La véritable histoire de Saint-Jean de Braye
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La véritable histoire de Saint-Jean de Braye
La véritable histoire de Saint-Jean de Braye ! Ateliers d’écriture mené par Yves Javault et « Tu Connais la nouvelle » en novembre-décembre 2011 auprès de jeunes (élèves de CM2 de l’école Paul Langevin), d’adultes (Théâtre Clin d’œil) et de seniors (Foyer Pablo Picasso) de la commune . 1 « Et si les travaux du tram nous révélaient les traces d’un passé jusqu’alors inconnu ? Et si sous l’apparente banalité du quotidien de cette commune se cachait une histoire fantastique ? Quelle légende explique le nom de ce lieu-dit ? Quel personnage se dissimule derrière ce nom de rue ? Quelle chanson se chantait sur cette place ? » Voici les témoignages de jeunes (élèves de CM2 de l’école Paul Langevin), d’adultes et de seniors (Foyer Pablo Picasso) de la commune issus d’atelier d’écriture menés par Yves Javault et « Tu Connais la Nouvelle ? » Des histoires inédites et insolites nées de l’imaginaire de trois générations, une mosaïque de souvenirs et d’inventions, nous font redécouvrir notre ville. Un grand merci à Chantal Leraître, Françoise Hennegrave, Guy Viennot, Eliane Tessier-Lemasson pour les corrections de ce recueil, sous le regard expert et attentif de Jack Foucher. 2 PORTR AIT CHINO IS ............................................................................................................... 4 LA CH ANSON DE SAINT -J EAN DE B RA YE .............................................................................. 9 J’AI ME B IEN L A RU E... ......................................................................................................... 15 SOUVENI RS D’ UNE RU E ....................................................................................................... 16 LES RUES ET RU ME URS DE S AINT -JE AN DE B RAY E ............................................................. 19 LA RU E DES TROIS CL ES ...................................................................................................... 47 LES T ROIS MONDES ............................................................................................................. 85 CONSEILS A UN VO YA GEU R D ECO UV RAN T SAIN T -JE AN D E BR AYE .................................... 96 LA M ACHIN E A VOY A GER D ANS LE TE MPS - DES T INATION : S AINT- JE AN D E BR AYE ...... 114 LES H ABIT ANTS D E S AINT- JE AN D E BR AYE ...................................................................... 122 JAN US BR AYUS : LA FET E ! ................................................................................................. 138 3 Portrait chinois Si Saint-Jean de Braye était… PAR CLEMENCE .......................................................................................................................................................... PAR MANON .................................................................................................................................................................. PAR MATHIS.................................................................................................................................................................. PAR MATTHIEU ........................................................................................................................................................... PAR ROMEO .................................................................................................................................................................. PAR TOM ........................................................................................................................................................................ PAR GERARD COTTIGNY......................................................................................................................................... PAR CHANTAL RICHER ............................................................................................................................................ PAR JEAN-JACQUES RICHER ................................................................................................................................. PAR FRANÇOISE RUBINSTENN.............................................................................................................................. 4 Par Clémence Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait jaune et vert pour les couleurs de la SMOC Canoë-Kayak Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait Jean Ferrat, pour son passage en voiture. Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait une pizza pour le nombre de vendeurs Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait la bourrée pour ceux qui ont trop bu Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait une vache pour rappeler la montagne, mon lieu préféré Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait le cactus de ma voisine. Par Manon Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait le rouge car c’est la couleur de l’ABC. Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait du Hip-Hop car ça bouge Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait des pâtes car il y a un restaurant italien Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait de la salsa car ça bouge Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait un dauphin Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait des tulipes car c’est joli. Par Mathis Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait jaune comme la plage avec des palmiers Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait du Hip-Hop par ce qu’il y a une salle de danse Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait des lasagnes par ce qu’il y a un restaurant Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait une danse de Mickael Jackson par ce qu’il y a une salle de rap Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait un lapin par ce qu’il est noir et ça me fait penser à l’école 5 Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait un arbre par ce qu’il y a la forêt de Charbonnière. Par Matthieu Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait le rouge car ça me fait penser à la couleur de l’ABC Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait un crocodile par ce que ça me fait penser à la jungle Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait le géranium. Par Roméo Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait le bleu pour compléter le ciel Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait du Mickael Jackson pour lui faire honneur Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait des moules frites pour se rappeler de la mer et qu’elle est loin de Saint-Jean de Braye Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait la valse pour que tout le monde danse, même les personnes âgées. Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait chien pour compléter le son des oiseaux Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait une rose par ce que ma grand-mère en a dans son jardin. Par Tom Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait le rouge par ce que je fais du basket et les maillots sont rouges. Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait du Mickael Jackson par ce que ça bouge et Saint-Jean de Braye bouge aussi. Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait des pizzas car il y a des vendeurs de pizza dans le centre Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait du Hip-Hop par ce que le copain de mon père en fait à Saint-Jean de Braye Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait un lion par ce qu’il y a des cirques sans lions. Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait des tulipes par ce qu’il y en a sur les ronds-points. 6 Par Gérard Cottigny Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait le vert, vert des forêts qui ornent la campagne. Vert camaïeu qui devient orange et brun à l’automne. Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait une musique douce, paisible, image de la Loire, avec des « forti » comme le bruit du fleuve qui gronde, des « pianissimi » comme le fleuve aux basses eaux. Des musiques comme la « moldau », « le beau danube bleu », musiques contrastées qui élèvent le fleuve dans sa partie septentrionale à Saint Jean de Braye . Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait la châtaigne aux champignons accompagnant agréablement un gibier des forêts proches. Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait la « danse du feu », car il fait bon vivre ici. Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait un chat, libre mais attachant. Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait le lierre dont la signification « je meurs ou je m’attache » pourrait en être l’emblème Par Chantal Richer Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait moins agréable qu’actuellement ! Saint Jean de Braye, c’est aujourd’hui deux couleurs : le bleu et le vert. Le logo de la ville en témoigne « Saint Jean de Braye, entre Loire et Forêt ». Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait un concert de carillons, pour valoriser le carillon de la place de la Commune. Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait la tarte aux pommes, pour utiliser les pommes de nos vergers abandonnés. Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait la country pour rappeler le dynamisme de la ville et de ses associations. Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait les petits poissons de la friture de Loire. Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait le cyclamen qui envahit et embellit le parc de Coquille et les Armenault. 7 Par Jean-Jacques Richer Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait le blanc de la neige qui métamorphose notre parc en paradis pour les enfants. Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait celle de l’harmonie municipale. Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait « la corne de cerf » arrosé de gris meunier. Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait pour moi aujourd’hui, la danse du ventre ! Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait le renard qui, un soir de ce mois d’août, est venu s’inviter à partager notre dîner et depuis s’est installé dans le quartier. Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait sans nul doute le chrysanthème. Par Françoise Rubinstenn Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait l'argent fondu du ciel et de la Loire Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait Les couleurs du temps et la douceur de vivre. Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait la soupe à l'oseille et la ruralité d'hier. Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait les chats endormis au soleil des fenêtres et des toits du Bourg Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait les acacias des bords de Loire bordant le chemin de halage. 8 Les chansons de Saint-Jean de Braye Sur l’air de chansons connues, jeunes et séniors écrivent l’hymne de la ville PAR CLEMENCE .......................................................................................................................................................... PAR GARANCE ............................................................................................................................................................. PAR MANON .................................................................................................................................................................. PAR MARIE .................................................................................................................................................................... PAR MATHIS.................................................................................................................................................................. PAR MATHIEU .............................................................................................................................................................. PAR ROMEO .................................................................................................................................................................. PAR TOM ........................................................................................................................................................................ A SAINT-JEAN DE BRAYE PAR MARIE-EDITH BASILLE.............................................................................. PAR GERARD COTTIGNY ......................................................................................................... L'ETANG DES MEPRISES PAR JACK FOUCHER .............................................................................................. 9 (sur la musique d’ « Au Clair de la lune ») Par Clémence A Saint-Jean de Braye Y’a de la verdure Pas beaucoup de forêt Mais beaucoup de verdure. J’aime bien cette ville Car elle est jolie Avec sa p’tite île Et sa belle mairie Par Garance A Saint-Jean de Braye Dans les flaques d’eau Je m’y baignerai C’est très rigolo. J’aime bien cette ville J’fais d’l’équitation Sur mon poney Bill Sa robe est marron Par Manon A Saint-Jean de Braye Il y a du lait J’en achèterai Oh oui sans regret ! J’aime bien cette ville On peut faire du sport J’y suis très habile On est les plus forts. 10 Par Marie À Saint-Jean de Braye Il y a plein de chèvres Elles font du bon lait Et moi j’en boirai J’aime bien cette ville Il y le tramway Qui s’ra bientôt prêt Ce s’ra bien utile Par Mathis A Saint-Jean de Braye Il y a des forêts Avec des chalets Aussi des marais. J’aime bien cette ville Au bord de la Loire Je vais à la foire Cueillir des jonquilles. Par Mathieu A Saint-Jean de Braye J’irai à l’école Et j’éviterai Toutes les heures de colle. J’aime bien cette ville Car elle est très belle Et dans ses hôtels On peut jouer aux billes 11 Par Roméo A Saint-Jean de Braye On trouve tout près Des petites baies Et aussi des craies. J’aime bien cette ville Car il y a une île Avec des fossiles Et c’est très utile Par Tom A Saint-Jean de Braye Il y a de l’eau Pour les roseraies, J’irai à vélo. J’aime bien cette ville J’y fais du basket C’est comme une grande île Où l’on roule en skate (sur la musique de "Le temps des cerises") A Saint-Jean de Braye Par Marie-Edith Basille Si vous visitez le vieux saint Jean d'Braye Vous découvrirez mille et un secrets Aux coins des ruelles. Du bord de la Loire, traversez les treilles, Montez doucement jusqu'à la mairie, Quittez le vieux bourg et tendez l'oreille : C'est le carillon qui sonne midi. Sur le tabouret d'un estaminet Un homme en béret trace le portrait d'une belle abraysienne. Mais un coup de vent fait voler sa coiffe Qui disparaît là ... près de la forêt. 12 Le peintre distrait en oublie sa craie Et barre d'un trait la belle au rouet. Sur l'emplacement des anciens marais On voit maintenant grandir à regret Maisons et immeubles. Que restera-t-il des vergers, des roses, Des petits cours d'eau et des vaches au pré ? Gardez-nous un peu, s'il vous plaît messieurs, Quelques vieux quartiers de Saint de Braye ! Par Gérard Cottigny • Un jour arrivant à Saint Jean de Braye, J’y ai découvert un endroit charmant Où il fait bon être. Les belles forêts seront de bois d’hêtre Et les champs semés aux couleurs d’argent. Un jour arrivant à Saint Jean de Braye, Oui je serai fier d’y être habitant. Comment peut-on vivre à Saint Jean de Braye, De Loire à forêt tant de choses à voir A pied sans problème. Les beaux monuments, les jardins que j’aime Et les Armenault tout près du pressoir. Comment peut-on vivre à Saint Jean de Braye, Alors que la nuit empêche de voir. Que le temps passe vite à Saint Jean de Braye, Les joies, les passions tant de choses à faire Eviter l’ennui. Moi qui ne crains pas les journées de pluie Je ne pourrai pas vivre sans rien faire. Que le temps passe vite à Saint Jean de Braye, J’y resterai si c’était à refaire. Que de gens célèbres à Saint Jean de Braye, Maryse Bastié et puis Gallouédec Et d’autres encore, Ont signé leur nom sur le livre d’or. Je n’oublierai pas les oies et leur bec Que de beaux oiseaux à Saint Jean de Braye, 13 Qui sont tous partis au son d’un bruit sec. L'étang des méprises Par Jack Foucher Si nous allons voir à Saint Jean de Braye L'étang si tué impasse des Aubraies Nous y mangerons Belles grenouilles et beaux et gras poissons Et nous y boirons force gris meunier Après dormirons sous les châtaigniers Oui nous irons à l'étang nous baigner Non nous n'irons plus à Saint Jean de Braye Et même l'oublierons sans un regret Nous y laisserons Sans nous retourner l'étang des méprises Où nous avons beaucoup souffert cet été Car la belle que nous avons tant aimé S'est fait la malle avec un vieux con Quand vous penserez à ma bell' chanson Que j'ai pour vous pondu mes doux agneaux Fermez les yeux Moi je serai déjà très loin d'ici J'aurai quitté Saint Jean de Braye pardi L'exil me sera doux à vous ne plaise Vous n'aurez eu que le temps d'une méprise Le temps d'un clin d'oeil l'espace d'un moment La compagnie d'un bon vieux copain Certes un peu follet Qui a prétendu forcer l'destin Pour écrire en verve ce texte à chanter Sur la très très bonn' vill de Saint Jean d'Braye Et tant mieux si je vous ai amusé 14 J’aime bien la rue... Les jeunes se jouent des rues avec des rimes ! Clémence Je n’aime pas la rue des Trois Clés par ce que ça me refait penser à ma chute car j’avais les lacets emmêlés. J’aime bien la rue de la Bissonnerie car ça sent mon légume préféré le céleri. Manon J’aime bien la rue des Bons Enfants par ce qu’il y a des éléphants. J’aime bien la rue du Gris Meunier par ce qu’on peut gagner. J’aime bien la rue des Bons Enfants par ce qu’il y a un cirque et plein d’enfants. J’aime bien la rue du Gris Meunier par ce qu’on peut y faire des matchs de basket avec l’ABC et les gagner. Mathieu J’aime bien la rue Jules Ferry par ce que ça me fait penser à Paris. J’aime bien la rue Victor Hugo par ce qu’il y a des gogos. J’aime bien la rue Victor Hugo par ce qu’il y a une salle de spectacles où on peut voir des danseurs gogos. J’aime bien la rue Jules Ferry car il y a une grande tour et ça me fait penser à Paris. Mathis J’aime bien la rue de la Godde par ce qu’il y a une pagode. J’aime bien la rue de la Godde par ce que je suis Chinois et il y a une pagode. Je n’aime pas la rue des Longues Allées par ce qu’elle est salée. Je n’aime pas la rue des Longues Allées par ce qu’il y avait des marais salants et qu’elle est encore salée. Roméo J’aime bien la rue de la Grenouillère par ce qu’on y mange du gruyère. J’aime bien la rue de la Grenouillère car il y a un marchand de gruyère. Je n’aime pas la rue du Moulin Pinault car on y fait du piano. Je n’aime pas la rue du Moulin Pinault car on entend tout le temps du piano. Tom J’aime bien la rue Guillaume Apollinaire par ce que je suis un pêcheur et il y a beaucoup de vers de terre. Je n’aime pas la rue Juliette Drouet et je ne suis pas tout seul car les maisons sont toutes à louer. 15 Souvenirs d’une rue Les seniors se souviennent d’une rue en particulier. Pourquoi ? UNE VILLE EN CHANTIER PAR JACK FOUCHER .......................................................................................... RUE DU PUITS DE VILLE PAR CHANTAL RICHER ......................................................................................... 16 Une ville en chantier par Jack Foucher S'il est une vérité indubitable et connue de toutes et tous, c'est que ne suis devenu abraysien que sur le tard, exactement le 14 septembre 1987. Auparavant, je demeurais à Orléans dans un quartier fort sympathique, populaire que je connaissais comme l'intérieur de ma poche, à savoir les Acacias. Ce quartier était implanté au cœur du nœud ferroviaire qui relie Orléans à Paris, Orléans à Bordeaux et Orléans à Vierzon. C'est d'ailleurs un vieux quartier cheminot orléanais. Bombardé pendant la guerre, en 1944, par les Américains qui y ont déversé un tapis de bombes de 250 kg, il était couvert de cratères et servait de terrain de moto cross. En 1955, grâce au 1% patronal ou ce qui en faisait office à l'époque, on y a construit plusieurs immeubles : trois de onze étages et deux de quatre. S'y côtoyaient des ouvriers de Michelin, de Renault, de la manufacture des Tabacs et de bien d'autres usines d'Orléans et de ses environs. Pour nous, qui venions de La Chapelle Saint Mesmin et qui avions vécu dans un taudis, c'était le grand luxe. J'ai habité le quartier de 1957 à 1966 et de 1982 au 14 septembre 1987. En 1986, il a été décidé de détruire de fond en comble ce quartier, à la dynamite pour les plus grands immeubles, à la pelleteuse et à la boule pour les plus petits. Je n'ai pas assisté à la destruction du quartier. Ce n'était pas un spectacle pour moi. Donc, je suis arrivé à Saint Jean de Braye, à l'âge de 35 ans passés. Mes souvenirs abraysiens sont forcément des souvenirs d'adulte, aux occupations professionnelle et associatives chargées. Mon quartier est celui du Centre ville. Il est de facture récente et a été construit à l'emplacement de terrains à vocation agricole. Il est composite, avec des immeubles en propriété, des immeubles en locatif, des maisons individuelles. Quand j'y suis arrivé, les travaux de la médiathèque étaient commencés. Et à chaque fois que je prenais le chemin de la supérette dont le nom a changé plusieurs fois et qui maintenant porte le nom de Carrefour Market, je pouvais découvrir les dernières informations relatives à la sécurité du chantier. Un panneau indiquait à qui voulait bien le lire qu'il n'y avait pas eu d'accident en ce lieu précis depuis un certain temps, et par conséquent que l'on n'y déplorait aucun blessé et à plus forte raison aucun décès. En même temps, ou peu après, fut édifié le lycée Jacques Monod où mes deux filles ont fait leurs études dites secondaires, après avoir fait leurs études dites primaires à l'école Louis Michel, sise non loin de la place de la Commune, la bien nommée. Je n'ai pas de mauvais souvenirs à vous narrer, mes chers petits, et il est encore trop tôt pour que j'écrive mes mémoires. Je n'ai pas beaucoup de temps à 17 consacrer à ce genre d'exercice. Et ma modestie légendaire et connue aussi de tous m'interdit de pratiquer cette nouvelle religion réservée à des midinettes de 20 ans, ayant participé au Loft ou à la Star ac'. Rue du Puits de Ville Par Chantal Richer Je me souviens du kiné qui se trouvait dans cette rue. Je suis allée chez lui deux fois par semaine pendant plus d’un an, suite à une chute sur un parpaing à Olivet. J’avais très mal au genou. Il me faisait faire de la rééducation et me faisait aussi des massages. Quand je sortais de chez lui, j’allais beaucoup mieux, mais çà ne durait pas ! Mon médecin a cessé de prescrire des séances, depuis plusieurs années. Le kiné a fermé son cabinet et j’ai toujours mal au genou ! A chaque fois que je passe rue du puits de ville, je pense à ce kiné fort sympathique. 18 Les rues et rumeurs de Saint-Jean de Braye Choisissez un nom de rue et écrivez quelques lignes sur des rumeurs la concernant. Apportez un élément fantastique, subjectif au sujet de cette rue. Confirmer en partie les rumeurs par des faits. L’ALLEE DES MARTINETS PAR ALINE BAUDU............................................................................................... RUE MONDESIR PAR MARYVONNE BRINON RUE DE LA GUEULE NOIRE PAR GERARD COTTIGNY................................................................................ RUE DE LA BURELLE PAR ALAIN CROSNIER ................................................................................................ RUE DU GRIS MEUNIER PAR CHRISTIAN FER ............................................................................................... RUE DE LA PETITE NOUE PAR JACK FOUCHER ........................................................................................... RUE VERVILLE PAR SOPHIE GONZALBES ....................................................................................................... LA PLACE SAINT-LOUP PAR LILIANE GRECOURT ....................................................................................... ALLEE DU SAUMON DE LOIRE PAR FRANÇOISE HENNEGRAVE........................................................... L’ALLEE DU GRAND COQUILLE PAR CHRISTOPHE HUGUET ................................................................ RUE DU COIN-BUFFET PAR HARRY L................................................................................................................. ALLEE DU GRAND COQUILLE PAR HARRY L ................................................................................................. RUE DU VOMIMBERT PAR CHANTAL LERAITRE......................................................................................... RUE MONDESIR PAR ROSE MICHEL.................................................................................................................. RUE DE LA MAISON PLATE PAR CHRISTIANE NOISETTE ........................................................................ RUE DE LA GUEULE NOIRE PAR REGINE PAQUET...................................................................................... RUE DE LA GUEULE NOIRE : QUELQU’UN M’A DIT PAR JEAN-JACQUES RICHER ......................... IMPASSE DES FRAMBOISIERS PAR CHARLOTTE TALEC ......................................................................... 19 L’allée des Martinets Par Aline Baudu Dans cette allée aujourd’hui fleurie, il paraîtrait qu’en des temps anciens la punition était reine. Nos vieux en ont quelques souvenirs « Vous savez, avant, tous les soirs, les gamins turbulents, on les réunissait tous dans cette venelle et shlack, un coup de trique ! » On dit que la nuit venue, on entend encore les cris des enfants… Je n’y croyais guère. Pensez donc ! Et puis… Et puis il y a eu cette balade, avec Maman et Bernard. Avec l’âge, Maman perd un peu la tête. Aussi, je lui ai trouvé une place dans cette charmante maison. Elle y est bien, je crois. Elle a des amis comme elle et a même rencontré l’amour... Bernard. Dimanche, je suis allée la voir. Comme il faisait encore doux par ce jour de décembre, nous sommes partis nous promener après le goûter. Oh, pas très loin. Les jambes sont comme le cerveau : elles hésitent. Nous marchions quand tout à coup Bernard est tombé à genoux, les mains sur les oreilles et a crié « Non ! Non ! Arrêtez !!! ». Il était à terre, recroquevillé, tout tremblant. J’ai crié à Maman « Qu’est-ce qui se passe ? J’entends rien et toi ? Nnnon – Aide moi à le relever. » Mais Maman était comme paralysée, blême, les larmes aux yeux. Je ne me souviens plus comment je me suis débrouillée pour les ramener aux Bleuets. Ils étaient dans un tel état de panique ! Les aides soignantes m’ont engueulée, y’a pas d’autres mots. - Qu’est-ce que vous leur avez fait ? Vous étiez où ? - Rien ! Je n’ai rien fait. On s’est juste promené vers l’allée des Martinets Quelques jours après, j’ai appelé Maman. Je voulais avoir de ses nouvelles et reparler de ce dimanche. « Tu sais, m'a-t-elle dit, les gens ici racontent des choses sur l’allée des Martinets. - Maman, arrête. Vous êtes tous un peu… un peu… - Un peu cinglés, tu veux dire ? N’empêche que je n’ai peut-être rien entendu dimanche, mais j’ai vu ! - T’as vu quoi Maman ? 20 - J’ai vu…les fesses de Bernard ! J’avais déjà remarqué qu’elles étaient marquées, comme lézardées. Il n’a jamais voulu m’en parler. Eh bien, tu sais quoi ? Après la balade, quand on s’est couché avec Bernard, eh bien ses fesses elles suintaient de sang ! » 21 Rue de Mondésir Par Maryvonne Brinon Dans la rue de Mondésir, dit-on, il aurait suffit d’exprimer à haute et intelligible voix, l’amorce d’un désir survenu ou suspendu, pour que celui-ci, dans la huitaine de jours suivant, si ce n’était dans l’heure ou la minute même, se voit manifestement exaucé, parfois au grand dam de son émetteur étonné. La légende circula et s’amplifia, le jour où, au 1er décembre de l’année 1863, une coquette caquetant médisances sans retenue, lâcha façon boutade « Que le diamant de ma bague se ternisse si je mens ! ». Sitôt dit, sitôt fait. Sa commère complice – du moins d’oreille consentante, je dirais même, aux aguets – vit de ses yeux aussitôt la précieuse pierre s’opacifier et prendre couleur de cieux chargés d’orages sombres. Cette dernière, pensez-vous, ne manqua pas de colporter les faits dont elle avait été témoin. A cela elle prit un plaisir très certain. Pendant ce temps, la malheureuse dont les paroles s’étaient concrétisées se terrait chez elle. Une maligne, tirant conclusion de l’aventure dont elle avait eut vent, proféra pour voir, sans poser condition « Que l’écaille de ma cuillère se fasse ivoire !». Et ainsi fut fait, devant les passants ébaubis qui n’osèrent cependant à leur tour le diable tenter. Dans les archives de la ville de Saint-Jean de Braye, une assistante de conservation minutieuse et de zèle ne manquant pas, retrouva récemment un manuscrit datant du 2 décembre 1863, relatant les micros événements dont je viens de vous faire part sans véritable conviction, les comptant pour contes et fariboles. Ayant ce jour pris connaissance du document écrit qui visait assurément à pérenniser la légende en lui donnant en terre racines, je me retire sur la pointe des pieds, car il n’est point de vérité plus ancrée que celle que l’on veut, noir sur blanc, sillonnant les ans, sur le papier verger, véhiculer. 22 Rue de la Gueule Noire Par Gérard Cottigny La rumeur Il se dit qu’à Saint Jean de Braye, il y a bien longtemps, un homme, tout de noir vêtu, hantait les rues du village. Sa démarche était lente comme si un lourd fardeau pesait sur ses épaules. Il parcourait les rues et ruelles toujours la nuit. On ne voyait que sa silhouette massive qui faisait peur. Les habitants se demandaient qui il pouvait bien être, d’où il venait et où il habitait ? Il se dit qu’il travaillait dans les bois, mais personne ne l’avait jamais réellement suivi. Il se dit qu’il habitait là, à Saint Jean de Braye, dans cette voie que l’on nomme aujourd’hui la rue de la gueule noire. A cette époque, dans cette rue, il n’y avait que sa modeste demeure, aussi inquiétante qu’un château hanté. Il se dit que des bruits étranges étaient entendus à des lieues de celle-ci. Qui était-il ? Que faisait il cet homme à la silhouette noire ? (ou à la gueule noire) Le doute Par un long dimanche pluvieux, gris, où l’eau ruisselle sur les carreaux des fenêtres, j’étais avec ma grand-mère qui habitait une petite rue de Saint Jean de Braye. J’étais installé près de l’âtre de la cheminée où un bon feu de bois réchauffait nos visages. Les flammes dessinaient sur le mur des formes élégantes d’oiseaux, de fleurs, d’arbres mais aussi des formes d’humains qui donnent des frissons. Au bout d’un moment, ma grand-mère se mit à trembler de peur. Elle était franchement comme envoûtée. Je la questionnai dès qu’elle eut repris son calme. Elle m’annonça alors qu’elle avait aperçu la silhouette d’un homme trapu sur le mur. Elle m’apprit qu’elle vivait dans la maison achetée par ses parents et qui avait appartenu à un homme étrange d’apparence massive, trapu et toujours vêtu de noir. Il inquiétait les gens de l’époque. Elle me dit qu’elle avait peur quand elle rentrait le soir, alors que la nuit était tombée, de rencontrer cet homme dont personne ne savait rien, ou croiser un de ses enfants. Il travaillait certes, mais où ? Un voisin l’avait même vu un jour, rentrer dans les bois et disparaître aux détours d’un arbre. 23 Que faisait-il ? Pourquoi cette rue de Saint Jean de Braye s’appelait elle la rue de la Gueule Noire ? La rumeur et le récit de ma grand-mère me donnèrent l’envie de chercher qui se cachait derrière cette silhouette, cet énigmatique personnage, qui avait donné son nom à la rue. La réalité supposée La semaine passée, alors que je passais devant les travaux de construction de la ligne de tramway, je remarquais qu’ils étaient interrompus. Oui le tramway passe là, juste au bord du petit bois qui termine la rue où j’habite. Je vis dans cette maison, à côté de celle de ma grand-mère, rue de la gueule noire. Pourquoi ces travaux d’envergure ont-ils été interrompus ? J’interpelle le chef de chantier qui m’informe que des galeries souterraines viennent d’être découvertes et que des fouilles archéologiques sont entreprises. Que pouvait-on bien faire dans cette partie de la ville tout près du petit bois ? J’interroge mes voisins et j’apprends que des hommes allaient dans les bois fabriquer du « charbon de bois » dans des talus de terre d’où des cheminées laissaient échapper le gaz. Des bûcherons coupaient le bois pour alimenter la production. D’autre part, il existait des mines de charbon dans lesquelles des hommes extrayaient le précieux minerai pour chauffer les maisons l’hiver venu. Ils travaillaient dans ces galeries qui venaient d’être découvertes. Les ouvriers, vêtus de noir, étaient trapus et leur visage portait les traces noires d’un dur labeur. La mine était située juste derrière un arbre bien cachée afin d’en préserver secrète l’entrée. Les hommes partaient tôt et rentraient tard dans la nuit tombée. A cet instant je fis la relation avec le récit de ma grand-mère et le nom de la rue appelée "gueule noire", nom donné aux mineurs dans le nord de la France. Peut être avais-je levé une partie du mystère de la rue de la gueule noire ? 24 Rue de La Burelle Par Alain Crosnier Il s’agirait là, selon les archives du diocèse, d’une déformation pour cette voie située près de l’église Saint Loup et appelée autrefois « venelle des saintes burettes », simplifié ensuite en « venelle de la burette » puis « rue de la burelle ». Féru d’histoire locale et plutôt sceptique, j’ai voulu en savoir plus et c’est à l’issue d’un long après-midi avec le sacristain de l’évêché que j’en ai eu le cœur net. Il commença à m’expliquer longuement et passionnément cette genèse, appuyée sur l’histoire de l’évêché d’Orléans en trente volumes et compulsant simultanément force parchemins, avec l’aide toutefois d’un petit verre de gris meunier avalé tout droit de temps à autre. Et, vers 21 heures et après la quatrième bouteille, je dois dire qu’entre burelle, burettes, bouteille, Buñuel, truelle, je le quittai en pleine confusion. « In Vino Veritas » dit-on, mais le lendemain matin, malgré quelques aspirines, la vérité ne jaillissait toujours pas et je n’avais pas envie de retrouver le sacristain diabolique et son mauvais vin. C’est alors que j’eus l’idée d’aller dans le dictionnaire des noms de famille pour y découvrir que tout simplement le nom de burelle vient de la bure qui revêtait les moines et ecclésiastiques, ce qui avait trompé notre sacristain, déjà bien assez troublé comme ça par sa consommation ancienne et excessive de vin de messe. 25 Rue du Gris Meunier Par Christian Fer Qui pouvait bien être ce meunier gris dont les qualités avaient été telles, que les Abraysiens avaient décidé de lui consacrer une rue ? Certains m’ont dit avec un sourire qui me fait penser qu’ils me prenaient pour un naïf, que l’homme travaillait au moulin et qu’en rentrant à pied dans son foyer chaque fin de semaine, après avoir consommé en liquide, sa maigre paie, il titubait tout au long du chemin. Pas complètement noir, mais quand même assez gris. On imagine que j’ai eu du mal à croire qu’un conseil municipal sérieux comme celui de Saint-Jean de Braye ait pu s’amuser ainsi en baptisant une rue. De plus, pour qu’il y ait un meunier, il eût fallu un moulin et, à distance raisonnable de la rue du gris meunier, il n’en existait point. Ni à eau ! Ni à vent ! Cependant, comme j’ai choisi de m’établir dans la région, j’ai acheté récemment une maison à la limite de Saint-Jean de Braye et j’ai commencé à emménager le mois dernier. La maison appartenait à une vieille femme aujourd’hui décédée. Conservatrice, elle y avait entassé toute sa vie et celle de ses ascendants, sans doute, sur une dizaine de générations. En éliminant tout ce fatras, je suis tombé sur un paquet de farine que même les vers avaient abandonné et sur lequel on pouvait encore deviner tout en bas l’inscription « Minoteries abraysiennes ». Mais un indice n’est pas une preuve et j’en étais resté là. Toujours dans mon désir de m’installer dans la localité, j’ai obtenu depuis peu un poste à la mairie. On m’a confié le classement, même si ma formation me permettait d’espérer mieux. J’assiste un historien que la municipalité a chargé d’écrire l’histoire de Saint-Jean de Braye. Aujourd’hui, je suis tombé sur le procèsverbal de la réunion du conseil municipal du 10 septembre 1946. A l’époque, la municipalité était à majorité communiste. A l’ordre du jour, il y avait la question du nom à trouver pour une rue qui portait celui d’un collaborateur. Le débat semble avoir été vif entre ceux qui voulaient choisir le nom d’une gloire nationale, ceux qui voulaient choisir une gloire locale et ceux qui insistaient pour récompenser des gens de rien. La majorité communiste s’accordait pour dire : assez des Debussy, Cézanne, Colette, Gallouedec, Brouard et autres. Pourquoi ne pas choisir le meunier qui habitait dans la rue, un travailleur honnête. Certains s’en offusquaient, son hygiène de vie n’ayant pas toujours été un exemple pour la jeunesse. On n’en sortait pas, jusqu’à ce que quelqu’un suggère un compromis. Pourquoi pas la rue du Gris Meunier. Cela permettrait de reconnaître à la fois l’homme et son breuvage ainsi que l’ancienne orientation viticole de la commune. La délibération fut adoptée à l’unanimité. 26 Rue de la petite noue Par Jack Foucher L'histoire d'une ville peut se narrer de mille et une manières. Les noms de rues en sont une parmi d'autres, certes, mais une fort instructive. Aujourd'hui, on donne à peu près n'importe quel nom à n'importe quelle rue. Les grands hommes ont leur part de succès. Encore que, la notion de grand homme soit à géométrie variable et sujette à caution en bien des occasions. Et je ne parle pas des noms passepartout de nos lotissements : rue des bouleaux, des bouvreuils... Nos anciens étaient beaucoup plus près du concret, du palpable, beaucoup plus pragmatiques. Les noms distribués n'étaient pas le fait du hasard. Chacun pouvait en saisir rapidement la signification. Il n'y avait pas besoin de savoir lire et écrire. Ainsi donc, les vieilles rues sont comme les vieilles pierres. Elles sont une des mémoires d'une ville. Elles sont aussi une partie de notre mémoire d'hommes et de femmes. Elles sont évocatrices. Elles ont aussi parfois une parfum de mystère. Elles peuvent faire ressurgir des pans entiers d'un passé oublié, de notre passé. Il en est ainsi de la rue de la petite noue. Qu'est-ce qu'une noue ? Si on se fie au dictionnaire, n'importe quel dictionnaire, car je ne veux pas citer de marque, le mot évoque une zone marécageuse (comme une mouillère), inondable, généralement herbeuse, des terres grasses et humides, des pâturages. Voilà pour la définition globale. Sise aux limes nord orientales de Saint Jean de Braye, à quelques mètres de Boigny, à quelques centaines de mètres de la forêt d'Orléans, notre rue de la Petite Noue fait environ trois cents mètres de long, à tout casser. On y trouve deux maisons particulières et un carrossier. Imaginez, maintenant, le même lieu il y a de cela deux mil trois cents ans. Nous sommes bel et bien dans une zone humide. Il y a sûrement des bois, peut être même une forêt, celle que l'on appellera plus tard d'Orléans. Il y a certainement une clairière, des mares. La Bionne coule à moins d'un kilomètre et fait frontière avec ce qui deviendra la commune de Chécy. La Loire est un fleuve navigable et connaît ses premiers nautoniers. Nous sommes en juin. Il fait déjà chaud, voire très chaud. Dans quelques jours, nous fêterons le solstice d'été. Nous aurons seize heures de jour et seulement huit heures de nuit. Ainsi, comme chaque année à pareille époque, sera consacrée la victoire de Lug, notre dieu de la lumière sur les forces de la nuit. Les esprits celtes veillent sur nous. Nos ancêtres ont eu la bonne idée de choisir ce lieu précis et 27 parfaitement adapté pour y célébrer nos rites religieux, entre ciel et terre, ombre et lumière, herbe et eau. Tout ici est prétexte à divinisation : la source, les animaux, les plantes. Notre panthéon divin est immense et accueillant. La chaleur est étouffante. Tout laisse à croire que les éléments vont se déchaîner. Nos hommes des chênes sacrés sont inquiets, en alerte. Au loin, on entend déjà gronder l'orage. Teutatès, notre dieu du tonnerre et de la guerre s'invite à la fête et vient faire de l'ombre à Lug. Mauvais présage. Nous, Carnutes, sommes en paix avec les peuples voisins et même entre nous, du moins pour le moment. Nous nous livrons à nos travaux coutumiers : l'agriculture, l'élevage, la tonnellerie, la fabrication des outils et des armes que nous vendons jusqu'à Rome, aux fêtes et aux jeux. L'orage serait-il signe de nouvelles guerres ? Les siècles passent... Le lieu demeure... Il s'est légèrement modifié. La voie romaine d'Orléans à Trèves longe la petite noue. Elle a même coupé une partie du lieu initial. Certains d'entre nous ont choisi la religion chrétienne, qui nous vient de l'Orient. Ils se rassemblent la nuit en ce lieu pour y entendre leurs prêtres et faire leurs prières. Nous, fidèles de nos vieilles croyances, avons du mal à intégrer cette nouvelle religion. Mais nous ne disons rien. Ces chrétiens sont pourchassés par les Romains. Ils sont arrêtés. Ils sont torturés. Ils sont assassinés. Leur dieu unique fait de l'ombre à l'empereur. Nous avançons encore dans le temps. La religion chrétienne est devenue celle des empereurs et puis celle des rois Francs. Charlemagne règne sur un vaste empire dont le siège est à Aix la Chapelle. Il se dit défenseur de la chrétienté. Il nous traque. Si tous les chemins mènent à Rome, ils sont parsemés de nos cadavres. Nous sommes devenus des païens. Nous devons mourir. Nous nous cachons pour célébrer nos rites au pied du grand chêne sacré et de nos idoles. Là haut, dans le Nord, au-delà du Rhin, dans les brumes de la Saxe, Charlemagne a anéanti nos frères Saxons. Il a détruit l'Hirmensul le chêne protecteur de nos frères. Nous prions encore cette nuit, à la petite noue. Pour combien de temps encore ? Nous avons perdu notre langue, les gestes coutumiers. La guerre civile fait rage en France. Nous, les parpaillots ou les huguenots, comme on nous appelle avec dédain, les réformés, venons à la petite noue écouter nos prophètes et entendre la sainte parole. Ce lieu reste propice à la prière. Nous en avons fait notre Désert. Nos prophètes sont à l'oeuvre dans toute la région. Orléans nous est acquise. Notre Amiral contrôle l'est du département. Ferrières est notre place forte. Nous avons fait exploser la cathédrale d'Orléans... Louis XIV, le "Roi soleil", comme l'appellent ses thuriféraires, a fait reconstruire la cathédrale d'Orléans. Son portrait y figure en bonne place. Il vient de révoquer l'Edit de Nantes. Une nouvelle fois, nous allons au Désert, le seul endroit 28 qui nous reste pour prier. La chasse aux huguenots est ouverte. Les troupes royales dragonnent dans toute la France. Cent mille d'entre nous choisiront l'exil. Des milliers d'autres seront assassinés. Des milliers d'autres devront se convertir de force. Nos frères camisards tiennent le haut des Cévennes. Ils meurent en braves, les armes à la main. Le royaume de Dieu leur est grand ouvert. La petite noue bruisse de nos prières. Nos prophètes sont aujourd'hui des paysans, des ouvriers. Ils ont eu l'inspiration et ont été touchés par la Grâce. Ils n'ont peur de rien et de personne. Beaucoup mourront aux galères. Cette nuit du 10 Brumaire an 5 (31 octobre 1796), nous, ouvriers et paysans révolutionnaires, fils de la République française une et indivisibles, sommes rassemblés à la petite noue, pour monter à Paris. Les forces de la contre-révolution ont arrêté François Noël Babeuf, dit "Gracchus". C'est le dernier grand révolutionnaire fidèle aux idéaux de 1789. Nous avons participé à la Conjuration des Egaux. Nous sommes vignerons, jardiniers, faiseurs de bas, apprêteurs de calottes, portefaix, ouvriers couverturiers, ouvriers sucriers, tondeurs de draps, maçons ou mariniers. Il y a des femmes : lingères, couturières, domestiques, filles de confiance, corsetières, fileuses de laine. Nous venons de la région orléanaise et principalement des anciennes sections d'Orléans dont nous savons encore les noms : celle de Brutus, de Jean Jacques Rousseau, des Piques, des Sans culottes, de la Fraternité et de Marat. Les plus aguerris d'entre nous, ceux de Valmy et de Jemmapes gardent la route de Pithiviers. Nous sommes le peuple en armes. Nous adhérons à la Constitution révolutionnaire de 1793. Lazare Carnot, ce traître, vient de faire voter une loi qui punit de mort ceux et celles qui adhèrent à cette constitution. Nous n'avons donc rien à perdre ! Puis ce lieu s'endort lentement. On n'entendra plus de prières, plus de chants, plus de cris de révolte. La modernité passe par la petite noue. La route de Pithiviers devient un axe important. Une vraie route est construite pour rallier Boigny sur Bionne. On assèche les mares. On construit même une ferme. Les troupeaux de vaches et de moutons parcourent les herbages. On coupe le bois. On abat les chênes. Aujourd'hui, il ne reste rien de la petite noue, rien qu'un nom de rue et un vieux fou qui vous raconte des histoires à dormir debout. Mais la nuit du solstice d'été... 29 Rue de Verville Par Sophie Gonzalbes On dit que cet axe partant des quais de Loire et menant autrefois au coeur de Saint-Jean de Braye était emprunté par les bateliers pressés de rejoindre le bistrot du centre-ville. Par pudeur, ou pour éviter le courroux de leurs épouses, ils auraient pris l’habitude de dire, plutôt que «J’monte au bar », «J’vais vers ville » Cette expression aurait donné son nom à ladite rue. Le vin de Loire possédant des vertus que leurs femmes n’avaient pas, c’est avec le gros rouge que ces marins d’eau douce avaient rendez-vous. On dit même que dans cette rue, le vin, la nuit, coulait à flot. Voilà pour l’anecdote. Verville était en fait une rue bordée par la forêt. On eut pu aussi bien la nommer rue Verte, c’est ce que me rapporta la guide touristique le jour de ma première visite à Saint-Jean de Braye. Je rentrais à l’hôtel, justement situé rue de Verville, heureuse d’apprendre que hormis Orléans, les villes d’ici savaient couper court aux vilaines rumeurs. Pour dîner, je sortis, remontai la rue de Verville jusqu’à la place Centrale. Je m’attablai à l’intérieur du bistrot du Centre, rebaptisé depuis longtemps le Ballon. Nappes bordeau, banquettes vert bouteille, moquette lie de vin, je trouvai le décor charmant. Je commandai, je ne sais pourquoi ce jour-là, une daube. Après quoi, j’eus une envie irrésistible de poires au vin. Moi qui déteste le changement, je fus étonnée de ce bouleversement subit de mes goûts culinaires. Je payai en liquide, sortis, grisée par cette nouvelle capacité à m’éloigner des sentiers battus. Sur la place Centrale, je cherchai en vain la rue de Verville. Aucun panneau ne l’indiquait. J’empruntai une rue puis une autre, une troisième. Chaque chemin me ramenait sur la place Centrale. Je finis par retourner dans le restaurant. J’expliquai ma mésaventure au patron du Ballon qui ne parut pas s’en étonner. Il m’invita à m’asseoir. Je l’interrogeai. Il marmonna : - Vous savez, la rue de Verville… - Quoi ? La rue de Verville, répondis-je soudain inquiète. - Ben… Depuis toujours… - Depuis toujours quoi ! 