Samedi 16 octobre Forum Utopies révolutionnaires
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Samedi 16 octobre Forum Utopies révolutionnaires : musique et avant-garde sous Lénine Dans le cadre du cycle Lénine, Staline et la musique 1 Du 7 au 17 octobre Vous avez la possibilité de consulter les notes de programme en ligne, 2 jours avant chaque concert, à l’adresse suivante : www.citedelamusique.fr Forum : Utopies révolutionnaires | Samedi 16 octobre Roch-Olivier Maistre, Président du Conseil d’administration Laurent Bayle, Directeur général Cycle Lénine, Staline et la musique 1 À la suite de la révolution d’octobre 1917, les artistes soviétiques rêvent d’un art appartenant à tous. Mais ils doivent rapidement déchanter, car le régime soviétique va très tôt dicter la ligne de conduite à adopter. Or la déinition oicielle du réalisme socialiste, mouvement prôné à partir de 1934, reste vague et changeante, comme la notion de formalisme qui, à la in des années 1940, condamne les dérives antipopulaires de façon tout à fait arbitraire. Exils volontaires ou forcés, actes de censure et déportations se multiplient. Malgré cette terreur, le bouillonnement artistique des années 1920 en URSS témoigne des tendances avant-gardistes et audacieuses de la jeune génération. Scriabine l’inspirateur En 1914, les pièces atonales de Scriabine (qui meurt prématurément en 1915) Vers la lamme op. 72 et les Deux Danses op. 73 soulignent une approche rythmique complexe et une utilisation percussive du piano – aspects partagés par les Deux Poèmes de Nikolaï Roslavets, la Quatrième Sonate pour piano d’Alexandre Mossolov, la Première Sonate pour piano de Chostakovitch (1926) ou, dans un autre contexte, le Ragtime de Stravinski qui abolit la barre de mesure dans un chromatisme généralisé. Il s’agit peut-être là d’un des premiers avatars du néo-classicisme, au même titre que les Pleurs de la Vierge Marie d’Arthur Lourié (1915). L’avant-garde occidentale À l’Ouest, la musique atonale de l’École de Vienne aboutit, en 1923, à la pratique du dodécaphonisme – technique qui n’apparaîtra que très tardivement chez Chostakovitch, et dans un cadre tonal (Quatuor à cordes n° 12, 1968). Cette inluence est pourtant sensible dès 1914 chez Roslavets et Lourié (Synthèses), et dans la musique d’Eim Golychev, également peintre dadaïste, dont le Trio utilise des complexes de douze hauteurs et durées diférentes, et qui associe les dynamiques de chaque mouvement à un tempo. Le courant futuriste et l’invention d’instruments intéressent également les compositeurs – la « Croix sonore », imaginée par Nikolaï Obouhov dès 1917, est un instrument électrique qui préigure le thérémine. Certaines pièces pour piano de Lourié présentent une notation cubiste, comme les Formes en l’air de 1915, dédiées à Picasso. Au même moment, Ivan Wyschnegradsky développe une musique ultrachromatique en tiers, quarts voire sixièmes de ton (Méditation sur deux thèmes de la Journée de l’existence), voie de la microtonalité poursuivie ensuite en exil et reprise à sa manière par Schnittke, dont le Concerto grosso n° 1 (1977) associe la musique fonctionnelle à une parodie de la musique baroque et à un langage au chromatisme exacerbé. L’âge d’or du cinéma soviétique La in des années 1920, marquée par les chefs-d’œuvre d’Eisenstein (Le Cuirassé Potemkine, Octobre), ravit les compositeurs qui, tels Vladimir Deshevov et le jeune Chostakovitch, s’intéressent à la scène et au cinéma. Les cinéastes Kozintsev et Trauberg signent en 1921 le Manifeste de l’excentrisme, dont une des priorités est de renouer, dans la mise en scène, avec les formes de spectacle populaire (music-hall, opérette, cirque). C’est dans cet esprit que Chostakovitch