le découvrir - Association végétarienne de Montréal

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Une lecture de Antispéciste
d’Aymeric Caron
par Claude Samson dit « Canis Sapiens »
(Un lecteur qui ne s’autorise que de lui-même)
10 août 2016
Introduction
Je ne vais pas ici livrer au lecteur un article de critique littéraire. Ce n’est pas mon objet. Je ne suis
d’ailleurs pas critique littéraire et ça n’aurait pas le moindre intérêt. Le livre d’Aymeric Caron est
celui d’un militant de la cause animale. La présentation que je vais en faire sera également celle de
quelqu’un qui fait humblement ce qui est en son pouvoir pour faire avancer les choses un tout petit
peu. Mon objet est avant tout de faire lire un livre que je trouve extrêmement rassembleur. Aymeric
Caron s’adresse à un public le plus large possible, posant le cadre minimal de questions posées à
tous, des questions qui ne sont précisément la propriété de personne. Le livre est fluide, très lisible,
mais il est long. Digérer 450 pages prend du temps.
Si mon souci premier est d’amener à la lecture du livre, je sais d’expérience que tout le monde
n’aura pas le temps de lire Antispéciste dans les six prochains mois. Or le temps presse : à chaque
seconde, des têtes tombent parce que la majorité d’entre nous vit dans l’ignorance du meurtre de
masse en cours. Par conséquent, je souhaite donner ici au lecteur la « substantifique moëlle » du
propos de l’auteur. J’oscillerai donc, dans les deux premières parties de mon développement, entre
le résumé, la paraphrase et la citation afin de rester au plus près du texte. Le livre est très dense et
doit susciter le débat dans toutes les chaumières, pas seulement dans les salons d’initiés. En
quelques heures, vous aurez probablement une idée assez exhaustive du propos.
Après un état des lieux inscrivant la question de l’antispécisme dans un changement contemporain
des mentalités, le livre aborde la réalité de l’exploitation animale : une souffrance
incommensurable qui ne perdure que d’être largement ignorée du public. Nous suivrons ensuite
Caron dans son introduction à la question telle qu’elle se pose dans le champ de la philosophie
morale, puis dans son approche des enjeux sous-jacents à une éventuelle refonte du droit animal.
Dans une seconde partie, nous verrons comment, après avoir présenté le spécisme comme une
idéologie, l’auteur amène la problématique des enjeux économiques de l’exploitation animale. Face
à l’idéologie dominante, Caron aborde le champ de l’opposition à celle-ci : renvoyant dos à dos
une écologie et un socialisme impuissants, il en appelle à une biodémocratie impliquant un
changement radical des institutions.
La troisième partie fera apparaître une très agréable méditation philosophique de l’auteur, courant
en filigrane tout au long du livre. Je me permettrai, en tant que lecteur qui ne s’autorise que de luimême, je l’ai dit, de livrer en fin de parcours quelques avis, tant sur le fond que sur la forme de
l’ouvrage.
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I- L’état des lieux
1- L’antispécisme : un changement des mentalités
« Je suis antispéciste » proclame l’auteur d’entrée de jeu, considérant en effet qu’il n’y a aucune
justification à discriminer un être en fonction de son espèce d’appartenance. L’antispécisme est
présenté comme un nouvel humanisme qui reconnait notre parenté avec les autres espèces en ce
que les animaux non-humains sont tout d’abord mus par le même « vouloir-vivre » que nous. Il
s’agit donc d’un nouveau combat social s’inscrivant dans « un élargissement progressif de la sphère
de considération morale » (peuples autrefois considérés comme inférieurs, femmes, minorités
sexuelles, puis animaux non-humains), qui implique des changements radicaux dans notre façon
de traiter ces derniers. Le refus de les manger, de les enfermer, de les torturer ou d’en faire le
commerce doit donner lieu à la création de droits nouveaux.
L’état des lieux de notre monde fait apparaitre de nombreuses incohérences. S’insurger en effet
contre le réchauffement climatique tout en mangeant de la viande est inconséquent, tout comme
cajoler un chien tout en mangeant de la vache. Cette irrationalité généralisée se double d’une
irresponsabilité reposant sur l’idée qu’on ne peut individuellement rien aux malheurs du monde.
Même l’écologie est à repenser qui, tout en parlant de développement durable, ne remet pas en
cause la priorité donnée à l’espèce humaine et ne rejette même pas le principe de l’exploitation
animale. L’antispécisme serait selon le journaliste la réponse la plus rationnelle à toutes les
révélations scientifiques des dernières années sur le vivant. Il serait le point de départ d’une
révolution copernicienne ouvrant sur le prochain chapitre de l’humanité.
L’auteur perçoit les signes d’un changement majeur des mentalités en cours. « Cécil le lion »,
assassiné en 2015, a ainsi fait le tour du monde. La colère suscitée par la mort de ce lion illustre en
effet ce changement. Quelle légitimité a donc cet acte de tuer gratuitement un animal qui ne fait de
mal à personne? La mort de ce lion devient un meurtre dès lors qu’on reconnait à celui-ci une
individualité. Et on pourrait en dire tout autant des 250 dauphins abattus lors de la cérémonie du
grind aux Iles Féroé, cérémonie qui ne se justifie même plus par la consommation de viande de
dauphin, aujourd’hui considérée comme toxique : ce sont donc ni plus ni moins 250 crimes qui
sont commis.
Un mal doit être baptisé pour être combattu, explique A. Caron. Le mot « racisme » n’est apparu
qu’au XIXème siècle. Le « spécisme », inventé dans les années 70 et apparaissant sous la plume
de Peter Singer, s’inscrit par analogie à la suite des idéologies raciste et sexiste. Désigné comme
mal contemporain, il s’exprime à deux niveaux : d’une part, le spéciste prétend que la souffrance
des animaux non-humains importe moins que celle des humains; d’autre part, il crée des
catégorisations injustifiées parmi les espèces en les répartissant entre animaux de compagnie,
animaux de boucherie, animaux de loisirs, animaux sauvages, animaux nuisibles, espèces
protégées, espèces à éradiquer, etc. Au nom de ces différences de statut, le spéciste s’autorise de
façon injustifiée des traitements différents à l’égard des espèces, même si celles-ci présentent
parfois les mêmes facultés cognitives ou la même capacité à ressentir la souffrance et le plaisir.
Les animaux non-humains, au nom de cette idéologie spéciste, sont exploités, maltraités et tués au
prétexte que leur sensibilité serait quasi-nulle et leurs besoins physiologiques, psychologiques et
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sociaux presque inexistants. Si l’on compare le traitement du cochon et du chien par exemple, la
différence saute aux yeux. Le chien est emmené chez le vétérinaire au moindre mal alors que le
cochon ne bénéficie d’aucuns égards. Un milliard et demi de porcs sont tués chaque année dans le
monde, dont 25 millions en France. Or le chien et le cochon ont de nombreux points communs : ce
dernier aurait peut-être même des capacités cognitives supérieures à celles du chien.
L’antispécisme milite pour l’intégration de tous les êtres vivants sensibles dans une même famille
de considération morale. Il revendique l’appartenance de l’espèce humaine à une communauté
beaucoup plus large des animaux. Il s’agit de notre communauté initiale dont nous ne sommes
jamais sortis, malgré nos tentatives désespérées pour le faire croire et l’obstination à renier nos
origines. Contre les « animalosceptiques », l’auteur rappelle que les humains sont des animaux,
partageant avec les autres espèces « sentientes » (ou sensibles) la capacité de ressentir la douleur
et le plaisir, la tristesse, la joie, etc. D’autres espèces que la nôtre démontrent également des
capacités d’empathie et de solidarité. En revanche, d’autres encore ont des capacités dont nous
sommes dépourvus. Quoi qu’il en soit, les animaux non-humains sont « comme nous des individus
avec un caractère propre. Aucun n’est pareil et ne ressemble plus à un autre que deux humains ne
se ressemblent. »
La génétique a prouvé que nous sommes des animaux. Notre espèce, apparue il y a environ 200 000
ans, s’inscrit dans une longue évolution dont nous ne pouvons en aucun cas nous considérer comme
l’aboutissement. « Aucune espèce n’est le brouillon d’une autre », soutient Caron, et l’évolution
n’a pas de but préétabli. « Toute créature vivante est achevée puisqu’elle répond à des conditions
de survie précises dans un environnement donné. Chaque espèce est sa fin en soi, elle n’est pas le
terrain d’entrainement d’une espèce à venir ». Il ne serait d’ailleurs pas inconcevable qu’une espèce
nouvelle d’hominidés considère un jour la nôtre comme bien limitée.
La génétique nous a donc ouvert les yeux sur un monde encore inconnu. L’étude de l’ADN révèle
par exemple que le cousin terrien de la baleine est l’hippopotame et que l’ancêtre terrestre des
cétacés était un quadrupède à fourrure de la taille d’un chien, ayant vécu il y a 50 millions d’années.
De la même façon, on sait aujourd’hui que les chimpanzés et les gorilles sont plus proches
génétiquement de nous que les autres singes. L’étude de la morphologie de la chauve-souris
démontre que son aile et notre main sont construites sur le même modèle, et que cet animal possède
des coudes et des genoux tout comme nous. Il s’agirait d’ailleurs d’être vigilant sur notre emploi
de certains termes (l’aile par exemple) qui nous font mettre en rapport des organes sans aucun lien
(si ce n’est celui de voler) : l’aile de la chauve-souris et celle de la mouche n’ont pas le moindre
rapport morphologique.
