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Une lecture de Antispéciste d’Aymeric Caron par Claude Samson dit « Canis Sapiens » (Un lecteur qui ne s’autorise que de lui-même) 10 août 2016 Introduction Je ne vais pas ici livrer au lecteur un article de critique littéraire. Ce n’est pas mon objet. Je ne suis d’ailleurs pas critique littéraire et ça n’aurait pas le moindre intérêt. Le livre d’Aymeric Caron est celui d’un militant de la cause animale. La présentation que je vais en faire sera également celle de quelqu’un qui fait humblement ce qui est en son pouvoir pour faire avancer les choses un tout petit peu. Mon objet est avant tout de faire lire un livre que je trouve extrêmement rassembleur. Aymeric Caron s’adresse à un public le plus large possible, posant le cadre minimal de questions posées à tous, des questions qui ne sont précisément la propriété de personne. Le livre est fluide, très lisible, mais il est long. Digérer 450 pages prend du temps. Si mon souci premier est d’amener à la lecture du livre, je sais d’expérience que tout le monde n’aura pas le temps de lire Antispéciste dans les six prochains mois. Or le temps presse : à chaque seconde, des têtes tombent parce que la majorité d’entre nous vit dans l’ignorance du meurtre de masse en cours. Par conséquent, je souhaite donner ici au lecteur la « substantifique moëlle » du propos de l’auteur. J’oscillerai donc, dans les deux premières parties de mon développement, entre le résumé, la paraphrase et la citation afin de rester au plus près du texte. Le livre est très dense et doit susciter le débat dans toutes les chaumières, pas seulement dans les salons d’initiés. En quelques heures, vous aurez probablement une idée assez exhaustive du propos. Après un état des lieux inscrivant la question de l’antispécisme dans un changement contemporain des mentalités, le livre aborde la réalité de l’exploitation animale : une souffrance incommensurable qui ne perdure que d’être largement ignorée du public. Nous suivrons ensuite Caron dans son introduction à la question telle qu’elle se pose dans le champ de la philosophie morale, puis dans son approche des enjeux sous-jacents à une éventuelle refonte du droit animal. Dans une seconde partie, nous verrons comment, après avoir présenté le spécisme comme une idéologie, l’auteur amène la problématique des enjeux économiques de l’exploitation animale. Face à l’idéologie dominante, Caron aborde le champ de l’opposition à celle-ci : renvoyant dos à dos une écologie et un socialisme impuissants, il en appelle à une biodémocratie impliquant un changement radical des institutions. La troisième partie fera apparaître une très agréable méditation philosophique de l’auteur, courant en filigrane tout au long du livre. Je me permettrai, en tant que lecteur qui ne s’autorise que de luimême, je l’ai dit, de livrer en fin de parcours quelques avis, tant sur le fond que sur la forme de l’ouvrage. 1 I- L’état des lieux 1- L’antispécisme : un changement des mentalités « Je suis antispéciste » proclame l’auteur d’entrée de jeu, considérant en effet qu’il n’y a aucune justification à discriminer un être en fonction de son espèce d’appartenance. L’antispécisme est présenté comme un nouvel humanisme qui reconnait notre parenté avec les autres espèces en ce que les animaux non-humains sont tout d’abord mus par le même « vouloir-vivre » que nous. Il s’agit donc d’un nouveau combat social s’inscrivant dans « un élargissement progressif de la sphère de considération morale » (peuples autrefois considérés comme inférieurs, femmes, minorités sexuelles, puis animaux non-humains), qui implique des changements radicaux dans notre façon de traiter ces derniers. Le refus de les manger, de les enfermer, de les torturer ou d’en faire le commerce doit donner lieu à la création de droits nouveaux. L’état des lieux de notre monde fait apparaitre de nombreuses incohérences. S’insurger en effet contre le réchauffement climatique tout en mangeant de la viande est inconséquent, tout comme cajoler un chien tout en mangeant de la vache. Cette irrationalité généralisée se double d’une irresponsabilité reposant sur l’idée qu’on ne peut individuellement rien aux malheurs du monde. Même l’écologie est à repenser qui, tout en parlant de développement durable, ne remet pas en cause la priorité donnée à l’espèce humaine et ne rejette même pas le principe de l’exploitation animale. L’antispécisme serait selon le journaliste la réponse la plus rationnelle à toutes les révélations scientifiques des dernières années sur le vivant. Il serait le point de départ d’une révolution copernicienne ouvrant sur le prochain chapitre de l’humanité. L’auteur perçoit les signes d’un changement majeur des mentalités en cours. « Cécil le lion », assassiné en 2015, a ainsi fait le tour du monde. La colère suscitée par la mort de ce lion illustre en effet ce changement. Quelle légitimité a donc cet acte de tuer gratuitement un animal qui ne fait de mal à personne? La mort de ce lion devient un meurtre dès lors qu’on reconnait à celui-ci une individualité. Et on pourrait en dire tout autant des 250 dauphins abattus lors de la cérémonie du grind aux Iles Féroé, cérémonie qui ne se justifie même plus par la consommation de viande de dauphin, aujourd’hui considérée comme toxique : ce sont donc ni plus ni moins 250 crimes qui sont commis. Un mal doit être baptisé pour être combattu, explique A. Caron. Le mot « racisme » n’est apparu qu’au XIXème siècle. Le « spécisme », inventé dans les années 70 et apparaissant sous la plume de Peter Singer, s’inscrit par analogie à la suite des idéologies raciste et sexiste. Désigné comme mal contemporain, il s’exprime à deux niveaux : d’une part, le spéciste prétend que la souffrance des animaux non-humains importe moins que celle des humains; d’autre part, il crée des catégorisations injustifiées parmi les espèces en les répartissant entre animaux de compagnie, animaux de boucherie, animaux de loisirs, animaux sauvages, animaux nuisibles, espèces protégées, espèces à éradiquer, etc. Au nom de ces différences de statut, le spéciste s’autorise de façon injustifiée des traitements différents à l’égard des espèces, même si celles-ci présentent parfois les mêmes facultés cognitives ou la même capacité à ressentir la souffrance et le plaisir. Les animaux non-humains, au nom de cette idéologie spéciste, sont exploités, maltraités et tués au prétexte que leur sensibilité serait quasi-nulle et leurs besoins physiologiques, psychologiques et 2 sociaux presque inexistants. Si l’on compare le traitement du cochon et du chien par exemple, la différence saute aux yeux. Le chien est emmené chez le vétérinaire au moindre mal alors que le cochon ne bénéficie d’aucuns égards. Un milliard et demi de porcs sont tués chaque année dans le monde, dont 25 millions en France. Or le chien et le cochon ont de nombreux points communs : ce dernier aurait peut-être même des capacités cognitives supérieures à celles du chien. L’antispécisme milite pour l’intégration de tous les êtres vivants sensibles dans une même famille de considération morale. Il revendique l’appartenance de l’espèce humaine à une communauté beaucoup plus large des animaux. Il s’agit de notre communauté initiale dont nous ne sommes jamais sortis, malgré nos tentatives désespérées pour le faire croire et l’obstination à renier nos origines. Contre les « animalosceptiques », l’auteur rappelle que les humains sont des animaux, partageant avec les autres espèces « sentientes » (ou sensibles) la capacité de ressentir la douleur et le plaisir, la tristesse, la joie, etc. D’autres espèces que la nôtre démontrent également des capacités d’empathie et de solidarité. En revanche, d’autres encore ont des capacités dont nous sommes dépourvus. Quoi qu’il en soit, les animaux non-humains sont « comme nous des individus avec un caractère propre. Aucun n’est pareil et ne ressemble plus à un autre que deux humains ne se ressemblent. » La génétique a prouvé que nous sommes des animaux. Notre espèce, apparue il y a environ 200 000 ans, s’inscrit dans une longue évolution dont nous ne pouvons en aucun cas nous considérer comme l’aboutissement. « Aucune espèce n’est le brouillon d’une autre », soutient Caron, et l’évolution n’a pas de but préétabli. « Toute créature vivante est achevée puisqu’elle répond à des conditions de survie précises dans un environnement donné. Chaque espèce est sa fin en soi, elle n’est pas le terrain d’entrainement d’une espèce à venir ». Il ne serait d’ailleurs pas inconcevable qu’une espèce nouvelle d’hominidés considère un jour la nôtre comme bien limitée. La génétique nous a donc ouvert les yeux sur un monde encore inconnu. L’étude de l’ADN révèle par exemple que le cousin terrien de la baleine est l’hippopotame et que l’ancêtre terrestre des cétacés était un quadrupède à fourrure de la taille d’un chien, ayant vécu il y a 50 millions d’années. De la même façon, on sait aujourd’hui que les chimpanzés et les gorilles sont plus proches génétiquement de nous que les autres singes. L’étude de la morphologie de la chauve-souris démontre que son aile et notre main sont construites sur le même modèle, et que cet animal possède des coudes et des genoux tout comme nous. Il s’agirait d’ailleurs d’être vigilant sur notre emploi de certains termes (l’aile par exemple) qui nous font mettre en rapport des organes sans aucun lien (si ce n’est celui de voler) : l’aile de la chauve-souris et celle de la mouche n’ont pas le moindre rapport morphologique. De la même façon, l’éthologie nous aura apporté bien des surprises. Elle démontre que les chimpanzés, mais aussi les chiens et les rats,….rient; que les poules s’expriment grâce à un répertoire de cris variés, qui répondent à des situations précises; que les moutons ont une intense vie sociale et qu’ils sont capables d’empathie, comme l’a bien montré Frans de Waal…Bref, que, tel que mentionné dans la Déclaration de Cambridge sur la conscience du 7 juillet 2012, « tous les mammifères, les oiseaux (beaucoup plus proches de nous qu’on ne l’aurait cru) et de nombreuses autres créatures comme les poulpes, possèdent…les substrats neurologiques qui produisent la conscience » . 