30 - Ben… Une fois qu’on l’a montée… - Que se passe-t-il une fois qu’on l’a montée ? - On peut plus la r’descendre ! - J’comprends pas ? - Ben, c’est parce que… Comment dire… La rumeur. - Je restai muette, dépitée. - Allez, vous r’prendrez bien un p’tit verre ? Verre… ville… 31 La Place Saint-Loup Par Liliane Grécourt Située au cœur de la ville, elle porterait ce nom grâce à l’évêque de saint Loup né en 573 qui s’établira plus tard à Sens. Il fut construit un couvent à cet emplacement et Jeanne d’Arc y serait passée bien plus tard en 1429. Autour de ce couvent, les sœurs auraient cultivé les vignes (du Seigneur bien entendu) plantées par les Romains à l’époque gallo-romaine, dont il aurait peut-être été utile d’en préciser la date, encore que cela n’ait pas grande importance. Ceci dit, j’émets un doute quant à l’histoire de cet évêque qui fit construire le couvent en question. Quel intérêt avait-il dans cette affaire puisqu’il partit à Sens ? À moins qu’il n’y ait eu quelque rumeur concernant les sœurs… Mais cela ne nous regarde pas. De même, les vignes, prétendument plantées par les Romains, existent encore actuellement, mais aucun cru célèbre ne porte le nom de saint Loup. Le vin serait-il caché depuis des siècles dans la crypte ? Personne n’aurait eu l’idée de commercialiser ce breuvage plus que centenaire pour le coter en bourse ? Je trouve ça assez bizarre quand même ! Et Jeanne d’Arc, dans tout ça ? Il paraîtrait qu’elle serait passée dans le coin pour délivrer Orléans, et comptetenu de son armée et donc des chevaux galopant, il est fort probable que les pieds de vignes y fussent piétinés, voire même broyés ; mais ne dit-on pas « costaud comme un pied de vigne » ? Ce qui suffirait à prouver que oui, les Romains sont bien venus à Saint-Jean de Braye qui portait le nom latin de Genabum, et que l’évêque de saint Loup a bien existé puisque sa sépulture se trouve du côté de Sens. On peut y lire Archevêque de saint Loup 573 - 600 et quelques... - les deux derniers chiffres sont effacés - Allez voir sur Wikipédia et vous me le direz … 32 Allée du Saumon de Loire Par Françoise Hennegrave On dit qu'au siècle dernier ou peut-être même avant, lors d'une crue importante de la Loire, les saumons remontèrent les rues de la ville et l'un d'entre eux, de forte taille à ce qu'il paraît, se serait installé dans un jardin et y aurait vécu plusieurs années. Les gens racontent qu’il y serait resté jusqu'à sa mort. Je décidais de ne pas m'attarder à ce genre de racontars. Or, dernièrement, j'ai appris par ma boulangère qui habite dans cette rue, que sa fille avait trouvé dans le jardin de son voisin une énorme arête de poisson qui aurait pu appartenir à un très grand saumon. Prise de curiosité, j'ai demandé au voisin de ma boulangère la permission de visiter son jardin. J'ai été intriguée par un petit tumulus qui apparaissait sous le pommier. J'ai gratté pour voir ce qu'il y avait et j'ai trouvé quasiment un squelette de poisson. J'ai pensé au saumon royal qui peut mesurer jusqu'à 1, 50m et peser plus de cinquante kilos... Mais comment diable avait-il pu vivre dans ce jardin ? Même dans une baignoire, je ne voyais pas ça bien possible. Le voisin de ma boulangère possédait quelques archives qui relataient l'histoire de sa maison, qui était plus ancienne que ce que je croyais. Il les mit aimablement à ma disposition et c'est ainsi que je découvris qu'un ruisseau avait jadis traversé le jardin. Les travaux du quartier et les changements de climat eurent raison de lui. Il s'assécha et disparut de la mémoire des habitants. Je compris enfin comment un saumon de la Loire avait pu s'installer dans le jardin d'une maison, et sachant qu'un saumon royal peut vivre près de dix ans, il me plait à penser que sans doute il s'apprivoisa et fut un compagnon de jeux pour les enfants de la maisonnée et qu'à sa mort, ils l'enterrèrent sous le pommier comme on fait d'un animal domestique. En tout cas, ce fait fut assez marquant pour que l’on décide de donner un nom de rue à cet évènement. 33 L’allée du Grand Coquille Par Christophe Huguet Les habitants de l'allée du Grand Coquille racontent souvent que ce nom viendrait de la découverte, à la fin du XIXe siècle, d'un œuf de dinosaure lors de la réfection du cloître saint Julien, mais il paraît plus probable qu'il s'agît de la déformation de « La Grande Coquine », du nom d'un prétendu bordel comme il y en avait tant à l'époque à Saint-Jean-de-Braye. Un soir d'automne que je rentrais du bar, à peine bourré, le brouillard était épais sur les bords de Loire. Je suis passé par l'allée du Grand Coquille. Vous savez comment c'est étroit et tortueux dans le coin. Vous ne me croirez pas, mais j'y ai vu une sorte de tyrannosaure, de quoi ? …Bien quatre mètres de haut, qui poursuivait une dizaine de femmes en tenue légère. J'ai déguerpi, la trouille au ventre ! Il y a deux jours, j'y passe à nouveau pour en avoir le coeur net. Eh bien ! Il y a une pelleteuse qui creuse des fondations au n° 42. Après la découverte par des ouvriers du chantier du 42, allée du Grand Coquille, des fondations d'un bâtiment imposant, les archéologues du Loiret se sont mis au travail. Suite aux premières constatations, les chercheurs émettent l'hypothèse, avec toute la prudence de vierge effarouchée qui n'a d'égale que leur rigueur scientifique, qu'il s'agirait des restes d'un immeuble brûlé avec ses occupants, très certainement au début du XXe siècle. On ne trouve pas trace, dans les registres du cadastre, du nom du propriétaire de l'époque ni de l'existence même de ce bâtiment. Les différents objets en métaux précieux retrouvés pendant les fouilles attestent cependant de la présence de nombreuses personnes de sexe féminin... 34 Rue du Coin-Buffet Par Harry L Il paraîtrait qu’en l’an 1712 naquit Dans cette rue un personnage bien connu par la suite Pour ses réunions organisées à son domicile dans le but De fomenter un mouvement anarchiste. Les dits conciliabules se seraient même tenus dans le salon de ce monsieur, autour d’un buffet, dans un coin de la pièce où se pressaient moult assoiffés notoires. A ceux qui douteraient de la véracité de cette histoire, je peux témoigner que l’on a retrouvé Tout récemment, un authentique morceau du dit buffet avec les initiales de ce grand révolutionnaire gravées avec la lame de son couteau, qui à l’heure où je vous parle est encore fichée dans le bois. 35 Allée du Grand Coquille Par Harry L Le nom de cette allée serait lié à un illustre cuisinier passé maître dans l’art de mitonner de délicieux ragoûts à base d’escargots sauvages, que paraît-il, on pouvait attraper rien qu’en se baissant tant ils foisonnaient ! L’art de ce maître queue était tellement consommé que d’aucuns l’auraient par la suite baptisé chef Grand Coquille. D’autres affirment simplement que cette allée se nomme ainsi car jadis c’était le lieu de prédilection de maintes courses endiablées de gastéropodes intrépides, comme en témoignent aujourd’hui encore, après la pluie, de longues traces brillantes et baveuses mais surtout parallèles, ainsi que les nombreux débris de coquilles qui jonchent le sol. Afin de lever le doute, j’ai mené mon enquête. Grâce aux archives mises en ligne sur Internet par la ville de Saint-Jean de Braye, j’ai pu en fait retrouver la trace de l’existence d’un restaurant où officiait le sieur Duchêne dit Grand Coquille. Il était indiqué que l’établissement était sis 42 allée Grand Coquille. Je me suis rendu à l’emplacement désigné et là, sur les anciens murs qui subsistent, on devine des lettres peintes en noir. Elles ont dissipé tous mes doutes : Auberge du Grand Coquille, spécialités de ragoûts d’escargots. 36 Rue du Petit Vomimbert Par Chantal Leraître A en croire mon vieux voisin d’en face, qui le tient lui-même de son père, « et p’t êt’ même du grand-père ? », le boulanger Humbert, qui était le seul boulanger du pays dans les années 1800 et quelques, aurait toujours attiré les animaux, comme le bon François d’Assise. Pendant pas mal d’années, un petit veau sorti d’on ne sait où, et que jamais personne ne réclama, devint son ombre. La bestiole surveillait avec intérêt la fabrication du pain par un soupirail du fournil et le brave homme, quand il n’était plus devant son pétrin, ne pouvait pas faire un pas, sans être escorté par le jeune bovidé. La ruelle de la boulangerie devint pour tout un chacun «La rue du petit veau d’Humbert » appelée de nos jours « rue du Petit Vomimbert ». « C’est qu’ le temps, ma pauv’ dame voyez-vous, ça vous use les souv’nirs et ça déforme les noms…», a ajouté mon gentil voisin, philosophe. Au fil des années, on s’en doute, le veau grandit ! Et puis, il faut bien dire qu’à la boulangerie, on le nourrissait à l’aune de l’amour qu’il manifestait au patron. C’està-dire un rien trop ! Rapidement, il gêna l’entrée des clients à la boutique. Pourtant, ceux-ci restaient fidèles à la maison et saluaient l’animal, le flattaient, lui caressaient la truffe, au passage. « Eh pardi ! C’est qu’Humbert aurait p’t êt’ mal vu qu’on manque de respect à sa bête…. C’est qu’y avait point d’aut’ endroit pour ach’ter l’ pain, dame ! », a ajouté le père Théodule, pensif. « Invraisemblable, cet animal de compagnie ! » direz-vous…..Un chat, un chien, un oiseau, passe encore… Mais un veau devenant bœuf ? C’est bien mon avis ! Pourtant, il y a peu, les travaux d’excavation du tram ont mis à jour l’ancien fournil d’Humbert. Il était resté figé dans l’oubli, tel que l’artisan l’avait laissé à sa mort et on y découvrit non pas une, mais bien deux preuves de cette fable. Au mur un tableau noirci, de facture plutôt réaliste, signé d’un artiste local connu, annonçait fièrement son sujet : « Le boulanger Humbert et son veau, en 1871 ». Sous la poussière et les toiles d’araignées, blanchi par les farines, sur une sellette vermoulue, assez incongrue en ce lieu, un bronze, qui lui non plus n’était jamais sorti de l’atelier du boulanger, attestait que le veau devenu grand n’avait effectivement toujours pas quitté son bienfaiteur tant aimé. Sur l’étiquette de laiton ornant le socle, j’ai pu lire « Le petit veau d’Humbert et son maître en 1883. ». 37 Mon regard amusé lut, aussi distinctement, que le « petit veau » dépassait Humbert tout sourire et tendresse, d’une bonne grosse tête de bœuf heureux ! Les deux œuvres ont été nettoyées et expertisées. Le bronze serait de Camille Claudel…. J’avais enfermé ces balivernes dans les oubliettes de ma mémoire, quand, avant-hier, je suis tombée sur un article de « Beaux Arts ». Il fait état, pour la période 1878 -1885, d’une série d’œuvres méconnues de l’élève de Rodin, dont un amateur éclairé a conçu le catalogue raisonné, en suivant, plus d’un siècle après, les parcours fantasques de Camille. Jugez de mon étonnement, quand je reconnus « Le petit veau d’Humbert en 1883. » dans cette série de sculptures qui seront exposées pour la première fois, l’an prochain, au Musée d’Orsay. Comment les visiteurs pourront-ils apprécier toute la saveur du décalage entre l’œuvre et son titre, si la toile obscure du fournil et un rappel explicatif du contexte n’accompagnent pas le bronze ? 38 Rue de Mondésir Par Rose Michel Cela faisait déjà six mois que j’avais emménagé dans la rue de Mondésir à Saint-Jean de Braye, quand me vint l’idée, (le désir ?) de m’intéresser à l’histoire de cette rue. Quel nom étrange ! On était loin des noms de personnages célèbres, d’événements historiques importants ou de fruits ou légumes très ordinaires. J’imaginais un lieu magique où les désirs, sitôt exaucés, se trouvaient réalisés. Mais la vérité était loin de mes rêveries fantastiques. Les voisins et les commerçants ne me furent d’aucune aide. Cela ne les intéressait pas. Seule la commère du quartier, bigote de surcroît, y alla de son interprétation : il y aurait eu sur l’actuel emplacement de la rue de Mondésir et des rues avoisinantes, tout un quartier de maisons closes, des bordels, vous rendez vous compte, avec plein de catins ma pauv’ dame, et çà ne faisait que rire et boire et tout le reste. Les hommes s’y précipitaient comme des mouches autour d’une crotte. L’Eglise a fait raser le quartier et les filles ont été envoyées aux Amériques. C’est seulement bien plus tard, qu’à été créé cette rue de Mondésir par un révolutionnaire qu’avait pas de religion, c’est-y pas malheureux ? La vieille bigote aurait-elle eu la clef de l’histoire ? Rue de Mondésir, ancien lupanar d’Orléans ? Pourquoi pas après tout, c’était plausible. J’étais en train de changer mon point de vue sur les commères, quand je rencontrai le curé du village, un très vieux monsieur, très érudit. « N’écoutez pas les divagations d’une vieille folle. La vérité est tout autre. Au Moyen-Age, vécut dans cette rue une châtelaine, à la réputation très sulfureuse, d’une très grande liberté, dont on disait quelle était totalement insoumise à toute forme de contrainte ou de règle, disant que même Dieu ne pouvait pas la contraindre à aller contre son désir. Allez faire un tour dans les archives de l’évêché, peut-être y trouverez-vous la réponse à vos questions. » C'est ce que je fis sans tarder et cela me prit six autres mois. Je déchiffrai des monceaux de livres anciens, d’actes de baptême, de mariage, de naissance, de mort, de minutes de procès et pus ainsi reconstituer l’histoire de cette personne qui avait bien vécu à l’emplacement de l’actuelle rue de Mondésir entre les années 1405 et 1429 ; on voit dans ces pages une personne à la vie très libre qui s’attirait régulièrement les foudres des autorités ecclésiastiques, à une époque où la soumission des femmes était la règle. Celle-ci faisait preuve d’un tempérament exceptionnel et d’un grand courage. 39 Elle avait fait l’objet de plusieurs procès pour atteinte aux bonnes moeurs ou à l’ordre public et tous ces procès s’étaient soldés invariablement par son acquittement. C’est certainement grâce à sa grande fortune que la dame s’était attirée les bonnes grâces des autorités et qu’elle avait pu échapper ainsi à la prison ou au bûcher et mais, peut-être aussi, savait-elle attirer dans son lit qui avait quelque importance, seigneur, juge ou évêque ? Elle avait même réussi à faire ajouter sur le blason familial un M et un D en lettres d’or, certainement pour Mon Désir, ce qui l’avait fait passer très prés du bûcher. Une reproduction précise du blason était jointe aux minutes de son dernier procès. Hasard ou coïncidence, on perd sa trace en 1429, l’année où Jeanne d’Arc libéra Orléans. A-t-elle suivi cette autre grande insoumise ? S’est-elle enrôlée dans son armée ? C’est ce que l’on pouvait supposer, jusqu’à ce que je fasse une découverte exceptionnelle. Lors d’un déplacement à Paris, je suis allée visiter le musée du Moyen Age et quelle ne fut pas ma surprise de voir sur l’une des six tapisseries de la Dame à la Licorne, inscrite en lettres d’or, cette formule :« A mon seul désir ». Et quand je remarquai la ressemblance frappante qu’il y avait entre la calligraphie des lettres M et D de la tapisserie et la calligraphie des mêmes lettres sur le blason de la dame de Saint-Jean de Braye, je n’eus plus de doute. La dame à la licorne et la dame de Saint-Jean de Braye étaient une seule et même personne. Elle n’était pas morte à la guerre mais avait passé le restant de ses jours à Paris. Je serai d’avis que la Dame à la licorne de Saint-Jean de Braye devienne la figure emblématique du mouvement féministe. 40 Rue de la Maison Plate Par Christiane Noisette C’est le vieux pharmacien de la rue de la Planche de Pierre qui, un jour où je lui disais que je désirais acquérir une maison, m’avertit de ne surtout pas acheter rue de la Maison Plate car il semblerait, par ce qu’il avait entendu dire par ses aïeux qui eux-mêmes le tenaient de leurs anciens, que cette rue soit maudite. Il paraîtrait, me raconta-t-il, que dans les années 1840, c'est-à-dire sous le règne de Louis-Philippe 1er de Bourbon Orléans, une maison aux trois quarts enterrée y ait servi à incarcérer les opposants au régime royal. A l’époque les hurlements des torturés avaient fait fuir les rares habitants de ce quartier de Saint-Jean de Braye. Je le remerciai pour sa mise en garde. Bravant ses racontars, je décidai d’aller voir et surtout écouter par moi-même les soi-disant hurlements qui, d’après lui, résonnaient encore. Des maisons, dans cette rue, il y en avait à foison. L’agent immobilier me fournit une dizaine de clés, mais ne m’accompagna jamais pour visiter. La rumeur, m’avait-il dit. J’achetai donc, pour une somme dérisoire, une maison proche de ce lieu maudit. Les enfants étaient heureux. Jamais ils n’avaient eu pour eux seuls une aire de jeux aussi extraordinaire. Sur le toit de cette prétendue maison de la torture, ils avaient construit une cabane. J’étais rassurée. Je savais à tout moment où les trouver. Les mois ont passé. Rien ! Jusqu’à ce 8 avril 1997 où, on ne sait pas pour quelle raison, la cabane ainsi que le toit plat de la vieille maison s’écroulèrent. Des hurlements me glacèrent les sangs. J’avais l’impression que ça sortait de terre et emplissait ma maison. Etaient-ce les souffles d’outre-tombe de ces antiroyalistes ? Les enfants avaient-ils fait un bruit qui leur avait fait peur ? Nous signifiaient-ils que notre temps était venu ? Plongée dans mes interrogations, je sursautai à l’ouverture brutale de la porte de la cuisine laissant tomber le plat de lasagnes prévu pour le dîner. Devant moi, mes trois enfants tenaient chacun une poignée d’os blanchis par le temps. Toute tremblante, j’appuyais sur le 1 et le 7. - Police abraysienne, à votre écoute. - Venez vite ! Il y a des morts au 23 de la rue de la Maison Plate. J’entendis le policier dire à son collègue que c’était sûrement encore des gamins qui leur faisaient une blague vu que personne, depuis longtemps, n’habitait plus dans cette rue. 41 - Personne ! Nous ne sommes donc personne ! Détrompez-vous monsieur l’agent je suis madame Norey et je vis dans cette rue depuis plusieurs mois avec enfants et mari. Il tenta de s’excuser de sa non-connaissance de nouveaux habitants, mais laissant éclater ma rage, je lui rétorquai : - Oh vous, de toute façon, les fonctionnaires quand on a besoin de vous vaut mieux rien vous demander. Et dire que c’est notre argent qui vous paie. Surtout ne vous déplacez pas. C’est moi qui vais venir avec les preuves de ce que j’avance et vous n’en reviendrez pas. - Non, non, madame ! Ne touchez à rien ! Nous arrivons pour prendre votre déposition. J’appelai aussi sec le vieux pharmacien qui, entre nous soit dit, était beaucoup plus empressé que la police. C’est donc, accompagnée des enfants, du pharmacien, d’une échelle et de lampes de poches que nous sommes retournés dans le trou béant du toit de la maison plate. Le pharmacien et moi-même n’en revenions pas. Un spectacle sans pareil. Je pris plusieurs photos afin de faire partager notre découverte à mon époux, quand il reviendrait de son déplacement. Devant nous, des monticules d’os qui auraient fait rêver n’importe quel chien. Accrochés aux murs, pendaient encore des chaînes avec entraves. Au centre, un lit en pierre, parsemé de pointes en fer. Dans le fond, une armoire aux portes défoncées laissait voir les instruments de torture. J’avais des haut-le-coeur. De la sueur dégoulinait du front du pharmacien. Les enfants étaient pétrifiés. Des bruits de pas sur les restes du toit me remirent les idées en place. - Madame Norey, êtes-vous là ? C’est la police ! - Oui, oui. Descendez tout le monde vous attend. Nous sentions bien qu’ils n’étaient pas rassurés. Pendant que je discutais avec un policier, les enfants et le pharmacien se mirent à souffler dans leurs mains pour imiter des bruits de fantômes. Je leur lançai un sourire en coin. - Alors messieurs sont-ce des preuves suffisantes ? Le lendemain, à la Une de la République du Centre, une photo montrait un policier tenant des os. L’article, en page deux, expliquait que c’était grâce à des habitants courageux que la rumeur de la Maison Plate n’était plus une rumeur, mais une réalité. Cet article, hélas, attira plein de nouveaux habitants dans notre rue si tranquille auparavant. 42 Rue de la Gueule Noire Par Régine Paquet J’avais toujours entendu raconter, par mes grands-parents maternels, que la rue de La Gueule noire à Saint-Jean de Braye où ils demeuraient, devait son actuelle appellation au surnom d’un mineur lorrain qui s’y serait installé vers 1880. Passe encore. Mais le fait qu’il aurait construit, dans son jardin, une authentique mine miniature en parfait état de marche me laissait fort sceptique. D’autant qu’on se serait, parait-il, précipité en masse de tous les coins de France pour visiter cet original chef-d’oeuvre. Chef-d’oeuvre inconnu puisque je n’en avais trouvé nulle trace dans les archives de la ville que j’avais pourtant patiemment et à plusieurs reprises consultées. Or, en triant de vieux papiers, après la mort de ma grand-mère abraysienne (mon grand-père s’était éteint bien avant elle), je suis tombée sur une carte postale du début du XXe siècle représentant une mine miniature, entourée d’arbustes et d’arbres et, dans un coin, la tête d’un homme au visage marqué de salissures noires. Au dos de la carte, on peut lire « Gueule noire et l’oeuvre de sa vie : sa mine. » L’absence d’indication sur le lieu où se serait trouvée cette mine a titillé ma curiosité. Elle aurait donc bien existé ! Pardon grand-père ! Pardon grand-mère ! Je désirais soudain violemment que ce fût bien à Saint-Jean de Braye. Mais comment m’en assurer ? De ce jour, une véritable passion pour les mines sembla s’emparer de moi. Dès que j’avais un peu de liberté professionnelle - je suis médecin et célibataire - je partais vers la Lorraine, supposée région natale de Gueule Noire. J’y visitai toutes les mines, désaffectées ou encore en activité, tous les musées ayant un rapport, si minime soit-il, avec l’activité minière. Je rendis visite aux plus anciens mineurs encore vivants, en état de lucidité ou de sénilité. Des gueules noires, il y en avait plus que je n’en voulais. Mais d’un qui serait venu à Saint-Jean de Braye et y aurait bâti une mine à taille de grand jouet, nulle trace. Cela dura au moins trois ans. J’étais prête à abandonner mes fanatiques recherches quant à la médiathèque de Longwy, je fis la trouvaille d’un livre paru dans les années 50. Livre consacré non pas aux mines et aux mineurs mais aux créations insolites de grands inconnus. En double page - page 68 et 69 - s’étalait une photo de très mauvaise qualité, similaire à celle de la carte postale en ma possession. Quelques lignes de légende accompagnaient l’illustration, les voici: « Modèle réduit de la mine de 43 Longwy réalisé par un ancien mineur, Augustin Lazar (1850- 1920), dans le jardin d’une commune du Loiret appelée Saint-Jean de Braye. Cette oeuvre, fruit d’années de patient labeur, a été détruite par un incendie peu de temps après son achèvement. » 44 Rue de la Gueule Noire : quelqu’un m’a dit ………… Par Jean-Jacques Richer Quelqu’un m’a dit que non loin de là, vivait un animal étrange qui aurait terrorisé pendant de nombreuses années les habitants de cette rue, voire du quartier. Il serait à l’origine de la disparition de plusieurs animaux et peut être même d’un jeune enfant. Cet étrange animal ne sortirait que la nuit pour causer ses méfaits. Ce soir encore, j’ai joué plus que de raison et ce n’est qu'à la nuit tombée que je reprends le sentier qui mène à la maison. Toutes ces histoire me parcourent encore l’esprit lorsque, soudain, en pénétrant dans le bois, mon attention est vite attirée par un bruissement de feuilles de plus en plus intense, qui traduit la fuite de quelque chose ou plutôt de quelqu’un, se dirigeant dans le sous bois, derrière les fermes. Je dirige le faisceau de ma lampe électrique en direction du bruit mais sa lueur est trop faible et je ne peux distinguer qu’une vague silhouette à l’allure pataude, pouvant faire penser à un ours. Ce qui se raconte serait donc vrai ? L’animal pourrait il encore causer des ravages ? Je continue alors mon chemin, pas fier du tout ! J’ai hâte de regagner la maison, de raconter ce qui m’est arrivé à maman, qui en parlera sûrement à papa !Mes parents m’écoutent attentivement et sourient tous les deux d’un air complice. Ils viennent d’entendre à la radio, en rentrant à la maison, qu’un animal s’est échappé d’un cirque ambulant et qu’une battue va être organisée pour le retrouver. Ils m’expliquent ensuite que cet animal terrifiant, à la gueule noire, n’a jamais existé mais qu’autrefois en effet, les parents faisaient croire cette histoire aux enfants afin qu’ils ne traînent pas jusqu’à la tombée de la nuit ; ils préféraient les avoir près d’eux dans les étables pour les aider à la traite des vaches, pour donner le foin aux bêtes, ou à la cuisine, pour préparer le souper ! Aussi, plus tard, lorsque des noms furent donnés aux différentes rue du village, c’est sans hésitation que cette rue fut nommée : la rue de la gueule noire afin de faire allusion à cette rumeur. 