Sacerdoce commun et vie consacrée1

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Sacerdoce commun et vie consacrée1
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Vies consacrées, 82 (2010-4), 270-279
Sacerdoce commun et vie consacrée1
L’année sacerdotale qui s’est récemment achevée a été l’occasion de nombreuses réflexions, tant sur le sacerdoce commun
que sur le sacerdoce ministériel. La contribution qui suit voudrait se pencher plus particulièrement sur l’articulation entre
sacerdoce commun et vie consacrée. Dans un premier temps, je
vais retracer à grands traits ce qu’on entend aujourd’hui par
sacerdoce commun, dans le cadre de la réforme promue par
Vatican II. Je dirai ensuite en quoi cette revalorisation du sacerdoce commun peut interpeller la vie consacrée par la profession
des conseils évangéliques.
La redécouverte du sacerdoce commun, fondé sur
le baptême
Commençons par situer cette question dans le contexte plus
général du concile Vatican II. «∞∞L’Église∞∞» a constitué un des thèmes majeurs traités par Vatican II. Il l’a fait selon deux grands
axes, qu’expriment bien les deux constitutions conciliaires principales, Gaudium et spes et Lumen gentium ∞ : le rapport de l’Église
au monde, d’une part∞∞; une réflexion sur l’Église elle-même,
d’autre part, qui a mis en évidence la notion de peuple de Dieu
ainsi que celle de l’Église sacrement de communion. C’est dans
le cadre de cette réflexion plus ad intra sur l’Église qu’on peut
situer la redécouverte du sacerdoce commun.
Plus précisément, cette réappropriation traduit le souci des
pères conciliaires de promouvoir ce qui est commun à l’ensemble du peuple de Dieu, en redécouvrant la richesse de la condition baptismale commune à tous les chrétiens, antérieurement
à toute vocation spécifique. Auparavant, on était davantage
1. Cette conférence a été donnée récemment dans un institut religieux désirant célébrer la fin de l’année sacerdotale. Nous remercions l’auteur et l’institut de nous en
avoir réservé la publication.
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sensible à la diversité des vocations dans l’Église. Ainsi, le code
de 1917, dans son développement sur les personnes dans
l’Église, ne contenait guère de dispositions communes à l’ensemble des chrétiens, mais il traitait surtout des clercs, des religieux et des laïcs. Il considérait donc amplement ce qui était particulier aux différentes catégories de fidèles, sans s’attarder sur
la condition commune aux baptisés.
Le concile s’est inscrit en faux contre cette manière de voir, en
remettant en valeur ce qui est commun à l’ensemble des chrétiens.
Il l’a opéré de différentes manières, dont la revalorisation du sacerdoce commun n’est qu’une dimension. Par exemple, si on considère l’ordonnancement de la constitution Lumen gentium (= LG),
le fait de traiter d’abord de l’Église mystère de communion et de
l’Église peuple de Dieu, avant d’aborder la question de la hiérarchie et des laïcs, traduit bien ce souci de privilégier l’universel sur
le particulier. De même, le concile va rappeler l’égalité fondamentale en dignité de tous les baptisés (LG 32). Il posera également le
principe de l’appel universel à la sainteté dans l’Église (LG 40). Ce
dernier point est un exemple particulièrement clair du souci du
concile de donner la priorité à ce qui est commun aux baptisés,
avant de voir ce qui est propre à telle ou telle catégorie spécifique
de chrétiens. On peut citer ici un court extrait de LG 40∞∞: «∞∞il est donc
bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui
croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang.∞∞» De
même, lorsque le concile traitera des formes multiples d’exercice
de la sainteté, en LG 41, il commence par rappeler que, «∞∞dans les
formes diverses de vie et les charges différentes, c’est une seule
sainteté que cultivent tous ceux que conduit l’Esprit de Dieu∞∞».
