Courtage sur Internet : La compétition devient rude

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Courtage sur Internet : La compétition devient rude
Courtage sur Internet : La compétition
devient rude
Le 24 septembre 2010 par CLAIRE CHEVRIER
Le Web est une source de prospects importante, mais les investissements sont tels que les
courtiers sont pris dans une course effrénée : faire plus de volume en essayant de retenir des
clients de plus en plus volatils. Et cela face aux compagnies d'assurances, qui ont un sérieux
avantage : leur marque.
L'Eldorado Internet, s'il a existé, semble terminé pour les courtiers. Pourtant, « ce sont eux qui
sont à l'origine de l'assurance sur Internet, rappelle Jehan de Castet, président de l'éditeur
Courtanet et fondateur du comparateur Assuremieux.com. Ils ont fait le marché, mais ce ne
sont pas les grands faiseurs, car, pour cela, il faut des marques connues. » En effet, sur les dix
millions d'internautes qui vont chaque mois sur les sites d'assurance, Fabrice Tuffigo,
directeur de la marque et du webmarketing du groupe April, estime que les assureurs
importants captent 55 % de la part d'audience, les comparateurs 23 % et les pure players Web
(courtiers ou filiales de compagnies vendant exclusivement par Internet) seulement 17 %.
Un canal de prospection indispensable
Cependant, le Web est devenu un nouveau canal de prospection pour le grand public, et les
courtiers traditionnels d'une certaine taille se doivent d'être présents. « Cela devenait
inévitable d'avoir un site dédié aux particuliers qui livre des informations sur nos produits,
donne des tarifs en ligne et permette la souscription », confirme Romain Derigny, chef de
projets Web de Verspieren, qui a lancé son site, Lemeilleurdelassurance.com en début
d'année. Le courtier Aitic assurances, après avoir fermé son réseau de sept agences en 2007 à
la suite d'une fusion, s'est lui aussi lancé dans l'aventure cette année. « Nous avions un stock
de clients, mais, peu à peu, nous perdions des parts de marché. Pour renouer avec la
croissance, il nous fallait un nouveau canal de distribution. C'est pour cela que nous avons
lancé notre site », explique Fabrice Dessaigne, son responsable opérationnel.
Il y a également des courtiers qui ne sont que sur le Web. « En 2005, quand j'ai voulu monter
mon cabinet, je partais de zéro. Pour moi, le plus facile était d'aller sur Internet », explique
Philippe Bouvery, fondateur de B et B courtage. Il propose notamment un comparateur pour
les assurances de prêt. « Je gagne autant d'argent en revendant à un autre courtier les fiches
prospects santé qui arrivent sur mon site, qu'à les traiter moi-même », précise-t-il. Il n'est pas
le seul à avoir créé un comparateur. « Pour les internautes, c'est un lieu d'information, et pour
les courtiers, une vitrine. C'est un carrefour d'audience », estime Julien Fillaud, gérant du
cabinet de courtage sur Internet Assur Média, également chargé des relations partenaires du
comparateur Mutuelle-conseil.com. Les e-courtiers qui l'ont fondé se partagent ainsi les
prospects qui ont réalisé des simulations. Cependant, être un comparateur connu nécessite une
politique de référencement coûteuse. Mutuelle-conseil.com revendique chaque mois un
million de visites uniques et 35 000 demandes de devis, mais dépense mensuellement plus de
200 000 € en marketing. Cela devient une activité à part entière...
Multisourcing, gros souci
Si beaucoup de courtiers achètent des fiches prospects aux comparateurs, « dans notre métier,
il est dangereux d'être monosourcing [de n'avoir que d'une seule source de prospects] »,
souligne Marie Content, directrice générale du site du courtier grossiste Alptis, C-monassurance.com. C'est pourquoi mieux vaut employer différents moyens pour se faire connaître
des internautes, comme le référencement naturel et payant (lire l'Argus de l'assurance, n°
7182, p. 58), les campagnes de e-mailing, les publicités sur certains sites...
L'automobile en ligne, le reste avec coup de fil
Les produits que vendent les courtiers sur Internet s'adressent surtout au grand public. Il faut
dire que « la vente sur Internet est intéressante dès lors que l'on peut gérer des volumes. C'est
une opportunité d'automatiser des tâches de gestion sur des contrats où les primes sont faibles,
de calculer leur montant sans avoir besoin d'un technicien », explique Jérôme Laumonier,
responsable adjoint de la direction des projets groupe de Verspieren.