45 Impasse des Framboisiers Par Charlotte Talec De nos jours, l’impasse des Framboisiers est bétonnée, « lampadairisée »… Mais ma mère me dit que lorsqu’elle était petite c’était le coin pour les confitures. On venait avec des bidons et des paniers pour cueillir des mûres ou des framboises et c’est fou ce qu’on récoltait ! C’était aussi le coin des déconfitures, car les amours adolescentes s’y faisaient et s'y défaisaient. Quand j’ai demandé à ma mère pourquoi les amoureux se retrouvaient dans une impasse si étroite, elle m’a répondu que de son temps, c’était un grand chemin qui menait au bois. Du bois, on avait peur …Les bûcherons d’alors, fréquentaient le bordel de la Coquille. C’était des gens sans moralité ! Et puis, il fallait éviter la rue voisine : celle des Martinets. Ce n’étaient pas des noms d’oiseaux qu’on disait, mais une rue de flagellation au Moyen Age. Quant à la rue de la Maison Plate, à deux cents mètres, on ne s’y risquait pas. Ah ça non ! On passait devant avec frayeur. On marchait ou pédalait plus vite. Un centre de la Gestapo qui fonctionnait encore, qu’on disait ! « L’impasse, c’était la nature et la vie : la preuve, c’est là que ton père s’est déclaré à seize ans en me filant un hanneton dans le corsage. Ah c’était déjà un filou, ton père ! » qu’elle a ajouté ma mère . . Les framboises de Saint-Jean de Braye et ma mère fréquentant assidûment le chemin des amoureux …Voilà deux postulats qui me laissaient dubitatif et incrédule. Lorsqu’on m’offrit un billet pour le salon gastronomique d’Orléans. En sortant du grand hall, j’aperçus un stand dont l’enseigne était «A LA FRAMBOISE DE SAINTJEAN DE BRAYE». Une vendeuse accorte trônait devant des rangées de pots de confiture. Leur étiquette mentionnait « cuisson au chaudron ». « Il y a encore des framboises à Saint-Jean de Braye ? - Bien sûr ! Et il y en a toujours eu. Mes grand’parents faisaient de la liqueur, moi je me limite aux confitures, c’est plus commercial. Vous prenez la promo des trois pots ? - heu, oui » Je suis reparti et je me suis dit que s’il y avait eu et s’il y avait encore des framboises à Saint-Jean de Braye, Il y avait eu et il y avait peut-être encore un peu d’amour chez mes parents … 46 La rue des trois clés Dans la rue des trois clés, imaginez que chacune des trois clés ouvre une porte sur un autre monde. PAR CLEMENCE .......................................................................................................................................................... PAR GARANCE ............................................................................................................................................................. PAR MANON .................................................................................................................................................................. PAR MARIE .................................................................................................................................................................... PAR MATHIEU .............................................................................................................................................................. PAR ROMEO .................................................................................................................................................................. PAR TOM ........................................................................................................................................................................ PAR MARIE-EDITH BASILLE .................................................................................................................................. L’ENVERS DU MONDE PAR MARYVONNE BRINON....................................................................................... PAR GERARD COTTIGNY......................................................................................................................................... RUE DES 3 CLES PAR ALAIN CROSNIER ............................................................................................................ RUE DES TROIS CLES PAR CHRISTIAN FER.................................................................................................... PAR JACK FOUCHER - 1RE VERSION ................................................................................................................. PAR JACK FOUCHER – 2E VERSION ..................................................................................................................... RUE DES TROIS CLES PAR CHRISTOPHE HUGUET...................................................................................... RUE DES TROIS CLES PAR HARRY L ................................................................................................................. RUE DU VOMIMBERT PAR CHANTAL LERAITRE......................................................................................... RUE DES TROIS CLES PAR ROSE MICHEL....................................................................................................... RUE DES TROIS CLES PAR CHRISTIANE NOISETTE.................................................................................... RUE DES TROIS CLES PAR REGINE PAQUET.................................................................................................. RUE DES TROIS CLES PAR GUY VIENNOT 47 Par Clémence Je viens de trouver une clé qui ouvre le carnet de route du voyage dans le temps de mon grand-père. Son histoire m’emmène en l’an 1789 avant Jésus-Christ. Sous la mer, je découvre le trésor de François de Hadock : 4 000 livres ! Dans ces 4 000 livres, je trouve une deuxième clé qui me permet d’ouvrir une autre page. J’ouvre et alors je me retrouve devant le tombeau de Cléopâtre. La pyramide est engloutie sous les eaux. L’eau est salée. Des dauphins me regardent. Un calendrier indique que je suis en l’An 1 avant Jésus-Christ. Je regarde tous les objets en écoutant les dauphins. Dans un vase, je trouve une clé. Cela m’amène dans une salle pleine de coffres. J’en ouvre un et je me transforme en dauphin. Par Garance Je trouve une clé ronde et j’ouvre une porte. C’est une porte magique. Çan c’est écrit sur la porte : MAGIQUE. Il y a un grand château avec des Pokémon et des chevaux volants. mais il n’y a personne sauf plein d’animaux. dans le salon du château. Je rencontre un prince charmant. Il me donne une clé. Je mets la clé dans la pendule et la tourne. Je me retrouve au temps des dinosaures et dès que j’arrive, un dinosaure tombe amoureux de moi. Il me suit tout le temps. moi. Je l’aime bien, mais pas d'amour. Par Manon Je trouve une clé qui ouvre une porte sur un monde de clones. Ils sont tous en train de manger. Ils disent tous, en même temps, la même chose. Un des clones fait tomber une clé. Je la ramasse. Dessus est marqué : cellule, égout. Je passe par les égouts et j’arrive devant une porte. Une clé y est accrochée. Je la prends et la mets dans la serrure. Je trouve quelqu’un qui ne fait pas partie des clones et je le ramène dans mon pays. Par Marie J’ai trouvé une clé magique qui ouvre une porte magique. Elle mène dans un monde merveilleux. Il y a des centaures qui habitent dans des trousses. Les femmes sont des ânesses. Ils n’ont pas besoin d’acheter à manger ni de gagner de l’argent. Par terre, je trouve une deuxième clé. J’ouvre un coffre et me voilà dans un monde 48 mou. Les maisons n’ont pas de fenêtres ni de cheminées. Les humains sont nus. Quand ils sont amoureux, ils ont une sucette en forme de cœur. Par Mathieu Je vais ouvrir un meuble où il y a des jouets : un ballon de basket et un ballon de foot. Ce sont des ballons magiques. Celui qui a un de ces ballons est certain de gagner. Je vais ouvrir une porte qui est magique et j’entre dans un monde de sport. Il y a un panier de basket et deux équipes. Elles sont en finale du championnat du monde de 1993. Par Roméo Je trouve une clé très grande qui ouvre une pendule. Je la mets dedans. Je la tourne et tout à coup… J’arrive dans le passé. On aurait dit qu’on était au temps de dinosaures. Au début, j’ai eu très peur mais après un moment, je vois des joueurs de foot. Ils étaient en train de jouer la finale de 98, et un château fort. Le joueur de 98 vient vers moi me donne une autre clé. Un chevalier, lui, me remet un coffre. Alors, je l’ouvre et je suis aspiré. J’arrive dans un monde où il y a tous les animaux du monde qui marchent et qui parlent. Les hommes, eux, font les animaux. Ils ont échangé leur place. Par Tom Je viens de trouver une clé triangulaire. J’ai ouvert une porte et je suis entré dans le monde des dieux. J’ai vu Poséidon, Zeus, Cupidon, Thor, Olaf, Hadès, Apollon, Athéna, Odin et Héphaïstos en train de jouer au basket avec la planète Terre. Poséidon venait de marquer un « dunk ». À ce moment, Zeus remarque que je suis là. Il vient vers moi avec une clé qui a des ailes et des jambes. Olaf vient avec un coffre dans les mains et il me dit : « Ouvre-le ! ». Je l’ouvre et je vois un « Ferrero rocher ». Je le mange et des ailes poussent dans mon dos. Zeus et Olaf me disent que je viens de devenir un dieu et que je m’appelle Tomus. 49 Par Marie-Edith Basille Elles sont accrochées au mur depuis toujours. Je les connais toutes. Mais non, toutes sauf ces trois-là, sur le même porte clé. Où me guideraient-elles ? En quittant la maison, je m'enfonce dans le sentier et trouve une grille. Pourrai-je l'ouvrir ? Première clé : non, 2ème : Oui ! et derrière la grille, un dédale au milieu des vignes. Je m'y enfonce et plus je me rapproche de la Loire, plus je descends. Oh, l'eau est maintenant bien au-dessus de moi. Je suis donc le souterrain et redoute mes découvertes futures. Quel chevalier a traversé pour retrouver sa belle sur l'autre rive ? Jean ou Denis ? Et qui était la belle ? Denise ou Jeanne ? La Loire nous le dirait peut-être mais l'eau a emporté ce secret. De retour chez moi, je n'ai de cesse d'essayer les autres clés. Mon obstination me conduit avec la 3e clé dans un hangar, grand, vide. Chacun de mes pas résonne. Je me sens un peu paniquée par le miaulement d'un chat qui m'avait suivie et, en faisant volte face, aux aguets, j'aperçois, complètement au fond du hangar, un objet de petite taille. Intriguée, je m'approche et découvre un piano d'enfant, encore en état de marche. Je m'accroupis et appuie légèrement sur les blanches, les noires… Après avoir joué quelques mélodies, je repars en serrant dans ma poche la "clé de sol". Je n'ai toujours pas trouvé où me mène la 1re clé. J'arpente donc les rues autour de chez moi et essaie à chaque porte. Rien, encore rien, toujours rien et… si j'essayais à la mairie ? Merveille ! Elle ouvre. C'est la clé de la ville. Je pénètre donc dans la mairie et vois, sur un coussin de velours bleu passé, la trace de la clé en plus foncé. Pourquoi a-t-elle quitté son coussin et quand ? J'imagine les abraysiens qui accompagnent peut-être les Bourgeois de Calais, passant par toutes les rues. A chaque carrefour quelques personnes de plus les rejoignent et peu à peu la foule marche en chantant. Devant, un sourcier avance avec précaution, sa baguette de coudrier guide ses pas. Quand il s'arrête, les marcheurs se retrouvent au bord de la Bionne, les plus jeunes se faufilent dans les roseaux, à l'affût des castors ; les plus âgés se reposent un peu avant de retourner chez eux. 50 L’envers du monde Par Maryvonne Brinon Lilo prit Lila par la main. Il lui tardait de partager avec elle des secrets ailleurs. Elle s’était par lui laissé bander les yeux d’un ruban de velours blanc, noué en boucle dans le drapé de sa chevelure vénitienne. Lila et Lilo marchaient à pas lents en un épais brouillard au couteau coupé qui se reformait aussitôt sur leur passage lisse. Le temps s’étirait dans le silence partagé au contact du sol sinueux et de ses contours tangibles. Tantôt sableux, tantôt caillouteux, celui-ci présentait par endroits des caillasses coupantes à contourner, obstacles surgis sans prévenir, auxquels Lila se fût heurtée, si la main de Lilo, d’une pression douce, ne l’avait in extremis retenue. A la sortie d’une forêt dont ils prirent le temps d’enlacer un à un les troncs, ils arrivèrent devant un triple portail. Celui-ci était composé d’une première grille de fer forgé façon art nouveau en délicats entrelacs floraux qui venait se superposer à une double porte de bois, sculptée de volutes calligraphiques d’inspiration orientale. Entre les deux, translucide, une paroi de verre coulissante, à laquelle on pouvait inopinément se heurter, n’eût-on été à tâtons, bras devant. Chacune des portes successives, séparées de 66, 60cm possédait sa propre clé ; l’une de bronze poli, la seconde de verre dépoli, la troisième d’ébène. Lilo en possédait le trousseau assemblé autour d’un anneau spiralé d’or rose. Il connaissait les caprices de ces trois clés. Animal à dompter, chacune d’elle exigeait pour s’ouvrir une mélodie de mots. Nulle formule préalablement apprise ! La combinatoire en était aléatoire reposant sur la seule séduction. Au-delà de trois tentatives vaines, les clés se brisaient en mains, interdisant à jamais l’accès de ce lieu savamment protégé. Lilo, dont le cœur était pur et d’amour plein, entonna tour à tour trois ritournelles. L’une tintinnabulante, la seconde cristalline, la troisième mate. Sonore, la porte de fer se déverrouilla soudainement, s’ouvrant solennelle par le centre. La porte de verre glissa subtilement sur la droite, disparaissant dans l’épaisseur du mur aussitôt reformé. Demeurée close, la porte de bois se montra de marbre. Lilo se souvint alors d’un flûtiau de bambou taillé de ses doigts qu’il avait gardé en poche. Il chantonna tendrement des mots-notes qui vinrent à bout de la résistance boisée. Ayant franchi la frontière que matérialisait le triple portail, Lilo dénoua le ruban blanc de Lila. Longuement fermées, ses paupières cillèrent et ses yeux durent 51 s’accommoder à la liquidité de l’air et de la lumière. L’univers qui s’offrait à eux lui apparut immédiatement comme l’exact négatif de leur monde familier, son arrièrecuisine, ses coulisses insondées. Face immergée de l’iceberg, il révélait somptueux, l’essentiel invisible pour les yeux. 52 Par Gérard Cottigny En me promenant un matin dans Saint Jean de Braye, un vieil homme m’accosta et me confia une jolie boîte. Il me dit : « Dans cette boîte il y a 3 clefs, gardez-les avec vous, prenez-en bien soin car chacune ouvre une porte. Devant mon air interrogatif il ajouta… cherche, tu trouveras ». Que devais-je chercher ? Que devais-je trouver ? Quelles portes ces clefs ouvraient elles donc ? Y avait-il un symbole caché ? Quelque temps plus tard, par un beau matin d’automne, les bords de Loire étaient calmes. Proche du talus, de hautes herbes attirèrent mon regard. Je m’approchai pour les observer. Intrigué par ces fleurs, je grattai la terre pour en prendre une et je découvris qu’elles cachaient une porte. Elle était bien fermée. Je pense à ce vieil homme, et je sors de ma poche le coffret avec les clefs. Je les essaye une après l’autre, la dernière tourne dans la serrure. La porte s’ouvre dans un grand bruit. Je regarde autour de moi, je suis seul. Cette porte débouche sur un long couloir éclairé de bleu. Attiré, je pénètre à l’intérieur et je découvre tout au long du chemin des arbres, des fleurs odorantes. Tout n’est que beauté et enchantement. Il y a aussi des statues d’hommes et de femmes, de toute beauté. J’aperçois des paysages de rêve. Que ce monde est beau ! Soudain, ma progression est stoppée par une porte. C’est le bout du couloir. Cette porte est ornée de feuilles d’or et de chaque coté, de colonnes corinthiennes. Je suis dans un monde de rêve. Cette porte qui me barre le chemin est comme une question. Dois-je continuer ? Je sors de ma poche les deux clefs restantes. Après quelques difficultés, la deuxième porte est ouverte. Je dois déployer toutes mes forces pour déplacer celle-ci et un monde nouveau s’ouvre devant moi. Je dois puiser au plus profond de moi pour vaincre des forces étranges qui m’interdisent l’entrée. Mais je dois poursuivre mon chemin. Dans ce nouveau couloir le plafond est soutenu par d’énormes colonnes doriques au nombre de douze, espacées irrégulièrement comme un chaos organisé. Peut être que cette beauté qui se dégage de la force est en rapport avec la proportion divine en lien avec le premier couloir. Sur les murs, des dessins rappelant la force qu’il faut déployer pour que l’espace dans lequel je me trouve se maintienne en équilibre. Une force puissante me retient, mais j’ai conscience que je dois poursuivre mon chemin. Il me reste une dernière clef. Je rassemble toute mon énergie pour 53 avancer. Une porte me barre le chemin. Elle est très basse. Je dois me courber en deux pour y introduire la dernière clef et ouvrir cette porte. J’aperçois une vaste pièce dans laquelle je me hisse courbé en deux. Ainsi je me sens humble devant les éléments qui m’accueillent. Ici tout est calme, il y a des personnages qui discutent avec une grande sérénité. Il y a comme une communion d’esprit dans le respect de l’autre. Il y autour de cette pièce des colonnes ioniques. C’est un monde de sagesse. Je me sens bien mais peut être suis-je parti depuis longtemps et personne ne doit connaitre mon secret, ni m’apercevoir dans cet endroit. Au fond de la pièce, une lueur me fait distinguer un escalier tournant. C’est sans doute la direction à emprunter pour sortir. Je monte et me retrouve dans une rue déserte où sur un mur est inscrit « rue des 3 clefs ». Ces trois clefs utilisées pour parcourir trois chemins, chemins de la vie que je m’efforce de suivre aujourd’hui guidé par la Force, la Sagesse et la Beauté. 54 Rue des Trois Clés Par Alain Crosnier - Alors raconte !! Tous les collègues de Pierre se pressent autour de lui ce lundi matin dans le laboratoire de recherche d’ethnoarchéologie de l’université d’Orléans La Source. - Où étais-tu cette fois ? A Tombouctou ou à Plougastel ? - Pas du tout, répond Pierre, un petit sourire satisfait sur les lèvres, à SaintJean de Braye - Quoi ? Dans cette banlieue ? C’est en effet une banlieue qui est très urbanisée en cette fin du XXIe siècle, un certain nombre des collègues de Pierre y habitent d’ailleurs. Quant à lui, c’est un chercheur très prometteur œuvrant au sein du département de psycho ethnologie, qui connaît un développement spectaculaire depuis la découverte des traces cérébrales des être vivants, plus connues sous le nom de psycho traces. L’attention est à son comble quand Pierre, ménageant ses effets, expose son travail. - Vous connaissez sans doute les bords de la Bionne à Saint-Jean de Braye. Malgré une pression immobilière énorme, les municipalités successives ont protégé cette petite vallée qui est restée assez sauvage. C'est-à-dire avec peu d’installations technologiques, qui vous le savez nuisent aux psycho traces. - Tu veux dire que tu y as trouvé des vestiges ? - Oui, mais laissez-moi continuer. Quand on descend la rue des Aubraies vers la Bionne, on rejoint assez vite le lit de la rivière. Celui-ci est assez large. Il est certain que son cours était plus puissant dans un passé ancien. On ignore à droite la centrale à hydrogène qui a abrité autrefois un centre informatique d’IBM. Aucune chance d’y trouver des traces, trop de rayonnement. - Ah ! Je connais, mon grand-père m’en a parlé - Oui mais les choses intéressantes commencent un peu en amont dans une zone humide et boisée qui s’arrête à la route de Gien, c’est-à-dire dire sur trois cents mètres environ. Très vite, une grosse densité de traces, les détecteurs s’agitent, puis les premières formes apparaissent. - Un habitat ancien ? - Oui c’est évident. Vous savez que la méthode ne permet pas de reconstituer 55 les artefacts et les habitations mais seulement les traces de l’activité cérébrale. Mais par déduction et étude des densités absolues et temporelles on peut tenter une cartographie. - Alors ? - Alors, il y avait là, au droit d’une ancienne passerelle, un ensemble de trois grandes huttes, étagées, abritant environ soixante personnes, mais le plus intéressant c’est l’organisation sociale qui semble avoir régné ici. - On peut dater le village ? - Oui entre 80 000 et 100 000 ans avant JC, c'est-à-dire plus ancien que nos dernières hypothèses. Mais le plus intéressant, comme je le disais, est l’organisation sociale. Elle rappelle par certains égards l’organisation tribale de Papouasie que vous connaissez. - Tu veux dire que les huttes abritaient des catégories particulières ? - Exactement, la première, près de l’eau, abritait les enfants. On y détecte quelques passages d’adultes, mais très peu. Beaucoup de traces de jeux, de rites, de chants et de longues périodes de sommeil. Quelques émois sexuels aussi, mais on pense qu’à la puberté ils étaient transférés dans une autre hutte. - La hutte des adultes ? - Oui, c’est évident. La seconde est plus haute dans la pente. Des traces d’effort surtout, de peine. Ils devaient travailler la terre, mais aussi des rires et de la sexualité en abondance. Des périodes de sommeil très courtes. Comme dans la première hutte peu de souffrance et peu de rupture entropique, c’est dans la troisième hutte qu’on les trouve. - La hutte des morts, en quelque sorte ? - Oui et non. La troisième hutte est encore plus haute, dans un endroit qu’on imagine ensoleillé. Si on y détecte effectivement des décrochages, il y règne une grande paix, le silence et une bienveillance qui devait déborder sur le village dans son ensemble. Il reste à vérifier beaucoup de données mais on pense que les anciens avaient un rôle magique de protection. Ils recevaient les forces négatives venues d’en bas et les retraitaient au soleil et au vent. - Une sorte d’épurateur ? - Oui d’épurateur psychique et régulateur de tension, à l’époque la question de l’épuration de l’air ne se posait pas… - C’est passionnant, tu as une idée de leur vie quotidienne, leur alimentation ? 