La durabilité sociale à Vancouver

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La durabilité sociale à Vancouver
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La durabilité sociale à Vancouver
Merrill Cooper
Résumé
Septembre 2006
© Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques
Résumé
Vancouver est de nos jours une des villes du Canada les plus importantes et les plus
influentes, qui fait grand cas de son paysage naturel spectaculaire, de son climat tempéré
et de son économie solide. Qualifiée de ville la plus habitable du monde en 2005,
Vancouver se classe également très bien pour la sécurité personnelle, les soins médicaux,
les arts et la culture, la diversité, l’éducation et l’infrastructure. Vancouver est
globalement une métropole de rang mondial florissante, qui fait l’envie de nombreuses
autres grandes villes du monde entier, pour sa beauté, sa culture de l’innovation, ses
pratiques et ses politiques sensibles à l’environnement et sa population multiculturelle.
Elle est, à ce titre, la deuxième destination préférée des nouveaux immigrants au Canada,
en particulier pour ceux qui viennent de Chine et d’Asie du Sud.
En vue de conserver cette grande qualité de vie à Vancouver, le Vancouver City Council
a adopté en 2002 les principes de la durabilité écologique, économique et sociale, à
respecter dans les actions et l’activité de la ville. La finalité de la planification de la
durabilité est la suivante : prendre toutes les mesures nécessaires pour que Vancouver
devienne une ville qui réponde aux besoins du présent, sans compromettre l’aptitude des
générations futures à répondre à leurs propres besoins. D’après la définition de la ville de
Vancouver, la durabilité sociale se traduit par trois principaux résultats : les besoins de
première nécessité des résidents — dont le logement, les soins médicaux, l’alimentation,
le travail, le revenu et la sécurité — sont satisfaits; les capacités personnelles des
résidents s’épanouissent, ils participent, contribuent à la collectivité sous tous ses aspects
et en bénéficient pleinement et les communautés sont en mesure de favoriser et soutenir
l’inclusion sociale dans toutes ses dimensions et l’épanouissement de tous les résidents.
La durabilité sociale part du principe qu’il existe un certain degré d’égalité entre tous les
résidents et que la croissance est compatible avec l’évolution harmonieuse de la société
civile. Elle se traduit par l’intégration de la diversité des groupes et des pratiques
culturelles avec justice et équité, ce qui se répercute dans tous les aspects de la vie
économique, sociale, politique et culturelle de la ville. Ces principes et leurs
conséquences constituent un cadre de référence de l’inclusion sociale ou une stratégie
d’amélioration de l’impartialité et de l’équité pour tous les membres de la société, dans
tous les aspects de la vie.
Or, les tendances sociales et économiques actuelles et émergentes donnent à penser que
Vancouver s’écarte, au lieu de se rapprocher, de l’inclusion sociale et de la durabilité
sociale.
• L’écart entre les riches et les pauvres se creuse à Vancouver, comme le démontrent
les niveaux de pauvreté chez les adultes et les enfants, parmi les plus élevés du
Canada, et la hausse de l’insécurité alimentaire et de la précarité du logement. De
plus, la proportion de résidents vivant sous le seuil de faible revenu (SFR) de
Statistique Canada est supérieure à 25 % dans plus de la moitié des quartiers de la
ville de Vancouver. Il existe également une corrélation troublante entre la pauvreté et
l’appartenance à une minorité visible ou à la population autochtone.
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Les Autochtones et les immigrants au niveau d’études élevé de Vancouver continuent
à être exclus du marché du travail et les Autochtones continuent à subir les
conséquences d’un racisme déclaré et systématique, ainsi que des multiples
manifestations de l’exclusion.
Un travailleur sur dix vit sous le SFR dans le Grand Vancouver, ce qui est, de loin,
l’incidence la plus élevée de la pauvreté des salariés de toutes les grandes villes du
Canada. Un fossé de plus en plus profond se creuse entre les emplois très qualifiés et
bien rémunérés et les emplois peu qualifiés, mal rémunérés et précaires ce qui, par
recoupement avec d’autres tendances, permet de conclure à l’accroissement des
disparités entre les revenus et à une érosion de la sécurité du revenu, pour beaucoup, au
fil du temps. Ces changements peuvent aggraver la pauvreté vécue par les segments de
la population aux revenus les plus bas, dont les jeunes sans formation postsecondaire et
les membres de ménages monoparentaux.
