François de Chevert lieutenant

Transcription

François de Chevert lieutenant
Lieutenant-général des armées du roi François CHEVERT
Alors que l’on vient de découvrir la trace d’un Petit Tambour Prieur, qui ce serait distingué au combat en 1793,
battant la charge à la tête d’un bataillon du 93ème Régiment d’infanterie de ligne appartenant à l’armée du Rhin, il
m’est apparu sans esprit de polémique de retracer la vie d’un autre enfant en régiment : François de Chevert né
en 1695. Le futur lieutenant-général des armées du Roi a-t-il été réellement « enfant de troupe » ? Certes, à
moins de 12 ans, il fut enrôlé au Carné-infanterie et orphelin à 13 ans il fut totalement sous la protection de son
régiment mais à en croire le travail sérieux de recherche reproduit ci-après en partie, son entrée sous les armes
grâce à l’achat d’une lieutenance pourrait sensiblement entacher son appartenance à notre institution. Cela
n’enlève bien entendu rien à la carrière extraordinaire de cet homme de guerre, soldat dès la plus tendre enfance.
Afin de simplement soumettre au lecteur, sans parti pris, des éléments d’histoire et de ne pas interférer sur ses
appréciations, je soumet le texte ci-dessous écrit voilà 119 ans.
Jacques Penaud (LM 55-60)
Les écrits ci-après sont extraits du tome X des mémoires de la Société philomathique de Verdun (Meuse), ils ont été rédigés par MM.
Camille Chadenet et Victor Joly. Ces mémoires ont été édités en 1888 par l’imprimerie de Ch. Laurent, éditeur, 12 et 14 quai de la
République à Verdun. Ils sont notamment détenues par la BNF.
LA FAMILLE DE CHEVERT
Le général François de Chevert, naquit à Verdun-sur-Meuse, le 2 février 1695.
Il avait pour père, Louis-Jacques de Chevert, verger de la Cathédrale1, pour mère MargueriteBenoiste Vernier, originaire de Fresnes-en-Wœvre.
La branche paternelle
La famille de Chevert est une des plus anciennes du pays verdunois ; l'un de ses membres,
Martin de Chevert de Crancenoy, fut anobli par le duc de Lorraine, le 4 novembre 1623, ainsi qu'il est constaté
au nobiliaire des Duchés de Lorraine et de Bar, avec le blason des armes depuis 1332 ; ses armes étaient :
d'argent à trois chardons fleuris et feuillés au naturel, la terrasse de Sinople, au chef d'azur chargé d'un
loup d'or, et d'une étoile de mème ait franc canton. Le nobiliaire de Dom Pelletier, et le complément de ce
nobiliaire mentionnent également le même Martin de Chevert, écuyer gentilhomme du duc de Lorraine, ainsi que
ses armes.
Un cousin, issu de germain du général, Antoine de Chevert, chanoine de la Cathédrale de
Verdun, fit enregistrer en 1696, ses armes à l'armorial officiel, elles étaient : d'azur à une colombe, tenant en
son bec un rameau d'or, et accompagnée d'une rose de même métal en chef, et de deux étoiles d'or en
pointe. Ce chanoine eut son tombeau en l'église Saint-Jean, avec épitaphe, représentant ses armes.
Peut-être, faut-il compter parmi les anciens membres de cette famille, noble homme Charles de
Chevert, écuyer valet de chambre ordinaire du roi en 1565.
Jean de Chevert, bisaïeul du général, originaire de Damloup, petit village de l'Évêché, eut trois
enfants, Humbert, Jean et Anne.
Humbert de Chevert, aïeul du général, épousa Élisabeth Renard, de Fresnes-en-Wœvre, d'une
des bonnes familles du pays. Il en eut trois enfants : Barbe, Marguerite et Louis-Jacques, père de notre héros.
Humbert fut nommé verger de la cathédrale, par conclusion capitulaire du 23 mai 1637,
fonctions qu'il exerça jusqu’en 1689; de 1661 à 1687, il joignit à ces fonctions celles de receveur de l'Hôtel-Dieu,
qui ont toujours été occupées par des personnages haut placés dans la hiérarchie civile et ecclésiastique.
Jean de Chevert, second du nom, grand-oncle du général, épousa Anne Quillot, également
d'une des bonnes familles du pays ; leur fille aînée se maria avec Nicolas de La Garde, écuyer, conseiller du roi,
contrôleur général des finances et guerres ; une de ses petites-filles, Anne de La Garde, épousa Henri Visses de
Latude ; parmi les membres de la famille, ou peut citer : Quillot Barthélemy, chanoine de la Cathédrale, à qui
succéda, dans son canonicat, Antoine de Chevert son filleul, dont nous avons mentionné les armes ; Quillot
Cuny, qui avait une épitaphe armoriée dans l'église des frères Prêcheurs ; Quillot-Bazin notaire. Jean de Chevert
1
Jean de Chevert, oncle du général, Humbert de Chevert, son aïeul, et Louis-Jacques de Chevert, son père, ont tous
trois rempli les fonctions de verger de la Cathédrale ; ces fonctions regardées comme infimes, qui avaient quelque analogie avec celles
actuelles des bedeaux, n'ont pas peu contribué à fortifier l'erreur, contre laquelle nous nous élevons ; il nous paraît donc opportun de dire ce
qu'elles étaient en réalité. M. Guédon, chanoine archiviste de la Cathédrale de Verdun nous l'apprend dans son recueil pour composer le
cérémonial du chapitre. Les charges de verger étaient des offices vénaux, dont la transmission était laissée au libre choix des titulaires, sauf
l'approbation du chapitre. Les titulaires n'avaient aucun rapport avec le public et ne conféraient qu'avec les chanoines. Cet office de verger
était peu rétribué, les titulaires recevaient par an au 17e siècle, quatre cents livres; mais l'exemption d'impôts, du logement et de la nourriture
des gens de guerre, du service de la garde bourgeoise et de toutes contributions extraordinaires, en faisaient une position recherchée et
ambitionnée, car toutes ces charges de ville étaient alors fort lourdes et surtout fort gênantes. Les fonctions de verger ont toujours été
occupées par des personnes des meilleures familles de Verdun. I1 est probable que les menus détails de cet emploi étaient confiés à des gens
à gages, payés par les titulaires, qui ne paraissaient que dans les cérémonies importantes. D'ailleurs, toutes les fonctions, quelque minimes
qu'elles fussent, qui relevaient du clergé, étaient fort en honneur à cette époque en notre pays verdunois ; on sait que jusqu'à sa réunion à la
France, les évêques y avaient un pouvoir prépondérant, jouissant des droits régaliens et se titrant d'évêques, comtes et princes du SaintEmpire ; le chapitre était aussi à cette époque un corps considérable, à sa tète se trouva jusqu'à 1386 un princier ; de 1321 à 1364, les
fonctions de princier furent remplis par le célèbre cardinal Elie de Talleyrand.
fut verger de la Cathédrale, il avait été promu à ces fonctions quelques temps avant son frère Humbert.