56 - Là c’est plus difficile, on est assez précis sur le modèle psychosocial, mais la projection physique demande du temps. Les ordinateurs y travaillent, mais en dehors de la séparation des âges, il semble qu’il y ait eu une séparation des domaines de la vie. La maîtrise de l’eau aux enfants, la terre et les nourritures terrestres aux adultes et le ciel et la spiritualité ou la magie aux anciens. La richesse des traces nous permet d’être très optimistes sur les résultats. - Dis donc c’est la gloire assurée cette découverte ! - Oui, peut-être, mais il n’y a pas de Nobel d’archéologie alors j’aurai peut-être la médaille de la Ville ! 57 Rue des Trois Clés Par Christian Fer A la curiature de la zone SJB45 (anciennement Saint-Jean de Braye), il y a comme dans toutes les zones un curiateur, un répartiteur démographique, un répartiteur économique et des régulateurs. Le curiateur est le maître de la zone. Le répartiteur démographique est responsable de l’équilibre de la population entre les différents secteurs de la zone et les régulateurs sont chargés de la sécurité et de l’ordre dans les secteurs. A la mort du répartiteur démographique, j’ai été élu pour le remplacer. Ma principale fonction est d’assurer l’équilibre des trois populations de la zone, les riches, les pauvres et les travailleurs. La sectorisation a été mise en place en 2050 pour éviter les conflits inutiles et les révolutions contre-productives des décennies précédentes. On ne peut pénétrer dans chacun des secteurs que par les trois clés que je suis le seul à détenir. Je réside dans la recte des Trois Clés, anciennement rue des Trois Clés, avant qu’on ne simplifie les tracés urbains en redressant l’ensemble des voies. Je suis le seul à pouvoir circuler librement dans les trois secteurs. Seul le curiateur et moi-même devons connaître les règles qui régissent la répartition des populations entre les trois secteurs. Avec son transmuteur, le curiateur m’a conduit à ma résidence recte des Trois Clés où, grâce au code octodimensionnel, j’ai pu me munir des trois clés numériques. Auparavant, je vivais dans le secteur des riches. Je vais enfin pouvoir circuler dans le secteur des pauvres et dans le secteur des travailleurs. Le secteur des riches est le plus vaste, mais c’est là que vivent le moins de SaJeBiens. Je le connais bien, mais je n’en avais jamais franchi l’enceinte électronique puisque nos réunions de curie se font bien entendu sans que nous ayons à nous déplacer. Il m’était jusqu’à présent impossible de franchir l’enceinte, mais à vrai dire personne ne cherchait véritablement à sortir du secteur et l’enceinte électronique est surtout utile pour éviter que les travailleurs et les pauvres ne la franchissent. Juste un mot sur le secteur des riches. Sa population ne doit pas dépasser un chiffre que je suis seul à connaître. Si en fonction des arrivées, ce chiffre venait à être dépassé, ce serait à moi de régler la difficulté et de retirer des riches pour les affecter au secteur des pauvres ou des travailleurs en fonction des besoins. Il peut arriver aussi que je réaffecte un riche s’il ne respecte pas les règles de vie dans le secteur. Le rôle des riches est de dépenser ce que produisent les travailleurs. S’il 58 vient à l’idée d’un riche de s’occuper à autre chose qui le distrairait de sa fonction, je dois le réaffecter. Avec le curiateur, nous nous transmutons à l’entrée du secteur des travailleurs. Le détecteur électronique analyse la clé et compare mon ADN avec celui qu’il a enregistré. Avec le curiateur, nous franchissons le champ électronique. A perte de vue s’étendent des bureaux, des écrans et des machines, quelques-unes seulement pour les rares travaux qui nécessitent encore des mouvements mécaniques. Avec les progrès de la productivité, les travailleurs sont peu nombreux. Leur alimentation et leur mode de vie ont été calculés pour qu’ils puissent travailler avec le minimum d’arrêts. Nous nous transmutons ensuite dans le secteur des pauvres. Du secteur des pauvres il y a peu à dire. Il n’assure aucune fonction économique. La production est assurée par le secteur des travailleurs et la consommation par celui des riches. Les seules choses à faire dans ce secteur sont d’assurer la subsistance et l’ordre. Ce sont les rôles du répartiteur économique et des régulateurs. J’ai juste à m’assurer du bon fonctionnement de la clé n° 3 pour éviter que les pauvres ne sortent du secteur et déséquilibrent la zone. Une fois les trois secteurs explorés, j’interrogeai le curiateur sur la manière dont la population de SJB45 se reproduisait car dans aucun des secteurs je n’avais vu de maternité ni de femmes enceintes. C’est alors qu’il m’expliqua qu’il existait une quatrième clé qu’il était seul à posséder. 59 Par Jack Foucher - 1re version Bonjour ! (franc et massif, façon militaire bien portant, sûr de lui, le gars qui a gagné la guerre à lui tout seul) - ... (pas de réponse) - Bonjour ! (insistant, à peine aimable, un tantinet agacé) - Bonjour (un bonjour un peu longuet à sortir, façon noctambule à l'esprit embué, un bonjour à peine audible et incertain) - Vous me recevez ? - Cinq sur cinq, fort et clair, mon lieutenant (souvenir du passage dans la glorieuse armée française) - Ah bon ! J'ai eu peur un court instant. Sachez tout de même que je ne suis pas militaire. - J'ai cru. Au ton de votre voix. - J'ai la voix qui porte. - J'étais dans mes pensées. - Diantre, Ventre Saint gris ! Vous pensez dès potron minet ? - Oui. - Et cela ne vous gêne pas pour le reste de la journée ? - Non. C'est une maladie familiale. Cela s'appelle l'atavisme. - A vos souhaits ! - Ce n'est pas exactement une maladie. Un léger handicap tout au plus. Cela étonne la première fois. Et puis cela peut déranger aussi. Vous en êtes la preuve vivante. - Puis-je vous poser une question ? - C'est toujours mieux qu'un lapin. - Qui vous parle de lapin ? - C'est une formule. Pour détendre l'atmosphère. Pour faire un peu d'humour, en quelque sorte. - Puis-je poser ma question ? - Où vous voulez. - J'y vais. - Faites toujours. - Je cherche une rue. - Ce ne sont pas les rues qui manquent à Saint Jean de Braye. Il me faudrait quelques précisions. Il ne s'agit que d'une rue, certes, mais cela demande de la réflexion. D'un autre côté, si vous cherchiez la fortune, je ne saurai trop quoi vous répondre. - Je cherche la rue des trois clés. - La rue des trois clés , Hou la la ! Qu'est-ce aquo la rue des trois clés ? - Vous habitez bien Saint Jean de Braye ? - Comme de juste. - Et vous ne savez pas où se situe la rue des trois clés ? - Comme ça, à brûle-pourpoint, j'ai du mal. 60 - Je croyais avoir compris que vous pensiez le matin et ce à l'heure où la plupart des gens dorment encore. - Si fait, mon tout bon, mais penser et savoir sont deux choses totalement différentes. - Si vous commencez à philosopher, on n'en sortira jamais. - De la rue des trois clés ? - Monsieur me prend pour une buse, un lapin de six semaines. - C'est vous qui en parlez. - Que je parle de quoi ? - Du lapin ! - C'est malin, vous vous gaussez de moi. - Que nenni ! - Alors vous savez ou vous ne savez pas où se trouve la rue des trois clés ? - Je le sais maintenant. J'ai eu le temps d'y réfléchir depuis que vous avez posé votre question. - J'en suis fort aise. Et où peut-on la trouver, la rue des trois clés ? - Pas loin d'ici, je dirai même tout près. - Ce qui signifie en clair, en bon français bien de chez nous ? - A cinq cent mètres. - C'est cela que vous appelez tout près. - C'est vous qui philosophez maintenant ? Loin, près, cela dépend du mode de locomotion, du temps qu'il fait et bien sûr de l'âge de la mariée. - Bon, on ne va pas passer le réveillon là-dessus. - Nous ne sommes pas à Noël ! - Halte au feu ! Arrêtons l'humour à trois centimes d'euro l'heure. Je sens que je deviens nerveux. Et quand je deviens nerveux... - C'est comme moi. - C'est comme moi, quoi ? - Quand je deviens nerveux . - O. K ! Vous avez décidé de me faire devenir chèvre ? - Je n'ai pas ce pouvoir. - Donc, la rue des trois clés? (Sur un ton las, comme le gars qui viendrait de faire le marathon et qui ne sait plus très bien où il en est) - Eh bien, voilà. (Il sort un plan. Il a toujours des plans sur lui, surtout des plans B). Nous sommes ici. - Où ? - Là ! - Où cela là ? - Ici, au bas de la rue de Roche. Vous voyez le panneau. - Je suis tombé dedans l'autre jour. - Bonne répartie. Monsieur se lance. - Je rigole - Donc, nous sommes ici, à l'angle de la rue de Roche et de l'avenue Pierre et Marie 61 Curie. - Je vois mieux maintenant que vous avez mis le plan dans le bon sens. - Si fait, vous montez la rue de Roche. C'est tout droit. - Tout droit ! Tout droit ? - Tout droit. Même pas un petit virage. - Il y a un repère qui me permette de tomber exactement, au centimètre près, sur la rue des trois clés. - Oui. - Lequel ? - La voie de chemin de fer ! - Génial ! (son grand-père était cheminot à La Chapelle Saint Mesmin, passage à niveau de Mégreville, aujourd'hui disparu). C'est avant ou après la ligne de chemin de fer ? - Cela dépend. - Cela dépend de quoi ? - Par où vous arrivez ! - J'arrive par ici, par là, par en bas. - Bon, alors c'est avant et à main droite. - C'est mieux déjà. - Puis-je être quelque peu indiscret ? - Cela ma gêne. - Pourquoi ? - Je vous demande où se trouve la rue des trois clés, mais je ne suis pas tenu de vous dire ce que je vais y faire, ou qui je vais voir. - Monsieur n'a pas confiance ? - Si, mais je suis de nature méfiante. - Vous avez vos raisons, je suppose. - Vous supposez bien ! Notre homme monte donc la rue de Roche, "pédibus gambus", en mettant consciencieusement un pied devant l'autre, histoire de ne pas se mélanger les pinceaux. Il arrive en vue de la ligne de chemin de fer. Il tourne la tête à droite, façon salut au drapeau dans la cour de la caserne un jour de défilé. Il voit un magnifique panneau "Rue des trois clés". Sur le côté gauche, il y a un homme qui promène son chien ou plutôt un chien qui promène son maître, vu la taille du chien et la carrure du maître. - Je suis bien rue des trois clés ? - Savez pas lire ? - Si, quand même, un peu. - Alors, que lisez-vous sur le panneau ? (Il indique la panneau avec sa canne, façon ophtalmologiste distingué). - Rue des trois clés ! 62 - Donc ? - J'y suis ! - Voilà, bonne journée. Soudain, le promeneur de chien ou le supposé promeneur de chien se retourne tout de go, sans qu'on y prenne garde, d'où effet de surprise. - Vous cherchez quelque chose ? - Non pas; - Quelqu'un ? - Non, mais. - Alors quoi ? - Ecoutez, mon brave... - Vous m'avez reconnu ? - Faisons court, je vous en saurai gré. Vous êtes la deuxième personne depuis ce matin à me poser des questions sur mon périple dans la rue des trois clés et sur les raisons qui m'ont poussées à y venir. Je sens que je ne devrai pas vous répondre, mais quelque chose en moi, aussi, me dit que je dois vous instruire de ma démarche. Je cherche à résoudre un mystère... - Quel mystère ? - Celui du nom de cette rue ! - Maintenant que vous me le dites. Jusqu'au jour d'aujourd'hui, à l'heure qu'il est, à la minute précise où vous venez de me faire part de votre démarche, je ne m'intéressais pas à la question. Vous m'intriguez ? - Je ne voulais point. - Maintenant c'est fait. - Je suis confus. - Ne vous en faites pas, je m'en remettrai. Bonne chasse ! Notre chasseur de mystères parcourt la rue dans tous les sens, ce qui est assez aisé et vite fait, vu la longueur de la rue et sa largeur. La rue des trois clés, ce n'est pas les Champs Elysées ou la rue de Vaugirard. Nous sommes en province tout de même, sachons rester modestes. Par contre, je dis bien par contre, ce n'est pas parce qu'une rue est petite qu'elle est insignifiante. Qu'elle ne cache pas de secrets dignes d'attirer l'attention des historiens, des archéologues, voire même des volcanologues ou des anthropologues ou des podologues ou des proctologues. Nous voici donc, depuis peu, au coeur d'un des plus grands mystères qui soit ! Et notre chasseur sort de la poche intérieure de son manteau de pure laine vierge (nous sommes en hiver), un parchemin, une vieille peau de Vélin, avec une carte alambiquée à souhait, genre carte au trésor. Difficile de reconnaître précisément les lieux après six cents ans passés dans un pot en grès enterré dans le jardin de la propriété de la fosse Belaude. On y voit bel et bien trois clés disposées en trois endroits différents, dans un rayon de cent quatre vingt quatorze pieds six 63 pouces de l'endroit où il se trouve précisément, à ce moment précis, sçavoir 09 h 17 a.m. Il se trouve donc à l'épicentre du cercle de grès qui casse bien. Passe un quidam (pas une dame), en bicyclette (il a plus de six ans, sans cela il aurait une tricyclette, ou davantage). Il voit notre chasseur avec sa belle peau de vélin de qualité supérieure. - Vous en avez une belle peau ! - Oui lavée chaque matin avec un savon dermatologique surgras. - Je ne parle pas de cette peau-là. - Excusez-moi ! J'ai cru, un instant, que j'avais attiré l'attention. - Désolé. Je parlais de l'autre peau, de la peau en Vélin d'Angoulême que vous tenez dans votre main dextre. - Parce que c'est du Vélin d'Angoulême, et pas d'ailleurs ? - Exactement, du Vélin d'Angoulême ! - Et comment savez-vous cela ? - Je suis d'Angoulême. - Cela me semble une raison valable et suffisante. - Et je suis expert en peaux. - En peaux de vaches - Vous connaissez ma femme ? - Non, c'est pour faire avancer le débat. - Le Vélin, monsieur, le vrai, c'est de la peau de veau mort-né et point autre chose. Notre chasseur montre donc la peau à notre quidam vélocipédiste. - Magnifique ! - Je l'ai trouvée hier. - Où cela ? - Dans un jardin. - Quel jardin ? - Vous en posez des questions. - Qui ne pose pas de questions n'aura jamais de réponses. - Effectivement. - Alors, dans quel jardin ? - Dans le jardin de la propriété de la fosse Belaude, à Saint Jean de Braye. Elle était dans un pot de grès. - De quelle couleur, le pot ? - Cela importe - Cela précise - Vert - Vert, j'entends bien, mais quel vert ? - Vert foncé - XVIe siècle, fabriqué à Montbarrois, entre Boiscommun et Beaune la Rolande. 64 - Fichtre, quelle science ? - Mon père, mon grand-père et mon arrière grand-père étaient potiers de terre. - Je comprends mieux - Vous avez vu ? - J'ai vu ! J'ai vu quoi ? - Les clés ? - Oui ! - Vous avez remarqué ? - Que devrai-je avoir remarqué ? - Le dessin des clés, leur forme. - Je n'y ai pas attaché d'importance au prime abord. - Vous auriez dû - Et cela signifie - Qu'il faut les superposer - Il faut donc découper - N'y pensez même pas une seconde - Comment faire ? - Les dessiner méticuleusement - Je ne sais pas dessiner - Moi, je sais - Installons-nous - Allons chez moi, en tout bien tout honneur. Nous boirons un bon café, fait par ma grand-mère. - Ah, si grand-mère sait faire un bon café ! Vous habitez loin ? - A deux pas - Dans cette rue ? - Précisément. - Où ? - La maison avec les clés. - Je vois. Cela me laisse perplexe, inquiet même. Vous savez tellement de choses que j'ignore. - Sachez que vous n'êtes pas arrivés ici par hasard - J'angoisse - Vous êtes l'élu, Vous avez été choisi. Vous avez été guidé. - Par qui ? Par quoi ? - Par nous, qui depuis ce matin, veillons à ce que vous ne vous perdiez pas et par le pot et la peau. Pour venir ici, vous avez emprunté la rue de la fosse Belaude, la rue Edouard Branly, la rue de charbonnière, la rue du pot vert, la rue de Vomimbert, l'avenue du Général Leclerc, l'avenue Pierre Mendès France, l'avenue Pierre et Marie Curie, la rue de Roche. Vous avez rencontré trois personnes, un penseur aux rondins, un promeneur solitaire et son chien et moi-même. Nous savons tout de vous, depuis le jour de votre naissance jusqu'à aujourd'hui. - Je suis sidéré 65 - C'est normal, la première fois - Quelle première fois ? - Celle de l'initiation - Je suis initié maintenant - C'est le début, c'est même un bon début - Et après ? - Demain est un autre jour. Nous verrons... Par Jack Foucher – 2e version S'il est une vérité qui ne saurait être mise en doute par quelque personne que ce soit, sur cette planète et sur celle de MITRA 455, c'est qu'Ali Baba, Ali tout court pour les intimes, a vécu à Saint Jean de Braye la plus grand partie de sa vie et non pas dans la lointaine Arabie des Mille et une nuits. Sa vraie vie, il l'a passée dans un quartier de l'est abraysien où l'on cultivait la vigne. Et là, il avait fait construire de superbes caves voûtées dont s'est inspirée la maison Brouard pour faire les siennes à la Pointe Saint Loup. Ces caves se trouvaient non loin de la ligne de chemin de fer qui l'amena un soir d'hiver, en provenance de Damas, à Saint Jean de Braye, par l'Orient Express où il croisa Hercule Poirot. C'est là que la petite histoire rejoint la grande. Ali est bien né à Damas, au temps des califes abbassydes. Et il y a vécu jusqu'au jour funeste où il a été contraint de fuir son pays pour cause de consommation abusive de liqueur de Bacchus. Son destin de vigneron était tout tracé. Les caves d'Ali (et non pas d'Aldi), étaient sises et incises rue de Roche pour l'entrée principale, à dix mètres à peine de la voie ferrée, à cent cinquante mètres de la gare de Saint Jean de Braye, qui, à l'époque, s'étendait sur deux cent hectares. Des convois formidables y apportaient les vins du monde entier. L'entrée de ces caves était fermée par un énorme rocher, énorme n'est pas encore assez énorme pour décrire l'énormité de ce rocher. Pour accéder aux caves, Ali avait fait fabriquer un jeu de clés, au nombre de trois, dont le moule avait été inventé à Troyes par les compagnons du Tour de France du Devoir, des compagnons serruriers, des devoirants, enfants de Maître Jacques. C'est dire si c'était de la belle ouvrage et du costaud de chez costaud. Ces trois clés étaient imposantes, très lourdes et leur emploi nécessitait de recourir à un appareillage fort compliqué et fort coûteux. Elles reposaient sur un chariot à 20 roues jumelées, tiré par 12 paires de bœufs du Charolais élevés à Paris dans l'enceinte de la gare du PLM. Donc, pour pénétrer dans les caves d'Ali, chacun l'aura compris, il fallait bien sûr prononcer la formule magique : "Sésame, ouvre-toi". 66 Mais cette formule n'était qu'une formule. C'était un artifice, de la poudre aux yeux. On ne pouvait la prononcer qu'après avoir réussi à introduire chaque clé dans l'orifice qui lui était assigné. Elles étaient quasiment identiques. Il fallait donc être expert et assermenté à la confrérie des serruriers-sorciers (ou l'inverse), pour mettre chacune d'elle là où il fallait. De temps en temps, au gré de ses escapades, Gargantua venait prêter main forte à Ali. Une fois la formule magique prononcée, il fallait retirer les trois clés avec la plus grande minutie et la plus grande prudence. Il n'y avait pas de place pour la moindre improvisation. Il fallait les faire reposer sur le chariot après les avoir fait tremper dans un savant mélange de vinaigre d'Orléans et de miel du Gâtinais, ce, afin de les rafraîchir car l'ouverture de la porte-rocher ou du rocher-porte, c'est selon, entraînait une dépense d'énergie phénoménale, l'équivalent d'une bombe atomique de type A. Notre "sésame, ouvre-toi" agissait comme catalyseur d'une opération chimique dont la formule, si elle devait être un jour retrouvée, laisserait pantois et rêveur le meilleur des Prix Nobel de la catégorie "chimistes professionnels SGDG". Une fois franchi le seuil, il fallait emprunter un long, très long tunnel obscur et piégeux. Seul, Ali en connaissait l'itinéraire, au micron près. Il faut que je vous dise que son expérience de goûteur en aveugle du Grand vizir Iznogoud lui avait été profitable. Parvenus à l'extrémité du tunnel, il fallait redoubler de vigilance pour mettre un pied, puis deux, au premier sous-sol. Lequel sous-sol était empli de foudres éclairés d'une lumière blafarde, provenant de bougies d'anniversaire au nombre de cinquante six mille deux cent trente quatre, exactement, pas une de plus, pas une de moins. Dans ce premier sous-sol, Ali entreposait les vins de Loire, légers, à l'exception des vins rouges d'Anjou, fort astringents, comme leurs cousins du Bordelais. Continuons notre visite commentée en léger différé par Léon Zitrone et Mireille Darc (la lointaine cousine de Jeanne). Il vous faut pour cela prêter une oreille attentive qu'on ne vous rendra peut-être pas à la sortie. Nous entrons maintenant au second sous-sol. Nous avons laissé la première clé sur la première porte. Si nous ne l'avions pas fait, nous n'aurions pu continuer d'avancer. Dans ce second sous-sol, Ali, notre bon Ali et toujours pas notre bon Aldi, entreposait les vins de Bordeaux et de Bourgogne, rouges et blancs. Cette précieuse marchandise était gardée par vingt des très célèbres et pitoyables voleurs qu'Ali avait mis aux fers après leur dernier exploit qui avait consisté, ni plus ni moins, à saboter la construction des pièces de vin destinées à recevoir le précieux liquide et ce à la grande scierie de Sennely, un soir de pleine lune. Pour atteindre le troisième et dernier sous-sol, il fallait de même et incontinent (choisissez celui que vous voulez) laisser la seconde clé sur la seconde porte, à peine d'enfermement définitif, un aller simple pour une mise en pierres. Dans ce 67 troisième sous-sol, Ali y avait déposé son trésor personnel fait non pas d'espèces sonnantes et trébuchantes, mais de bouteilles de vin jaune du Jura, de vin de paille du même endroit, de vins d'Alsace et d'Anjou liquoreux, obtenus au prix d'une récolte planifiée à long terme. Les grains sont cueillis un par un, en plusieurs fois. Ils sont recouverts de botrytis blanc ou pourriture noble, ce qui en fait des vins d'exception. Il y avait aussi des vins de Champagne millésimés. Pour ces derniers, les vingt autres voleurs étaient chargés de tourner les bouteilles d'un huitième de tour chaque jour et de toutes les autres opérations afférentes à la culture du liquide pétillant. Ils travaillaient jour et nuit et n'avaient pas de RTT. Mais ils avaient le parfum de l'ivresse ! Que sont devenues les caves d'Ali ? Elles existeraient toujours, selon des sources bien informées. Mais il y a un hic ! On y accéderait via le coffre relais PTT qui se trouve à l'entrée de la rue des Trois clés avec le passe PTT, bien sûr. Mais cela ne suffit pas. Il faut prononcer une formule incantatoire, second hic ! Seul, je dis bien seul, un vieux postier blanchi sous le harnois, et amnésique de surcroît, la connaît. Il la détient dans le tréfonds de sa mémoire aujourd'hui disparue et si, jamais, vous souhaitez la récupérer, je peux vous garantir que ce ne sera pas de la tarte. 