juin 2015 - Filautrope

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juin 2015 - Filautrope
Filautrope
Un fil vers l’Autre-part
Lettre circulaire n°5 Juin 2015
Ces quelques pages forment la Lettre Circulaire de Frédéric Michaud & Laurence Chave. Partis en mars 2014
pour s’impliquer trois ans durant dans un projet de volontariat, ils donnent régulièrement des nouvelles à
leurs amis, famille et toute personne intéressée par le biais de lettres circulaires comme celle-ci et par leur site
internet www.filautrope.ch.
Informations sur le contexte colombien, derniers développements de leurs projets professionnels et petites
aventures du quotidien forment le contenu principal des Lettres. En évoquant ainsi les réalités d’un contexte
différent, Laurence et Frédéric espèrent faire profiter de leur expérience et transformer le regard suisse sur
la Colombie.
Edito
Tout ce que nous faisons en Colombie avec
nos organisations respectives n’est qu’une
partie de notre engagement avec E-Changer/COMUNDO. L’autre aspect est l’information que nous pouvons transmettre
en Suisse sur la situation colombienne et
notre projet.
Table des Matières
Edito.................................................... 1
Coté maison........................................ 2
Coté bureau........................................ 3
La Colombie, vous avez dit?............... 4
La dégustation de vin organisée en mai
par le comité de notre groupe de soutien
s’est pleinement inscrit dans cet objectif,
et c’est avec un grand plaisir que nous
avons passé plus de deux heures à “skyper” avec certains d’entre vous. Un grand
merci à tous ceux et celles qui ont répondu
présent(e)s et ont soutenu notre projet en
s’offrant un verre “Filautrope” et en discutant avec nous!
Dans la même intention de partager avec
vous tout ce que nous vivons ici en Colombie, nous reviendrons passer un mois en
Suisse en septembre. Nous nous réjouissons d’ores et déjà de vous revoir à cette
occasion!
Frédéric et notre stagiaire Alexandra aux bains thermaux de
Kokonuko.
Soutenir notre projet
Frédéric & Laurence travaillent comme volontaires, envoyés par
l’association suisse E-Changer/Comundo à la demande d’une ONG
colombienne active dans les droits de la Femme (Laurence) et
d’une autorité indigène (Frédéric).
Si vous le souhaitez, vous pouvez soutenir cette aventure en faisant un don grâce au bulletin de versement ci-joint ou par un virement sur le compte postal d’E-Changer :
CCP 17-7786-4 / IBAN CH51 0900 0000 1700 7786 4 en indiquant bien “Filautrope” dans les commentaires.
Plus d’info: E-Changer – Rue St-Pierre 10, 1700 Fribourg – 058 / 854 12 40 – www.e-changer.ch
Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch
Côté maison
Petit résumé de notre vie depuis la dernière lettre circulaire
Grâce à la force de caractère de notre amie suisse Diane, nous arrivons enfin
en haut du Volcan Puracé qui domine Popayán à 4760m.
Comme nous avons consacré la
partie “côté maison” de notre
dernière lettre circulaire à un aspect spécifique de notre vie privée (le budget), nous profitons
de cette édition-ci pour vous offrir pêle-mêle quelques aperçus
des évènements rythmant notre
quotidien de ces six derniers
mois.
Depuis décembre dernier, nous
avons découvert d’autres aspects de la Colombie. Pendant
les vacances de Noël, nous
avons reçu de nombreuses visites. D’une part, avec les parents de Frédéric, nous sommes
partis à la visite de la côte Caraïbe. Arriver en avion à Carthagène après 10 mois à Popayán, c’est un choc. Plus chaud,
plus touristique, plus cher,
plus développé, mais où est la
Colombie que l’on connaît ?
Dans le fameux parc naturel Tayrona, sur la
côte Caraïbe, avec Samuel.
Pourtant, comme le reste du
pays, Carthagène possède deux
faces. On murmure que loin du
centre historique, c’est l’une des
villes où les pauvres sont les plus
démunis.
