Hommage d`Afrique Jean de la Fontaine

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Hommage d`Afrique Jean de la Fontaine
Hommage d'Afrique à
Jean de la Fontaine
16 fables illustrées de Jean de la Fontaine
Cet ouvrage a été réalisé à partir des pages du site
Internet "Hommage d'Afrique à Jean de la Fontaine".
Vous pouvez le visiter à cette adresse :
http://www.bj.refer.org/benin_ct/tur/fontaine/fontaine.htm
Les textes sont de Jean de la Fontaine.
La gravure de couverture est de Delpech.
Les illustrations des fables sont de Alphonse et Julien
Yémadjé, teinturiers à Abomey.
Vous êtes libres de distribuer cet ebook comme bon vous
semble à la condition de ne pas le modifier. Donnez le à
vos amis ou clients, vendez-le même si vous le voulez.
La culture se doit d'être partagée par le plus grand
nombre. Nous vous souhaitons bonne lecture et faites
attention à la morale...
(seconde édition, janvier 2010)
2
Sommaire
Sommaire................................................................................ 3
Les animaux malades de la peste........................................ 4
Le chartier embourbé............................................................ 7
La cigale et la fourmi ............................................................ 9
Le corbeau et le renard ....................................................... 11
Le geai paré des plumes du paon ..................................... 13
Le laboureur et ses enfants................................................. 15
Le lièvre et la tortue ............................................................ 16
Le lion et le moucheron ...................................................... 18
Le loup et l'agneau .............................................................. 20
Le loup et le chien ............................................................... 22
La mort et le bûcheron........................................................ 24
La poule aux oeufs d'or ...................................................... 26
La querelle des chiens et des chats, et celle des chats et
des souris .............................................................................. 27
Le renard et le bouc............................................................. 30
Le singe et le léopard .......................................................... 32
Le villageois et le serpent ................................................... 34
Ressources sur Internet ...................................................... 36
3
Les animaux malades de la peste
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie.
Ni loups ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les tourterelles se fuyaient ;
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le lion tint conseil, et dit: « Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous
4
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.
Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense.
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse;
Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non : vous leur fêtes, Seigneur.
En les croquant beaucoup d'honneur ;
Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.»
Ainsi dit le renard, et flatteurs d'applaudir.
On n' osa trop approfondir
Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun étaient de petits saints.
L'âne vint à son tour et dit : « J’ai souvenance
5
Qu'en un pré de moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.»
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir
6
Le chartier embourbé
Le Phanéton d'une voiture à foin
Vit son char embourbé. Le pauvre homme était loin
De tout humain secours. C'était à la campagne,
Près d'un certain canton de la basse Bretagne,
Appelé Quimper-Corentin.
On sait assez que le Destin
Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage.
Dieu nous préserve du voyage !
Pour venir au chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,
Pestant, en sa fureur extrême,
Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.
Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monde.
Hercule, lui dit-il, aide-moi : si ton dos
A porté la machine ronde,
Ton bras peut me tirer d'ici.»
Sa prière étant faite, il entend dans la nue
7
Une voix qui lui parle ainsi :
« Hercule veut qu’on se remue,
Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achoppement qui te retient ;
Ote d'autour de chaque roue
Ce malheureux mortier, cette maudite boue
Qui jusqu'à l'essieu les enduit.
Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit.
Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? - Oui, dit
l’homme.
- Or bien je vas t'aider, dit la voix. Prends ton fouet.
- Je l'ai pris. Qu'est ceci ? mon char marche à souhait.
Hercule en soit loué !» Lors la voix : « Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.
Aide-toi, le Ciel t’aidera. »
8
La cigale et la fourmi
La cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêtre
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle
"Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal
Intérêt et principal"
9
"Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse
- Nuit et jour, à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise
- Vous chantiez? j'en suis fort aise
Eh bien ! dansez maintenant."
10
Le corbeau et le renard
Maître corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître renard, par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
"Hé ! bonjour, monsieur du corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois."
A ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie ;
Et, pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit : "Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute.
11
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute."
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
12
Le geai paré des plumes du paon
Un paon muait : un geai prit son plumage ;
Puis après se l'accommoda ;
Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.
Quelqu'un le reconnut : il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,
Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte ;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,
Il fut par eux mis à la porte.
Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d 'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.
13
Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui ;
Ce ne sont pas là mes affaires.