débute Le Grand Éclair (1931-1932) et compose sa première musique de cinéma pour le ilm La Nouvelle Babylone (1928-1929). Les résonances politiques y sont importantes, tout comme dans la curieuse Aelita de Protazanov, ilm de science-iction qui évoque un Moscou marqué par la Nouvelle politique économique, ainsi qu’une révolution prolétarienne sur… Mars. Au temps du cinéma parlant, les Montagnes d’or de Youtkévitch (1931) évoquent une grève d’ouvriers dans la Russie prérévolutionnaire. Comme pour Alexandre Nevski, Prokoiev collabore avec Eisenstein pour Ivan le Terrible (1944-1946) dont la seconde partie, censurée par Staline, ne sortira sur les écrans qu’en 1958, bien après la mort du réalisateur, contraint de laisser la fresque inachevée. 2 DU JEUDI 7 AU DIMANCHE 17 OCTOBRE L’usine, le travail, la machine À la suite de Paciic 231 d’Honegger, plusieurs œuvres suivent le courant urbaniste : la Deuxième Symphonie, dite « de fer et d’acier », de Prokoiev (1925) ; les Rails de Deshevov (1926), brève toccata présentant de courtes igures rythmiques obstinées ; le Premier Quatuor à cordes de Mossolov (1927). Pourtant, le constructivisme init par éveiller la méiance du régime, notamment deux ballets, Le Pas d’acier (1927) de Prokoiev, jugé caricatural, et Le Boulon de Chostakovitch. Chostakovitch et le réalisme socialiste Début 1936 survient l’afaire Lady Macbeth, suite à l’article « Du chaos à la place de la musique », qui dénonce le « naturalisme grossier » et les tendances formalistes de l’opéra, au nom d’une atteinte aux préceptes du réalisme socialiste, édictés plus tôt par Staline : « L’art appartient au peuple. Il doit plonger ses racines les plus profondes dans les masses ouvrières les plus larges qui doivent pouvoir le comprendre et l’aimer. » Remanié après la mort de Staline sous le titre de Katerina Ismaïlova, l’opéra sera ilmé en 1966 par Mikhaïl Chapiro. Dès lors, Chostakovitch va se trouver en porte-à-faux entre les attentes d’un régime imprévisible et répressif et ses libres aspirations d’artiste. Comme les autres « ennemis du peuple » (Roslavets, Mossolov, etc.), il écrira souvent de la musique « pour le tiroir », par crainte de représailles. C’est le cas de De la poésie populaire juive ou du Quatrième Quatuor à cordes (1948-1949) qui furent exposés à l’antisémitisme violent de ces années-là, dont fut victime Moshe Weinberg, grand ami de Chostakovitch. Si la Cinquième Symphonie de 1937, présentée comme « la réponse créative d’un artiste soviétique à des critiques légitimes », le rachète aux yeux de Staline, les contraintes diverses exercées par le régime expliquent le conformisme de ses Dix Poèmes sur des textes révolutionnaires (1951) ou du Deuxième Quatuor à cordes de Mossolov (1942). Les compositeurs se réfugient alors dans des œuvres de musique pure, parfois à tendance autobiographique, dont le message intime est crypté, comme dans les Septième et Huitième Quatuors à cordes (1960) ; dans ce dernier, le motif DSCH, signature musicale du compositeur, parcourt toute l’œuvre comme une angoissante obsession. Le grotesque et la parodie semblent enin un moyen d’échapper à l’oppression, pourtant omniprésente, comme dans les acerbes Satires (1960), les Cinq Romances sur des textes du magazine Krokodil (1965), ou les Quatre Strophes du capitaine Lebiadkine de 1974. Le début du texte écrit par Chostakovitch pour la Préface à l’édition complète de mes œuvres et brèves rélexions sur cette préface (1966) est, à ce titre, d’une éloquente ironie : « Je noircis toute la feuille d’un trait. / J’en perçois le chuintement de mon oreille entraînée / Puis du monde entier je déchire l’ouïe, / Mes œuvres sont publiées – et je tombe dans l’oubli ! » Grégoire