L’enracinement du sacerdoce commun dans l’Écriture
Pour ce qui concerne plus précisément le sacerdoce commun,
on retournera au début du deuxième chapitre de Lumen gentium,
relatif au peuple de Dieu. Le concile, citant l’Apocalypse, dit à
ce propos que «∞∞le Christ Seigneur, grand-prêtre pris parmi les
hommes, a fait du peuple nouveau [qu’est l’Église] un royaume,
des prêtres pour Dieu son Père∞∞» (LG 10). Le concile fait référence
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ici à deux passages de l’Apocalypse. Au tout début du livre, lorsque Jean s’adresse aux sept Églises qui sont en Asie, il rend gloire
au Seigneur, qui a fait de «∞∞nous∞∞», c’est-à-dire de lui-même et de
l’ensemble des chrétiens auxquels il s’adresse, «∞∞un Royaume et
des prêtres pour Dieu son Père∞∞» (Ap 1, 6). Un peu plus loin, on
trouve le cantique nouveau, chanté par les 24 anciens prosternés
devant l’Agneau, où il est dit du Christ «∞∞qu’il a fait [des hommes
qu’il a rachetés] un royaume et des prêtres, et ils régneront sur la
terre∞∞» (Ap 5, 10).
«∞∞Prêtres∞∞»∞∞?
Vatican II s’appuie donc ici sur l’Écriture sainte. Effectivement,
on peut remarquer que, quand le Nouveau Testament parle de
sacerdoce ou de prêtre (hiereus en grec, sacerdos en latin), il n’emploie jamais cette expression pour désigner une catégorie particulière de chrétiens, comme on le fait aujourd’hui en parlant des prêtres au sens courant du mot. Mais il utilise le terme hiereus dans
trois sens différents. Le premier, qui ne nous intéresse pas directement ici, désigne les prêtres des religions païennes ou les prêtres
juifs chargés d’offrir les sacrifices au Temple de Jérusalem, comme
Zacharie, le père de Jean Baptiste, ou le grand-prêtre devant lequel
Jésus est conduit durant la passion (Lc 22, 54).
Les deux autres emplois du mot sont propres aux chrétiens. Le
premier d’entre eux renvoie à Jésus lui-même, prêtre par excellence. C’est particulièrement le cas dans la lettre aux Hébreux. Le
cœur de l’argumentation de la lettre aux Hébreux se trouve au chapitre 7, où l’auteur de la lettre compare le sacerdoce de Jésus au
sacerdoce des prêtres juifs, pour montrer que le premier a définitivement pris la place du second. On peut citer ici les versets 24 et
26-27 du chapitre 7∞∞: «∞∞Jésus, puisqu’il demeure pour l’éternité,
possède un sacerdoce exclusif. Tel est bien le grand-prêtre qui
nous convenait, saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs,
élevé au-dessus des cieux. Il n’a pas besoin, comme les autres
grands-prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour
ses propres péchés, puis pour ceux du peuple. Cela, il l’a fait une
fois pour toutes en s’offrant lui-même∞∞». En s’offrant en sacrifice
d’amour sur la croix, Jésus a rendu l’acte suprême de culte à Dieu
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et il n’est plus nécessaire d’offrir de nouveaux sacrifices. On n’a
donc plus besoin des prêtres de l’ancienne loi. Dorénavant, le seul
prêtre à proprement parler, c’est le Christ.
