Le transfert du risque de longévité est en plein essor

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Le transfert du risque de longévité est en plein essor
DATE
28 April 2014
SOURCE
Le Temps
RE
Longevity Risk
Le transfert du risque de longévité est en plein essor
By Christophe Courbage*
L’incertitude quant à l’évolution de l’allongement de la durée de vie crée non seulement, pour les
retraités, le risque d’épuiser leurs ressources financières, mais aussi, pour les institutions de
prévoyance, celui de sous-estimer les taux de survie. Le Royaume-Uni a été un précurseur dans le
transfert du risque de longévité, et de telles transactions gagnent d’autres pays
L’assureur britannique Aviva a révélé récemment un transfert du risque de longévité de 19 000 retraités
affiliés à son régime de retraite à un groupe de trois réassureurs, à savoir Swiss Re, Munich Re et Scor. Les
engagements associés à cette transaction représentent près de 5 milliards de livres sterling, soit le swap
de longévité pour régime de retraite le plus important jamais conclu à ce jour sur le marché international.
Si ce type de transactions reste encore marginal en dehors du Royaume-Uni, il y a fort à parier qu’elles
vont fortement se développer dans les années à venir.
Le risque de longévité peut être défini comme le risque que les populations rentières vivent plus
longtemps qu’escompté. Cette incertitude quant à l’évolution de la durée de vie des populations
d’assurés entraîne des risques financiers conséquents pour de nombreux acteurs économiques. Pour les
individus, le risque de longévité représente le risque d’épuiser leurs ressources financières, entraînant une
baisse de leur qualité de vie, ou un retour forcé sur le marché du travail. Pour les institutions privées et
publiques qui offrent des couvertures pour garantir les revenus des retraités, que ce soit des assureurs,
des organismes de retraite ou des fonds de pension, le risque de longévité est le risque de sous-estimer
les taux de survie, entraînant une augmentation des engagements permettant de couvrir suffisamment
les promesses futures de paiement.
Le vieillissement des populations auquel sont confrontés la plupart des pays industrialisés contribue à
donner un caractère urgent à la problématique de la gestion du risque de longévité. En 2011, les premières
générations du baby-boom ont atteint l’âge de la retraite, et la population des plus de 65 ans devrait
doubler dans les prochaines décennies. De plus, non seulement une plus grande proportion de la
population atteint l’âge de la retraite, mais cette population vit de plus en plus longtemps du fait de
l’accélération de l’espérance de vie. Cette évolution démographique entraîne mathématiquement une
augmentation des ressources nécessaires pour satisfaire les besoins du financement des retraités et par là
même accroît le risque de longévité.
Les individus transfèrent le risque de longévité principalement aux régimes de retraite ou aux assurances,
ou à d’autres institutions financières, qui ont développé ces dernières années des produits de rentes sous
la forme d’épargne retraite ou d’assurance vie. Les rentes peuvent être fixes mais aussi variables comme
en témoignent les derniers développements des produits d’assurance vie. Les coûts des rentes sont
calculés à l’aide de nombreuses hypothèses, dont celle de l’espérance de vie des bénéficiaires. Or, évaluer
la durée de vie exacte des assurés est particulièrement complexe et dépend de nombreux paramètres
difficilement quantifiables, tels que les changements dans les comportements et les styles de vie, les
avancées médicales ou encore l’environnement. Ce risque de longévité peut entraîner des hausses de
coûts substantielles pour un régime de retraite et une erreur d’estimation portant sur une simple année
peut coûter très cher. Ainsi, il a été calculé qu’une année supplémentaire de versement à un retraité
pourrait augmenter la valeur présente d’une rente d’environ 3 à 4%. Face à l’exposition croissante au
risque de longévité de nombreuses institutions financières, un marché du transfert de risque de longévité
s’est développé. Il existe principalement trois types de transactions qui sont utilisées pour transférer le
risque de longévité et qui diffèrent en termes de type de risque transféré et de type de risque créé.
