L`approche existentielle en psychothérapie

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L`approche existentielle en psychothérapie
Sciences-Croisées
Numéro 7-8 : Soin de l’âme
L’approche existentielle en psychothérapie
Marie-Noëlle Salathé (MCF)
Département des Sciences de l’Education
Université de Paris VIII
[email protected]
L’approche existentielle en psychothérapie
« Chaque homme doit inventer son chemin »
Jean-Paul Sartre
Résumé
Ce texte traite de la psychothérapie existentielle, sa méthode sa démarche,
sa clinique. Elle repose sur certains postulats concernant la nature de l’homme.
Elle se rattache au courant philosophique existentialiste phénoménologique. Dans
ce cadre, la place particulière qu’occupent la liberté individuelle et ses limites
sera examinée.
1. L’influence de la philosophie existentialiste sur la clinique
Le terme « existentialiste » définit une manière d’être, une façon de
percevoir les êtres humains. Un psychologue existentialiste a le souci d’une
compréhension aiguisée du comportement humain. Pour Rollo May (1972), figure
marquante du mouvement humaniste existentiel américain, le point de vue
existentiel s’attache à traiter de l’homme vivant, de son expérience, de son vécu,
de son éprouvé. L’objectif de la psychothérapie existentielle est d’aider l’homme
en souffrance à inventer son chemin. S’il y a souffrance, c’est parce que dans la
conception existentialiste, il n’y a pas à priori de sens donné. Celui-ci se construit
au fur et à mesure de l’existence. C’est ainsi qu’il faut comprendre la formule de
Sartre (1970) qui veut que : « L’existence précède l’essence ». Il y a de profondes
affinités entre la pensée philosophique et la clinique existentielle. D'une part,
Kierkegaard déclare : « La vérité n’existe pour l’individu que lorsqu’il la reproduit
en action ». D'autre part, nous remarquons que les psychologues existentiels
signalent l’importance de la décision et de l’engagement. Pour eux, volonté et
décision sont des préalables pour un être humain vivant à la découverte de sa
vérité ou de sa réalité, qu’il va éprouver à tous les niveaux de son Être. La vérité
ou la réalité, dit Rollo May (1972), n’existe pas pour un être humain s’il n’y
participe pas, s’il n’en est pas conscient et s’il n’établit pas de rapport avec elle.
Les philosophes existentialistes se sont attachés à redécouvrir l’homme qui
vit, décide et subit. Selon le théologien existentialiste Paul Tillich (1999) : « Ils se
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rangent parmi ceux qui estiment que l’expérience immédiate de l’homme est plus
révélatrice de la nature et des caractéristiques de la réalité que l’expérience
cognitive ». Rollo May (1972) ajoute : « Nous avons délibérément choisi d’agir
directement auprès des hommes qui souffrent, luttent et sont agités par les conflits
les plus divers ». L’approche existentielle s’efforce de mieux comprendre le
comportement et l’expérience humaine par rapport aux postulats qui les régissent.
Nous faisons, dit Rollo May, un effort pour comprendre la nature de l’homme qui
vit ses expériences, dont celle de l’angoisse. Kierkegaard décrit l’angoisse comme
la lutte de l’être vivant contre le non-être. Pour lui, « L’angoisse est le désir de ce
que l’on craint, elle s’empare de l’individu sans qu’il puisse s’en arracher ».
Frederick Perls, cofondateur de la Gestalt-thérapie avec son épouse Laura, ne
décrit pas autrement l’angoisse lorsqu’il dit qu'elle « est la crainte de notre propre
témérité ». La thérapie existentielle va inciter le sujet à explorer ses peurs, à
prendre conscience de son potentiel face à ses peurs, à décider de son actualisation
et à s’engager sur ces fondements.
Il y a dans la pensée existentialiste, en l’occurrence sartrienne, une
affirmation radicale de l’existence d’une liberté. Il importe de tenir compte de
cette marge de libre arbitre, d’autodétermination de la personne aux prises avec sa
responsabilité. Quelle est précisément cette marge de liberté ? Cette question
occupe les penseurs depuis l’Antiquité. Ainsi pour Épictète, nous devons faire la
part du feu entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous et nous
devons faire au mieux avec cela. Nietzsche et Schopenhauer disent que j’ai encore
ma liberté d’adhérer au sort et à la fatalité, mais que je vais l’accepter, faire avec,
en tirer le maximum. Nous sommes libres de faire ce choix-là plutôt que de nous
déclarer impuissants.