3 2- Une souffrance incommensurable Précisément, « la lutte contre le spécisme passe par la bataille de l’information » affirme Aymeric Caron, qui poursuit : « En effet, beaucoup de personnes continuent à manger de la viande ou à porter du cuir et de la fourrure parce qu’elles ignorent la souffrance endurée par les animaux ». D’ailleurs, « tout est organisé dans ce sens » car il s’agit de « dissimuler ou d’atténuer la vérité ». Les caméras sont interdites dans les abattoirs et les images qui nous en parviennent sont filmées clandestinement. Et c’est d’ailleurs grâce à elles que le grand public peut découvrir que « la cruauté est généralisée dans ces lieux d’exécution. » Horreurs insoutenables que le public a le droit de connaitre : même si l’étourdissement avant l’égorgement est rendu obligatoire depuis une loi de 1964, les consignes sont rarement observées, sans parler des cas où les animaux ne sont pas étourdis du tout et sont donc conscients au moment de leur mise à mort, comme c’est le cas de l’abattage rituel halal et casher. Et tout cela pour quoi? interroge le journaliste : « Le nombre de végétariens et de végétaliens en parfaite santé dans le monde prouve qu’il n’y a aucune nécessité de manger des animaux. Au contraire, des études montrent que la consommation de viande favorise certaines maladies, comme les maladies cardiovasculaires et les cancers ». L’abattoir n’est pas le seul lieu de souffrance. Il faut également mentionner les conditions concentrationnaires de l’élevage. Pour les cochons : petits retirés de leur mère bien avant le sevrage, mutilés sans anesthésie, puis envoyés à l’abattoir à six mois; mères inséminées à répétition, cages de mise bas qui les immobilisent totalement. Pour les vaches, même chose : la production de lait a été multipliée par trois depuis 1950 avec pour conséquence des inflammations chroniques des mamelles et un épuisement total après quelques années; veaux séparés de leur mère et envoyés à l’abattoir après quelques mois. Concernant les poules, la plupart sont élevées dans des cages sans lumière dans lesquelles elles peuvent à peine bouger. Surexploitées comme les vaches, elles produisent deux fois plus d’œufs qu’il y a 50 ans. Les poules, exténuées, sont tuées au bout d’un an. Les poussins mâles sont broyés ou gazés à la naissance parce qu’inutiles. Quant aux poulets de chair, chez lesquels on provoque une croissance non naturelle, leurs os ne supportent pas leur propre poids et ils connaissent de gros problèmes respiratoires, cardiaques et locomoteurs. Le sort des lapins est tout aussi lamentable puisque 30 % meurent avant l’âge d’abattage (soit deux mois et demi) du fait de leurs atroces conditions de vie. En ce qui concerne les poissons, leur entassement les uns sur les autres dans les élevages intensifs entraine blessures et maladies. Un mot sur le foie gras : ce sont cette fois les canetons femelles qui sont envoyés à la broyeuse. Le gavage est une torture répugnante : le foie grossit 10 fois de volume et le canard ou l’oie contracte une maladie appelée stéatose hépatique. Face à ce musée vivant des horreurs, A. Caron propose, avec une ironie grinçante, puisque ces réalités ne sont soi-disant pas honteuses, que les emballages de viande montrent des photos d’animaux pendant l’élevage et juste après l’abattage. Oui, en effet, pourquoi cacher la réalité si elle ne pose de problème à personne? Quelques rappels : nous tuons chaque année plus d’animaux qu’il n’y a eu d’humains sur cette planète (soit 100 milliards depuis 50 000 ans) : 70 milliards de mammifères et d’oiseaux auxquels s’ajoutent 1 000 milliard d’animaux marins. Nous tuons également des animaux pour leur fourrure (nombre estimé à 150 million) : les visons et les renards, pour les trois quarts venant de fermes d’élevage, sont confinés dans des cages minuscules et sont finalement tués, soit par électrocution au moyen d’une électrode dans l’anus et d’une autre dans la bouche, soit par gazage. Leur peau est parfois arrachée alors qu’ils sont encore vivants. De la même façon, des enquêtes ont montré toute l’horreur qui se cache derrière la production de cuir ou même de laine. Quant à 4 l’expérimentation animale, elle tue 100 millions d’animaux par an. Elle concerne les souris, les rats, mais aussi les chiens, les chats ou les macaques. Ces derniers sont exploités dans le monde entier : recherche aérospatiale, recherche sur les virus, transplantation, maladie de Parkinson, d’Alzheimer, études sur la douleur, test des polluants chimiques, etc. Même si les tests sur les animaux pour les cosmétiques sont désormais interdits en Europe, l’auteur interroge la légitimité des expérimentations pour la santé. La question est d’abord de savoir si ces expériences servent réellement à quelque chose. De fait, il apparait que d’autres espèces ne réagissent pas exactement de la même façon aux substances chimiques et ne sont donc pas les meilleurs modèles pour l’étude des maladies humaines. En outre, il y a dans l’expérimentation animale, dont la vivisection, un odieux paradoxe : la fiabilité des expériences reposerait sur la similarité entre les humains et nonhumains, souffrance comprise. Donc, nous ne sommes pas sans savoir que les animaux nonhumains souffrent autant que nous, ce qui ne nous a pas empêchés jusqu’à aujourd’hui de les torturer. Si de grands singes se sont récemment vu octroyer le droit d’être épargnés, pourquoi s’arrêter à eux? Une autre forme d’exploitation animale s’exerce dans le domaine du divertissement. En ce qui concerne les cirques, l’auteur nous fait remarquer que les numéros présentés ne sont pas conçus pour le plaisir des animaux mais celui des humains qui s’amusent des prouesses obtenues de gré ou de force des premiers. Leurs conditions de vie sont, là encore, contre nature et même souvent épouvantables. Idem pour les zoos ou les parcs aquatiques qui n’entrainent que souffrance lancinante et désespoir. « Affirmer que les zoos sont des lieux éducatifs est un mensonge : qu’y apprend-on réellement sur les animaux enfermés dans des cages ou des enclos? » s’interroge Caron, « les zoos sont simplement des lieux de promenade familiale où chacun se divertit en mangeant une glace devant le malheur d’animaux arrachés à leur destin ». On ne saurait dire mieux... Bref, les zoos sont des « lieux d’incarcération qui suivent des logiques commerciales » et le reste n’est que baratin pour se donner bonne conscience. De la poudre aux yeux. Un mot enfin sur le sort inquiétant des animaux sauvages. En 40 ans, la population des vertébrés sur Terre a diminué de moitié. Vingt-cinq pour cent des mammifères sont menacés d’extinction, contre 41% des amphibiens et 13 % des oiseaux. Une sixième extinction de masse dans l’histoire de la planète est à craindre. Les causes en sont connues : surpêche, chasse, déforestation, urbanisation, etc. Le trafic d’animaux ou de bouts d’animaux est quant à lui en expansion. Une corne de rhinocéros se marchande 60 000 euros le kilo, soit autant que la cocaïne. Le crime organisé y voit un réel intérêt puisque les peines encourues sont bien moins lourdes que pour la drogue. Ce trafic intéresse aussi des groupes armés d’opposants ou de terroristes en Afrique pour se financer. Résultat : il reste 3 200 tigres en Asie (baisse de 97 % en un siècle); 40 000 lions (baisse de 80 % en un siècle); 500 000 éléphants en Afrique (baisse de 97,5 % en un siècle); 50.000 éléphants en Asie (baisse de 50 % en un siècle), etc. Alors même que des animaux sont abattus ou torturés en masse, l’accroissement du nombre d’animaux domestiques est un phénomène paradoxal de notre temps : 63 millions en France dont 12,7 millions de chats et 7,3 millions de chiens. Et puis, il y a les autres, insiste Caron. Ceux que l’on séquestre, que l’on torture, que l’on tue. Tout se passe comme si certaines espèces devaient être traitées avec des égards et pas les autres. Mais l’Histoire montre que les animaux dits de compagnie n’ont pas toujours été traités comme ils le sont aujourd’hui. Des boucheries canines ont existé en France et en Allemagne jusqu’au siècle dernier. Par ailleurs, certains chiens réputés pour leur docilité, les Beagles, sont encore sacrifiés pour tester des médicaments. Quant aux chats, ils 5 n’ont été choyés qu’à partir du XVIIème siècle dans les milieux aisés. Les chevaux pour leur part se situent à mi-chemin entre l’animal à respecter (comme en Grande-Bretagne) et à consommer. Leur histoire est douloureuse. Sept cent mille tués durant la Première Guerre mondiale. D’autres ont été « enfermés dans des mines, épuisés dans les rues et sur les routes, usés dans les champs. ». En 1851, Arthur Schopenhauer énonçait : « Le plus grand bienfait des chemins de fer est qu’ils épargnent à des millions de chevaux de trait une existence misérable ». Ceci dit, reprend Caron, « en France, plus de 10 000 poulains finissent chaque année à la boucherie ». Même « …les chevaux de course qui ne sont plus performants terminent (…) à l’abattoir. » La croyance selon laquelle les animaux ne souffrent pas comme nous n’est étayée par aucune preuve. Tout prouve même le contraire : « Jusque dans les années 80, on imaginait que les poissons étaient insensibles à la douleur. On sait aujourd’hui que c’est inexact… ». Et cela vaut également pour les crustacés. Même si un doute persiste pour ce qui concerne