Parabole des talents Matthieu 25, 14
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Parabole des talents Matthieu 25, 14
Parabole des talents Matthieu 25, 14-30 « on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a ». Toujours plus pour les riches et toujours moins pour les pauvres ! Est-ce cela la bonne nouvelle ? Un maître qui répartit ses biens de façon tout à fait inéquitable entre ses serviteurs, prétextant d’une bonne appréciation de la capacité de chacun ! Le fait du prince en quelque sorte ; est-ce cela la bonne nouvelle pour tous ? Une obligation de résultat dont il faut rendre compte, une sorte d’injonction à accomplir des prestations sous peine de sanction ! Est-ce cela la bonne nouvelle ? Voici, mes amis, trois raisons parmi d’autres d’être rebuté par cette parabole, tant elle heurte certaines valeurs de notre société contemporaine, voir même de nos convictions religieuses : équité, justice, salut par la grâce et non par les œuvres, etc. Alors, je voudrais vous proposer d’aller directement à l’essentiel en retenant de notre parabole pour le moment ceci : - un maître part pour longtemps ; il distribue ses biens entre ses serviteurs et leur en fait don sous la forme de talents, inégalement répartis entre eux. - Deux d’entre eux, se sentant libres d’user des talents reçus, les font fructifier et doublent la mise - Le troisième, par défiance à l’égard de son maître, enterre le talent reçu pour le préserver intégralement et être ainsi sûr de pouvoir le rendre, car il ne l’a pas reçu comme un don. Mais qu’est-ce exactement qu’un talent ? Deux questions se posent en effet : Qu’est-ce qu’un talent ? Et puis, sans vouloir transposer tous les éléments de la parabole dans le domaine spirituel, il faut se demander quel est ce don, ce cadeau qui nous est offert, surtout si nous sommes invités à en faire quelque chose,à l’image des deux premiers serviteurs. Alors, qu’est-ce que veut signifier le talent ? A la première question, il est facile de répondre : c’est une unité utilisée dans les écritures comptables ; ce n’est pas une monnaie à proprement parlé car il n’y a pas de pièce correspondante, et pour cause : cela représente 6 000 j de travail d’un ouvrier à cette époque ; oui vous avez bien entendu : 6 000 j de travail, c’est à dire 20 ans de salaire ! C’est donc considérable. Il est plus difficile de répondre à la deuxième question : que représente le talent ? Je vous propose de faire seulement des hypothèses, car nous ne pouvons prétendre interpréter le texte, dire ce qu’il veut ou doit signifier pour nous aujourd’hui ; ce serait, d’une certaine façon, avoir autorité sur lui. Nous pouvons bien plus modestement essayer de le recevoir comme une parole qui prendrait sens, pour chacun d’entre nous, au creux de notre propre vie. Il nous faut alors pour cela soumettre nos différentes hypothèses de lecture au feu du texte lui-même et voir si Page 1 sur 4 elles résistent à sa lecture, si elles ne sont pas contredites par ce texte ou par d’autres. Nous acceptons alors nous aussi de prendre un risque, terme que j’utilise à dessein, vous verrez tout à l’heure pourquoi. Une première hypothèse serait de comprendre le talent comme le langage courant nous incite à le faire lorsque l’on dit de quelqu’un qu’il a du talent : nous aurions les uns et les autres des charismes, des dons donnés par la « Nature » que nous devrions mettre au service de Dieu pour faire connaître sa parole, répandre son amour, attester de sa grâce. C’est, je crois, le souvenir que j’avais gardé de mon école biblique. Mais il me semble que cette hypothèse ne résiste pas au texte : en effet, même si les charismes sont répartis entre nous très différemment, comme les talents, l’ordre de grandeur n’y est pas : il n’y a pas de commune mesure entre l’immensité du don (20 ans de salaire) et nos charismes ou nos dons personnels. Je tente donc une deuxième hypothèse : le talent pourrait représenter ce que Dieu nous a donné et qu’Il nous révèle en Jésus-Christ : sa parole, son amour, son pardon et sa grâce. Alors l’immensité de ce don est mieux illustrée par la valeur des talents et je lève l’obstacle précédent. Mais dites-moi, comment comprenez-vous un amour donné à la mesure de chacun, un pardon dosé strictement à l’aune de nos