Selon Sartre (1970) : « On est condamné à être libre ». On est libre, donc
responsable de ce que l’on fait, de ce que l’on ne fait pas et de ce que l’on n'aura
pas fait. Il n’y a pas de possibilité d’échapper au choix. Sartre (1970) nous dit que
l’on est dans un chaos total et que cette situation absurde est susceptible d’être
dépassée par le choix. Ce que nous sommes, nous y avons contribué.
L’approche thérapeutique existentialiste partage largement ces concepts
philosophiques. Notre conception de l’homme énonce que si nous sommes
déterminés par des forces de vie, nous sommes, comme dit Buber (1969)
« appelés à devenir », ce qui implique une notion de destin. Rollo May (1972)
ajoute : « Que nos vies soient déterminées par les forces de vie n’est qu’un côté de
la vérité, l’autre aspect est que nous déterminons ces forces comme notre destin.
Grâce à la conscience, nous pouvons nous dresser devant le destin et le
transcender, même si nous savons que nous devons mourir et que nous sommes
limités. » Cela rejoint Nietzsche et l’Amor Fati, ainsi que Camus et sa notion de
mépris contre le sort.
Le postulat philosophique humaniste énonce que l’homme est suspendu
entre les deux pôles de la liberté et de la limitation. Ils sont présents tous deux à la
fois et circonscrivent le principe de réalité dans lequel se débat l’humain, entre
grandeur et misère, entre pouvoir et impuissance. C’est dans cet espace qu’il tente
d’être l’acteur de sa vie et non pas de se vivre comme un jouet, de pouvoir malgré
tout trouver sa place.
Cette perspective de l’humain trouve son expression chez notamment Otto
Rank (1976), Paul Tillich (1999), Martin Buber (1969), Fritz et Laura Perls, James
Bugental, Rollo May (1972), Irving Yallom (2008). Tous tiennent le langage de la
volonté, de la capacité de choisir, de la responsabilité, de l’engagement. Selon
Frankl (1988), « En définitive, l’homme décide pour lui-même et en dernière
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analyse, l’éducation consiste à le conduire vers la capacité de décider ». De même,
pour Paul Tillich (1999), « L’homme ne devient pleinement humain qu’au
moment de la décision ». Rollo May (1972), quant à lui, considère que le
fondement de cette éducation réside dans l’apprentissage de la constitution par la
personne de ses valeurs propres et autodéterminées.
Ce qui est central à l’option humaniste, qui fonde et dans laquelle
s’enracine son éthique thérapeutique, c'est le système de valeurs de la personne.
C’est en se confrontant dans une situation claire et définie à ses critères de valeurs
propres que la personne en viendra à faire un choix et à prendre une décision
menant à un ajustement créateur. À l’heure actuelle, la caractéristique principale
de la thérapie humaniste consiste à créer son monde et à trouver cet ajustement
créateur qu’il ne faut pas confondre avec la soumission ou l’adaptation. La
problématique de la souffrance de l’individu est la difficulté qu’il a à intégrer dans
son existence ces deux capacités – une positive et une négative –, qui sont celles
de la liberté et de la limitation. L’homme a du mal à accepter la limitation, mais a
tout autant de mal à accepter la liberté parce qu'elle entraîne la responsabilité et
qu'il ne se reconnaît pas la capacité de choisir. Il n'est jamais sûr de ne pas se
tromper et faire le choix implique le deuil de tous les autres possibles.