Dans la même logique, le marché des très petites entreprises et des professionnels, s'il est
encore balbutiant, devrait se développer. Pour les entreprises de plus grande taille, en
revanche, ce n'est pas joué. Difficile, en effet, de proposer une tarification en ligne quand les
critères à prendre en compte sont nombreux. De plus, elles sont déjà très sollicitées en
téléprospection...
L'automobile, la santé, l'habitation et les assurances de prêt sont les produits phares du Web.
Dans le cas de l'auto, AssurOne affirme que 40 % des clients souscrivent sans un seul contact
téléphonique, mais il n'en va pas de même en santé. « Il y a très peu de ventes en full Web.
Internet attire des prospects, les renseigne, mais ensuite, ils ont souvent besoin de contacts
téléphoniques. Le conseil oral est très important et cela permet de rassurer le client », constate
Patrick Audely, directeur commercial d'Alptis, courtier grossiste en assurance santé. Même
son de cloche chez AB'6 Santé, qui dit réaliser 0,5 % de ses ventes totalement en ligne, et
chez Mutuelle-conseil, où moins de cent personnes par mois souscrivent par ce moyen.
L'assurance vie laisse encore perplexe nombre de courtiers. AB'6, après l'avoir testée, a
préféré abandonner : « Les gens réalisaient beaucoup de simulation et d'études, mais il y avait
très peu de souscription, car le client souhaitant un relais de proximité signait avec la banque
du coin. C'était très chronophage pour des résultats très moyens », conclut Noémie Danan,
gérante du courtier en ligne. En revanche, les produits de niches sont bien adaptés à la vente
en ligne : il est plus facile de se différencier, la confrontation est moins frontale avec les
grandes compagnies et les mots-clés achetés sur les moteurs de recherche coûtent moins cher.
Un client cinq fois plus cher en trois ans...
Le coût d'entrée est très honéreux pour un courtier en ligne. Il faut compter 10 000 €
uniquement pour un site « vitrine », auxquels s'ajoutent des investissements encore plus
importants dans le back-office. Par exemple, Aitic assurances investit 70 000 € cette année
pour le développement de son site et le référencement commercial. « Nous estimons que les
coûts de maintenance et de référencement seront de 15 000 € minimum chaque année »,
ajoute Fabrice Dessaigne. À côté de cela, le coût d'acquisition du client devient de plus en
plus élevé, avec des taux de transformation souvent assez bas... « Il y a trois ans, un prospect
me revenait à 2 €, contre plus de 10 € aujourd'hui. La guerre des comparateurs fait monter le
prix des mots-clés sur Google », regrette Christophe Courtin, directeur général du
comparateur Santé Santiane et du courtier grossiste Neoliane. Bilan : il n'est pas rare qu'un
courtier santé dépense entre 200 et 300 € pour l'acquisition d'un client, comptant sur les
commissions de suivi pour se rattraper. Un calcul qui peut être dangereux...
... et qui vous quitte de plus en plus vite
Des clients de plus en plus volatils et des impayés en hausse font que les reprises de
commissions sont de plus fréquentes. « Attention à ne pas attendre ce qui n'arrivera peut-être
jamais », prévient donc Christophe Courtin, qui dit refuser de dépenser en coût d'acquisition
plus de 150 € par client. La course au chiffre d'affaires peut se payer très cher, si l'on n'est pas
capable de garder ses assurés plus de deux ou trois ans. « Si le client reste cinq ans dans notre
portefeuille, c'est rentable, mais, s'il change tous les deux ans, nous perdons de l'argent », note
Noémie Danan. « Beaucoup de e-courtiers ont été rachetés par des compagnies d'assurances
pour leur portefeuille et leur expertise. Ce mouvement de concentration devrait continuer, car
aller sur Internet coûte de plus en plus cher et rapporte de moins en moins », conclut Patrick
Audely.
Deux questions à Joëlle Roubache
Directrice du cabinet de conseil ellipsa, spécialisé dans les problématiques de la
distribution
«Un site de courtier doit en priorité faciliter la relation»
Les courtiers doivent-ils aller sur Internet ?
Internet est le meilleur outil pour prospecter en masse. Les courtiers doivent juste mesurer le
retour sur investissement et décider en conséquence des moyens et de l'énergie à y consacrer :
un site performant et bien référencé coûte cher. Par ailleurs, une question de fond se pose à
eux : quelle est leur proposition de valeur face à un comparateur ?
Les comparateurs constituent une réelle menace ?
