A quoi sert le Parti communiste chinois

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A quoi sert le Parti communiste chinois
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A quoi sert le Parti communiste chinois ?
par Benoît VERMANDER
| SER-SA | Études
2005/4 - Tome 402
ISSN 0014-1941 | ISBN | pages 461 à 470
Pour citer cet article :
— Vermander B., A quoi sert le Parti communiste chinois ?, Études 2005/4, Tome 402, p. 461-470.
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International
A quoi sert
le Parti communiste chinois ?
B ENOÎT V ERMANDER
J
USQU’À
quel point le parti communiste contrôle-t-il
encore la Chine ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses
présentes ? La Chine est-elle aujourd’hui concevable sans
le système de pouvoir forgé par le Parti-Etat ? Difficile de
répondre à ces interrogations sans évoquer d’abord les mouvements qui traversent la société civile chinoise.
Une contestation en résurgence
La contestation sociale avait enregistré une forte avancée en
Chine durant les années 1997-1999 avec la réforme du système
des entreprises d’Etat, laquelle mettait en cause l’emploi et le
système de protection d’une bonne partie de la population. La
manifestation organisée par le mouvement millénariste
Falungong devant le siège du Parti, en avril 1999, signait l’apogée de cette contestation. La répression qui s’ensuivait comme
la vigueur de la croissance économique mettaient un terme à
l’effervescence. Pourtant, au cours des années 2003 et 2004, les
protestations se sont de nouveau multipliées : d’après les
statistiques officielles, 60 000 mouvements de protestation,
d’ampleur très variable, auraient eu lieu en 2003, soit huit fois
plus qu’une décennie auparavant ; les agitations fomentées par
des leaders paysans ou des citadins spoliés de leur logement
Jésuite. Institut Ricci de Taipei
Études - 14, rue d’Assas - 75006 Paris - Avril 2005 - N° 4024
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connaissent une ampleur de plus en plus évidente ; l’émeute
qui s’est produite dans la ville de Wanzhou au Sichuan, en
octobre 2004, a pris une dimension symbolique : des dizaines
de milliers de personnes s’étaient alors rassemblées à la
suite de l’algarade entre un cadre gouvernemental et un colporteur, et avaient incendié l’immeuble du gouvernement
local. Certes, aucun de ces mouvements n’a pris directement
pour cible le régime politique (la corruption des cadres ou les
griefs économiques restant au centre des revendications), mais
l’accroissement et la hardiesse des protestations n’en sont
pas moins très prononcés.
Devant de tels symptômes, la question posée en introduction peut être déjà précisée : le PCC est-il encore capable
d’assurer les missions qui ont été les siennes historiquement, la
mobilisation nationale et le maintien de l’ordre ? Le Parti,
moteur du développement chinois, en est-il devenu le frein?
Quel avenir lui est-il réservé? Si l’on considère l’influence qui est
désormais celle de la Chine sur l’économie et la politique mondiales, pareilles questions revêtent une importance décisive.
Un parti fort et légitime
On ne peut apprécier justement les menaces qui pèsent sur le
Parti communiste chinois que si l’on estime d’abord à leur
juste poids les atouts qui étaient et demeurent les siens. Le
Parti est auréolé d’une forte légitimité parce qu’il a construit et
écrit avec constance l’histoire de son rôle prééminent dans la
lutte de libération. Il a gagné la guerre civile contre un Parti
nationaliste (Guomindang) affaibli et corrompu. Au travers de
bien des drames et errances, il a conduit la Chine sur la route
de l’indépendance nationale, de la reconnaissance internationale et du progrès économique. S’il a été fragilisé par la
Révolution culturelle, son leader historique, Mao Zedong, a
pris une place mythique dans l’histoire chinoise, et son successeur le plus prestigieux, Deng Xiaoping, a établi une
seconde fois la légitimité du Parti en créant les conditions de la
croissance chinoise dans un système qui, jusqu’à aujourd’hui,
mêle savamment logique capitaliste et macro-politiques arrêtées par le collectif qui, désormais, gère tout à la fois la destinée
du Parti, celle de l’Etat et celle du peuple.