2. La démarche thérapeutique
Le chemin sur lequel l’homme va tenter de se constituer n’est pas facile. Il
peut être en butte à la souffrance. Le sujet de la psychothérapie est l’homme en
souffrance. Le déclencheur, la cause immédiate motrice de la venue en thérapie
est une montée d’angoisse associée à la souffrance. Elle est occasionnée par la
rencontre de l’être humain avec certaines situations. Ce sont, nous dit Yallom
(2008), des situations de confrontation inévitables avec des données existentielles
fondamentales telles que la solitude, la quête de sens, la finitude, l’imperfection et
la responsabilité, ou circonstancielles, c'est-à-dire physiques, sociales, éducatives,
économiques. L’angoisse surgit lorsque la personne est confrontée à un
environnement et que celui-ci est perçu comme menaçant et dangereux. Pour
éviter cette montée d’angoisse, la personne bloque le contact et met en place des
mécanismes de défenses ou résistances. La pathologie est donc considérée comme
un court-circuitage de l’angoisse par le biais des résistances. Cela permet à la
personne de se protéger à la perspective d’un contact. Les mécanismes de défense
mis en place, même s’ils sont devenus aujourd’hui obsolètes, ne peuvent pas
laisser le champ libre à un ajustement créateur. L’angoisse surgit aussi au moment
de la décision, faute d'assurance d’avoir fait le bon choix.
La démarche thérapeutique traitera de cette angoisse. Pour cela, il faudra
identifier la ou les résistances en cause, leur nature et ce contre quoi elles
protègent. De plus, la personne nie sa liberté en utilisant différentes stratégies
telles que l’impulsivité, la posture de l’innocente victime, la compulsion, etc. Elle
peut aussi tenter d’éviter, d’évacuer son angoisse liée au déni de ses limites, ce qui
peut prendre différentes formes comme le refus de choisir, l’incapacité totale à
prendre des décisions, l’immobilisme ou le refuge dans la rêverie ou le fantasme
de l’omnipotence, dans la prise de risques démesurés où on ne tient pas compte de
ses limites, etc.
Nous pouvons dire qu’il s’agit là de manifestations symptomatiques.
Irving Yallom (2008) estime qu'au cœur de toute névrose, il y a une problématique
qui lui donne son sens. L’exercice de la liberté et de la responsabilité ne met pas le
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sujet à l’abri de la culpabilité névrotique, objective ou existentielle.
Le déni des limites – qui repose souvent sur un profond mépris de soi –
oblige la personne à être parfaite dans ses capacités et réalisations pour avoir le
droit de vivre. Soit la personne sombre dans la dépression, soit elle a recours à un
déni massif de ses imperfections. Travailler sur l’angoisse va redonner à la
personne sa marge de pouvoir sur sa liberté et ses limitations. En thérapie, nous
évaluons les éléments constitutifs de la situation susceptibles d’être
potentiellement ou activement anxiogènes. Un travail de prise de conscience a lieu
sur :
• le désir ou les besoins manifestes ;
• les ressources et le pouvoir propre ;
• les ressources et le pouvoir que la personne prête à l’environnement ;
• les données existentielles en cause dans la situation exposée au présent.
Pour chacun de ces éléments, notre diagnostic se fondera sur une
évaluation de la juste appréhension ou du déni, de l’évitement, du trouble mis en
place qui ne permet pas à la personne une gestion effective de son désir, de ses
décisions, de ses choix, de ses engagements, de ses valeurs, etc. Le traitement se
fera par la mise en évidence des mécanismes de défense à un niveau cognitif,
émotif et moteur, puis viendront les phases de clarification du sens de cette
résistance, d'essai expérimental d’autres comportements possibles avec une
évaluation et une intégration éventuelle. La clé de ce changement se trouve dans le
système de valeurs de la personne.
Notre objectif est double : confronter la mesure de l’anxiété à la réalité et
repousser le seuil du mécanisme d’angoisse. Nous incitons la personne à
s’engager à petits pas avec une conscience des choses qu’elle maîtrise et celles
qu’elle ne maîtrise pas aujourd’hui, en tenant compte de la difficulté de
l’expérience.
En bref, la thérapie existentielle est la difficile confrontation de la
conscience de nos blessures et angoisses passées et présentes, pour mesurer
qu'aujourd’hui, si nous n’avons pas été responsables de ces blessures infligées,
nous sommes responsables et pouvons être auteurs et créateurs d’un nouveau
chemin de vie avec toute la conscience de nos limitations actuelles (parfois aussi
liées aux conséquences de notre passé) et donner un sens à une nouvelle existence.
Cela ne peut se faire sans croire à la marge de liberté et à la capacité de changer ce
que nous pouvons changer en prenant la juste part de notre responsabilité, ce sur
quoi nous avons un pouvoir. C’est pouvoir mettre de la clarté sur qui nous
sommes et notre impact sur nous-mêmes et le monde qui nous entoure. C’est vivre
à la fois libre et limité.