Barbe de Chevert, grand'tante du général, épousa Jacques Jacquemin, d'une famille dont tous
les membres remplirent les fonctions les plus élevées dans notre ville ; elle maria une de ses filles avec François
Géhot, conseiller du roi au siège présidial de Verdun, fils de François Géhot receveur des domaines de Monsieur
le Prince ; un autre François Géhot de Neuvilly fut garde du corps du roi de Pologne ; un Géhot de
Montblainville était, en 1715, lieutenant de la maréchaussée de Verdun ; il fit partie de deux camps avec le
général Chevert qui lui écrivit une lettre fort gracieuse, reproduite dans la suite de ce récit ; une branche des
Géhot était seigneur d'Eix et de Damloup ; parmi les chanoines de la Cathédrale en 1686, était Ignace Géhot.
Dans tous les actes officiels, privés et authentiques concernant la famille des de Chevert, le
nom patronymique de chacun de ses membres est toujours précédé de la particule.
La branche maternelle
Marguerite-Benoiste Vernier, femme de Louis-Jacques de Chevert et mère du général, était une
descendante de Simon Vernier, prévôt des maréchaux de Lorraine et Barrois, anobli le 12 août 1574 par le Duc
Charles III de Lorraine. Ses armes étaient : d'azur à une patte de lion, mise en chevron d'or au cher d'argent,
chargé d'un croissant, montant d'azur, entre deux macles de gueule. Christophe Vernier, père de Madame LouisJacques de Chevert, gentilhomme de la chambre du roi de Pologne, était lieutenant de la prévôté de Fresnes-enWœvre ; son fils Jean-Louis Vernier, parrain du général, remplit les mêmes fonctions ; son autre fils, Claude
Vernier, était receveur des aides à l'élection de Tonnerre et contrôleur des bois de la saline de Moyeuvre.
Christophe, fils de ce dernier, était avocat au parlement de Metz ; Magdelaine Vernier, soeur de Christophe,
épousa Renard de Menjon, écuyer, seigneur en partie de Maizeray-en-Wœvre. Louise Vernier, leur cousine, était
abbesse de Sainte-Claire de Metz.
Marie Joly, mère de Madame Louis-Jacques de Chevert appartenait également à une excellente
famille, dans laquelle on comptait le célèbre évêque Claude Joly. Né à Buzy, village du Verdunois, ce dernier fut
successivement chanoine du chapitre de Verdun, curé de Saint-Nicolas-des-Champs de Paris, évêque de SaintPaul-de-Léon, et enfin évêque d'Agen. Il eut l'honneur de succéder à Massillon dans la prédication du carême,
devant le grand roi et sa cour. On possède de lui un recueil de sermons fort estimé ; son frère, Jean Joly, lui
succéda dans son canonicat de Verdun ; l'un de ses cousins, Dieudonné Joly, était religieux Bernardin ; un
descendant de Marie Joly épousa une demoiselle Boyad de Walleville.
Ainsi, il y avait du côté paternel et maternel, parité d'origine, égalité de position sociale ; ces
détails de parenté sont peut-être un peu longs, mais ils nous ont paru absolument nécessaires pour combattre
avec succès, une erreur accréditée relativement à la naissance du général Chevert.
La fortune des Chevert
Il y a lieu aussi de rétablir la vérité au sujet de la prétendue pauvreté de la famille. Il résulte en
effet d'actes notariés, que nous avons entre les mains, que les de Chevert et leurs alliés possédaient plusieurs
maisons à Verdun, des fermes et des propriétés dans les environs, et une fortune mobilière assez importante. Il
existe même pour l'une des maisons un détail touchant, qui mérite d'être rapporté. Le chanoine Jean Hennequin,
de la famille des Géhot, légua le revenu d'une maison, sise à Verdun, rue du Tournant, actuellement rue Mazel,
pour aider à perpétuité, chaque année, une jeune fille pauvre à se marier, le choix devant être fait par l'aînée de
ses nièces, et après leur décès par l'aîné de ses descendants ; cette fondation existe encore, le revenu en est donné
chaque année à une fille choisie par le représentant de la famille, sous la surveillance du chef du parquet.
Les de Chevert et les Vernier s'allièrent par la suite aux plus notables familles du Verdunois,
aux de l'Hotel, aux de Beaumont, aux d'Hannoncelles, aux Puyot de Crespy, aux Bigault de Grandrupt, aux de
Fayolle, aux de Bazelaire, aux de Rotou, aux des Godins, aux de Puygreffier, etc., etc.
Autrefois, les personnages de distinction tenaient à honneur d'être enterrés dans les églises, et
d'y avoir leur épitaphe ; Humbert de Chevert, Elisabeth Renard, sa femme et leur fils Louis-Jacques de Chevert
ont été enterrés en l'Eglise de Saint-Jean, où ils avaient une plaque tombale. C'est ce que nous apprend le
chanoine Langlois en son appendice : « Voici, dit-il, deux épitaphes qui serviront à faire connaître la famille
Chevert; elles étaient attachées à une muraille de l'église Saint-Jean, petite église qui servait aux personnes qui
demeuraient dans le cloître de la Cathédrale, et qu'on vendit en 1792, dans le temps où la mode était de détruire
presque toutes les églises, je les fis détacher ces deux épitaphes, dans l'intention de les faire replacer quelque jour
dans cette église, ou dans quelque coin du cloître de la cathédrale, si des temps venaient reluire sur la France,
dans laquelle, si cela continue, on ne marchera au plus que sur des ruines. »
Le projet de ce cher chanoine n'a pas été réalisé, les épitaphes ont disparu.
Servir le roi et la France
De ces documents, il résulte clairement, que la famille du général Chevert était des plus
honorables et des mieux posées de tout le pays verdunois. Nous insistons sur ces preuves, parce que la tradition
faisait naître le général d'une famille pauvre et obscure ; cette tradition a reçu une sorte de sanction dans la
célèbre épitaphe qui se trouve sur son tombeau à l'église Saint-Eustache de Paris : « sans ayeux, sans fortune,
sans appui » attribuée, selon les uns à l'abbé Frigot, l'ami et le conseil du général, selon d'autres à D'Alembert, et
suivant le plus grand nombre à Diderot. Elle pourrait également en trouver une autre dans cette réponse que M.
de Sacy prête à Chevert, à savoir: « qu'il était le premier gentilhomme de sa famille »; nous sommes convaincus,
que si le fait n'a pas été inventé pour les besoins de la cause, le général a fait cette réponse dans le but de se
débarrasser d'un importun.