Tosser 3 Cycle Lénine, Staline et la musique 1 JEUDI 7 OCTOBRE – 20H MARDI 12 OCTOBRE – 20H JEUDI 14 OCTOBRE – 20H Octobre Film de Sergueï Eisenstein URSS, 1928 Musique de Dmitri Chostakovitch Sergueï Prokoiev Sonate pour piano n° 1 Alexandre Scriabine Deux Danses op. 73 Vers la lamme op. 72 Alexandre Mossolov Sonate pour piano n° 4 op. 11 Nikolaï Roslavets Deux Poèmes Igor Stravinski Ragtime Arthur Lourié Syntheses op. 16 Vladimir Deshevov Rails op. 16 Dmitri Chostakovitch Sonate pour piano n° 1 op.12 Dmitri Chostakovitch Trio avec piano n° 1 Ivan Wyschnegradsky Méditation sur deux thèmes de la Journée de l’existence op. 7 Nikolaï Roslavets Trio avec piano n°3 Arthur Lourié Formes en l’air Alexandre Mossolov Quatuor à cordes n° 1 Orchestre National d’Île-de-France Dmitri Yablonsky, direction VENDREDI 8 OCTOBRE – 20H Aelita Film de Yakov Protazanov URSS, 1924, 85 minutes. Musique de Dmitri Kourliandski (commande de l’Ensemble 2e2m, création) Ensemble 2e2m Pierre Roullier, direction Olga Andryuschenko, piano MERCREDI 13 OCTOBRE – 20H SAMEDI 9 OCTOBRE – 20H La Nouvelle Babylone Film de Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg URSS, 1928-1929 Musique de Dmitri Chostakovitch Orchestre Philharmonique de Radio France Frank Strobel, direction Sergueï Prokoiev Symphonie n° 2 Concerto pour violon n° 2 Le Pas d’acier Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken-Kaiserslautern Gennady Rozhdestvensky, direction Sacha Rozhdestvensky, violon Le concert sera présenté par Gennady Rozhdestvensky. 4 Solistes du Studio for New Music Moscow Stanislav Malyshev, violon Inna Zilberman, violon Anna Burchik, alto Olga Galochkina, violoncelle Mona Khaba, piano Manifestation organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010 / www.francerussie2010.com DU JEUDI 7 AU DIMANCHE 17 OCTOBRE SAMEDI 16 OCTOBRE – 15H SAMEDI 16 OCTOBRE – 20H DIMANCHE 17 OCTOBRE – 16H30 Forum Dmitri Chostakovitch Les Joueurs Livret de Dmitri Chostakovitch d’apres Nikolaï Gogol Russie éternelle, Russie engagée Utopies révolutionnaires : musique et avant-garde sous Lénine Piotr Ilitch Tchaïkovski Liturgie de saint Jean Chrysostome (extraits) 15H table ronde Animée par Grégoire Tosser, musicologue Avec la participation de Jean-Claude Marcadé, historien de l’art, Bruno Monsaingeon, réalisateur, Gennady Rozhdestvensky, chef d’orchestre, et Pascal Huynh, commissaire de l’exposition Lénine, Staline et la musique 17H30 concert Moscow Contemporary Music Ensemble Ivan Wyschnegradsky Dialogue à deux, pour deux pianos en quarts de ton Arthur Lourié Pleurs de la Vierge Marie - Fragments d’une chanson pieuse du XIIIe siècle, pour voix, violon, alto et violoncelle Ivan Wyschnegradsky Préludes, pour deux pianos en quarts de ton Eim Golichev Trio Zwolftondauermusik, pour violon, alto et violoncelle Sergueï Protopopov Jeunesse, pour voix, violon, violoncelle et piano Ivan Wyschnegradsky Intégrations, pour deux pianos en quarts de ton Manifestation organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010 / www.francerussie2010.com Le Grand Eclair Livret de N.N. Aseeva Solistes du Centre Vischnevskaia de Moscou Orchestre du Conservatoire de Paris Jeune Chœur de Paris Dmitri Jurowski, direction Coproduction Cité de la musique, Conservatoire de Paris et Centre Vischnevskaya de Moscou. Manifestation organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010 / www.france-russie2010.com DIMANCHE 17 OCTOBRE – 15H Ciné-concert Lullaby for Moscow D’après Moscow, ilm documentaire de Mikhaïl Kaufman et Ilya Kopaline, Russie, 1927 Musiques de Yuri Kasparov, Dmitri Kourliandski, Kirill Umanski, Anton Safronov Intermèdes vidéo d’Olga Kumeger Moscow Contemporary Music Ensemble Alexei