations, qui sont historiquement les porteurs de l’action
socioculturelle au plus proche de la population.
1.2. Conséquences de ces nouvelles missions sur les relations entre
structures culturelles et structures sociales
Les relations entre établissements culturels volontaires pour s’investir auprès de publics qui
ne sont pas traditionnellement les leurs et les structures de proximité, qui ont historiquement
assumé la charge de l’action socioculturelle dans les quartiers, ne sont pas toujours aisées
à mettre en œuvre. En général, on peut y déceler un mélange de rivalité, de crainte, et
de conscience que l’autre est un partenaire nécessaire. Dans la mesure où de plus en
plus d’institutions culturelles s’engagent sur le terrain du travail en direction des publics des
quartiers, il est nécessaire de redéfinir les missions de chacun, qui sont en réalité pleinement
complémentaires.
157
158
159
58
Entretien avec Éric Jayat, président de l’association Axès libre (10/04/09)
Entretien avec Roucailla, participante des groupes Baryton Cie et Tsunami (15/04/09)
COLIN, Bruno. Ibid. pp. 28-29
Cousin Jeanne Leila
Partie 5. Une nouvelle attente vis-à-vis des artistes et des institutions culurelles : être engagés
dans la société
« Une intervention dans le champ social va presque toujours interférer avec
les actes quotidiens de ces agents de la fonction publique territoriale ou du
secteur associatif. Si elle est en capacité de faire renaître chez des habitants
des motivations et offrir ainsi, aux stratégies d’éducation et de mise en œuvre
de parcours d’insertion, des supports pédagogiques inédits dont l’exploitation
conduit généralement à d’excellents résultats, elle peut également venir
160
bousculer les habitudes et faire surgir des conflits. »
Une nécessaire co-construction des projets par les établissements culturels
et les structures de proximité
Dans le cadre de Kaléidoscope, c’est suite à la réaction des structures auxquelles elles
étaient allées présenter le projet que les responsables du pôle de développement culturel
ont décidé de modifier quelque peu son contenu, par la remise en cause de l’engagement
sur deux ans, et par la prise en compte de la réelle volonté des structures de permettre aux
participants du projet de voir des spectacles.
« Elles #les structures de quartier# voulaient travailler avec l’Opéra mais c’est
le projet qu’on leur proposait, c’est-à-dire qu’ils s’attendaient à ce qu’on ouvre
gratuitement les portes. Ce qu’ils voulaient c’était avoir des générales, avoir
des visites, ce qu’on avait déjà fait et ils avaient adoré mais ils pensaient qu’on
n’allait leur demander que ça, consommer… Enfin, j’exagère un peu mais c’est
l’idée générale. Et là, comme on leur demandait de pratiquer, la réticence était
sur cette idée d’exigence : avec l’Opéra, on sait bien que ça va être différent,
même intuitivement… Il y a quand même une image de marque qui fait que les
gens s’attendent à quelque chose de vraiment difficile. Qualitativement on est
exigeant donc il y a eu un mouvement de recul en disant que si on y va, on va
nous demander d’en faire beaucoup, peut être même trop pour nous, donc on n’y
161
va pas. »
Ces propos traduisent bien la nécessité pour les institutions de co-construire les projets
avec les structures de proximité, ou au moins de les consulter pour savoir à quel type
de public le proposer, quelles sont les difficultés qui peuvent être rencontrées, quelle
fréquence d’ateliers est la plus judicieuse. En effet, ce sont les structures, par le biais
des animateurs qu’elles emploient et qui sont quotidiennement auprès des personnes
visées, qui connaissent le mieux les personnes, leurs attentes, leurs limites… Mais le projet
Kaléidoscope est aussi la preuve que ces limites peuvent être dépassées puisque presque
tous les groupes sont restés jusqu’au bout, un point sur lequel aucun animateur ne voulait
s’engager.