De la même façon, l’éthologie nous aura apporté bien des surprises. Elle démontre que les
chimpanzés, mais aussi les chiens et les rats,….rient; que les poules s’expriment grâce à un
répertoire de cris variés, qui répondent à des situations précises; que les moutons ont une intense
vie sociale et qu’ils sont capables d’empathie, comme l’a bien montré Frans de Waal…Bref, que,
tel que mentionné dans la Déclaration de Cambridge sur la conscience du 7 juillet 2012, « tous les
mammifères, les oiseaux (beaucoup plus proches de nous qu’on ne l’aurait cru) et de nombreuses
autres créatures comme les poulpes, possèdent…les substrats neurologiques qui produisent la
conscience » .
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2- Une souffrance incommensurable
Précisément, « la lutte contre le spécisme passe par la bataille de l’information » affirme Aymeric
Caron, qui poursuit : « En effet, beaucoup de personnes continuent à manger de la viande ou à
porter du cuir et de la fourrure parce qu’elles ignorent la souffrance endurée par les animaux ».
D’ailleurs, « tout est organisé dans ce sens » car il s’agit de « dissimuler ou d’atténuer la vérité ».
Les caméras sont interdites dans les abattoirs et les images qui nous en parviennent sont filmées
clandestinement. Et c’est d’ailleurs grâce à elles que le grand public peut découvrir que « la cruauté
est généralisée dans ces lieux d’exécution. » Horreurs insoutenables que le public a le droit de
connaitre : même si l’étourdissement avant l’égorgement est rendu obligatoire depuis une loi
de 1964, les consignes sont rarement observées, sans parler des cas où les animaux ne sont pas
étourdis du tout et sont donc conscients au moment de leur mise à mort, comme c’est le cas de
l’abattage rituel halal et casher. Et tout cela pour quoi? interroge le journaliste : « Le nombre de
végétariens et de végétaliens en parfaite santé dans le monde prouve qu’il n’y a aucune nécessité
de manger des animaux. Au contraire, des études montrent que la consommation de viande favorise
certaines maladies, comme les maladies cardiovasculaires et les cancers ».
L’abattoir n’est pas le seul lieu de souffrance. Il faut également mentionner les conditions
concentrationnaires de l’élevage. Pour les cochons : petits retirés de leur mère bien avant le
sevrage, mutilés sans anesthésie, puis envoyés à l’abattoir à six mois; mères inséminées à
répétition, cages de mise bas qui les immobilisent totalement. Pour les vaches, même chose : la
production de lait a été multipliée par trois depuis 1950 avec pour conséquence des inflammations
chroniques des mamelles et un épuisement total après quelques années; veaux séparés de leur mère
et envoyés à l’abattoir après quelques mois. Concernant les poules, la plupart sont élevées dans des
cages sans lumière dans lesquelles elles peuvent à peine bouger. Surexploitées comme les vaches,
elles produisent deux fois plus d’œufs qu’il y a 50 ans. Les poules, exténuées, sont tuées au bout
d’un an. Les poussins mâles sont broyés ou gazés à la naissance parce qu’inutiles. Quant aux
poulets de chair, chez lesquels on provoque une croissance non naturelle, leurs os ne supportent
pas leur propre poids et ils connaissent de gros problèmes respiratoires, cardiaques et locomoteurs.
Le sort des lapins est tout aussi lamentable puisque 30 % meurent avant l’âge d’abattage (soit deux
mois et demi) du fait de leurs atroces conditions de vie. En ce qui concerne les poissons, leur
entassement les uns sur les autres dans les élevages intensifs entraine blessures et maladies. Un
mot sur le foie gras : ce sont cette fois les canetons femelles qui sont envoyés à la broyeuse. Le
gavage est une torture répugnante : le foie grossit 10 fois de volume et le canard ou l’oie contracte
une maladie appelée stéatose hépatique. Face à ce musée vivant des horreurs, A. Caron propose,
avec une ironie grinçante, puisque ces réalités ne sont soi-disant pas honteuses, que les emballages
de viande montrent des photos d’animaux pendant l’élevage et juste après l’abattage. Oui, en effet,
pourquoi cacher la réalité si elle ne pose de problème à personne?
Quelques rappels : nous tuons chaque année plus d’animaux qu’il n’y a eu d’humains sur cette
planète (soit 100 milliards depuis 50 000 ans) : 70 milliards de mammifères et d’oiseaux auxquels
s’ajoutent 1 000 milliard d’animaux marins. Nous tuons également des animaux pour leur
fourrure (nombre estimé à 150 million) : les visons et les renards, pour les trois quarts venant de
fermes d’élevage, sont confinés dans des cages minuscules et sont finalement tués, soit par
électrocution au moyen d’une électrode dans l’anus et d’une autre dans la bouche, soit par gazage.
Leur peau est parfois arrachée alors qu’ils sont encore vivants. De la même façon, des enquêtes ont
montré toute l’horreur qui se cache derrière la production de cuir ou même de laine. Quant à
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l’expérimentation animale, elle tue 100 millions d’animaux par an. Elle concerne les souris, les
rats, mais aussi les chiens, les chats ou les macaques. Ces derniers sont exploités dans le monde
entier : recherche aérospatiale, recherche sur les virus, transplantation, maladie de Parkinson,
d’Alzheimer, études sur la douleur, test des polluants chimiques, etc. Même si les tests sur les
animaux pour les cosmétiques sont désormais interdits en Europe, l’auteur interroge la légitimité
des expérimentations pour la santé. La question est d’abord de savoir si ces expériences servent
réellement à quelque chose. De fait, il apparait que d’autres espèces ne réagissent pas exactement
de la même façon aux substances chimiques et ne sont donc pas les meilleurs modèles pour l’étude
des maladies humaines. En outre, il y a dans l’expérimentation animale, dont la vivisection, un
odieux paradoxe : la fiabilité des expériences reposerait sur la similarité entre les humains et nonhumains, souffrance comprise. Donc, nous ne sommes pas sans savoir que les animaux nonhumains souffrent autant que nous, ce qui ne nous a pas empêchés jusqu’à aujourd’hui de les
torturer. Si de grands singes se sont récemment vu octroyer le droit d’être épargnés, pourquoi
s’arrêter à eux?
Une autre forme d’exploitation animale s’exerce dans le domaine du divertissement. En ce qui
concerne les cirques, l’auteur nous fait remarquer que les numéros présentés ne sont pas conçus
pour le plaisir des animaux mais celui des humains qui s’amusent des prouesses obtenues de gré
ou de force des premiers. Leurs conditions de vie sont, là encore, contre nature et même souvent
épouvantables. Idem pour les zoos ou les parcs aquatiques qui n’entrainent que souffrance
lancinante et désespoir. « Affirmer que les zoos sont des lieux éducatifs est un mensonge : qu’y
apprend-on réellement sur les animaux enfermés dans des cages ou des enclos? » s’interroge Caron,
« les zoos sont simplement des lieux de promenade familiale où chacun se divertit en mangeant
une glace devant le malheur d’animaux arrachés à leur destin ». On ne saurait dire mieux... Bref,
les zoos sont des « lieux d’incarcération qui suivent des logiques commerciales » et le reste n’est
que baratin pour se donner bonne conscience. De la poudre aux yeux.
Un mot enfin sur le sort inquiétant des animaux sauvages. En 40 ans, la population des vertébrés
sur Terre a diminué de moitié. Vingt-cinq pour cent des mammifères sont menacés d’extinction,
contre 41% des amphibiens et 13 % des oiseaux. Une sixième extinction de masse dans l’histoire
de la planète est à craindre. Les causes en sont connues : surpêche, chasse, déforestation,
urbanisation, etc. Le trafic d’animaux ou de bouts d’animaux est quant à lui en expansion. Une
corne de rhinocéros se marchande 60 000 euros le kilo, soit autant que la cocaïne. Le crime organisé
y voit un réel intérêt puisque les peines encourues sont bien moins lourdes que pour la drogue. Ce
trafic intéresse aussi des groupes armés d’opposants ou de terroristes en Afrique pour se financer.
Résultat : il reste 3 200 tigres en Asie (baisse de 97 % en un siècle); 40 000 lions (baisse de 80 %
en un siècle); 500 000 éléphants en Afrique (baisse de 97,5 % en un siècle); 50.000 éléphants en
Asie (baisse de 50 % en un siècle), etc.
Alors même que des animaux sont abattus ou torturés en masse, l’accroissement du nombre
d’animaux domestiques est un phénomène paradoxal de notre temps : 63 millions en France
dont 12,7 millions de chats et 7,3 millions de chiens. Et puis, il y a les autres, insiste Caron. Ceux
que l’on séquestre, que l’on torture, que l’on tue. Tout se passe comme si certaines espèces devaient
être traitées avec des égards et pas les autres. Mais l’Histoire montre que les animaux dits de
compagnie n’ont pas toujours été traités comme ils le sont aujourd’hui. Des boucheries canines ont
existé en France et en Allemagne jusqu’au siècle dernier. Par ailleurs, certains chiens réputés pour
leur docilité, les Beagles, sont encore sacrifiés pour tester des médicaments. Quant aux chats, ils
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n’ont été choyés qu’à partir du XVIIème siècle dans les milieux aisés. Les chevaux pour leur part
se situent à mi-chemin entre l’animal à respecter (comme en Grande-Bretagne) et à consommer.
Leur histoire est douloureuse. Sept cent mille tués durant la Première Guerre mondiale. D’autres
ont été « enfermés dans des mines, épuisés dans les rues et sur les routes, usés dans les champs. ».
