Dépliant - page 2 - Musée d`art et d`histoire

Aux sources de la taille-douce en couleurs :
Jacob Christoph Le Blon (1667-1741)
et Jacques-Fabien Gautier-Dagoty (1710-1785)
D
ans l’histoire de la médecine, le XVIIIe siècle ne constitue pas à proprement
parler une période nouvelle: moins spectaculaire que le siècle précédent,
qui voit la découverte capitale de la circulation sanguine (exposée par le médecin anglais William Harvey en 1628), il n’a pas non plus donné lieu à des avancées exceptionnelles comme ce sera le cas au XIXe siècle (notamment en biologie, zoologie, chimie, physique, chirurgie, bactériologie, etc.). Les connaissances
continuent cependant de progresser sous l’impulsion de savants dont la rigueur
scientifique contribue au développement de nombreuses disciplines (pathologie
médicale, anatomie, physiologie). Le livre de médecine se dégage ainsi peu à peu
de la tradition lyrique, philosophique et morale héritée de la Renaissance pour
devenir un ouvrage technique destiné à l’étude.
Cette évolution s’accompagne d’exigences nouvelles. Le besoin d’exactitude et
de précision scientifique ne peut plus s’accommoder de la technique de gravure
traditionnelle en noir, incapable de rendre la complexité de la réalité observée.
La solution viendra d’un artiste de génie, le Français Jacob Christoph Le Blon
(1667-1741), inventeur d’un procédé inédit d’impression en couleurs inspiré par la récente théorie de Newton sur la décomposition de la lumière, publiée en 1704.
Les sciences, et en particulier l’anatomie, sont les premières à bénéficier de la découverte, qui sera reprise et
exploitée par deux élèves de Le Blon, dont le célèbre
Gautier d’Agoty.
Les planches sont gravées en taille-douce, à la manière
noire, et imprimées en couleurs par repérage au moyen de
plusieurs plaques. Le principe consiste à graver, pour le
même dessin, trois planches différentes qui portent chacun
un fragment de la composition en fonction des couleurs à
obtenir. Chaque planche est encrée d’une des trois couleurs
primaires (bleu, jaune, rouge) et imprimée successivement
sur la même feuille de papier. Les couleurs secondaires sont
obtenues par le jeu de la superposition des encres. Les traits
du dessin sont amenés par une quatrième planche gravée en
noir ou en bistre.
La technique de gravure à la manière noire a été inventée au
XVIIe siècle. Elle s’opère en berçant la plaque avec un outil
en arc de cercle finement denté, ce qui permet d’obtenir un
noir profond. Demi-tons et lumière s’obtiennent en écrasant le grain au polissoir ou en l’enlevant au grattoir.
Gautier-Dagoty utilise ordinairement quatre plaques pour réaliser ses images, toutes
gravées en manière noire: la première, où la lettre est gravée au burin, apporte le noir;
la deuxième apporte le bleu; la troisième le jaune et la quatrième le rouge. La technique varie dans certains cas: dans la planche représentant les vaisseaux de la tête,
ceux-ci sont gravés à l’eau-forte et imprimés avec la quatrième planche apportant le
rouge.
Pour donner à ses oeuvres l’apparence de tableaux, Gautier recouvrait ses planches
d’un vernis qui redonnait de l’éclat aux couleurs assourdies par la superposition des
plaques.
Jacques-Fabien Gautier d’Agoty (vers 1710-1785)
Né à Marseille vers 1710, Jacques-Fabien Gautier d’Agoty, se présente comme
l’inventeur d’un art nouveau. Dans l’Avertissement de la Myologie, l’auteur
indique:
Ce ne sont point des Estampes anciennes enluminées, qu’on donne aujourd’hui au Public,
ce sont des Pièces originales représentant la Nature même, d’après laquelle elles ont été
tirées par le secours du nouvel Art d’imprimer les Tableaux, porté par le Sieur Gautier à
son plus haut point de perfection. On a eu principalement en vûë dans cet Ouvrage de
faciliter l’étude de l’Anatomie à toutes sortes de Personnes, sur-tout aux Etudians en
Médecine, Chirurgie, Peinture et Sculpture, à tous ceux en un mot qui ont pour objet la
Santé et l’Etude du Corps Humain (…).