les insectes, explique l’auteur, « toute espèce a intérêt à éprouver de la douleur, puisque celle-ci est un signal d’alarme qui explique que l’intégrité du corps est attaquée et qu’il faut immédiatement se protéger »…Mais non seulement les animaux non-humains souffrent, ils éprouvent aussi des émotions comme la peur, la colère, la surprise, la tristesse, le dégoût et la joie comme nous, comme l’enseigne l’éthologue Marc Bekoff. Chaque animal est un individu particulier. « On ne mange pas du bœuf, du poulet, du porc, on ne porte pas de renard. On mange la partie d’un bœuf bien précis, qui a existé, a éprouvé et a eu peur avant d’être exécuté ». Ces animaux que l’on tue ont non seulement des facultés cognitives au moins comparables à celles des jeunes enfants, ce sont des enfants eux-mêmes. Un cochon est tué à six mois pour une espérance de vie de 15 ans; un veau à 5 mois pour une espérance de vie de 20 ans. Et Caron de conclure : « Les carnivores sont des ogres. » Mais ce sont avant tout des ogres qui ignorent l’origine de la tranche de jambon ou du blouson de cuir… « produits finis dont l’industrie tente de nous faire oublier la provenance réelle ». L’essayiste le rappelle : celui qui mange un morceau d’animal est responsable. C’est à cause de lui, au final, que l’animal a été tué. Les « animaux ont été tués parce que des industriels ont pensé qu’il y aurait des gens pour acheter leur viande. » Ça y est, le problème est posé : nous sommes responsables et en conséquence confrontés à des choix éthiques. C’est donc la question de l’éthique animale qu’Aymeric Caron aborde après cet état des lieux consternant de l’actuelle condition animale. 3- L’éthique animale Contre une approche écologique qui évalue notre responsabilité à l’égard des animaux en termes d’espèces, l’éthique animale prend en compte l’individualité de chaque animal. Sa question se pose là. Ce domaine de recherche n’est apparu que dans les années 70, essentiellement dans le monde anglophone. À part quelques exceptions, la France est à la traine, sans doute à cause de cet aspect de l’humanisme français qui place l’humain au sommet de la hiérarchie des êtres. Deux courants s’opposent en éthique animale : les welfaristes et les abolitionnistes. Peter Singer est le leader de la première tendance. Il s’agit ici de militer pour la diminution de la souffrance sans pour autant mettre fin au système qui l’engendre. PETA s’inscrirait ainsi dans une mouvance néowelfariste, selon l’auteur… Tom Regan et Gary Francione représentent la seconde. Ces derniers réclament la fin de toute forme d’exploitation animale, puisque les animaux ne sont pas des choses 6 et que nous nous devons de leur accorder des droits. « Quand vous réformez l’injustice, mon opinion est que vous la prolongez », soutient Tom Regan. On peut en effet se demander s’il eût été possible de faire exister un « esclavagisme heureux ou transitoire », renchérit Caron. Derrière ces divisions s’opposent deux approches de l’éthique normative, poursuit l’auteur : le conséquentialisme et le déontologisme. Les welfaristes sont conséquentialistes et les abolitionnistes sont en principe déontologistes. Très brièvement, les conséquentialistes s’intéressent avant tout au résultat d’une action, tandis que les déontologistes considèrent qu’on ne doit agir qu’en fonction de principes moraux indépendants des circonstances. Aux origines du premier mode de pensée : d’abord Jérémy Bentham, puis John Stuart Mill, connu comme le maître à penser de l’utilitarisme. Dans la vision utilitariste, l’avenir du monde compte davantage que chacun des individus qui le composent. À l’autre bout du spectre éthique : l’impératif catégorique d’Emmanuel Kant. Ici, les devoirs moraux s’appliquent en toutes circonstances, sans aucun calcul quant au résultat sur le plus grand nombre. L’autre est ici considéré comme une fin, et jamais comme un moyen, par opposition au calcul utilitariste. Ceci dit, cette vertu trouve sa limite dans certaines situations, comme lorsque le devoir de dire la vérité vient s’opposer en vous-même au devoir de protéger des victimes d’un système totalitaire, par exemple. Allez-vous les dénoncer au nom de la vérité? Certes non…Ceci dit, ce cas particulier de la vérité n’est pas comparable à celui, beaucoup plus évident, de la question du bien et du mal face à un animal dont on ôte la vie sans nécessité. Vaste sujet…d’autant plus passionnant que nos fonctionnements sont toujours peu ou prou un mixte de déontologisme et de conséquentialisme… Pour en revenir à Peter Singer, son approche consiste à établir que « tous les animaux ont des intérêts », parmi lesquels ceux d’éprouver du plaisir et de ne pas souffrir. Dans cette vision des choses, dite « pathocentriste », l’aptitude à ressentir la douleur confère des droits. L’intérêt à ne pas souffrir d’un chien ou d’une vache est le même que l’intérêt à ne pas souffrir d’un être humain, quel que soit leur niveau de capacités mentales. Si ce n’était pas le cas, en effet, il faudrait logiquement considérer que la souffrance des déficients mentaux humains est moins importante que celle des personnes non déficientes. En revanche, pour Peter Singer, « les différences intellectuelles entre espèces impliquent qu’il y a des vies qui valent plus que d’autres ». Il serait donc plus grave de tuer un humain que de tuer un chien. Il en découle que l’expérimentation animale n’est pas en soi un interdit : on peut sacrifier dix singes si l’on est sûr de sauver cent êtres humains…Il faut toutefois préciser que ce n’est pas l’espèce à laquelle appartient l’individu qui fonde la valeur de sa vie mais bien les capacités mentales de l’individu concerné. Par conséquent, la vie d’un chien ou d’un cochon, par exemple, en parfaite possession de ses facultés mentales, aura donc plus de valeur que la vie d’un humain handicapé mental. Singer est en cela antispéciste, puisqu’il ne donne pas de préférence à l’espèce humaine. Pour choquant que l’exemple puisse paraitre, Peter Singer demande avant tout à ce que l’importance attachée à la vie des animaux soit augmentée, pas que celle de certains humains soit réduite, bien évidemment. A. Caron, quant à lui, affiche clairement sa position : « il n’y a pas de vies qui valent plus que d’autres ». Et contre l’utilitarisme, il cite Gandhi : « l’adepte de l’ahimsa (non-violence) ne peut faire sienne la formule utilitaire selon laquelle le plus grand bien est ce qui convient au plus grand nombre. Quitte à sacrifier sa vie pour un idéal, il luttera pour que tous, sans exception, soient à même de connaître le bien le plus élevé ». Gandhi se refuse donc à accepter une souffrance au prétexte qu’elle profiterait au plus grand nombre, nous dit Caron. Le bien-être de chaque individu doit donc être garanti de la même manière…Une autre critique adressée par l’auteur à la pensée de 7 Singer est que la valeur de la vie estimée à partir des capacités cognitives des uns et des autres est forcément anthropocentrique : nous ne pouvons en effet apprécier les facultés des autres qu’en fonction des nôtres…et de nos normes. Bref, selon l’auteur, il serait plus judicieux de considérer un « intérêt à vivre (…) absolu et égal pour tous », un droit égal à exister pour toutes les espèces. D’ailleurs, à y regarder de plus près, l’existence des abeilles et des vers de terre est beaucoup plus vitale à la planète que ne l’est celle de l’espèce humaine. En termes de contribution à l’équilibre des écosystèmes, l’espèce humaine arrive dernière, l’être humain étant « l’animal le plus nuisible qui soit ». Certes, le simple fait d’exister entraine son lot de destructions…L’antispéciste abolitionniste doit tenter de limiter au maximum le mal qu’il cause au vivant sensible. Donc : pas de viande, pas de lait, pas d’œufs, pas de cuir, pas de fourrure. C’est la base. Mais que faire des souris dans sa maison, des insectes qui piquent, des mouches et des moustiques? « La plupart du temps, il existe une possibilité de régler le problème sans violence », réplique l’auteur. Rien ne légitime donc le fait de tuer un être animé par la même volonté de vivre que nous, un être qui éprouve la souffrance comme nous. Rien ne légitime le fait de tuer un être avec lequel il n’y aucune différence de nature. Et ce d’autant plus que cette parenté se révèle toujours plus étendue au fil des découvertes scientifiques, et que nous sommes également tous d’accord sur le fait que la vie de tout animal humain qui vient au monde doit être protégée. L’exploitation animale se justifierait-elle par le recours à des besoins? Non, affirme le journaliste. Tout d’abord, il est largement démontré aujourd’hui que l’alimentation carnée ne répond à aucun besoin vital. Le végétarisme et le végétalisme sont des régimes alimentaires parfaitement adaptés à notre constitution. L’alimentation carnée favorise même les maladies coronariennes et certains cancers, sans parler du fait que les conditions déplorables des élevages ont été l’origine de nombreuses pandémies ces dernières années. Quant au lait, son « effet nocif sur la santé est maintenant démontré ». Nous ne sommes pas censés boire du lait en tant qu’adultes, et encore moins celui d’une autre espèce. Cette consommation de produits animaux se justifierait donc au nom de quoi? De la tradition? Dans ce cas-là, l’esclavage, l’excision, la lapidation, le mariage forcé, eux-mêmes des traditions à certaines époques et dans certains pays, seraient également justifiés. Quant au plaisir invoqué à manger de la viande, depuis quand une action se justifieraitelle au nom du plaisir que ressent celui qui la commet? Dans ce cas, le tueur en série ou le violeur seraient justifiés à commettre leurs méfaits au nom du plaisir qu’ils en retirent. En réalité, nombre de nos comportements visant à notre satisfaction se voient limités par les règles de la vie en société. Si nous n’avons nul besoin de produits animaux pour nous sustenter, nous n’avons pas plus besoin de produits animaux pour nous vêtir. Quant à notre « besoin » de divertissement, rien ne saurait justifier l’enfermement dans des zoos, les courses, la chasse et encore moins la mise à mort d’un animal pour le spectacle. D’ailleurs, la corrida est étrangement autorisée dans certaines régions de France au nom de la Tradition alors même qu’elle est interdite sur le territoire national au nom de la loi générale qui interdit la cruauté envers les animaux. Pour information, révèle l’auteur, cette « tradition » n’est apparue en France qu’en 1853, imposée par Napoléon III pour faire plaisir à son épouse…espagnole. Cette pratique est présentée par ses défenseurs comme la mise en scène d’un combat équitable entre l’homme et la bête. Bizarrement, malgré l’équité affichée, c’est le torero qui l’emporte à chaque fois. Bizarrement, le taureau n’est pas applaudi lorsqu’il embroche le torero. « Tout cela n’est qu’une vaste mascarade, proteste Caron, financée avec de l’argent public alors 8 même que les français sont majoritairement opposés à cette pratique ». Tout cela n’est qu’ « un business que ne veulent pas lâcher ceux qui en bénéficient ». 