Avocats au Conseil d`Etat et à la Cour de Cassation Un métier

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Avocats au Conseil d`Etat et à la Cour de Cassation Un métier
Culturedroit n° 8
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Effectif, statut, charge, type de procédure, accessibilité à la profession,
formation… beaucoup de points différencient le travail des avocats
au Conseil de celui des avocats classiques. Un particularisme qui s’explique
par le côté exceptionnel des institutions où ils exercent :
le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation, les juridictions suprêmes.
Zoom sur une profession méconnue.
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Un effectif réduit
© Jordan Pillet
Avocats
au Conseil d’Etat et
à la Cour de Cassation
Un métier d’exception
Leur petit nombre explique
aussi leur certaine discrétion réserve. En effet, depuis une quinzaine d’années, l’effectif tourne
autour de 90. Les raisons ?
D’abord la question de l’accès à
la profession. En effet, une ordonnance de Louis XVIII en
1817 a limité à 60 le nombre de
charge pouvant être achetées
pour faire partie de l’Ordre des
avocats au Conseil d’Etat et à la
Cour de Cassation. Désormais,
il est possible que deux autres
avocats puissent se greffer sur
une charge ce qui porte à 180 le
numerus clausus d’avocats au
conseil.
A cette limitation, il faut ajouter
une formation très particulière.
Après une maîtrise de droit et un
an d’inscription dans un barreau, il faut se plier au « parcours
du combattant » de l’IFRAC (Institut de formation et de recherches des avocats au conseil)
selon les mots de Bruno Potier
de la Varde, Président de
l’Ordre des avocats au conseil.
Cet institut de formation dispense en première et deuxième
année des enseignements sur la
cassation en matière civile et pénale et sur le contentieux administratifs. La 3e année quant à
elle demeure plus pratique avec
différents stages. A la fin de
chaque année, le candidat subit
un examen écrit de 5 heures. La
troisième année est validée par
un « examen d’aptitude » avec
mémoire à soutenir devant un
grand jury, trois épreuves
écrites et trois oraux sur les différents droits étudiés mais aussi
la déontologie et la plaidoirie.
Il existe des voies d’admission
parallèles pour les magistrats et
les professeurs. Plus original,
les étudiants s’engagent à participer à la « Conférence du stage
des avocats au Conseil d’Etat et
à la Cour de Cassation », un
concours d’éloquence ouvert
aux titulaires d’une maîtrise de
droit.
Après validation de leur formation, les étudiants peuvent soit
acheter une charge, soit rejoindre une CSP déjà existante.
Il leur faudra pour cela attendre
le décret du ministère de la justice qui fera d’eux des officiers
ministériels.
Une image d’excellence
La profession d’avocat au
conseil renvoie une image d’élite des juristes. Une image que
confirme la formation encadrée
par de hauts magistrats, de
grands professeurs de droit
mais aussi les juridictions où ils
Quelques chiffres
P
eu de gens sont capables
de citer le nom d’avocats
au Conseil d’Etat et à la
Cour de Cassation. A de
très rares exceptions comme
Désiré Dalloz, créateur d’un recueil jurisprudentiel ou Henry
Mornard, qui s’est investi dans
la défense du Capitaine Dreyfus, peu d’entre eux sont sortis
de l’anonymat. Une discrétion
loin d’être due à un goût démesuré du secret mais surtout à un
manque de passion - et donc de
médiatisation – autour des débats qui existent au sein des
deux juridictions suprêmes. En
effet, ces dernières s’intéressent
au droit et non au fait des affaires qui leur sont soumises, le
pourvoi en cassation reposant
sur des problèmes d’application
de la loi ou des erreurs de procédures. Il y a bien certaines affaires plus médiatiques que
d’autres car elles sont susceptibles de créer une jurisprudence mais seules les décisions sont
connues et non la procédure.
Une procédure écrite faite de
moyens rédigés dans un jargon
juridique peu accessible au
grand public.
© Cour des comptes
Dossier ///
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Le nombre d’avocats au Conseil d’Etat
et à la Cour de Cassation
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Le nombre de femmes avocates au conseil.