Le coût du logement s’est envolé et est devenu hors de prix pour les personnes et les
familles au revenu moyen, les logements non marchands s’évaporent pour les
résidents les plus marginalisés de Vancouver et l’errance a plus que doublé en
quelques années. Les problèmes d’accessibilité du logement contraignent également
les familles à faible revenu à s’entasser dans des quartiers qui, au mieux, manquent
des équipements et des commodités utiles et favorables à l’épanouissement des
enfants et des parents et qui, au pire, exposent les enfants à de nombreux types de
risques.
Si ces tendances se poursuivent sur leur lancée, le nombre d’enfants, d’adolescents,
d’adultes et de famille exclus socialement et économiquement va augmenter, ce qui
fragilisera encore plus, au fil du temps, la durabilité sociale à long terme de Vancouver.
La croissance de la population et l’évolution démographique pourront encore aggraver les
problèmes de durabilité sociale de Vancouver. Il est prévu que la population de
Vancouver augmente de 18 % pendant les vingt-cinq prochaines années pour atteindre
710 989 personnes et celle du Grand Vancouver de 32 % pour atteindre 2,88 millions de
personnes. La migration interne et surtout l’immigration seront principalement à l’origine
de cette hausse de la population et non les taux de natalité. Le Grand Vancouver
continuera vraisemblablement à être une des principales destinations canadiennes
choisies par les immigrants issus d’un large éventail de pays, qui arriveront avec des
cultures, des langues et des antécédents riches et variés. De plus, à cause du
vieillissement de la population, les quinquagénaires et les personnes plus âgées seront
prépondérantes dans la population du Grand Vancouver et dans celle de Vancouver, où
les enfants et les adolescents seront proportionnellement moins nombreux.
Au fur et à mesure du vieillissement de la population, les problèmes de santé des aînés
prendront de plus en plus d’importance. Les avancées de la médecine pourront encore
augmenter la durée de vie moyenne, en particulier chez les personnes au revenu et au
niveau d’études élevés. Ces avancées n’élimineront vraisemblablement pas totalement les
maladies et les déficiences qui sont le lot de la vieillesse. L’état de santé des aînés
deviendra également davantage un problème social. Le fait que les femmes donnent, par
exemple, naissance à des enfants plus tard dans leur vie alourdit les contraintes familiales,
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puisqu’elles s’efforcent à la fois de subvenir aux besoins de leurs enfants et de leurs parents
vieillissants. Dans certains quartiers de Vancouver, pas moins de 55 % des aînés vivent
seuls. Il est prévu que cette tendance se poursuive indéfiniment chez la population née au
Canada, bien que, au sein de certains groupes ethnoculturels, les familles élargies vivent
plus fréquemment ensemble. La demande en établissements d’aide à la vie autonome et de
soins de longue durée, pour des aînés de divers milieux culturels et qui maîtriseront la
langue anglaise à des degrés divers va cependant vraisemblablement augmenter au fil du
temps. De plus, l’influence politique d’un nombre croissant d’aînés pourra faire évoluer les
priorités, au détriment des dépenses sociales et éducatives pour les enfants et les
adolescents et au profit de dépenses dans des domaines d’un plus grand intérêt pour les
aînés, comme la sécurité et les soins médicaux.
Les immigrants, dont la majorité appartient à des minorités visibles, représentent une
proportion croissante de la population. Cet état de fait se traduira à la fois par des
conditions favorables et par des défis à relever, au fil du temps, pour la durabilité sociale de
Vancouver. Les immigrants implantent un riche tissu de langues et de cultures, qui
continuera à promouvoir le statut de capitale culturelle de Vancouver, et, si cette ville
continue à attirer des immigrants jeunes et au niveau d’études élevé, ils augmenteront les
effectifs de la main-d’œuvre et le nombre d’enfants et d’adolescents dans la ville. Des
conséquences négatives peuvent néanmoins apparaître, si les enfants et les adolescents
immigrants ne peuvent pas suivre une formation en anglais langue seconde (ALS)
répondant à leurs besoins, ni des programmes éducatifs favorisant leur réussite scolaire et
postsecondaire et si les nouveaux arrivants ne bénéficient pas des aides à l’établissement et
à l’intégration dont ils ont besoin. Les organismes qui desservent les immigrants, dont
beaucoup sont des organismes sans but lucratif, devront réussir le tour de force de répondre
à ces besoins en pleine croissance. Les organismes ethnoculturels débattent beaucoup,
depuis quelques années, de leur capacité d’action soumise à rude épreuve, dans cette
conjoncture de financement étriqué et de hausse de la demande. L’aptitude des organismes
d’établissement et des autres organismes à absorber nettement plus de clients dépendra du
degré d’accroissement de leur capacité d’action, grâce à l’augmentation de leur
financement et de l’appui dont ils bénéficieront.