Cependant, le Nouveau Testament utilise encore le terme hiereus dans un troisième sens, qui désigne alors l’ensemble des
chrétiens, appelés à constituer un peuple sacerdotal. On a déjà
vu deux citations de l’Apocalypse en ce sens. Un autre exemple
de cette compréhension du sacerdoce se trouved dans la première lettre de Pierre (1 P 2, 5∞∞; 2, 9), où l’auteur, s’adressant aux
chrétiens d’Asie, emploie l’expression de communauté sacerdotale pour désigner l’ensemble des chrétiens. La fin de l’épître aux
Hébreux, sans employer explicitement ce terme, laisse entrevoir
elle aussi le sens que les premiers chrétiens donnaient à cette
expression, lorsqu’elle dit (He 13, 15-16)∞∞: «∞∞par lui [Jésus, notre
grand-prêtre], offrons sans cesse à Dieu un sacrifice de louange,
c’est-à-dire le fruit de lèvres qui confessent son nom. N’oubliez
pas la bienfaisance et l’entraide communautaire, car ce sont de
tels sacrifices qui plaisent à Dieu.∞∞»
«∞∞Sacerdoce commun∞∞»
En parlant de sacerdoce commun des fidèles, Vatican II ne faisait donc que revenir à la tradition la plus authentique et la plus
vénérable, obscurcie par des siècles de «∞∞rétrécissement ecclésial∞∞»,
qui avaient abouti à ne réserver l’expression de sacerdoce qu’à une
catégorie particulière de chrétiens, les prêtres, oubliant ainsi l’enseignement de l’Apocalypse, de la lettre de Pierre et de la lettre aux
Hébreux. Mais il ne suffit pas de rappeler que tous les chrétiens sont
prêtres en participant au sacerdoce du Christ pour que cet abus historique soit réparé. Encore faut-il préciser ce qu’on entend par
sacerdoce commun. Deux dispositions de Lumen gentium s’y
emploient particulièrement∞∞: LG 10, qui traite explicitement du
sacerdoce commun, et LG 33-37, qui va préciser les conséquences
de cette redécouverte du sacerdoce commun pour les laïcs.
Voyons d’abord ce que LG 10 dit du sacerdoce commun∞∞:
«∞∞Les baptisés […] sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, par toutes les activités
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du chrétien, autant de sacrifices spirituels, et proclamer les merveilles de celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable
lumière. C’est pourquoi tous les disciples, persévérant dans la
prière et la louange de Dieu, doivent s’offrir en victimes vivantes,
saintes et agréables à Dieu, porter témoignage du Christ sur toute
la surface de la terre et rendre raison, sur toute requête, de l’espérance qui est en eux d’une vie éternelle.∞∞»
Par delà les mots qui peuvent apparaître un peu vieillots, le
concile met ici en évidence deux dimensions importantes du
sacerdoce commun∞∞: l’offrande de soi, dont il était déjà question
dans le Nouveau Testament∞∞; la proclamation, le témoignage
rendu à l’espérance qui est en nous.
Ces deux dimensions du sacerdoce commun se retrouvent en
LG 34-37, avec une troisième, celle du service. On peut exprimer
ces dimensions en termes de participation à la mission — ou
fonction — du Christ∞∞: participation à sa mission sacerdotale au
sens strict (LG 34), à sa mission prophétique (LG 35), à sa mission
royale (LG 36). Parcourons brièvement ces dispositions.
Une offrande de toute sa vie à Dieu
À propos de la participation des laïcs à la fonction sacerdotale du Christ — le sacerdoce commun au sens strict —, LG 34 dit
que
«∞∞toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens,
leurs détentes d’esprit et de corps, s’ils sont vécus dans l’Esprit de
Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu’elles soient
patiemment supportées, tout cela peut devenir offrandes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ. Et dans la célébration
eucharistique, ces offrandes rejoignent l’offrande du Corps du
Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C’est ainsi que
les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même.∞∞»
Même si cette disposition s’adresse aux laïcs, d’où par exemple
la mention de la vie conjugale et familiale, ce qu’elle dit vaut pour
l’ensemble des baptisés. Elle exprime même à mon sens le cœur du
sacerdoce commun auquel sont appelés tous les chrétiens.