En 1851, Arthur Schopenhauer énonçait : « Le plus grand bienfait des chemins de fer est qu’ils
épargnent à des millions de chevaux de trait une existence misérable ». Ceci dit, reprend Caron,
« en France, plus de 10 000 poulains finissent chaque année à la boucherie ». Même « …les
chevaux de course qui ne sont plus performants terminent (…) à l’abattoir. »
La croyance selon laquelle les animaux ne souffrent pas comme nous n’est étayée par aucune
preuve. Tout prouve même le contraire : « Jusque dans les années 80, on imaginait que les poissons
étaient insensibles à la douleur. On sait aujourd’hui que c’est inexact… ». Et cela vaut également
pour les crustacés. Même si un doute persiste pour ce qui concerne les insectes, explique l’auteur,
« toute espèce a intérêt à éprouver de la douleur, puisque celle-ci est un signal d’alarme qui
explique que l’intégrité du corps est attaquée et qu’il faut immédiatement se protéger »…Mais non
seulement les animaux non-humains souffrent, ils éprouvent aussi des émotions comme la peur, la
colère, la surprise, la tristesse, le dégoût et la joie comme nous, comme l’enseigne l’éthologue Marc
Bekoff. Chaque animal est un individu particulier. « On ne mange pas du bœuf, du poulet, du porc,
on ne porte pas de renard. On mange la partie d’un bœuf bien précis, qui a existé, a éprouvé et a eu
peur avant d’être exécuté ». Ces animaux que l’on tue ont non seulement des facultés cognitives
au moins comparables à celles des jeunes enfants, ce sont des enfants eux-mêmes. Un cochon est
tué à six mois pour une espérance de vie de 15 ans; un veau à 5 mois pour une espérance de vie
de 20 ans. Et Caron de conclure : « Les carnivores sont des ogres. »
Mais ce sont avant tout des ogres qui ignorent l’origine de la tranche de jambon ou du blouson de
cuir… « produits finis dont l’industrie tente de nous faire oublier la provenance réelle ».
L’essayiste le rappelle : celui qui mange un morceau d’animal est responsable. C’est à cause de lui,
au final, que l’animal a été tué. Les « animaux ont été tués parce que des industriels ont pensé qu’il
y aurait des gens pour acheter leur viande. » Ça y est, le problème est posé : nous sommes
responsables et en conséquence confrontés à des choix éthiques. C’est donc la question de l’éthique
animale qu’Aymeric Caron aborde après cet état des lieux consternant de l’actuelle condition
animale.
3- L’éthique animale
Contre une approche écologique qui évalue notre responsabilité à l’égard des animaux en termes
d’espèces, l’éthique animale prend en compte l’individualité de chaque animal. Sa question se pose
là. Ce domaine de recherche n’est apparu que dans les années 70, essentiellement dans le monde
anglophone. À part quelques exceptions, la France est à la traine, sans doute à cause de cet aspect
de l’humanisme français qui place l’humain au sommet de la hiérarchie des êtres.
Deux courants s’opposent en éthique animale : les welfaristes et les abolitionnistes. Peter Singer
est le leader de la première tendance. Il s’agit ici de militer pour la diminution de la souffrance sans
pour autant mettre fin au système qui l’engendre. PETA s’inscrirait ainsi dans une mouvance néowelfariste, selon l’auteur… Tom Regan et Gary Francione représentent la seconde. Ces derniers
réclament la fin de toute forme d’exploitation animale, puisque les animaux ne sont pas des choses
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et que nous nous devons de leur accorder des droits. « Quand vous réformez l’injustice, mon
opinion est que vous la prolongez », soutient Tom Regan. On peut en effet se demander s’il eût été
possible de faire exister un « esclavagisme heureux ou transitoire », renchérit Caron.
Derrière ces divisions s’opposent deux approches de l’éthique normative, poursuit l’auteur : le
conséquentialisme et le déontologisme. Les welfaristes sont conséquentialistes et les
abolitionnistes sont en principe déontologistes. Très brièvement, les conséquentialistes
s’intéressent avant tout au résultat d’une action, tandis que les déontologistes considèrent qu’on ne
doit agir qu’en fonction de principes moraux indépendants des circonstances. Aux origines du
premier mode de pensée : d’abord Jérémy Bentham, puis John Stuart Mill, connu comme le maître
à penser de l’utilitarisme. Dans la vision utilitariste, l’avenir du monde compte davantage que
chacun des individus qui le composent. À l’autre bout du spectre éthique : l’impératif catégorique
d’Emmanuel Kant. Ici, les devoirs moraux s’appliquent en toutes circonstances, sans aucun calcul
quant au résultat sur le plus grand nombre. L’autre est ici considéré comme une fin, et jamais
comme un moyen, par opposition au calcul utilitariste. Ceci dit, cette vertu trouve sa limite dans
certaines situations, comme lorsque le devoir de dire la vérité vient s’opposer en vous-même au
devoir de protéger des victimes d’un système totalitaire, par exemple. Allez-vous les dénoncer au
nom de la vérité? Certes non…Ceci dit, ce cas particulier de la vérité n’est pas comparable à celui,
beaucoup plus évident, de la question du bien et du mal face à un animal dont on ôte la vie sans
nécessité. Vaste sujet…d’autant plus passionnant que nos fonctionnements sont toujours peu ou
prou un mixte de déontologisme et de conséquentialisme…
Pour en revenir à Peter Singer, son approche consiste à établir que « tous les animaux ont des
intérêts », parmi lesquels ceux d’éprouver du plaisir et de ne pas souffrir. Dans cette vision des
choses, dite « pathocentriste », l’aptitude à ressentir la douleur confère des droits. L’intérêt à ne
pas souffrir d’un chien ou d’une vache est le même que l’intérêt à ne pas souffrir d’un être humain,
quel que soit leur niveau de capacités mentales. Si ce n’était pas le cas, en effet, il faudrait
logiquement considérer que la souffrance des déficients mentaux humains est moins importante
que celle des personnes non déficientes. En revanche, pour Peter Singer, « les différences
intellectuelles entre espèces impliquent qu’il y a des vies qui valent plus que d’autres ». Il serait
donc plus grave de tuer un humain que de tuer un chien. Il en découle que l’expérimentation
animale n’est pas en soi un interdit : on peut sacrifier dix singes si l’on est sûr de sauver cent êtres
humains…Il faut toutefois préciser que ce n’est pas l’espèce à laquelle appartient l’individu qui
fonde la valeur de sa vie mais bien les capacités mentales de l’individu concerné. Par conséquent,
la vie d’un chien ou d’un cochon, par exemple, en parfaite possession de ses facultés mentales,
aura donc plus de valeur que la vie d’un humain handicapé mental. Singer est en cela antispéciste,
puisqu’il ne donne pas de préférence à l’espèce humaine. Pour choquant que l’exemple puisse
paraitre, Peter Singer demande avant tout à ce que l’importance attachée à la vie des animaux soit
augmentée, pas que celle de certains humains soit réduite, bien évidemment.
A. Caron, quant à lui, affiche clairement sa position : « il n’y a pas de vies qui valent plus que
d’autres ». Et contre l’utilitarisme, il cite Gandhi : « l’adepte de l’ahimsa (non-violence) ne peut
faire sienne la formule utilitaire selon laquelle le plus grand bien est ce qui convient au plus grand
nombre. Quitte à sacrifier sa vie pour un idéal, il luttera pour que tous, sans exception, soient à
même de connaître le bien le plus élevé ». Gandhi se refuse donc à accepter une souffrance au
prétexte qu’elle profiterait au plus grand nombre, nous dit Caron. Le bien-être de chaque individu
doit donc être garanti de la même manière…Une autre critique adressée par l’auteur à la pensée de
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Singer est que la valeur de la vie estimée à partir des capacités cognitives des uns et des autres est
forcément anthropocentrique : nous ne pouvons en effet apprécier les facultés des autres qu’en
fonction des nôtres…et de nos normes. Bref, selon l’auteur, il serait plus judicieux de considérer
un « intérêt à vivre (…) absolu et égal pour tous », un droit égal à exister pour toutes les espèces.
D’ailleurs, à y regarder de plus près, l’existence des abeilles et des vers de terre est beaucoup plus
vitale à la planète que ne l’est celle de l’espèce humaine. En termes de contribution à l’équilibre
des écosystèmes, l’espèce humaine arrive dernière, l’être humain étant « l’animal le plus nuisible
qui soit ».
Certes, le simple fait d’exister entraine son lot de destructions…L’antispéciste abolitionniste doit
tenter de limiter au maximum le mal qu’il cause au vivant sensible. Donc : pas de viande, pas de
lait, pas d’œufs, pas de cuir, pas de fourrure. C’est la base. Mais que faire des souris dans sa maison,
des insectes qui piquent, des mouches et des moustiques? « La plupart du temps, il existe une
possibilité de régler le problème sans violence », réplique l’auteur. Rien ne légitime donc le fait de
tuer un être animé par la même volonté de vivre que nous, un être qui éprouve la souffrance comme
nous. Rien ne légitime le fait de tuer un être avec lequel il n’y aucune différence de nature. Et ce
d’autant plus que cette parenté se révèle toujours plus étendue au fil des découvertes scientifiques,
et que nous sommes également tous d’accord sur le fait que la vie de tout animal humain qui vient
au monde doit être protégée.
L’exploitation animale se justifierait-elle par le recours à des besoins? Non, affirme le journaliste.
Tout d’abord, il est largement démontré aujourd’hui que l’alimentation carnée ne répond à aucun
besoin vital. Le végétarisme et le végétalisme sont des régimes alimentaires parfaitement adaptés
à notre constitution. L’alimentation carnée favorise même les maladies coronariennes et certains
cancers, sans parler du fait que les conditions déplorables des élevages ont été l’origine de
nombreuses pandémies ces dernières années. Quant au lait, son « effet nocif sur la santé est
maintenant démontré ». Nous ne sommes pas censés boire du lait en tant qu’adultes, et encore
moins celui d’une autre espèce. Cette consommation de produits animaux se justifierait donc au
nom de quoi? De la tradition? Dans ce cas-là, l’esclavage, l’excision, la lapidation, le mariage
forcé, eux-mêmes des traditions à certaines époques et dans certains pays, seraient également
justifiés. Quant au plaisir invoqué à manger de la viande, depuis quand une action se justifieraitelle au nom du plaisir que ressent celui qui la commet? Dans ce cas, le tueur en série ou le violeur
seraient justifiés à commettre leurs méfaits au nom du plaisir qu’ils en retirent. En réalité, nombre
de nos comportements visant à notre satisfaction se voient limités par les règles de la vie en société.
