Samedi 16 octobre Forum Utopies révolutionnaires

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Samedi 16 octobre Forum Utopies révolutionnaires
Samedi 16 octobre
Forum Utopies révolutionnaires :
musique et avant-garde sous Lénine
Dans le cadre du cycle Lénine, Staline et la musique 1
Du 7 au 17 octobre
Vous avez la possibilité de consulter les notes de programme en ligne, 2 jours avant chaque concert,
à l’adresse suivante : www.citedelamusique.fr
Forum : Utopies révolutionnaires | Samedi 16 octobre
Roch-Olivier Maistre,
Président du Conseil d’administration
Laurent Bayle,
Directeur général
Cycle Lénine, Staline et la musique 1
À la suite de la révolution d’octobre 1917, les artistes soviétiques rêvent d’un art appartenant à tous. Mais ils doivent
rapidement déchanter, car le régime soviétique va très tôt dicter la ligne de conduite à adopter. Or la déinition oicielle
du réalisme socialiste, mouvement prôné à partir de 1934, reste vague et changeante, comme la notion de formalisme
qui, à la in des années 1940, condamne les dérives antipopulaires de façon tout à fait arbitraire. Exils volontaires ou
forcés, actes de censure et déportations se multiplient. Malgré cette terreur, le bouillonnement artistique des années
1920 en URSS témoigne des tendances avant-gardistes et audacieuses de la jeune génération.
Scriabine l’inspirateur
En 1914, les pièces atonales de Scriabine (qui meurt prématurément en 1915) Vers la lamme op. 72 et les Deux Danses
op. 73 soulignent une approche rythmique complexe et une utilisation percussive du piano – aspects partagés par les
Deux Poèmes de Nikolaï Roslavets, la Quatrième Sonate pour piano d’Alexandre Mossolov, la Première Sonate pour piano
de Chostakovitch (1926) ou, dans un autre contexte, le Ragtime de Stravinski qui abolit la barre de mesure dans un
chromatisme généralisé. Il s’agit peut-être là d’un des premiers avatars du néo-classicisme, au même titre que les Pleurs
de la Vierge Marie d’Arthur Lourié (1915).
L’avant-garde occidentale
À l’Ouest, la musique atonale de l’École de Vienne aboutit, en 1923, à la pratique du dodécaphonisme – technique
qui n’apparaîtra que très tardivement chez Chostakovitch, et dans un cadre tonal (Quatuor à cordes n° 12, 1968).
Cette inluence est pourtant sensible dès 1914 chez Roslavets et Lourié (Synthèses), et dans la musique d’Eim Golychev,
également peintre dadaïste, dont le Trio utilise des complexes de douze hauteurs et durées diférentes, et qui associe
les dynamiques de chaque mouvement à un tempo.
Le courant futuriste et l’invention d’instruments intéressent également les compositeurs – la « Croix sonore », imaginée
par Nikolaï Obouhov dès 1917, est un instrument électrique qui préigure le thérémine. Certaines pièces pour piano
de Lourié présentent une notation cubiste, comme les Formes en l’air de 1915, dédiées à Picasso. Au même moment,
Ivan Wyschnegradsky développe une musique ultrachromatique en tiers, quarts voire sixièmes de ton (Méditation sur
deux thèmes de la Journée de l’existence), voie de la microtonalité poursuivie ensuite en exil et reprise à sa manière par
Schnittke, dont le Concerto grosso n° 1 (1977) associe la musique fonctionnelle à une parodie de la musique baroque
et à un langage au chromatisme exacerbé.
L’âge d’or du cinéma soviétique
La in des années 1920, marquée par les chefs-d’œuvre d’Eisenstein (Le Cuirassé Potemkine, Octobre), ravit les
compositeurs qui, tels Vladimir Deshevov et le jeune Chostakovitch, s’intéressent à la scène et au cinéma. Les cinéastes
Kozintsev et Trauberg signent en 1921 le Manifeste de l’excentrisme, dont une des priorités est de renouer, dans la mise
en scène, avec les formes de spectacle populaire (music-hall, opérette, cirque). C’est dans cet esprit que Chostakovitch
débute Le Grand Éclair (1931-1932) et compose sa première musique de cinéma pour le ilm La Nouvelle Babylone
(1928-1929). Les résonances politiques y sont importantes, tout comme dans la curieuse Aelita de Protazanov,
ilm de science-iction qui évoque un Moscou marqué par la Nouvelle politique économique, ainsi qu’une révolution
prolétarienne sur… Mars. Au temps du cinéma parlant, les Montagnes d’or de Youtkévitch (1931) évoquent une grève
d’ouvriers dans la Russie prérévolutionnaire. Comme pour Alexandre Nevski, Prokoiev collabore avec Eisenstein pour
Ivan le Terrible (1944-1946) dont la seconde partie, censurée par Staline, ne sortira sur les écrans qu’en 1958, bien
après la mort du réalisateur, contraint de laisser la fresque inachevée.