Il se peut d'ailleurs que les amis de notre
héros, tout en connaissant son origine réelle, aient été
sincères dans l'acceptation du libellé de l'épitaphe, tout est
relatif ; or, comparé aux princes du sang, aux grands
seigneurs, descendants des croisés et menant grand équipage,
qui commandaient alors exclusivement les armées du roi, ce
modeste hobereau de province, ce nobilion, comme on disait
à cette époque, pouvait parfaitement être considéré comme
dénué de ressources, et comme entaché de roture.
Simple gentilhomme de province, étranger
aux intrigues de cour et de cabinet, servant au loin sans
relâche, François de Chevert n'a, comme il le dit lui-même,
jamais ambitionné d'autre gloire que de servir le roi et la
France. Nous pensons cependant qu'il n'ignorait pas sa qualité
de gentilhomme, car on ne peut pas supposer que ce soit par
un effet du hasard, que ses armes reproduisent le fond d'azur
et l'étoile d'or, qui figurent au franc quartier dans l'écu de
Chevert de Crancenoy, l'un de ses ancêtres, et dans celui
d'Antoine de Chevert, son cousin. S'il n'avait pas tenu à
conserver le blason de ses ancêtres, il aurait adopté celui qui
lui avait été octroyé par l'empereur Charles VII, à Prague en
François de Chevert,
lieutenant général des armées du Roi
1751 : un cavalier armé, l'épée à la main, sur une échelle,
montant à l'assaut contre une tour.
Certes, il ne nous eut pas déplu, que le général fut d'humble extraction, son mérite et sa gloire
eu eussent même paru, sinon plus grands, au moins plus surprenants ; mais nous faisons ici de l'histoire et non du
roman, nous ne disons que ce qui est l'expression de la vérité.
LA JEUNESSE DE CHEVERT
Louis-Jacques de Chevert eut de Marguerite Benoiste Vernier deux enfants, Anne-Agathe,
morte dans sa seizième année et François, le futur général. La tradition nous dit que Louis-Jacques de Chevert
avait reçu une bonne éducation et une instruction relativement étendue pour l'époque ; la langue latine ne lui était
pas étrangère, témoin cette circonstance, où lors de l'inhumation, qui eut lieu le 5 mars 1692 à la paroisse SaintMédard, de l'un de ses amis Jean de Myremont, capitaine du Dauphin-infanterie, il écrivit sous sa signature le
mot latin testis; on dit qu'il fréquentait particulièrement les citains, gens notables de la ville et les officiers de la
garnison, et qu'il se lia intimement avec M. de Carné, qui devint plus tard colonel, ce qui expliquerait l'entrée du
jeune François dans le régiment que commandait cet officier ; peut-être aussi, choisit-on le régiment Carnéinfanterie de préférence à tout autre, parce qu'il était de nouvelle formation, et que les places y étaient moins
recherchées. Ce régiment fut levé le 3 septembre 1702, et incorporé dans Navarre le 21 janvier 1714.
Louis-Jacques de Chevert succéda à son père dans les fonctions de verger de la Cathédrale, il
mourut en 1704, alors que son fils était en bas âge. Le jeune François montra de bonne heure un goût très
prononcé pour la carrière militaire, passant tous ses loisirs à assister aux exercices et aux manoeuvres des
troupes, ce qu'ont fait de tous temps les enfants de notre cité ; selon la légende il se serait enfui de la maison
maternelle, pour suivre à l'âge de 11 ans 7 mois, un régiment de passage, serait arrivé en très peu de temps, et en
récompense d'actions d'éclat, à la position d'officier de fortune, qui alors ne s'accordait qu'après de nombreuses
années de service.
La tradition comporte toujours une bonne part de vérité ; ainsi, il est vrai que le jeune François
quitta sa famille et sa ville natale à l'âge de 11 ans 7 mois, pour entrer dans un régiment, mais ce ne fut pas,
comme dit la légende, en désertant le foyer maternel pour suivre un régiment de passage; mais avec l'assentiment
de sa mère, qui lui acheta une lieutenance, comme cela se faisait alors, ou obtint cette charge au moyen de
recommandations puissantes à la cour de Louis XV, peut-être celle du colonel du régiment, M. de Carné.
Nous en avons un témoignage dans la biographie de 1776, où il est dit, qu'un officier général,
que ses devoirs avaient appelé à Verdun, aperçut le jeune de Chevert à la tête d'une troupe de jeunes gens de son
âge, qu'il formait au maniement des armes, avec la même intelligence qu'on eut pu exiger d'un officier blanchi
sous la tente. Le général, frappé de cette espèce de prodige, découvrit dans le jeune Chevert, le germe d'un génie
véritablement né pour la guerre ; après l'avoir interrogé et en avoir reçu des réponses satisfaisantes, il se fit un
mérite d'être son protecteur, et pour le mettre plutôt dans l'exercice de son talent, il lui obtint une lieutenance
dans le régiment de Carné-infanterie ; ce fut le 3 août 1706, qu'il fut élevé à ce grade.
Nous en avons encore pour preuve, la lettre du Roi à M. de Carné, du 18 août 17062.
« Monsieur de Carné,
« Ayant donné à Chevert la charge de lieutenant en la « compagnie de Dondel dans le
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Mercure de France, journal officiel, numéro du 16 mai 1769.
régiment que vous commandez, vacante par la promotion de Thalouet à une compagnie, je vous écris cette lettre,
pour dire que vous ayez à le recevoir et â le faire recevoir, et faire reconnaître en ladite charge de tous ceux
qu'il appartiendra. Et la présente ce n'étant pour autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur de Carné, en sa
sainte garde. Ecrit à Marly, le dix-huit août mil sept cent six. Louis. »
Le journal fait suivre cette lettre des réflexions ci-après :
« Quelques personnes, après avoir lu l'éloge de M. de Chevert, persistent à croire qu'il a
commencé par être simple soldat. On lit cependant dans une note de cet éloge, que la lettre de lieutenant au
régiment de Carné, et le certificat du commissaire des guerres, qui a reçu son serment, font partie de ses
papiers. Cette lettre est du 18 août 1706; il avait alors 11 ans 7 mois. A quel âge veut-on qu'il ait été soldat ? On
donne ici copie de cette lettre, signé par le roi Louis XIV, dont l'original est encore en dépôt chez Maître
Lhomme, notaire, rue du Roule. »
Citons en outre le passage suivant de la Galerie française contenant les portraits des hommes et
des femmes célèbres de France, pour Gautier Dagoty, fils ; ouvrage paru en 1770. « François de Chevert, né à
Verdun-sur-Meuse, le 21 février 1695. On ne sait encore quel fut sou premier grade. Ceux qui s'intéressent à sa
gloire voudraient qu'il eût été d'abord simple soldat, mais il est prouvé qu'à l'âge de 11 ans 7 mois, M. de
Chevert obtint une lieutenance. ».