Un équilibre à trouver dans la relation artiste/animateur
En outre, les relations entre l’artiste, un individu extérieur qui vient intervenir sur un temps
limité et en général de manière relativement intense, et l’animateur, qui est présent avant,
pendant et après le projet et qui connaît son public, sont aussi primordiales pour le bon
déroulement de l’action. Ainsi, Francine Kahn explique l’abandon d’un groupe auprès
160
COLIN, Bruno. Ibid. p. 46
161
Entretien avec Hélène Sauvez, responsable du pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon (16/03/09)
Cousin Jeanne Leila
59
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
duquel elle est intervenue par le manque de suivi et de volonté du représentant de la
structure, tout comme elle met en avant l’investissement d’une autre animatrice dans la
162
réussite d’un groupe réunissant des femmes parlant à peine français
. De la même
manière, Carole Jacques a souligné à de nombreuses reprises au cours de l’entretien le
« rôle d’intermédiaire, de cadre stabilisant » d’Éric Jayat, qui était présent à chacune des
répétitions :
« Ils permettent de donner une confiance aussi, ils ont un rôle
d’accompagnement, de béquille, de soutien et de rappel aussi. (…) Et puis
l’encouragement aussi, le fait qu’il y ait un regard extérieur qui les regarde
travailler… Du coup, c’était un public qui était permanent. (…) Éric voyait les
personnes évoluer au fur et à mesure, progresser et se sentir à l’aise, oser des
choses de plus en plus, et ce regard extérieur a permis de donner la confiance à
163
ces gens. »
À l’inverse, et parce qu’on entend souvent parler d’animateurs qui ne parviennent pas à
se mettre en retrait, la présence de l’artiste est, pour Marie-Hélène Mathurin, justement un
moment privilégié pour prendre du recul, favoriser l’intégration d’un nouveau référent, et cela
est d’autant plus bénéfique pour un public d’enfants, que les animateurs habituels peuvent
164
parfois avoir tendance à « materner »
. L’animateur doit ainsi assumer simplement un
rôle de médiateur et de relais, par exemple pour la mise en place des séances de répétition.
On le voit donc bien, un projet d’action culturelle ne peut aboutir que dans le cadre
d’un double partenariat : entre l’institution culturelle et la structure de proximité pour le
montage du projet, et entre l’artiste et l’animateur référant pour sa réalisation. Il faut donc
que chacun trouve sa place et se sente reconnu dans sa fonction. Ce n’est en outre que
dans ces conditions que l’action culturelle pourra remplir ses objectifs sociaux car le suivi
par les animateurs habituels est primordial pour gérer et mettre à profit les retombées de
ces projets.
1.3. Une communication interne au sein des institutions culturelles à
développer
La question de la perception par le personnel des structures culturelles nous a été suggérée
par des discussions avec certains salariés de l’Opéra de Lyon au sujet de cette étude. Dans
la mesure où se dessinaient des points de vue relativement partagés sur l’action, nous avons
choisi d’interroger, de manière informelle et anonyme, quelques personnels de l’institution
pour en savoir davantage.
Il s’en dégage que le projet n’a pas été compris par tous et que si globalement, l’opinion
générale est que l’« idée est bonne en soi », les méthodes employées n’ont pas forcément
été les bonnes.
On peut ainsi distinguer deux types de critiques : les critiques liées au manque
d’information des spectateurs, et celles qui concernent le défaut d’implication des
personnels en interne. Les premières ont été évoquées par deux de nos interlocuteurs qui
162
163
164
60
Entretien avec Francine Kahn, écrivaine intervenante (23/04/09)
Entretien avec Carole Jacques, musicienne intervenante (17/04/09)
Entretien avec Marie-Hélène Mathurin, responsable du secteur d’activités périscolaires au centre social Eugénie Cotton (16/03/09)
Cousin Jeanne Leila
Partie 5. Une nouvelle attente vis-à-vis des artistes et des institutions culurelles : être engagés
dans la société
ont souligné que la plupart des spectateurs « ne savaient pas ce qu’ils voyaient » : ils
croyaient voir des spectacles de l’Opéra de Lyon alors qu’ils étaient face à des amateurs
dont la qualité des productions était très disparate. Le mot d’« amateurs » aurait ainsi dû
apparaître de manière beaucoup plus claire sur les supports de communication – il y figurait
pourtant en gros caractères. Une des personnes interrogées a même évoqué le caractère
négatif du projet sur l’image de l’établissement, révélant ainsi un attachement certain à l’aura
et à la réputation que l’institution doit à son excellence.
Le deuxième pôle de critiques – le manque d’information et d’implication des personnels
internes en amont de l’opération – s’explique par le rythme de travail général de l’ensemble
des services : nos interlocuteurs nous ont ainsi confié que dans une structure où le personnel
est « déjà débordé », Kaléidoscope est apparu comme « un projet de plus qu’il fallait
mettre en œuvre ». Ce sentiment est probablement accentué par le soutien sans faille de
la direction au pôle de développement culturel et au projet Kaléidoscope.
Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Hélène Sauvez s’est révélée consciente que
165
« les vrais critiques au sens négatif du terme ont été émises par l’interne »
, un constat
qu’elle explique par la nature des critères de jugement de ses collègues, liés à l’exigence
artistique de l’institution, qui est pour un grand nombre d’entre eux accentuée par un
attachement à l’excellence. D’après elle, « ils n’ont pas perçu, voire pas encore perçu,
l’objectif social qui était absolument prépondérant ».
De là à constater un déficit de communication interne qui a conduit à une implication
insuffisante des personnels, il n’y a qu’un pas. Et pourtant, quelques minutes avant au cours
de l’entretien, Stéphanie Petiteau avait mis en avant la curiosité des personnels de l’Opéra
par rapport aux actions menées par le pôle, soulignant qu’ils étaient « de plus en plus
166
demandeurs d’être impliqués dans ces actions-là »
. Il semble donc bien qu’il y ait encore
quelques ajustements à effectuer à ce niveau, en particulier quand le service est appelé à
travailler en transversalité avec les autres services dans des projets d’ouverture :
« Non, la position du pôle de développement culturel n’est pas particulière,
elle est la position de tous – et c’est comme ça que l’a voulue Serge Dorny : on
est ici une tête de pont pour engager l’ensemble de la maison sur des actions
à l’extérieur et aussi à entretenir des relations avec d’autres personnes. (…)
Travailler en transversalité, entre les différents services, tout ça c’est des choses
167
que le reste du personnel n’a pas forcément l’habitude de faire. »
Chapitre 2. La réapparition d’interrogations quant à
l’autonomie des artistes et des institutions
Avec la prise en compte croissante des apports possibles de l’action culturelle par les
pouvoirs publics, on voit ressurgir, chez les artistes en particulier, des inquiétudes sur une
éventuelle remise en cause de leur autonomie artistique par des obligations d’interventions
165
166
167
Entretien avec Hélène Sauvez, responsable du pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon (16/03/09)
Entretien avec Stéphanie Petiteau, responsable adjointe du pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon (16/03/09)
Entretien avec Hélène Sauvez, responsable du pôle de développement culturel de d’Opéra de Lyon (16/03/09)
Cousin Jeanne Leila
61
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
pédagogiques en contrepartie de subventions à la création par exemple. Cela ouvre la voie
à de nombreuses questions dont la première réside dans la capacité des artistes à être de
bons intervenants et leur motivation à le faire.
2.1. La question de la motivation des artistes
Un comédien, un musicien ou un danseur n’est pas un médiateur. Certains d’entre eux
peuvent avoir des facilités naturelles dans le contact avec les jeunes ou avec des publics
particuliers, mais ce n’est pas le cas de tous et la question de la motivation des artistes
lorsqu’ils sont impliqués dans des démarches de développement culturel est aujourd’hui
cruciale.
« La quête d’une « bonne conscience » et d’une satisfaction morale d’un côté, la
recherche pure et simple, là où ils se trouvent, de financements complémentaires
permettant de prolonger une démarche personnelle de création de l’autre, se
168
rencontrent certainement. »
Cette phrase est révélatrice d’un équilibre précaire entre volonté d’être acteur de la
démocratisation en apportant un peu de son temps à des publics éloignés de l’offre culturelle
traditionnelle et opportunité de bénéficier de financements sur ce type de projets, qui
pourront éventuellement « déborder » sur la création. Francine Kahn, qui est une habituée
des ateliers d’écriture dans les quartiers, n’hésite pas à avouer « tordre les projets pour
rentrer dans les clous ». Pour elle, cela fait partie du jeu et la création artistique est
irrémédiablement liée à l’argent : « Moi, j’ai travaillé sur des financements européens, autant
vous dire que qu’est-ce que j’ai pu raconter comme conneries pour rentrer dans les clous !
Aussi sur l’écriture : parce qu’ils ont des critères, des items. »
169
S’il ne s’agit que de modifier quelques détails pour répondre aux critères de
financements, le problème n’est pas crucial ; mais il pourrait le devenir si certains artistes
se voyaient obligés, pour vivre de leur métier, de ne faire plus que de l’action culturelle pour
laquelle ils pourraient bénéficier de financements et dont ils pourraient éventuellement en
détourner une partie au bénéfice de leurs projets de création.
En outre, susciter la créativité et l’invention chez des personnes qui n’en ont jamais fait
l’expérience requiert sans aucun doute des techniques qui sont relativement éloignées de
celles de la création traditionnelle, ou même de l’intervention auprès d’amateurs, dans le
cadre de cours par exemple. Il s’agit là de l’image de l’artiste « accoucheur », une thématique
qui est revenue dans les propos de chacun des artistes interrogés.