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La deuxième force du Parti tient à la symbiose qu’il
entretient avec l’appareil étatique lui-même. Son secrétaire
général est désormais presque automatiquement le chef de
l’Etat. A tous les niveaux, de nombreux organismes gouvernementaux ne sont pas séparés de l’institution ad hoc du Parti, la
plaque du Parti et celle de l’Etat s’affichant alors sur le mur et
le papier à lettres de l’administration en question... (tel est le
cas, par exemple, de l’organe qui détermine la politique à
suivre envers Taiwan). L’idéal léniniste du Parti-Etat a été pleinement réalisé en Chine, à tel point que se pose fortement la
question de ce que pourrait être un modèle alternatif si
demain le Parti communiste chinois n’existait plus — une
hypothèse que la grande majorité des Chinois n’est même
pas en mesure d’imaginer.
Le troisième atout du Parti tient à sa stabilité interne, au
moins dans la période récente. Finie l’époque des règlements
de compte sanglants. La transition politique a été encore difficile en 1989, lorsque Deng s’est finalement résigné à installer
Jiang Zemin au pouvoir. Mais le passage de relais entre Jiang et
Hu Jintao en 2002-2003 a été bien orchestré, quelles qu’aient
pu être les rivalités personnelles. Le Parti connaît désormais
des règles de fonctionnement et de succession qui semblent
établir sa pérennité.
Des vulnérabilités croissantes
Et pourtant, le Parti n’est plus ce qu’il était... Quelles sont, au
juste, les difficultés qu’il rencontre, et à quoi les attribuer ?
Historiquement, le Parti a rempli un rôle analogue à
celui exercé par des forces politiques similaires dans nombre
de pays en développement : il a été un levier de mobilisation pour le relèvement national, politique et économique
tout autant. La tâche de mobilisation politique a été assumée
dans la première moitié du régime par un parti qui se concevait avant tout comme une avant-garde prolétarienne. Le travail de mobilisation économique qui a prédominé dans la
période récente a entraîné la transformation du Parti en
un organe de délibération, décision et contrôle, lequel a
contribué tout à la fois à libéraliser les institutions écono-
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miques et à assurer la « stabilité » sociale et politique, le
terme de stabilité restant jusqu’à aujourd’hui un terme-clef
du vocabulaire du pouvoir.
On peut se demander si le Parti n’est pas, jusqu’à un
certain point, victime de son succès. Les bases du développement économique une fois assurées, le rôle de l’initiative individuelle, la nécessaire pluralisation de la société civile et la
nécessité d’une circulation rapide et fiable des flux d’informations font du parti communiste un frein plus qu’une locomotive pour l’accès aux étapes suivantes du développement
national, étapes qui deviennent plus qualitatives que proprement quantitatives. A titre d’exemple, les grands projets
d’infrastructures (barrages) sont ceux que porte avec prédilection un Parti-Etat fort, mais les besoins sociaux et économiques se diversifient et nécessitent de laisser toute leur place
aux initiatives locales, citoyennes et privées. Une exception
reste à faire pour les projets de rééquilibrage des pôles de croissance sur l’ensemble du territoire, et l’accent mis depuis
quelques années sur le développement du Grand Ouest chinois
correspond bien aux tâches traditionnelles assumées par le
Parti. Certes, le rôle économique du Parti a évolué : actuellement, il régule et distribue plus qu’il ne mobilise. Le problème
est que ces fonctions nouvelles sont par nature « étatiques »
plus que « partisanes ». Le Parti autrefois a contribué à fonder
l’Etat ; il en prend aujourd’hui la place, avec plus de partialité
et moins d’efficacité que ne le fait un Etat moderne.
Le PCC court d’autant plus le risque d’être considéré
comme un frein pour les étapes à venir du développement chinois que les accusations de corruption pèsent lourdement
contre lui. L’accumulation du pouvoir de décision chez les
fonctionnaires du Parti-Etat a multiplié les occasions d’enrichissement illicite dans des proportions gigantesques. Le
Premier ministre Wen Jiabao évalue le montant de la corruption à 5 % du PIB, et d’autres estimations plus larges sur les
dysfonctionnements du système triplent presque ce chiffre. La
libéralisation rapide des structures économiques au cours de la
décennie quatre-vingt-dix a fortement accru ces occasions,
dans la mesure où la transformation des entreprises d’Etat en
structures privées a souvent été équivalente à un transfert de
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capital vers les décideurs eux-mêmes. D’avant-garde prolétarienne le Parti s’est transformé en expression de la classe
dominante, une classe vue souvent comme moins productive
qu’elle n’est devenue parasitaire. Et son évolution sociologique
reflète cette transformation fonctionnelle.