Si nous n’avons nul besoin de produits animaux pour nous sustenter, nous n’avons pas plus besoin
de produits animaux pour nous vêtir. Quant à notre « besoin » de divertissement, rien ne saurait
justifier l’enfermement dans des zoos, les courses, la chasse et encore moins la mise à mort d’un
animal pour le spectacle. D’ailleurs, la corrida est étrangement autorisée dans certaines régions de
France au nom de la Tradition alors même qu’elle est interdite sur le territoire national au nom de
la loi générale qui interdit la cruauté envers les animaux. Pour information, révèle l’auteur, cette
« tradition » n’est apparue en France qu’en 1853, imposée par Napoléon III pour faire plaisir à son
épouse…espagnole. Cette pratique est présentée par ses défenseurs comme la mise en scène d’un
combat équitable entre l’homme et la bête. Bizarrement, malgré l’équité affichée, c’est le torero
qui l’emporte à chaque fois. Bizarrement, le taureau n’est pas applaudi lorsqu’il embroche le torero.
« Tout cela n’est qu’une vaste mascarade, proteste Caron, financée avec de l’argent public alors
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même que les français sont majoritairement opposés à cette pratique ». Tout cela n’est qu’ « un
business que ne veulent pas lâcher ceux qui en bénéficient ».
4- Quels droits pour les animaux?
Aymeric Caron propose de s’inspirer de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948
dont les principes devraient s’appliquer à chaque humain.
Art.3 : Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.
Art.4 : Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont
interdits sous toutes leurs formes.
Art.5 : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants.
L’auteur les transforme en quatre droits fondamentaux pour simplifier le propos :
1- Droit de vivre, donc de ne pas être tué
2- Droit de ne pas être emprisonné
3- Droit de ne pas être torturé
4- Droit de ne pas être une propriété
Face à cette clarté et cette simplicité, l’incohérence actuelle du statut juridique de l’animal apparait
phénoménale. Les animaux se voient en effet classés en animaux domestiques, animaux de
compagnie, animaux d’élevage, animaux sauvages, espèces protégées, animaux nuisibles, animaux
de laboratoire… « Dans toutes ces catégories, note l’auteur, se trouvent des espèces aux
caractéristiques physiologiques ou psychologiques similaires, et pourtant leurs membres ne sont
pas protégés de manière identique ». C’est le cas du chien et du cochon, par exemple, aux degrés
d’intelligence et de sensibilité comparables, qui se voient séparés par un abîme juridique. Par
ailleurs, un même animal peut se trouver dans différentes catégories : un chien peut être un animal
de compagnie mais également un animal de laboratoire, par exemple. Mais les contradictions ne
s’arrêtent pas là : comment se fait-il que blesser un chien soit illégal un jour alors même qu’il risque
l’euthanasie en fourrière s’il n’est pas adopté? Autre contradiction déjà relevée : la corrida interdite
et autorisée selon les régions d’un même territoire national. Ou encore l’autorisation faite à
l’abattage rituel halal ou cacher de ne pas procéder à l’étourdissement de l’animal avant sa mise à
mort alors que la loi le rend en principe obligatoire.
Outre ces contradictions évidentes, les droits des animaux déjà existants ne sont pas respectés dans
les faits. En effet, aucun animal d’élevage n’est « placé par son propriétaire dans des conditions
compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce », comme le prévoit notamment l’art.
214-1 du Code Rural. D’ailleurs, les « normes de bien-être dans les élevages, définies par les textes
européens, déterminent surtout les limites en dessous desquelles les conditions de détention
génèrent une souffrance telle qu’elles en deviennent nuisibles à la production. Malgré cela, ces
normes sont souvent ignorées ». Mais l’incohérence culmine dans l’article 515-14 du Code civil
qui stipule la chose suivante : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous
réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». Dans le même
article, l’animal est donc à la fois considéré comme un être sensible et comme une chose!...
L’auteur en tire la conclusion que la « reconnaissance de la sensibilité animale par le Code civil ne
changera absolument rien au sort des animaux ». À la limite, elle pourrait même avoir un effet
contreproductif puisqu’elle calme les esprits tandis que la réalité de l’exploitation perdure.
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Aujourd’hui, « le droit animalier se contente de réguler l’injustice » : il ne s’attaque pas à
l’exploitation animale comme injuste. Il s’agit donc de passer à un autre niveau et d’« accorder à
tout animal non humain sensible le statut juridique de personne non humaine ».
D’aucuns rétorqueront que pour bénéficier de droits, il faut également remplir des devoirs, ce que
les animaux ne peuvent faire. L’affirmation est fallacieuse : en effet, les enfants, les déficients
mentaux et les personnes séniles ont des droits sans avoir de devoirs. Ce sont des « patients
moraux » et non des « agents moraux ». Ils ont des droits et ce, quelles que soient leurs capacités
mentales. D’autres se demanderont ce que vont devenir les animaux que nous élevons. La réponse
est simple : ils n’existeront plus puisqu’ « il n’y a aucun fondement moral à faire naître un individu
dans le simple but de s’en servir et de lui faire subir une vie atroce ». D’ailleurs, on applique déjà
ce principe en décidant de ne pas donner naissance (par la contraception) à des enfants qui ne
naitraient pas dans des conditions favorables. Pour autant, les espèces continueront d’exister en
redevenant sauvages.
Et qu’en serait-il des animaux de compagnie? Contre une séparation humain/non-humain
finalement assez spéciste puisqu’elle sépare au nom d’une différence d’espèces des êtres capables
d’éprouver une affection mutuelle, l’auteur estime que certaines espèces proches de l’humain ne
perdent rien à notre proximité. Cela vaut pour les chiens et les chats, mais peut-être aussi pour les
cochons, les chevaux ou les chèvres. A. Caron propose l’idée très originale d’un propriétaire tuteur
et d’un état civil des animaux de compagnie. Comme pour un enfant, l’animal n’aurait même plus
de « propriétaire » mais serait confié à quelqu’un qui en aurait la responsabilité.
Mais avant de réfléchir sur les droits futurs des animaux, il s’agirait de trouver, à l’intérieur même
du mouvement végan, un terrain de discussion et d’échange constructif, par delà les divergences
d’opinion et un certain extrêmisme pouvant se montrer radical et excluant. En effet, outre toutes
les difficultés déjà mentionnées auxquelles le défenseur de la cause animale se voit confronté, un
certain extrêmisme à l’intérieur même du mouvement végan tend à diviser les gens plutôt que les
rassembler. « Certains militants ont la désagréable manie de chercher à démontrer que vous n’êtes
pas assez vertueux, et donc, que vous êtes indigne de la cause », déplore Caron. Contre le purisme
de certains, ce dernier s’autorise à se poser des questions. Si l’on est tous d’accord pour condamner
sans appel toute souffrance animale, qu’en serait-il de la consommation de lait dans une ferme où
les animaux se reproduisent naturellement, où les veaux ne sont pas arrachés à leurs mères et où
chaque animal meurt de sa belle mort? Où est le problème de la consommation de lait dans ce cas?
Idem pour les œufs : ne peut-on pas concevoir des poules non maltraitées? Au delà de ces deux
exemples, la « ligne du Parti » qui condamne toute déviance est une erreur stratégique : les produits
de l’exploitation animale sont omniprésents et être végan à 90 % est déjà considérable. Agresser
des personnes qui sont encore en chemin provoque leur fuite, et la violence qui s’exerce à leur
endroit est même contradictoire avec la dimension empathique du véganisme. Les intolérants se
présentent comme une espèce supérieure alors même qu’ils se proclament antispécistes. N’est-ce
pas contradictoire?
II- Une révolution en marche
1- Une nouvelle révolution copernicienne
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Quarante-quatre pour cent des Américains sont créationnistes et 36 % pensent que l’évolution des
espèces fut guidée par Dieu. Seuls 14 % considèrent que Dieu n’a rien à y faire… Bref, les idées
créationnistes ont la vie dure. Mais souvenons-nous : le message religieux fut un obstacle à
l’émergence de l’héliocentrisme avant celle de la théorie darwinienne. Et le texte biblique lui-même
légitimait l’exploitation animale. Arthur Schopenhauer, influencé par la pensée indienne, fut un
des premiers à s’opposer à cet obscurantisme tenace. « Une autre tare fondamentale du
christianisme (…), écrit-il en 1851, est la suivante : il a, contredisant la nature, arraché l’homme
au monde animal auquel il appartient pourtant essentiellement, et veut à présent le faire valoir
totalement seul, considérant les animaux très exactement comme des choses… ». Ce même
Schopenhauer qui énonçait, bien avant l’explication du paléoanthropologue Yves Coppens (qui
justifie scientifiquement cette assertion) : « …il n’y a pas de race blanche…mais tout homme blanc
est un homme décoloré »!... Pour Caron, « les spécistes sont semblables à ces croyants aveuglés
qui ont condamné Copernic et Darwin ». Les obscurantistes d’aujourd’hui sont les mêmes que ceux
qui auraient continué à prétendre que le Soleil tourne autour de la Terre. Comme à chaque fois,
ainsi que le soulignait Sigmund Freud, la sortie de l’obscurantisme se présente comme une
« blessure narcissique de l’humanité ».