La première fut Martine Luc-Thaler en 1976
60
Le numerus clausus du nombre de charges
d’avocats au Conseil. Chaque charge peut
compter un maximum de 3 avocats
2-3
C’est en moyenne, le nombre de jeunes
avocats reçus à l’Ordre chaque année
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Le nombre de membres qui composent
le Conseil de l’Ordre
3 ans
La durée du mandat du Conseil de l’Ordre
C’est aussi la durée de la formation à l’IFRAC
avant le passage de l’examen d’aptitude à la
profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la
Cour de cassation
1957
C’est l’année où M. Arnaud Lyoncaen a été
inscrit à l’Ordre, c’est le plus ancien des
93 avocats
exercent leurs charges. En plus,
des deux juridictions françaises,
les avocats au conseil sont également présents devant : la Cour
de justice des communautés européennes et le Tribunal de première instance, à Luxembourg,
ou encore la Cour européenne
des droits de l'homme, à Strasbourg.
Différents aspects de la profession qui font de ces hommes et
des femmes des avocats d’exception.
J.P.
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deux juridictions suprêmes qui
statuent en droit. La procédure
y est écrite, contrairement à la
procédure devant les juridictions judiciaires de première
instance et d’appel. Il faut donc
des avocats spécialisés, qui maîtrisent les techniques liées à ces
particularités. Cette nécessité,
ce n’est pas nous qui l’affirmons, mais le Conseil d’Etat et
la Cour de cassation, de même
que les juridictions européennes.
Pourquoi devient-on avocat au
Conseil d’Etat et à la Cour de
cassation ?
Bien souvent, c’est le fruit du
hasard. On travaille un temps
dans un cabinet d’avocats aux
Conseils car c’est –ou c’était,
cela a un peu changé aujourd’hui à cause des spécialisations
professionnelles,– un point de
passage pour un apprentissage
de qualité, une formation juridique pratique de très bon niveau. Un passage qui ouvrait à
toutes les carrières juridiques et
judiciaires. Les professeurs
d’Université, les bâtonniers et
avocats réputés sont souvent
passés par ces cabinets. C’est
une sorte d’adoubement. Aujourd’hui, c’est le goût de la discussion autour des aspects
théoriques du droit qui attire
sans doute les jeunes.
Quelles sont les spécificités de
votre travail ?
Elles tiennent bien sûr à la nature des deux principales juridictions devant lesquelles nous
exerçons, le Conseil d’Etat et la
Cour de cassation, qui sont les
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Quels sont vos rapports avec les
autres avocats ?
Des rapports de coopération
confiante. Ce sont le plus souvent eux qui nous confient les
dossiers, même si une partie de
ceux-ci nous sont directement
transmis par des collectivités,
institutions ou entreprises. Nos
confrères avocats sont de façon
très générale bien conscients du
service particulier que nous
rendons, ne serait-ce que parce
que, même si nous restons à
l’écoute de nos clients communs, il nous est plus facile
d’avoir le recul nécessaire pour
présenter l’affaire en droit, dans
l’intérêt même de ceux-ci.
© Jordan Pillet
3 questions à….
Bruno Potier de la Varde
Président du Conseil de
l’ordre des avocats au Conseil
La question
des honoraires
Depuis le 1er janvier 2005, l’assistance
d’un avocat à la Cour de Cassation est
obligatoire pour les salariés désirant
introduire un pourvoi en cassation
d’une décision prud’homale. (C’est
aussi le cas pour les affaires de
surendettements, indemnisations des
victimes de transfusion et de l’amiante
et pour les rétentions administratives
des étrangers) Pour les syndicats de
salariés comme la CGT ou la CFDT,
ce décret du 20 août 2004 pose un
problème de coût. « En soi la mesure
n’est pas choquante dans la mesure
où le pourvoi en cassation présente
des caractéristiques indéniables et
requiert une technicité certaine »
explique Yvonne Delemotte, secrétaire
nationale de la CFDT. Le problème,
c’est la non réforme de l’Aide
juridictionnelle qui crée une inégalité.
En effet, les honoraires d’un avocat au
conseil sont très élevés et les salariés
ont souvent du mal à les prendre en
charge. « L’ordre a pris un engagement
de modération des honoraires pour
ce type d’affaires » explique Bruno de
la Varde « et cet engagement est
respecté ». Pourtant au vu de la baisse
significative (-30%) du nombre de
pourvois devant la Chambre sociale,
cela ne semble pas suffire pour rendre
accessible la juridiction suprême à
tous. Déboutée par le Conseil d’Etat,
la CGT a choisi de porter son recours
pour faire annuler ce décret devant la
Cour de Strasbourg.
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