Assez curieusement, la réponse du Parti tend à nourrir
cette image : il a cru d’abord pouvoir restaurer son lustre en
lançant une répression sévère dans certains cas où des responsables haut placés avaient été convaincus de corruption. Mais
le caractère sélectif de la répression exercée est clair aux yeux
de la population. Par ailleurs, la « corruption » est devenue un
argument politique en cas de conflit de pouvoir entre dirigeants, comme l’accusation de déviance idéologique l’était
dans les périodes plus anciennes. Le Parti risque donc de renforcer par son propre discours le déficit de légitimité que
creuse déjà le scandale d’une corruption partout répandue.
Le discrédit qui frappe le Parti a donc davantage à voir
avec des problèmes de « gouvernance » qu’avec une demande
sociale forte pour une démocratisation « à l’occidentale ». Le
peuple chinois reste sensible aux risques de désordre social,
et c’est là un argument dont le Parti sait jouer. D’un autre côté,
l’aspiration à une information plus diversifiée et plus crédible
s’affirme fortement, l’information étant en elle-même un facteur de croissance et de modernisation. Dans ce domaine, le
Parti ne joue qu’un rôle répressif, contrôlant l’Internet et
les messages téléphoniques par les moyens les plus sophistiqués, et exerçant toujours une censure sévère sur les médias
et les livres. Le soupçon que le Parti aurait fini de remplir
son rôle historique, le frein qu’il oppose à la modernisation
de la gouvernance, ses contradictions internes et la corruption qu’il concourt à entretenir, voilà donc ce qui menace
essentiellement le PCC.
Des réponses hésitantes
Le Parti communiste chinois est, bien sûr, conscient de cette
crise. Hu Jintao a même affirmé que « la crise du pays est à
l’intérieur du Parti ». Outre la réponse directe que représente
la lutte contre la corruption, trois stratégies ont vu le jour au
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cours des cinq dernières années. La première réponse a
consisté à montrer que le PCC n’était pas devenu un simple
parti de gestion, mais qu’il restait un parti de mobilisation
— en déplaçant la mobilisation nationale vers des objectifs
nouveaux : dans le vocabulaire du régime, le Parti ne doit pas
s’occuper seulement du développement de la « civilisation
matérielle », mais aussi de celui de la « civilisation spirituelle ».
Il garde le monopole de cette tâche, malgré le défi représenté
par les religions, les mouvements millénaristes comme
Falungong ou les suggestions faites par des intellectuels pour
substituer au marxisme-léninisme une version modernisée du
confucianisme. La nouvelle mobilisation consiste donc à
étendre le rayonnement de la civilisation spirituelle chinoise
comme la définit et redéfinit le secteur idéologique du Parti.
Ainsi présentée, pareille perspective n’est pas réellement mobilisatrice, et des éléments additionnels s’avèrent nécessaires si
l’on espère entraîner l’adhésion populaire. L’élan pour le rattachement de Taiwan à la mère-patrie, l’obtention des Jeux
Olympiques ou la conquête de l’espace sont là pour donner ce
« supplément d’âme » qui ne vise pas seulement à entretenir la
fierté nationale, mais aussi à prouver que le Parti fournit la
dynamique capable de faire briller la flamme de la culture et
de la tradition chinoises plus clair et plus haut.
Une deuxième stratégie a été celle de Jiang Zemin. Elle
a consisté à prendre acte et à justifier le changement de nature
du Parti et à en redéfinir alors le rôle dans l’étape nouvelle
qu’aborde la Chine ; tel est l’argument derrière la théorie des
« Trois Représente » (san ge daibiao). L’expression est presque
aussi maladroite en chinois qu’elle l’est en français. Son sens
est le suivant : le Parti représente la culture avancée, les relations de production avancée et les intérêts de la majorité du
peuple. Entendre par là : il n’est plus question de lutte de
classes (une notion du reste déjà abandonnée par Deng
Xiaoping) ; les entrepreneurs et les intellectuels doivent trouver toute leur place dans le Parti ; le PCC joue un rôle de
pointe, non plus celui d’être l’avant-garde du prolétariat, mais
plutôt celui d’exprimer les aspirations des classes moyennes à
la prospérité et à la modernité. Il s’agit donc bien de solidifier
un nouvel establishment, solidement arrimé au pouvoir économique, politique et culturel.