14
Le laboureur et ses enfants
Travaillez, prenez de la peine ;
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins :
"Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût ;
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse."
Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort,
Que le travail est un trésor.
15
Le lièvre et la tortue
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
« Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Sitôt que moi ce but. - Sitôt ? Êtes-vous sage ?
Repartit l’animal léger.
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’éllébore.
- Sage ou non, je parie encore. »
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,
Ni de quel juge l’on convint.
Notre lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint
Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux calendes
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir et pour écouter
D’où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.
16
Elle part, elle s’évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s’amuse à tout autre chose
Qu’à la gageure. À la fin quand il vit
Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit
Furent vains : la tortue arriva la première.
« Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi, l’emporter ! Et que serait-ce
Si vous portiez une maison ? »
17
Le lion et le moucheron
« Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre ! »
C'est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre.
« Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur, ni me soucie ?
Un boeuf est plus puissant que toi,
Je le mène à ma fantaisie. »
A peine il achevait ces mots
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son oeil étincelle;
Il rugit, on se cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle
Est l'ouvrage d'un moucheron.
18
Un avorton de mouche en cent lieux le harcèle,
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat ; le voilà sur les dents.
L'insecte du combat se retire avec gloire:
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée:
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis,
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L' autre, qu' aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
19
Le loup et l'agneau
La raison du plus fort est toujours la meilleure,
Nous l 'allons montrer tout à l 'heure.
Un agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant
20
Plus de vingt pas au-dessous d'elle,
Et que par conséquent en aucune façon
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait, si je n'étais pas né ?
Reprit l'agneau ; je tette encore ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens ;
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.»
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte, et puis le mange
Sans autre forme de procès.
21
Le loup et le chien
Un loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire loup l'eût fait volontiers.
Mais il fallait livrer bataille ;
Et le mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint qu'il admire.
« Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
22
Car quoi ? Rien d'assuré ; point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi: vous aurez un bien meilleur destin.»
Le loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le chien, donner la chasse aux gens
Portant bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons;
Sans parler de mainte caresse.»
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le col du chien pelé.
« Qu’est-ce là ? lui dit-il. ---Rien. ---Quoi rien ?
-Peu de chose.
Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le loup ; vous ne courez donc pas
Où vous voulez ?Pas toujours, mais qu'importe ?
- Il importe si bien que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.»
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.
23
La mort et le bûcheron
Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans,
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort, elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
« C'est, dit-il, afin de m'aider
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. »
24
Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d 'où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir,
C'est la devise des hommes.
25
La poule aux oeufs d'or
L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,
Que celui dont la poule, à ce que dit la fable,
Pondait tous les jours un oeuf d'or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les oeufs ne lui rapporteraient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches !
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches !
26
La querelle des chiens et des chats,
et celle des chats et des souris
La discorde a toujours régné dans l'univers ;
Notre monde en fournit mille exemples divers :
Chez nous cette déesse a plus d'un tributaire.
Commençons par les éléments :
Vous serez étonnés de voir qu'à tous moments
Ils seront appointés contraire.
Outre ces quatre potentats,
Combien d'êtres de tous états
Se font une guerre éternelle !
Autrefois un logis plein de chiens et de chats,
Par cent arrêts rendus en forme solennelle,
27
Vit terminer tous leurs débats.
Le maître ayant réglé leurs emplois, leurs repas,
Et menacé du fouet quiconque aurait querelle,
Ces animaux vivaient entre eux comme cousins.
Cette union si douce, et presque fraternelle,
Édifiait tous les voisins.
Enfin elle cessa. Quelque plat de potage,
Quelque os, par préférence, à quelqu'un d'eux donné,
Fit que l'autre parti s'en vint tout forcené
Représenter un tel outrage.
J'ai vu des chroniqueurs attribuer le cas
Aux passe-droits qu'avait une chienne en gésine.
Quoi qu'il en soit, cet altercas
Mit en combustion la salle et la cuisine ;
Chacun se déclara pour son chat, pour son chien.
On fit un règlement dont les chats se plaignirent,
Et tout le quartier étourdirent.
Leur avocat disait qu'il fallait bel et bien
Recourir aux arrêts. En vain ils les cherchèrent.
Dans un coin où d'abord leurs agents les cachèrent,
Les souris enfin les mangèrent.