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DU JEUDI 7 AU DIMANCHE 17 OCTOBRE
L’usine, le travail, la machine
À la suite de Paciic 231 d’Honegger, plusieurs œuvres suivent le courant urbaniste : la Deuxième Symphonie, dite
« de fer et d’acier », de Prokoiev (1925) ; les Rails de Deshevov (1926), brève toccata présentant de courtes igures
rythmiques obstinées ; le Premier Quatuor à cordes de Mossolov (1927). Pourtant, le constructivisme init par éveiller
la méiance du régime, notamment deux ballets, Le Pas d’acier (1927) de Prokoiev, jugé caricatural, et Le Boulon
de Chostakovitch.
Chostakovitch et le réalisme socialiste
Début 1936 survient l’afaire Lady Macbeth, suite à l’article « Du chaos à la place de la musique », qui dénonce
le « naturalisme grossier » et les tendances formalistes de l’opéra, au nom d’une atteinte aux préceptes du réalisme
socialiste, édictés plus tôt par Staline : « L’art appartient au peuple. Il doit plonger ses racines les plus profondes dans
les masses ouvrières les plus larges qui doivent pouvoir le comprendre et l’aimer. » Remanié après la mort de Staline
sous le titre de Katerina Ismaïlova, l’opéra sera ilmé en 1966 par Mikhaïl Chapiro.
Dès lors, Chostakovitch va se trouver en porte-à-faux entre les attentes d’un régime imprévisible et répressif et
ses libres aspirations d’artiste. Comme les autres « ennemis du peuple » (Roslavets, Mossolov, etc.), il écrira souvent
de la musique « pour le tiroir », par crainte de représailles. C’est le cas de De la poésie populaire juive ou du Quatrième
Quatuor à cordes (1948-1949) qui furent exposés à l’antisémitisme violent de ces années-là, dont fut victime Moshe
Weinberg, grand ami de Chostakovitch. Si la Cinquième Symphonie de 1937, présentée comme « la réponse créative
d’un artiste soviétique à des critiques légitimes », le rachète aux yeux de Staline, les contraintes diverses exercées
par le régime expliquent le conformisme de ses Dix Poèmes sur des textes révolutionnaires (1951) ou du Deuxième
Quatuor à cordes de Mossolov (1942).
Les compositeurs se réfugient alors dans des œuvres de musique pure, parfois à tendance autobiographique, dont
le message intime est crypté, comme dans les Septième et Huitième Quatuors à cordes (1960) ; dans ce dernier, le motif
DSCH, signature musicale du compositeur, parcourt toute l’œuvre comme une angoissante obsession. Le grotesque
et la parodie semblent enin un moyen d’échapper à l’oppression, pourtant omniprésente, comme dans les acerbes
Satires (1960), les Cinq Romances sur des textes du magazine Krokodil (1965), ou les Quatre Strophes du capitaine Lebiadkine
de 1974. Le début du texte écrit par Chostakovitch pour la Préface à l’édition complète de mes œuvres et brèves rélexions
sur cette préface (1966) est, à ce titre, d’une éloquente ironie : « Je noircis toute la feuille d’un trait. / J’en perçois
le chuintement de mon oreille entraînée / Puis du monde entier je déchire l’ouïe, / Mes œuvres sont publiées – et je tombe
dans l’oubli ! »
Grégoire Tosser
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Cycle Lénine, Staline et la musique 1
JEUDI 7 OCTOBRE – 20H
MARDI 12 OCTOBRE – 20H
JEUDI 14 OCTOBRE – 20H
Octobre
Film de Sergueï Eisenstein
URSS, 1928
Musique de Dmitri Chostakovitch
Sergueï Prokoiev
Sonate pour piano n° 1
Alexandre Scriabine
Deux Danses op. 73
Vers la lamme op. 72
Alexandre Mossolov
Sonate pour piano n° 4 op. 11
Nikolaï Roslavets
Deux Poèmes
Igor Stravinski
Ragtime
Arthur Lourié
Syntheses op. 16
Vladimir Deshevov
Rails op. 16
Dmitri Chostakovitch
Sonate pour piano n° 1 op.12
Dmitri Chostakovitch
Trio avec piano n° 1
Ivan Wyschnegradsky
Méditation sur deux thèmes de la
Journée de l’existence op. 7
Nikolaï Roslavets
Trio avec piano n°3
Arthur Lourié
Formes en l’air
Alexandre Mossolov
Quatuor à cordes n° 1
Orchestre National d’Île-de-France
Dmitri Yablonsky, direction
VENDREDI 8 OCTOBRE – 20H
Aelita
Film de Yakov Protazanov
URSS, 1924, 85 minutes.