Installé dans le régiment de Carné, François de Chevert fit ses classes militaires, apprit avec
ardeur ses théories, et, sous la direction paternelle et expérimentée du colonel, étudia les ouvrages d'art et de
tactique militaires. Lorsqu'il atteignit sa quinzième année, les exercices et les manoeuvres en avaient fait un
homme capable de résister aux fatigues de la guerre, il fut jugé digne de remplir d'une façon effective les
fonctions de sous-lieutenant. C'est â cette époque qu'il quitta le régiment de Carné, pour entrer dans celui de
Beauce. Il fit ses premières armes en 1711 à l'attaque d'Arleux, il avait 16 ans, et continua à servir en Flandre
jusqu'à la paix.
François de Chevert devint un officier capable, zélé, esclave de son devoir; bien que modeste,
il connaissait sa valeur et savait au besoin faire valoir ses droits ; il le prouva dans la circonstance suivante, où il
faillit être victime d'une injustice flagrante. Il était lieutenant depuis le premier décembre 1711. En 1721, un
capitaine de son régiment, raconte la biographie de 1776, est attaqué d'une maladie, qui ne laisse aucun espoir de
guérison. M. de Chevert demande et obtient un congé, prétextant que des affaires domestiques l'appelaient à
Verdun, et il se rend secrètement à Versailles, où il sollicite la compagnie par droit d'ancienneté, on lui en fait la
promesse ; le capitaine meurt, et aussitôt, le colonel écrivit en faveur d'un de ses favoris. Le ministre, instruit que
M. de Chevert avait pour lui le privilège d'ancienneté, se persuada que l'exclusion que lui donnait son colonel
était fondée sur son incapacité, et, même il ne lui dissimula point ses soupçons. M. de Chevert, pour effacer cette
idée injurieuse, usa de cet expédient : écrivez, dit-il, à mon colonel, que vous avez besoin d'un officier habile et
brave pour un coup aussi important que difficile. On écrit, et le colonel, dupe de lui-même, nomme M. de
Chevert, à qui le ministre montre la lettre en lui donnant la compagnie vacante en 1721.
C'est ainsi que le 17 septembre 1721, il fut nommé capitaine.
Chevert passa major le 1er mars 1728 et reçut quatre ans plus tard, le 17 novembre 1732, la
croix de chevalier de Saint-Louis ; c'est en cette qualité qu'il servit au camp d'Aimeries-sur-Sambre. Au camp du
pays messin, il remplit les fonctions d'aide-major d'infanterie, il se trouva et se distingua en 1734 à la prise de
Trèves, au siège et à la prise de Traerback, au siège et à la prise de Philisbourg et à l'affaire de Clausen en 1735.
« A cette dernière affaire, dit le général Pajol, Chevert à la tête de plusieurs compagnies de grenadiers, gravit un
mamelon, et après une lutte courte mais opiniâtre, parvint à déloger un poste important d'impériaux, que
protégeait une batterie d'artillerie. »
Il continua à faire preuve de ses solides qualités militaires dans les différents engagements qui
eurent lieu en Allemagne, hostilités qui se terminèrent par le traité de paix, signé à Vienne le 3 octobre 1735.
Cette paix ne fut pas de longue durée.
Certains officiers possèdent ce tact, cette intuition qui font saisir les moindres circonstances
favorables, qui font profiter d'un accident de terrain, d'une heure propice, d'une disposition particulière et
instantané ; mais pour que ces qualités maîtresses puissent prendre leur essor, il faut le commandement, il faut le
grade supérieur. Chevert promu lieutenant-colonel le ler août 1730, va pouvoir faire preuve de ses aptitudes
militaires exceptionnelles, pendant la campagne de Bohême, que nous allons raconter au chapitre suivant ; à
partir de ce moment, et durant sa longue carrière, nous le verrons en toutes circonstances forcer la victoire par le
seul effet de son courage et de son génie guerrier.
LA CARRIERE MILITAIRE DE CHEVERT
Un exemple de courage : la prise de Prague
A la mort de Charles VI, dernier prince de la maison d'Autriche, la succession à l'empire fut
disputée à sa fille aînée, Marie Thérèse, par Charles Albert, grand électeur de Bavière. Nous n'avons pas à
discuter ici les droits des deux prétendants. La France crut qu'il était de son intérêt, d'enlever l'empire à la maison
d'Autriche-Lorraine, son ennemie, pour la donner à Charles Albert, son ami et fidèle allié. La Prusse, l'Espagne,
la Suède et la Pologne avaient le même intérêt ; ces quatre puissances s'unirent donc à la France, pour faire élire
Charles Albert; telle est la cause de la guerre de 1741.
C'est dans cette campagne que Chevert, promu lieutenant-colonel, eut l'occasion de déployer
ses rares qualités militaires ; comme nous le verrons par la suite de ce récit, il fut le véritable héros de la guerre
de Bohême.
Deux armées françaises, fortes chacune de 40,000 hommes, se dirigèrent vers l'Allemagne ; la
première commandée par Maillebois, marcha sur le Hanovre, la seconde conduite par Belle-Isle, se dirigea sur la
Bavière. Chevert marcha avec la première division de nos troupes qui passa le Rhin au Fort-Louis, le 15 août
1741, et conduisit son régiment en Bohême. Charles Albert prit le commandement des troupes françaises et
bavaroises, passa le Danube à Monthausen, le 3 novembre, entra en Bohême, et se dirigea sur la ville de Prague,
où il arriva le 19; le reste de l'armée, composé de saxons, vint se joindre à lui quelques jours après. Le roi de
Prusse, de son côté, continuait la guerre en Silésie, où il retenait une partie considérable de l'armée autrichienne.
Le régiment de Beauce, commandé par Chevert, avait été choisi pour servir d'escorte à Charles
Albert ; le comte Maurice de Saxe, qui accompagnait ce prince dans sa marche, eut occasion de connaître notre
compatriote, qu'il sut apprécier. Une conformité de goûts les lia intimement, tous deux avaient l'amour de l'étude
et de la gloire et la haine de l'intrigue, ils conféraient souvent ensemble sur la tactique militaire. L'étude
profonde, qu'ils avaient faite l'un et l'autre de cet art, leur présentait les objets sous le même aspect. Maurice de
Saxe considérait Chevert comme l'officier le plus capable de l'armée.
Prague, capitale de la Bohême, est une ville fort étendue, mesurant quatre lieues de
circonférence, entourée de hautes murailles et traversée par la Moldau, qui la divise en deux parties presque
égales, réunies par un pont monumental célèbre ; sur la rive gauche s'élève un château fortifié, qui domine la
ville et les environs.
