John Noble, 1923 – 2007 - l`Institut d`Histoire sociale
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John Noble, 1923 – 2007 - l`Institut d`Histoire sociale
14_NECRO-Abt_4p:06-NECRO-ABT 29/01/08 14:51 Page 121 NÉCROLOGIE John Noble, 1923 – 2007 C ET AMÉRICAIN AVAIT CONNU LE GOULAG de 1949 à 1955 et il était un des rares déte- nus étrangers arrêtés au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale dont le témoignage ait été traduit en français[1]. Son père, né en Allemagne mais citoyen américain, avait commis l’imprudence de hisser sur la maison familiale de Dresde, la bannière étoilée américaine après l’arrivée des Soviétiques. Il fut arrêté, comme son père, un missionnaire protestant, transféré dans divers camps d’Allemagne de l’Est et notamment à Buchenwald et Lichtenberg. Envoyé en URSS à la fin des années 1940, il fut jugé et condamné à quinze ans de camp pour « espionnage » et se retrouva à Vorkouta, dans la région arctique. Dans son livre, Noble donne le nom de divers Occidentaux détenus. Il sera libéré en 1955 après avoir réussi à faire connaître sa présence aux autorités américaines. « Pas de citoyen John Noble sur le territoire de l’URSS », répondaient sans cesse les autorités soviétiques aux demandes de renseignements de la famille ou du gouvernement américain. Ce n’est qu’en décembre 1954, sur intervention personnelle d’Eisenhower, que les Soviétiques se décidèrent à rapatrier John Noble… Il rentra en janvier 1955, en même temps que deux autres de ses concitoyens dont il avait signalé la présence: William Marchuk, un soldat disparu en 1949 de son unité stationnée à Berlin, également signalé par Armand Maloumian, et William Vedrine. Il affirma que bien d’autres Américains étaient restés prisonniers en URSS et il l’affirma encore en 1968, lors d’un procès symbolique de l’URSS organisé par des associations anti-communistes américaines. Anti-communiste, John Noble l’était, et violemment. Il collabora ainsi dans les années 1960 avec la John Birch society pour dénoncer les régimes communistes. Il était devenu un fervent chrétien depuis sa détention. P. R. 1. Un Américain au goulag, Apostolat des éditions, Paris 1958 (titre original américain: I was a slave in Russia), disponible à la Bibliothèque d’Histoire sociale. L’International Herald Tribune et le Daily Telegraph, entre autres, lui ont consacré un article nécrologique. Mention est faite de son cas dans nos Français au goulag (Fayard 1984). N° 33 121 14_NECRO-Abt_4p:06-NECRO-ABT 29/01/08 14:51 Page 122 HISTOIRE & LIBERTÉ Pierre Lambert, la mort d’une éminence grise (1920-2008) P IERRE LAMBERT APPARAÎT SANS AUCUN DOUTE rétrospectivement comme un des per- sonnages les plus fascinants du monde politique. Sans doute aurait-il pu figurer dans l’excellent ouvrage Éminences Grises, de Roger Faligot et Remi Kauffer (Fayard, 1992). Tel est sans doute le paradoxe du démiurge. Il présente en permanence un double visage: militant révolutionnaire et agitateur trotskiste, il endosse en parallèle la défroque d’un homme de l’ombre, orchestrant toute sa vie un inclassable réseau de pouvoir, aux confins du syndicalisme, du tissu associatif et de la franc-maçonnerie. Pierre Boussel naît le 9 juin 1920 dans une famille de Juifs russes immigrés à Paris. Il s'engage très tôt. Dès l'âge de 14 ans, on le voit militer aux Jeunesses communistes. Il s'inscrit cependant très vite à l'Entente des jeunes socialistes de la Seine, un mouvement lié à la SFIO, dans lequel les trotskistes pratiquent l'entrisme. Pierre Boussel rejoint la Gauche révolutionnaire, le courant oppositionnel de Marceau Pivert. En 1937, il participe à la scission groupée des socialistes de la Seine, qui se transforment en Jeunesses socialistes autonomes. La même année, il se syndique à la CGT des PTT. En juin 1938, les JSA rejoignent le tout nouveau Parti socialiste ouvrier et paysan de Marceau Pivert. Aux JSA et au PSOP, Pierre Boussel rencontre de nombreux militants trotskistes, qui pratiquent l'entrisme « à ciel ouvert », bannières déployées. Il rejoint le courant trotskiste, regroupé autour du journal La Commune, en décembre 1938. Membre du Bureau fédéral de la Seine des Jeunesses socialistes ouvrières et paysannes, il est exclu le 3 juin 1939, lorsque la direction décide de se débarrasser des trotskistes. Pierre Boussel évolue maintenant dans le maquis groupusculaire. Membre du groupe La Commune, il est arrêté le 15 février 1940, au beau milieu de la « drôle de guerre ». Le 8 mai, il est condamné à trois ans de prison ferme pour atteinte à la sûreté intérieure de l'État. 122 HIVER 2007/2008 29/01/08 14:51 Page 123 LA REVUE DES REVUES Nombreux sont les bruits qui courent sur cette arrestation. Pierre Boussel se montre-t-il trop bavard? Profitant