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Pour le dire en termes simples, il s’agit de faire de toute sa vie,
y compris dans ses dimensions les plus banales, les plus quotidiennes, une offrande d’amour à Dieu. Le prêtre du culte ancien,
comme nous l’avons vu, offrait à Dieu des sacrifices. Ce sacerdoce ancien a été aboli par le Christ, qui s’est offert lui-même au
Père par amour pour toute l’humanité, afin de nous libérer du
mal et de la mort. Comme baptisés ayant revêtu le Christ, nous
sommes appelés à vivre la même remise de tout notre être au
Père. L’idéal à poursuivre pour bien vivre notre sacerdoce commun, c’est de faire en sorte que nos vies soient entièrement données à Dieu et aux autres, comme l’a été la vie du Christ. Pour
nous aider sur cette route, il y a bien sûr la prière, dont parle
LG 10, dans laquelle nous pouvons plus explicitement présenter
notre vie au Seigneur. Il y a aussi les sacrements, et singulièrement l’eucharistie, qui nous permet de nous unir plus étroitement à l’offrande que le Seigneur fait de lui-même, dans son
Corps et son Sang offert et partagé.
Une nouvelle compréhension du sacré
En soulignant la possibilité pour tout chrétien de faire de sa
vie une offrande à Dieu, le concile nous invite à revoir notre
conception du sacré. Il réagissait ainsi contre une dérive qui a
parfois touché l’Église, et développait une conception plus
païenne que chrétienne du sacré. Les païens, pour le dire en bref,
voient le sacré et le profane comme des termes antinomiques.
Pour rencontrer Dieu, je dois me rendre dans un endroit sacré,
comme un temple, qui lui est spécialement dédié, parce que je
ne peux pas le rencontrer dans la vie profane. De même, je dois
m’adresser à un spécialiste du sacré, le prêtre, parce que je suis
moi-même incompétent pour m’adresser à Dieu.
Telle n’est pas la conception chrétienne, même si l’Église a pu
parfois éprouver des tentations en ce sens. En rappelant que tous
les chrétiens sont prêtres, à la suite du Christ prêtre, et qu’ils sont
appelés à offrir leur vie entière à Dieu en union à l’offrande que
le Christ a faite de la sienne à son Père, le concile a remis en évidence qu’il n’y aucun lieu ni moment qui auraient l’exclusivité
du sacré, pas plus qu’il n’existe des personnes qui seraient les
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dépositaires exclusifs du sacré. Tout lieu, tout moment de la vie
peut devenir sacré, habité de la présence de Dieu, si nous l’y invitons en lui offrant ce que nous sommes appelés à vivre.
Une telle vision du sacré donne tout son poids à notre vie quotidienne, y compris dans ce qu’elle a de plus humble, de plus
banal. Elle ne nie pas pour autant qu’il puisse y avoir des
moments ou des lieux privilégiés où la présence de Dieu se fait
particulièrement forte, comme lors d’une eucharistie ou dans
une église, mais sa présence ne peut être limitée à ces lieux ou
ces moments.
Témoignage et service, dans le monde et dans l’Église
Voilà la dimension fondamentale du sacerdoce commun.
Mais les autres dimensions relevées par le concile ne sont pas
secondaires pour autant. Il y a d’abord la dimension prophétique,
rappelée par LG 35. Le Christ n’est en effet pas seulement le grand
prêtre qui offre sa vie au Père par amour, il est aussi le grand prophète venu annoncer au monde la Bonne Nouvelle du Salut. À sa
suite, tout chrétien est appelé, chacun à sa manière, à être prophète, et cette mission fait partie du sacerdoce commun au sens
large. LG 35 dit à ce propos que le Christ accomplit sa fonction
prophétique, «∞∞aussi par les laïcs dont il fait […] des témoins, en
les pourvoyant du sens de la foi et de la grâce de la parole, afin que
brille dans la vie quotidienne, familiale et sociale, la force de
l’Évangile.∞∞» De nouveau, ce qu’il dit ici des laïcs vaut de tout
baptisé. Si tout moment et tout lieu de la vie est susceptible d’être
sacré, en étant offert à Dieu, cela signifie aussi que tout lieu et tout
moment peut être occasion d’annoncer l’Évangile. La Bonne
Nouvelle n’est pas seulement proclamée à l’église mais elle peut
l’être en tout lieu et à tout moment, par toute personne qui vit de
l’esprit du Christ.