4- Quels droits pour les animaux? Aymeric Caron propose de s’inspirer de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 dont les principes devraient s’appliquer à chaque humain. Art.3 : Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. Art.4 : Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. Art.5 : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’auteur les transforme en quatre droits fondamentaux pour simplifier le propos : 1- Droit de vivre, donc de ne pas être tué 2- Droit de ne pas être emprisonné 3- Droit de ne pas être torturé 4- Droit de ne pas être une propriété Face à cette clarté et cette simplicité, l’incohérence actuelle du statut juridique de l’animal apparait phénoménale. Les animaux se voient en effet classés en animaux domestiques, animaux de compagnie, animaux d’élevage, animaux sauvages, espèces protégées, animaux nuisibles, animaux de laboratoire… « Dans toutes ces catégories, note l’auteur, se trouvent des espèces aux caractéristiques physiologiques ou psychologiques similaires, et pourtant leurs membres ne sont pas protégés de manière identique ». C’est le cas du chien et du cochon, par exemple, aux degrés d’intelligence et de sensibilité comparables, qui se voient séparés par un abîme juridique. Par ailleurs, un même animal peut se trouver dans différentes catégories : un chien peut être un animal de compagnie mais également un animal de laboratoire, par exemple. Mais les contradictions ne s’arrêtent pas là : comment se fait-il que blesser un chien soit illégal un jour alors même qu’il risque l’euthanasie en fourrière s’il n’est pas adopté? Autre contradiction déjà relevée : la corrida interdite et autorisée selon les régions d’un même territoire national. Ou encore l’autorisation faite à l’abattage rituel halal ou cacher de ne pas procéder à l’étourdissement de l’animal avant sa mise à mort alors que la loi le rend en principe obligatoire. Outre ces contradictions évidentes, les droits des animaux déjà existants ne sont pas respectés dans les faits. En effet, aucun animal d’élevage n’est « placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce », comme le prévoit notamment l’art. 214-1 du Code Rural. D’ailleurs, les « normes de bien-être dans les élevages, définies par les textes européens, déterminent surtout les limites en dessous desquelles les conditions de détention génèrent une souffrance telle qu’elles en deviennent nuisibles à la production. Malgré cela, ces normes sont souvent ignorées ». Mais l’incohérence culmine dans l’article 515-14 du Code civil qui stipule la chose suivante : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». Dans le même article, l’animal est donc à la fois considéré comme un être sensible et comme une chose!... L’auteur en tire la conclusion que la « reconnaissance de la sensibilité animale par le Code civil ne changera absolument rien au sort des animaux ». À la limite, elle pourrait même avoir un effet contreproductif puisqu’elle calme les esprits tandis que la réalité de l’exploitation perdure. 9 Aujourd’hui, « le droit animalier se contente de réguler l’injustice » : il ne s’attaque pas à l’exploitation animale comme injuste. Il s’agit donc de passer à un autre niveau et d’« accorder à tout animal non humain sensible le statut juridique de personne non humaine ». D’aucuns rétorqueront que pour bénéficier de droits, il faut également remplir des devoirs, ce que les animaux ne peuvent faire. L’affirmation est fallacieuse : en effet, les enfants, les déficients mentaux et les personnes séniles ont des droits sans avoir de devoirs. Ce sont des « patients moraux » et non des « agents moraux ». Ils ont des droits et ce, quelles que soient leurs capacités mentales. D’autres se demanderont ce que vont devenir les animaux que nous élevons. La réponse est simple : ils n’existeront plus puisqu’ « il n’y a aucun fondement moral à faire naître un individu dans le simple but de s’en servir et de lui faire subir une vie atroce ». D’ailleurs, on applique déjà ce principe en décidant de ne pas donner naissance (par la contraception) à des enfants qui ne naitraient pas dans des conditions favorables. Pour autant, les espèces continueront d’exister en redevenant sauvages. Et qu’en serait-il des animaux de compagnie? Contre une séparation humain/non-humain finalement assez spéciste puisqu’elle sépare au nom d’une différence d’espèces des êtres capables d’éprouver une affection mutuelle, l’auteur estime que certaines espèces proches de l’humain ne perdent rien à notre proximité. Cela vaut pour les chiens et les chats, mais peut-être aussi pour les cochons, les chevaux ou les chèvres. A. Caron propose l’idée très originale d’un propriétaire tuteur et d’un état civil des animaux de compagnie. Comme pour un enfant, l’animal n’aurait même plus de « propriétaire » mais serait confié à quelqu’un qui en aurait la responsabilité. Mais avant de réfléchir sur les droits futurs des animaux, il s’agirait de trouver, à l’intérieur même du mouvement végan, un terrain de discussion et d’échange constructif, par delà les divergences d’opinion et un certain extrêmisme pouvant se montrer radical et excluant. En effet, outre toutes les difficultés déjà mentionnées auxquelles le défenseur de la cause animale se voit confronté, un certain extrêmisme à l’intérieur même du mouvement végan tend à diviser les gens plutôt que les rassembler. « Certains militants ont la désagréable manie de chercher à démontrer que vous n’êtes pas assez vertueux, et donc, que vous êtes indigne de la cause », déplore Caron. Contre le purisme de certains, ce dernier s’autorise à se poser des questions. Si l’on est tous d’accord pour condamner sans appel toute souffrance animale, qu’en serait-il de la consommation de lait dans une ferme où les animaux se reproduisent naturellement, où les veaux ne sont pas arrachés à leurs mères et où chaque animal meurt de sa belle mort? Où est le problème de la consommation de lait dans ce cas? Idem pour les œufs : ne peut-on pas concevoir des poules non maltraitées? Au delà de ces deux exemples, la « ligne du Parti » qui condamne toute déviance est une erreur stratégique : les produits de l’exploitation animale sont omniprésents et être végan à 90 % est déjà considérable. Agresser des personnes qui sont encore en chemin provoque leur fuite, et la violence qui s’exerce à leur endroit est même contradictoire avec la dimension empathique du véganisme. Les intolérants se présentent comme une espèce supérieure alors même qu’ils se proclament antispécistes. N’est-ce pas contradictoire? II- Une révolution en marche 1- Une nouvelle révolution copernicienne 10 Quarante-quatre pour cent des Américains sont créationnistes et 36 % pensent que l’évolution des espèces fut guidée par Dieu. Seuls 14 % considèrent que Dieu n’a rien à y faire… Bref, les idées créationnistes ont la vie dure. Mais souvenons-nous : le message religieux fut un obstacle à l’émergence de l’héliocentrisme avant celle de la théorie darwinienne. Et le texte biblique lui-même légitimait l’exploitation animale. Arthur Schopenhauer, influencé par la pensée indienne, fut un des premiers à s’opposer à cet obscurantisme tenace. « Une autre tare fondamentale du christianisme (…), écrit-il en 1851, est la suivante : il a, contredisant la nature, arraché l’homme au monde animal auquel il appartient pourtant essentiellement, et veut à présent le faire valoir totalement seul, considérant les animaux très exactement comme des choses… ». Ce même Schopenhauer qui énonçait, bien avant l’explication du paléoanthropologue Yves Coppens (qui justifie scientifiquement cette assertion) : « …il n’y a pas de race blanche…mais tout homme blanc est un homme décoloré »!... Pour Caron, « les spécistes sont semblables à ces croyants aveuglés qui ont condamné Copernic et Darwin ». Les obscurantistes d’aujourd’hui sont les mêmes que ceux qui auraient continué à prétendre que le Soleil tourne autour de la Terre. Comme à chaque fois, ainsi que le soulignait Sigmund Freud, la sortie de l’obscurantisme se présente comme une « blessure narcissique de l’humanité ». Cet obscurantisme spéciste cherche parfois à se justifier en prétendant que les causes humanitaires seraient prioritaires sur la cause animale. En vérité, les « contempteurs des défenseurs des animaux » sont rarement impliqués dans quoi que ce soit. D’ailleurs, explique l’auteur, nous n’avons pas à « installer une sorte de concurrence entre les victimes de