« Dans cette démarche-là #celle des ateliers d’écriture#, moi je n’interviens pas
par rapport à ma création personnelle ; c’est-à-dire que je fais des propositions
pour faire émerger l’écriture, je propose des démarches qui sont différentes
170
en fonction du public. »
« Je ne peux pas dire que je suis plus créative
qu’eux : je lance des pistes, après, eux aussi ils lancent des pistes. C’est une
sorte de boule de neige, c’est donner envie aux gens et qu’ils lâchent tous
leurs pré-requis et toutes les choses qu’ils ont assimilées dans leur vie et qu’ils
168
169
170
62
COLIN, Bruno. Ibid. p. 140
Entretien avec Francine Kahn, écrivaine intervenante (23/04/09)
Entretien avec Francine Kahn, écrivaine intervenante (23/04/09)
Cousin Jeanne Leila
Partie 5. Une nouvelle attente vis-à-vis des artistes et des institutions culurelles : être engagés
dans la société
les réinvestissent. C’est faciliter le lâchage et être généreux. (…) Je suis une
faciliteuse, j’essaye de donner les moyens aux gens de trouver leur créativité.
171
Mais je pense qu’on est tous autant créatifs dans ce genre de situation. »
« Le
travail du regard extérieur, c’est de mettre leurs idées en forme et toujours leur
demander : comment vous voyez ça ? Après, nous on malaxe un peu et on fait
ça un peu propre, mais sur la base de leurs propositions. Donc il y a un travail
pour provoquer, exciter leur inspiration, faire émerger leur expression et après
gérer un peu ça mais sans leur prendre. (…) Et là, on se rend compte qu’il y a de
véritables dons qui se réveillent, des véritables savoirs faire, des vrais talents. »
172
Il est frappant de constater dans ces propos que ces trois artistes sont intimement
convaincus que tout individu, quelle que soit sa proximité avec le milieu artistique, est
capable de créer. Cela semble être une condition indispensable pour donner du sens à un
projet d’action culturelle : comment un artiste pourrait-il créer un climat de confiance, un
« milieu créateur » selon les termes de Pierre Heitz, si lui-même est sceptique quant à la
possibilité pour son public d’être créatif ?
Ainsi, tous les artistes impliqués dans le projet Kaléidoscope témoignent d’une envie
particulière à travailler avec des publics traditionnellement éloignés de la culture : il peut
s’agir d’un besoin de s’investir ressenti à un moment donné par des artistes lassés
d’intervenir toujours auprès du même type de public ou de la réponse à une proposition qui
semble avoir du sens.
« Vanessa #chargée de mission sur le projet Kaléidoscope# m’a appelée le jour
où je me suis dit bon là, il faut vraiment que je refasse du social etc. avec la
musique. Parce que ça faisait dix ans que je bossais dans une école de musique
avec un public assez privilégié et je me disais ces gamins, ils ont déjà tout, ces
adultes ils ont déjà tout, ce que j’ai à donner, j’ai envie de le donner à des gens
qui en ont besoin. Je ne vais pas dire que c’est indispensable mais donner des
petits éléments de construction personnelle à des gens qui en ont peut-être plus
173
besoin. »
C’est sans doute la question du sens donné à ces actions qui est la plus importante : un
artiste ne peut pas s’investir sur un projet de développement culturel, et qui plus est le faire
avec succès, s’il ne met pas du sens dans son intervention.
Il semble donc bien que la réussite d’un projet d’action culturelle soit portée par la
conviction d’un enrichissement mutuel qui met au même niveau artistes et participants.