Musique de Dmitri Kourliandski
(commande de l’Ensemble 2e2m,
création)
Ensemble 2e2m
Pierre Roullier, direction
Olga Andryuschenko, piano
MERCREDI 13 OCTOBRE – 20H
SAMEDI 9 OCTOBRE – 20H
La Nouvelle Babylone
Film de Grigori Kozintsev et
Leonid Trauberg
URSS, 1928-1929
Musique de Dmitri Chostakovitch
Orchestre Philharmonique
de Radio France
Frank Strobel, direction
Sergueï Prokoiev
Symphonie n° 2
Concerto pour violon n° 2
Le Pas d’acier
Deutsche Radio Philharmonie
Saarbrücken-Kaiserslautern
Gennady Rozhdestvensky, direction
Sacha Rozhdestvensky, violon
Le concert sera présenté
par Gennady Rozhdestvensky.
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Solistes du Studio for New Music
Moscow
Stanislav Malyshev, violon
Inna Zilberman, violon
Anna Burchik, alto
Olga Galochkina, violoncelle
Mona Khaba, piano
Manifestation organisée dans le cadre
de l’Année France-Russie 2010 /
www.francerussie2010.com
DU JEUDI 7 AU DIMANCHE 17 OCTOBRE
SAMEDI 16 OCTOBRE – 15H
SAMEDI 16 OCTOBRE – 20H
DIMANCHE 17 OCTOBRE – 16H30
Forum
Dmitri Chostakovitch
Les Joueurs
Livret de Dmitri Chostakovitch
d’apres Nikolaï Gogol
Russie éternelle, Russie engagée
Utopies révolutionnaires : musique
et avant-garde sous Lénine
Piotr Ilitch Tchaïkovski
Liturgie de saint Jean Chrysostome
(extraits)
15H table ronde
Animée par Grégoire Tosser,
musicologue
Avec la participation de
Jean-Claude Marcadé, historien de
l’art, Bruno Monsaingeon, réalisateur,
Gennady Rozhdestvensky, chef
d’orchestre, et Pascal Huynh,
commissaire de l’exposition Lénine,
Staline et la musique
17H30 concert
Moscow Contemporary Music Ensemble
Ivan Wyschnegradsky
Dialogue à deux, pour deux pianos
en quarts de ton
Arthur Lourié
Pleurs de la Vierge Marie - Fragments
d’une chanson pieuse du XIIIe siècle,
pour voix, violon, alto et violoncelle
Ivan Wyschnegradsky
Préludes, pour deux pianos en quarts de ton
Eim Golichev
Trio Zwolftondauermusik, pour violon,
alto et violoncelle
Sergueï Protopopov
Jeunesse, pour voix, violon, violoncelle
et piano
Ivan Wyschnegradsky
Intégrations, pour deux pianos en quarts
de ton
Manifestation organisée dans le cadre
de l’Année France-Russie 2010 /
www.francerussie2010.com
Le Grand Eclair
Livret de N.N. Aseeva
Solistes du Centre Vischnevskaia
de Moscou
Orchestre du Conservatoire de Paris
Jeune Chœur de Paris
Dmitri Jurowski, direction
Coproduction Cité de la musique,
Conservatoire de Paris et Centre
Vischnevskaya de Moscou.