la domination ». N’est-ce pas Louise Michel, cette figure majeure de l’anarchisme du XIXe siècle, qui pointait l’imbrication des différentes violences s’exerçant sur les plus faibles : « Et plus l’homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent »? L’auteur fait d’ailleurs remarquer que « les fers de lance de la lutte contre l’esclavage ont souvent été les précurseurs de la défense animale ». C’est le cas des écrivains Henry David Thoreau, Victor Hugo, Émile Zola ou Léon Tolstoï…À l’inverse de ce qui précède, il ne s’agit pas non plus dans la démarche antispéciste de rejeter les humains. L’antispécisme luttant contre la discrimination liée à l’espèce, il se contredirait lui-même s’il concluait que l’espèce humaine vaut moins que les autres! Il s’agit plutôt de proposer un nouvel humanisme, désanthropocentré, élargissant notre sphère de considération morale. Quelques rappels : le temps n’est pas loin où le sommet de la hiérarchie des êtres était occupé par l’être humain blanc, masculin et hétérosexuel. L’esclavage ne fut aboli définitivement en France qu’en 1848. Un siècle plus tard, l’esclavage est interdit par la Déclaration Universelle des droits de l’homme…Les femmes n’ont le droit de vote, toujours en France, que depuis 1944. L’épouse n’est devenue l’égale de son mari qu’en 1965 et la notion de « chef de famille » (masculin) n’a disparu qu’en 1970…L’homosexualité n’a été dépénalisée en France qu’en 1982 et n’a été retirée de la liste des maladies mentales par l’OMS qu’en 1990…L’élargissement de la sphère de considération morale passe à chaque fois par une lutte contre la croyance. Aujourd’hui, la croyance est que les humains sont « faits pour manger des animaux », que la souffrance des animaux est moindre que la nôtre, que seul l’homme importe. C’est ce que le spéciste croit, mais ce qu’ « il croit, il ne peut le démontrer. Car en réalité, il ne sait pas. » constate A. Caron. C’est d’ailleurs un des travers de notre époque que ceux qui font l’information ne soient pas forcément les plus compétents. On leur demande avant tout d’avoir de l’aplomb et de la répartie pour passer à la télé. La connaissance, la probité et la prudence passent après l’audimat. 11 2- Exploitation animale et profit Revenant sur le parallèle entre esclavage et exploitation animale, l’auteur fait remarquer que « les deux phénomènes s’appuient exactement sur les mêmes mécanismes pour asservir des êtres sensibles et intelligents. Ils utilisent les mêmes justifications fallacieuses. Ce n’est pas un hasard, poursuit-il, si leurs opposants s’appellent, dans les deux cas, les abolitionnistes. » Dans les deux cas, les victimes sont « considérées comme des choses » et « leur identité est niée ». Les arguments en faveur de l’esclavage sont d’ailleurs comparables point par point avec ceux justifiant l’exploitation animale. Dans les deux cas, seules les révélations au grand public concernant le traitement des victimes ont permis une avancée. Des révélations mais aussi des révoltes comme à Saint-Domingue en 1791. Mais pas seulement… Les questions d’argent ont également joué un rôle. L’esclavage et l’exploitation animale reposent en effet l’un comme l’autre sur le profit. Paradoxalement, la question économique fut utilisée par les abolitionnistes eux-mêmes dans leur combat. Il s’agissait dès lors de démontrer que l’esclavage n’était pas aussi rentable qu’on pouvait le croire. Des économistes se sont même emparés de l’argument pour conclure que l’esclavage était devenu « un frein à la croissance ». Et Caron de se demander si les idées des Lumières auraient pu à elles seules mener à l’abolition de l’esclavage sans un contexte économique favorable. Aujourd’hui, il est clair qu’ « abolir l’exploitation animale aurait un impact économique majeur, ce qui explique en grande partie que tout soit mis en place pour discréditer les représentants des droits des animaux, que certains n’hésitent pas à présenter comme des intégristes, voire, pourquoi pas, de possibles terroristes »… Pour l’heure, l’exploitation animale, à commencer par la viande, génère un chiffre d’affaires monumental et représente un nombre très considérable d’emplois. Il s’agit d’un secteur qui tend vers la concentration du marché entre les mains de multinationales de plus en plus puissantes au détriment des petites exploitations qui disparaissent, et ce, dans une logique du toujours plus et au moindre coût. Tout comme pour l’esclavage, l’argent est une « cause essentielle du calvaire des animaux ». L’agriculture n’a d’ailleurs plus pour objectif premier de nourrir sainement l’humanité; elle est otage d’une course à la rentabilité toujours plus grande. Les producteurs sont les premières victimes de ce système productiviste à tout crin alors que les gros industriels s’enrichissent. D’être victimes du système, ils n’en sont pas moins les premières cibles des accusations de maltraitance ou de pollution. Produire toujours plus et toujours moins cher signifie des revenus à la baisse, des journées interminables de travail et des taux de suicides élevés. Et Caron de rappeler que l’objectif des abolitionnistes n’est pas de les mettre au chômage mais de transformer leur propre métier, alors même que les fermes sont devenues des lieux de souffrance et pour les hommes et pour les animaux. Cela vaut également pour les 50 000 ouvriers d’abattoir dont la tâche inhumaine ne peut avoir pour conséquence que leur déshumanisation… A. Caron appelle donc les éleveurs à rejoindre les rangs des abolitionnistes, pour mettre fin à leur propre servitude et pour organiser la transition vers une « agriculture décarnée ». D’autres activités s’offrent à eux : céréaliers, cultivateurs, maraîchers, sylviculteurs, etc… Les légumineuses sont une excellente alternative à la viande en matière de protéines, et bien moins coûteuse de surcroît…Si la France a pu autrefois indemniser fortement les esclavagistes après l’abolition, on ne voit pas pourquoi les éleveurs ne se verraient pas financièrement soutenus aujourd’hui pour passer à un autre mode de production. Le système actuel est néfaste pour l’environnement : gaz à effet de serre, déforestation, pollution des eaux, dégradation de la fertilité des sols, gaspillage de l’eau pour l’élevage, utilisation des trois quarts des terres agricoles pour la production de viande, etc. Bref, les arguments sont là. Mais 12 comme pour l’esclavage, les arguments rationnels risquent de ne pas suffire. La question de la pertinence économique de l’élevage, comme l’esclavage autrefois, doit être soulevée. De fait, l’élevage n’est pas rentable. Il implique l’intervention publique pour se maintenir à flots, une intervention publique reposant en dernière instance sur la participation du contribuable à l’industrie de la viande, que cela lui plaise ou non. Tout comme repose sur la contribution du citoyen la prise en charge des effets collatéraux de l’élevage. Mais ce n’est pas tout. Non seulement le contribuable paye les dégâts, il doit également assumer le coût de la consommation de viande et des produits laitiers en matière de Santé publique. Si le citoyen n’a plus beaucoup de pouvoir dans notre monde, prenons acte du fait que nous sommes consommateurs. Nous pouvons boycotter les produits animaux, informer le public sur la réalité de l’exploitation animale, tout comme nous pouvons promouvoir les produits végans. Imaginons une économie sans exploitation animale, imaginons la puissance économique d’une alimentation végétale sans coûts collatéraux à compenser comme dans l’élevage. Les industriels ont tout à gagner à se joindre à ce mouvement de libération animale et à créer de nouveaux marchés. Mais nous n’en sommes pas encore là et l’injustice règne : « Cinq millions d’enfants meurent de faim chaque année dans ce monde » et « 900 millions de personnes souffrent de malnutrition » alors que nous n’avons jamais autant gaspillé. « Le souci n’est pas…la fabrication des richesses, commente l’auteur, mais bien la répartition de ces richesses, qui elle-même découle de choix politiques ». Pour ne citer qu’un seul exemple : « La moitié des richesses mondiales est aux mains du 1 % des plus riches, tandis que les 99 % restants de la population mondiale se partagent l’autre moitié ». Cela empire avec l’imposition du modèle néolibéral qui a instauré comme règle de normalité l’égoïsme le plus débridé et qui œuvre à détruire tous les systèmes de protection des travailleurs pour les transformer à nouveau en simples instruments corvéables et licenciables à merci. Et je citerai intégralement ce passage particulièrement bon du livre d’Aymeric Caron, dont je salue l’authentique humanité : « Violence suprême que celle qui touche l’homme ou la femme dont la sueur a rempli la piscine d’actionnaires millionnaires, et que l’on jette au rebut sans état d’âme. Violence d’être déclaré inutile, inintéressant, gênant. Violence de ne plus être personne, puisque ce monde définit l’individu par le travail qu’il occupe. Violence de ne plus être celui ou celle qui nourrit sa famille. Telle est la réalité du libéralisme, qui n’est qu’une ode à la liberté de quelques uns contre celle de tous les autres. L’autorité que réclament les ultralibéraux a pour seul but de protéger les intérêts de l’oligarchie. Pour eux, la police, l’armée et les lois répressives ne doivent exister que pour éviter toute tentative de rébellion des dominés - cette rébellion qui, précisément, fait de nous des individus »… A contrario, aucun grand patron ne se suicide jamais : celui-ci retrouvera toujours du travail ailleurs même s’il perd un emploi, ce qui n’est pas le cas du salarié. La violence sociale qui s’exerce sur ce dernier a été érigée en norme sociale acceptable et plus aucune personnalité politique n’incarne réellement la lutte contre les inégalités. 