2.2. Un nécessaire équilibre entre création et actions pédagogiques
Tous les artistes le disent : la création personnelle nourrit l’intervention face à un public
d’amateurs autant que l’inverse. La nécessité de pouvoir allier les deux constitue ainsi une
revendication très forte des artistes interrogés, et, de manière plus surprenante, de leurs
171
Entretien avec Carole Jacques, musicienne intervenante (17/04/09)
172
Entretien avec Pierre Heitz, metteur en scène intervenant (07/04/09)
173
Entretien avec Carole Jacques, idem
Cousin Jeanne Leila
63
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
partenaires dans les structures de proximité. À ce titre, les propos d’Éric Jayat résument à
eux seuls la difficulté à trouver un équilibre :
« Quand on travaille avec des artistes, une des premières choses que je leur
dis c’est : vous n’êtes plus DRAC-DRAC, vous devenez un peu DRAC-politique
de la ville. Et je leur explique ce que c’est que la politique de la ville, ce qui
n’est pas forcément évident au premier abord : vous allez rentrer dans des
fonctionnements qui sont attendus de la part de la structure, qui sont cadrés
dans ce qu’on appelle un CUCS #Contrat urbain de cohésion sociale# et je leur
explique ça. (…) Mais qu’il ne faut pas qu’ils oublient qu’avant tout ils sont
artistes-artistes et que la politique de la ville, ce n’est pas un métier, c’est un
artiste, avec ses compétences et son âme d’artiste, qui pendant un temps défini
vient, avec toute l’envie qu’il peut avoir, développer en direction des publics que
peut être il n’a pas l’habitude de toucher et engager quelque chose avec eux. (…)
Mais une fois que l’atelier s’arrête ou que l’artiste a envie d’aller faire autre chose
ailleurs, s’il décide de continuer politique de la ville on ne peut plus l’aider. Moi je
er
connais des artistes comme ça sur le 1 arrondissement qui sont politique de la
174
ville depuis quatre, cinq ans et ils ont perdu… Ils ne créent plus. »
Sans aller jusqu’au fatalisme, il est important de mettre en évidence le risque d’une
professionnalisation de certains artistes sur le secteur de la politique de la ville. Ce risque
175
est notamment dû à une baisse régulière des crédits culturels
parallèlement à une
augmentation des budgets en faveur de la lutte contre l’insécurité par exemple : les
CUCS sont ainsi constitués d’un volet culturel qui permet à des artistes de bénéficier de
subventions pour des actions spécifiques au titre de la cohésion sociale dans les quartiers
176
. Mais il ne faut pas oublier que l’artiste est avant tout un créateur ou un interprète et
il perd cette qualification en perdant sa pratique personnelle. Certains artistes ont ainsi un
avis très tranché sur la question : si la conjoncture ne leur permet plus de créer, de pratiquer,
ils mettront fin à leur participation aux projets d’action culturelle car leur cœur de métier
n’est pas là.
177
En outre, la séparation qui existe entre quelques grands créateurs, metteurs en scène
ou comédiens de renom, qui n’ont nullement besoin de justifier les subventions qu’ils
reçoivent par des projets d’ouverture, et les artistes « normaux » auprès desquels la
demande de social se fait toujours plus pressante paraît de plus en plus insupportable.
Certains vont même jusqu’à évoquer le piédestal duquel ces grands créateurs feraient bien
de descendre pour aller se confronter à tous ceux qui ne vont pas voir leur travail.
174
175
176
Entretien avec Éric Jayat, président de l’association Axès libre (10/04/09)
PÉRENNOU, Yves. « Les DRAC sous pression ». La Lettre du spectacle, 2 novembre 2007, n°194, p. 1-2
CUCS de l’agglomération lyonnaise disponible sur le site du système d’information géographique du secrétariat général du C.I.V.
�page consultée le 05 août 2009�. <http://sig.ville.gouv.fr/Documents/CS8203>
177
Entretien avec Pierre Heitz, metteur en scène intervenant (07/04/09)
178
64
178
Entretien avec Pierre Heitz, idem
Cousin Jeanne Leila
Partie 5. Une nouvelle attente vis-à-vis des artistes et des institutions culurelles : être engagés
dans la société
On pourrait donc suggérer que la règle soit la même pour tout le monde, mais il est
nécessaire de s’interroger sur les « risques » liés à une éventuelle obligation d’implication
dans un projet à visée sociale.
2.3. Les questions soulevées par une éventuelle obligation d’action à
teneur socioculturelle
Une remise en cause de l’autonomie des artistes
Nous l’avons vu plus haut, tous les artistes ne se sentent pas capables et n’ont pas
forcément la motivation pour s’impliquer dans des projets d’action culturelle et la nécessité
de formation dans certains cas – par exemple pour des interventions auprès d’enfants
présentant un handicap ou d’ateliers en milieu carcéral – complique encore davantage
la question. Dans l’idéal, il faudrait donc que chacun décide de ses actions : que
l’investissement dans ce secteur soit le résultat d’un véritable choix et que ceux qui ne
souhaitent pas y prendre part se sentent libres de ne pas le faire.
« Il faut une envie. Je pense que dans Kaléidoscope 1, il y a des artistes qui ont
commencé le projet et qui ne se sont pas sentis de continuer, qui ont abandonné,
qui sont plus à jouer en concert et à être sur scène plutôt que de transmettre.
