La Franche-Comté de Bourgogne, une vieille nation oubliée de l
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La Franche-Comté de Bourgogne, une vieille nation oubliée de l
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Certes, on relève en Savoie, en Alsace, en Normandie, en Catalogne ou en Flandres des velléités identitaires, mais rien d’important. Curieusement, les ouvrages qui traitent de l’histoire du processus politique qui a conduit à la constitution de ce vaste ensemble hétérogène sont assez rares. La plupart du temps il s’agit de compilation où l’on nous apprend que les provinces se sont réunies dans la joie, les unes après les autres, pour satisfaire à ce que certains auteurs considèrent comme un dessein divin. Pourtant, il est faux d’écrire que l’unification française s’est faite dans la joie et la bonne humeur. Elle fut le résultat d’une fantastique ambition politique servie par les moyens de la première puissance européenne. Connaître la vraie histoire de l’unité française ne délégitimise pas la France d’aujourd’hui. Il s’agit aussi d’un devoir de mémoire pour rendre à des provinces françaises leur histoire. Dans ce but nous vous présentons dans ce numéro une histoire de la Franche-Comté telle que vous ne l’avez probablement jamais lue. L’article de notre collaboratrice Anne Le Diascorn va heurter la sensibilité de certains lecteurs. Voilà pourquoi nos colonnes sont ouvertes à tous ceux qui souhaitent lui répondre. C’est du débat que naît la lumière. Balbino Katz La Franche-Comté de Bourgogne Une vieille nation oubliée de l’histoire Anne Le Diascorn Si les Français connaissent les nationalités irrédentes de l’Hexagone, Pays Basque, Bretagne et Corse, ils ont tendance à croire que la réunion des autres régions fut le résultat d’un processus graduel et pacifique, que les peuples se sont agrégés l’un après l’autre dans l’allégresse. Ce fut rarement le cas. Nous vous proposons un essai, volontiers polémique, qui présente une version inhabituelle de l’histoire de la Franche-Comté. Les lecteurs qui souhaitent participer au débat sont les bienvenus. L ’ARMÉE française avait investi la petite ville, dont les cinq mille habitants se préparent fiévreusement à la défense. L’émissaire du prince de Condé, précédé d’un cavalier portant le drapeau blanc, a franchi la grand’porte et, entre deux haies de spectateurs silencieux et hostiles se dirige vers l’hôtel de ville. Le gouverneur en second, l’attend dans la salle d’honneur, entouré de ses assesseurs. L’émissaire propose la reddition pure et simple, avant qu’un seul boulet n’ait fendu les airs. Tout en parlant, il sème négligemment sur le plancher des louis d’or frappés de la fleur de lys, qu’il puise dans la bourse de soie qui pend à son côté. Le rouge monte aux joues du second gouverneur, le sieur Claude Dusillet. Il dégaine et oblige le Français, en le menaçant de son fer à ramasser une à une les pièces d’or et à les remettre d’où elles sont venues. — Ce genre de monnaie n’a pas cours en Franche-Comté, monsieur. Maintenant, sortez ! La scène se passait à Dole, capitale de la Comté, le 29 mai de l’an de grâce 1636, en pleine guerre de Trente-Ans. Pendant 16 jours, les Dolois résistent à l’armée royale, vingt fois supérieure en nombre. La population s’est portée au secours de la chétive garnison qui ne peut faire front partout à la fois. « L’avocat Michontey acquit une réputation de tireur exceptionnel ». Un autre avocat, Janot, le conseiller Toitot et le procureur général Brun, deux capucins, les pères Une histoire maltraitée L’histoire de la Franche-Comté n’est pas un sujet très en vogue parmi les historiens français. Pour en savoir plus, nous avons interrogé Paul Delsalle, un chercheur spécialisé dans la période habsbourgeoise de la Comté. L’histoire de la Comté est-elle traitée comme elle le mérite par l’université? revue d’histoire, comme il y en a en Provence, en Bourgogne, ou ailleurs. Les historiens étrangers Oui, à l’Université l’hiss’intéressent-ils toire de la Francheà la Comté? Comté est enseignée, pour toutes les périodes historiques, surtout les Oui, des Belges surtout. plus anciennes : AntiOn parle souvent de quité et Moyen Age. Les Franche-Comté « espaétudiants se familiarignole » mais il serait plus sent aussi à l’histoire juste d’évoquer