Vinogradov, direction Manifestation organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010 / www.francerussie2010.com 5 Sergueï Taneiev Choeurs sur des textes de Polonski Dmitri Chostakovitch Dix Poèmes sur des textes révolutionnaires Accentus Laurence Equilbey, direction SAMEDI 16 OCTOBRE – 15H Amphithéâtre Utopies révolutionnaires : musique et avant-garde sous Lénine table ronde Animée par Grégoire Tosser, musicologue Avec la participation de : 15H : Jean-Claude Marcadé, historien de l’art et Pascal Huynh, commissaire de l’exposition Lénine, Staline et la musique. 16H : Bruno Monsaingeon, réalisateur et Gennady Rozhdestvensky, chef d’orchestre, Projection d’un extrait du ilm Notes interdites de Bruno Monsaingeon (Production Idéale Audience, distribution NGL, droits TV Euroarts Music International) 17H : pause 6 17H30 : concert Ivan Wyschnegradsky Dialogue à deux, pour deux pianos en quarts de ton Arthur Lourié Pleurs de la Vierge Marie – Fragments d’une chanson pieuse du XIIIe siècle, pour voix, violon, alto et violoncelle Ivan Wyschnegradsky Préludes, pour deux pianos en quarts de ton Eim Golichev Trio Zwölftondauermusik, pour violon, alto et violoncelle Sergueï Protopopov Jeunesse, pour voix, violon, violoncelle et piano Ivan Wyschnegradsky Intégrations, pour deux pianos en quarts de ton Moscow Contemporary Music Ensemble : Mikhail Dubov, piano Vyacheslav Poprugin, piano Ekatertina Kichigina, soprano Mikhail Bolkhovitin, violon Vladislav Naroditsky, alto Sergei Astashonok, violoncelle Manifestation organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010 / www.francerussie2010.com Fin du concert vers 18h45. 7 Ivan Wyschnegradsky (1893-1979) Dialogue à deux op. 41 Composition : 1958-1973. Création : 7 février 1984, Berlin (Hebbel Theater), par Sylvaine Billier et Martine Joste. Efectif : deux pianos en quarts de ton. Durée : 8 minutes. Arthur Lourié (1892-1966) Pleurs de la Vierge Marie – Fragments d’une chanson pieuse du XIIIe siècle op. 26 Composition : 1915. Efectif : voix, violon, alto et violoncelle. Durée : 14 minutes. Ivan Wyschnegradsky Préludes op. 22 Composition : 1934, révision dans les années 1960 et 1970. Création partielle : 25 janvier 1937, Paris (Salle Chopin), par Ina Marika et Edward Staempli ; création complète : 11 décembre 1986, Tokyo (Studio 200), par Henriette Puig-Roget et Kazuoki Fujii. Efectif : deux pianos en quarts de ton. Éditeur : Peters/Belaief. Durée : 12 minutes. Eim Golichev (1897-1970) Trio Zwölftondauermusik Mezzo-forte (Largo) Fortissimo (Allegro) Piano (Andante) Pianissimo (Allegretto) Adagio Composition : 1919-1925. Création (connue) : 11 septembre 2004, par les membres du Quatuor Kreutzer. Efectif : violon, alto et violoncelle. Durée : 15 minutes. 8 Sergueï Protopopov (1893-1954) Jeunesse op. 3 Composition : 1917. Texte : Sergueï Lipski. Dédicace : à Sergueï Lipski. Efectif : mezzo-soprano, violon, violoncelle et piano. Éditeur : Universal. Durée : 7 minutes. Ivan Wyschnegradsky Intégrations op. 49 Composition : 1962. Création : 2 novembre 1970, Stockholm (Studio 2). Efectif : deux pianos en quarts de ton. Durée : 9 minutes. 9 La première production soviétique d’avant-garde, entre dodécaphonisme, ultrachromatisme et néoclassicisme L’inluence exercée par l’œuvre tardive d’Alexandre Scriabine, mort prématurément en 1915, sur les jeunes compositeurs nés dans les années 1890 (Arthur Lourié en 1892, Ivan Wyschnegradsky et Sergueï Protopopov en 1893, Eim Golichev en 1897) est profonde. Cependant, une fois cette langue musicale acquise et assimilée, d’autres univers s’ouvrent à la nouvelle génération qui, inspirée par l’avant-garde occidentale, s’épanouit à travers une musique aux courants variés. Dans la