fautes, une grâce juste assez mais pas plus qu’il n’en faut ? Ce n’est pas ce que nous comprenons de l’évangile qui atteste en tout lieu que cela nous est donné à profusion, sans compter, et qu’il n’y a pas de différence entre nous sur ces points (cf. ouvriers embauchés à différentes heures de la journée touchent le même salaire) ; je dois donc écarter à nouveau cette deuxième hypothèse. Je vous suggère alors une troisième hypothèse, qui me semble mieux résister que les deux précédentes à la lecture du texte et je la retiendrais volontiers, tout en vous laissant libre d’y porter crédit ou pas, de voir, par vous-même, si elle fait échos dans votre vie, si elle donne du sens à votre propre expérience ; la voici : Et si le talent avait qq. chose à voir non pas avec l’amour que Dieu nous porte, avec sa parole, son pardon et sa grâce, mais avec la perception que nous en avons, avec la perception que nous avons de son amour pour nous, de son pardon qui nous relève, de sa grâce qui nous fait vivre ? Et si le talent avait qq. chose à voir avec l’image que nous nous faisons de Dieu à travers la relation qui nous unit à Lui, c’est à dire encore de notre degré de confiance en lui, au fond de notre foi ? Oui, c’est cela : et si le talent donné avait quelque chose à voir avec notre foi ? En effet, la foi est bien un don, comme nous le rappelle l’épître aux Ephésiens : « …sauvés par grâce au moyen de la foi ; vous n’y pouvez rien ; c’est le don de Dieu ». Et c’est un don incommensurable pour nous comme la valeur d’un talent pour les serviteurs. De plus, la foi est très diversement répartie entre nous, comme les talents de la parabole. Si vous n’en êtes pas convaincus, faites simplement l’exercice suivant : écrivez en quelques lignes ce qu’est la bonne nouvelle pour vous ? Attention il ne s’agit pas de réciter un catéchisme, de dire ce que vous savez de la question, mais de dire ce qu’est la bonne nouvelle dans votre vie personnelle, aujourd’hui. Puis comparez les résultats entre vous. Vous serez étonnés de la diversité et de la richesse des réponses. Un vrai don, d’une valeur considérable, très différemment réparti entre nous : la foi pourrait donc être une lecture possible du talent. Page 2 sur 4 La parabole s’enrichit alors d’une vision plus profonde : la césure n’est plus entre celui qui refuse le don et ceux qui l’acceptent, mais entre celui qui sait et ceux qui font confiance, entre celui qui cantonne sa relation à Dieu dans le domaine de la connaissance, des certitudes, et ceux qui, acceptant de ne pas vraiment connaître, prennent le risque de se placer dans une relation de confiance. Et le texte semble alors nous montrer que la connaissance toute seule fige, rend inerte et sans vie, au point qu’il faut l’enterrer pour la préserver, pour la conserver intacte. La confiance au contraire met en mouvement, donne vie à une démarche, porte des fruits, s’enrichit, s’amplifie. Alors, mon ami, cette parabole pourrait te poser, comme à moi, une question toute simple : que fais-tu de ta foi ? Comment la reçois-tu ? Quelle vie lui donnes-tu ? Que fais-tu de ta foi ? Je trouve intéressant que cette question nous soit posée par ce texte au moment de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Je sais que certains d’entre vous participent à un groupe d’études bibliques œcuméniques avec les paroisses catholiques avoisinantes et je m’adresse donc à des convaincus. Je crois en effet qu’exposer sa foi au dialogue œcuménique, en prendre le risque dans une attitude d’écoute, de respect mutuel et de sincère démarche de compréhension, sans camper sur des positions intangibles et protectionnistes est une excellente opportunités de la faire fructifier. Que fais-tu de ta foi ? En vous laissant le soin d’une réponse personnelle, je voudrais partager avec vous des signes, des clins d’œil que nous donne la parabole elle-même. Des signes d’encouragement, pour nous accompagner sur ce qui pourrait constituer pour nous un vrai chemin de foi, avec des haltes pour méditer et se ressourcer. Pour ma part, j’en reçois cinq : - d’abord nous pouvons observer que chacun des serviteurs a reçu un don ; chacun d’eux a ainsi quelque chose à faire fructifier ; au fond de chacun de nous, se trouve une semence qui peut porter du fruit ; nul