La troisième et dernière dimension du sacerdoce commun
soulignée par le concile, c’est la participation à la fonction royale
du Christ. LG 36 voit cette participation en termes de concours à
la croissance du règne de Dieu dans le monde, «∞∞un règne de
vérité et de vie, de sainteté et de grâce, de justice, d’amour et de
paix∞∞». Ici encore, le lien avec ce que y a été dit plus haut du
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sacerdoce commun apparaît clairement. Si tout ce qui fait notre
vie quotidienne est susceptible d’être sacré, s’il est offert à Dieu
pour qu’Il vienne l’habiter de son Esprit, il est logique que nous
travaillions à ce que cette vie quotidienne et le monde dans
lequel elle se déroule corresponde autant que possible aux
valeurs du Royaume auquel le Christ nous appelle. Les baptisés
sont donc appelés, avec leurs frères et sœurs de bonne volonté,
à travailler à ce que grandissent la justice, la paix, la réconciliation, le respect mutuel, la vie dans son sens le plus large.
Il est possible de lire la disposition suivante de Lumen gentium (LG 37) dans la perspective du sacerdoce commun, auquel
elle ajoute une dimension importante. En effet, ce qui a été dit
plus haut du sacerdoce commun vaut principalement ad extra,
dans le monde. Offrir tout ce qui fait sa vie à Dieu, témoigner de
Lui au quotidien, travailler à ce que son Royaume grandisse dès
ici-bas, ce sont des missions qu’il s’agit avant tout d’exercer dans
le monde. Est-ce à dire que le sacerdoce commun ne concernerait pas la vie de l’Église, qui resterait le domaine exclusif ou privilégié des clercs∞∞? Non, bien sûr. On a en a déjà eu une illustration dans la mention de l’eucharistie à propos de la participation
à la fonction sacerdotale du Christ au sens strict. L’eucharistie
n’est donc pas le domaine privé du prêtre qui la préside, mais
tous les baptisés sont appelés à la célébrer. LG 37 développe un
autre aspect de cette dimension intra-ecclésiale du sacerdoce
commun, lorsqu’il invite les pasteurs «∞∞à reconnaître et promouvoir la dignité et la responsabilité des laïcs dans l’Église, […] leur
remettant avec confiance des charges au service de l’Église, leur
laissant la liberté et la marge d’action, stimulant même leur courage pour entreprendre de leur propre mouvement.∞∞» La redécouverte du sacerdoce commun suppose donc également que
les baptisés s’impliquent davantage dans la vie ecclésiale, en y
prenant des responsabilités.
Sacerdoce commun et vie consacrée∞∞: deux lieux
d’interpellation
Voilà à grands traits en quoi consiste le sacerdoce commun,
tel qu’il a été remis en valeur par le concile. Cette revalorisation
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est bien sûr susceptible d’interpeller les consacrés par la profession des conseils évangéliques, qui sont d’abord des baptisés. Je
vois plus particulièrement deux lieux d’interpellation principaux.
Le premier lieu concerne la vie quotidienne des consacrés. La
revalorisation du sacerdoce commun aide à redécouvrir la vie
quotidienne de tout baptisé comme une histoire ou un lieu sacré,
où Dieu peut se rendre présent, si nous lui offrons chaque
moment de notre vie pour qu’Il vienne l’habiter de son Esprit
d’amour. Pour ce faire, il nous faut prier, mais d’une prière qui soit
connectée à notre vie. Ce n’est pas la seule forme de prière possible, bien sûr. Mais une prière qui aide à vivre le sacerdoce commun sera nécessairement en lien avec la vie quotidienne, qui
implique que nous puissions rendre grâce à Dieu pour ce que nous
vivons de beau, ce que nous recevons de lui, qui suppose que nous
puissions lui demander pardon, ou encore lui confier les divers
instants de notre vie pour qu’il vienne les habiter de son Esprit
d’amour. Le même principe vaut également pour l’eucharistie,
qu’elle soit quotidienne ou dominicale. Elle peut constituer un
lieu privilégié où l’offrande de tout ce que nous vivons vient
rejoindre l’offrande que le Christ fait de lui-même au Père.