Tant mieux s’il y a des financements, qu’il y a des sous pour créer de beaux
projets qui aient du sens, autant pour le résultat et la personne qui porte la
technique ou la pratique qu’elle sache où elle va, pourquoi elle donne à ces
personnes, qu’est ce qu’elle veut leur faire sortir et que ces personnes y trouvent
179
un sens dans la vie. »
Néanmoins, le fait est que de plus en plus d’artistes se trouvent confrontés à une demande
pressante d’agir là où cela semble nécessaire aux pouvoirs publics. Pierre Heitz s’est ainsi
vu « proposer » le fait de réaliser un projet de création dans le cadre du festival Tout le
monde dehors dans une zone sensible, alors qu’il aurait tout aussi bien pu le présenter
ailleurs : « Tout de suite, on m’a dit : votre truc ça irait bien dans les zones sensibles, comme
180
ça on pourrait vous financer avec tel machin social »
. Il est vrai que la baisse des crédits
culturels peut conduire les organisateurs de manifestations à aller chercher des crédits dans
d’autres secteurs en adaptant quelque peu les projets pour remplir les critères.
« Je n’en suis pas encore tout à fait sûr, j’en parle avec des gens et ça demande
à être confirmé mais il se pourrait – je marche sur des œufs – qu’il y ait comme
un échange de bons procédés : #Vous êtes une compagnie, qu’est-ce que
vous faites pour l’expression artistique et culturelle et sociale des gens ? OK,
vous faites ça donc on va peut-être pouvoir penser à une subvention purement
artistique pour vous.# Je ne sais pas mais c’est possible que ça soit un peu
181
comme ça dans l’avenir »
Il s’agit là d’une crainte réelle des petites compagnies et des artistes : se voir soumis à une
obligation d’action sociale pour justifier de subventions de fonctionnement, tout comme le
179
180
181
Entretien avec Carole Jacques, musicienne intervenante (17/04/09)
Entretien avec Pierre Heitz, metteur en scène intervenant (07/04/09)
Entretien avec Pierre Heitz, metteur en scène intervenant (07/04/09)
Cousin Jeanne Leila
65
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
président de la République avait proposé, dans sa lettre de mission à la nouvelle ministre de
182
la Culture, une obligation de rentabilité pour les institutions culturelles subventionnées
.
Mais encore une fois, il est peu probable que cette obligation toucherait de la même manière
tous les artistes, grands ou plus modestes, à renommée nationale voire internationale, ou
anonymes. Néanmoins, si certains craignent un retour en arrière consécutif à la mise en
place de critères de création – cette dernière étant irrémédiablement liée à l’argent, cela
reviendrait à la réapparition d’une sorte de censure, remettant en cause l’existence même
d’une partie de la création – d’autres, à l’image du chorégraphe Boris Charmatz, y voient la
possibilité d’un renouvellement sans précédent de leurs pratiques :
« Je suis toujours à deux doigts de penser, par exemple, que ce que l’on appelle
la sensibilisation, série d’actions subies par les artistes pour remplir un peu les
cahiers des charges auprès de collectivités territoriales en proie au doute, peut
être LA création. Au lieu de produire des spectacles, et la sensibilisation qui va
avec, on pourrait produire la sensibilisation en considérant que l’art est là, que,
dans la confrontation avec ceux qui n’ont souvent rien demandé, il y a matière
à fabriquer de l’art grand. Au lieu de diffuser les créations, on pourrait créer la
183
diffusion… C’est un projet en soi, un art en soi, à inventer. »
Ces propos, particulièrement novateurs, peuvent bien sûr sembler exagérés, Charmatz dit
d’ailleurs lui-même qu’il est « à deux doigts de penser », c’est donc que le raisonnement
proposé est quelque peu extrême : il n’est pas question de remplacer la création
traditionnelle par une sensibilisation qui serait elle-même objet de création. Néanmoins,
il se dégage de ces propos une lucidité certaine : d’abord dans la définition donnée de
la sensibilisation, qui est bel et bien trop souvent « subie » par les artistes et dans la
qualification d’un public « qui n’a souvent rien demandé ». Ensuite, dans la proposition d’une
réelle prise en compte de cette démarche dans le cadre de la création : il ne tient qu’à
l’artiste de renverser la tendance en sa faveur en nourrissant sa propre création des actions
auprès de ces publics, qui sont souvent extrêmement riches en échanges et en émotions.
Utiliser l’action culturelle comme vitrine ?