68 Rue des Trois Clés Par Christophe Huguet En arrivant au rond-point qui finissait l'impasse au bout de la rue des Trois-Clefs, Gérard se fit la réflexion en riant intérieurement que cette rue avait une forme de clef. A son début, là où elle rencontrait perpendiculairement la rue du Clos de la Herse, la rue des Trois-Clefs formait comme des dents. En effet, les groupes de maisons accolées de part et d'autre étaient construites de biais et les trottoirs y zigzaguaient, troués ici et là de quelques platanes. Quelques centaines de mètres plus loin, les pavillons s'alignaient enfin et menaient en quelques centaines de mètres supplémentaires à une placette ronde sans issue autour de laquelle les voitures pouvaient circuler. Gérard se plaça en son centre et regarda les façades en tournant sur lui-même. La place était vide et sombre en cette soirée de novembre. De la lumière filtrait des fenêtres de la moitié des maisons. En faisant un second tour, il pointa du doigt certains édifices. - Le 12, dit-il tout haut. - Le 15, ajouta-t-il après s'être tourné un peu. - Et le 21, termina-t-il comme s'il récitait une leçon apprise de longue date. Une sorte de rituel. - D'abord le 12. Il fit volte-face et s'avança vers le portillon où s'affichait le numéro 12. Il y avait de la lumière et sans doute des habitants au 12 rue des Trois-Clefs. Mais cela ne sembla pas inquiéter Gérard. Il sortit de la poche intérieure droite de la veste de son complet gris une clef métallique, assez quelconque. Il la regarda sous toutes les coutures, cherchant un indice ou un défaut. En lui confiant la clef, Loïc lui avait demandé d'acheter quelques accessoires saugrenus. Il ouvrit donc sa mallette de comptable et en sortit un tuba, un masque, des palmes et une torche. Il s'équipa avec tout le sérieux nécessaire mais en ronchonnant. Il jeta un coup d'oeil autour de lui. Personne. Bon. Avec l'allure d'un pingouin, il s'approcha du portillon surmonté d'une arche en briques rouges. Il introduisit la clef dans la serrure. La tourna. 69 La place sombre disparut d'un coup et une masse d'eau froide s'abattit sur Gérard. Elle s'infiltra dans son masque et son tuba. L'aveuglant et l'asphyxiant. - Oh, grand benêt ! Enlève ton déguisement ridicule, l'apostropha une voix de femme. 70 Rue des Trois Clés Par Harry L Georges lui prit la main et l’incita à le suivre. Avec l’autre main, il tâta sa poche pour vérifier qu’elle contenait toujours son trésor. Ludivine se laissa entraîner par son guide. Ils parcoururent ensemble un méandre de venelles longeant les murs de pierre de nombreuses bâtisses d’où émergeaient par endroit les plantes multicolores. A leurs pieds, les herbes folles leur chatouillaient les mollets et les ronces s’accrochaient à leurs vêtements, ralentissant leur progression. Puis Georges se figea et désigna une pancarte à l’entrée d’une ruelle, la rue des Trois Clés. « - C’est là » dit-il. Il s’avança doucement, toujours en tenant Ludivine par la main, puis s’agenouilla, et Ludivine fit de même. Par terre, devant lui, on distinguait nettement, dans une dalle plate de calcaire, une empreinte en creux. Georges sortit une clé faite de la même matière que la dalle et la présenta dans le creux. Elle s’emboîtait parfaitement. Il y eut un petit déclic et la dalle s’enfonça dans le sol. De la terre monta un grondement sourd. Un monticule de terre s’élevait maintenant devant eux progressivement. Ludivine n’était pas rassurée, mais Georges lui parla tout bas et l’apaisa : « Tout va bien ». Lorsque tout redevint silencieux, un escalier en pierre était apparu devant eux, qui s’élevait vers le ciel. Ils le gravirent prudemment. Puis, alors qu’ils avaient escaladé une dizaine de marches, une porte se présenta. Loin d’être décontenancé par cet obstacle, Georges saisit une autre clé, métallique cette fois. Il l’introduisit dans une serrure de la porte et la tourna. Il donna ensuite à Ludivine la troisième clé qu’il possédait et lui fit signe de l’introduire à son tour dans la seconde serrure que comportait la porte. Ils se regardèrent, Georges encourageant Ludivine du regard et, de concert, pesèrent de tout leur poids sur le battant. La porte pivota. Leur première sensation fut une odeur suave, mais agréable. Leur regard pouvait porter très loin, mais ils ne pouvaient pas distinguer clairement les contours des formes qu’ils devinaient au loin. Au sol, une brume dense et cotonneuse était suffisamment compacte pour que l’on puisse marcher dessus tel un tapis, s’étendait à perte de vue. A droite et à gauche, des colonnes lumineuses éclairaient les abords. Ils remarquaient que certains endroits de ce tapis étaient éclairés et délimitaient des allées. « - Viens », lui dit Georges, « je vais te montrer où je viens habituellement me reposer. C’est ici mon havre de paix ». Ludivine perçut une mélodie subtile de carillons qui l’attirait. Ils prirent à droite et les couleurs qu’ils rencontraient dans ce paysage diaphane étaient très apaisantes. Melocoton, tel était le nom de cet endroit, était rassurant. Leur marche sur le tapis ne produisait aucun son. Ludivine se baissa 71 pour effleurer ce tapis. Il était merveilleusement doux au toucher. Elle se voyait rester là longtemps. Bien qu’aucune activité particulière ne soit perceptible, elle ne s’ennuyait pas. Elle semblait flotter dans l’air. Georges était radieux. Ils se sourirent et elle le suivit à nouveau à la découverte de son monde. 72 Par Chantal Leraître Gribouille n’est plus là…. Elle n’est pas arrivée quand j’ai servi le plateau des chats. Elle a fugué ! C’est la première fois et je suis inquiète de la savoir dans cette ville que nous ne connaissons ni l’une ni l’autre. Je renfile ma veste et descends, bien décidée à la retrouver. Mais par où commencer ? Sans grande conviction, je me dirige vers le centre-ville, par une rue peu fréquentée, à cette heure. Si j’étais chatoune cette venelle à gauche m’intéresserait sans doute… Je m’y engage et un parfum de fleurs m’y agresse presque… Curieux, dans ce coin où tout le monde fleurit son jardin, ces exhalaisons soudain franchement excessives ? Les hauts murs qui bordent le passage ne me permettent pas de préciser quels massifs sont responsables de ces effluves. Ma petite curieuse aurait-elle pénétré dans l’un de ces mystérieux domaines ? Mes pas me mènent loin dans cette ruelle qui me semble interminable…. Soudain, deux petites portes se font face, de chaque côté. Entrées de services de deux propriétés ? Au-dessus de celle de gauche, quelque peu vermoulue, un fronton sculpté, inattendu à cet endroit et puis ma Gribichette qui me regarde, hiératique, façon chat égyptien. - Te voilà toi, lui dis-je, rassurée et surprise. Eh bien, tu as raté le dîner ! Pas franchement étonnée de me voir, elle ronronne, minaude, et d’un petit coup de patte adroit, fait tomber, à mes pieds, une vieille clé, sans doute là dans l‘attente d’une utilisation qui n’est assurément pas la mienne. J’hésite, compare la serrure et ma trouvaille…. Après tout, si je jette un coup d’œil pour repérer quelles fleurs ont cet arôme si entêtant, personne n’en sera lésé…. Je dois être rouge de confusion quand la porte s’ouvre sans effort. Ma Douce est déjà dans la propriété. Elle avance, décidée et tranquille, dans une allée. Autour d’elle s’étend un jardin merveilleusement entretenu et touffu où plantes, fleurs, arbres et objets d’ornement rivalisent de charme, de fraîcheur et ravissent les oiseaux chanteurs. - Gribouille ! Veux-tu venir ? Nous ne sommes pas chez nous ! - Détrompez-vous, Madame ! Elle est chez elle ! Et vous aussi ! Ne restez pas à l’entrée ! Venez ! Un vieux monsieur avenant, au visage buriné et rieur s’avance vers mon effrontée qui se frotte contre sa jambe, comme s’il s’agissait d’un ami. 73 - Pardonnez-nous, Monsieur…. En fait, rien ne peut excuser notre intrusion… Je suis confuse ! - Qui a trouvé la clé qui ouvre la petite porte ? demande, moqueur, le jardinier de cet univers magique. - C’est elle !…. Mais j’aurai dû refuser de la suivre. - Pas du tout ! Nous sommes amis. Elle est déjà venue plusieurs fois et m’avait prévenu qu’elle tenterait de vous amener ici. Je crois savoir que vous habitez un appartement, en ville et que votre vie manque un peu de fantaisie….. La clé vous attendait. D’ailleurs, à sa demande expresse, j’en tiens deux autres à votre disposition. Tenez ! Voici la clé d’UT et la clé de FA. Suivez votre petite chatte. C’est un excellent guide. Vous repasserez me voir après…. Et ma Ronronneuse de m’entraîner dans son sillage, vers une haie d’épais arbustes dans laquelle est noyée une ouverture discrète, par laquelle nous entrons. FA est un lieu clos, de verdure, que je n’aurai jamais pu imaginer. Sur un tapis d’herbe, soigneusement entretenue, de FAbuleux œufs de pierre durs semblent avoir été pondus au hasard. Ils sont énormes, de toutes les couleurs et auraient fait rêver FAbergé et tous les tsars. Une pierre ovoïde retient tout particulièrement mon attention. C’est le plus gros et le plus FAscinant des lapis-lazuli ! Celui que cherchent désespérément les adorateurs de la pierre bleue, peut-être…. Cette seule idée me fait frissonner. Suivant ma Minouchette, je sors et referme soigneusement cette étonnante joaillerie, à ciel ouvert. Par une allée de tilleuls, Gribouillette m’entraîne jusqu’à un petit pavillon, UT, auquel mon dernier sésame me donne accès. Imaginez ma surprise quand je pénètre dans une vaste et unique pièce blanche, à l’éclairage très sophistiqué, habitée par des femmes, brunes, blondes, rousses, toutes figées dans une jeunesse et une élégance éternelles. Un monde de l’UTopie, Une forêt de mannequins de résine, si réalistes qu’on croirait voir bouger leurs visages et leurs corps parfaits. Elles sont vêtues de modèles superbes et intemporels de grands faiseurs. C’est un petit musée de la mode, de la sensualité et du temps qui passe, sans trouver prise, qui aurait pu inspirer quelques toiles à UTamaro, s’il avait été sensible à la beauté occidentale…..ou Klimt, peut-être. Je quitte cet étrange sanctuaire sur la pointe des pieds, un rien mal à l’aise, toujours précédée de ma féline escorte. Je n’ai plus qu’à remercier le propriétaire ou le jardinier des lieux et à lui rendre les clés. Il est là où nous l’avions laissé. - Alors qu’en pensez-vous ? Interroge-t-il. Puis-je, sans le vexer, lui avouer que je suis plus sensible au charme de ses plantations qu’à toutes les riches merveilles qu’il a patiemment mises en scène ? 74 - Votre jardin est un enchantement…. Gribouille a bien fait de m’y amener. Des bribes de poème s’échappent de ma mémoire et de ma bouche : « La nature est un temple où de vivants piliers…. »…. « L’homme y passe à travers des forêts de symboles… »… « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent,… » - Ah oui ! Les correspondances baudelairiennes… murmure l’homme. C’est normal, ajoute-t-il, vous y êtes entrée avec la clé de SOL…. - Clé de SOL, de FA, d’UT : vous écrivez une mélodie complexe !!! Ceci étant, dans cette partie de la propriété, votre travail est magnifié par le SOLeil. Celui-ci, associé à la lumière SOLidaire, habille le plus petit objet, le moindre brin d’herbe, le plus simple élément vivant de teintes miroitantes et de nuances infinies. Le SOLeil est sans doute le plus inspiré et le plus subtil des coloristes. Je prends congé, remercie et accepte la carte que me tend mon interlocuteur, en me suggérant de l’appeler si l’envie me prend de revenir. La fugueuse dans les bras, je rentre, en me demandant comment elle a pu s’échapper à plusieurs reprises, sans que je m’en sois aperçue, quand j’entends : « Il y a du jasmin, des fleurs d’acacia et du chèvrefeuille, dans la propriété d’en face. C’est un bouquet de parfums entêtant et moins subtil que celui de l’Eden d’où nous venons. » - C’est très vrai, ce que tu dis là…. Je réalise soudain que j’ai dû perdre la tête, dans cet univers de beautés si diverses… Je viens d’entendre mon chat résoudre, verbalement et dans ma langue, l’énigme qui me revenait à l’esprit, alors que les fragrances florales trop vives assaillaient de nouveau mes narines ! Et je lui ai répondu… 75 Rue des Trois Clés Par Rose Michel Ma famille a toujours eu pour vocation de préserver la paix et l’environnement partout sur la planète. Chaque génération, depuis des siècles, y a consacré son énergie, son argent, sa vie. On y a compté de nombreuses personnalités d’influence et de pouvoir, ainsi que les plus brillants esprits scientifiques et littéraires. L’honnêteté et surtout le désir constant de ma famille d’oeuvrer pour le bien de l’humanité, d’améliorer le sort des plus pauvres ne lui attiraient que reconnaissance de la part de tous dans le monde. Tout au plus se demandait-on comment une seule famille pouvait engendrer depuis si longtemps tant de génies car il ne se passait pas une génération sans que l’un de ses membres ne fasse faire au savoir humain un bond très important. Ma famille avait un secret, un secret bien gardé depuis longtemps et ce secret était celui des trois clefs. Je savais qu’elles se trouvaient dans un coffre-fort caché au plus profond des souterrains de notre château. Je ne les avais jamais vues. Seuls quelques adultes pouvaient s’en approcher. Dans la grande salle du château trônait une si grande cheminée que l’on pouvait y embrocher, en même temps, trois cochons entiers. Une pièce secrète était dissimulée derrière le fond de la cheminée. Dans cette pièce, plantée au milieu du plancher, une porte en bois très ordinaire. Ce jour-là, ma famille et moi-même étions réunis autour de la porte. Il se dégageait de celle-ci une impression d’extrême vieillesse et d’inquiétante étrangeté. Seule la présence de ma famille me rassurait. Les trois clefs étaient posées sur une petite table. L’une était faite d’un or très fin orné de pierreries. Une autre avait été coulée dans un métal aux reflets changeants et la troisième était d’un noir profond. Grand-père me dit avec solennité: - « Aujourd’hui, nous sommes réunis ici, autour de toi, Rose, car tu viens de fêter tes quinze ans. Tu sais que, comme tous les membres de la famille avant toi, tu vas pouvoir ouvrir la porte et découvrir son secret. Nous ne savons rien de cette porte ni de ceux qui l’ont mise là. Nous savons seulement qu’un jour, il y a fort longtemps, elle est apparue dans cette pièce et qu’aucune force n’a pu la déloger de son emplacement. A ses cotés se trouvaient les trois clefs et un bloc de granit sur lequel était gravé cette phrase: « voici les trois clefs de l’avenir de l’humanité, faites-en bon usage ». Depuis, notre famille en est devenue la gardienne et son existence a toujours été tenue secrète. Nous avons acquis un savoir immense au-delà de cette porte et nous nous en servons pour faire progresser l’humanité. Ce que tu vas 76 découvrir va bouleverser ta vie à jamais, mais sache que tous les membres de la famille se sont consacrés avec passion à la mission qui leur était impartie. » Je jurais que je ne trahirais jamais le secret des trois clefs et grand-père me tendit la clef d’or. Quand je l’introduisis dans la serrure, la porte scintilla et s’ouvrit sur un paysage enchanteur. Une douce lumière dorée nimbait des collines verdoyantes où s’ébattaient quelques chevaux. L’herbe tendre ondulait sous une brise odorante. Des oiseaux aux coloris vifs chantaient sur les branches d’arbres chargés de fruits appétissants. Au-loin, les tours transparentes d’une cité étincelaient au soleil et s’élevaient jusqu’aux nuages. Des dirigeables, des planeurs se déplaçaient sans bruit dans le ciel. Il se dégageait de ce monde une impression de légèreté et de sérénité qui emplit mon coeur de bonheur. Le paradis était devant moi. La clef de métal ouvrit la porte sur un monde d’acier et de béton, sans arbres, sans herbe verte, sans oiseaux. Des bulles transparentes flottaient au-dessus d’une ville abandonnée aux robots et aux machines. Dans chaque bulle dormait un être humain bardé de fils et de câbles. Je sus plus tard que ces bulles étaient des machines à régénérer le corps, le psychisme et le moral et que les humains en étaient devenus si dépendants qu’ils n’en sortaient plus. Les hommes vivaient solitaires dans un bonheur artificiel. Il se dégageait de ce monde une tristesse qui me glaça les os. J’avoue que c’est avec hésitation que j’introduisis la clef noire dans la serrure. La porte s’ouvrit avec difficulté dans un grincement sinistre. Une vision d’horreur s’offrit à moi. Des humains hagards, crasseux, squelettiques erraient dans les ruines d’une ville dévastée. Des nuages verdâtres accrochés à un ciel rougeoyant, déversaient sur la terre sèche, une pluie noire. Des carcasses de voitures rouillées, des cadavres de chars d’assaut, des avions démantibulés encombraient des rues défoncées. Pas de végétation, pas d’animaux, pas d’enfants. Je tremblais de tous mes membres devant ce spectacle cauchemardesque mais le comble de l’horreur fut atteint lorsque je vis un homme s’élancer sur un autre gisant à terre, lui fracasser le crâne puis mordre dans sa chair, en poussant un cri rauque. Une immense nausée me traversa le corps et je reculai précipitamment, tombant à la renverse sous les regards graves des membres de ma famille. Je connaissais le secret des trois clefs. 77 Rue des Trois Clés Par Christiane Noisette Chaque année, à Saint-Jean de Braye, le 25 novembre, une énorme loterie est organisée. Loterie on ne peut moins bizarre et strictement réservée à toutes celles qui fêtent sainte Catherine. Il n’y est pas question de lot vertigineux mais plutôt d’une loterie du bizarre. On peut y gagner une paire de bottes Drag-queen, un chapeau de Merlin, un ticket-repas chez Mac Danold. L’étrange liste est chaque année plus surprenante. Le soir venu, après tirage des numéros gagnants, vous vous présentez, armé de votre titre et tournez la roue. Moi, Eurasthénie Lafoi, j’avais un rêve. Je dirais même mieux, une obsession. A l’appel du numéro 64, je me précipitai vers l’estrade. Le lot que je convoitais tant n’avait pas encore été attribué. De toute ma force je tournai l’énorme roue sur laquelle étaient dessinés tous les lots. Après plusieurs tours l’engrenage ralentit. Ce que je désirais tant était à ma portée. - Bravo Eurasthénie. Vous venez de gagner la clef des Trois Clefs. Je remerciai, comme il se doit, les sponsors – Tuluscru, Eau de Javal et Croûton de pain. Je serrai quelques mains et brandis devant les caméras l’énorme clef. Mme Dufour, mon ancienne institutrice, me prévint. - Attention à toi Eurasthénie. Moi aussi je l’ai gagnée un jour cette clef. Depuis… Je ne lui laissai pas le temps de m’en dire plus. J’appelai mon ami Judéon et fixai pour le soir même rendez-vous à 21 h sur la première marche de l’escalier menant à la rue si bien nommée : la rue des Trois Clefs. Rares étaient les habitants dans cette rue. On ne savait pas pourquoi, mais elle était devenue la rue des rendezvous de la jeunesse errante. A la question qu’il m’avait posée quelques instants auparavant, je n’avais pu lui répondre ne sachant pas du tout ce qu’il y avait derrière cette lourde porte en chêne montée sur des gonds gros comme mes poings. A 21 h pile, j’introduisis la clef, sous le regard effrayé de Judéon. L’énorme porte se referma d’un coup sec dès notre passage. En face de nous, une autre porte. Une fois la clef retirée, un couloir parsemé de portes roses et de torches allumées. Sur chaque porte, une empreinte de main. J’en choisis une et y positionnais ma 78 main. La porte s’ouvrit à notre plus grande surprise. A l'intérieur, une femme attachée par une ceinture que je crus reconnaître, comme étant une ceinture de chasteté. Sur son visage, un sac de toile l’empêchait de voir. - Est-ce toi mon vaillant époux ? As-tu fini ta journée de travail ? Viens-tu enfin me délivrer afin que, sans tentation aucune, je puisse regagner nos pénates et mettre en cuisson ton repas ? Judéon éclata de rire. - Non gente dame je ne suis pas votre vaillant époux. Je ne suis qu’un jeunot qui ne pense pas encore à prendre en noces demoiselle libre. J’attirai Judéon hors de cette cellule dont nous refermâmes violemment la porte. Je posai ma main sur une autre porte. Rien. Judéon essaya. La porte s’ouvrit sur une autre donzelle attachée et cagoulée, mais allongée sur une paillasse. - Je te promets, oh, mon tendre mari, de ne jamais plus t’offenser, en offrant mon corps à un autre que toi ! Tu es mien et désormais, je serai tienne pour la vie ! Plus soumise que moi tu ne pourras trouver ! Libère-moi de ses jougs qui me font souffrir ! Nous claquâmes une fois de plus la porte. Etant de loin une fervente défenseuse de la liberté féminine, imaginez ma colère en entendant ses femmes, il est vrai d’un autre temps, demander pitié à l’homme qu’on leur avait imposé. Homme qui lui avait tous les droits. Mais bon ! Judéon connaît par coeur mon laïus de féministe réac. Plus aucune porte ne voulut s’abandonner à notre main. Au fond du couloir, un panneau en bois blanc. Je sortis la clef de ma poche. Elle me sembla plus légère. En regardant de plus près, un morceau avait disparu. Je la glissai quand même sans problème dans la serrure. A peine la porte entr'ouverte, nos oreilles furent attaquées par des braillements-hurlements. Nos yeux firent mille tours dans leurs orbites. Devant nous s’étalaient en nombres indéfinissables des scalpels, des seringues, des micro-ciseaux pour capsulotomie ou irédectomie, des pinces à dissection, des scies aux dents acérées, des litres d’alcool à 90° et d’autres instruments dont le nom nous était inconnu. En entrant un peu plus dans la pièce aux lumières immaculées, l’horreur. Un bébé, oui vous avez bien lu, un bébé allongé sur une minuscule table d’opération subissait, comme à l’époque de Gilles de Rais, une éviscération. Un homme en blouse blanche tachée de rouge hurla à son assistant de bien vouloir noter : - 3, 75m à deux mois. Rappelez-moi, Jekyll, les chiffres d’un intestin pour un bébé de six mois. 79 Nous n’entendîmes pas la réponse car d’autres cris attirèrent notre attention. Un bébé sur une autre table était ferraillé aux quatre membres par des chaînes de torsion. La blouse blanche nous tournait le dos, mais donnait aussi des instructions à son faire-valoir : - Elasticité maximum de 17cm pour un an. Ce qui donnera, si mes calculs sont exacts, des membres supérieurs de 43, 2cm et des membres inférieurs de 76, 9cm à l’âge adulte. Dixième essai correspondant à mes calculs. Je n’en reviens pas moimême de ce succès sans conteste. Un jour, j’en suis certain, on reconnaîtra mon génie. Demain soyez en forme, on attaque les lobotomies. Rien n’arrête le progrès n’est-ce pas ? Toutes les équipes rirent à cette blague que nous trouvions de très mauvais goût. Du goût nous, dans la bouche, n’avions que celui de nos hauts le coeur. Un tas de vomis frais, à côté de plus anciens, légitimait notre présence. Des éclats d’os parsemaient le tunnel qui partait vers la gauche. Fallait-il les suivre ou prendre à droite l’escalier de pierres ? Quelle épreuve nous attendait ? Que pouvait-il y avoir de plus sordide que ce que nous venions de voir ? La clef avait encore diminué. Ne voulant pas tenter le diable, nous primes l’escalier en faisant attention de ne pas glisser sur les pierres mousseuses. De loin nous parvenait un clapotis. Mais plus nous nous rapprochions plus le bruit semblait s’éloigner. Brusquement il n’y eut plus de marche, mais une porte bleue. Il fallait se pencher presque à l’horizontal pour la toucher. Cruel dilemme. L’ouvrir au risque de tomber et découvrir pire que l’inimaginable ou rebrousser chemin et emprunter la voie de gauche. Décision fut prise de risquer le morceau de clef. Soudain, comme sorti de nulle part, un homme surgit. - Oh, excusez-moi ! Je pensais que c’était M. Landru. Vous ne l’auriez pas vu ? J’ai besoin de savoir combien de corps il m’apporte aujourd’hui. Mais je vois que je fais erreur. Qui êtes-vous ? Que faites-vous là jeunes étourdis ? Une promenade en amoureux ? Le lieu est assez mal choisi. N’y a-t-il pas endroits plus plaisants à la surface ? Mais si votre but est d’en finir, vous pouvez emprunter une de mes barques. J’attrapai Judéon par la manche et nous remontâmes quatre à quatre l’escalier. Dans ma poche, il ne restait de la clef que l’anneau. Comment faire pour sortir ? Aujourd’hui, jour de sainte Catherine vous venez d’avoir un aperçu de ce que à quoi vous échappez. Si vous étiez venu le jour de la saint Amour, vous n’auriez pas hésité à vous passer la bague au doigt. En revanche, et c’est un conseil que je vous donne, ne venez jamais le jour des morts. C’est horrible. Aucun vivant n’en 80 ressort. Ah ! Ah ! Ah ! Nous eûmes beau regardé à droite et à gauche, Rien ! Judéon me serra fort dans ses bras tremblants. La voix d’outre-tombe reprit. - Fermez les yeux et comptez jusqu’à dix. Ayez confiance. Dans un instant vous serez dehors. Au point où nous en étions, nous n’avions plus rien à perdre. Main dans la main et yeux fermés nous obéîmes aux conseils venus de nulle part. De l’air frais. Nous étions libres. Rien n’avait changé. Les jeunes déphasés discutaient à la terrasse du café Rockhard et sirotaient la boisson à la mode – un lait grenadine. Avant de nous quitter Judéon me dit juste : - La prochaine fois, choisis le jour de Pâques ou de Noël !!! 