jeune URSS, les créations de mouvements artistiques se multiplient, comme les organisations rivales Association pour la Musique Contemporaine (dont Protopopov fut un des porte-parole) et Association Russe des Musiciens Prolétaires, ou le Front Gauche de l’Art (créé en 1924), qui compte notamment dans ses rangs le metteur en scène Vsevolod Meyerhold, les compositeurs Arthur Lourié et Nikolaï Roslavets, le poète Vladimir Maïakovski ou le cinéaste Sergueï Eisenstein. L’inluence de la musique atonale de l’École de Vienne – qui aboutira, au début des années 1920, à la mise en place de la « méthode de composition à douze sons », le dodécaphonisme – est sensible, notamment, chez Lourié (Synthèses pour piano op. 14, 1914), chez Nikolaï Obouhov (connu pour avoir utilisé, dès 1915, une technique de « non redoublement » des douze sons) et dans la musique d’Eim Golichev. Exilé à Berlin en 1908, ce dernier, compositeur et peintre juif, est un des fondateurs du groupe dadaïste Novembre en 1918-1919. Unique pièce d’envergure ayant survécu à la destruction de sa production musicale et picturale par les nazis, son trio à cordes « Zwölftondauer-Komplexe » (achevé en 1925, mais esquissé sans doute dès 1914) utilise des « complexes » ou ensembles stables de douze hauteurs auxquelles sont attribuées des durées diférentes, à l’aide d’une notation spéciique. En outre, les titres des cinq mouvements font référence à la nuance générale des parties, elles-mêmes associées à un tempo, préigurant peut-être déjà le sérialisme intégral des années 1950, même si la combinatoire propre au dodécaphonisme ne fait l’objet que d’un usage rudimentaire. Dans le mouvement inal, les dynamiques sont laissées à la discrétion des interprètes. À partir du début des années 1920, Wyschnegradsky, qui rencontre à la même époque le Tchèque Alois Hába, développe la loi de la pansonorité, qui dit « que tout l’espace est sonorité et qu’il n’y a pas un seul endroit, un seul point de l’espace où la sonorité ne soit présente. C’est cet état de pansonorité ou d’omniprésence dans la totalité de l’espace musical, c’est cette plénitude dans laquelle « tout l’espace sonne » qui est l’équilibre parfait, la « consonance » ultime et absolue vers laquelle tend au fond toute musique ». L’ultrachromatisme, auquel s’intéressent également Hába et Protopopov, se donne à entendre dans les œuvres microtonales, en tiers, quarts voire sixièmes de ton, dès la in des années 1910, même si le compositeur est contraint à l’exil pour suivre la voie de la microtonalité, jugée subversive. Écrits à la suite du Manuel d’harmonie à quarts de ton (1932), les Préludes op. 22, appelés aussi 24 Préludes dans tous les tons de l’échelle chromatique diatonisée à 13 sons, datent de 1934, puis ont subi une très importante révision (allant parfois jusqu’à la réécriture) dans les années 1960 et 1970, et jouissent, à ce titre, d’une certaine contemporanéité avec le Dialogue 10 à deux op. 41 (1958-1973) et les Intégrations op. 49 (1962) – toutes ces œuvres exigeant deux pianos accordés en quarts de ton. Elles sont écrites à partir d’une échelle de treize sons distants de demi-tons ou quarts de tons, transposable à la manière de la gamme majeure « traditionnelle », tonale, dont elle réinvente le diatonisme – à treize sons au lieu de sept – à l’aide également de fusées et d’éléments pulsés de façon régulière. En outre, elle présente l’avantage, par sa « densité spatiale » (Wyschnegradsky), de s’approcher de la gamme chromatique et des intervalles naturels, les harmoniques. Pour le compositeur, le chromatisme diatonisé fut « une étape transitoire, très importante il est vrai, sur le chemin qui [le] conduisit à la conception des espaces cycliques ou