Évaluer sa vie à la lumière du sacerdoce commun conduit
donc nécessairement à réfléchir à la qualité de la prière et de la
vie sacramentelle, au lien entre elles et la vie quotidienne. C’est
un premier lieu d’interpellation. N’hésitons pas, par exemple, à
nous interroger sur la qualité de notre offrande du matin, de
notre examen de conscience du soir, ou encore à nous demander si nous avons, durant la journée, des moments de prière qui
aident à rester dans cet état d’esprit d’offrande à Dieu.
Mais nous pouvons également nous interroger sur les deux
autres domaines où le baptisé est appelé à vivre le sacerdoce
commun au quotidien. En quoi notre vie, dans ses dimensions
les plus concrètes, est-elle un témoignage rendu à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ∞∞? En quoi notre agir quotidien fait-il grandir
le Royaume∞∞? Bien sûr, c’est fondamentalement le Seigneur qui
témoigne ou qui édifie le Royaume à travers nous, et ce n’est pas
à nous de décider des fruits que nous porterons. Mais du moins
pouvons-nous nous demander si nous sommes dans des dispositions qui permettront à ces fruits d’éclore.
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Un autre lieu d’interpellation concerne l’exercice du sacerdoce commun à l’intérieur de la vie ecclésiale. Redécouvrir le
poids et la valeur de notre vocation de baptisé, c’est aussi redécouvrir notre responsabilité à l’égard de l’Église. C’est un point qui
n’était autrefois évident ni pour les laïcs, ni pour les religieux. Ce
n’était pas patent pour les laïcs, car on leur avait suffisamment
répété que l’Église était l’affaire des prêtres, pour qu’ils ne sentent
pas concernés par sa vie interne. Ce n’était pas avéré pour les religieux car, du moins dans les grands instituts, ceux-ci avaient développé leurs œuvres propres qui, même si elles étaient en dernier
ressort au service de l’Église universelle, se développaient cependant sans grand contact avec l’Église locale. Vatican II a invité les
consacrés à changer leur regard sur les Églises particulières, en
rappelant que c’est en elles et à partir d’elles qu’existe l’Église
catholique une et unique (LG 23), et en rappelant aux consacrés
leur devoir de collaborer de toutes leurs forces au bien des Églises
particulières (CD 33), et d’être coopérateurs de l’évêque dans les
œuvres d’apostolat (CD 34). Dans la perspective du sacerdoce
commun qui est le nôtre, il est donc important de nous interroger
sur le service ecclésial que nous rendons. Sommes-nous
conscients que, comme baptisés appelés à exercer le sacerdoce
commun, nous avons à travailler au bien de l’Église particulière
qui est la nôtre∞∞? Quel est notre souci de cette Église particulière∞∞?
Dans quelle mesure nous engageons-nous pour cette Église∞∞?
Benoît MALVAUX, s.j.
Rue du Grand Hospice, 30
BE-1000 Bruxelles, Belgique
Pour achever l’année sacerdotale du peuple de Dieu, il convenait aussi de
réfléchir à ce que le «∞∞sacerdoce commun∞∞» implique pour la vie consacrée.
L’auteur prend, avec le Concile Vatican II, son départ dans le baptême et
la triple mission du Christ,pour mettre en évidence deux lieux spécifiques
d’engagement «∞∞sacerdotal∞∞»∞∞: la vie quotidienne et le service de l’Église
particulière.
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