Le premier type de transaction, dénommé buy-out, est une transaction qui transfère la totalité des actifs
et des engagements du régime de retraite à un assureur en échange du paiement d’une prime. Ce dernier
endosse la responsabilité du paiement des prestations à la place du régime de retraite. Il a donc le
contrôle et la gestion totale des actifs sous-jacents, mais aussi l’exposition aux risques de tous les actifs,
que ce soit le risque de crédit, d’investissement, d’inflation et de longévité.
Le deuxième type de transaction, dénommé buy-in, correspond à l’acquisition de contrats de rente. Le
régime de retraite conserve ses actifs et engagements, mais paie une prime à un assureur en échange de
paiements périodiques qui égalisent ceux du régime de retraite à ses bénéficiaires. Le transfert n’est que
partiel dans le sens où il existe toujours un risque de contrepartie de l’assureur et le régime de retraite
reste directement responsable de ses pensionnés.
Le troisième type de transaction est un contrat (ou swap) de longévité sous lequel la caisse de retraite
verse des paiements périodiques prédéterminés à une contrepartie (un (ré) assureur ou une banque
d’investissement) calculés d’après les versements de prestations prévus aux bénéficiaires. En retour, la
contrepartie verse à la caisse de retraite des paiements variables périodiques reposant soit sur la
mortalité effective du régime, soit sur un indice de mortalité convenu. Ainsi, la caisse de retraite a
davantage de décaissements prévisibles au cours de la période d’application du contrat de couverture du
risque de longévité. A l’instar de la transaction précédente, il existe toujours un risque de contrepartie de
l’assureur et la caisse de retraite reste directement responsable de ses pensionnés.
Des voix se font aussi entendre pour mettre en place des obligations indexées sur la longévité comme
moyen de couvrir le risque de longévité. De telles obligations paieraient des coupons dont la valeur
diminuerait dans le temps en fonction de la mortalité réelle observée d’une cohorte de la population, par
exemple une cohorte d’hommes âgés de 65 ans au sein de la population nationale. Ainsi, les coupons
payables à l’âge de 75 ans dépendraient de la proportion d’hommes de 65 ans ayant survécu à 75 ans. De
tels produits n’ont pas encore vu le jour, en dépit de différents essais, et la question est de savoir qui
devrait émettre ce type d’obligations. Certains suggèrent que le secteur privé pourrait s’y intéresser, en
particulier les compagnies pharmaceutiques qui pourraient être des émetteurs naturels dans le sens où
plus les personnes vivent longtemps, plus elles consomment de médicaments. D’autres suggèrent que de
telles obligations pourraient être émises par les gouvernements afin de faciliter le développement des
marchés du risque de longévité. Toutefois, la forte exposition des gouvernements au risque de longévité
et leurs hauts niveaux d’endettement actuels peuvent être un frein à de telles opérations.
Le Royaume-Uni a été précurseur dans le domaine du transfert de risque de longévité, principalement en
raison de la nécessité réglementaire d’acheter des rentes viagères dans le cadre des plans de retraite à
contributions définies. Néanmoins, d’autres pays s’engagent dans la même direction, en particulier les
Etats-Unis, le Canada, les Pays-Bas et l’Australie. Cette tendance va sûrement s’accélérer et gagner de
nombreux pays, non seulement du fait de l’évolution démographique mais aussi de l’évolution du cadre
réglementaire, notamment avec la mise en place de Solvency II. Cette règle prudentielle exigera des
assureurs la détention d’une quantité de capital supplémentaire significative permettant de garantir leurs
obligations liées aux rentes viagères si le risque de longévité ne peut être couvert efficacement ou
valorisé au prix du marché. Enfin, la mobilisation des superviseurs internationaux qui viennent de clore
une consultation publique sur ce sujet est encore une preuve supplémentaire de l’urgence du contexte
actuel et de l’importance des enjeux liés à la longévité, qui, au-delà du seul secteur financier, sont des
enjeux de société qui nous concernent ou nous concerneront tous un jour ou l’autre.
* Directeur de recherche sur la santé et le vieillissement, Association de Genève