non-octaviants. » À côté de ces recherches de structuration chromatique ou hyperchromatique, Protopopov suit les théories de son professeur, Boleslav Javorski. Sa musique, moins exaltée et moins contrastante, plus introvertie que celle de Scriabine, propose une nouvelle polarité basée sur la relation de triton, et une rythmique changeante (tempo et/ou mètre) déjà présente dans la langue russe et dans la musique de Moussorgski. À la manière de Stravinski, Lourié, après avoir côtoyé les Futuristes et les Bruitistes, et avoir servi les poèmes d’Alexandre Blok et d’Anna Akhmatova, connaît une période de production empreinte de néoclassicisme, dont les Pleurs de la Vierge Marie – Fragments d’une chanson pieuse du XIIIe siècle op. 26 (1915), sur un texte en ancien français, peuvent être considérés comme un des premiers avatars. Converti au catholicisme, pris d’un vif intérêt pour le plain-chant, partisan d’une « nouvelle simplicité » à travers un discours aux dissonances adoucies, il met en musique, dans ces mêmes années, l’Ave Maria et le Salve Regina dans la Corona carminorum sacrorum et la poétesse du XVe siècle Christine de Pisan (Cinq Rondeaux). Les doublures accentuées de l’accompagnement et la multiplicité des motifs secondaires créent un univers propre à exprimer la dimension archaïque et mystique du sujet. Grégoire Tosser 11 Артур Лурье Плач Богородицы. Фрагмент благочестивой песни XIII века Arthur Lourié Pleurs de la Vierge Marie – Fragments d’une chanson pieuse du XIIIe siècle Говорила Мария Дева: C’est la Vierge Marie qui parle. как плачея я плачу и стенаю, куда сокрылась радость, я не знаю, в большой беде сердцем погибаю. Без всяких сил мир до смерти будет мне уж не мил. Je plains et plor come feme dolente quar j’ay perdu ce que plus m’a talente a grant tristour fuie est ma jouvente : sans nul confort triste sera ma vie jusques a la mort. О, сладкий сын, милый рот, речь простая, как Ваша смерть тяжка, мне грудь пронзая, теперь я как ветка сухая. Без всяких сил мир до смерти будет мне уж не мил. Beau dous cher is, simple vis, belle bouche, la vostre mort, beau ils, au cuer me touche, des ores mais vivray come une souche. Sans nul confort triste sera ma vie jusques a la mort. О, сладкий сын, восхотел спуститься с небес в меня! От Девы воплотиться, груди моей с Вашей смертью разбиться! Без всяких сил мир до смерти будет мне не мил. Beau dous cher is, vos deinaistes decendre dou ciel en moy et char umaine prendre, por vostre mort bien me doit li cuer fendre. Sans nul confort triste sera ma vie jusques a la mort. О, сладкий сын и отче святый, Господня сила, меня как мать себе сотворила, чрез Вашу смерть горечь сердце мне пронзила. Без всяких сил мир до смерти будет мне уж не мил. Beau dous cher is, et beau sire et beau pere quant vos de moi feïstes votre mere, por vostre mort doige a voir bouche a mere. Sans nul confort triste sera ma vie jusques a la mort. О, сладкий сын, при рожденьи Девой осталась без зла и истленья. Вот природы за то отмщенье! Без всяких сил мир до смерти будет мне уж не мил. Beau dous cher is, a la vostre naisance remes virge sans mal et sans grevance : que en prent trop nature sa vengance! Sans nul confort triste sera ma vie jusques a la mort. О, сладкий сын, радость знала я… Beau dous cher is, quel grant joie j’avoie… 12 Сергей Протопопов Юность Sergueï Protopopov Jeunesse (Стихотворение Сергея Липского Ромашки) (Sur le poème de Sergueï Lipski Les Marguerites) Любит, не любит… Скользят лепестки белоснежные, Гаснет за лесом узорным безмолвный закат, Еле трепещут колосья кудряво небрежные. Beaucoup, pas du tout… Glissent les pétales d’un blanc neigeux, Le crépuscule s’éteint en silence par-delà la forêt, Les épis ondulant