ST 26 "Comment Internet change (ou pas) les règles du jeu politique"

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ST 26 "Comment Internet change (ou pas) les règles du jeu politique"
ST 26. Comment Internet change (ou pas) les règles du jeu politique
Bernard Fournier, Vrije Universiteit Brussel
[email protected]
Anaïs Theviot, Sciences po Bordeaux, Centre Émile Durkheim
[email protected]
La capacité présumée d’Internet à revitaliser la démocratie en favorisant la participation politique
est encore aujourd’hui abordée, par de nombreux chercheurs, sur le mode de l’évidence.
L’analyse académique « à chaud »1 du « printemps arabe » atteste de la fascination suscitée par le
web politique. Certains n’ont pas hésité à parler de « révolution Facebook » ou « révolution
Twitter », faisant de l’essor des réseaux sociaux la cause principale du déclenchement de
mouvements contestataires. D’autres, au contraire, ont affirmé qu’Internet n’avait joué aucun
rôle. Ces conclusions caricaturales soulignent la nécessité de déconstruire certains présupposés
qui entourent le numérique. Ce sont généralement les acteurs eux-mêmes qui parlent
d’innovations, de changements, de nouveautés et le chercheur se doit d’analyser ces croyances,
d’en examiner la dimension rhétorique - voire injonctive -, sans pour autant prendre comme
présupposé que le champ sémantique du « nouveau » n’existe pas.
Si le « printemps arabe » et plus largement l’usage du numérique dans des mouvements
contestataires ou des organisations non institutionnalisées2 soulèvent de multiples interrogations,
une faible attention a été accordée jusqu’alors à l’incorporation du web au sein des partis
politiques. Ces derniers ont pourtant largement investi le champ du numérique, notamment en
période de campagne électorale3. La campagne pour l’élection présidentielle française de 2012
illustre cet impératif numérique4.
L’introduction du web au sein des instances politiques traditionnelles introduit-elle de la
nouveauté, du changement dans les façons de faire classiques ? Les dynamiques internes de
l’organisation politique sont souvent ignorées dans les travaux sur le web politique5, alors que
l’introduction du numérique peut nous éclairer sur les logiques contradictoires qui président à la
1
Des travaux plus récents ne souffrent pas de ces écueils (voir C. Cuny et H. Nez, « La photographie et le film : des
instruments de pouvoir ambivalents », Participations. Revue de sciences sociales sur la démocratie et la citoyenneté,
3, 2013, p. 7-46 ; D. M. Faris, « La révolte en réseau : le ‘printemps arabe’ et les médias sociaux », Politique
étrangère, 1, 2012, p. 99-109).
2
Les réseaux d’activisme en ligne à visée transnationale - les « netroots » américains (Avaaz, Change.org, All Out,
Move On par exemple) – ont toutefois encore été peu analysés, même dans la littérature scientifique anglo-saxonne.
3
La littérature anglo-saxonne est d’ailleurs abondante. Pour une synthèse, se référer à : R. K. Gibson et S. J. Ward,
« Parties in the Digital Age. A Review Article », Representation, 45, 1, 2009, p. 87-100. En France, on peut
notamment citer l’ouvrage dirigé par F. Greffet : Continuerlalutte.com Les partis politiques sur le web, Presses de
Sciences po, 2011.
4
A. Theviot, « Un silence numérique bavard - Anticipations et stratégies de contournement du silence numérique
pendant la campagne pour l’élection présidentielle française de 2012 », Mots, Dossier « Le silence en politique »,
103, novembre 2013, p. 55-72.
5
On peut toutefois citer quelques travaux qui ont travaillé cette dimension : H. Margetts, « Cyberparties », dans R. S.
Katz et W. Crotty (dir.), Handbook of Party Politics, Londres, Sage, 2006, p. 528-535 ; K. Lofgren et C. Smith,
« Political Parties and Democracy in the Information Age », dans R. K. Gibson, P. Nixon et S. J. Ward (dir.), Net
Gain? Political Parties and the Internet, Londres, New York, Routledge, 2003.
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« modernisation » du parti.
La mise en avant du volet numérique lors des campagnes électorales amènerait-il les citoyens à
adopter un rapport différent au politique ? Chaque citoyen peut désormais devenir « journalisteblogueur », relayer ses opinions, faire entendre sa voix. Assistons-nous à une forme de renouveau
démocratique grâce à ces dispositifs numériques ou à une véritable cacophonie où les extrêmes se
font toujours plus entendre ? Les réseaux sociaux encouragent-ils d’autres formes de participation
ou plutôt la participation de catégories d’électeurs qui, autrement, ne se seraient pas intéressés à la
politique ?
S’il est encore tôt pour en mesurer tous les changements, on peut toutefois s’interroger sur leur
portée dans les mobilisations des citoyens en général (adhérents, sympathisants, non-encartés,
séniors, etc.) et la reconfiguration potentielle des organisations partisanes au prisme du
numérique. Tel est l’objectif de cette section thématique, qui accueillera autant les propositions
théoriques que les nouveaux travaux empiriques qui illustrent comment Internet change – ou ne
change pas – les règles du jeu politique.