Le siège commença le 25 novembre ; on n'eut pas le temps de ,procéder aux opérations
préliminaires usitées en pareil cas, car on apprit que le grand duc de Toscane, depuis empereur, arrivait à marche
forcée, avec une nombreuse armée pour secourir la ville. D'après le rapport des éclaireurs, l'armée ennemie ne se
trouvait plus distante que de cinq lieues, il n'y avait point de temps à perdre, il ne restait donc d'autre alternative
que de prendre immédiatement la capitale de la Bohème ou d'abandonner l'entreprise ; ajoutons que la saison
était déjà très avancée, que les vivres et les munitions commençaient à manquer, un conseil de guerre s'assembla,
il fut décidé qu'on tenterait aussitôt l'escalade.
Le 26, vers une heure du matin, le comte de Polastron, ayant avec lui le gros de l'armée, fit une
fausse attaque du côté de la ville-haute, avec grand fracas d'artillerie; naturellement les assiégés se portèrent en
masse sur ce point. Pendant ce temps, Maurice de Saxe, à la tête d'une seconde colonne, se disposait à aller
surprendre la ville-basse, il avait sous ses ordres trois compagnies de grenadiers du régiment d'Alsace, une de
Beauce, six cents dragons et huit cents hommes d'infanterie. Maurice avec ses fantassins s'avança sans bruit
jusqu'aux fossés des remparts, dans lesquels il descendit sans être aperçu de la place, et pendant qu'on distribuait
les échelles et les munitions, il étudia avec le lieutenant-colonel Chevert, le point où devait être tentée l'escalade ;
ils trouvèrent auprès de la Neu-Thor, ou Porte-Neuve, un bastion de trente-cinq pieds de haut et revêtu en
briques, qui leur parut des plus favorables ; ils donnèrent, sans perdre dé temps, l'ordre de dresser les échelles
dans l'angle rentrant du bastion. Cette opération terminée, avec toutes les précautions possibles pour ne pas
donner l'éveil, Chevert rassembla les sous-officiers de son détachement; « mes camarades, leur dit-il à mi-voix,
vous êtes tous des braves... mais il me faut à cette heure, un brave à trois poils, tous s'avancèrent. Chevert
désigna le sergent Pascal, du régiment de Beauce, qu'il connaissait et avait apprécié de longue date.
« Tu vas monter le premier, reprit-il, je te suivrai. La sentinelle te criera ver da, c'est-à-dire, qui vive?
... tu ne répondras pas. .
- Oui mon colonel.
- Elle te criera ver da une seconde fois... tu ne répondras pas.
- Oui, mon colonel.
- Elle fera feu et te manquera.
- Oui, mon colonel,
- Tu t'élanceras sur elle, tu la cloueras avec ta baïonnette, moi, je me charge du reste. »
Ces détails sont rapportés par le chanoine Langlois, en ses mémoires et par Lacombe en la
biographie universelle, ce dernier auteur affirme les tenir du général Chevert lui-même.
Tout se passa comme l'avait prévu Chevert, qui, monté en même temps que le sergent Pascal,
entra le premier dans la ville suivi du fils du duc de Broglie.
Un incident faillit faire manquer l'entreprise, ou du moins en retarder la réussite. Chevert et dix
grenadiers avaient escaladé le rempart, quand sous le poids des hommes qui se pressaient pour monter à l'assaut,
l'une des échelles se rompit, ce qui occasionna quelque bruit et attira l'attention d'un poste ennemi, placé dans
une courtine voisine. De cette courtine et du bastion de droite, l'ennemi fit feu sur nous, mais sans effet. On se
hâta de raccommoder l'échelle, on en ajusta d'autres qui s'étaient trouvées trop courtes, l'assaut continua, et dès
que Chevert eut derrière lui sur le rempart quelques compagnies de grenadiers, il se dirigea vers la Porte-Neuve,
s'empara du poste de garde, fit rompre la porto à coups de haches et abattre le pont-levis ; l'attaque se fit à la
baïonnette, d'après l'ordre exprès de Chevert, pour éviter le bruit de la fusillade, qui aurait pu attirer les forces
ennemies de ce côté.
Aussitôt que l'entrée de la ville fut libre, Maurice de Saxe arriva à la tête de ses dragons, courut
au poste central qu'il désarma, et donna l'ordre à ses cavaliers d'empêcher toute communication entre les
différents postes ennemis. Chevert se disposait à attaquer le pont de la Moldau, quand le gouverneur se rendit;
ainsi s'accomplit, sans effusion de sang, la prise de la capitale de la Bohême, à la grande satisfaction de Charles
Albert, qui avait grand intérêt à ne pas s'aliéner ses nouveaux sujets.
Tout se passa avec le plus grand ordre, et ce qui est incroyable, dit M. de Mirepoix, c'est que
nous ayons pu parvenir, dans une ville prise d'assaut la nuit, à contenir notre soldat et à empêcher le désordre ; il
n'y a pas eu une maison de pillée, et à huit heures du matin, on allait et venait dans la ville de Prague avec
sécurité. « Ce qu'il y eu d'étrange, dit Voltaire, c'est que les conquérants et le peuple conquis furent pêle-mêle
pendant trois jours ; français, saxons, bavarois, bohémiens étaient confondus, ne pouvant se reconnaître, sans
qu'il y ait eu une goutte de sang répandue. ».
Nommé général
Charles Albert, maître de la capitale, se fit aussitôt couronner roi de Bohême. Le nouveau roi,
qui attribuait à Chevert la principale part de sa conquête, sachant que ce dernier était sans fortune, lui offrit une
somme de 100,000 livres, qu'il refusa, « puisqu'on est content de mes services, dit-il, on ne peut mieux les
reconnaître qu'en m'élevant au grade de brigadier. » Le roi insista, mais Chevert répliqua: « je dirai à Votre
Majesté, que satisfait des distinctions militaires, j'ai toujours regardé l'argent comme l'alliage de l'honneur, il
persista dans son refus, et comme on le verra plus bas, il fut nommé brigadier.
Après ce coup de main hardi, Chevert fut fait lieutenant du roi dans Prague, ainsi qu'il appert
d'une lettre du maréchal de Belle-Isle du 5 décembre : « J'ai choisi et proposé pour commander sous le comte de
Bavière, dans la place pendant l'hyver, M. de Chevert, lieutenant-colonel du régiment de Beauce, qui est celui
que je connais le plus propre à remplir un poste de cette importance dans pareille circonstance. »
Commission de lieutenant du roi, délivrée à Chevert par de Belle-Isle :
5 décembre 1741.
