La citation de Pascal Quignard proposée cette année à la réflexion
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La citation de Pascal Quignard proposée cette année à la réflexion
.2 – Epreuve écrite Remarque préalable : La citation de Pascal Quignard proposée cette année à la réflexion des étudiants a permis de départager les copies comme il se doit. Rappelons que la dissertation n’est pas un jeu rhétorique (même si l’exercice a des règles strictes, précisément en vue d’une évaluation), mais une réflexion personnelle organisée, une discussion, un débat à partir d’une parole, sur un thème, avec des œuvres de référence. Il faut donc étudier cette parole, en saisir tous les éléments explicites ou implicites, les enjeux, les difficultés, avant de la discuter à la lumière d’une lecture personnelle des œuvres étudiées. Une remarque préalable : quand Quignard explique que les hommes font la guerre parce qu’ils l’ont créée et voulue, « aimée », il n’adhère pas explicitement à ce désir belliqueux ; il donne une explication. De fait, l’angle d’attaque est inhabituel : il s’agit ici non de dénoncer la guerre, mais l’hypocrisie dont ont fait preuve parfois les hommes à la dénoncer. Sans faire un éloge de la guerre, Quignard déroule une explication logique, dans une longue phrase dont le rythme mime l’enthousiasme souvent associé à l’acte belliqueux. En partant d’une réfutation (l’homme n’est pas victime mais l’inventeur de la guerre, donc responsable), l’auteur précise une cause, qu’il caractérise ensuite toujours davantage. L’amour de la guerre se trouve expliqué par les modalités de l’action guerrière : une relation à l’espace (dilatation), au temps (césure). Ces deux éléments sont eux-mêmes expliqués par la notion d’extase et par l’idée d’une force répandue, cependant que le verbe « aimer » laisse la place au verbe « adorer ». Exactement comme Eros et Thanatos sont en quelque sorte réconciliés dans la phrase, l’accumulation des adjectifs actifs et passifs montre cet accord des contraires dans la guerre, cette « exception » et cette « extase » spécifiques, artificielles, que l’homme a cherchées et créées. Un examen attentif permettait donc de dégager des enjeux simples autour de ce qui n’est pas une apologie de la guerre, mais une tentative d’explication du fait qu’elle existe, et qu’elle est pratiquée. La guerre n’est pas présentée ici de manière euphémistique : « état d’exception », « temps soudain de rupture », « force excitée »… Mais les paradoxes sont nombreux autour des verbes ou adjectifs liés à une force de vie (amour, adoration, passion…) : la guerre serait une puissance de création et d’affirmation. C’est donc être hypocrite que de dénoncer une guerre que l’homme veut, crée et aime, car c’est faire de la guerre un processus extérieur à l’homme, qu’il « subit » comme une maladie : c’est être hypocrite de ne pas voir dans la guerre une construction humaine, un mode d’être et d’agir choisi ; c’est sans doute alors être hypocrite que de ne pas voir, au moins, les ambiguïtés, les ambivalences de la guerre. Le jury a récompensé les copies qui ne se sont pas précipitées dans un débat stérile (pour ou contre la guerre ?), ou qui ont tout de suite vilipendé les propos de Quignard sans en mesurer la portée. Les œuvres du programme, quand elles étaient bien connues et maîtrisées, étaient elles-mêmes de bons auxiliaires : les lamentations perses sont d’abord celles d’un peuple vaincu, et qui peut nier l’exaltation des Grecs, ni la pulsion initiale des « barbares » face au combat ? Clausewitz fait de la guerre un moyen rationnel d’arriver à la paix, ce en quoi il s’éloigne de la vision « passionnelle » exprimée dans la citation de Quignard, mais que l’homme aime la guerre au point de se complaire dans l’agressivité, voilà qui fait peu de doute et justifie une théorie, un art de la guerre : en aucun cas l’homme ne la subit. Enfin, l’illusion de la guerre, avec Barbusse, joue pleinement ; l’ambivalence se trouve du reste dans un titre qui contient la lumière, l’ardeur, l’invention humaine par excellence, le spectacle artificiel (feu d’artifice…) et le coup de feu, mortel. Il était donc attendu des candidats qu’ils entrent dans une pensée…avant d’oser la « dépasser » ; qu’ils cherchent à la comprendre pour la nuancer ou la combattre. Aucune dissertation ne peut être réussie sans une lecture « vivifiante » de la citation, une lecture de bonne foi, fouillée : le prêt-à-penser, l’écriture automatique n’étaient cette année absolument pas possibles, s’ils l’ont été un jour, car il y avait avec Quignard une parole provocatrice, qui n’a pas manqué d’ailleurs de toucher les esprits les plus attentifs et les plus aiguisés. Si une dissertation repose