Le synthétique n`a pas poussé

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Le synthétique n`a pas poussé
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FRANCE
PELOUSES
L’HYBRIDE GAGNE
DU TERRAIN
En début de saison, Marseille, Metz et Saint-Étienne ont troqué leur ancienne pelouse
naturelle pour une solution hybride déjà en place dans quelques clubs. Toulouse et Bordeaux
vont suivre. Simple effet de mode ou l’amorce d’une vraie évolution ? TEXTE ÉRIC LEMAIRE
«A
près la 21e journée,
Troyes est leader.
J’espère qu’on pourra
aller chercher le
trophée de la Ligue à
la fin de la saison.» Ces propos n’appartiennent
pas à Jean-Marc Furlan, solidement installé en
tête de la Ligue 2 avec l’ESTAC, mais à Bertrand
Yot. Quand on lui rappelle que Troyes est en tête
du Championnat des pelouses mis en place
depuis la saison dernière par la LFP, le chef du
service paysager du Grand Troyes esquisse un
sourire. «Pour nous, gens de la municipalité, c’est
surtout gratifiant en interne, pour les
collaborateurs.» Une reconnaissance qui salue
un bel exemple de réussite entre une collectivité
locale et son club.
POUR EN FINIR AVEC LE BRICOLAGE.
Fruit de ce travail en commun depuis la saison
dernière, le tapis du stade de l’Aube, qui souffrait
de nombreux maux (perméable en fond,
spongieux en surface), a été remplacé par une
pelouse hybride dernière génération. «On
pouvait continuer à replaquer du gazon, pour
faire vert et beau, mais on n’aurait pas réglé le
1 M€
La somme déboursée
par le Grand Troyes en
2013 pour installer sa
pelouse hybride. Une
enveloppe qui incluait,
outre la pose du substrat
et du gazon, le réseau de
drainage, le chauffage,
le système d’arrosage,
les bornes du terrain en
synthétique et une
station météo.
Le synthétique n’a pas poussé
À l’été 2010, Nancy et Lorient furent les premiers clubs pros français dotés d’une
pelouse synthétique. Châteauroux a suivi. Mais depuis, personne d’autre...
Pour l’AS Nancy Lorraine, le choix du
synthétique fut dicté par la volonté de la
communauté urbaine du Grand Nancy
(CUGN) d’accueillir l’Euro 2016. Agrandi,
restructuré, Marcel-Picot devait muer en
une enceinte multifonctionnelle à toit
fixe. Les travaux du terrain furent les
premiers lancés. En décembre 2011,
faute d’accord avec les entreprises
privées concernées, Nancy se retira de la
course à l’Euro. « D’un point de vue
structurel et économique, le constat est
positif, analyse Nabil el-Yaagoubi,
directeur de l’organisation et de la
sécurité, en charge du stade. Le dernier
hiver en gazon naturel, on avait dépensé
100 000 € rien qu’en fuel, pour chauffer
le terrain. Ces frais ont disparu. On a
considérablement réduit les coûts
d’entretien, de maintenance... et nous
n’avons plus déploré un seul match
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remis. » Sur le plan sportif, l’analyse
diffère. Aujourd’hui, la volonté du
président Rousselot et de l’entraîneur
Pablo Correa, lassé d’avoir à gérer
l’alternance synthétique-gazon naturel,
est de remplacer le synthétique par une
pelouse hybride dès la prochaine
intersaison. Propriétaire du stade, le
Grand Nancy se refuse à investir une
telle somme (1,5 M€) et sur des délais
aussi courts. Pour débloquer la situation,
l’enceinte pourrait être vendue à l’ASNL.
« FAIRE BAISSER LES CHARGES. »
À Lorient, il y avait urgence à agir : « La
pelouse était en mauvais état. Le club en
pâtissait, rappelle Arnaud Tanguy, son
directeur général. L’option synthétique a
permis d’apaiser la relation entre la
mairie et le club ; de contenter le
domaine sportif, qui y voyait un
avantage avec le jeu de passes courtes
prôné par Christian Gourcuff ; d’assurer
cette qualité de jeu toute la saison ; de
faire baisser les charges. C’était un choix
par rapport à la philosophie de jeu, par
rapport à notre climat breton aussi. »
C’est un peu poussé par les événements
que Châteauroux a franchi le pas, en
août 2011. L’hiver précédent, le terrain
annexe de l’équipe réserve fut menacé
de déclassement par la FFF. « Face à
l’ampleur du coût de remise en l’état
– 200 000 € –, la municipalité a opté
pour le remplacement du terrain en
gazon de l’équipe première par un
synthétique sur lequel jouerait la
première et la réserve, explique Bruno
Allègre, président délégué du club.
Aujourd’hui, le terrain est utilisé de
manière constante l’hiver. Après, c’est
un terrain en rapport avec nos
moyens… » ! É. L.
problème», commente le responsable paysagiste.