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Si le PCC peut et veut ainsi apparaître comme une
méritocratie (ce qu’il est en partie, du fait du fort relèvement
du niveau éducatif de ses cadres), il est clair que pareille stratégie risque fort de renvoyer plutôt l’image d’une ploutocratie
en voie de consolidation. D’où le correctif apporté par Hu
Jintao. Le successeur de Jiang Zemin s’efforce en effet de transmettre un message nettement plus populiste, plus soucieux du
sort des paysans et des pauvres des villes. Le style patricien
projeté par Jiang dans les dernières années renforce le
contraste et, par là, facilite la tâche de Hu Jintao. Mais cette
veine populiste ne s’accompagne, pour l’instant, d’aucune
libéralisation sur le fond ; le contrôle sur les publications et
l’Internet semble même s’être renforcé. Le moment de transparence consécutif à la crise du SRAS, au printemps 2003, est
resté un épiphénomène, peut-être habilement manipulé pour
affaiblir la position politique de Jiang Zemin et de ses protégés.
Les scénarios de transformation
Le Parti ne semble donc pas tout à fait sûr de la voie à
suivre pour pérenniser son pouvoir. C’est sans doute pour
cela que les réformes politiques sont repoussées sine die. Si
la démocratie locale s’est affirmée au niveau des villages,
elle n’a pas gagné l’échelon supérieur (et les élections villageoises ne s’accompagnent pas de transferts budgétaires
ou de compétences).
Dans les cercles dirigeants, la suprématie du Parti n’est
jamais remise en cause. Si la Chine est formellement un système multipartis, les huit petits partis « démocratiques » sont
tenus de coopérer à la discussion politique dirigée par le PCC.
La Chine n’est donc pas soumise à la dictature d’un parti
unique, insistent les dirigeants. Mais le multipartisme n’est pas
équivalent à l’admission d’une opposition, et celle-ci a été plusieurs fois et très clairement proclamée illégale. Une évolution
vers un système à l’occidentale est donc clairement rejetée. En
revanche, un travail de fond a commencé d’être entrepris pour
développer la démocratie interne au sein même du Parti.
Encore qu’il n’ait pas été rendu public, le format de certaines
élections au cours des plenums du Parti a récemment facilité la
défaite de la faction la plus conservatrice. Si la réforme interne
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va plus loin, peut-être deviendra-t-elle le levier qui hâterait
l’évolution politique de la Chine. Mais les changements
s’effectuent avec lenteur et prudence, et rien ne prouve non
plus que les transformations politiques promues par la majorité des membres du Parti auraient une direction constante.
Après la décomposition de l’ex-Union soviétique, les
études prospectives menées au sein du Parti ont sans doute
envisagé de très nombreux scénarios. L’intérêt de Jiang Zemin
et d’autres dirigeants pour un système en son essence socialdémocrate a été maintes fois exprimé auprès des observateurs
étrangers. Mais, en même temps, il a toujours été présenté
comme inapplicable à court ou moyen terme. On peut même
avancer l’hypothèse que les débats internes sur les évolutions
possibles se sont plutôt rétrécis ces dernières années, notamment depuis l’affaire Falungong. Un indice de cette pusillanimité a été le contrôle obsessionnel exercé en janvier 2005 sur
la cérémonie funéraire organisée pour Zhao Ziyang, l’ancien
secrétaire général du Parti purgé après les événements de
Tiananmen. La démocratie à l’occidentale a été qualifiée
d’« impasse pour la Chine » par Hu Jintao. Le PCC entend
conserver son pouvoir, mais il sait que, pour ce faire, il doit se
transformer lui-même. C’est donc l’ampleur et la direction de
ces transformations qui, dans le futur, devront retenir l’attention. D’une certaine façon, ce constat redonne un sens à la
« pékinologie », un temps passée de mode : l’étude des mutations de la société civile nécessite certes toujours de mobiliser
la recherche, mais le Parti doit redevenir un objet essentiel
d’étude. Ce qui se passe en son intérieur détermine bien
aussi l’avenir de la Chine.