« Son Altesse Sérénissime nous ayant fait la grâce de nous consulter sur le choix qu'elle
voulait faire du Sr, de Chevert, lieutenant-colonel du régiment de Beauce, pour son lieutenant et commandant
particulier, les ville, citadelle, faubourgs et dépendances de Prague, capitale du royaume de Bohème, et le bien
du service de Son Altesse, la sûreté des ville et citadelle, le maintien du bon ordre, exigeant un officier distingué
par son mérite et son intelligence, pour faire les fonctions de lieutenant et commandant pour le roi, nous n'avons
pu mieux faire que de confirmer par tous nos témoignages le juste choix de Son Altesse S. R. ; en conséquence,
nous commettons ledit Sr de Chevert... »
Le Roi voulut aussi le récompenser, il le nomma brigadier, il fit part de cette nomination à
l'Electeur de Bavière par lettre du 15 décembre.
« La discipline, observée par mes troupes dans une place « emportée d'assaut, est
effectivement sans exemple, j'en ai « marqué ma satisfaction au Sr de Chevert, en le faisant brigadier, et j'ai
chargé le Sr de Breteuil de vous en adresser le brevet. »
Le succès de ce haut fait d'armes fut entièrement dû au lieutenant-colonel Chevert, chacun le
reconnut.
Chronologie historique militaire de François de Chevert3
Il servit d'abord dans le régiment d'infanterie de Carné, avec lequel il demeura en garnison
depuis 1706 jusqu'en 1710. II entra sous-lieutenant dans le régiment de Beauce, le 9 décembre de cette dernière
année, se trouva en 1711 à l'attaque d'Arleux, fut fait enseigne de la colonelle le 28 juillet, lieutenant le 1er
décembre suivant, et servit en Flandre jusqu'à la paix.
« Aide-major de son régiment, par brevet du 8 juillet 1719, il obtint le 17 septembre 1721 une
commission pour tenir rang de capitaine, et fut fait major par brevet du 1er mars 1728. Il servit en cette qualité
au camp d'Aimeries-sur-Sambres, du 31 août au dernier septembre 1732, au camp du pays messin en 1733 ; il y
remplit les fonctions d'aide-major général de l'infanterie. Il se trouva à la prise de Trèves, au siège et à la prise de
Traerback, au siège et à la prise de Philisbourg en 1734, à l'affaire de Clausen en 1735.
Lieutenant-colonel de son régiment, par commission du 1er août 1739, il marcha avec la
première division des troupes, qui passa le Rhin au fort Louis, le 17 août 1741, conduisit son régiment en
Bohème, commanda les grenadiers à l'attaque du comte de Saxe pour l'escalade de Prague, y entra le premier et y
maintint un si bon ordre, et qu'il n'y eut aucune maison de pillée, ni d'endommagée. L'Electeur de Bavière donna
le gouvernement de cette place au comte de Bavière, et nomma M. de Chevert, pour y commander sous lui et en
faire le détail. Le roi le créa brigadier par brevet du 15 décembre et lui envoya des lettres de service du même
jour pour être employé en cette qualité. Il commanda à Prague pendant le reste de la guerre, servit avec la plus
grande distinction pendant le siège, et malgré la disette de toute espèce, on dut a ses soins et à ceux de M.
Sechelles, un ordre et une économie si bien entendus, que les troupes ne manquèrent pas du plus nécessaire.
Lorsque le maréchal de Belle-Isle sortit de Prague, la nuit du 16 au 17 décembre 1741 avec l'armée, il y laissa M.
de Chevert avec une garnison de 1800 hommes formés par détachements, indépendamment des malades et des
convalescents ; il y tint avec une si faible garnison jusqu'au 26 du même mois, qu'il obtint la capitulation la plus
honorable. Il en sortit le 9. janvier 1743 avec sa garnison, les honneurs de la guerre, deux pièces de canon ; fut
conduit à Egra aux dépens de la reine de Hongrie, conformément à la capitulation, et revint en France.
Employé brigadier en Dauphiné, par lettre du 1er septembre 1743, il fit par ordre du même jour
les fonctions de major-général des 14 bataillons qu'on joignit à l'armée d'Espagne, sous les ordres de l'Infant dom
Philippe. Cette armée, après avoir campé quelques temps à la Bessée, en partit le 27 août pour la Chenal, où on
arriva le 5 octobre ; on y attaqua le château et le village de Pont, que les ennemis abandonnèrent pour conserver
les retranchements de Villarette ; on coucha trois nuits sur le champ de bataille, mais la neige et les mauvais
3
Par M. Pinard, commis au bureau de la Guerre
temps obligèrent l'armée de se retirer le 10 du même mois en Dauphiné, où M. de Chevert fut employé pendant
l'hyver, par lettres du 1er novembre.
Employé à l'armée d'Italie, sous les ordres de M. le prince de Conty, par lettres du le février
1744, il s'est trouvé au passage du Var, à la prise des châteaux d'Apremont, d'Utelle, de Nice, de Castel-nuvo, de
la Scarennes et de la Turbie au mois d'avril, à l'attaque des retranchements de Villefranche et de Montalban, la
nuit du 19 au 20 du même mois, à la prise de Villefranche le 21, du fort de Montalban, le 23, de la citadelle de
Villefranche le 25. On le créa maréchal de camp par brevet du 2 mai, mais il ne fut point déclaré. Il se trouva au
passage de la vallée de la Sture, à la prise du Château-Dauphin au mois de juillet. Déclaré maréchal de camp le
Il, août, il quitta la lieutenance-colonelle du régiment de Beauce, servit au siège de Démont à celui de Cony, et se
distingua particulièrement à la bataille, qui se donna sous cette place. Il commanda pendant l'hyver dans
l'Embrunois par lettres du 1er, novembre.
Employé à l'armée d'Italie par lettres du ler avril 1745, il servit aux sièges du château d'Acquy,
de Sarravalle, de Tortane et de son château, à la prise de Plaisance et de Parmesan ; commanda une colonne des
troupes au combat de Rivaronne, où les Piémontais furent battus ; il investit ensuite Alexandrie, commanda une
fausse attaque avec tant de succès, qu'on ouvrit la tranchée sans perdre un seul homme, servit à ce siège, à celui
d'Asti et de Casil, à la soumission de tout le Montferrat, et passa l'hyver en Italie.
Il marcha en 1746 au secours de Valence, dont on ne pût empêcher la prise, aux prises des ville
et château d'Acquy, à la bataille de Plaisance, au combat de Tidou, et finit la campagne sous les ordres du
maréchal de Belle-Isle qui défendait la Provence, où les ennemis avaient pénétré, et d'où ils furent entièrement
chassés au mois de mars 1747. M. de Chevert demeura sur cette frontière, jusqu'à l'ouverture de la campagne.