Nous partons plus tard pour
une semaine en Équateur avec
d’autres amis. Au retour, nous
nous arrêtons dans un hôtel
“luxueux” pour le carnaval de
Pasto. Merci à nos visiteurs pour
leur compagnie et leur générosité!
Au cours des premiers mois de
l’année, nous continuons nos
travaux intensifs dans le jardin.
Maintenant, il nous semble parfait. Tomates, maïs, pommes
de terre, coca, tout y pousse,
et on se sent presque indigène.
Comme il n’y a pour ainsi dire
pas de saison, on peut tout planter quand bon nous semble, c’est
très pratique. Seul inconvénient,
le soleil se couche invariablement à 18h, et la semaine nous
n’en profitons pas beaucoup.
En avril, nous avons participé à
une nouvelle rencontre des coopérants de Comundo en Colombie, avec notre coparte, c’est-àdire une personne qui travaille
avec nous à Popayán. On pensait
que l’indigène qui accompagnait
Frédéric allait être un peu perdu, mais
il est revenu ravi d’avoir acquis un ami
allemand, et clame à tout va être devenu lui-même allemand…
Nous revenons de la rencontre avec
autre chose dans notre valise… enfin,
plutôt, quelqu’un d’autre. Et pas dans
la valise en réalité. Alexandra est une
jeune Suisse-allemande qui a décidé
de faire un stage de trois mois dans
un pays en voix de développement.
Après deux mois dans le département
du Choco, elle termine son stage avec
nous. Plus que de travailler, l’idée des
stages proposés par Comundo est
une sensibilisation aux contextes sensibles. Nous espérons qu’elle a autant
apprécié notre présence que nous la
sienne.
Voyage de mi-mandat
En Septembre, nous revenons en Suisse pour
environ un mois. Malgré un travail qui nous
occupe ici à 100%, nous rêvons déjà de fondue, d’escalade et de trains ponctuels et
confortables. Mais si nous rentrons en Suisse,
c’est aussi pour parler de notre projet et de la
Colombie, et prendre un peu de distance, pour
repartir de plus belle pour 18 mois supplémentaires.
Notre objectif, avoir un agenda entièrement
plein. Nous voulons rencontrer du monde,
savoir ce que deviennent les gens, parler de
notre vie en Colombie, retourner aux sites
qui nous sont chers… E-Changer nous demande aussi d’organiser quelques événements pour présenter notre projet. Bien que
les détails ne soient pas encore définis, nous
organiserons sans doute une fête officielle, comme nous l’avions fait à notre
départ. Nous essayerons également d’aller dans
certaines écoles, avec différentes approches
suivant la classe d’âge.
Dans l’idéal, nous espérons une participation active de la part de tout notre
groupe de soutien. Nous attendons votre
invitation pour un souper, un brunch, un
séminaire de mécanique quantique. Mais si en
plus vous avez une idée, fantasque ou non, d’un
événement où nous pourrions participer/que
nous pourrions organiser, c’est encore mieux.
Bref, nous nous réjouissons beaucoup de vous
voir et attendons vos propositions !
Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch
Côté bureau
Les avancées de nos projets professionnels, au service du renforcement d’organisations citoyennes.
La routine et tout le reste
L’article de Laurence sur son engagement à Comunitar, paru fin avril dans le journal Comundo, détaille un
peu la base de son cahier des charges (à consulter sur
http://assets.comundo.ch/downloads/comundo_05_
web_mai15.pdf en page 8). Ce que l’article ne raconte pas, ce sont toutes les activités ponctuelles qui
viennent s’y ajouter. Voici donc de quoi compléter la
description.