3- De l’idéologie dominante à la désobéissance civile La crise que nous traversons en Europe aujourd’hui est avant tout morale, avance l’auteur : « Le libéralisme financier s’est imposé car les digues éthiques se sont peu à peu brisées, et non le contraire ». Et cette décadence ne s’applique pas qu’aux classes aisées. Les héros et les « salauds » se rencontrent partout. C’est juste qu’un modèle s’est imposé, celui du contournement de la règle, de la recherche du profit pour le profit et de l’absence de toute morale. L’évasion fiscale est compensée par la taxation des plus modestes alors que l’enrichissement est déconnecté de toute 13 productivité ou valeur ajoutée. Des sommes faramineuses s’envolent vers des paradis fiscaux tandis qu’on pinaille sur l’augmentation du SMIC de quelques euros…Le crime organisé en « costardcravate » ne mène pas les contrevenants en prison, contrairement à la vente de cannabis par le petit vendeur du coin. Contre les idées reçues, Caron explique que le capitalisme ne récompense que marginalement les plus méritants : de fait, il promeut essentiellement les plus égoïstes et les plus cyniques. Des fortunes se sont bâties sur le pillage de pays colonisés, l’asservissement et l’anéantissement de peuples, l’appropriation de leurs terres, la destruction des forêts. « Quel serait aujourd’hui le niveau de vie des Européens sans le pillage de l’Afrique? » questionne l’auteur. L’Europe s’est livrée à un pillage forcené depuis des siècles, favorisant les dictatures…tout en donnant au reste du monde des leçons de « droits de l’homme ». L’impérialisme occidental a d’ailleurs détourné la pensée darwinienne à son profit en la personne d’Herbert Spencer (1820-1903) dont le « darwinisme social » légitimait idéologiquement la loi du plus fort chez les humains. Or « l’avantage sélectif qui a décidé en dernier ressort de la suprématie humaine réside dans le mode de vie communautaire », révèle Patrick Tort, spécialiste de Darwin. La sélection naturelle des instincts les plus appropriés à la survie a privilégié la solidarité chez l’être humain. Pierre Kropotkine, anarchiste du XIXe siècle, s’opposait déjà en son temps au darwinisme social et faisait valoir que le principe d’entraide s’est étendu dans l’Histoire à partir du clan jusqu’à viser l’humanité toute entière. « En toute société animale, écrit-il, la solidarité est une loi de la nature, infiniment plus importante que cette lutte pour l’existence dont les bourgeois nous chantent la vertu… ». Vision des choses confirmée par l’éthologue Frans de Waal qui fait remarquer que l’humain n’est pas davantage conçu pour la compétition que les autres animaux. « Je me révolte, donc nous sommes », proclamait Albert Camus. De fait, « chaque citoyen détient une parcelle de pouvoir qui dépasse largement celui du bulletin de vote. Ce pouvoir, c’est notre capacité de refuser…refuser d’agir contre ses convictions. Dire non ». Et cela vaut pour tout un chacun : « …le véritable révolutionnaire est celui qui, seul contre tous les autres, prend d’assaut une estrade pour défendre une idée qui lui semble plus importante que la préservation de son confort ». Ceux qui le font sont « le plus souvent des anonymes », nous dit Caron…Brigitte Gothière et Sébastien Arsac (L214) ont sacrifié leurs carrières au nom de leurs convictions. Ils ont pris des risques, tout comme avant eux Mandela, Gandhi, Martin Luther King ou Diane Fossey qui l’ont payé en années d’emprisonnement ou même de leur vie. On oublie trop vite ces cohortes d’inconnus qui ont payé au prix fort les avancées sociales dont nous bénéficions aujourd’hui. Henry David Thoreau laissait entendre dans son essai intitulé « La désobéissance civile » qu’ « on peut avoir raison seul contre la multitude…(que) les révolutions (…) ne sont pas l’œuvre de majorités généralement frileuses et peureuses, mais d’individus prêts au sacrifice au nom d’une conscience qu’ils ne doivent jamais abandonner au législateur ». Autrement dit, toujours selon Thoreau : « Le respect de la loi vient après celle du droit » et « …se plier sans rechigner à la loi est le meilleur moyen de perpétrer l’injustice. La loi peut pousser des hommes naturellement bien disposés à se livrer au pire ». Par conséquent, reprend Caron, « notre responsabilité consiste donc à nous révolter, à refuser de suivre les ordres sans morale… ». Le premier acte de désobéissance civile peut s’exercer dans le choix de nos comportements. En ce sens, « le boycott est une arme démocratique redoutable ». Il fut déjà employé efficacement dans la lutte contre l’esclavage. Aujourd’hui, « il nous appartient de transformer chacun de nos actes d’achat en bulletin de vote ». Refuser d’acheter les produits dont la fabrication suppose de la souffrance animale est un acte politique dans un monde où l’idéologie et le matraquage publicitaire 14 favorisent massivement l’exploitation animale. Pour Caron, « l’antispécisme a choisi la révolte contre la pensée ultra-dominante. Il n’existe pas de cause plus révolutionnaire que celle de l’antispécisme. » Mais quels sont donc ses rapports avec les pensées historiquement contestataires de l’écologie et de la gauche? 4- De l’écologie à la biodémocratie L’écologie est devenue un argument électoral et ne froisse plus personne : « La tendance majoritaire est celle d’une écologie d’accompagnement du système capitaliste le plus dur », constate Caron. On n’y trouve aucune mention du droit animal ou de remise en question de l’industrie de la viande. Or, l’écologie, ce n’est pas ça, insiste l’auteur, elle « …n’est pas compatible avec tous les programmes politiques, loin de là ». Pour rappel, cette écologie ne devient un sujet de débat en France qu’au début des années 70, avec l’apparition des associations de protection de la nature comme WWF ou Greenpeace. Cette écologie fut d’abord un cri d’alarme contre l’exploitation débridée des ressources face à une démographie galopante : 1 milliard d’humains sur la Terre en 1800; 2 milliards en 1930; 3 milliards en 1960; 4 milliards en 1975; 5 milliards en 1987; 6 milliards en 1999 et 7 milliards en 2012. Nous consommons bien plus que ce que la planète produit et cela s’aggrave chaque année. « Or le principal coupable, souligne l’essayiste, se situe dans « (…) la recherche effrénée du profit inhérente au capitalisme moderne. Toutes les souffrances infligées à la nature et à ceux qui l’habitent sont liées à la logique du moindre coût et du bénéfice maximal, la concurrence sans règles, et au mythe de la croissance à outrance ». Très loin du capitalisme d’origine, animé par l’éthique protestante, tel que décrit par Max Weber, l’idéologie capitaliste contemporaine attribue la prospérité économique (bénéficiant théoriquement à tous) à l’accumulation du capital. Encore durcie dans sa version néolibérale, elle ne se voit même plus contrôlée par l’Etat pourtant supposé être un frein au profit. Or l’écologie, pour Caron, implique l’existence de règles allant à l’encontre d’un profit contradictoire avec le bien-être du plus grand nombre. La maximalisation du profit, expliquait Marx en son temps, implique une limitation des salaires, des conditions de travail dégradantes et une indifférence à la destruction de l’environnement. C’est d’ailleurs « …la raison pour laquelle l’exploitation animale ne saurait s’exercer dans de bonnes conditions dans un système capitaliste ». En effet, « les normes de bienêtre animal imposées dans les élevages par la loi (…) sont perçues par les patrons d’élevage industriels comme du manque à gagner ». Même si la compassion à l’égard de la souffrance va bien au delà des clivages politiques et que tout un chacun peut se sentir concerné, « …l’une des causes essentielles de la maltraitance animale se trouve dans le principe d’exploitation inhérent au capitalisme et au libéralisme », dont le système de pensée est d’ailleurs le lot commun de la droite et de la gauche aujourd’hui. Les partis socialistes européens…acceptent et accompagnent le libéralisme, ils n’exigent plus la nationalisation partielle des moyens de production, et ils ont renoncé à mettre en place les conditions d’une réelle justice sociale. Cette gauche-là n’a plus rien de la gauche. « Comment, en effet, questionne Caron, promouvoir une société du partage et de la consommation modérée, si les mots profit, bénéfice, marge et croissance composent l’essentiel du projet politique? ». Alors que le néolibéralisme ne fabrique en réalité que du malheur, il transforme « l’aller-mieux » en produit de consommation : sport, psys, ordinateur et tout un tas de choses pour se consoler. Même la contestation antilibérale du système peine à remonter en deçà d’une idéologie qui prend sa source 15 dans la philosophie des Lumières. Car c’est cette dernière qui « va promouvoir l’idée de la nécessaire domination de la nature au service de l’homme », consacrant l’anthropocentrisme en référence absolue. Les sciences nouvelles se développent quant à elles indépendamment les unes des autres, rendant obsolète la conception d’un monde unitaire en équilibre. Aujourd’hui, l’Histoire a démontré que « la domination de la nature et celle de l’être humain vont de pair ». Entre une « écologie molle » et un marxisme imprégné de productivisme (contre un Marx qui ne l’était pas autant qu’on ne le croit), l’écosocialisme se présente comme une synthèse novatrice. Il dénonce le capitalisme et le productivisme, vise la préservation des écosystèmes, propose l’appropriation des moyens de production, le développement de l’économie solidaire et des coopératives, et revendique la prédominance de la valeur d’usage sur la valeur d’échange. Ceci dit, la préservation de la planète et la préservation d’emplois ouvriers classiques devient une contradiction pour