La thérapie est le moyen de sortir de ces mécanismes de non-vie qui ont
aidé jusque-là la personne à se protéger de l'angoisse, pour oser être ce qu'elle est
appelée à devenir, vivante et consciente des contraintes de la vie, consciente de
ses besoins, de ses capacités en termes de ressources, de ses valeurs au moment de
gérer la situation qui l’angoisse.
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3. La méthode employée en psychothérapie existentielle
La méthode est largement inspirée de la phénoménologie. Celle-ci trouve
ses origines principalement chez Goethe, Husserl, Heidegger, Jaspers. En tant que
philosophie, elle a influencé Binswanger et Boss dans leur pratique thérapeutique.
On ne peut aujourd’hui limiter notre pratique de thérapeute existentiel à la seule
phénoménologie. Elle est également dialogale et expérimentale.
La phénoménologie est une méthode d’investigation du phénomène et du
logos. Le terme « phénomène » a son origine dans la philosophie grecque. Il
signifie « ce qui sort de », ce qui est caché, secret, essentiel. Goethe a une
conception de l’homme qui représente déjà une nouvelle attitude scientifique : « Il
ne faut pas chercher derrière les phénomènes. Ils sont l’apprentissage en soi ».
Husserl et Heidegger formulent quant à eux : « Il faut revenir à la chose même,
uniquement à la chose même ».
Mais cette chose même, c‘est ici dans le présent que je la constitue. La
méthode phénoménologique s’intéresse au « comment », ce quelque chose qui est
caché, se montre et devient visible. Le sens de ce qui devient visible est donné par
cette personne-là. On pose des questions aux êtres humains et on cherche la
signification phénoménologique, le sens pour cette personne-là. C’est un effort
pour faire l’expérience des phénomènes dans toute leur réalité, au fur et à mesure
qu’ils se présentent. Heidegger nous dit qu’il faut différencier le phénomène de
l’apparence. Il explique que l’apparence est un signe qui montre ce qui est caché
et cela se manifeste par le symptôme. Par exemple dans l’hépatite, on ne voit pas
le dommage au foie, mais la couleur jaune dans les yeux du malade. Le
phénomène se caractérise par un aspect double : le « caché » et le « manifeste »,
qui est ce que l’on voit. Par exemple, les larmes sont la manifestation (ontique) de
l’émotion cachée, causée par une perte ou un sentiment d’impuissance
(ontologique). Chaque phénomène est associé à une manifestation cachée.
C’est une attitude d’ouverture, d’empressement à entendre la réalité de ce
que vit le patient, sans jugement. Pour Binswanger, cette méthode est efficace sur
le plan thérapeutique. Ce n’est pas uniquement un concept thérapeutique.
L’analyse de l’existence du malade permet de surmonter les conflits qui bloquent
sa liberté. Boss ajoute : « Les phénomènes de l’existence humaine ne peuvent être
compris que dans leur nature de l’étant et du signifiant si l’on renonce à les faire
décliner d’une causalité ou autre chose ».
La phénoménologie, à la base, tente de décrypter les phénomènes afin que
le patient puisse en déduire le sens qu’ils ont dans son existence. Elle traite de la
relation entre l’être humain et le monde en tant qu’objet et sujet. Nous devons être
attentifs à la compréhension que le patient a du monde et à son discours.
En thérapie, nous nous intéressons au phénomène, au noyau en soi existant
de l’Être, à ce qui reste caché. Cette signification phénoménologique donne une
explication sur le « comment cela se passe » pour le patient. Celui-ci n’est pas
simplement vu comme un corps, un appareil psychique, un sujet, il a une existence
humaine avec toutes les relations que cela implique avec le monde. Nous tentons
d’avoir une compréhension de sa relation au monde perturbée, incapable – nous
dit Heidegger – de sentir le comportement des autres, incapable de parler de ce
qu’il veut et souhaite, incapable de se confronter aux autres. C’est le langage qui
va permettre à la personne de se faire voir et de se constituer en tant qu’Être. La
rencontre thérapeutique se fait sur la base d’être ensemble.