Évènements divers
Forums, tables rondes, ateliers ou manifestations dans
les rues, Comunitar s’efforce d’augmenter son impact
politique en participant à de nombreux événements
publics. Les avantages sont certains : visibilité de l’organisation, réseautage et lobbyisme, le tout au service
de la cause des femmes et de la paix. L’inconvénient
est que l’équipe est petite et que tout cela s’ajoute au
travail quotidien. Comme mes propres tâches ont rarement un caractère urgent, je suis souvent chargée
de représenter Comunitar – heureusement rarement
seule – dans ces évènements qui changent de la routine. Par exemple, j’ai pu assister à la Rencontre Andine
des Femmes Rurales, à la remise de comptes 2014 du
gouvernement du Cauca ou à la présentation d’un rapport sur l’accès des femmes à la terre.
Un deuxième type de manifestations m’occupe aussi
passablement ces derniers temps. Comunitar est en
effet l’une des ONGs qui a permis l’élaboration et la
publication du Programme pour la Paix des femmes du
Cauca, produit par environ 70 femmes de 17 organisations locales. Après les réunions portant sur le contenu, nous organisons maintenant des réunions sur comment le placer politiquement, afin qu’il puisse être mis
en pratique. Je me charge entre autre d’y arriver à
l’heure pour accueillir les participantes, et de décorer
la salle : pas de réunion sans “mandala”, dessin sur le
sol au centre de la pièce avec des fleurs, des graines,
des bougies et autres symboles associés ici au féminin.
Laurence finalise un “mandala”, avant un atelier.
Réflexions institutionnelles
Finalement, Comunitar est en pleine phase de
réflexion sur ses pratiques. L’approche employée lors de
nos interactions avec les femmes victimes de violences
est-elle la plus adaptée ? Quels points doivent-ils être
mis en avant ou au contraire laissés de côté afin de les
aider au mieux ? Un spécialiste en psychologie sociale
nous sert actuellement de consultant afin de permettre
à l’équipe de recadrer ses pratiques au fil d’ateliers
auxquels je participe activement. Parallèlement, nous
lisons et discutons beaucoup du féminisme et de l’écoféminisme, afin d’harmoniser notre compréhension de
ces concepts et d’en empreindre la méthodologie des
formations que Comunitar organise.
Toutes ces activités me permettent d’entrer plus directement en contact avec le contexte du Cauca et avec
le public-cible de Comunitar : les femmes victimes de
violences. Ecouter leurs histoires et découvrir leur formidable résilience constituent l’un des aspects les plus
enrichissants de mon travail.
Frédéric reprend le travail avec sa nouvelle équipe
Après la rencontre des jeunes indigènes, dont fait mention la dernière
lettre circulaire, il aura fallu presque deux mois pour obtenir la composition
définitive de l’équipe du Programme Jeunes du CRIC. Mais depuis miavril, le travail a repris et les visites sur le terrain se multiplient. Frédéric
prend confiance et ses allocutions se font de plus en plus longues.
Comme la nouvelle secrétaire est très jeune et manque d’expérience, il
l’appuie dans ses tâches, comme par exemple l’ajustement et la gestion
du budget. Ayant gagné peu à peu la confiance des gens, il est également impliqué dans d’autres projets, notamment avec le Programme
Femmes du CRIC.
Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch
La Colombie, vous avez dit?
Qui a peur des écoféministes?
Avant les réunions, les féministes se détendent grâce à une
“récupération corporelle”.
Qui a peur des féministes?
Lorsque le fonctionnaire qui renouvelait nos visas
a lu que Laurence travaille pour la “Corporation de
femmes écoféministes COMUNITAR”, il a poussé une
exclamation de terreur amusée. Le mot “féministe” lui
faisait déjà peur, comme s’il évoquait un monde où les
femmes asserviraient les hommes, mais avec ce préfixe incongru les “écoféministes” ne peuvent qu’être
plus extrêmes encore !
Ceci vous en dit long sur les conditions de travail des
gens qui luttent pour un plus grand respect des droits
de la femme en Colombie. Si nous parlons des droits
de la femme et pas de l’égalité, c’est que beaucoup de
gens ici semblent avoir une conception de la problématique genre différente de la nôtre. Nous sommes en
effet tombés de haut en découvrant des Colombiennes
qui revendiquent le droit de porter des talons hauts
au nom du féminisme alors que pour nous ils sont un
symbole de la soumission au machisme. Il faut dire
qu’avant de rencontrer Comunitar, nous ne savions pas
non plus ce qu’était l’écoféminisme, branche du féminisme très présente en Amérique latine.