n’en est dépourvu. - Le deuxième signe peut nous réconforter car même celui qui reçoit le moins, celui qui n’a pas confiance dans son maître et qui ne croit pas que ce talent lui soit vraiment donné, celui qui est inhibé par la peur de ne pas le préserver intact, même celui-là, a une porte de sortie pour faire fructifier ce qu’il a : c’est le recours à la banque, à d’autres, plus aguerris que lui. C’est à dire que, s’il ne perçoit pas l’amour infini dont il est l’objet à travers le talent reçu, il peut du moins le faire fructifier selon les règles courantes ; « ce que tu n’as pas fait à cause de la grâce, tu aurais pu le faire à cause de la loi » (A. Maillot) - Un troisième signe nous est proposé à travers une observation simple : il y a dans notre parabole trois serviteurs, comme il y a trois issues possibles à l’usage d’un don : ne pas s’en servir, c’est à dire ne pas prendre de risques et donc ne rien perdre ; ou bien prendre des risques et alors deux issues sont possibles : perdre ou gagner. Or dans notre parabole, nous avons bien trois serviteurs mais ils ne correspondent pas aux trois issues possibles ; vous avez bien noté que tous ceux qui ont pris des risques ont gagné. Et pour être Page 3 sur 4 sûr que nous ayons bien compris ce qu’il y a à faire, voilà que celui qui n’a pris aucun risque a, après coups, tout perdu. Le message est assez clair ! - Un quatrième signe nous aide à voir l’essentiel, à ne pas nous sentir dévalorisé par rapport au voisin, ou au contraire à ne pas trouver de mauvais arguments à la timidité de notre engagement : l’important n’est pas de rapporter 2 ou 5, ni d’ailleurs d’avoir reçu 2 ou 5, mais de faire fructifier ce qu’on a reçu ; vous avez noté que le résultat est rigoureusement le même : chacun a doublé la mise et les paroles du maître sont identiques pour l’un comme pour l’autre, et tous deux entrent dans la joie de leur maître. - Et le cinquième signe illustre la grande bonté de Dieu à notre égard, l’affection chaleureuse et stimulante d’un père pour chacun de ses enfants, pour chacun d’entre nous. Mais je dois au préalable faire une courte digression : imaginer une mère de famille qui confectionne une tarte pour le dîner du soir ; elle y associe sa petite fille qui lui passe le moule, les ingrédients, fait peut-être une pesée, mais pas beaucoup plus ; puis, au moment du dessert, lorsque chacun complimente la maîtresse de maison celle-ci dit simplement : « ma fille Juliette m’a beaucoup aidé, vous savez ; elle en a fait autant que moi ». Eh bien, l’auteur de la parabole a une attitude analogue : en effet, si les deux serviteurs ont doublé la mise, c’est que le fruit du don est égal au don initial ; comme si, dans l’alliance, pourtant bien dissymétrique, que Dieu offre en Jésus-Christ à chacun de nous, il nous disait qu’à ses yeux, ce que nous apportons a autant de valeur que ce qu’Il nous a donné. N’est-ce pas d’une extraordinaire tendresse ? ****** Selon l’hypothèse proposée ici, cette parabole nous placerait au cœur de ce qui construit notre relation à Dieu : notre foi personnelle, qui est un don de Dieu. Notre foi s ‘appuie-t-elle sur la seule connaissance, fusse d’un catéchisme ? Elle est alors sans vie, et la logique est de la conserver en l’état, de la vénérer comme on embaume les morts qu’on enterre ; elle n’a aucun avenir, ne porte aucune espérance, si elle en reste là. Notre foi s’enracine-t-elle dans la confiance, dans l’abandon à un Tout Autre que jamais nous ne pourrons cerner ? Elle devient alors source de vie. Comme la monnaie qui a été inventée pour faciliter les échanges, la foi devient source de rencontres, d’expositions, de risques, mais alors elle s’amplifie, s’étoffe, porte du fruit et se charge d’une promesse. Nous sommes, chacun d’entre nous, quelque part entre ces deux extrêmes, ou peut-être un pied de chaque côté, même si, selon les moments de notre vie, nous avons tendance à nous appuyer plus sur un pied, ou sur l’autre. Peu importe ; ne nous sentons pas coupables de nos imperfections, de nos insuffisances ; Dieu nous accompagne sur notre chemin de foi ; il nous encourage et nous demeurons plein d’espérance ; nous pouvons oser notre foi, alors, que notre foi soit vivante ! Amen. J Larambergue Villefranche 26 janvier 2014 Page 4 sur 4