de la dislocation de l'État, il parvient à s'évader durant un transfert, et regagne Paris, où il demande à reprendre ses activités militantes. Hostile à la Résistance, le groupe La Commune renvoie dos-à-dos les AngloAméricains et les Allemands, tandis que certains de ses membres se lancent dans une stratégie d'entrisme au sein du Rassemblement national populaire de Marcel Déat. Au cœur de la guerre, trois groupes entament cependant un processus d'unification, qui culmine en janvier 1944, lorsqu’est formé le Parti communiste internationaliste. Pierre Boussel devient le responsable du « rayon nord » du PCI. Il s'élève en parallèle dans la hiérarchie de la CGT réunifiée qui voit le jour à la Libération. Il prend le contrôle du syndicat CGT des monteurs-levageurs, devient responsable des jeunes pour la Région parisienne. Il apparaît à cette époque sous l'identité de Pierre Temansi. Nul à la CGT ne connaît ses activités trotskistes. En 1952, une crise déchire le « Parti mondial de la révolution socialiste ». En France, on voit surgir deux formations aux sigles presque identiques: - le Parti communiste internationaliste (Quatrième Internationale) défend les thèses modernistes de Michel Raptis. La situation nouvelle et la guerre qui vient impliquent de modifier les perspectives. Il s'agit de développer un entrisme profond au sein des partis communistes; - le Parti communiste internationaliste (trotskiste) s'arrime aux théories invariantes de Marcel Bleibtreu. Il importe dans cette époque troublée de maintenir haut levé le fanion trotskiste. Pierre Boussel s'agrège au courant Bleibtreu. En 1955, celui qui se fait maintenant appeler Pierre Lambert parvient à évincer Marcel Bleibtreu. 1955 est ainsi l'année de naissance d'une tendance politique qu'il faut bien nommer le «lambertisme». Cette tendance s'incarne dans une kyrielle d'organisations. On retient bien évidemment l'Organisation communiste internationaliste, ou le Parti des travailleurs. Par-delà le fracas d'une histoire complexe, émaillée de scissions et de regroupements, subsistent des constantes. Le lambertisme apparaît comme un cocktail d'orthodoxie trotskiste et de pragmatisme sans contraintes. Pierre Lambert et ses amis n'ont jamais cessé de défendre l'intangibilité du programme trotskiste. Ils se sont arrimés à l'invariance. En parallèle, ils ont poussé jusqu'à ses extrêmes limites la stratégie de l'entrisme. En 1934, Léon Trotski avait demandé aux militants français de rejoindre la SFIO, sans rien dissimuler de leurs opinions révolutionnaires. N° 33 123 passage en revues 14_NECRO-Abt_4p:06-NECRO-ABT 14_NECRO-Abt_4p:06-NECRO-ABT 29/01/08 14:51 Page 124 HISTOIRE & LIBERTÉ L'entrisme lambertiste s'apparente au contraire à un travail de fraction. Les militants qui infiltrent les organisations dissimulent leur appartenance révolutionnaire et s'élèvent dans la hiérarchie des différents partis et syndicats. On assiste ainsi à l'apparition d'un entrisme de renseignement, qui débouche sur la constitution d'un réseau de pouvoir. Dans les années 1970, les lambertistes se trouvent à la tête de l'« Unef-Unité syndicale » et de la puissante Mutuelle nationale des Étudiants de France. Membre de l'OCI, Lionel Jospin devient premier secrétaire du Parti socialiste en 1981. Les lambertistes prennent du pouvoir à Force ouvrière, dans diverses obédiences maçonniques et dans plusieurs associations laïques. Pierre Lambert se trouve ainsi peser dans la société française d'un poids sans commune mesure avec ses forces militantes. Le Parti des travailleurs, et le cercle de sympathisants qui l'environne, prend l'allure baroque d'un « groupuscule de leaders ». Les lambertistes occupent des postes, ils exercent des responsabilités. Ce sont des dirigeants, des notables. Ils siègent dans de nombreux bureaux politiques, syndicaux ou associatifs. L'économie sociale est mise à contribution. Lorsque le vieux chef s'éteint le mercredi 16 janvier 2008, il laisse derrière lui un système complexe. Le Parti des travailleurs poursuit une activité militante classique, qui doit l'amener à se transformer dans les mois qui viennent en un « Parti ouvrier indépendant », sous la houlette de Daniel Gluckstein. En parallèle, les amis de Lambert agissent dans la galaxie souverainiste, dans les réseaux laïcs, à Force ouvrière, dans la franc-maçonnerie, dans les tendances orthodoxes du PCF, et dans d'autres secteurs, moins ouvertement identifiables. L'avenir est pourtant incertain. Quand le leader trotskiste anglais Gerry Healy est mort en 1988, son courant politique s'est rapidement disloqué. Le lambertisme survivra-t-il à la mort du « père » ou connaîtra-t-il à son tour une série de crises et de scissions? Christophe Bourseiller 124 HIVER 2007/2008