Cet obscurantisme spéciste cherche parfois à se justifier en prétendant que les causes humanitaires
seraient prioritaires sur la cause animale. En vérité, les « contempteurs des défenseurs des
animaux » sont rarement impliqués dans quoi que ce soit. D’ailleurs, explique l’auteur, nous
n’avons pas à « installer une sorte de concurrence entre les victimes de la domination ». N’est-ce
pas Louise Michel, cette figure majeure de l’anarchisme du XIXe siècle, qui pointait l’imbrication
des différentes violences s’exerçant sur les plus faibles : « Et plus l’homme est féroce envers la
bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent »? L’auteur fait d’ailleurs remarquer
que « les fers de lance de la lutte contre l’esclavage ont souvent été les précurseurs de la défense
animale ». C’est le cas des écrivains Henry David Thoreau, Victor Hugo, Émile Zola ou Léon
Tolstoï…À l’inverse de ce qui précède, il ne s’agit pas non plus dans la démarche antispéciste de
rejeter les humains. L’antispécisme luttant contre la discrimination liée à l’espèce, il se contredirait
lui-même s’il concluait que l’espèce humaine vaut moins que les autres! Il s’agit plutôt de proposer
un nouvel humanisme, désanthropocentré, élargissant notre sphère de considération morale.
Quelques rappels : le temps n’est pas loin où le sommet de la hiérarchie des êtres était occupé par
l’être humain blanc, masculin et hétérosexuel. L’esclavage ne fut aboli définitivement en France
qu’en 1848. Un siècle plus tard, l’esclavage est interdit par la Déclaration Universelle des droits de
l’homme…Les femmes n’ont le droit de vote, toujours en France, que depuis 1944. L’épouse n’est
devenue l’égale de son mari qu’en 1965 et la notion de « chef de famille » (masculin) n’a disparu
qu’en 1970…L’homosexualité n’a été dépénalisée en France qu’en 1982 et n’a été retirée de la
liste des maladies mentales par l’OMS qu’en 1990…L’élargissement de la sphère de considération
morale passe à chaque fois par une lutte contre la croyance. Aujourd’hui, la croyance est que les
humains sont « faits pour manger des animaux », que la souffrance des animaux est moindre que
la nôtre, que seul l’homme importe. C’est ce que le spéciste croit, mais ce qu’ « il croit, il ne peut
le démontrer. Car en réalité, il ne sait pas. » constate A. Caron. C’est d’ailleurs un des travers de
notre époque que ceux qui font l’information ne soient pas forcément les plus compétents. On leur
demande avant tout d’avoir de l’aplomb et de la répartie pour passer à la télé. La connaissance, la
probité et la prudence passent après l’audimat.
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2- Exploitation animale et profit
Revenant sur le parallèle entre esclavage et exploitation animale, l’auteur fait remarquer que « les
deux phénomènes s’appuient exactement sur les mêmes mécanismes pour asservir des êtres
sensibles et intelligents. Ils utilisent les mêmes justifications fallacieuses. Ce n’est pas un hasard,
poursuit-il, si leurs opposants s’appellent, dans les deux cas, les abolitionnistes. » Dans les deux
cas, les victimes sont « considérées comme des choses » et « leur identité est niée ». Les arguments
en faveur de l’esclavage sont d’ailleurs comparables point par point avec ceux justifiant
l’exploitation animale. Dans les deux cas, seules les révélations au grand public concernant le
traitement des victimes ont permis une avancée. Des révélations mais aussi des révoltes comme à
Saint-Domingue en 1791. Mais pas seulement… Les questions d’argent ont également joué un rôle.
L’esclavage et l’exploitation animale reposent en effet l’un comme l’autre sur le profit.
Paradoxalement, la question économique fut utilisée par les abolitionnistes eux-mêmes dans leur
combat. Il s’agissait dès lors de démontrer que l’esclavage n’était pas aussi rentable qu’on pouvait
le croire. Des économistes se sont même emparés de l’argument pour conclure que l’esclavage était
devenu « un frein à la croissance ». Et Caron de se demander si les idées des Lumières auraient pu
à elles seules mener à l’abolition de l’esclavage sans un contexte économique favorable.
Aujourd’hui, il est clair qu’ « abolir l’exploitation animale aurait un impact économique majeur,
ce qui explique en grande partie que tout soit mis en place pour discréditer les représentants des
droits des animaux, que certains n’hésitent pas à présenter comme des intégristes, voire, pourquoi
pas, de possibles terroristes »…
Pour l’heure, l’exploitation animale, à commencer par la viande, génère un chiffre d’affaires
monumental et représente un nombre très considérable d’emplois. Il s’agit d’un secteur qui tend
vers la concentration du marché entre les mains de multinationales de plus en plus puissantes au
détriment des petites exploitations qui disparaissent, et ce, dans une logique du toujours plus et au
moindre coût. Tout comme pour l’esclavage, l’argent est une « cause essentielle du calvaire des
animaux ». L’agriculture n’a d’ailleurs plus pour objectif premier de nourrir sainement l’humanité;
elle est otage d’une course à la rentabilité toujours plus grande. Les producteurs sont les premières
victimes de ce système productiviste à tout crin alors que les gros industriels s’enrichissent. D’être
victimes du système, ils n’en sont pas moins les premières cibles des accusations de maltraitance
ou de pollution. Produire toujours plus et toujours moins cher signifie des revenus à la baisse, des
journées interminables de travail et des taux de suicides élevés. Et Caron de rappeler que l’objectif
des abolitionnistes n’est pas de les mettre au chômage mais de transformer leur propre métier, alors
même que les fermes sont devenues des lieux de souffrance et pour les hommes et pour les
animaux. Cela vaut également pour les 50 000 ouvriers d’abattoir dont la tâche inhumaine ne peut
avoir pour conséquence que leur déshumanisation… A. Caron appelle donc les éleveurs à rejoindre
les rangs des abolitionnistes, pour mettre fin à leur propre servitude et pour organiser la transition
vers une « agriculture décarnée ». D’autres activités s’offrent à eux : céréaliers, cultivateurs,
maraîchers, sylviculteurs, etc… Les légumineuses sont une excellente alternative à la viande en
matière de protéines, et bien moins coûteuse de surcroît…Si la France a pu autrefois indemniser
fortement les esclavagistes après l’abolition, on ne voit pas pourquoi les éleveurs ne se verraient
pas financièrement soutenus aujourd’hui pour passer à un autre mode de production.
Le système actuel est néfaste pour l’environnement : gaz à effet de serre, déforestation, pollution
des eaux, dégradation de la fertilité des sols, gaspillage de l’eau pour l’élevage, utilisation des trois
quarts des terres agricoles pour la production de viande, etc. Bref, les arguments sont là. Mais
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comme pour l’esclavage, les arguments rationnels risquent de ne pas suffire. La question de la
pertinence économique de l’élevage, comme l’esclavage autrefois, doit être soulevée. De fait,
l’élevage n’est pas rentable. Il implique l’intervention publique pour se maintenir à flots, une
intervention publique reposant en dernière instance sur la participation du contribuable à l’industrie
de la viande, que cela lui plaise ou non. Tout comme repose sur la contribution du citoyen la prise
en charge des effets collatéraux de l’élevage. Mais ce n’est pas tout. Non seulement le contribuable
paye les dégâts, il doit également assumer le coût de la consommation de viande et des produits
laitiers en matière de Santé publique.
Si le citoyen n’a plus beaucoup de pouvoir dans notre monde, prenons acte du fait que nous sommes
consommateurs. Nous pouvons boycotter les produits animaux, informer le public sur la réalité de
l’exploitation animale, tout comme nous pouvons promouvoir les produits végans. Imaginons une
économie sans exploitation animale, imaginons la puissance économique d’une alimentation
végétale sans coûts collatéraux à compenser comme dans l’élevage. Les industriels ont tout à
gagner à se joindre à ce mouvement de libération animale et à créer de nouveaux marchés. Mais
nous n’en sommes pas encore là et l’injustice règne : « Cinq millions d’enfants meurent de faim
chaque année dans ce monde » et « 900 millions de personnes souffrent de malnutrition » alors que
nous n’avons jamais autant gaspillé. « Le souci n’est pas…la fabrication des richesses, commente
l’auteur, mais bien la répartition de ces richesses, qui elle-même découle de choix politiques ».
Pour ne citer qu’un seul exemple : « La moitié des richesses mondiales est aux mains du 1 % des
plus riches, tandis que les 99 % restants de la population mondiale se partagent l’autre moitié ».
Cela empire avec l’imposition du modèle néolibéral qui a instauré comme règle de normalité
l’égoïsme le plus débridé et qui œuvre à détruire tous les systèmes de protection des travailleurs
pour les transformer à nouveau en simples instruments corvéables et licenciables à merci. Et je
citerai intégralement ce passage particulièrement bon du livre d’Aymeric Caron, dont je salue
l’authentique humanité : « Violence suprême que celle qui touche l’homme ou la femme dont la
sueur a rempli la piscine d’actionnaires millionnaires, et que l’on jette au rebut sans état d’âme.
Violence d’être déclaré inutile, inintéressant, gênant. Violence de ne plus être personne, puisque
ce monde définit l’individu par le travail qu’il occupe. Violence de ne plus être celui ou celle qui
nourrit sa famille. Telle est la réalité du libéralisme, qui n’est qu’une ode à la liberté de quelques
uns contre celle de tous les autres. L’autorité que réclament les ultralibéraux a pour seul but de
protéger les intérêts de l’oligarchie. Pour eux, la police, l’armée et les lois répressives ne doivent
exister que pour éviter toute tentative de rébellion des dominés - cette rébellion qui, précisément,
fait de nous des individus »… A contrario, aucun grand patron ne se suicide jamais : celui-ci
retrouvera toujours du travail ailleurs même s’il perd un emploi, ce qui n’est pas le cas du salarié.
La violence sociale qui s’exerce sur ce dernier a été érigée en norme sociale acceptable et plus
aucune personnalité politique n’incarne réellement la lutte contre les inégalités.