Manifestation organisée dans le cadre de
l’Année France-Russie 2010 /
www.france-russie2010.com
DIMANCHE 17 OCTOBRE – 15H
Ciné-concert
Lullaby for Moscow
D’après Moscow, ilm documentaire de
Mikhaïl Kaufman et Ilya Kopaline,
Russie, 1927
Musiques de Yuri Kasparov, Dmitri
Kourliandski, Kirill Umanski, Anton
Safronov
Intermèdes vidéo d’Olga Kumeger
Moscow Contemporary Music
Ensemble
Alexei Vinogradov, direction
Manifestation organisée dans le cadre de
l’Année France-Russie 2010 /
www.francerussie2010.com
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Sergueï Taneiev
Choeurs sur des textes de Polonski
Dmitri Chostakovitch
Dix Poèmes sur des textes
révolutionnaires
Accentus
Laurence Equilbey, direction
SAMEDI 16 OCTOBRE – 15H
Amphithéâtre
Utopies révolutionnaires : musique et avant-garde sous Lénine
table ronde
Animée par Grégoire Tosser, musicologue
Avec la participation de :
15H : Jean-Claude Marcadé, historien de l’art et Pascal Huynh, commissaire de l’exposition
Lénine, Staline et la musique.
16H : Bruno Monsaingeon, réalisateur et Gennady Rozhdestvensky, chef d’orchestre,
Projection d’un extrait du ilm Notes interdites de Bruno Monsaingeon
(Production Idéale Audience, distribution NGL, droits TV Euroarts Music International)
17H : pause
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17H30 : concert
Ivan Wyschnegradsky
Dialogue à deux, pour deux pianos en quarts de ton
Arthur Lourié
Pleurs de la Vierge Marie – Fragments d’une chanson pieuse du XIIIe siècle, pour voix, violon,
alto et violoncelle
Ivan Wyschnegradsky
Préludes, pour deux pianos en quarts de ton
Eim Golichev
Trio Zwölftondauermusik, pour violon, alto et violoncelle
Sergueï Protopopov
Jeunesse, pour voix, violon, violoncelle et piano
Ivan Wyschnegradsky
Intégrations, pour deux pianos en quarts de ton
Moscow Contemporary Music Ensemble :
Mikhail Dubov, piano
Vyacheslav Poprugin, piano
Ekatertina Kichigina, soprano
Mikhail Bolkhovitin, violon
Vladislav Naroditsky, alto
Sergei Astashonok, violoncelle
Manifestation organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010 / www.francerussie2010.com
Fin du concert vers 18h45.
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Ivan Wyschnegradsky (1893-1979)
Dialogue à deux op. 41
Composition : 1958-1973.
Création : 7 février 1984, Berlin (Hebbel Theater), par Sylvaine Billier et Martine Joste.
Efectif : deux pianos en quarts de ton.
Durée : 8 minutes.
Arthur Lourié (1892-1966)
Pleurs de la Vierge Marie – Fragments d’une chanson pieuse du XIIIe siècle op. 26
Composition : 1915.
Efectif : voix, violon, alto et violoncelle.
Durée : 14 minutes.
Ivan Wyschnegradsky
Préludes op. 22
Composition : 1934, révision dans les années 1960 et 1970.
Création partielle : 25 janvier 1937, Paris (Salle Chopin), par Ina Marika et Edward Staempli ; création complète :
11 décembre 1986, Tokyo (Studio 200), par Henriette Puig-Roget et Kazuoki Fujii.
Efectif : deux pianos en quarts de ton.
Éditeur : Peters/Belaief.
Durée : 12 minutes.
Eim Golichev (1897-1970)
Trio Zwölftondauermusik
Mezzo-forte (Largo)
Fortissimo (Allegro)
Piano (Andante)
Pianissimo (Allegretto)
Adagio
Composition : 1919-1925.
Création (connue) : 11 septembre 2004, par les membres du Quatuor Kreutzer.
Efectif : violon, alto et violoncelle.
Durée : 15 minutes.
8
Sergueï Protopopov (1893-1954)
Jeunesse op. 3
Composition : 1917.
Texte : Sergueï Lipski.
Dédicace : à Sergueï Lipski.
Efectif : mezzo-soprano, violon, violoncelle et piano.
Éditeur : Universal.
Durée : 7 minutes.
Ivan Wyschnegradsky
Intégrations op. 49
Composition : 1962.
Création : 2 novembre 1970, Stockholm (Studio 2).
Efectif : deux pianos en quarts de ton.
Durée : 9 minutes.
9
La première production soviétique d’avant-garde, entre dodécaphonisme, ultrachromatisme
et néoclassicisme
L’inluence exercée par l’œuvre tardive d’Alexandre Scriabine, mort prématurément en 1915,
sur les jeunes compositeurs nés dans les années 1890 (Arthur Lourié en 1892, Ivan
Wyschnegradsky et Sergueï Protopopov en 1893, Eim Golichev en 1897) est profonde.