Autre procès nouveau : le peuple souriquois
En pâtit. Maint vieux chat, fin, subtil et narquois,
Et d'ailleurs en voulant à toute cette race,
Les guetta, les prit, fit main basse.
Le maître du logis ne s'en trouva que mieux.
J'en reviens à mon dire. On ne voit sous les cieux
Nul animal, nul être, aucune créature,
Qui n'ait son opposé : c'est la loi de nature.
D'en chercher la raison, ce sont soins superflus.
28
Dieu fit bien ce qu'il fit, et je n'en sais pas plus.
Ce que je sais, c'est qu'aux grosses paroles
On en vient sur un rien, plus des trois quarts du temps.
Humains, il vous faudrait encore à soixante ans
Renvoyer chez les barbacoles.
29
Le renard et le bouc
Capitaine renard allait de compagnie
Avec son ami bouc des plus haut encornés.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits.
Là chacun d'eux se désaltère.
Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le renard dit au bouc : « Que ferons-nous, compère ?
Ce n’est pas tout de boire, il faut sortir d’ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi ;
Mets-les contre le mur. Le long de ton échine
Je grimperai premièrement ;
Puis sur tes cornes m’élevant,
A l’aide de cette machine
30
De ce lieu-ci je sortirai.
Après quoi je t’en tirerai.
- Par ma barbe, dit l’autre, il est bon ; et je loue
Les gens bien sensés comme toi.
Je n’aurais jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l’avoue. »
Le renard sort du puits, laisse son compagnon
Et vous lui fait un beau sermon
Pour l'exhorter à patience.
« Si le Ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas à la légère
Descendu dans ce puits. Or adieu, j’en suis hors.
Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts ;
Car pour moi, j’ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d’arrêter en chemin. »
En toute chose il faut considérer la fin.
31
Le singe et le léopard
Le singe avec le léopard
Gagnaient de l'argent à la foire ;
Ils affichaient chacun à part.
L'un d'eux disait : "Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu. Le roi m'a voulu voir ;
Et, si je meurs, il veut avoir
Un manchon de ma peau, tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée,
Et vergetée, et mouchetée."
La bigarrure plaît; partant chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait ; bientôt chacun sortit.
Le singe, de sa part, disait "Venez, de grâce :
Venez, Messieurs, je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin léopard l'a sur soi seulement ;
Moi, je l'ai dans l'esprit. Votre serviteur Gille,
Cousin et gendre de Bertrand,
32
Singe du pape en son vivant,
Tout fraîchement en cette ville
Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler ;
Car il parle, on l'entend ; il sait danser, baller,
Faire des tours de toute sorte,
Passer en des cerceaux ; et le tout pour six blancs !
Non, Messieurs, pour un sou; si vous n'êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte.
Le singe avait raison. Ce n'est pas sur l'habit
Que la diversité me plaît, c'est dans l'esprit :
L'une fournit toujours des choses agréables ;
L'autre, en moins d'un moment, lasse les regardants.
Oh ! que de grands seigneurs, au léopard semblables,
N'ont que l'habit pour tous talents !
33
Le villageois et le serpent
Ésope conte qu’un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d’hiver se promenant
A l’entour de son héritage,
Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N’ayant pas à vivre un quart d’heure.
Le villageois le prend, l’emporte en sa demeure ;
Et, sans considérer quel sera le loyer
D’une action de ce mérite,
Il l’étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.
L’animal engourdi sent à peine le chaud,
34
Que l’âme lui revient avecque la colère.
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt,
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père.
« Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire ?
Tu mourras. » A ces mots, plein d’un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête,
Il fait trois serpents de deux coups :
Un tronçon, la queue, et la tête.
L’insecte sautillant cherche à se réunir,
Mais il ne put y parvenir.
Il est bon d’être charitable,
Mais envers qui ? c’est là le point.
Quant aux ingrats, il n’en est point
Qui ne meure enfin misérable.
35
Ressources sur Internet
http://www.bj.refer.org/benin_ct/tur/fontaine/fontaine.htm
le site dont est tiré cet ebook.
http://www.musee-jean-de-la-fontaine.fr/
le site du musée Jean de la Fontaine à Château-Thierry,
en France.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_La_Fontaine
la page Wikipédia consacrée à Jean de la Fontaine, pour
en savoir plus sur l'écrivain et ses œuvres.
http://www.fables-de-la-fontaine.fr/
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