Avocats au Conseil d`Etat et à la Cour de Cassation Un métier
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Avocats au Conseil d`Etat et à la Cour de Cassation Un métier
Culturedroit n° 8 11/07/06 13:12 Page 12 Effectif, statut, charge, type de procédure, accessibilité à la profession, formation… beaucoup de points différencient le travail des avocats au Conseil de celui des avocats classiques. Un particularisme qui s’explique par le côté exceptionnel des institutions où ils exercent : le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation, les juridictions suprêmes. Zoom sur une profession méconnue. 12 culture DROIT /// JUILLET>AOÛT 2006 12 12 12 Un effectif réduit © Jordan Pillet Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation Un métier d’exception Leur petit nombre explique aussi leur certaine discrétion réserve. En effet, depuis une quinzaine d’années, l’effectif tourne autour de 90. Les raisons ? D’abord la question de l’accès à la profession. En effet, une ordonnance de Louis XVIII en 1817 a limité à 60 le nombre de charge pouvant être achetées pour faire partie de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation. Désormais, il est possible que deux autres avocats puissent se greffer sur une charge ce qui porte à 180 le numerus clausus d’avocats au conseil. A cette limitation, il faut ajouter une formation très particulière. Après une maîtrise de droit et un an d’inscription dans un barreau, il faut se plier au « parcours du combattant » de l’IFRAC (Institut de formation et de recherches des avocats au conseil) selon les mots de Bruno Potier de la Varde, Président de l’Ordre des avocats au conseil. Cet institut de formation dispense en première et deuxième année des enseignements sur la cassation en matière civile et pénale et sur le contentieux administratifs. La 3e année quant à elle demeure plus pratique avec différents stages. A la fin de chaque année, le candidat subit un examen écrit de 5 heures. La troisième année est validée par un « examen d’aptitude » avec mémoire à soutenir devant un grand jury, trois épreuves écrites et trois oraux sur les différents droits étudiés mais aussi la déontologie et la plaidoirie. Il existe des voies d’admission parallèles pour les magistrats et les professeurs. Plus original, les étudiants s’engagent à participer à la « Conférence du stage des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation », un concours d’éloquence ouvert aux titulaires d’une maîtrise de droit. Après validation de leur formation, les étudiants peuvent soit acheter une charge, soit rejoindre une CSP déjà existante. Il leur faudra pour cela attendre le décret du ministère de la justice qui fera d’eux des officiers ministériels. Une image d’excellence La profession d’avocat au conseil renvoie une image d’élite des juristes. Une image que confirme la formation encadrée par de hauts magistrats, de grands professeurs de droit mais aussi les juridictions où ils Quelques chiffres P eu de gens sont capables de citer le nom d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation. A de très rares exceptions comme Désiré Dalloz, créateur d’un recueil jurisprudentiel ou Henry Mornard, qui s’est investi dans la défense du Capitaine Dreyfus, peu d’entre eux sont sortis de l’anonymat. Une discrétion loin d’être due à un goût démesuré du secret mais surtout à un manque de passion - et donc de médiatisation – autour des débats qui existent au sein des deux juridictions suprêmes. En effet, ces dernières s’intéressent au droit et non au fait des affaires qui leur sont soumises, le pourvoi en cassation reposant sur des problèmes d’application de la loi ou des erreurs de procédures. Il y a bien certaines affaires plus médiatiques que d’autres car elles sont susceptibles de créer une jurisprudence mais seules les décisions sont connues et non la procédure. Une procédure écrite faite de moyens rédigés dans un jargon juridique peu accessible au grand public. © Cour des comptes Dossier /// 93 Le nombre d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation 14 Le nombre de femmes avocates au conseil. La première fut Martine Luc-Thaler en 1976 60 Le numerus clausus du nombre de charges d’avocats au Conseil. Chaque charge peut compter un maximum de 3 avocats 2-3 C’est en moyenne, le nombre de jeunes