Lorsqu’un patient entre dans notre cabinet de consultation, nous avons une
expérience puissante : la personne qui se présente est différente de la
représentation qu’on s’en est faite à la lecture de son dossier. Nous sommes face à
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un être nouveau et notre connaissance à son sujet prend soudain une nouvelle
forme.
Le cabinet de consultation constitue une réalité du moment dans un certain
contexte entre deux personnes (thérapeute et patient) et dans un cadre spécifique
thérapeutique. Le thérapeute va participer à la compréhension du monde de son
patient, non pas en essayant d’interpréter ce qu’il dit ou en tentant de le changer,
mais en essayant de le rencontrer. Être ensemble, signifie être ensemble dans le
même monde, alors que le patient a perdu le monde dans lequel il vit. La tâche du
thérapeute est de s’ajuster au monde de la personne en demande d’aide qui vit
pour l’instant dans un système fermé trop stable pour lui permettre de changer.
Être ensemble, cela veut dire pour le thérapeute, avoir conscience de ses
perceptions, ses ressentis et actions, sans les imposer au monde de son patient, au
filtre de ses croyances et de ses jugements. Cela demande une capacité
d’intégration que le patient n’a pas. Le thérapeute doit s’efforcer de percevoir son
patient dans son vécu, dans son expérience stérilisée de toute contamination, par
un apport cognitif préexistant ou par ses projections. C’est ce que les
phénoménologues nomment « époché ».
« La phénoménologie est le triomphe de la subjectivité », nous dit
Merleau-Ponty. L’intersubjectivité avec nos patients doit être construite pour
qu’ils puissent acquérir la maturité qui va leur permettre d’agir différemment et de
sortir de leur système d’exploration du monde, jusque-là inhibé. Remettre en route
le système de jeu, de créativité, qui va permettre d’avoir d’autres comportements
au quotidien, ne peut se faire que si l’intersubjectivité est permise. Pour construire
cette intersubjectivité avec nos patients, nous devons être dans le présent sans
interpréter, car l’interprétation nous éloigne de l’expérience immédiate de l’instant
présent. Cette rencontre de deux psychiques, pour partager ces moments
phénoménaux, se fait à un niveau implicite. Dans cette rencontre, le patient a
besoin d’être compris dans son ressenti. Alors qu’il dit et montre quelque chose,
nous le rejoignons, nous validons son sentiment affectif. Parce qu’il est en sécurité
et ne se sent pas seul, il explore des phénomènes nouveaux et passe par un état de
grande instabilité. L’objectif va être de le soutenir et de le reconnaître dans la
perception qu’il a de lui-même, de ses faiblesses, de ses manques, de son
impuissance.
Nous rejoignons le patient grâce à notre empathie nécessaire à l’inclusion.
Pour Buber (1969), l’inclusion est l’acceptation de l’affirmation, de la
confirmation de la réalité et de la validité de l’expérience, du vécu de l’autre, tout
en maintenant son propre point de vue sans tomber dans la confluence. On peut
parler de cette différence, la reconnaître, l’éprouver sans jugement, non sous la
forme de « ça, c’est bon et ça, ce n’est pas bon », mais simplement « ça, c’est
réel ». Le thérapeute confirme le patient dans son droit à être comme il est. Le
thérapeute a la capacité d’accepter ces deux réalités, de les confronter, sans
affrontement.
L’inclusion, c’est être au plus près de l’expérience de l’autre, tout en
restant « aware » de soi comme individu séparé, et en reconnaissant la part de
projection que cela comporte, car on ne peut faire réellement l’expérience de ce
qu’il vit. Ce concept « Bubérien » est voisin de l’empathie, mais il est plus proche
de l’action que de l’attitude. C’est vivre en commun un événement, tout en restant
dans son vécu propre.
La question du « comment » nous permet d’explorer ce qui se passe
« pour » lui. Face à cela, le thérapeute montre de l’intérêt, de la présence, de la
confirmation, il l’incite à examiner ce « comment c’est pour lui ». Cet intérêt pour
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lui et son vécu, se manifeste au niveau verbal et non verbal, par la voix, le regard,
toute notre expression, attitude. Nous recherchons un feedback sur ce qui est
ressenti par le patient et peut être amélioré chez lui, en prenant en compte le
contenu des mots, l’expression du visage, la posture, différentes variables
paralinguistiques, le ton qui monte ou qui descend, le comportement. Dans le
cadre de cette confiance, nous valorisons qu’il fait au mieux de ce qu’il peut. Par
tous ces moyens, le patient tente de communiquer des affects et ne sait pas s’il
veut créer un contact. Dans la thérapie, nous portons toute notre attention aux
informations que nous donne le patient sans qu’il se sente observé, car alors
apparaît facilement la honte d’être ce qu’il est.