3- De l’idéologie dominante à la désobéissance civile
La crise que nous traversons en Europe aujourd’hui est avant tout morale, avance l’auteur : « Le
libéralisme financier s’est imposé car les digues éthiques se sont peu à peu brisées, et non le
contraire ». Et cette décadence ne s’applique pas qu’aux classes aisées. Les héros et les « salauds »
se rencontrent partout. C’est juste qu’un modèle s’est imposé, celui du contournement de la règle,
de la recherche du profit pour le profit et de l’absence de toute morale. L’évasion fiscale est
compensée par la taxation des plus modestes alors que l’enrichissement est déconnecté de toute
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productivité ou valeur ajoutée. Des sommes faramineuses s’envolent vers des paradis fiscaux tandis
qu’on pinaille sur l’augmentation du SMIC de quelques euros…Le crime organisé en « costardcravate » ne mène pas les contrevenants en prison, contrairement à la vente de cannabis par le petit
vendeur du coin. Contre les idées reçues, Caron explique que le capitalisme ne récompense que
marginalement les plus méritants : de fait, il promeut essentiellement les plus égoïstes et les plus
cyniques. Des fortunes se sont bâties sur le pillage de pays colonisés, l’asservissement et
l’anéantissement de peuples, l’appropriation de leurs terres, la destruction des forêts. « Quel serait
aujourd’hui le niveau de vie des Européens sans le pillage de l’Afrique? » questionne l’auteur.
L’Europe s’est livrée à un pillage forcené depuis des siècles, favorisant les dictatures…tout en
donnant au reste du monde des leçons de « droits de l’homme ».
L’impérialisme occidental a d’ailleurs détourné la pensée darwinienne à son profit en la personne
d’Herbert Spencer (1820-1903) dont le « darwinisme social » légitimait idéologiquement la loi du
plus fort chez les humains. Or « l’avantage sélectif qui a décidé en dernier ressort de la suprématie
humaine réside dans le mode de vie communautaire », révèle Patrick Tort, spécialiste de Darwin.
La sélection naturelle des instincts les plus appropriés à la survie a privilégié la solidarité chez
l’être humain. Pierre Kropotkine, anarchiste du XIXe siècle, s’opposait déjà en son temps au
darwinisme social et faisait valoir que le principe d’entraide s’est étendu dans l’Histoire à partir du
clan jusqu’à viser l’humanité toute entière. « En toute société animale, écrit-il, la solidarité est une
loi de la nature, infiniment plus importante que cette lutte pour l’existence dont les bourgeois nous
chantent la vertu… ». Vision des choses confirmée par l’éthologue Frans de Waal qui fait
remarquer que l’humain n’est pas davantage conçu pour la compétition que les autres animaux.
« Je me révolte, donc nous sommes », proclamait Albert Camus. De fait, « chaque citoyen détient
une parcelle de pouvoir qui dépasse largement celui du bulletin de vote. Ce pouvoir, c’est notre
capacité de refuser…refuser d’agir contre ses convictions. Dire non ». Et cela vaut pour tout un
chacun : « …le véritable révolutionnaire est celui qui, seul contre tous les autres, prend d’assaut
une estrade pour défendre une idée qui lui semble plus importante que la préservation de son
confort ». Ceux qui le font sont « le plus souvent des anonymes », nous dit Caron…Brigitte
Gothière et Sébastien Arsac (L214) ont sacrifié leurs carrières au nom de leurs convictions. Ils ont
pris des risques, tout comme avant eux Mandela, Gandhi, Martin Luther King ou Diane Fossey qui
l’ont payé en années d’emprisonnement ou même de leur vie. On oublie trop vite ces cohortes
d’inconnus qui ont payé au prix fort les avancées sociales dont nous bénéficions aujourd’hui. Henry
David Thoreau laissait entendre dans son essai intitulé « La désobéissance civile » qu’ « on peut
avoir raison seul contre la multitude…(que) les révolutions (…) ne sont pas l’œuvre de majorités
généralement frileuses et peureuses, mais d’individus prêts au sacrifice au nom d’une conscience
qu’ils ne doivent jamais abandonner au législateur ». Autrement dit, toujours selon Thoreau : « Le
respect de la loi vient après celle du droit » et « …se plier sans rechigner à la loi est le meilleur
moyen de perpétrer l’injustice. La loi peut pousser des hommes naturellement bien disposés à se
livrer au pire ». Par conséquent, reprend Caron, « notre responsabilité consiste donc à nous révolter,
à refuser de suivre les ordres sans morale… ».
Le premier acte de désobéissance civile peut s’exercer dans le choix de nos comportements. En ce
sens, « le boycott est une arme démocratique redoutable ». Il fut déjà employé efficacement dans
la lutte contre l’esclavage. Aujourd’hui, « il nous appartient de transformer chacun de nos actes
d’achat en bulletin de vote ». Refuser d’acheter les produits dont la fabrication suppose de la
souffrance animale est un acte politique dans un monde où l’idéologie et le matraquage publicitaire
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favorisent massivement l’exploitation animale. Pour Caron, « l’antispécisme a choisi la révolte
contre la pensée ultra-dominante. Il n’existe pas de cause plus révolutionnaire que celle de
l’antispécisme. » Mais quels sont donc ses rapports avec les pensées historiquement contestataires
de l’écologie et de la gauche?
4- De l’écologie à la biodémocratie
L’écologie est devenue un argument électoral et ne froisse plus personne : « La tendance
majoritaire est celle d’une écologie d’accompagnement du système capitaliste le plus dur »,
constate Caron. On n’y trouve aucune mention du droit animal ou de remise en question de
l’industrie de la viande. Or, l’écologie, ce n’est pas ça, insiste l’auteur, elle « …n’est pas compatible
avec tous les programmes politiques, loin de là ». Pour rappel, cette écologie ne devient un sujet
de débat en France qu’au début des années 70, avec l’apparition des associations de protection de
la nature comme WWF ou Greenpeace. Cette écologie fut d’abord un cri d’alarme contre
l’exploitation débridée des ressources face à une démographie galopante : 1 milliard d’humains sur
la Terre en 1800; 2 milliards en 1930; 3 milliards en 1960; 4 milliards en 1975; 5 milliards
en 1987; 6 milliards en 1999 et 7 milliards en 2012. Nous consommons bien plus que ce que la
planète produit et cela s’aggrave chaque année. « Or le principal coupable, souligne l’essayiste, se
situe dans « (…) la recherche effrénée du profit inhérente au capitalisme moderne. Toutes les
souffrances infligées à la nature et à ceux qui l’habitent sont liées à la logique du moindre coût et
du bénéfice maximal, la concurrence sans règles, et au mythe de la croissance à outrance ».
Très loin du capitalisme d’origine, animé par l’éthique protestante, tel que décrit par Max Weber,
l’idéologie capitaliste contemporaine attribue la prospérité économique (bénéficiant théoriquement
à tous) à l’accumulation du capital. Encore durcie dans sa version néolibérale, elle ne se voit même
plus contrôlée par l’Etat pourtant supposé être un frein au profit. Or l’écologie, pour Caron,
implique l’existence de règles allant à l’encontre d’un profit contradictoire avec le bien-être du plus
grand nombre. La maximalisation du profit, expliquait Marx en son temps, implique une limitation
des salaires, des conditions de travail dégradantes et une indifférence à la destruction de
l’environnement. C’est d’ailleurs « …la raison pour laquelle l’exploitation animale ne saurait
s’exercer dans de bonnes conditions dans un système capitaliste ». En effet, « les normes de bienêtre animal imposées dans les élevages par la loi (…) sont perçues par les patrons d’élevage
industriels comme du manque à gagner ». Même si la compassion à l’égard de la souffrance va
bien au delà des clivages politiques et que tout un chacun peut se sentir concerné, « …l’une des
causes essentielles de la maltraitance animale se trouve dans le principe d’exploitation inhérent au
capitalisme et au libéralisme », dont le système de pensée est d’ailleurs le lot commun de la droite
et de la gauche aujourd’hui.
Les partis socialistes européens…acceptent et accompagnent le libéralisme, ils n’exigent plus la
nationalisation partielle des moyens de production, et ils ont renoncé à mettre en place les
conditions d’une réelle justice sociale. Cette gauche-là n’a plus rien de la gauche. « Comment, en
effet, questionne Caron, promouvoir une société du partage et de la consommation modérée, si les
mots profit, bénéfice, marge et croissance composent l’essentiel du projet politique? ». Alors que
le néolibéralisme ne fabrique en réalité que du malheur, il transforme « l’aller-mieux » en produit
de consommation : sport, psys, ordinateur et tout un tas de choses pour se consoler. Même la
contestation antilibérale du système peine à remonter en deçà d’une idéologie qui prend sa source
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dans la philosophie des Lumières. Car c’est cette dernière qui « va promouvoir l’idée de la
nécessaire domination de la nature au service de l’homme », consacrant l’anthropocentrisme en
référence absolue. Les sciences nouvelles se développent quant à elles indépendamment les unes
des autres, rendant obsolète la conception d’un monde unitaire en équilibre. Aujourd’hui, l’Histoire
a démontré que « la domination de la nature et celle de l’être humain vont de pair ».
Entre une « écologie molle » et un marxisme imprégné de productivisme (contre un Marx qui ne
l’était pas autant qu’on ne le croit), l’écosocialisme se présente comme une synthèse novatrice. Il
dénonce le capitalisme et le productivisme, vise la préservation des écosystèmes, propose
l’appropriation des moyens de production, le développement de l’économie solidaire et des
coopératives, et revendique la prédominance de la valeur d’usage sur la valeur d’échange. Ceci dit,
la préservation de la planète et la préservation d’emplois ouvriers classiques devient une
contradiction pour un mouvement qui se présente comme défenseur de la classe ouvrière. Par
ailleurs, l’écosocialisme place encore l’humain au centre de tout et n’a rien compris au mouvement
de libération animale. Son point de vue reste anthropocentriste et donc spéciste. Pour Caron, « le
combat à mener aujourd’hui est celui contre l’exploitation de tout animal sensible par l’homme »,
ceci englobant la lutte contre l’exploitation de l’homme par l’homme. La façon dont l’animal est
traité dans une société en dit effectivement long sur la manière dont y sont traités la majorité des
humains. Être traité comme un non-sujet guette l’humain juste après l’animal. Le traitement des
uns va de pair avec celui des autres. Le licenciement massif d’ouvriers révèle la totale indifférence
de certains humains à l’égard de la souffrance des autres.