un mouvement qui se présente comme défenseur de la classe ouvrière. Par ailleurs, l’écosocialisme place encore l’humain au centre de tout et n’a rien compris au mouvement de libération animale. Son point de vue reste anthropocentriste et donc spéciste. Pour Caron, « le combat à mener aujourd’hui est celui contre l’exploitation de tout animal sensible par l’homme », ceci englobant la lutte contre l’exploitation de l’homme par l’homme. La façon dont l’animal est traité dans une société en dit effectivement long sur la manière dont y sont traités la majorité des humains. Être traité comme un non-sujet guette l’humain juste après l’animal. Le traitement des uns va de pair avec celui des autres. Le licenciement massif d’ouvriers révèle la totale indifférence de certains humains à l’égard de la souffrance des autres. Contre cette écologie molle qui priorise en comptable la préservation des espèces tout en déniant toute importance à la vie de tel ou tel individu, Caron propose une écologie différente où l’anthropocentrisme se verrait remplacé par le biocentrisme, c’est à dire une conception du monde accordant une valeur à tous les êtres vivants sans exception, et les instituant chacun comme des fins et non plus comme des moyens. Notre pouvoir sur le monde en tant qu’espèce ne nous donne pas tous les droits mais au contraire « nous oblige à une responsabilité accrue à l’égard des nonhumains ». « La France est-elle une démocratie? », demande Caron. Ça n’est plus qu’une apparence, poursuitil, car une vraie démocratie implique « l’existence de contrepouvoirs libres et indépendants tels que la presse, les syndicats et les associations. Elle nécessite également que l’avis de chacun des citoyens soit écouté et pris en compte. Or, ce n’est évidemment pas le cas aujourd’hui en France ». Les référendums ne sont pas suivis d’effets et le peuple n’est visiblement pas écouté. Sans parler du carriérisme de certains élus qui ne représentent que rarement les ouvriers et les chômeurs. Or, « les élus sont nos obligés », rappelle l’auteur. « Ils sont les employés du peuple qui leur délègue le pouvoir ». Il serait donc temps d’en finir avec les professionnels de la politique et avec un système oligarchique fondé sur le carriérisme et les privilèges. En outre, il s’agirait de promouvoir une politique du long terme. L’exemple tiré du livre de Jared Diamond (« Le troisième chimpanzé ») montre ce qui attend une société qui ne se préoccupe que du court terme, comme la civilisation de l’Île de Pâques, victime de ses abus. Cette politique du long terme, qui nous ferait vivre en symbiose avec la planète et non plus en parasite de celle-ci, implique une refonte de nos systèmes institutionnels. C’est une « biodémocratie », basée sur un « renversement de toutes les valeurs », que Caron appelle de ses vœux. Antiracisme et respect de l’autre sont les bases de l’antispécisme. Les idées simples progressent toujours à contrecourant d’un monde qui les raille. Il n’empêche : le « seul vrai progrès de l’humanité est celui de l’intelligence du cœur ». 16 III- Misère et grandeur de l’homme Ma présentation d’ « Antipéciste » serait incomplète si je ne faisais pas état, derrière le discours intellectuel, très informatif et politique de l’auteur, d’une méditation philosophique courant en filigrane tout au long de l’ouvrage. Ce fil discret qui serpente entre les chapitres lui donne d’ailleurs un charme et une fraicheur qui vous font courir après la page suivante. J’ai baptisé cette partie « Misère et grandeur de l’homme » tant les accents pascaliens de Caron m’ont fait l’effet d’utiles camouflets adressés aux restes de notre trop tenace narcissisme. Petitesse de l’homme, hasard de son existence, bonheurs illusoires et vanité puérile…Un extraterrestre bien connu de tous nous montrerait-il la voie de l’âge de raison? 1- Pale blue dot J’ai retrouvé la photo prise de la Terre vue d’une distance de 6 milliards de kilomètres par Voyager I en 1990 que mentionne Caron, et je l’ai publiée sur Facebook. C’est vrai que la planète n’apparait pas plus grosse qu’une tête d’épingle…Une occasion pour l’auteur de méditer sur la petitesse de l’homme dans l’Univers, l’extinction déjà programmée de la Terre, l’importance dérisoire (citant Carl Sagan) de l’Histoire humaine dans un calendrier cosmique dans lequel celleci ne représente tout au plus qu’une dizaine de secondes par rapport à une année entière. Et je citerai in extenso un passage que j’aime particulièrement de l’écrivain, parce que tout chargé de poésie : « Il faut nous envisager comme de simples ritournelles : des petites mélodies qui passent, plus ou moins harmonieuses, populaires ou détestées, mais en réalité souvent ignorées. Les plus chanceuses de ces chansons traîneront encore un peu dans la tête des gens même quand elles seront passées de mode, mais elles finiront bien un jour par s’envoler définitivement ». Il va de soi que cela appelle à la modestie : « …aucun humain n’est réellement important, si ce n’est dans l’esprit et le cœur de ceux qui l’accompagnent avec bienveillance sur un bout de chemin. Rien de ce que nous faisons, aucun poste, aucune fonction, ne justifie une quelconque forme d’arrogance, d’autosatisfaction, et encore moins de mépris à l’égard d’un autre. Nous avons donc simplement le droit de nous étonner d’être là et l’obligation de remercier le destin chaque fois qu’il crée pour nous les conditions de la réussite (…) La vie est un hasard, pas forcément un cadeau. Elle est avant tout une suite d’épreuves, et on perd tous à la fin ». 2- Le hasard de l’incarnation Après la planète microscopique, Caron nous invite à une méditation sur nos cellules, poussières d’étoiles, qui rappelle au lecteur que la matière dont il est fait, ainsi que ce qui l’entoure, a strictement la même origine. Mais ce n’est pas tout. Le hasard de l’incarnation pointe vers l’aspect totalement improbable de notre existence, tout d’abord, et ensuite l’aspect encore plus improbable de notre existence dans la peau d’un être humain. Le hasard aurait effectivement pu nous faire naitre dans le corps d’un chien, d’une souris, d’un poisson ou de tout autre chose. Nous n’avons pas plus de mérite à tirer de ce hasard de la naissance qui nous a fait naitre dans la position de l’animal dominant de la planète que nous n’en avons à bénéficier éventuellement de ce cadeau de la nature qu’est un physique attrayant. « Nous pourrions être eux », déclare l’auteur, qui nous 17 appelle du même coup à questionner le fait de manger des êtres dans la peau desquels nous pourrions nous trouver. 3- Le prix du bonheur Nous ne sommes donc pas grand-chose, à entendre Caron. Pourtant, le pouvoir de l’argent est tel qu’il crée l’illusion chez certains d’être…importants. L’argent «…consacre des rois de pacotille et méprise les âmes nobles ». Un footballer célèbre peut gagner mille fois le salaire d’un ouvrier, sans parler du fait qu’il exerce un métier qu’il aime et qu’il bénéficie de la reconnaissance tandis que l’ouvrier n’a rien. La rémunération devrait s’établir selon le degré de bénéfice pour la collectivité, estime Caron. La richesse de quelqu’un est indécente tout comme la pauvreté de la majorité est injuste. À quand le revenu maximum légal?... Important aux yeux d’autrui ou pas, l’argent ne fait pas le bonheur. Phil Collins ou Sylvester Stallone en fin de carrière regardent paradoxalement leur parcours comme un échec. « Ni le succès, ni la célébrité ne vaccinent de la mélancolie de vivre ». C’est que le bonheur ne s’achète pas. Les circonstances extérieures ne déterminent pas la façon dont elles sont vécues individuellement par chacun. Ceci dit, précise Caron, « il y a pourtant bien, indiscutablement, des contextes plus favorables que d’autres au bonheur ». La seule chose, c’est qu’ « au delà d’un certain niveau de revenus, le bonheur individuel n’augmente plus ». 4- De l’homme ordinaire à Superman En dépit des apparences, Superman incarne les valeurs d’un être antispéciste avant la lettre. Extraterrestre doué de superpouvoirs, il met ses surhumaines capacités au service d’une espèce plus faible (la nôtre) alors qu’il pourrait en abuser dans son propre intérêt. Ses adversaires sont justement l’incarnation du pouvoir de la technique et de l’argent. Son attitude n’est gouvernée par nulle ambition personnelle mais par son souci du service d’autrui. Il est en cela un modèle moral…Tout comme Zarathoustra qui appelle chacun d’entre nous à se dépasser, à retrouver sa créativité et sa spontanéité natives. Si Dieu est mort, comme l’annonçait Nietzsche, nous avons à prendre sa place laissée vide. « Nous sommes donc désormais des marionnettistes semblables aux entités divines de l’Antiquité », note l’auteur, mais en gardant à l’esprit la pensée de Tolstoï selon laquelle la seule chose en son pouvoir que l’homme puisse améliorer est lui-même. S’ensuit chez Caron ce passage aux accents existentialistes : « Le vrai drame de l’existence serait de la quitter sans avoir été capable d’y naître vraiment (...) L’enjeu consiste alors, pendant les décennies qui suivent, à justifier le bien-fondé du hasard qui a choisi de faire de nous des témoins conscients de l’univers.. ». Je ne saurais mieux dire … 5- Une autre vision du progrès Contre l’idée reçue d’une émancipation de la nature par la technique, l’auteur rappelle que nos progrès ne reposent que sur des lois naturelles déjà existantes que nous n’avons nullement décidées : « La technique n’est que la découverte et l’application des règles cachées de ce jeu auquel nous participons » et « chaque invention n’est que l’expression en acte d’une chose qui existait en puissance dans la nature. Le feu était caché dans le silex… ». « Seule l’éthique, affirme l’écrivain, nous distingue de la nature ». L’antispécisme