Au cours de l’année 1738, Gautier avait travaillé dans l’atelier de Le Blon, qu’il
quitta après six semaines déjà en raison d’un salaire qu’il jugeait trop bas. La
brièveté du séjour lui suffit cependant pour s’initier au procédé mis au point par
son maître. A la mort de ce dernier (1741), Gautier s’empresse de récupérer à
son compte la géniale invention ainsi que le privilège royal qui s’y rattache,
allant jusqu’à dénier à Le Blon tout mérite:
Le Sieur Le Blond étant mort sans avoir donné ce qu’il avait promis sur l’Anatomie, le
Sieur Gautier lui a été substitué dans le même Privilège. Le Sieur Le Blond en vingt ans
de travail en Angleterre n’avoit donné qu’une seule Figure d’Anatomie dans une petite
Planche, et dans les quatre dernières années de sa vie qu’il a travaillé en France, il n’a
donné qu’une seule grande Planche d’Anatomie, sur les Intestins en situation. On est fâché
de dire, qu’on ne pouvoit tirer aucune utilité de cette Planche, & on ne craint point
d’avancer qu’il manquoit au Sieur Le Blond, pour le succès de son travail, une Pièce principale que le Sieur Gautier a inventée, & sans laquelle l’Art d’imprimer en Couleurs seroit
très-imparfait, & et par conséquent inutile.
Dans le Prospectus de l’Exposition anatomique de la structure du corps humain,
paru en 1759, il va encore plus loin :
La perfection de cet Art [d’imprimer en couleurs] est dûe à M. Gautier; il en a découvert
les vrais principes dans l’impression des Tableaux (…). Les Héritiers de Mr. le Blond ne
demandoient l’enregistrement [du privilège], qui ne pouvoit se faire que sur l’avis des
Académies, que pour arrêter les progrès du Sr. Gautier, et l’obliger à acheter un Privilège
inactif, et duquel on ne pouvoit faire usage par le peu de succès qu’avoient eues les recherches du Sr. Le Blond.
La fameuse «Pièce principale», dont Gautier se vante
d’être à l’origine, correspond à la quatrième planche en
noir, censée faire ressortir le modelé et la clarté des
figures. Cette attribution autoproclamée ne manque
pas de susciter de vives réactions de la part des défenseurs de la mémoire de Le Blon. Une lettre anonyme
parue dans le Mercure de France en 1756 témoigne du
ressentiment inspiré par la conduite peu scrupuleuse
de Gautier d’Agoty:
(...) Vous croyez avoir approché de cette perfection parce que
vous avez ajouté une planche imprimée de noir, c’est précisément ce noir qui gâte tout, qui répand sur ces ouvrages une
couleur sale qui ne peut que déplaire infiniment, & qui n’en
fait, à parler juste, qu’une enluminure d’autant moins supportable, qu’elle a les prétentions de la peinture (...). Le Blon
sçavoit assez la peinture pour ne pas tomber dans ce défaut.
La vie de Gautier ne sera qu’une suite de démêlés
autour de l’origine de l’invention. Mû par une ambition démesurée, un sens aigu des affaires et un besoin
éperdu de reconnaissance, Gautier d’Agoty, même s’il
ne parvient jamais à faire oublier son imposture, domine toute l’histoire de la
gravure en couleurs jusqu’à sa mort en 1785, au point d’éclipser totalement
Le Blon, véritable inventeur du procédé.
L’œuvre anatomique
Associé au chirurgien Duverney qui était chargé de fournir les préparations anatomiques et de faire les légendes, Gautier d’Agoty publie en 1745 l’Essai d’anatomie en tableaux imprimés, puis la Suite de l’essai d’anatomie, qu’il réunit l’année
suivante dans la Myologie complète en couleur et grandeur naturelle.
Les vingt planches tétrachromes qui composent l’ouvrage ont été vernies, donnant l’impression de véritables tableaux.
En 1748 paraît l’Anatomie de la tête, avec huit grandes planches également en
grandeur nature, qui montrent le cerveau, la distribution des vaisseaux dans toutes les parties de la tête, les organes des sens et une partie de la névrologie.
L’Anatomie générale des viscères et de la névrologie, angéologie et ostéologie du corps
humain est imprimée en 1754 et comprend dix-huit planches. Les démonstrations et dissections sont réalisées par le chirurgien Mertrud.
Vingt nouvelles planches sont présentées dans l’Exposition anatomique de la
structure du corps humain (1759), un travail dans lequel Gautier assume luimême le rôle de préparateur.
La Bibliothèque de Neuchâtel possède également l’Anatomie des parties de la
génération de l’homme et de la femme (8 planches) et l’Exposition anatomique des
maux vénériens (4 planches), tous deux publiés en 1773.
L’exposition présente enfin trois planches exécutées par le deuxième des cinq fils
de Gautier, Arnaud-Eloi. Celui-ci avait le projet de constituer un Cours complet
d’anatomie peint et gravé en couleurs naturelles (1773) en perfectionnant la
méthode de son père. L’entreprise ne sera que partiellement réalisée.