Cependant, une fois cette langue musicale acquise et assimilée, d’autres univers s’ouvrent
à la nouvelle génération qui, inspirée par l’avant-garde occidentale, s’épanouit à travers
une musique aux courants variés.
Dans la jeune URSS, les créations de mouvements artistiques se multiplient, comme
les organisations rivales Association pour la Musique Contemporaine (dont Protopopov fut
un des porte-parole) et Association Russe des Musiciens Prolétaires, ou le Front Gauche de l’Art
(créé en 1924), qui compte notamment dans ses rangs le metteur en scène Vsevolod Meyerhold,
les compositeurs Arthur Lourié et Nikolaï Roslavets, le poète Vladimir Maïakovski ou le cinéaste
Sergueï Eisenstein. L’inluence de la musique atonale de l’École de Vienne – qui aboutira, au début
des années 1920, à la mise en place de la « méthode de composition à douze sons »,
le dodécaphonisme – est sensible, notamment, chez Lourié (Synthèses pour piano op. 14, 1914),
chez Nikolaï Obouhov (connu pour avoir utilisé, dès 1915, une technique de « non redoublement »
des douze sons) et dans la musique d’Eim Golichev. Exilé à Berlin en 1908, ce dernier,
compositeur et peintre juif, est un des fondateurs du groupe dadaïste Novembre en 1918-1919.
Unique pièce d’envergure ayant survécu à la destruction de sa production musicale et picturale
par les nazis, son trio à cordes « Zwölftondauer-Komplexe » (achevé en 1925, mais esquissé sans
doute dès 1914) utilise des « complexes » ou ensembles stables de douze hauteurs auxquelles
sont attribuées des durées diférentes, à l’aide d’une notation spéciique. En outre, les titres des
cinq mouvements font référence à la nuance générale des parties, elles-mêmes associées
à un tempo, préigurant peut-être déjà le sérialisme intégral des années 1950, même
si la combinatoire propre au dodécaphonisme ne fait l’objet que d’un usage rudimentaire.
Dans le mouvement inal, les dynamiques sont laissées à la discrétion des interprètes.
À partir du début des années 1920, Wyschnegradsky, qui rencontre à la même époque le Tchèque
Alois Hába, développe la loi de la pansonorité, qui dit « que tout l’espace est sonorité et qu’il n’y a pas
un seul endroit, un seul point de l’espace où la sonorité ne soit présente. C’est cet état de pansonorité
ou d’omniprésence dans la totalité de l’espace musical, c’est cette plénitude dans laquelle « tout l’espace
sonne » qui est l’équilibre parfait, la « consonance » ultime et absolue vers laquelle tend au fond toute
musique ». L’ultrachromatisme, auquel s’intéressent également Hába et Protopopov, se donne
à entendre dans les œuvres microtonales, en tiers, quarts voire sixièmes de ton, dès la in des
années 1910, même si le compositeur est contraint à l’exil pour suivre la voie de la microtonalité,
jugée subversive. Écrits à la suite du Manuel d’harmonie à quarts de ton (1932), les Préludes op. 22,
appelés aussi 24 Préludes dans tous les tons de l’échelle chromatique diatonisée à 13 sons, datent
de 1934, puis ont subi une très importante révision (allant parfois jusqu’à la réécriture) dans les
années 1960 et 1970, et jouissent, à ce titre, d’une certaine contemporanéité avec le Dialogue
10
à deux op. 41 (1958-1973) et les Intégrations op. 49 (1962) – toutes ces œuvres exigeant deux
pianos accordés en quarts de ton. Elles sont écrites à partir d’une échelle de treize sons distants
de demi-tons ou quarts de tons, transposable à la manière de la gamme majeure « traditionnelle »,
tonale, dont elle réinvente le diatonisme – à treize sons au lieu de sept – à l’aide également de
fusées et d’éléments pulsés de façon régulière. En outre, elle présente l’avantage, par sa « densité
spatiale » (Wyschnegradsky), de s’approcher de la gamme chromatique et des intervalles naturels,
les harmoniques. Pour le compositeur, le chromatisme diatonisé fut « une étape transitoire,
très importante il est vrai, sur le chemin qui [le] conduisit à la conception des espaces cycliques
ou non-octaviants. »
À côté de ces recherches de structuration chromatique ou hyperchromatique, Protopopov suit
les théories de son professeur, Boleslav Javorski. Sa musique, moins exaltée et moins contrastante,
plus introvertie que celle de Scriabine, propose une nouvelle polarité basée sur la relation de
triton, et une rythmique changeante (tempo et/ou mètre) déjà présente dans la langue russe
et dans la musique de Moussorgski.