Quant au risque, évoqué par certains, de voir le social devenir la vitrine de certaines grandes
institutions soucieuses de redorer leur image, Hélène Sauvez y a réagi de manière directe :
« Je mets quiconque au défi de montrer que ça contribue à l’image de l’opéra aujourd’hui »
184
. Elle a tenu à souligner que le projet Kaléidoscope, bien que salué et aujourd’hui
largement soutenu par les partenaires institutionnels de l’Opéra de Lyon, ne figurait pas au
départ dans les attentes de ces derniers concernant les objectifs du pôle de développement
culturel. Pour la responsable du service, il s’agit là d’un véritable « pari sur l’avenir », le
directeur de l’institution étant convaincu que la demande des collectivités à cet égard sera
de plus en plus forte, mais pour l’heure, la demande de résultat de la part des tutelles est
encore davantage axée sur une évaluation quantitative concernant la fréquentation du jeune
182
Lettre de mission du Président de la République adressée à Mme Christine Albanel�en ligne�. Site de la Présidence
de la République. �page consultée le 05 août 09�. < http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/2007/juillet/
lettre_de_mission_du_president_de_la_republique_adressee_a_mme_christine_albanel_ministre_de_la_culture_et_de_la_communication.79213.htm
183
184
66
CHARMATZ, Boris. « Une adresse incertaine » in Culture publique opus 4 . Idem. p. 37
Entretien avec Hélène Sauvez, responsable du pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon (16/03/09)
Cousin Jeanne Leila
Partie 5. Une nouvelle attente vis-à-vis des artistes et des institutions culurelles : être engagés
dans la société
public. Alors opportunisme politique ou vision personnelle très forte et ancrée dans l’avenir,
il n’y a probablement aucune réponse objective à cette question.
Cousin Jeanne Leila
67
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
Conclusion
La question de l’efficacité des projets d’action culturelle fait l’objet d’un paradoxe constant :
de plus en plus, les pouvoirs publics attendent des structures culturelles qu’elles mettent en
œuvre des actions de ce type afin de justifier et légitimer les crédits accordés au secteur ;
paradoxalement, aucun indicateur n’est en mesure de prouver et de quantifier l’efficacité
de ces projets. En l’absence d’instruments d’évaluation, seuls les témoignages peuvent
contribuer à l’établissement d’un bilan qualitatif de ces actions.
Les différentes hypothèses relatives au projet Kaléidoscope que nous avons élaborées
au début de cette étude semblent avoir été globalement confirmées par l’analyse des propos
des différentes personnes interrogées :
Concernant la prise en charge d’objectifs sociaux par ce type d’actions, il est indéniable
que la participation à un projet de pratique artistique a des effets positifs sur les participants :
la prise de confiance par l’expression orale et la mise en valeur des individus par l’acquisition
de compétences spécifiques vont dans le sens d’une meilleure insertion dans la société
et, plus globalement d’un « mieux être » au quotidien. L’utilisation de l’art comme média
facilite l’établissement de relations entre les individus et participe ainsi d’une amélioration
de la socialisation.
Nous l’avons constaté : si le bouleversement des représentations des participants sur
l’Opéra conduit à une diversification symbolique de leurs pratiques culturelles (ils apprécient
l’opéra et ne le considèrent plus comme un art inaccessible), l’appropriation de la sortie
à l’opéra au plan matériel est loin d’être réalisée. Une étude quantitative pourrait être
pertinente pour comptabiliser le nombre de participants qui sont revenus à l’Opéra par le
circuit normal suite à leur participation à Kaléidoscope ; selon Hélène Sauvez, il n’y en aurait
aucun.
En dépit du fait qu’un tel projet ne faisait pas partie des attentes des tutelles de l’Opéra
de Lyon, il semble bien que la mission d’ouverture des institutions culturelles soit aujourd’hui
prise en compte par les pouvoirs publics et l’idée d’une création artistique totalement
déconnectée de son environnement social semble de moins en moins supportable. Ce
constat fait surgir de nouvelles interrogations quant à l’autonomie des artistes et des
institutions culturelles : celle-ci pourrait être remise en cause par une éventuelle obligation
d’action dans ce domaine.
Ainsi, le rôle joué par les institutions culturelles dépasse largement le cadre des
pratiques artistiques des individus et de leur structuration : il touche à des domaines tels
que la socialisation, la structuration des rapports entre les personnes, l’insertion. C’est pour
cela que les pouvoirs publics et les professionnels du social s’emparent de ces questions.