Contre cette écologie molle qui priorise en comptable la préservation des espèces tout en déniant
toute importance à la vie de tel ou tel individu, Caron propose une écologie différente où
l’anthropocentrisme se verrait remplacé par le biocentrisme, c’est à dire une conception du monde
accordant une valeur à tous les êtres vivants sans exception, et les instituant chacun comme des
fins et non plus comme des moyens. Notre pouvoir sur le monde en tant qu’espèce ne nous donne
pas tous les droits mais au contraire « nous oblige à une responsabilité accrue à l’égard des nonhumains ».
« La France est-elle une démocratie? », demande Caron. Ça n’est plus qu’une apparence, poursuitil, car une vraie démocratie implique « l’existence de contrepouvoirs libres et indépendants tels
que la presse, les syndicats et les associations. Elle nécessite également que l’avis de chacun des
citoyens soit écouté et pris en compte. Or, ce n’est évidemment pas le cas aujourd’hui en France ».
Les référendums ne sont pas suivis d’effets et le peuple n’est visiblement pas écouté. Sans parler
du carriérisme de certains élus qui ne représentent que rarement les ouvriers et les chômeurs. Or,
« les élus sont nos obligés », rappelle l’auteur. « Ils sont les employés du peuple qui leur délègue
le pouvoir ». Il serait donc temps d’en finir avec les professionnels de la politique et avec un
système oligarchique fondé sur le carriérisme et les privilèges. En outre, il s’agirait de promouvoir
une politique du long terme. L’exemple tiré du livre de Jared Diamond (« Le troisième
chimpanzé ») montre ce qui attend une société qui ne se préoccupe que du court terme, comme la
civilisation de l’Île de Pâques, victime de ses abus. Cette politique du long terme, qui nous ferait
vivre en symbiose avec la planète et non plus en parasite de celle-ci, implique une refonte de nos
systèmes institutionnels. C’est une « biodémocratie », basée sur un « renversement de toutes les
valeurs », que Caron appelle de ses vœux. Antiracisme et respect de l’autre sont les bases de
l’antispécisme. Les idées simples progressent toujours à contrecourant d’un monde qui les raille.
Il n’empêche : le « seul vrai progrès de l’humanité est celui de l’intelligence du cœur ».
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III- Misère et grandeur de l’homme
Ma présentation d’ « Antipéciste » serait incomplète si je ne faisais pas état, derrière le discours
intellectuel, très informatif et politique de l’auteur, d’une méditation philosophique courant en
filigrane tout au long de l’ouvrage. Ce fil discret qui serpente entre les chapitres lui donne d’ailleurs
un charme et une fraicheur qui vous font courir après la page suivante. J’ai baptisé cette partie
« Misère et grandeur de l’homme » tant les accents pascaliens de Caron m’ont fait l’effet d’utiles
camouflets adressés aux restes de notre trop tenace narcissisme. Petitesse de l’homme, hasard de
son existence, bonheurs illusoires et vanité puérile…Un extraterrestre bien connu de tous nous
montrerait-il la voie de l’âge de raison?
1- Pale blue dot
J’ai retrouvé la photo prise de la Terre vue d’une distance de 6 milliards de kilomètres par
Voyager I en 1990 que mentionne Caron, et je l’ai publiée sur Facebook. C’est vrai que la planète
n’apparait pas plus grosse qu’une tête d’épingle…Une occasion pour l’auteur de méditer sur la
petitesse de l’homme dans l’Univers, l’extinction déjà programmée de la Terre, l’importance
dérisoire (citant Carl Sagan) de l’Histoire humaine dans un calendrier cosmique dans lequel celleci ne représente tout au plus qu’une dizaine de secondes par rapport à une année entière. Et je citerai
in extenso un passage que j’aime particulièrement de l’écrivain, parce que tout chargé de poésie :
« Il faut nous envisager comme de simples ritournelles : des petites mélodies qui passent, plus ou
moins harmonieuses, populaires ou détestées, mais en réalité souvent ignorées. Les plus chanceuses
de ces chansons traîneront encore un peu dans la tête des gens même quand elles seront passées de
mode, mais elles finiront bien un jour par s’envoler définitivement ». Il va de soi que cela appelle
à la modestie : « …aucun humain n’est réellement important, si ce n’est dans l’esprit et le cœur de
ceux qui l’accompagnent avec bienveillance sur un bout de chemin. Rien de ce que nous faisons,
aucun poste, aucune fonction, ne justifie une quelconque forme d’arrogance, d’autosatisfaction, et
encore moins de mépris à l’égard d’un autre. Nous avons donc simplement le droit de nous étonner
d’être là et l’obligation de remercier le destin chaque fois qu’il crée pour nous les conditions de la
réussite (…) La vie est un hasard, pas forcément un cadeau. Elle est avant tout une suite d’épreuves,
et on perd tous à la fin ».
2- Le hasard de l’incarnation
Après la planète microscopique, Caron nous invite à une méditation sur nos cellules, poussières
d’étoiles, qui rappelle au lecteur que la matière dont il est fait, ainsi que ce qui l’entoure, a
strictement la même origine. Mais ce n’est pas tout. Le hasard de l’incarnation pointe vers l’aspect
totalement improbable de notre existence, tout d’abord, et ensuite l’aspect encore plus improbable
de notre existence dans la peau d’un être humain. Le hasard aurait effectivement pu nous faire
naitre dans le corps d’un chien, d’une souris, d’un poisson ou de tout autre chose. Nous n’avons
pas plus de mérite à tirer de ce hasard de la naissance qui nous a fait naitre dans la position de
l’animal dominant de la planète que nous n’en avons à bénéficier éventuellement de ce cadeau de
la nature qu’est un physique attrayant. « Nous pourrions être eux », déclare l’auteur, qui nous
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appelle du même coup à questionner le fait de manger des êtres dans la peau desquels nous
pourrions nous trouver.
3- Le prix du bonheur
Nous ne sommes donc pas grand-chose, à entendre Caron. Pourtant, le pouvoir de l’argent est tel
qu’il crée l’illusion chez certains d’être…importants. L’argent «…consacre des rois de pacotille et
méprise les âmes nobles ». Un footballer célèbre peut gagner mille fois le salaire d’un ouvrier, sans
parler du fait qu’il exerce un métier qu’il aime et qu’il bénéficie de la reconnaissance tandis que
l’ouvrier n’a rien. La rémunération devrait s’établir selon le degré de bénéfice pour la collectivité,
estime Caron. La richesse de quelqu’un est indécente tout comme la pauvreté de la majorité est
injuste. À quand le revenu maximum légal?... Important aux yeux d’autrui ou pas, l’argent ne fait
pas le bonheur. Phil Collins ou Sylvester Stallone en fin de carrière regardent paradoxalement leur
parcours comme un échec. « Ni le succès, ni la célébrité ne vaccinent de la mélancolie de vivre ».
C’est que le bonheur ne s’achète pas. Les circonstances extérieures ne déterminent pas la façon
dont elles sont vécues individuellement par chacun. Ceci dit, précise Caron, « il y a pourtant bien,
indiscutablement, des contextes plus favorables que d’autres au bonheur ». La seule chose, c’est
qu’ « au delà d’un certain niveau de revenus, le bonheur individuel n’augmente plus ».
4- De l’homme ordinaire à Superman
En dépit des apparences, Superman incarne les valeurs d’un être antispéciste avant la lettre.
Extraterrestre doué de superpouvoirs, il met ses surhumaines capacités au service d’une espèce
plus faible (la nôtre) alors qu’il pourrait en abuser dans son propre intérêt. Ses adversaires sont
justement l’incarnation du pouvoir de la technique et de l’argent. Son attitude n’est gouvernée par
nulle ambition personnelle mais par son souci du service d’autrui. Il est en cela un modèle
moral…Tout comme Zarathoustra qui appelle chacun d’entre nous à se dépasser, à retrouver sa
créativité et sa spontanéité natives. Si Dieu est mort, comme l’annonçait Nietzsche, nous avons à
prendre sa place laissée vide. « Nous sommes donc désormais des marionnettistes semblables aux
entités divines de l’Antiquité », note l’auteur, mais en gardant à l’esprit la pensée de Tolstoï selon
laquelle la seule chose en son pouvoir que l’homme puisse améliorer est lui-même. S’ensuit chez
Caron ce passage aux accents existentialistes : « Le vrai drame de l’existence serait de la quitter
sans avoir été capable d’y naître vraiment (...) L’enjeu consiste alors, pendant les décennies qui
suivent, à justifier le bien-fondé du hasard qui a choisi de faire de nous des témoins conscients de
l’univers.. ». Je ne saurais mieux dire …
5- Une autre vision du progrès
Contre l’idée reçue d’une émancipation de la nature par la technique, l’auteur rappelle que nos
progrès ne reposent que sur des lois naturelles déjà existantes que nous n’avons nullement
décidées : « La technique n’est que la découverte et l’application des règles cachées de ce jeu
auquel nous participons » et « chaque invention n’est que l’expression en acte d’une chose qui
existait en puissance dans la nature. Le feu était caché dans le silex… ». « Seule l’éthique, affirme
l’écrivain, nous distingue de la nature ». L’antispécisme est par conséquent traversé par deux
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mouvements : d’un côté, il s’agit d’assumer notre parenté avec les autres espèces; de l’autre, il
s’agit de s’affranchir de la cruauté inhérente à la nature. Mais sortir « moralement » de la nature
implique de devenir des adultes et de prendre soin de celle-ci, tout comme des tuteurs sont
responsables d’êtres vulnérables.