Plutôt que de bricoler, la municipalité a préféré
prendre le temps de la réflexion. «On a travaillé
main dans la main avec l’ESTAC poursuit-il, et
tenté de traduire les besoins du club et de JeanMarc Furlan, qui relevaient parfois de sensations,
en des données techniques capables de répondre
à leurs attentes. On voulait un résultat
performant sur la durée, un produit de confiance
pour tous, gestionnaires et joueurs. En cas de
match disputé dans des conditions di�ciles, il
était important pour les jardiniers d’avoir
l’assurance que le terrain ne serait pas tout
retourné le lendemain ; pour les joueurs de savoir
que même s’il tombait 40 millimètres de pluie en
une mi-temps, comme c’est déjà arrivé, qu’ils
pourraient évoluer dans des conditions plus que
favorables après.» À la suite de l’appel d’offres, la
municipalité a passé contrat avec la société
Natural Grass. Cette start-up française, composée
d’une vingtaine de salariés, a investi le marché
des terrains sportifs il y a dix-huit mois et s’est
imposée sur le marché français. Elle se
positionne comme le concurrent de Desso Sports
Systems, présent, lui, depuis plus de vingt ans
dans le secteur, et qui équipe en terrains hybrides
la plupart des clubs de Premier League. Le géant
néerlandais fut aussi présent à Sao Paulo lors du
dernier Mondial et compte comme clients
français le FC Nantes (depuis 2001), Le Havre
(2012) et le Paris-SG (2014).
UNE SURFACE QUATRE SAISONS. Les
produits respectifs des deux sociétés assurent au
terrain une meilleure stabilité, lui offrent
davantage de résistance et améliorent le
drainage. La technologie développée par Desso
Sports System repose sur son procédé
GrassMaster : une pelouse naturelle renforcée
par des millions de fibres de gazon synthétique
(1 tous les 2 cm�) plantées dans un substrat. En
surface, les fibres se mélangent aux brins du
PHILIPPE MONTIGNY/L’ÉQUIPE
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gazon naturel. Son concurrent français, Natural
de la remontée en L1, le président Serin avait
Grass, s’appuie sur la technologie AirFibr, de
décidé d’investir dans différents domaines pour
nombreuses fois primée. Elle consiste à poser
moderniser la structure, précise Jean-François
une pelouse naturelle sur un substrat d’une
Girard, directeur du stade et de la sécurité.
dizaine de centimètres d’épaisseur composé de
La pelouse était vieillissante et devenait très
sable fin, de fibres synthétiques et de granules de
di�cile d’entretien d’octobre à mars. Environ
liège. Ici, les fibres sont en sous-sol. «Le terrain
1,3 M€ a été investi sur ce poste, dans le but aussi
est toujours parfaitement plat et on passe
de répondre aux critères de la licence club de la
beaucoup moins de temps à le remettre en
LFP. En termes d’entretien et de
état, commente Bertrand Yot. Il n’y a
maintenance, nous nous y retrouvons.
plus de mottes, le gazon reste
« SEUL
Le chauffage intégré permet de
dense plus longtemps. En cas de
INCONVÉNIENT :
mettre le terrain hors gel. On ne
tacle appuyé, il est scalpé. Le
LE TERRAIN
se pose plus la question des
substrat reste intact. Une petite
D’ENTRAÎNEMENT
variations climatiques. Le
bêche, vous rapprochez les deux
terrain est ultra drainant.» Mais,
EST DIFFÉRENT
bords comme pour une plaie et
apparemment, pas assez pour
DE CELUI
la cicatrice va disparaître
absorber d’abondantes chutes
DU MATCH »
Kévin Lejeune,
instantanément. On revient à
de neige comme ce fut le cas lors
joueur de
des fondamentaux. C’est le jardinier
de la seconde période de Metz-Nice
Metz
qui sème sa pelouse au lieu de la traiter
(0-0) samedi dernier. Au point de faire
comme un puzzle et de retirer des bouts pour
dire au défenseur lorrain Sylvain Marchal que
en remettre d’autres.»
les «joueurs étaient cloués au sol».
Outre Troyes, la société française équipe depuis
Kevin Lejeune, milieu de terrain du FC Metz
cette saison les stades de Saint-Étienne, de
depuis la saison dernière, apporte un autre
Marseille et de Metz. Bordeaux et Toulouse vont
bémol. «Seul inconvénient: le terrain
suivre, en avril et à l’intersaison prochaine.
traditionnel sur lequel on s’entraîne jusqu’au
À Saint-Symphorien, le FC Metz foule le
vendredi est totalement différent de celui du
nouveau terrain depuis le mois d’août. «À la suite match. Les premiers appuis les soirs de la
rencontre surprennent donc un peu. Après, on s’y
fait vite, c’est une question d’habitude.»
LE STADE DU
MOUSTOIR À
LORIENT, LE SEUL
TERRAIN SYNTHÉTIQUE
DE LA LIGUE 1.
«UNE VRAIE PRISE DE CONSCIENCE.»
La réussite des projets de Troyes et Metz est
aussi le signe d’une évolution des mentalités et
des relations entre les municipalités et les clubs
pros. Reste que, contrairement à ce qui se passe
en Angleterre, très peu de clubs en France sont
propriétaires de leur stade (Auxerre, l’AC Ajaccio
et très récemment le Gazélec Ajaccio). D’où des
priorités parfois divergentes entre le club et la
municipalité. «Il y a dix ans, en France, le terrain,
l’outil numéro 1 du stade, était insu�samment
intégré dans les projets», commente Bertrand
Picard, le président fondateur de Natural Grass.
Son entreprise vient de remporter le marché du
stade national d’Algérie, prépare son arrivée en
Angleterre et cible déjà les pays d’Europe de
l’Ouest. «Aujourd’hui, il y a une vraie prise de
conscience. En un an, on a vu une évolution
considérable dans la prise en compte du terrain
comme élément indispensable d’un club ou d’un
stade. Notre objectif, c’est que demain on utilise
davantage les stades. Le projet de l’enceinte de
Bordeaux prévoit ainsi qu’il puisse y avoir des
matches de rugby qui se jouent sans que cela
n’abîme la pelouse pour le football.» !
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