est par conséquent traversé par deux 18 mouvements : d’un côté, il s’agit d’assumer notre parenté avec les autres espèces; de l’autre, il s’agit de s’affranchir de la cruauté inhérente à la nature. Mais sortir « moralement » de la nature implique de devenir des adultes et de prendre soin de celle-ci, tout comme des tuteurs sont responsables d’êtres vulnérables. Nous y sommes : étonnement, humilité, justice, générosité, don de soi, respect…et devoir. Tels pourraient être les maîtres-mots d’une nouvelle posture éthique face au monde, aux autres et à nous-mêmes. IV- Commentaires critiques Mon but est atteint. Il va de soi que la lecture de cet article ne dispense personne de celle du livre dans son intégralité. Mais au moins, on sait maintenant de quoi il retourne, quelles sont les questions posées et les enjeux soulevés par l’imposant ouvrage d’Aymeric Caron. Je vais donc pouvoir m’offrir le luxe de livrer quelques commentaires. Une des grandes qualités du travail d’A. Caron est d’avoir fait apparaître les ressorts du spécisme et le système économique que cette idéologie cautionne. Car plutôt que de montrer du doigt les mangeurs de viande ordinaires, il s’agirait de s’en prendre aux articulations d’un système incluant économie, politique et institutions. C’est un énorme chantier où chacun a une place à prendre, à commencer par le citoyen consommateur qui, à défaut de s’engager sur la place publique, peut faire des choix au moment de faire son épicerie. Les temps changent…et le moment viendra où le client du supermarché ressentira comme un étrange malaise en posant son steack hâché ou ses saucisses sur le tapis roulant de la caissière, devant le regard courroucé de la majorité végétalienne. En même temps que mon admiration sincère pour le souffle puissant qui anime les pages d’un bout à l’autre du livre, je tiens à témoigner ma gratitude pour la générosité palpable de l’auteur. Je vais être encore plus gentil : je parlerai d’une intelligence mise au service de la noblesse d’âme. Ceci dit, le livre a les défauts de ses qualités. Le souffle puissant embrasse très large, peut-être trop large, et le propos est parfois trop touffu à mon sens. J’ai naturellement le même travers, mais tout le monde ne peut pas s’offrir le luxe de cette profusion. C’est là encore un « privilège invisible », pour citer une plume que j’aime bien, dont il s’agirait me semble-t-il de prendre conscience afin de ne pas créer des barrières là où nous souhaitons bâtir des ponts. Car Carl Sagan, David Bowie ou Mark Knopfler (que j’adore, soit dit en passant!) ne parleront sans doute pas à tout le monde, même si je crois comprendre à chaque fois où l’auteur veut en venir. Cet éclectisme a un côté gênant, parce que tout le monde n’a pas cette culture-là. Carl Sagan voisine avec Darwin, Louise Michel avec Schopenhauer. Tout y passe. Dans un autre registre, si les envolées lyriques donnent beaucoup de fraicheur à la lecture du livre, cela amène parfois à des raccourcis un peu rapides, même si ce que je vais dire n’engage que moi. Je suis assez embarrassé avec des notions posées comme des évidences dans un livre qui se veut des plus critiques par ailleurs. Je veux parler ici de la « division du travail » chez les fourmis et autres anthropomorphismes sociologiquement inadéquats… Les mots nous trompent : la « division du travail » des fourmis permettant d’augmenter la « productivité » du groupe sont des propos que des sociologues trouveront irrecevables, sauf à tout mélanger. La « division du travail » appliquée 19 aux fourmis relève à mon sens de l’amalgame, tout comme l’aile de papillon, exemple cité par l’auteur, comparée à celle de l’oiseau ou encore celle de la chauve-souris. Les mots nous trompent, je le répète : il n’y a pas de « division du travail » au sens strict chez les fourmis, pas plus qu’il n’y a de « collaboration » ou de « citoyenneté » au sens strict des animaux dans la société de demain. On sait que la société humaine répond à des lois qui ne valent pas dans d’autres espèces. Notre société, nous la portons dans notre tête : ça on le sait en sociologie depuis fort longtemps. Et si je sais de source sûre qu’un chien et moi ne vivons pas dans le même monde, je vois mal comment nous serions socialement apparentés aux fourmis! Ce n’est pas rendre service aux autres espèces que de leur prêter des processus que des anthropologues et des sociologues spécistes n’auront aucune peine à ridiculiser. Si l’éthologie a beaucoup à nous apprendre, des relais doivent être conçus entre les différentes disciplines de façon à traduire de façon appropriée les propos des uns et des autres. « Fourmis policières », « fourmis égoïstes » sont des raccourcis qui prêtent le flanc à des critiques faciles. Donc attention : terrain miné! Mon troisième commentaire portera sur la toute dernière partie du livre. La méditation sur la biodémocratie, même si j’ai autrefois été un grand amateur de science-fiction, m’a en effet laissé comme un goût d’amertume dans la bouche, alors même que l’approche de la conclusion aurait dû me redonner du baume au cœur…Ce développement sur l’avenir souhaité par Caron de notre société me laisse juste sur le sentiment que je n’ai pas tout à fait la même expérience de l’humanité que lui. J’entends déjà ricaner le diable en costard-cravate… Quand Aymeric Caron nous parle de ces progrès techniques formidables qui vont libérer l’homme, je ne peux m’empêcher de penser que le propos n’est pas nouveau et qu’Archimède, qui apportait en son temps des solutions concrètes en remplacement du travail humain, fut probablement assassiné justement parce qu’il mettait en péril les privilèges liés à l’existence de l’esclavage… Je ne crois pas en une réconciliation irénique de l’humanité, à des lendemains qui chantent la même chanson à tout le monde. C’est même à mon humble avis une idée totalisante et totalitaire dangereuse, tout comme l’est celle d’un gouvernement mondial qui ne pourrait très rapidement que tomber entre de mauvaises mains. Monsieur Caron, méfiez-vous des enthousiastes à la langue fourchue qui vous passeront la main dans le dos en vous disant que c’est là la meilleure partie de votre livre. Vous avez encore bien des Tartuffe à croiser sur votre chemin, si je puis me permettre…Pour mémoire, on a déjà vu des élites révolutionnaires bien intentionnées se transformer en Nomenklatura. C’est même dans l’ordre « humain, trop humain » des choses. Donc, l’ordre mondial, très peu pour moi…D’ailleurs, j’ai retenu de mes lointaines années de fac que l’identité est différentielle et que la frontière est même définitoire de l’identité au sens anthropologique du terme. A moins d’un tiers exclu comme un méchant alien venu imposer sa loi sur notre planète, je vois mal comment l’espèce Homo Sapiens pourrait s’autoproclamer « Humanité » d’une voix unanime. Douce rêverie…qui me reste en travers de la gorge. Dernier commentaire. Brrrr. Ça y est. Aymeric Caron ne va plus du tout me trouver sympathique s’il lit un jour ces lignes. Mais tant pis. Cette fois, c’est l’entrée en matière, que j’avais presque oubliée, qui vient de me revenir en mémoire. Une précaution, un tout petit truc, comme ces je ne sais quoi imperceptibles qui faisaient autrefois la matière de Nathalie Sarraute. Un truc qui gratte, qui gêne, dont je n’arrive pas à me débarrasser… La précaution d’Aymeric Caron, au tout début du livre, me met un peu mal à l’aise et je vais dire ce que j’en pense parce que nous sommes compatriotes et qu’entre Français, les choses doivent se dire. Cet avertissement qu’il fait au lecteur me fait l’effet de vouloir se défendre d’être accusé de sensiblerie. Or, il s’agirait d’assumer ses convictions sans craindre d’être raillé. S’il est antispéciste, dit-il, « ce n’est pas en raison d’une 20 sensiblerie exarcerbée » à l’égard des animaux… Diantre ! Ce serait quoi une « sensibilité exacerbée » à leur égard ?! On ne saisit pas bien. A moins que j’aie mal compris, le propos m’apparait défensif…et inutile. Tout le reste du livre démontre que l’auteur est sensible au mal que l’on fait aux animaux. Ce n’est pas là de la sensibilité exacerbée, que diable ! C’est juste de la sensibilité éclairée par la connaissance des faits. Combien de temps allons-nous apparaitre faibles et timorés ? Combien de gorges tranchées faudra-t-il encore pour que nous puissions assumer ouvertement notre indignation? Depuis quand l’insensibilité devrait-elle être la norme? Ce sont les insensibles qui devraient rougir… La sensibilité est peut-être bien un des modes majeurs de la connaissance du monde et qui sait si cela ne sera pas une évidence dans trois siècles? Les « Lumières » apparaitront alors bien sombres, je vous le garantis. En attendant, des animaux et des gens meurent dans la plus horrible solitude parce que les brutes parlent et qu’on ne les fait pas taire… Allez! C’était un Français qui parlait à un Français! Tout va bien : nous sommes déjà réconciliés! Quoi qu’il en soit, ce que je viens de dire n’est qu’un appel à une aimable passe d’armes. À côté de cela, les adversaires de l’antispécisme sont immensément puissants et nous devons affuter nos fleurets…L’adversaire est féroce et omniprésent, y compris en nous-mêmes. C’est pourquoi il faut saluer un auteur qui écrit avec son cœur, de toute son âme, un auteur dont la plume est agile et fluide comme le fleuret d’un mousquetaire… J’ai beaucoup aimé et je ne me suis pas ennuyé une seule seconde… Mais plus que cela, ce livre m’a semblé profondément rassembleur. Il provoque le débat comme de l’huile qu’on jetterait sur un feu qui s’endort. Unissons-nous, semble-t-il dire, comme un diablotin barbu sorti de sa boîte. Unissons-nous! Regardez le monde qui vient. C’en est un autre, tenons le coup, c’en est un autre! Je l’ai vu! 21