L’Écoféminisme
Avant de partir de Suisse, nous avions une approche
plus ou moins beauvoirienne de la question genre,
considérant que le féminin n’est qu’une construction
sociale. De cette vision découle une lutte pour une
réelle égalité des opportunités pour chacun des deux
sexes, que ce soit au niveau des salaires ou des attentes de la société par rapport à leurs choix de vie.
Grâce à Comunitar, nous avons découvert une autre
branche du féminisme. Cette dernière prend la différence entre homme et femme comme point de
départ. Ne serait-ce que biologiquement parlant
(l’aspect psychologique est plus controversé : inné ou
résultat d’un conditionnement social ?), on ne saurait
en effet confondre les deux sexes. Le nier serait perdre
la richesse de la diversité, qui devrait servir à développer une société plus harmonieuse – mais en aucun cas
justifier l’injustice et la violence auxquelles sont soumises les femmes.
L’écoféminisme s’inscrit pleinement dans ce courant
“différentialiste”. Il postule un lien fort entre femme
et nature, reflété par exemple dans la conception de
la Terre-Mère et son rôle nourricier. De là, Comunitar
tire l’une de ses notions les plus emblématiques: le
corps comme premier territoire. Selon elle, pour une
femme, protéger l’environnement et prendre soin de
son propre corps procèdent de la même logique. De
beaux habits, de la crème hydratante et surtout aucun
viol ou œil au beurre noir, s’assimilent à un jardin sans
mauvaise herbe, bien arrosé et surtout sans pesticide
ou contamination au mercure. Mais comme charité
bien ordonnée commence par soi-même, l’auto-cuidado, ou le soin de soi-même, est fortement recommandé avant de s’attaquer aux problèmes environnementaux.
Suivant ce raisonnement, dans le contexte colombien
où certains maris jaloux vont parfois jusqu’à enfermer
leur épouse à la maison de peur qu’elle ne plaise à
d’autres, porter des talons hauts peut relever d’une
véritable rébellion.
Et donc?
Des contextes différents impliquent donc différentes
visions du féminisme. En Colombie, où depuis 60 ans
le conflit armé fait du corps des femmes un butin de
guerre et de leurs viols un outil utilisé sciemment pour
déchirer les familles et affaiblir les mouvements sociaux, le premier travail de l’écoféminisme est la réappropriation par la femme de son corps. Un processus
qui va au-delà de nos différents idéologiques et auquel
nous adhérons pleinement.
Des propos que l’on entend
souvent en Colombie, quand
on se trouve dans la maison
de Frédéric et Laurence
Des propos que l’on entend
souvent en Colombie chez
des femmes qui défendent les
droits de la femme
L’éducation des enfants doit se
faire autant par le père que par
la mère.
La mère joue un rôle prépondérant dans l’éducation des
enfants.
Les hommes et les femmes
sont tout aussi aptes à faire de
la psychologie ou de l’informatique.
La femme a certaines capacités mieux développées que
l’homme ce qui la rend plus
apte pour certaines carrières.
Les hommes et les femmes
devraient être considérés de
la même manière lorsqu’ils se
maquillent.
Les femmes ont un droit fondamental à prendre soin de
leur corps.
Les tâches ménagères doivent
être distribuées de manière
équilibrée entre les deux sexes.
Les tâches traditionnellement
associées à la femme doivent
être revalorisées.
La plupart des sensibilités
attribuées généralement à
l’homme ou à la femme sont
des constructions sociales.
La femme a une plus grande
sensibilité écologique et défendra toujours “la Madre
Tierra”
Les violences contre les femmes sont inacceptables. Les femmes
ont le droit à l’autodétermination/l’indépendance professionnelle, sociale, sexuelle et économique!