À la manière de Stravinski, Lourié, après avoir côtoyé les Futuristes et les Bruitistes, et avoir servi
les poèmes d’Alexandre Blok et d’Anna Akhmatova, connaît une période de production empreinte
de néoclassicisme, dont les Pleurs de la Vierge Marie – Fragments d’une chanson pieuse du XIIIe siècle
op. 26 (1915), sur un texte en ancien français, peuvent être considérés comme un des premiers
avatars. Converti au catholicisme, pris d’un vif intérêt pour le plain-chant, partisan d’une
« nouvelle simplicité » à travers un discours aux dissonances adoucies, il met en musique,
dans ces mêmes années, l’Ave Maria et le Salve Regina dans la Corona carminorum sacrorum
et la poétesse du XVe siècle Christine de Pisan (Cinq Rondeaux). Les doublures accentuées de
l’accompagnement et la multiplicité des motifs secondaires créent un univers propre à exprimer
la dimension archaïque et mystique du sujet.
Grégoire Tosser
11
Артур Лурье
Плач Богородицы. Фрагмент благочестивой
песни XIII века
Arthur Lourié
Pleurs de la Vierge Marie – Fragments
d’une chanson pieuse du XIIIe siècle
Говорила Мария Дева:
C’est la Vierge Marie qui parle.
как плачея я плачу и стенаю,
куда сокрылась радость, я не знаю,
в большой беде сердцем погибаю.
Без всяких сил
мир до смерти будет мне уж не мил.
Je plains et plor come feme dolente
quar j’ay perdu ce que plus m’a talente
a grant tristour fuie est ma jouvente :
sans nul confort
triste sera ma vie jusques a la mort.
О, сладкий сын, милый рот, речь простая,
как Ваша смерть тяжка, мне грудь пронзая,
теперь я как ветка сухая.
Без всяких сил
мир до смерти будет мне уж не мил.
Beau dous cher is, simple vis, belle bouche,
la vostre mort, beau ils, au cuer me touche,
des ores mais vivray come une souche.
Sans nul confort
triste sera ma vie jusques a la mort.
О, сладкий сын, восхотел спуститься
с небес в меня! От Девы воплотиться,
груди моей с Вашей смертью разбиться!
Без всяких сил
мир до смерти будет мне не мил.
Beau dous cher is, vos deinaistes decendre
dou ciel en moy et char umaine prendre,
por vostre mort bien me doit li cuer fendre.
Sans nul confort
triste sera ma vie jusques a la mort.
О, сладкий сын и отче святый, Господня сила,
меня как мать себе сотворила,
чрез Вашу смерть горечь сердце мне пронзила.
Без всяких сил
мир до смерти будет мне уж не мил.
Beau dous cher is, et beau sire et beau pere
quant vos de moi feïstes votre mere,
por vostre mort doige a voir bouche a mere.
Sans nul confort
triste sera ma vie jusques a la mort.
О, сладкий сын, при рожденьи
Девой осталась без зла и истленья.
Вот природы за то отмщенье!
Без всяких сил
мир до смерти будет мне уж не мил.
Beau dous cher is, a la vostre naisance
remes virge sans mal et sans grevance :
que en prent trop nature sa vengance!
Sans nul confort
triste sera ma vie jusques a la mort.
О, сладкий сын,
радость знала я…
Beau dous cher is,
quel grant joie j’avoie…
12
Сергей Протопопов
Юность
Sergueï Protopopov
Jeunesse
(Стихотворение Сергея Липского Ромашки)
(Sur le poème de Sergueï Lipski Les Marguerites)
Любит, не любит…
Скользят лепестки белоснежные,
Гаснет за лесом узорным безмолвный закат,
Еле трепещут колосья кудряво небрежные.
Beaucoup, pas du tout…
Glissent les pétales d’un blanc neigeux,
Le crépuscule s’éteint en silence par-delà la forêt,
Les épis ondulant avec nonchalance frémissent
à peine.
Beaucoup, pas du tout…
Les tendres petits doigts se hâtent,
Le petit cœur bat, les joues sont brûlantes.
Любит, не любит…
Торопятся пальчики нежные,
Бьется сердечко, щечки горят.
Любит! Искрится нить паутинки
в росинках дрожащих точно слезинки.