Le fait que la personne fonctionne de cette manière a un sens dans son
histoire et elle reproduit dans la séance comment elle s’est protégée jusque-là.
Dans ce présent phénoménal, il faut qu’elle continue à le faire. Avec le temps,
l’intersubjectivité va être maintenue. Alors que la personne peut reconnaître et
confirmer que c’est ainsi qu’elle ressent les choses, nous pouvons lui faire
entendre que si elle le veut, nous pouvons changer cela ensemble, mais que c’est
finalement elle qui décide de ce qu’elle fait, elle qui en a le contrôle. Pour le
thérapeute, il ne s’agit pas seulement de rejoindre la personne là où elle en est,
mais aussi de changer l’immobilisme duquel elle pense ne pas pouvoir sortir.
Cet intérêt à ce que nous faisons nécessite de la part du thérapeute une
juste distance relationnelle et une mise à distance de notre jugement, surtout
lorsque le patient nous entraîne dans ce qu’il vit de dramatique. Cela est parfois
difficile… D’autant plus que dans la relation, nous devons constamment prendre
en compte les excès et les insuffisances de confiance pathologiques que le patient
a envers lui-même et envers son thérapeute. Pendant la séance, le thérapeute croit
que ce que la personne fait au cours de l’entretien a une signification, mais il ne
présume pas de la direction que doivent prendre les choses. Notre art est d’utiliser
tout ce qu’il y a là, entre nous. Nous travaillons ensemble principalement sur ses
convictions et leur nature. Nous essayons ensuite de voir s’il n’y a pas une autre
perspective possible. Nous commençons à faire de petites expérimentations de
réflexions en lien avec le corps, avant de passer au niveau cognitif. Lorsque les
affects ont changé, une nouvelle conviction peut alors se développer : « je peux
changer ». Nous effectuons de petits changements et nous évaluons combien il est
possible d’en intégrer. À ce stade, le sentiment d’être soi-même commence à être
un peu partagé. Émerge alors chez la personne une compréhension de son passé,
de son présent, de son futur immédiat et de ses possibilités de réguler ses affects.
Nous faisons cela en nous concentrant sur ses intentions et ses motivations. La
personne apprend à être régulée par quelqu’un d’autre, apprend à réguler son
degré d’exposition, intègre par exemple qu’elle n’a pas besoin d’aller plus loin
que ce qu’elle est capable de faire. Elle n’est plus animée par son système d’action
de défense. Elle apprend à avoir des pensées et une existence propre : elle prend sa
place de sujet.
Cette sensation – cet acte de contact et d’acceptation de qui elle est, une
fois admis – lui procure, parfois pour la première fois de sa vie, cette expérience
de « puisque je suis, j’ai le droit d’être ». C’est l’expérience de sa propre
existence. Cela a pu se faire parce qu’elle a trouvé en son thérapeute quelqu’un
qui l’a traité en tant que personne. Elle éprouve alors le sentiment de sa propre
existence, d’une personne qui peut être dans le monde et qui se vit comme
légitime. Nous parlons là de sa capacité d’ajustement, d’adaptation et
d’engagement dans la relation avec elle-même, avec l’autre et sa relation
interpersonnelle avec les autres êtres humains. Elle fera alors l’expérience de la
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réalité avec plus de vitalité et plus de sens. Pour parvenir à cela, la personne a
besoin d’une expérience authentique.
Le praticien, dans son exercice de la thérapie humaniste existentielle, doit
faire preuve face à son client, des valeurs susceptibles de l’inspirer, des qualités
personnelles d’être au monde, des attitudes caractéristiques de l’attitude dialogale,
qui doivent être manifestes. Elles sont de nature à favoriser un travail
thérapeutique fructueux. Il doit être capable :
- de présence, être là :
Lorsque le client évoque une pensée, un souvenir, un sentiment au
thérapeute, être là c’est être « aware », être conscient de…, être réceptif, être ici,
présent avec cette personne, dans ce moment-là, être attentif, capable d’empathie,
à l’écoute de ce qu’elle dit, à l’écoute de ce que je pense, en résonnance avec les
sentiments qu’elle exprime, être capable de s’identifier à, être entièrement centré,
au diapason de l’environnement et du patient.
