La Dépêche du Midi 020110
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La Dépêche du Midi 020110
La Dépêche du Midi – Grand Sud 2 janvier 2010 Chirurgie du cœur : sos bébés Toulouse. L'arrêt de la chirurgie humanitaire cardiaque pédiatrique révolte les médecins. Photo DDM, archives. Le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse est prêt à tout pour sauver l'une de ses activités de pointe : la chirurgie humanitaire. Dès la semaine prochaine, une délégation de médecins, devrait être reçue par le ministre de la santé, Roselyne Bachelot. Elle est déjà assurée du soutien de plusieurs personnalités politiques, dont celui de Martin Malvy, président du conseil régional. Le lancement d'une pétition à travers les hôpitaux de toute la région est également dans l'air. On raconte même dans les couloirs de l'hôpital des Enfants à Purpan, qu'on installera le centre hémodynamique (radiologie interventionnelle) sous une tente, s'il le faut, à l'image d'un hôpital de campagne. La construction en dur de cette salle de radiologie et de traitements non invasifs, devait bientôt commencer, elle devait être prête en novembre 2010. Mais l'Agence régionale de l'hospitalisation de Midi-Pyrénées, n'a pas laissé assez de temps au CHU pour mettre ses infrastructures en conformité. De fait, l'ARH ne permet plus au CHU de boucler son projet de Centre interrégional de chirurgie humanitaire. Depuis plusieurs mois, l'hôpital des Enfants et la clinique Pasteur de Toulouse s'étaient orientés vers la mise en commun des compétences et des outils, un partenariat public et privé qui permettait jusqu'alors d'opérer plus 140 enfants par an. Mais à la veille de la trêve de la Saint Sylvestre, l'annonce brutale de la suspension de l'activité a provoqué un choc dans la communauté médicale. « Nous avons appris la nouvelle dans les journaux en même temps que les familles », s'indigne le Pr Philippe Acar, et le responsable de l'unité cardio pédiatrique de l'hôpital des Enfants ajoute : « c'est un scandale administratif et humanitaire qui nous contraint à suspendre les opérations du jour au lendemain et à organiser dans l'urgence et dans l'angoisse, le transfert des enfants vers Marseille, Paris ou Bordeaux. C'est du grand n'importe quoi ! ». L'ARH de son côté, justifie sa décision « par le non-respect total des normes très élevées » qu'exige le nouveau schéma interrégional. Absent de Toulouse, le directeur de l'ARH, pour l'instant, reste injoignable. Pierre Gauthier conteste l'absence d'unité de soins intensifs cardio-pédiatrique à Purpan, et le CHU rappelle l'existence de son unité de réanimation et l'excellence de ses équipes. Ironie du sort, certains chirurgiens sont « au chômage », dont plusieurs spécialistes. Direction Bordeaux, Marseille ou Paris La suspension de l'activité de chirurgie cardiaque pédiatrique à Toulouse s'est immédiatement traduite cette semaine par plusieurs transferts d'enfants vers d'autres centres hospitaliers. Selon le choix des familles, les nourrissons ou les enfants souffrant de cardiopathie devront être suivis et opérés sur Bordeaux où la chirurgie cardiaque pédiatrique a été installée au sein de l'unité cardiaque adulte. Et pour les spécialistes toulousains « cette situation est loin d'être idéale et beaucoup moins confortable que celle rencontrée à Toulouse avec sur un même site l'hôpital de la Mère et l'hôpital des Enfants ». Les patients seront également pris en charge par l'hôpital de la Timone à Marseille, et par l'hôpital Necker, et le Centre chirurgical de Marie Lannelongue, à Paris. À Toulouse, les pédiatres et les chirurgiens expriment un sentiment de révolte « devant les difficultés provoquées par l'éloignement géographique, dans les situations d'urgence ». C'est ainsi que mercredi, l'hélicoptère qui devait transporter un enfant à Marseille, n'a pas pu décoller à cause de la grêle. Il a alors fallu organiser un transport par la route. « Un camion Smur pour Marseille, c'est cinq heures minimum de trajet », observe un médecin toulousain. témoignages Emma doit subir une 2 e opération Caroline Pedaussaut. Dans les bras de sa maman qui lui rend visite tous les jours depuis l'opération, Emma, deux