Employé à la même armée par lettres du 1er juin 1747, il se trouva sous les ordres du maréchal
de Belle-Isle, au passage du Var le 3 juin, au siège et à la prise de Aloutalban, de Nice, de Villefranche dans le
même mois, de Vintimille le 1er juillet et campa aux environs de Nice jusqu'au mois d'octobre. Il marcha alors
au secours de Vintimille bloquée par les ennemis. On les attaqua le 20 octobre on les battit, on ravitailla
Vintimille avant midi. M. de Chevert fut employé sur la frontière par lettres du 1er, novembre et y resta jusqu'au
dernier février 1749.
Créé lieutenant-général des armées du roi par pouvoir du 10 mai 1748, il ne fut déclaré qu'au
mois de décembre. On l'employa en qualité de lieutenant-général à Metz, par lettres du 1er juillet 1749. Il
commanda le camp de Sarre-Louis du 1er au dernier septembre 1753, par lettres du 13 juin précédent. Obtint une
place de commandeur de l'ordre de Saint-Louis, par provision du 28 mars 1754, commanda la même année le
camp de Sarre-Louis par lettres du 1er août ; le camp de Richemont, du 26 août au 25 septembre, 1755, par
lettres du 31 juillet de cette année. Toujours employé au pays messin, il commanda Sarre-Louis pendant l'année
1756.
Employé à l'armée d'Allemagne par lettres du 1er mars 1757, il quitta Sarre-Louis et joignit
l'armée à Düsseldorf au mois de mai. Il y commanda différents détachements avec lesquels il marcha toujours en
avant, il s'empara le 1er juillet d'Hervoden, il était du détachement commandé par le duc d'Orléans, lorsque ce
prince à la tête de 100 compagnies de grenadiers et de tous les dragons marcha à Winkelsen, et fil abandonner
aux ennemis leur position ; à la bataille d'Hastembeck, M. de Chevert, avec les brigades de Picardie et d'Eu, et 30
compagnies de grenadiers, attaqua la montagne de Nimerim qui formait la gauche des ennemis ; après un combat
le plus vif, il se rendit maître de cette montagne, et en délogea les ennemis, ce qui détermina le gain de la
bataille. Il contribua ensuite à l'électorat d'Hanovre, et rentra en France après la capitulation de Closterseen.
I1 obtint la permission de porter les marques de Grand-croix de l'ordre de Saint-Louis, par
lettres du 11 février 1758.
Employé à l'armée d'Allemagne par lettres du 16 mars, il la joignit au mois de juin. Après la
bataille de Crevelt, détaché de Cologne pour se rendre à Vesel, il ne put y arriver que le 4 du mois d'août, à cause
du débordement de toutes les rivières. Il attaqua, le 5, les ennemis au pont de Rées, il en lut repoussé avec perte
de 194 hommes tués, 300 blessés et 6 pièces de canon, dont les chevaux avaient été tués. Détaché au mois
d'octobre de l'armée commandée par le maréchal de Contades avec 25 bataillons et 18 escadrons, il joignit dans
Cassel, le 8, l'armée commandée par le prince de Soubise, combattit le 10 à Lutzelberg, où il fut chargé de la
principale attaque, qu'il exécuta avec la plus grande valeur et la plus grande fermeté. Après la défaite des
ennemis, M. de Chevert retourna, avec le corps de troupes qu'il commandait, à l'armée du maréchal de Contades,
qu'il joignit le 23 du même mois. On s'y tint sur la défensive pendant le reste de la campagne.
M. de Chevert, ayant eu la permission du roi, d'accepter du roi de Pologne, électeur de Saxe,
l'ordre de l'Aigle-blanc, fut reçu le 2 décembre par M. le prince Xavier de Saxe, qui lui remit en même temps le
portrait du roi de Pologne, dans une boîte d'or, enrichie de diamants, accompagnée d'une lettre de ce monarque,
remplie de témoignages d'estime et de bienveillance.
Il fut employé en Flandre, par lettres du 1er mai 1759, jusqu'au dernier avril 1760, et sur les
côtes de Flandre par lettres du 1er mai 1760 jusqu'au 21 juillet, qu'il passa sur les côtes de Normandie par lettres
du même jour.
On lui a donné un pouvoir du 13 février 1761, pour commander sur le Bas-Rhin, en l'absence et
en attendant l'arrivée de M. le prince de Soubise, il y a concouru par une diversion avantageuse à chasser les
ennemis jusqu'au delà de la Hesse.
A été employé à l'armée commandée par le maréchal de Soubise, par lettres du 1er mai, et a
commandé pendant la campagne différents corps de troupes, qu'il a toujours conduits avec succès.
Il avait obtenu le gouvernement de Belle-Isle par provision du 12 juin 1759. Cette place ayant
été prise par les Anglais, le roi lui a donnée le gouvernement de Charlemont et de Givet, par provision du 1er
août 1761.
CHEVERT PREND SA RETRAITE
SA MORT.
La retraite du Général
Quand l'heure de la retraite eut sonné, le Lieutenant-général Chevert, qui n'avait plus de famille
à Verdun, vint s'installer à Paris rue Louis-le-Grand d'abord, puis rue des Jeuneurs. Un ami et commensal
habituel du général, nous donne sur sa façon de vivre les détails suivants :
« L'esprit d'ordre et de prévoyance, dont la plus grande fortune a besoin, et qui supplée à la
mémoire, le suivit dans sa retraite ; exact et vigilant, parce qu'il était juste ; économe pour être généreux, sa
dépense était grande sans être magnifique; sa table était plus abondante que recherchée; son domestique plus
choisi que nombreux; l'aisance et la liberté, l'honnêteté, et la décence régnaient dans sa maison. Elle était ouverte
aux militaires de tous âges et de tous grades, et l'étiquette de la vanité n'y prenait point sur les agréments. C'était
nu véritable chef de famille, qui se chargeait du soin de la rassembler autour de lui, qui voyait rangés à sa table
ses enfants, et les enfants de ses enfants, qui les faisait entrer en partage de tout ce qu'il possédait ; son crédit, ses
lumières, sa longue expérience étaient comme un fonds patrimonial, où tous avaient le droit de puiser, et si
chacun d'eux avait pour lui les sentiments d'un fils, c'était un père, qui s'honorait à son tour de la gloire de ses
enfants. »
Chaque année, au retour de la belle saison, Chevert se transportait à sa maison de campagne de
Villemonble, villa construite dans un joli site, au milieu des bois près de Bondy ; là comme à Paris, ses amis se
donnaient rendez-vous.
Au moyen d'économies faites par lui chaque année, sur les traitements et pensions dont il
jouissait, il avait su ménager pour ses vieux jours, non pas une fortune, à comparer avec celles que possédaient
tous les généraux de son époque, mais un avoir qui lui permettait de Vivre honorablement, de recevoir ses amis,
et de faire du bien.
Ses pensions, et ses traitements, qui lui avaient été conservés, se portaient à 40 200 livres.
Les revenus de ses capitaux placés s'élevaient à 17 680 livres.