Струятся, скользят лепестки…
Любит, не любит…
Не любит! В глазках блестящих
тают загадочно отблески тучек горящих.
Светлая капелька катится вниз со щеки…
Не любит!...
Beaucoup ! La toile d’araignée scintille
dans les gouttes de rosée qui tremblent,
telles des larmes.
Les pétales s’efeuillent, glissent…
Beaucoup… pas du tout…
Pas du tout ! Dans les yeux brillants
fondent mystérieusement les relets de nuées
brûlantes.
Une gouttelette transparente roule le long de la joue.
Pas du tout !…
Traduction : Michèle Kahn
13
Moscow Contemporary Music
compositeur avec sa propre
l’étranger. Une place toute spéciale
Ensemble
personnalité. Dans cette optique,
est donnée à la musique de jeunes
Le Moscow Contemporary Music
le MCME a fait pour la première fois
compositeurs russes et étrangers.
Ensemble (MCME) a été fondé en
en Russie le portrait musical de
L’Ensemble prend également part
mars 1990 par le compositeur Yuri
plusieurs compositeurs consacrés du
à des projets internationaux incluant
Kasparov (directeur artistique) sous
XXe siècle comme Edgard Varèse,
le multimédia et le théâtre. En 2009
le patronage du célèbre compositeur
Iannis Xenakis, Wolfgang Rihm, Theo
il a ainsi été nommé lauréat du Prix
russe Edison Denisov. L’objectif de
Loevendie, György Kurtág et Michael
ACTION en récompense de ses
ses activités de création est de
Jarrell entre autres. Par ailleurs,
initiatives théâtrales.
promouvoir largement la musique
l’Ensemble se donne pour mission
russe des XXe et XXIe siècles
de faire connaître à un large public les
à l’étranger ainsi que la musique
dernières tendances de la musique
contemporaine occidentale en Russie. contemporaine en interprétant de
Principal ensemble de solistes de
façon régulière des œuvres de
Russie spécialisé dans l’interprétation
compositeurs originaires de France,
de la musique des XXe et XXIe siècles, il Allemagne, Suisse, Italie, Finlande,
regroupe des interprètes parmi les
Espagne, Grande-Bretagne, du
meilleurs virtuoses du pays. Avec un
Danemark, des Pays-Bas, des États-
répertoire très étendu, le MCME peut
Unis, du Canada, Japon, de Corée,
se vanter d’avoir donné depuis sa
Turquie et d’autres pays. Le MCME a
fondation plus de 500 créations
réalisé une quarantaine
en Russie et dans le monde entier.
d’enregistrements à grande
La musique de l’avant-garde russe
distribution avec les principales
des années 1920 et 1930 occupe une
maisons de disque du monde, parmi
place à part dans ses activités de
lesquelles Olympia (Grande-
concert, à côté de celle des
Bretagne), Harmonia Mundi (France),
compositeurs de l’ex-URSS, regroupés Triton (Japon) et Donemus (Pays-Bas).
sous le terme de galaxie des années
Le MCME se produit régulièrement
1960. Les premiers concerts en Russie
sur les meilleures scènes de concert
d’œuvres de Nikolaï Roslavets et
de Moscou ainsi qu’en tournée dans
d’Alexandre Mossolov sont liés au
une cinquantaine de villes de Russie.
nom du MCME, avec au programme
Avec un succès invariable, il a
à la fois des pièces bien connues de
participé à de nombreux festivals
ces compositeurs et des créations.
internationaux en Arménie, Autriche,
D’autres concerts autour d’Alfred
Biélorussie, République Tchèque,
Schnittke et d’Edison Denisov,
au Danemark, en Finlande, France,
compositeurs majeurs du dernier tiers Géorgie, Allemagne, Grandedu XXe siècle, ont allié pièces
Bretagne, Italie, au Japon, en Lituanie,
conceptuelles, suites de musique
Moldavie, aux Pays-Bas, en Pologne,
de ilm et musique de scène.
Roumanie, Slovaquie, Espagne, Suisse,
Une caractéristique constante de
Turquie, Ukraine et Ouzbékistan.
l’Ensemble est son efort pour mettre
À chaque saison le MCME donne
en adéquation la musique de chaque
plus de 50 concerts en Russie et à
14
Et aussi…
> CONCERTS
> SALLE PLEYEL
> MUSÉE
Cycle Les musiciens de Brecht
SAMEDI 4 DÉCEMBRE 2010, 20H
Exposition Lénine, Staline et
la musique
Réalisée dans le cadre de l’année
France-Russie 2010, l’exposition
conçue en deux grandes parties
met en opposition les utopies
révolutionnaires et la mise au pas
stalinienne.