Vers un autoritarisme assoupli ?
Jean-Pierre Cabestan a récemment émis l’hypothèse de l’évolution progressive vers un « autoritarisme assoupli » : le Parti
garderait son monopole politique et son contrôle sur des secteurs-clefs de l’économie, mais laisserait plus de jeu aux élites
nouvelles et gérerait les conflits par une modernisation du système judiciaire et des procédures de consultation et d’arbitrage 1. Cette modernisation prendrait au fond la place de
l’impossible démocratisation — impossible, parce que le PCC
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1. Jean-Pierre Cabestan,
« La Chine évoluerait-elle
vers un autoritarisme
“éclairé” mais ploutocratique ? », Perspectives Chinoises, juillet-août 2004,
p. 21-28.
a trop bien fait le vide autour de lui. Le scénario est plausible,
mais risqué : le corporatisme avoué du régime provoque déjà
des rancœurs fortes ; la libéralisation de l’information reste
dans cette hypothèse un enjeu majeur de conflit ; la dynamique des réformes à mener ne s’arrête pas si aisément : le
Parti est-il en mesure de limiter si strictement les pouvoirs
qu’il se mettrait à concéder ? La Chine pourrait ainsi connaître
l’évolution expérimentée par tant de régimes autoritairescorporatistes (en Amérique latine, par exemple), une forme de
gouvernement après tout pas si stable.
Un astre mort ?
Se demandant, en 1981, « A quoi sert le Parti communiste
français », Georges Lavau écrivait :
2. Georges Lavau, A quoi
sert le Parti communiste
français ?, Fayard, 1981,
p. 427-429.
Si le déclin commence quand une organisation ne produit plus
d’idées rayonnantes en dehors de ses remparts, quand ses analyses ne sont plus faites pour trouver le joint où l’action pourrait
devenir opérationnelle mais pour consolider inlassablement
les digues autour de la dogmatique, alors le Parti communiste
français est sur la voie du déclin. [...] Nous continuons de recevoir la lumière d’astres morts dont nous séparent des annéeslumière. Le PCF, lui, est bien trop près de nous pour que nous
puissions prendre sa lumière pour celle d’un astre éteint, mais,
même s’il se refroidissait, ce certain déclin pourrait encore
rester masqué très longtemps 2.
Peu de choses en commun entre le PCF — dont la stratégie consistait à maintenir et accroître sa zone d’influence
alors qu’il n’accédait pas au pouvoir politique — et le PCC
triomphant depuis longtemps, transformé en instrument de
pouvoir sans partage. Pourtant, certains des traits relevés ici
s’appliquent bien au Parti communiste chinois. Et le déclin de
l’astre mort s’est révélé bien plus rapide que l’observateur très
avisé qu’était Georges Lavau n’osait alors l’envisager.
En sera-t-il de même pour le PCC ? Nul n’oserait
l’affirmer de façon péremptoire. Nous sommes là en présence
d’une formidable machine à garder et gérer le pouvoir. En
même temps, les efforts effectués ces dernières années pour
renouveler le PCC ne semblent guère concluants, même s’ils
ont été nombreux et se poursuivent. L’attitude de fond est
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devenue défensive. Peut-être, après tout, quelque chose s’est-il
bien cassé définitivement après le Printemps de Pékin, en
1989. Et les deux hypothèses principales que l’on peut formuler sur l’avenir du PCC lui sont l’une et l’autre défavorables : la
poursuite continue de la modernisation chinoise a bien des
chances d’entraîner son dépérissement ; l’apparition d’une
crise sociale, économique ou internationale risque de provoquer son éclatement. Certes, une porte de sortie peut être imaginée, au travers de laquelle la Chine serait demain un grand
pays moderne gouverné par un régime autoritaire et corporatiste. Mais les équilibres à respecter deviendraient alors de
plus en plus délicats, et certaines transitions nécessaires n’ont
pas encore été négociées. S’il se transforme trop peu, le PCC
perd prise avec la société. S’il se transforme trop, il perd son
essence et sa cohérence. L’expérience du pouvoir accumulée
par le Parti communiste chinois sera-t-elle vraiment suffisante
pour le projeter vers le futur ?
BENOÎT VERMANDER s.j.
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