On pourrait tenter d’imaginer des outils d’évaluation quantitatifs de ces projets : combien
d’individus retournent à l’Opéra après avoir participé, combien inscrivent leurs enfants à un
cours de musique ? Mais il semble bien que l’enjeu ne soit pas là : il est plus diffus, moins
direct. On pourrait en revanche comparer les résultats obtenus ici avec ceux d’une action
à moindre budget et à plus court terme en se demandant si la variation de ces facteurs
entraîne un changement dans l’efficacité des projets.
68
Cousin Jeanne Leila
Conclusion
Néanmoins, il nous semble indispensable de revenir sur la question du financement
et de la légitimité de ces actions, alors même que nous venons de montrer qu’elles
ne contribuent pas au renouvellement ou à l’élargissement du public des structures
culturelles. Le financement en premier lieu : Hélène Sauvez nous l’a confié, les tutelles
de l’Opéra de Lyon n’ont accordé aucun financement supplémentaire pour le projet
Kaléidoscope, considérant que ce type d’actions est partie intégrante des missions de
l’institution. La volonté d’inclure pleinement la médiation et le développement culturel dans
les missions des théâtres, opéras et autres lieux de diffusion nous pousse à approuver cette
conception. Pourtant, les interrogations sont nombreuses concernant les petites structures
qui connaissent continuellement des difficultés financières : comment leur demander de
rogner sur leur budget de fonctionnement pour financer des actions qui ne leur amèneront
pas – ou presque – de public ?
En outre, peut-on considérer comme légitime une action, qui, en dépit de son apparente
réussite en termes de socialisation, d’ouverture des institutions, échoue dans son objectif
principal : conduire les publics éloignés de l’offre culturelle à se mêler aux publics
traditionnels lors des soirées de représentation ? Certes, la culture apparaît comme moins
éloignée symboliquement mais dans les faits, une fois le projet achevé, elle redevient pour la
plupart des individus une préoccupation secondaire, jusqu’à l’invitation à un nouveau projet.
En dépit de nos convictions quant à la justesse de ces démarches, nous ne pouvons
apporter à ces questions aucune réponse tangible, mais l’importance de l’expérience vécue
et de ce que chacun en a tiré justifie à elle seule la poursuite de tels projets.
Cousin Jeanne Leila
69
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
Bibliographie
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COULANGEON, Philippe. Sociologie des pratiques culturelles. Paris : La Découverte,
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KAUFMANN, Jean-Claude. L’Entretien compréhensif. Paris : Armand Colin, 2005. 127
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LAHIRE, Bernard. La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de
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PEDLER, Emmanuel. Entendre l’opéra. Une sociologie du théâtre lyrique. Paris :
L’Harmattan, 2003. 187 p. Collection Logiques sociales
Ouvrages et articles consacrés aux questions
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Presses universitaires de Grenoble, 1992. 368 p.
COLIN, Bruno. Action culturelle dans les quartiers. Enjeux, méthodes. Culture et
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Culture publique opus 4 : La Culture en partage. Paris : Sens & Tonka, 2005. 193 p.
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depuis 1959. Paris : CNRS Éditions : Larousse, 2001. 657 p.
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1998. 359 p.
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Cousin Jeanne Leila
Bibliographie
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Documents multimedia
Culture, une affaire d’État. La Ve République des affaires culturelles. #Dvd#. Paris :
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Présidence de la République *en ligne*. *page consultée le 5 août 2009*. <http://
www.elysee.fr/accueil/>
Cousin Jeanne Leila
71
L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
Autres documents
Dossier de presse réalisé par l’Opéra national de Lyon à l’occasion des journées de
représentations du projet Kaléidoscope les 7 et 8 juin 2008
Plaquette de la saison 2009-2010 de l’Opéra national de Lyon
72
Cousin Jeanne Leila
Annexes
Annexes
/!\ A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques
de Lyon /!\
ANNEXE 1 : Provenance et description des groupes
du projet Kaléidoscope
ANNEXE 2 : Statistiques relatives aux pratiques
culturelles des Français
ANNEXE 3 : Article « Twitter au secours du Royal
Opéra House », Le Monde, 15 août 2009
ANNEXE 4 : Extraits de l’entretien avec Hélène
Sauvez et Stéphanie Petiteau, responsable et
responsable adjointe du pôle de développement
culturel de l’Opéra de Lyon
ANNEXE 5 : Retranscription intégrale de l’entretien
avec Carole Jacques, musicienne intervenante auprès
de deux groupes
Cousin Jeanne Leila
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L'Opéra de lyon dans les quartiers Action culturelle et transformations sociales
ANNEXE 6 : Retranscription intégrale de l’entretien
avec Jean-Christophe, participant du groupe Factors
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Cousin Jeanne Leila