Du 12 octobre au 16 janvier
Nada Strancar, chant
François Martin, piano, direction
Jean-Luc Manca, accordéon
Guillaume Blaise, percussions
Sergueï Prokoiev
Cinq Mélodies
Sonate n° 1 pour violon et piano op. 80
Leoš Janácek
Sonate
Maurice Ravel
Sonate pour violon et piano
Vadim Repin, violon
Boris Berezovsky, piano
MERCREDI 10 NOVEMBRE, 20H
Œuvres de Kurt Weill, HK Gruber
DIMANCHE 5 DÉCEMBRE 2010, 15H
Orchestre Philharmonique de Radio
France
Chœur de Radio France
HK Gruber, direction
Hakan Hardenberger, trompette
Matthias Brauer, chef de chœur
Piotr Ilitch Tchaïkovski
La Belle au bois dormant
Sergueï Prokoiev
Pierre et le Loup
Tchaikovsky Symphony Orchestra
Vladimir Fedoseyev, direction
Marie-Christine Barrault, récitante
SAMEDI 13 NOVEMBRE, 20H
Œuvres de Paul Hindemith, Kurt Weill,
Hanns Eisler, Heiner Goebbels
> ÉDITIONS
Ensemble Intercontemporain
Perter Rundel, direction
Dagmar Manzel, voix
Catalogue d’exposition : Lénine, Staline
et la musique
256 pages • 2010 • 39 €
Collectif : Musique et utopies
154 pages • 2010 • 19 €
DIMANCHE 14 NOVEMBRE, 16H30
> CITÉSCOPIE
Dialogues d’exilés
Dmitri Chostakovitch
Samedi 8 et dimanche 9 janvier
Œuvres de Mauricio Kagel et extraits
de Dialogues de Bertolt Brecht
Solistes de l’Ensemble
intercontemporain
Jörn Cambreleng, Vincent Nemeth,
récitants
Visites de l’exposition Lénine,
Staline et la musique
Les samedis et dimanches
Du 23 octobre au 16 janvier (sauf
13 novembre, 11 et 25 décembre,
1er et 8 janvier)
Pendant les vacances scolaires,
tous les jours (sauf lundi)
De 14h30 à 16h
Contes russes en musique
Pour les enfants de 4 à 11ans
Le dimanche de 15h à 16h
Les 24 et 31 octobre, 7, 21 et
28 novembre, 5, 19 et 26 décembre,
2 et 16 janvier
Des visites-ateliers sont proposées
le samedi et pendant les vacances
scolaires
Les Musiques de ilm,
pour les 7 à11 ans
Cette visite propose d’explorer lors
d’un parcours dans le Musée les liens
existant entre la musique et le cinéma
et de découvrir, grâce au 7e art,
d’autres facettes de l’univers musical.
Un atelier permet ensuite de créer la
musique d’un extrait de ilm.
Les mercredis 27 octobre,
3 novembre, mercredi 22 et mardi
28 décembre, mardi 22 février –
mercredi 2 mars, mercredi 20 et
vendredi 29 avril, de 14h30 à 16h30
Éditeur : Hugues de Saint Simon | Rédacteur en chef : Pascal Huynh | Rédactrice : Gaëlle Plasseraud | Correctrice : Angèle Leroy | Maquette : Ariane Fermont | Stagiaire : Léa Demillac
Imprimeur FOT | Imprimeur BAF | Licences no 1014849, 1013248, 1013252
VENDREDI 5 NOVEMBRE, 20H
Nada Strancar chante Brecht / Dessau
Conception graphique : Laurent Mészáros • wa75 © Photos : Lénine, 1919 • Staline, 1945 © DR • Saint-Pétersbourg, Musée d’Histoire Politique de la Russie • licences n° 757541, 757542, 757543 Imprimeur : Arts Graphiques de France
EXPOSITION
Exposition au
Musée de la musique
du 12 octobre 2010
au 16 janvier 2011
Billet-coupe file en vente sur
www.citedelamusique.fr
Nocturne le vendredi
jusqu’à 22 heures
Porte de Pantin
Exposition organisée dans le cadre
de l’Année France-Russie 2010
Cité de la musique
www.citedelamusique.fr
01 44 84 44 84