mois et demi, gigote et réclame sa sucette. La petite fille est née le 16 octobre dernier à la clinique Sarrus-Teinturiers, et elle a un jumeau, Jules, qui lui est en bonne santé. Tandis que son frère babille à la maison, Emma prend des forces dans l'unité de néonatalogie (unité des prématurés) de l'hôpital des Enfants à Purpan. Le problème cardiaque d'Emma a été découvert une semaine après leur naissance et la fille de Caroline, a dû subir une première opération chirurgicale « Emma va de mieux en mieux, elle a même grossi. », s'exclame sa mère. Mais le sourire de cette aide-soignante d'Auterive, près de Toulouse s'estompe lorsqu'elle ajoute : « Sauf qu'aujourd'hui, c'est l'angoisse. Emma a besoin d'une deuxième opération, et je ne sais pas si mon chirurgien aura le droit de la faire dans deux ou trois mois. On me dit d'ailleurs que ce n'est plus possible, et je ne comprends pas. Il va falloir tout recommencer. C'est absurde ! J'ai complètement confiance dans le chirurgien qui s'est occupé de ma fille, et dans cette équipe. Pourquoi changer ? » Celle-ci redoute également la séparation avec Jules qui s'imposera si Emma est opérée à Bordeaux ou à Marseille, l'éloignement géographique entraînant d'autres difficultés pour les familles, comme se loger à l'hôtel durant plusieurs semaines. A.B des familles touchées lancent un cri d'alarme « Docteur, je m'inquiète pour mon bébé qui arrive » Virginie Viale. La nuit du Nouvel An, Virginie, 27 ans, a craqué. « Depuis que j'ai appris que mon bébé ne peut plus être opéré à Toulouse, je ne dors plus. Franchement, c'est la panique », raconte avec émotion cette mère de famille toulousaine. Ce soir-là, la jeune femme, maman de deux garçons de 3 et 5 ans, a même appelé l'association nationale des cardiaques congénitaux à la rescousse. Marie-Paule Masseron, la présidente de l'ANCC a aussitôt envoyé un sms au médecin qui suit la jeune femme et il a reçu l'appel de détresse vers deux heures du matin. « Rappelez Madame Viale d'urgence. Elle a vraiment besoin qu'on la rassure, elle est à cran », disait en substance le message. Il faut dire que Virginie a toutes les raisons de se faire du souci. « Mardi, je dois me rendre à l'hôpital pour un examen, et dans huit jours le bébé sera là », explique Virginie qui attend une petite fille souffrant d'une malformation cardiaque. L'anomalie a été décelée au deuxième trimestre de sa grossesse, au cours d'une échographique et depuis, Virginie sait qu'après la naissance, il faudra opérer rapidement son enfant. L'intervention était programmée pour le 22 janvier. Elle est suspendue avec l'arrêt soudain de l'activité chirurgie cardiaque pédiatrique à Toulouse. À cette heure, Virginie et sa famille ne savent toujours pas, où et qui prendra en charge le nourrisson. « C'est incompréhensible et révoltant », répètent la jeune femme et l'équipe médicale qui l'entoure. A.B. interview Jean-Jacques Romatet : « Nous irons jusqu'au bout » Vous avez pris acte de la décision de l'ARH. Mais Les médecins et les familles sont sous le choc. Que pouvez-vous leur dire de votre côté ? Que nous avons choisi le recours hiérarchique auprès du ministre de la santé pour sortir au plus vite de cette situation invraisemblable qui consiste ni plus ni moins à casser une équipe dans son élan, alors qu'elle est en pleine croissance et qu'elle a atteint un niveau de compétence remarquable. Songez que c'est au moment où il est nommé professeur que le chirurgien Bertrand Léobon se trouve dans la situation de ne plus exercer sa spécialité, alors qu'il fait partie de nos meilleurs espoirs. Les familles témoignent de leur détresse. Reste-t-il un espoir de sauver l'activité à Toulouse ? Nous avons des arguments pour défendre notre cause, même si l'arrêt d'une activité comme celle-ci durant un certain temps, peut signer son arrêt de mort. La chirurgie cardiaque représente tout un savoir-faire très pointu qui exige une pratique permanente et des liens très forts entre les équipes. On ne reconstruit pas un domaine comme celui-là, en un jour, et c'est pour cela que nous irons jusqu'au bout et que nous utiliserons tous les recours possibles et légitimes à notre disposition. A.B