Cette qualité de présence sur la durée est rare. C’est être dans l’acceptation
et la suspension du jugement. Lynn Jacobs indique : « Pour le thérapeute, c’est
renoncer à son besoin d’être validé comme bon thérapeute, de faire du patient un
objet qui par ses « progrès », renverrait au thérapeute une bonne image de luimême. C’est pouvoir être ému, touché, comme un être humain et en témoigner ;
c’est aussi se sentir à la fois puissant et impuissant, ayant foi en sa capacité d’aider
le patient, mais en sachant qu’il est limité par le désir du patient à guérir. »
- d’authenticité, c’est la question de la transparence, être ce que l’on
paraît :
Lynn Jacobs dit à ce sujet : « Le thérapeute doit se sentir libre d’être luimême, en manifestant une distance professionnelle. Tout en se gardant d’envahir
le champ du patient avec ses propres affects, il peut être amené à partager son
ressenti à propos de ce que suscite le patient en lui, ce qui éventuellement permet
au patient de devenir « aware », plus conscient de ».
- de compétence relationnelle :
Il nous est nécessaire d’avoir une bonne mesure de compétence
relationnelle, de savoir être en relation pour qu’un climat de confiance s’installe.
Cette compétence s’affine dans notre capacité de dialogue. C’est le « Je » et le
« Tu » de Buber (1969). Nous reconnaissons que nous n’avons pas une
considération positive inconditionnelle de notre client. De plus, nous tentons de
faire abstraction de notre jugement. Tout cela dans le but de l’inclure.
- d’autorité fonctionnelle :
Nous ne sommes pas dans une situation de pleine mutualité, notre
motivation n’est pas la même que celle de notre patient. Pour Buber (1969), le
client suit une thérapie parce qu’il pense que l’on a des choses à lui apprendre. Le
thérapeute doit se reconnaître cette autorité. Elle est basée sur des connaissances
théoriques, expérientielles, expérimentales. Autorité veut dire que c’est le
thérapeute qui a en charge la thérapie, il en a la responsabilité. L’autorité
fonctionnelle touche de très près à la responsabilité opérationnelle.
- de respect, de considération positive.
- de loyauté :
Être capable de s’engager et de tenir son engagement. Ce dernier volet
prend en compte le « savoir être » du thérapeute qui s’ajoute à son savoir (à ses
connaissances théoriques) et à son savoir-faire qui résulte de l’application de son
savoir théorique à la méthode employée, à son expérience.
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Bibliographie :
Alport, Feiffel, Maslow, May, Rogers, (1971). La psychologie existentielle. Paris :
Éditions de l’Épi.
Buber, M. (1969). Je et Tu. Paris : Éditions Aubier.
De Carvalho R. J. (1996). L’éthique humaniste de Rollo May. Gestalt n°10.
Frankl, V. (1988). Découvrir un sens à sa vie. Montréal : Éditions de l’homme.
May, R. (1972). Le désir d’être. Paris : Éditions de l’Épi.
Rank, O. (1976). Volonté et psychothérapie. Paris : Payot.
Salathé, M.-N. (2008). Ma lecture de la phénoménologie. Gestalt, hors série.
Salathé, M.-N. (2008). Mourir pour exister ou la destinée tragique du homard,
Réflexion sur une pratique, Actes de la journée d’étude champ G, Exister :
quels enjeux ?, Lille.
Salathé, N. K. (1983). La Gestalt : une philosophie clinique, Société Française de
Gestalt, 1er Congrès francophone, Paris.
Salathé, N. K. (2005). Psychothérapie existentielle. Villars-sur-Ollon (Suisse) :
Chalet Aware.
Sartre, J.-P. (1970). L’existentialisme est un humanisme. Paris : Éditions Nagel.
Tillich, P. (1999). Le courage d’être. Paris : Éditions Cerf.
Yallom, I. (2008). Thérapie existentielle. Paris : Éditions Galade.
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