De plus, si les travailleurs immigrants ne peuvent pas obtenir un emploi gratifiant et
correspondant à leurs talents et leur niveau d’études, ils seront nombreux à migrer tout
simplement vers d’autres villes ou pays qui reconnaissent et récompensent leurs talents.
Enfin, si la tendance actuelle de l’augmentation de la pauvreté chez les immigrants se
poursuit sur sa lancée, elle perpétuera et aggravera l’exclusion sociale d’une proportion
de la population de plus en plus importante et créera peut-être même une classe marginale
d’immigrants privés de leurs droits.
La ville de Vancouver sera également mise au défi, dans les années à venir, de mettre à
l’étude de nouvelles modalités de représentation et de participation des citoyens, à cause
de l’évolution démographique et, probablement, de l’aggravation de l’exclusion sociale.
Un éventail d’institutions, dont l’administration municipale et le gouvernement
provincial, devront mettre en place de nouvelles modalités de participation, surtout pour
les immigrants, à tous les aspects de la vie municipale, du processus électoral, aux
organismes communautaires, aux écoles et aux institutions locales.
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Les menaces qui pèsent sur la durabilité sociale de Vancouver sont concrètes et
imminentes. La vision sociale à laquelle aspire Vancouver exigera de moderniser les
investissements au profit d’actions destinées à répondre aux besoins de base des
résidents, à stimuler leur capacité personnelle et à faire intervenir les communautés au
service de l’inclusion sociale et l’épanouissement de tous les résidents. La reconnaissance
de la contribution de tous les résidents à la ville et la gratitude qu’elle mérite seront des
premières étapes fondamentales. La reconstitution des dispositifs de protection contre les
rigueurs de la pauvreté bénéficiera à tous les résidents de Vancouver, quel que soit leur
niveau de revenu.
L’intervention en faveur de l’inclusion sociale et la résolution du large éventail de
problèmes qui menacent la durabilité sociale de Vancouver dépassent clairement le
domaine d’action et la capacité financière d’une municipalité. Des actions de cette
envergure et de cette portée ne peuvent pas être accomplies par la ville de Vancouver à
elle seule. L’intervention soutenue des gouvernements fédéral et provincial s’impose
pour atténuer la pauvreté individuelle et familiale et pour garantir une qualité de vie
minimale, grâce à des soins médicaux, une éducation, des revenus, des programmes
d’établissement et des services sociaux à la hauteur des besoins et qui, parallèlement,
favorisent la mobilité sociale et réduisent et empêchent les poches de pauvreté à densité
élevée. En d’autres termes, des actions sont impérativement nécessaires au niveau local
pour sensibiliser le public, influencer les priorités des politiques nationales et provinciales
et coordonner les mesures d’ordre structurel et les actions entreprises en milieu urbain et
ailleurs, au sein de la ville de Vancouver et du Grand Vancouver.
De plus, les trois paliers de gouvernement doivent travailler en concertation avec les
secteurs sans but lucratif et privé locaux pour concevoir et appliquer des solutions
efficaces en temps opportun. Il existe heureusement de nombreux exemples de
collaboration intersectorielle à Vancouver et ailleurs au Canada qui s’attaquent à des
problèmes analogues à ceux qui commencent à apparaître à Vancouver et atténuent leur
gravité. C’est maintenant qu’il faut agir. À défaut, Vancouver pourra courir le risque
d’être en proie au déclin urbain et à l’exclusion sociale généralisés dans les années à
venir.
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