avec nonchalance frémissent à peine. Beaucoup, pas du tout… Les tendres petits doigts se hâtent, Le petit cœur bat, les joues sont brûlantes. Любит, не любит… Торопятся пальчики нежные, Бьется сердечко, щечки горят. Любит! Искрится нить паутинки в росинках дрожащих точно слезинки. Струятся, скользят лепестки… Любит, не любит… Не любит! В глазках блестящих тают загадочно отблески тучек горящих. Светлая капелька катится вниз со щеки… Не любит!... Beaucoup ! La toile d’araignée scintille dans les gouttes de rosée qui tremblent, telles des larmes. Les pétales s’efeuillent, glissent… Beaucoup… pas du tout… Pas du tout ! Dans les yeux brillants fondent mystérieusement les relets de nuées brûlantes. Une gouttelette transparente roule le long de la joue. Pas du tout !… Traduction : Michèle Kahn 13 Moscow Contemporary Music compositeur avec sa propre l’étranger. Une place toute spéciale Ensemble personnalité. Dans cette optique, est donnée à la musique de jeunes Le Moscow Contemporary Music le MCME a fait pour la première fois compositeurs russes et étrangers. Ensemble (MCME) a été fondé en en Russie le portrait musical de L’Ensemble prend également part mars 1990 par le compositeur Yuri plusieurs compositeurs consacrés du à des projets internationaux incluant Kasparov (directeur artistique) sous XXe siècle comme Edgard Varèse, le multimédia et le théâtre. En 2009 le patronage du célèbre compositeur Iannis Xenakis, Wolfgang Rihm, Theo il a ainsi été nommé lauréat du Prix russe Edison Denisov. L’objectif de Loevendie, György Kurtág et Michael ACTION en récompense de ses ses activités de création est de Jarrell entre autres. Par ailleurs, initiatives théâtrales. promouvoir largement la musique l’Ensemble se donne pour mission russe des XXe et XXIe siècles de faire connaître à un large public les à l’étranger ainsi que la musique dernières tendances de la musique contemporaine occidentale en Russie. contemporaine en interprétant de Principal ensemble de solistes de façon régulière des œuvres de Russie spécialisé dans l’interprétation compositeurs originaires de France, de la musique des XXe et XXIe siècles, il Allemagne, Suisse, Italie, Finlande, regroupe des interprètes parmi les Espagne, Grande-Bretagne, du meilleurs virtuoses du pays. Avec un Danemark, des Pays-Bas, des États- répertoire très étendu, le MCME peut Unis, du Canada, Japon, de Corée, se vanter d’avoir donné depuis sa Turquie et d’autres pays. Le MCME a fondation plus de 500 créations réalisé une quarantaine en Russie et dans le monde entier. d’enregistrements à grande La musique de l’avant-garde russe distribution avec les principales des années 1920 et 1930 occupe une maisons de disque du monde, parmi place à part dans ses activités de lesquelles Olympia (Grande- concert, à côté de celle des Bretagne), Harmonia Mundi (France), compositeurs de l’ex-URSS, regroupés Triton (Japon) et Donemus (Pays-Bas). sous le terme de galaxie des années Le MCME se produit régulièrement 1960. Les premiers concerts en Russie sur les meilleures scènes de concert d’œuvres de Nikolaï Roslavets et de Moscou ainsi qu’en tournée dans d’Alexandre Mossolov sont liés au une cinquantaine de villes de Russie. nom du MCME, avec au programme Avec un succès invariable, il a à la fois des pièces bien connues de participé à de nombreux festivals ces compositeurs et des créations. internationaux en Arménie, Autriche, D’autres concerts autour d’Alfred Biélorussie, République Tchèque, Schnittke et d’Edison Denisov, au Danemark, en Finlande, France, compositeurs majeurs du dernier tiers Géorgie, Allemagne, Grandedu XXe siècle, ont allié pièces Bretagne, Italie, au Japon, en Lituanie, conceptuelles, suites de musique Moldavie, aux