81 Rue des Trois Clés Par Régine Paquet A cette époque, ma famille demeurait depuis des générations rue des Trois Clés à Saint-Jean de Braye. Or, lors des travaux de restauration du château des Longues Allées, dans cette même commune, je fis la découverte d’une petite pierre carrée sur laquelle étaient gravées trois clés identiques, surmontées chacune d’une initiale S. J. et B. Cela ne laissa pas de m’étonner et je dérobai sans scrupule la dite pierre. Le soir, je la montrai à mon père qui pâlit et trembla à sa vue. Il m’abandonna, interloqué, la pierre au creux de la main, et revint, portant lui, dans sa main, un trousseau de trois clés rouillées. « C’est le signe que j’attendais. Tu es prête » me dit-il et il m’enjoignit de le suivre sur-le-champ sans poser de questions. J’obtempérai. Dans la nuit qui s’épaississait, il m’emmena jusqu’au vieux bourg de la commune, du côté de la Loire. Nous nous retrouvâmes devant l’ancienne église qu’il contourna, moi sur ses talons. Il s’arrêta devant une porte dérobée dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. Elle était en bois et portait, sculpté en son centre, un agneau couché. Au premier tour de clé, la porte nous livra passage. Un passage qui débouchait sur un escalier en colimaçon, que nous gravîmes avec difficulté. Au sommet de l’escalier, une petite plate-forme dominait le vide. Je fus prise d’un vertige que je dominai en sentant la main de mon père agripper mon poignet. « Regarde, sous tes pieds s’étale la ville de Saint qu’on disait soeur de Rome. » En effet, une multitude de clochers, de dômes, de croix et de statues s’étendaient sous mes yeux. Tous en marbre blanc. L’unique tache de couleur provenait d’une sorte de grand plat circulaire, posé au centre d’une place carrée et nue. Le fond du plat était rouge et dessus reposait, si mes yeux ne m’ont pas trompée, la tête coupée d’un homme qui souriait. Une couronne de fin marbre blanc ceignait son front. Le silence de ces lieux m’étourdissait. J’allais glisser quand mon père me tira en arrière et m’invita à nouveau à le suivre. Nous refîmes le chemin de l’aller en sens inverse mais, au lieu de ressortir sur la place, nous bifurquâmes, au pied des escaliers, pour emprunter un couloir qui s’élargissait au fil de nos pas. Lorsque nous nous arrêtâmes, nous étions devant une lourde porte de bois, à double battant comme on en trouvait autrefois à l’entrée fortifiée des villes. D’ailleurs cette porte était entourée de hauts murs de pierres crénelés. Mon père prit la deuxième clé du trousseau et, grâce à elle, ouvrit sans peine l’imposante serrure de fer. Et nous entrâmes dans la ville de Jean. « Jean ou Jehan ou peut-être Jehanne, le masculin ayant sans doute, comme souvent, supplanté le féminin dans 82 l’usage et l’histoire » me cria mon père. Il criait pour dominer le vacarme ambiant du lieu. Des cris, des rires, des pleurs, des hurlements et des chansons formaient un tapis sonore assourdissant. De même, les yeux étaient affolés par la multitude des gens et des habitations. Ces dernières étaient de toutes sortes, de toutes tailles, de toutes formes et de toutes couleurs. Cette ville semblait l’oeuvre d’un architecte fou ou visionnaire, d’un dément ou d’un génie. Quelle imagination ! Quels délires ! Quelle folie ! Et entre ces bâtiments, plus ou moins droits mais solides, une foule bigarrée circulait. Au milieu des chemins, des rues, des boulevards et des places, de grands feux étaient sans cesse alimentés. Certains, après avoir lancé au feu quelque chose à dévorer, sautaient par dessus celui-ci en riant avec force. Nous tenant fermement par la main, afin de ne pas être séparés et nous perdre, mon père et moi traversâmes cette ville contrastée et si vivante. Le terrain descendait doucement pour atteindre une plage de sable blanc. Insolite, absurde et solitaire une porte se dressait sur cette plage. Quand nous l’abordâmes, mon père sortit la troisième et dernière clé. Je n’eus pas le temps de voir la porte s’ouvrir. Une vague puissante nous souleva et nous déposa au coeur de Braye. La troisième ville comme me l’indiqua mon père. Celle du bas, celle du fleuve. Le contraste avec la ville de Jean était saisissant. La ville était en ruines mais de ces ruines ne se dégageaient nulle tristesse ou désolation. . L’eau, tel un sculpteur patient, avait lentement érodé les pierres des édifices, leur donnant des formes étranges et belles. Certaines faisaient penser à des barques en attente de départ, d’autres à des sirènes, d’autres encore à d’impossibles architectures aériennes tenant debout avec miracle. L’une; en particulier, était semblable à une longue épée dont une main fine enserrait la poignée. J’étais tout à la fois émerveillée et inquiète. Et si tout, soudain, s’effondrait comme un château de cartes ? Des poissons d’eau douce glissaient paresseusement entre les pierres, se lovaient dans leur trou puis reprenaient leur indolent voyage. De longues chevelures d’algues mêlées de fleurs de lys s’inclinaient au fil du courant. « C’est la ville la plus ancienne, murmura mon père, celle de toutes les légendes. Elle est la plus indestructible car elle appartient au fleuve. Mais je tremble pour elle à chaque période de longue sécheresse quand La Loire s’ensable dangereusement. » J’aurais voulu parcourir encore cette ville si envoûtante mais mon père saisit vivement, ensemble, dans son poing fermé, les trois clés. Et nous nous retrouvâmes dans la rue des Trois Clés devant la grande bâtisse familiale. Dans la main de mon père, il n’y avait plus qu’une unique clé, minuscule et fragile. Il me la tendit. « Elle est à toi désormais. Le jour où tu devras transmettre ses secrets, elle se divisera à nouveau en trois. Ne la perds pas sinon l’histoire secrète de Saint Jean de Braye, celle qui est trois en étant une, disparaîtrait à jamais de la mémoire des hommes. » 83 Rue des Trois Clés Par Guy Viennot Ils montèrent dans un bateau plat amarré au quai. Durant le voyage, JeanMarie ne disait rien. Son père, Aldo, avait pris l’habitude d’emmener son fils naviguer sur la Loire. Le petit bateau était garé à Combleux la plupart du temps. Cette fois, la surprise fut grande pour Jean-Marie du fait de l’heure plutôt tardive, il était dix-sept heures et surtout par ce que l’on était en novembre. Autre nouveauté, on avait dépassé cette fois la cale de saint Loup où il était aisé de récupérer le bateau. Aldo étendit une couverture sur les épaules de son fils pour qu’il ne prenne pas froid. Ils abordèrent près de la capitainerie du port d’Orléans et marchèrent en silence pendant une centaine de mètres. Enfin, arrivés devant une grande porte en métal, Aldo sortit une première clé. La porte grinça et ils commencèrent à descendre les marches d’un grand escalier. Plus ils s’enfonçaient, plus les clameurs montaient. En pénétrant dans la grande salle, Jean-Marie fut surpris de l’ambiance qui y régnait. De jolies femmes souriantes lui souhaitaient la bienvenue et lui retiraient la couverture qu’il avait gardée sur ses épaules. Aldo avait disparu. Il n’était plus temps de faire demi-tour. Très vite, il fut entraîné dans une farandole. On le considéra comme le héros de la fête. Les femmes voulaient l’approcher, le garder près d’elles, le cajoler plus longuement. Certaines l’embrassaient. D’autres lui servaient à boire. Jean-Marie, subjugué, émoustillé ne savait comment répondre à tant de sollicitations. Il se rassurait tant bien que mal en se disant que c’était son père qui l’avait conduit dans ce lieu si joyeux et si insolite. La présence des deux clés dans sa poche l’apaisait également. Vers les sept heures du matin, quand le jour commença à poindre, Jean-Marie s’éveilla dans un grand lit. Lui, qui la veille, avait fêté ses quinze ans, avait perdu sa virginité. Mais qui s’en était chargé ? Leïla, Virginie ou Béatrice ? Il n’entendait plus un bruit. Le lit était moelleux et bien chaud mais plus personne à ses côtés. Avait-il rêvé ? Non, la présence des deux clés dans sa poche lui disait que non. Il remit ses vêtements de la veille et s’apprêta à sortir. 84 Les trois mondes Imaginez les trois mondes disparus de Brayellide (l’actuel Saint Jean de Braye.) PAR ALAIN CROSNIER .............................................................................................................................................. PAR CHRISTIAN FER ................................................................................................................................................. PAR EDWIGE GABA.................................................................................................................................................... PAR HARRY L ............................................................................................................................................................... PAR CHANTAL LERAITRE....................................................................................................................................... PAR REGINE PAQUET................................................................................................................................................ PAR MARINA RETAILLAUD .................................................................................................................................... 85 Par Alain Crosnier Quand la Contessa Zapatera de la Izquierda y la Derecha mourut dans sa centième année, son petit-fils Felipe fut peut-être le seul à avoir du chagrin. Autoritaire avec tout le monde, à commencer avec son fils le comte Mariano, le père de Felipe, elle gardait toute son affection pour son unique petit-fils. Et elle ne l’oublia pas dans son héritage. Il fut emmené près du corps de sa grand’mère, fit une révérence et versa d’abondantes et inconvenantes larmes. On lui remit alors un petit coffre et il s’enfuit à toutes jambes dans sa chambre en le serrant bien fort contre lui. Il savait son contenu, sa grand-mère lui en avait souvent parlé, trois clés magiques, qu’il lui tardait d’essayer. En tremblant il ouvrit le coffre, les trois clés étaient là, brillant doucement dans la pénombre. Il les sortit. . La première était une clé de sol, el sol, le soleil. Il la tourna doucement dans le vide et il lui sembla que la lumière du dehors éclairait maintenant plus largement la pénombre de la petite chambre sous les combles. La seconde clé était une clé de ré, el rey, le roi ; avec toute sa grandeur et ses pouvoirs, celui dont le royaume ne voyait jamais le soleil se coucher. Devant tant de puissance il reposa la clé, la réservant pour plus tard. Et la troisième était une clé de si, le si qui rend tout possible, si j’étais libre, si mère me prenait sur ses genoux, si grand’mère était encore là, si elle me donnait trois clés magiques… 86 Par Christian Fer En forant dans le sol de Saint-Jean de Braye pour aller à la recherche de nouvelles sources d’énergie thermique, à une profondeur jusque-là inexplorée, les techniciens ont remonté des éléments de formes vivantes inconnues et des objets étranges dont un minuscule rectangle métallique. L’analyse de ces objets a laissé les paléontologues et archéologues perplexes, mais un spécialiste des techniques d’information a décelé que le minuscule rectangle contenait des données d’un type ignoré. Pour l’instant les recherches sont en cours pour découvrir le sens de ces données, si elles en ont un. Les restes de formes vivantes ainsi que les objets découverts ont été transférés en lieu sûr, mais des photos et une copie du rectangle mystérieux sont exposés dans une salle de la mairie de Saint-Jean de Braye. J’y suis allé hier aprèsmidi. J’ai été au départ un peu déçu de ce que j’ai vu, mais j’ignore pourquoi. En demeurant quelques instants devant le minuscule rectangle, mon esprit m’a complètement échappé et j’ai comme rêvé qu’il contenait les secrets d’un monde disparu il y a très longtemps. Je me trouvais dans une sorte de sous-marin à côté d’un professeur qui m’expliquait que c’est de l’eau qu’est née la vie et qu’il a fallu à notre civilisation des millions d’années en partant de la vie aquatique pour atteindre le stade actuel, mais que ce n’est pas la première expérience de vie sur la terre et que, dès qu’elle s’est formée et que l’eau est apparue, la vie s’est développée une première fois il y a très longtemps, selon un processus différent de celui que nous connaissons maintenant. Les cellules disposaient alors de leur propre intelligence et s’assemblaient pour donner une multitude de formes vivantes. Ces formes pendant toute leur période de maturation restaient dans l’eau. Au lieu où se trouve aujourd’hui Saint-Jean de Braye, la Loire n’existait pas, il y avait là une vaste étendue lacustre entourée de terres. A l’âge adulte, les espèces vivantes gagnaient leur milieu naturel, la terre, après une mutation. Les assemblages aquatiques avaient produit des formes qui ressemblaient par certains côtés aux hommes mais qui comportaient aussi des différences importantes avec la forme humaine actuelle. Alors que nous regagnions la terre ferme dans cette sorte de sous-marin, le professeur m’expliquait que le processus de création de formes vivantes sous l’eau avait abouti à la constitution de nombreuses espèces dotées d’intelligence et que l’équivalent humain n’était pas le seul à en être doté. 87 Toutes les formes à une patte, deux, dix ou mille en étaient dotées comme celles à dix têtes. Ce que vous appelez homme ou femme aujourd’hui, me disait le professeur, existait plus ou moins, mais arborait dix têtes. L’avantage de cette espèce était de pouvoir disposer ainsi de capacités de stockage bien plus étendues que n’en possèdent les hommes aujourd’hui. Un second avantage était que lorsqu’un cerveau processeur tombait en panne (l’équivalent de notre folie ou de notre perte de mémoire), les autres étaient là pour pallier le dysfonctionnement. Le seul inconvénient de ce nouveau processus de création était sa productivité excessive en formes vivantes et sa perfection, car ces formes ne se dégradaient pas avec le temps et on ne pouvait pas accueillir sur terre toutes ces créatures sans leur fixer une limite d’existence terrestre. Si la place sur terre était limitée, par contre l’Espace était immense et inoccupé. Un système permettait d’éthériser toutes les formes vivantes au bout de cent ans. Elles continuaient à vivre mais n’occupaient aucun espace. Le professeur m’expliquait qu’on pouvait peut être trouver là l’origine de certaines de nos représentations actuelles du Paradis. Pour éviter qu’il n’y ait des refus de la forme de vie éthérée parmi les différentes espèces ou individus, un dispositif automatique d’éthérisation était implanté dans chaque forme à son arrivée sur terre. C’était comme cela qu’était organisée la vie à SJB, à la position occupée maintenant sur notre grosse sphère par Saint-Jean de Braye. Dans le milieu aquatique, les espèces se développaient sans règle jusqu’à l’âge de cinq ans, les plus fortes ou les mieux adaptées tiraient leur épingle du jeu. Mais sur terre, un Conseil des espèces avait fini par être mis en place et il avait établi des règles de gestion communes. Ceci n’avait pas permis d’éviter tous les conflits inter espèces mais en avait limité les effets les plus catastrophiques. Je sentis alors le professeur s’éloigner de moi, tandis que j’avais beaucoup de questions à lui poser. Je restais perdu dans ce monde inconnu en me demandant comment une telle société qui avait acquis autant de maîtrise scientifique et technique avait pu disparaître pour laisser place à la nôtre dans laquelle l’intelligence était réservée aux hommes qui l’utilisaient si mal. Est-ce qu’une guerre inter espèces avait fini par les détruire ? Est-ce qu’un dysfonctionnement du système d’éthérisation avait abouti à une sur densité insupportable pour la terre ? Est-ce qu’un défaut du processus de multiplication cellulaire aurait abouti à l’extinction de la vie dans l’eau et donc sur terre et dans l’air ? Je sursautai en ressentant une tape sur mon épaule et en entendant, « Monsieur, il est 18 heures et nous fermons la mairie ». Il me fallut un moment après être sorti pour reprendre mes esprits en revenant chez moi par la rue des Trois Clés. 88 Par Edwige Gaba L’ILE MONTDESIR *Un monde entouré d’eau/ ville/ Ile montdésir/ sur les vestiges d’un monde ancien qu’une inondation a recouvert en 1856 ; * les hommes, très terre à terre, y travaillent la terre /et les femmes plus enclines à la création et à la réflexion gèrent les fruits des labours des hommes…. *les enfants pour plus de sécurité, car une inondation peut se reproduire tous les deux cents ans, sont présentés à neuf mois à leur image dans l’eau, sont préparés dès l’enfance à nager sous l’eau et peu à peu ils développent une capacité à respirer et vivre sous l’eau aidés par la fleur Narcisse ; à trois ans ils peuvent être éduqués sous l’eau par quelques adultes sages ou vieux confirmés. On leur apprend à travers le monde aquatique le respect mais aussi les dangers de la nature humaine. Jusqu’à quinze ans où ils acquièrent leur propre image corporelle définitive/ certaines axées sur le mode des poissons passifs ou des requins autoritaires ou des dauphins joueurs joyeux. Ils seront amenés selon leur développement personnel à gouverner, à travailler, à encourager les autres, voire à éduquer les enfants et certains à accompagner les vieux. Car à soixante ans les vieux non productifs sont envoyés dans les airs par le ballon montgolfière qui se situe au bout de la ligne de tramway à la place du Paradis, par l’adulte « baleine » responsable. La montgolfière vogue dans les cieux et les vieux détachent ou non des ballons avec des idées plus ou moins lourdes ou légères qui échouent ou coulent à pic dans la Loire ou sur l’île des adultes. Ils atteignent ainsi différentes villes aériennes existantes, selon leur degré de sagesse atteint ou non. Tout rêve d’un adulte est d’atteindre le NIRVANA d’où il pourra contempler son île, ses enfants, dans un lieu intemporel, dans un temps infini et d’où il pourra aussi redescendre pour enseigner sa sagesse. 89 Par Harry L Une fois passée la porte, il fallait suivre un étroit boyau qui s’enfonçait dans les profondeurs de la terre. Il devenait de plus en plus difficile de progresser car le sol constitué d’une boue argileuse était de plus en plus collant. Mais c’était l’essence même du monde d’en bas. Une matière inépuisable façonnée par les enfants de cette cité souterraine. De fait, toute la ville était faite de cette matière, car avant d’atteindre l’âge adulte, il était impossible d’accéder au monde de la lumière, encore moins à celui de l’espace. Les boueux œuvraient donc en bas à la construction de leur ville troglodyte. Les tâches étaient réparties. Certains fabriquaient les briques qui constituaient la structure des bâtiments. D’autres étaient les artistes qui sculptaient des motifs dans les façades et constituaient des sortes de statues. Il y avait aussi les démolisseurs, qui avaient comme étrange coutume de lancer des rochers ou tout autre objet lourd contre certains bâtiments afin de briser la glaise friable qui était à peine cuite. Il n’y avait pas d’architecture définie, encore moins de politique d’urbanisme. Il s’agissait plutôt de maisons bulle. Le transport s’effectuait grâce à des sortes de toboggans faits de terre constamment recouverts d’eau pour permettre la glissade. Pour remonter, il suffisait d’emprunter des sortes d’ascenseurs accrochés à des poulies, manœuvrées par des enfants presque adultes, qui étaient suffisamment forts pour soutenir la masse des ascenseurs chargés. Une fois l’âge adulte atteint, c'est-à-dire quand ces enfants étaient trop grands pour se tenir debout dans le couloir qui menait à ce monde, ils pouvaient demander à changer de monde. Il y avait alors un rite de passage qui consistait à s’enduire entièrement de glaise et à avancer les yeux fermés jusqu’à la porte. Là, un gardien complétait le cas échéant le maquillage, rajoutant ça et là des couches de terre lorsqu’il en manquait. Aucune parcelle du corps ne devait être visible. Enfin, lorsque la tenue était parfaite, le gardien ouvrait la porte et le futur adulte était poussé sans ménagement dans une grande piscine dont l'eau le débarrassait de sa seconde peau. Après cette mue artificielle, le nouvel adulte devait apprendre à sculpter des palais translucides d’eau figée. Ce n’est que plus tard, à l’âge mature, que des ailes lui pousseraient sur les côtés et lui permettrait de parvenir à un troisième monde, suspendu au-dessus de la terre celui-là, et dans lequel il pourrait enfin se reposer dans de vastes hamacs destinés tout exprès à le recevoir pour son repos éternel. Les enfants vivaient en dessous, dans de vastes salles aménagées tout spécialement pour leurs activités. Ils y vivaient protégés depuis que la surface avait été polluée par la radioactivité. D’ailleurs, dès qu’il pleuvait, ils s’y réfugiaient. Les adultes vivaient, le plus clair de leur temps, à la surface. Ils étaient atteints de toutes sortes de maladies, mais tentaient néanmoins de reconstruire un monde 90 habitable. Il n’y avait pas de plan et toutes les constructions s’enchevêtraient dans un désordre pareil aux bidonvilles qui existaient jadis dans certains pays. Pour survivre, ils se contentaient de cultiver quelques légumes qui empoisonnaient à petit feu les adultes qui les consommaient. La seule distraction consistait à grimper dans de hautes tours qui surplombaient la ville et étaient réservées aux personnes les plus âgées, trop atteintes pour vivre avec les adultes à cause des risques de contamination. Dans ce lieu, elles attendaient la fin tranquillement et sereinement en regardant le monde d’en bas s’agiter vainement. On avait tout le temps. En ce temps-là, il y avait le monde d’en bas où on exploitait les nombreuses carrières de Saint-Jean de Braye. C’était essentiellement les enfants qui, comptetenu de leur petite taille, pouvaient se faufiler dans les interstices, les boyaux ou les couloirs et méandres des failles pour recueillir la précieuse poudre qui recouvrait toutes les maisons du monde d’en haut. Ce deuxième monde était le règne des adultes qui passaient leur vie à construire et peaufiner leurs maisons-vaisseaux. Pourquoi faisaient-ils cela ? On ne sait pas vraiment. Tout ce que l’on peut dire, c’est que la précieuse poudre ramassée dans les cavernes de Saint-Jean de Braye, était la seule qui pouvait garantir dit-on un décollage imperceptible et sans soubresauts. Mais c’était quand on était prêt, après une vie bien remplie à aménager sa future montgolfière cosmique. Et de fait, chaque année, on pouvait voir s’élever d’ellesmêmes celles qui étaient équipées de suffisamment de poudre. C’était cette poudre qui les rendait plus légères. Ou bien était-ce l’attraction terrestre localement moins forte dans la localité de Saint-Jean de Braye ? En tous les cas, c’étaient ces décollages extraordinaires qui attiraient une foule sans cesse renouvelée de nouveaux habitants. D’ailleurs, encore aujourd’hui, si la nuit on lève les yeux, on peut apercevoir dans le ciel ces multitudes de maisons flottantes. Car en vérité je vous le dis, ce sont elles, le soir venu, que l’on voit scintiller au-dessus de nos têtes, ultimes témoins de ces ascensions inexorables vers l’infini. 