Oui. Les comparateurs vendent du prix : c'est très réducteur, mais simple et accrocheur. La
promesse du courtier (sélectionner la meilleure offre au regard du besoin) est plus complexe à
communiquer... et à tenir. Sa palette d'offres n'est pas toujours aussi large que celle des
comparateurs, surtout s'il gère les contrats. Et en matière de conseil au client, Internet n'est pas
le meilleur canal relationnel. À mon avis, un site de courtier doit en priorité faciliter la mise
en relation, afin d'exercer réellement ce rôle de conseil. Pour esquiver la concurrence frontale
avec Assurland, Hyperassur ou Le Lynx, qui font beaucoup de publicité, les courtiers devront
défendre leur spécificité.
Le business des fiches prospects
Sur le Web, c'est la course aux prospects ! Afin de rentabiliser ses investissements, il est
nécessaire de réaliser de gros volumes. Nombre de courtiers achètent donc des fiches
prospects aux comparateurs en ligne comme Assurland, Assuremieux, Hyperassur, Kelassur,
Le Lynx. Très bien référencés sur les moteurs de recherche, ils drainent beaucoup d'audience.
Des courtiers grossistes qui ont leur propre site commencent également à proposer à leurs
clients la vente de ces fiches, tels Santiane ou Solly Azar.
Le principe
Lorsqu'un Internaute se rend sur un comparateur en ligne, il donne un certain nombre
d'informations, dont son adresse courriel et son téléphone. Qu'il aille ou non jusqu'au devis,
les comparateurs revendent ses coordonnées.
Les tarifs
Ils varient en fonction de plusieurs données : la fiche est vendue en exclusivité à un courtier
ou une compagnie d'assurances, le prospect a effectué un devis, ou il a été jusqu'à demander
une mise en relation... Une fiche peu qualifiée, vendue à plusieurs personnes, coûte environ 5
€. Une fiche cédée en exclusivité sera vendue entre 9 et 15 €. Une demande de mise en
relation avec une entreprise précise est facturée une vingtaine d'euros.
Les résultats à en attendre
Certains courtiers atteignent des taux de transformation de 15 à 20 % sur les mises en relation.
Comptez entre 5 et 10 % pour les fiches vendues en exclusivité, et environ 5 % pour les
données de base sur les prospects. Ces dernières intéressent surtout les acteurs ayant des
centres d'appels délocalisés. Les coordonnées vendues ne sont pas vérifiées, et les internautes
peuvent s'agacer d'être rappelés par plusieurs acteurs alors qu'ils n'ont rien demandé.
Inquiète...
Noémie Danan, gérante du courtier en ligne AB’6
«On n’est plus dans l’euphorie»
« En 2003, nous sommes venus de l'Internet pour aller vers l'assurance, même si nous ne
connaissions pas ce métier. Et nous avons tout de suite proposé la vente en ligne. Avec mon
époux, nous avons choisi le domaine de l'assurance parce que nous voulions un secteur en
expansion, mais avec une activité lissée dans le temps. Nous nous sommes spécialisés dans la
santé, car il nous semblait que les gens allaient de plus en plus avoir besoin de
complémentaires, et les commissions versées par les compagnies étaient plus intéressantes
que dans l'automobile ou l'habitation. Cependant, depuis 2003, les coûts de prospection ont
plus que doublé, alors que notre commissionnement réel a baissé. On n'est plus dans
l'euphorie. Seuls les très bons pourront survivre. Il faut avoir de très bons processus, sous
peine de disparaître... »
Enthousiaste...
Bertrand Cuilleret, associé gérant d’assu paris
«J’ai rentabilisé mon site en neuf mois»
« Je travaille seul avec ma femme. Cela fait environ neuf mois que j'ai voulu essayer de
proposer des offres sur Internet. Je dois avouer que j'étais plutôt perplexe, mais j'aime essayer
les choses par moi-même. Finalement, j'ai déjà rentabilisé mon site, ce qui est plutôt une
bonne surprise. J'ai dû appeler une trentaine de personnes pour réaliser une petite dizaine
d'affaires. Je n'achète pas de mots clés chez Google, ni de contacts aux comparateurs, mais je
me suis référencé en assurance multirisque pour les professionnels. Le site en lui-même m'a
coûté 1 000 €. Avec le produit Benefit de Courtanet, j'ai un tarificateur qui me coûte 100 € par
mois. Je l'utilise pour mon site, mais aussi pour mes ventes en face-à-face. Cependant, je
pense qu'il ne faut pas s'engager tout de suite dans des coûts astronomiques. La vente
d'assurances en ligne est un autre métier. »