Pays-Bas, en Pologne, de ilm et musique de scène. Roumanie, Slovaquie, Espagne, Suisse, Une caractéristique constante de Turquie, Ukraine et Ouzbékistan. l’Ensemble est son efort pour mettre À chaque saison le MCME donne en adéquation la musique de chaque plus de 50 concerts en Russie et à 14 Et aussi… > CONCERTS > SALLE PLEYEL > MUSÉE Cycle Les musiciens de Brecht SAMEDI 4 DÉCEMBRE 2010, 20H Exposition Lénine, Staline et la musique Réalisée dans le cadre de l’année France-Russie 2010, l’exposition conçue en deux grandes parties met en opposition les utopies révolutionnaires et la mise au pas stalinienne. Du 12 octobre au 16 janvier Nada Strancar, chant François Martin, piano, direction Jean-Luc Manca, accordéon Guillaume Blaise, percussions Sergueï Prokoiev Cinq Mélodies Sonate n° 1 pour violon et piano op. 80 Leoš Janácek Sonate Maurice Ravel Sonate pour violon et piano Vadim Repin, violon Boris Berezovsky, piano MERCREDI 10 NOVEMBRE, 20H Œuvres de Kurt Weill, HK Gruber DIMANCHE 5 DÉCEMBRE 2010, 15H Orchestre Philharmonique de Radio France Chœur de Radio France HK Gruber, direction Hakan Hardenberger, trompette Matthias Brauer, chef de chœur Piotr Ilitch Tchaïkovski La Belle au bois dormant Sergueï Prokoiev Pierre et le Loup Tchaikovsky Symphony Orchestra Vladimir Fedoseyev, direction Marie-Christine Barrault, récitante SAMEDI 13 NOVEMBRE, 20H Œuvres de Paul Hindemith, Kurt Weill, Hanns Eisler, Heiner Goebbels > ÉDITIONS Ensemble Intercontemporain Perter Rundel, direction Dagmar Manzel, voix Catalogue d’exposition : Lénine, Staline et la musique 256 pages • 2010 • 39 € Collectif : Musique et utopies 154 pages • 2010 • 19 € DIMANCHE 14 NOVEMBRE, 16H30 > CITÉSCOPIE Dialogues d’exilés Dmitri Chostakovitch Samedi 8 et dimanche 9 janvier Œuvres de Mauricio Kagel et extraits de Dialogues de Bertolt Brecht Solistes de l’Ensemble intercontemporain Jörn Cambreleng, Vincent Nemeth, récitants Visites de l’exposition Lénine, Staline et la musique Les samedis et dimanches Du 23 octobre au 16 janvier (sauf 13 novembre, 11 et 25 décembre, 1er et 8 janvier) Pendant les vacances scolaires, tous les jours (sauf lundi) De 14h30 à 16h Contes russes en musique Pour les enfants de 4 à 11ans Le dimanche de 15h à 16h Les 24 et 31 octobre, 7, 21 et 28 novembre, 5, 19 et 26 décembre, 2 et 16 janvier Des visites-ateliers sont proposées le samedi et pendant les vacances scolaires Les Musiques de ilm, pour les 7 à11 ans Cette visite propose d’explorer lors d’un parcours dans le Musée les liens existant entre la musique et le cinéma et de découvrir, grâce au 7e art, d’autres facettes de l’univers musical. Un atelier permet ensuite de créer la musique d’un extrait de ilm. Les mercredis 27 octobre, 3 novembre, mercredi 22 et mardi 28 décembre, mardi 22 février – mercredi 2 mars, mercredi 20 et vendredi 29 avril, de 14h30 à 16h30 Éditeur : Hugues de Saint Simon | Rédacteur en chef : Pascal Huynh | Rédactrice : Gaëlle Plasseraud | Correctrice : Angèle Leroy | Maquette : Ariane Fermont | Stagiaire : Léa Demillac Imprimeur FOT | Imprimeur BAF | Licences no 1014849, 1013248, 1013252 VENDREDI 5 NOVEMBRE, 20H Nada Strancar chante Brecht / Dessau Conception graphique : Laurent Mészáros • wa75 © Photos : Lénine, 1919 • Staline, 1945 © DR • Saint-Pétersbourg, Musée d’Histoire Politique de la Russie • licences n° 757541, 757542, 757543 Imprimeur : Arts Graphiques de France EXPOSITION Exposition au Musée de la musique du 12 octobre 2010 au 16 janvier 2011 Billet-coupe file en vente sur www.citedelamusique.fr Nocturne le vendredi jusqu’à 22 heures Porte de Pantin Exposition organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010 Cité de la musique www.citedelamusique.fr 01 44 84 44 84