avocats reçus à l’Ordre chaque année 11 Le nombre de membres qui composent le Conseil de l’Ordre 3 ans La durée du mandat du Conseil de l’Ordre C’est aussi la durée de la formation à l’IFRAC avant le passage de l’examen d’aptitude à la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation 1957 C’est l’année où M. Arnaud Lyoncaen a été inscrit à l’Ordre, c’est le plus ancien des 93 avocats exercent leurs charges. En plus, des deux juridictions françaises, les avocats au conseil sont également présents devant : la Cour de justice des communautés européennes et le Tribunal de première instance, à Luxembourg, ou encore la Cour européenne des droits de l'homme, à Strasbourg. Différents aspects de la profession qui font de ces hommes et des femmes des avocats d’exception. J.P. 13 culture DROIT /// 13 13 13 Culturedroit n° 8 11/07/06 13:12 Page 14 deux juridictions suprêmes qui statuent en droit. La procédure y est écrite, contrairement à la procédure devant les juridictions judiciaires de première instance et d’appel. Il faut donc des avocats spécialisés, qui maîtrisent les techniques liées à ces particularités. Cette nécessité, ce n’est pas nous qui l’affirmons, mais le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, de même que les juridictions européennes. Pourquoi devient-on avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ? Bien souvent, c’est le fruit du hasard. On travaille un temps dans un cabinet d’avocats aux Conseils car c’est –ou c’était, cela a un peu changé aujourd’hui à cause des spécialisations professionnelles,– un point de passage pour un apprentissage de qualité, une formation juridique pratique de très bon niveau. Un passage qui ouvrait à toutes les carrières juridiques et judiciaires. Les professeurs d’Université, les bâtonniers et avocats réputés sont souvent passés par ces cabinets. C’est une sorte d’adoubement. Aujourd’hui, c’est le goût de la discussion autour des aspects théoriques du droit qui attire sans doute les jeunes. Quelles sont les spécificités de votre travail ? Elles tiennent bien sûr à la nature des deux principales juridictions devant lesquelles nous exerçons, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, qui sont les 14 culture DROIT /// JUILLET>AOÛT 2006 14 14 14 Quels sont vos rapports avec les autres avocats ? Des rapports de coopération confiante. Ce sont le plus souvent eux qui nous confient les dossiers, même si une partie de ceux-ci nous sont directement transmis par des collectivités, institutions ou entreprises. Nos confrères avocats sont de façon très générale bien conscients du service particulier que nous rendons, ne serait-ce que parce que, même si nous restons à l’écoute de nos clients communs, il nous est plus facile d’avoir le recul nécessaire pour présenter l’affaire en droit, dans l’intérêt même de ceux-ci. © Jordan Pillet 3 questions à…. Bruno Potier de la Varde Président du Conseil de l’ordre des avocats au Conseil La question des honoraires Depuis le 1er janvier 2005, l’assistance d’un avocat à la Cour de Cassation est obligatoire pour les salariés désirant introduire un pourvoi en cassation d’une décision prud’homale. (C’est aussi le cas pour les affaires de surendettements, indemnisations des victimes de transfusion et de l’amiante et pour les rétentions administratives des étrangers) Pour les syndicats de salariés comme la CGT ou la CFDT, ce décret du 20 août 2004 pose un problème de coût. « En soi la mesure n’est pas choquante dans la mesure où le pourvoi en cassation présente des caractéristiques indéniables et requiert une technicité certaine » explique Yvonne Delemotte, secrétaire nationale de la CFDT. Le problème, c’est la non réforme de l’Aide juridictionnelle qui crée une inégalité. En effet, les honoraires d’un avocat au conseil sont très élevés et les salariés ont souvent du mal à les prendre en charge. « L’ordre a pris un engagement de modération des honoraires pour ce type d’affaires » explique Bruno de la Varde « et cet engagement est respecté ». Pourtant au vu de la baisse significative (-30%) du nombre de pourvois devant la Chambre sociale, cela ne semble pas suffire pour rendre accessible la juridiction suprême à tous. Déboutée par le Conseil d’Etat, la CGT a choisi de porter son recours pour faire annuler ce décret devant la Cour de Strasbourg. PUB