d’abord sur une compréhension de la citation, elle suppose aussi une maîtrise du discours, une connaissance des œuvres et de la langue : qu’il nous soit permis de rappeler ce qui a été de nombreuses fois dit dans les rapports précédents. Le jury s’est étonné de trouver beaucoup de copies brouillonnes, souvent inachevées, mal relues, sans paragraphes visibles et organisés (où sont les nécessaires alinéas ?), sans souci de convaincre et de persuader. L’introduction, parfois exagérément bavarde, diluée et dilatoire, parfois superficielle et lapidaire, n’analyse pas le sujet ni ne l’éclaire, et le plan adopté, séquentiel et péremptoire, quand il n’est pas pure palinodie, ne témoigne dans certains cas d’aucun raisonnement, ni d’aucune recherche. Rappelons encore une fois que la dissertation est une réflexion sur un sujet dans un thème avec des œuvres : ne pas faire figurer la citation en introduction avant de l’analyser est lourdement sanctionné. Des membres du jury se sont à juste titre émus du peu de contenu de trop nombreuses copies. Le contenu, ce n’est pas un défilé de citations plaquées, apprises par cœur, mais dont on ne fait qu’étalage; ce n’est pas non plus une récitation de cours ou d’ouvrages de vulgarisation, quelle qu’en soit la qualité. C’est au contraire des passages précis, des expressions, des phrases, des vers, des situations explicités, creusés, analysés pour illustrer ou étayer des hypothèses, des arguments, des idées. Pas d’allusion, mais de la précision; des références, mais pas de révérence à ces sempiternels passages des œuvres de l’année, comme si les clichés de la pensée remplaçaient l’intelligence des textes. Les œuvres du programme sont prioritaires, et des références externes ne sont donc bienvenues que lorsque le programme a déjà été bien exploité. Il ne s’agit pas d’une dissertation de culture générale. Faire des sauts et gambades hors du programme d’œuvres n’est pas en soi rédhibitoire, mais ce n’est généralement pas nécessaire, et le format de l’épreuve (3 heures) devrait inciter à la prudence et à l’humilité. Notons que les trois œuvres doivent être traitées de manière égale dans le corps de la dissertation, donc dans chaque partie (ce n’est nullement requis pour chaque sous-partie, pour des raisons pratiques, puisqu’il s’agit d’analyser et d’argumenter à l’aide de références précises : la gymnastique tendrait alors à de la contorsion). Connaître et maîtriser des œuvres lues, analysées, explicitées; connaître, maîtriser et appliquer la méthode de la dissertation : c’est le travail de deux ans, c’est au fond de la discipline. Venons-en enfin à ce qui a sans doute retenu le plus l’attention du jury : l’indigence de la langue active et passive et une gestion manifestement mauvaise du temps de l’épreuve. Le respect de la langue française s’impose. Comment supporter l’altération quasi systématique de l’interrogative, directe ou indirecte ? Pourquoi ne sait-on plus écrire « y a-t-il » ? L’accord du participe passé, et même le passé composé, ne sont-ils plus connus ? La ponctuation est-elle facultative ? L’accentuation est-elle carnavalesque ? Est-il admissible de dysorthographier les noms de personnages figurant dans les œuvres du programme ? Pourquoi y a-t-il des avalanches d’adverbes inutiles qui, comme à l’oral de plus en plus, tentent de meubler le vide de la pensée (« finalement », « justement », « vraiment »), sans compter les liaisons logiques qui ne lient rien et ne sont pas logiques (« donc », « car », « en effet », « alors » répétés à l’envi) ? Tous ces tics parfois médiatiques (« c’est vrai que », « quelque part », « au final ») doivent être éradiqués sans ménagement pendant les deux ans de préparation, et d’abord dans le langage courant : cette épreuve est de français, matière, mais aussi langue encore vivante. Pour ce qui est de la gestion du temps, les copies sont souvent inachevées ou bâclées vers la fin, parfois illisibles. Osons recommander aux candidats de s’entraîner dès leur entrée en CPGE à ne pas trop taper en cours sur ordinateur : il s’agit d’apprendre à écrire vite et lisiblement, tant qu’aux concours il sera demandé d’écrire manuscritement. Sans entraînement, sans exercice quotidien, aucun progrès, et une mauvaise surprise aux concours. L’ordinateur est un outil, non une prothèse. Que les candidats se rassurent toutefois : l’épreuve de dissertation reste, au sens noble, particulièrement intéressante, car les talents sont systématiquement valorisés, les efforts pris en compte, les faiblesses ponctuelles évaluées avec bienveillance. Cependant cette épreuve, exigeante, mais accessible et gratifiante pour l’esprit, rend rédhibitoires l’amateurisme et le manque de rigueur, sinon de courage.