la comtoise lorsqu’ils élaFranche-Comté « habsborent un « mémoire de bourgeoise » ; le gouvermaîtrise ». En outre, des nement était alors à Paul Delsalle est maître de conférences cours sont proposés à Malines puis à Bruxelles, en histoire moderne à l’université un large public, bien auet non pas en Espagne. delà des étudiants, dans Les archives qui nous le cadre de l’université ouverte. intéressent sont à Bruxelles, principalement. Nous constituons en ce moment un réseau d’historiens européens sur l’histoire de la Pourquoi aussi peu d’études sur la Comté Franche-Comté : les Belges forment le gros du alors qu’elles fleurissent en Bretagne? bataillon ! Pourtant l’annexion de la Bretagne par la France fut à la plus ancienne et moins sanguinaire. Peut-on parler de mauvaise conscience française au sujet de la Comté? Je ne sais pas. Peut-être parce que le Comtois est par nature plutôt discret. Des provinces Je ne pense pas. Je suis même persuadé que les comme la Bretagne, mais aussi l’Alsace ou la Français ne connaissent pas la FrancheFlandre, examinent en effet leur passé de Comté ! Le Jura, oui. Grâce à la géographie. façon plus approfondie. Je suis frappé aussi par En outre, pour que les Français aient une le petit nombre de travaux de première main mauvaise conscience au sujet de notre prosur l’histoire de la Franche-Comté. Il y a trop vince, il faudrait qu’ils connaissent son histoire, d’ouvrages de vulgarisation, qui se répètent et notamment l’épisode tragique de la Guerre de se copient, qui colportent sans cesse les mêmes Dix Ans, avec ses 200 000 morts. Toutefois, mythes. Je déplore que nous n’ayons pas de on ne doit pas tous les attribuer aux armées Polémique françaises ou suédoises : la peste en est la principale responsable. Les Comtois d’aujourd’hui connaissent-ils leur histoire? 33 Besançon (le palais Granvelle à Bruxelles a été détruit). Cela dit, les Granvelle sont des personnages qui n’intéressent plus personne, à part quelques spécialistes. Non, pas du tout. Les étudiants en Existe-t-il un histoire, euxintérêt du grand La ville de Dole, siège du parlement comtois, mêmes, ont une public gravure de Claude Luc datée de 1553. très grande ignopour l’histoire rance du passé de comtoise? leur région, du moins au début de leurs Oui, les ouvrages historiques en témoignent, études. Ils la découvrent, et avec un réel plaide plus en plus. Le public se presse lors des sir je crois. Il faut rappeler que l’histoire régioconférences sur l’histoire de la région, du nale n’est jamais enseignée dans le secondaimoins celui qui a un certain âge, qui cherche re, ce qui me paraît scandaleux. On a enseià s’instruire, qui « veut rattraper le temps gné « Nos ancêtres les Gaulois aux Africains » perdu ». Le public jeune est davantage présent mais on continue à enseigner François Ier au sur les chantiers archéologiques, ce qui me semble bon signe. lieu de Charles Quint aux Comtois d’aujourd’hui ! Quels sont les deux ou trois titres d’ouvrages récents Peut-on dire que la Comté a cessé d’être que vous recommandez? un sujet d’histoire après l’annexion? Non, je ne pense pas. La Franche-Comté a toujours intéressé les historiens, depuis Cousin (ami d’Erasme) et Gollut. Il est vrai que le « siècle des Lumière » n’a pas laissé d’œuvre de premier plan. A la fin du XIXe siècle, Lucien Febvre a consacré sa thèse à la Franche-Comté sous Philippe II, très discutable d’ailleurs, très polémique. Les noms de grands Comtois comme les Granvelle ou Boyvin ont-ils survécu dans la mémoire collective? Plus personne ne connaît Boyvin ! Granvelle, oui, à Besançon et à Ornans, surtout. Le palais Granvelle est un monument célèbre à Pour compléter la liste de titres que vous publiez par ailleurs (voir à la page 31), je vous citerai ceux que j’ai publiés. Vous y trouverez peu de références bibliographiques dans la mesure où j’ai surtout exploité des sources primaires, principalement dans les archives. La Franche-Comté au temps de Charles Quint, Paul Delsalle, PuFC (Presses universitaires de Franche-Comté), Besançon 2001. La Franche-Comté au temps des Archiducs, Paul Delsalle, PuFC, Besançon 2002. La Franche-Comté à la charnière du Moyen Age et de la Renaissance, Laurence Delobette et Paul Delsalle, PuFC, Besançon 2004. Propos recueillis par Balbino Katz