Nous y sommes : étonnement, humilité, justice, générosité, don de soi, respect…et devoir. Tels
pourraient être les maîtres-mots d’une nouvelle posture éthique face au monde, aux autres et à
nous-mêmes.
IV- Commentaires critiques
Mon but est atteint. Il va de soi que la lecture de cet article ne dispense personne de celle du livre
dans son intégralité. Mais au moins, on sait maintenant de quoi il retourne, quelles sont les
questions posées et les enjeux soulevés par l’imposant ouvrage d’Aymeric Caron. Je vais donc
pouvoir m’offrir le luxe de livrer quelques commentaires.
Une des grandes qualités du travail d’A. Caron est d’avoir fait apparaître les ressorts du spécisme
et le système économique que cette idéologie cautionne. Car plutôt que de montrer du doigt les
mangeurs de viande ordinaires, il s’agirait de s’en prendre aux articulations d’un système incluant
économie, politique et institutions. C’est un énorme chantier où chacun a une place à prendre, à
commencer par le citoyen consommateur qui, à défaut de s’engager sur la place publique, peut faire
des choix au moment de faire son épicerie. Les temps changent…et le moment viendra où le client
du supermarché ressentira comme un étrange malaise en posant son steack hâché ou ses saucisses
sur le tapis roulant de la caissière, devant le regard courroucé de la majorité végétalienne.
En même temps que mon admiration sincère pour le souffle puissant qui anime les pages d’un bout
à l’autre du livre, je tiens à témoigner ma gratitude pour la générosité palpable de l’auteur. Je vais
être encore plus gentil : je parlerai d’une intelligence mise au service de la noblesse d’âme. Ceci
dit, le livre a les défauts de ses qualités. Le souffle puissant embrasse très large, peut-être trop large,
et le propos est parfois trop touffu à mon sens. J’ai naturellement le même travers, mais tout le
monde ne peut pas s’offrir le luxe de cette profusion. C’est là encore un « privilège invisible »,
pour citer une plume que j’aime bien, dont il s’agirait me semble-t-il de prendre conscience afin de
ne pas créer des barrières là où nous souhaitons bâtir des ponts. Car Carl Sagan, David Bowie ou
Mark Knopfler (que j’adore, soit dit en passant!) ne parleront sans doute pas à tout le monde, même
si je crois comprendre à chaque fois où l’auteur veut en venir. Cet éclectisme a un côté gênant,
parce que tout le monde n’a pas cette culture-là. Carl Sagan voisine avec Darwin, Louise Michel
avec Schopenhauer. Tout y passe.
Dans un autre registre, si les envolées lyriques donnent beaucoup de fraicheur à la lecture du livre,
cela amène parfois à des raccourcis un peu rapides, même si ce que je vais dire n’engage que moi.
Je suis assez embarrassé avec des notions posées comme des évidences dans un livre qui se veut
des plus critiques par ailleurs. Je veux parler ici de la « division du travail » chez les fourmis et
autres anthropomorphismes sociologiquement inadéquats… Les mots nous trompent : la « division
du travail » des fourmis permettant d’augmenter la « productivité » du groupe sont des propos que
des sociologues trouveront irrecevables, sauf à tout mélanger. La « division du travail » appliquée
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aux fourmis relève à mon sens de l’amalgame, tout comme l’aile de papillon, exemple cité par
l’auteur, comparée à celle de l’oiseau ou encore celle de la chauve-souris. Les mots nous trompent,
je le répète : il n’y a pas de « division du travail » au sens strict chez les fourmis, pas plus qu’il n’y
a de « collaboration » ou de « citoyenneté » au sens strict des animaux dans la société de demain.
On sait que la société humaine répond à des lois qui ne valent pas dans d’autres espèces. Notre
société, nous la portons dans notre tête : ça on le sait en sociologie depuis fort longtemps. Et si je
sais de source sûre qu’un chien et moi ne vivons pas dans le même monde, je vois mal comment
nous serions socialement apparentés aux fourmis! Ce n’est pas rendre service aux autres espèces
que de leur prêter des processus que des anthropologues et des sociologues spécistes n’auront
aucune peine à ridiculiser. Si l’éthologie a beaucoup à nous apprendre, des relais doivent être
conçus entre les différentes disciplines de façon à traduire de façon appropriée les propos des uns
et des autres. « Fourmis policières », « fourmis égoïstes » sont des raccourcis qui prêtent le flanc à
des critiques faciles. Donc attention : terrain miné!
Mon troisième commentaire portera sur la toute dernière partie du livre. La méditation sur la
biodémocratie, même si j’ai autrefois été un grand amateur de science-fiction, m’a en effet laissé
comme un goût d’amertume dans la bouche, alors même que l’approche de la conclusion aurait dû
me redonner du baume au cœur…Ce développement sur l’avenir souhaité par Caron de notre
société me laisse juste sur le sentiment que je n’ai pas tout à fait la même expérience de l’humanité
que lui. J’entends déjà ricaner le diable en costard-cravate… Quand Aymeric Caron nous parle de
ces progrès techniques formidables qui vont libérer l’homme, je ne peux m’empêcher de penser
que le propos n’est pas nouveau et qu’Archimède, qui apportait en son temps des solutions
concrètes en remplacement du travail humain, fut probablement assassiné justement parce qu’il
mettait en péril les privilèges liés à l’existence de l’esclavage… Je ne crois pas en une réconciliation
irénique de l’humanité, à des lendemains qui chantent la même chanson à tout le monde. C’est
même à mon humble avis une idée totalisante et totalitaire dangereuse, tout comme l’est celle d’un
gouvernement mondial qui ne pourrait très rapidement que tomber entre de mauvaises mains.
Monsieur Caron, méfiez-vous des enthousiastes à la langue fourchue qui vous passeront la main
dans le dos en vous disant que c’est là la meilleure partie de votre livre. Vous avez encore bien des
Tartuffe à croiser sur votre chemin, si je puis me permettre…Pour mémoire, on a déjà vu des élites
révolutionnaires bien intentionnées se transformer en Nomenklatura. C’est même dans l’ordre
« humain, trop humain » des choses. Donc, l’ordre mondial, très peu pour moi…D’ailleurs, j’ai
retenu de mes lointaines années de fac que l’identité est différentielle et que la frontière est même
définitoire de l’identité au sens anthropologique du terme. A moins d’un tiers exclu comme un
méchant alien venu imposer sa loi sur notre planète, je vois mal comment l’espèce Homo Sapiens
pourrait s’autoproclamer « Humanité » d’une voix unanime. Douce rêverie…qui me reste en
travers de la gorge.
Dernier commentaire. Brrrr. Ça y est. Aymeric Caron ne va plus du tout me trouver sympathique
s’il lit un jour ces lignes. Mais tant pis. Cette fois, c’est l’entrée en matière, que j’avais presque
oubliée, qui vient de me revenir en mémoire. Une précaution, un tout petit truc, comme ces je ne
sais quoi imperceptibles qui faisaient autrefois la matière de Nathalie Sarraute. Un truc qui gratte,
qui gêne, dont je n’arrive pas à me débarrasser… La précaution d’Aymeric Caron, au tout début
du livre, me met un peu mal à l’aise et je vais dire ce que j’en pense parce que nous sommes
compatriotes et qu’entre Français, les choses doivent se dire. Cet avertissement qu’il fait au lecteur
me fait l’effet de vouloir se défendre d’être accusé de sensiblerie. Or, il s’agirait d’assumer ses
convictions sans craindre d’être raillé. S’il est antispéciste, dit-il, « ce n’est pas en raison d’une
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sensiblerie exarcerbée » à l’égard des animaux… Diantre ! Ce serait quoi une « sensibilité
exacerbée » à leur égard ?! On ne saisit pas bien. A moins que j’aie mal compris, le propos
m’apparait défensif…et inutile. Tout le reste du livre démontre que l’auteur est sensible au mal que
l’on fait aux animaux. Ce n’est pas là de la sensibilité exacerbée, que diable ! C’est juste de la
sensibilité éclairée par la connaissance des faits. Combien de temps allons-nous apparaitre faibles
et timorés ? Combien de gorges tranchées faudra-t-il encore pour que nous puissions assumer
ouvertement notre indignation? Depuis quand l’insensibilité devrait-elle être la norme? Ce sont les
insensibles qui devraient rougir… La sensibilité est peut-être bien un des modes majeurs de la
connaissance du monde et qui sait si cela ne sera pas une évidence dans trois siècles? Les
« Lumières » apparaitront alors bien sombres, je vous le garantis. En attendant, des animaux et des
gens meurent dans la plus horrible solitude parce que les brutes parlent et qu’on ne les fait pas
taire… Allez! C’était un Français qui parlait à un Français! Tout va bien : nous sommes déjà
réconciliés!
Quoi qu’il en soit, ce que je viens de dire n’est qu’un appel à une aimable passe d’armes. À côté
de cela, les adversaires de l’antispécisme sont immensément puissants et nous devons affuter nos
fleurets…L’adversaire est féroce et omniprésent, y compris en nous-mêmes. C’est pourquoi il faut
saluer un auteur qui écrit avec son cœur, de toute son âme, un auteur dont la plume est agile et
fluide comme le fleuret d’un mousquetaire… J’ai beaucoup aimé et je ne me suis pas ennuyé une
seule seconde… Mais plus que cela, ce livre m’a semblé profondément rassembleur. Il provoque
le débat comme de l’huile qu’on jetterait sur un feu qui s’endort. Unissons-nous, semble-t-il dire,
comme un diablotin barbu sorti de sa boîte. Unissons-nous! Regardez le monde qui vient. C’en est
un autre, tenons le coup, c’en est un autre! Je l’ai vu!
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