Il jouissait donc d'un revenu de 57 880 livres.
Il avait en outre l'usufruit de sa campagne de Villemonble, dont Madame de Vaudoncourt avait
la nue-propriété ; cet immeuble avait été acquis des deniers du général, le 18 février 1758, sur le baron de Fou.
Il aimait beaucoup à lire, aussi sa bibliothèque était-elle considérable.
Le personnel de sa maison se composait : d'un secrétaire, d'un chef d'office, d'un cuisinier, d'un
valet de chambre, de trois laquais, de deux cochers, d'un postillon, d'une femme de charge, et d'un suisse.
Mort de François de Chevert
Chevert subit le sort de beaucoup d'anciens militaires qui prennent leur retraite ; après une vie
aussi active que la sienne, le repos forcé le tua ; le 24 mai 1769, sans que rien ne le fit prévoir, un coup de sang
l'enleva à la France et à ses amis, il était dans sa 74e année.
Le bruit de sa mort se répandit rapidement dans Paris, où ce fut comme un deuil général, car
Chevert était le héros populaire, grandi déjà dans les proportions de la légende. Le roi Louis XV en fut vivement
touché, il avait une réelle affection et une profonde estime pour ce général, qui en tant d'occasions avait conduit
ses armées à la victoire ; il ordonna que de magnifiques funérailles fussent faites à Chevert et que son corps fut
inhumé en l'église Saint-Eustache, sa paroisse.
Dans les premiers mois de 1771, on éleva en cette église un monument d'une grande simplicité,
consistant en un médaillon en marbre blanc, d'une parfaite ressemblance, et d'un grand mérite, du au ciseau de
Vassé, l'un des plus célèbres sculpteurs de l'époque ; en-dessus est une pierre noire, sur laquelle est gravée
l'inscription suivante :
Ci-gît François de Chevert,
commandeur de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis,
chevalier de l'Aigle blanc de Pologne,
Gouverneur de Givet et de Charlemont,
Lieutenant-général des armées du roi.
Sans aïeux, sans fortune, sans appui,
orphelin dès l'enfance,
il entra au service à l'âge de onze ans.
Il s'éleva, malgré l'envie, à force de mérite.
Et chaque grade fut le prix d'une action d'éclat.
Le seul titre de maréchal de France, a manqué, non pas
à sa gloire, mai à l'exemple de ceux qui le prendront
pour modèle.
Tous les journaux du temps publièrent un article nécrologique sur notre compatriote et diverses
épitaphes.
Faire-part des obsèques
Vous êtes prié d'assister aux convoi et à l'enterrement de messire François de Chevert,
commandeur, grand’croix de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, chevalier de l'ordre royal de l'Aigle blanc
de Pologne, gouverneur des villes de Givet et de Charlemont, lieutenant-général des armées du roi, décédé en
son hôtel, rue des Jeuneurs, qui se feront jeudi 26 janvier 1769, à 5 heures du soir, en l'église de Saint-Eustache,
sa paroisse, où il sera inhumé.
Enregistrement du décès (Service général, registre de Saint-Eustache.)
26 janvier 1769. M. François de Chevert, commandeur, grand’croix de l'ordre royal et
militaire de Saint-Louis, chevalier de l'Aigle blanc de Pologne, gouverneur des villes de Givet et de Charlemont,
lieutenant-général des armées du roi, garçon, âgé de soixante-quatorze ans, demeurant rue des Jeuneurs,
inhumé dans l'église, étant décédé du 24 du présent mois, en présence de messire Emmanuel François Georges,
marquis de Crussel d'Amboise, maréchal des camps et armées du roi, et de M. François de Pérusse, vicomte
d'Escars, maréchal des camps et armées du roi. Signé, le vicomte d'Escars, Crussel d'Amboise, Secousse.
Résumé de la vie de M. François de Chever4
[… ]. L'histoire ne manquera pas de raconter les hauts faits, qui ont mérité â M. de Chevert les
grades et les honneurs, auxquels il a été élevé successivement, mais une circonstance que les Verdunois
n'oublieront jamais, parce qu'elle les fait participer en quelque sorte à la gloire de ce héros, c'est qu'il a reçu le
jour en cette ville le 2 février 1695. Son extrait de baptême se trouve à cette date dans les registres de la paroisse
Saint-Médard, sur laquelle il est né, et on y voit qu'il a reçu le nom de François.
Louis Chevert, son père, verger de la Cathédrale et Marguerite Vernier, sa mère, ont été
enterrés dans la paroisse Saint-Jean, les 25 janvier 1702 et 15 novembre 1708. On lit dans l'église de Saint-Jean
l'épitaphe de Louis Chevert au bas de celui d'Hubert Chevert, son père, aussi verger de la Cathédrale, décédé le 8
octobre 1689.
C'est de cet état de médiocrité, que M. de Chevert a su, par son a mérite, s'élever aux plus
grands honneurs ; en voici la gradation, telle qu'elle a été insérée au Mercure du mois dernier.
Etats de services publiés par le Mercure d’octobre 1769
Etat de services de François de Chevert :
François de Chevert, né à Verdun-sur-Meuse, le 2 février 1695.
Lieutenant au régiment de Carné-infanterie, le 18 août 1706.
Lieutenant au régiment de Beauce-infanterie le 11, décembre 1711.
Capitaine, le 17 septembre 1721.
Major, le 1er mars 1728.
Chevalier de l'ordre de Saint-Louis, le 1er novembre t732.
Lieutenant-colonel du même régiment, le 1er août 1739.
Brigadier d'infanterie, le 15 décembre 1741.
Maréchal de camp, le 2 mai 1744.
Lieutenant-général des armées, le 10 mai 1748.
Commandeur de l'Ordre de Saint-Louis, le 28 mars 1751.
Commandeur Grand-croix du même ordre, en de décembre 1757.
Chevalier de l'Aigle-blanc de Pologne, en 1758.
Gouverneur de Belle-Isle le 12 juin 1759.
Gouverneur de Givet et de Charlemont, le 1er août 1761, par
remplacement du premier gouvernement.
Telle a été, messieurs, la glorieuse carrière que M. de
Chevert a parcourue. Sur quoi, messieurs de ladite assemblée ont déclaré et
arrêté, que le dit portrait sera placé dans la chambre ordinaire du conseil,
comme le lieu le plus propre pour le conserver, et perpétuer la mémoire d'un
Verdunois, qui a fait tant d'honneur à la patrie. [… ].
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4
Francois de Chevert fit de son vivant don d’un tableau de sa personne à la ville de Verdun ; le texte ici produit est un extrait de la
réception par le conseil municipal du tableau du général en pied. Les archives de l'hôtel de ville de Verdun registre des délibérations :
délibération du conseil de la cité du 23 novembre 1769.