91 Par Chantal Leraître A Brayellide, nous a raconté Léopold, lors d’une de nos veillées, mon quadrizailleul (si, si, il y met un z très ostensible, je vous assure !) y est arrivé, par La Loire, dans son vieux sous-marin jaune. S’il s’y est attardé, c’est qu’à cet endroit du fleuve, une ville, dans une immense bulle au fond de l’eau, l’a quelque peu intrigué. Les habitants de la bulle avaient entre quelques jours et quinze ou seize ans. C’était un monde, de cris, de jeux, de chants, où les enfants évoluaient en groupes multicolores ou en petites bandes rieuses et affairées. Une partie de leur temps était consacré à l’étude et les apprentissages s’y faisaient sans heurts, les grands aidant les petits, dans une harmonie bienveillante et joyeuse… C’est au moment où son sous-marin s’est retrouvé presque à sec que les enfants ont disparu à sa vue. Ils étaient le fruit d’une sorte de parthénogenèse et il comprit plus tard que d’autres spécimens renaîtraient, dès la prochaine crue. Près de l’embarcadère où il s’était amarré, il remarqua alors une ville de gris colorés, à la structure géométrique terriblement orthogonale, que peuplaient des couples, diversement apparentés, d’êtres adultes de tous âges. Très vite, il comprit que tous ces couples vivaient, travaillaient et prenaient leurs loisirs, toujours par deux, selon une organisation stricte obéissant à des règles métronomiques, qui semblaient satisfaire la plupart des membres de cette surprenante communauté. De temps à autre, quand il le choisissait, un couple empruntait le « propulseur doux » qui montait à l’immense nuage stagnant au-dessus de cette ville besogneuse. Il le faisait en toute connaissance du but qu’il se donnait ainsi. Dans la ville blanche du haut, lieu étonnant d’harmonie sonore et visuelle, les groupes se reconstituaient, assez semblables à ceux de l’enfance. Jeux, loisirs et création dominaient leurs activités, en fonction de leurs goûts. L’ambiance pastelle y dispensait une gaieté plus douce que celle de la bulle. Certains individus épuisés, quelques membres de couples usés de leur trop longue cohabitation avec un ou une devenu(e) sourd(e), aveugle, grognon(ne) abordaient directement la phase ultime du parcours. L’adulte à bout d’envie de vivre s’isolait dans une vaste pièce dédiée à l’immobilité d’une méditation transcendantale définitive, où chacun finissait par se dissoudre à tout jamais, avec juste un petit « ploc ! » de fin….. - Heureusement, complète notre conteur, un jour le mécanisme s’est grippé. Un couple a découvert sa sexualité et s’en est ouvert à d’autres…. Et Léonard finit dans 92 un grand rire. Exit la parthénogenèse et bonjour l’anarchie fantasque dans laquelle nous vivons actuellement !!!! Elle est quand même un rien plus vivable, non ? 93 Par Régine Paquet Fragments du récit de voyage en terre abraysienne de Jean Capitan, récit non encore daté par le comité des Sages. Ce journal de voyage a été retrouvé dans un coffre de zinc hermétiquement clos, mis à jour en juillet 2011, lors des travaux pour la ligne du tram à Saint-Jean de Braye, avenue du Capitaine Jean. “...A ce terme de mon périple, je découvre trois villes étranges qui frappent mon imagination. "La première, Aqua, la ville du haut, je m’en souviens parfaitement, est semblable à un grand aquarium. Des enfants nus, des deux sexes et même des hermaphrodites, y nagent. Inlassablement. Leurs trajets peuvent paraître aléatoires. En réalité ils répondent à une parfaite symétrie de courbes et de lignes. Si on la visualisait, on ferait apparaître le dessin d’une immense toile d’araignée. A chacune de ces intersections l’enfant acquiert un nouveau savoir. Peu à peu il gagne le centre de cette invisible toile. Lorsqu’il l’atteint, il est prêt pour la deuxième ville: Terra. "Terra, la ville du milieu, est semblable à une gigantesque forêt. Les arbres, de toutes tailles et toutes espèces dont de nombreux fruitiers, forment les bâtiments d’une grande ville. Des hommes, des femmes, adultes, vêtus de robes et de tuniques de feuilles, s’activent. Ils ramassent les branches mortes qu’ils utilisent pour la confection des meubles et ustensiles de vie. Ils en tapissent les chemins boueux et surtout créent, avec les plus longues, d’innombrables ponts et passerelles reliant la cime des arbres. Chacun travaille au même rythme tranquille. Le soir venu, les habitants forment des couples durables ou éphémères. Ils vont blottir leur sommeil ou leurs ébats sexuels dans le ventre des arbres qui leur sert de demeure. C’est la nuit, au cœur de l’arbre, que les plus âgés glissent, sans heurt, de Terra à Aera. "Aera, la ville du bas j’en suis certain, est semblable à un infini édredon de nuages. A perte de regard, ceux-ci moutonnent dans le ciel bleu. Sur ces nuages des corps sont allongés. Des corps ridés, fripés et nus. L’air a la tiédeur d’une caresse. Plus les corps et les esprits sont fatigués, usés, plus le nuage qui leur sert de couche, est moelleux et épais. Et plus le bleu du ciel autour d’eux vire à l’obscurité. Jusqu’à la nuit noire et douce pour ceux qui s’enfoncent au cœur de leur nuage et y reposent à jamais. "Certains qui liront ce récit me traiteront de menteur mais d’autres y trouveront matière à réflexion et enseignement...” 94 Par Marina Retaillaud En suivant la marche du fleuve, nous arrivâmes chez les Abraysiens, qui, auprès des peuples marcheurs tels que nous, sont reconnus pour leur hospitalité. Et de fait, à peine avions-nous en vue les portes de la ville qu’elles s’ouvrirent toutes grandes et qu’il se forma au-devant de nous un demi-cercle de citoyens aux visages avenants, nous tendant, qui, du vin, qui, du pain ou encore des fruits. Mais la masse compacte des habitants ne se dispersa pas avant que nous ne fussions séparés en trois groupes. Les enfants pré pubères formèrent le premier et les visages des mères de notre troupe trahirent leur inquiétude malgré la bonne réputation de nos hôtes. On me mit dans le second groupe ainsi qu’une bonne vingtaine d’entre nous. Quant au troisième, il fut constitué des quelques anciens qui nous suivaient et dont, à mon grand dépit, faisait partie mon scribe, Etiope. Nous avions déjà été témoins de coutumes similaires. Des villes, où l’on nous constituait en groupes d’hommes et de femmes ou selon notre taille, notre couleur de peau et je n’en fus pas choqué outre mesure. D’ailleurs, nous ne fûmes pas séparés longtemps. Il s’agissait simplement de nous enregistrer auprès de la circonscription afférente à notre état. Les enfants mi-riant, mi-soulagés retrouvèrent les bras maternels, la figure et les mains barbouillées de boue ocre. Ils nous contèrent comment en bas, sur les rives du fleuve, les enfants de la ville parfois plus jeunes qu’eux-mêmes s’activaient dans le limon des roselières. Leur discours était confus et avec quelques autres, je descendis jusqu’à La Lauria pour voir de quoi il retournait exactement. Nos rejetons n’avaient pas menti. Il y avait là plus d’un millier d’enfants nus dans la rivière; de l’eau jusqu’à la taille ou assis sur la rive à travailler comme des forcenés. Les uns draguaient la boue pour en faire de larges pavés que les plus âgés transportaient plus haut vers de grands fours solaires. D’autres tannaient des peaux qui devaient servir aux vêtements et au mobilier. Tandis que des bambins tenant à peine sur leurs jambes, tamisaient le sable pour la fabrication du verre, formant ainsi de larges dunes plus hautes qu’eux-mêmes. Sous la houlette des aînés, cette communauté semblait être organisée en castes qui n’avaient d’origine ni la noblesse du sang ni la force du nombre, mais seulement l’âge. Aux yeux des voyageurs que nous étions, l’usage parut pour le moins terrifiant. Pour en éclaircir l’origine auprès du magister, nous remontâmes vers la plaine où s’étendait la majeure partie de la ville. 95 Conseils à un voyageur découvrant Saint-Jean de braye GUIDE TOURISTIQUE DE SAINT-JEAN DE BRAYE PAR ALINE BAUDU ................................................. MA JEANNE PAR ALAIN CROSNIER .................................................................................................................... ADRESSE A UN FUTUR VISITEUR DE SAINT-JEAN-DE-BRAYE PAR CHRISTIAN FER ..................... CONSEIL A UN JEUNE VOYAGEUR PAR EDWIGE GABA ............................................................................. LETTRE DE MATHILDE A SA MERE PAR SOPHIE GONZALBES ............................................................... CONSEILS AUX VOYAGEURS PAR HARRY L.................................................................................................... MA CHERE JEANNE PAR ANNE LHEUREUX- ................................................................................................... LETTRE AU CHEVALIER PAPIN PAR CHRISTIANE NOISETTE................................................................. LETTRE A MARIE PAR REGINE PAQUET .......................................................................................................... DES AXES MAJEURS PAR GUY VIENNOT .......................................................................................................... 96 Guide touristique de Saint-Jean de Braye Par Aline Baudu Te voici, jeune voyageur, à Saint-Jean de Braye. Située entre Loire et forêt, la ville attire de nombreux touristes, grâce à sa situation géographique, mais grâce surtout à son organisation en trois subdivisions : les riches, les pauvres, les travailleurs. Il est donc fréquent de croiser à Saint-Jean de Braye des anarchistes, des entrepreneurs chinois, des oligarques russes et autre délégation de l’U. M. P. Tu arriveras forcément au début de la rue des Trois Clés, puisque tous les chemins y mènent. Dans cette rue, trois portes, une pour chaque quartier. N’oubliepas de prendre des affaires de rechange, la visite à Saint-Jean de Braye dure trois jours ou ne dure pas. Les quartiers se visitent dans l’ordre ou le désordre selon ton envie. Première porte La porte en carton ouvre sur le quartier des pauvres. Le code à prononcer pour entrer : « Lundi, c’est raviolis ». Les raviolis sont un plat typique ici. A visiter, ce jardin et ses vestiges de saumon datant de cinquante trois ans. On dit qu’un poisson sauvage, fatigué d’avoir remonté le cours de la Loire, se serait reposé ici cous le tilleul. Malheur lui en a pris ! Les habitants de la maison l’ont vite attrapé, dépecé et se sont régalés ! Ils ont gardé et exposé les arêtes en souvenir de cet unique et somptueux plat. Pour te restaurer, tu trouveras les Restos du cœur situés juste à côté du magasin de décoration Emmaüs. Attention, les Restos du cœur ne sont ouverts que l’hiver ! Et je te conseille de venir dès l’ouverture, car il y a foule. Si tu souhaites acheter quelques souvenirs du quartier : une boite de conserve, un gilet troué, etc. tu peux le faire aisément à crédit. Veille cependant à ne pas te retrouver sur endetté, sinon tu serais coincé à jamais ici. Et ne fais pas confiance aux sociétés de rachat de crédits, ce sont des riches déguisés en travailleurs qui ont comme objectif de plumer encore plus les pauvres ! Tu peux pratiquer le troc également : le cours de la statuette de Mère Theresa est à un tee-shirt de l’O. M. Pour te loger, direction le Foyer Sonacotra, l’hôtel le plus luxueux de la place. Deuxième porte La porte en bois te dirige dans l’univers des travailleurs. Le bois en hommage à Joseph, le premier travailleur de notre civilisation qui, à force d’oeuvrer le bois, a 97 fini les mains en sang. A moins que ce ne soit son fils. Le code pour entrer : « Travailler plus pour gagner plus ». Le quartier est très tranquille, surtout en journée. A éviter de venir le dimanche, jour de repos des travailleurs. Dans le passé, il y avait aussi le samedi. Jour de repos supprimé suite au passage aux cinquante deux heures hebdomadaires. Je t’invite à aller te balader dans la rue de Mondésir. Cette rue exauce les vœux des habitants. Plus exactement, dans 25 pour 100 des cas, elle permet de déménager dans le quartier des riches. Et dans 75 pour 100 des cas, c’est un aller simple chez les pauvres. Finalement, ils sont peu de travailleurs à se risquer dans la rue de Mondésir. Pour commercer, il te faudra exhiber une feuille de paie. Les feuilles des ASSEDIC et autre RSA, ça ne marche pas ! Ici, il faut prouver que l’on travaille. Encore faut-il bien travailler ! Si ce n’est pas ton cas, je te déconseille l’allée des Martinets. On y punit la nuit les cancres avec des lanières de cuir. Il paraît que certains n’en sont jamais revenus. Tu pourras déguster le plat local : les haricots. Blancs, rouges, verts… Tous ces fayots permettent de s’assurer de la bienveillance du patronat. Et pour finir ta soirée, direction la salle de concert Punk « La Lutte Finale ». Troisième porte La porte est en or serti de diamants trente deux carats. En prononçant le code « AAA », tu découvriras le monde des riches. A visiter à toutes les périodes de l’année. Il y fait toujours beau ! Tu pourras laisser ta monnaie au quartier des travailleurs. Ici tu n’auras besoin que d’actions, d'obligations et autres titres bancaires. C’est dans ce quartier que les contrôles aux frontières sont les plus drastiques. Pas un seul immigrant n'y est toléré ! A découvrir « Le Grand Coquille » tenu par le Chef étoilé Bill Gates. On peut notamment y déguster des noix de saint Jacques rôties, accompagnées d’une julienne d’escargot et d’un Gris-Meunier, crû 1944. Tu pourras t’y détendre dans le golf de cinquante trois trous, unique dans la région ! N’hésite pas à te rendre dans l’attraction principale du quartier, rue de la Maison Plate. S’y trouve un lieu de torture où l’on teste la résistance des moins riches d’entre eux à la pauvreté. Si, à un moment, ils tendent la main en disant « S’il vous plait, j’ai pas d’argent et j’ai cinq enfants » avec un accent roumain, ils sont exclus du quartier. Comme tu peux le constater, Saint-Jean de Braye recèle de nombreux lieux et univers à découvrir. Laisse tes pas te guider mais attention à ne pas rejoindre la rue de Verville, les portes de la ville se refermeraient sur toi à jamais. 98 Ma Jeanne Par Alain Crosnier Ma Jeanne, Cette missive, c’est notre bon curé de Domrémy qui l’écrit pour moi qui, suis en grande peine de te voir si loin de notre chaumine et en si grand danger. Il nous est arrivé des nouvelles de ton épopée, de ta rencontre avec le gentil dauphin et de ton grand courage face à l’Anglois depuis que les anges t’ont commandé de le bouter hors de France. Nous savons que tu es sous les murs de la cité d’Orléans et dans ses faubourgs, celui de Saint-Jean de Braye, près d’attaquer la bastille saint Loup. Si tu séjournes en ce village, ne manque pas d’aller saluer un mien cousin qui demeure à la Fosse Belaude. Il te fera visiter les alentours qui sont riches de vignes et de cultures de toutes sortes et qu’il nous a contés souvent à la veillée. On y complante du gris meunier. Au Grand Coquille est sis un cuisinier fameux qui apprête les colimaçons, et non loin de là, à Vomimbert, c’est un rôtisseur. Près de la forêt, poussent les framboises en abondance. Comme tu vois c’est un pays de cocagne mais il me vient en mémoire aussi Montdésir, lieu de débauche fréquenté par moult ribauds et ribaudes à éviter, de même que Verville ou les bateliers mènent grande vie. Mais notre cousin t’en préservera. Et au moment d’attaquer, viens-t’en en l’église Saint Jean Baptiste, en priant Dieu de t’avoir en sa sainte garde. Méfie-toi de l’Anglois qui est fourbe et cruel, ainsi que des Bourguignons et aussi de ton entourage. Ce Gilles de Rais ne me dit rien qui vaille. Les puissants aussi se serviront de toi et puis te trahiront, s’ils en ont le besoin. Je sais de quoi je parle puisque ton vrai père, dont je dois taire le nom, m’a réservé ce sort funeste. Voilà ma Jeanne, que Dieu et les anges te protègent Ta mère aimante PS : Voilà ma fille, j’espère que ma lettre t’aura amusée. On bosse bien à l’atelier d’écriture de Nancy. Passe un bon stage à Clin d’œil et sois raisonnable ; téléphonemoi quand même ou passe-moi un petit texto. Biz 99 Adresse à un futur visiteur de Saint-Jean de Braye Par Christian Fer Tu m’as écrit que tu voulais passer un moment à Saint-Jean de Braye. J’y ai habité il y a quarante ans et j’y reviens assez souvent. C’était une charmante bourgade de deux mille habitants. J’en garde un souvenir ému. J’aimais me promener au printemps dans la rue des Tilleuls, respirer leurs fleurs naissantes ; en été sentir leur odeur chaude, regarder leurs feuillages frissonner sous le vent. Mais tu verras, il n’y a plus de tilleuls, ils ont peut-être eu une maladie et on les a enlevés ou bien ils gênaient. En revanche, tu n’auras aucune difficulté pour garer ta longue voiture car on a aménagé tout au long des places de parking. Je me souviens aussi de l’impasse des Framboisiers et de l’impasse des Groseilliers. Ma mère m’y envoyait en juin - juillet chez les cultivateurs, faire la cueillette et je ramenais à la maison un panier de chaque fruit. Ma mère partageait, la moitié à manger avec du sucre, la moitié pour les confitures. Je connaissais la combine et certaines fois, je passais par derrière et je consommais sur place et à l’insu du producteur. C’était les meilleures. Mais ne cherche pas ces arbustes dans ces impasses. Il s'y trouve maintenant une cité pavillonnaire. Peut-être que certains propriétaires élèvent encore des framboisiers et des groseilliers, c’est possible, bien que chaque parcelle ne doit guère dépasser 300 ou 400m2. Mais ne t’y aventure pas. Chaque maison est gardée par un molosse, tu serais repéré par les caméras de surveillance et les alarmes se déclencheraient, ameutant tout le quartier et les forces de police. J’ai encore en mémoire l’allée des Vignerons et la rue du Gris Meunier. Saistu que Saint-Jean de Braye comptait autrefois de nombreux vignerons. Les vignes étaient rassemblées autour de cette rue et de cette allée. J’ai fait les vendanges quand j’étais étudiant. On faisait la fête à la fin de la récolte. Selon l’année fin septembre ou début octobre, tout le monde s’y rassemblait pour boire le vin doux. Ne cherche ni les vignes, ni les vignerons, ni le pressoir ; tout a disparu. Tout au plus tu y trouveras le Café du Gris Meunier où tu pourras, le 18 novembre au soir, comme partout en France, déguster du Beaujolais nouveau. En fait, tout est factice. Rien ne correspond à rien. N’imagine surtout pas que rue Guillaume Apollinaire tu verras couler la Seine sous le pont Mirabeau. Ici, c’est La Loire et à Saint-Jean de Braye, il n’y a pas de pont. Cézanne n’est pas né allée 100 Paul Cézanne. Il n’y est même pas passé et je ne pense pas qu’il y ait peint de là la montagne sainte Victoire. En revanche, il est possible que rue Henri Becquerel, ton détecteur de radiation s’affole, car n’oublie pas que Saint-Jean de Braye est à mi-chemin entre Dampierre et saint Laurent. De même, l’avenue de Verdun porte bien son nom ces temps-ci, car à cause des travaux, elle est entièrement défoncée. Loin de moi l’idée de te dissuader de venir flâner dans les rues de Saint-Jean de Braye mais tout a changé. Désormais, la ville est divisée en trois quartiers et leur connaissance est indispensable pour qui veut pouvoir circuler librement. Il y a les quartiers résidentiels entre la rue de la Richaudière et la rue du Paradis. Les usines et les bureaux ont été rassemblés autour des rues Berlioz et Debussy auxquelles on a donné ce nom peut-être parce que l’on y diffuse une musique d’ambiance propice à développer la productivité. Les quartiers sensibles sont derrière la rue de la Herse. On y a effectivement dressé une herse à l’entrée du quartier afin d’éviter que les populations qui y vivent n’aillent troubler la quiétude des quartiers résidentiels ou ne viennent gêner l’activité des usines et des bureaux. Si tu veux entreprendre la visite de la ville et de ses trois quartiers, passe avant par la rue des Trois Clés pour obtenir un laissez-passer. 101 Conseil à un jeune voyageur Par Edwige Gaba On raconte que le voyageur qui part pour l’Ile de St JB dite aussi Ile MONTDESIR, est, ou bien d’emblée sous le charme de cette ville, ou bien à l’opposé, il ne supportera pas cette ville, si différente de tout ce que l’on connaît ici, toi et moi ! Dès que ton bateau accostera sur le quai du Port Saint Loup, tu apercevras l’église qui sonnera ton arrivée. Regarde bien l’heure à ce moment sur la grande horloge Bel Air car tu ne pourras pas rester plus de vingt quatre heures sur l’île ; si tu ne reviens pas à ton bateau après un jour et une nuit, la ville entière t’engloutira. Je n’ai qu’un conseil à te donner : emporte avec toi une fleur, une rose blanche. Tu devras passer fleurir une tombe, celle de ton choix au Cimetière des Amours Perdus. Le cimetière est derrière l’église. Tu trouveras l’entrée au fond de l’Impasse des Framboisiers, Impasse des Amoureux. Le gardien, M. Colombus, te guidera dans les allées de graviers de granit gris et de quartz blancs. On dit que, depuis l’inondation, sa famille vit et meurt de père en fils dans ce cimetière, et en connaît tous ses habitants. A toi de choisir avec sincérité entre les Juliette, les Jeanne et les Emma, celle qui te correspond le mieux et que tu veux ainsi saluer, voire pleurer si tu le peux. Méfie-toi du gardien : on raconte qu’il reconnaît les larmes sincères de l’amoureux et celles plus cyniques du Don Juan !! Une fois que tu auras fini cette petite contrainte, somme toute bien utile à notre époque où l’on accorde si peu de temps à l’amour, tu seras alors libre de visiter à loisir la ville pour découvrir ses ruelles, ses berges de La Loire au coucher de soleil, ses habitants si accueillant avec l’étranger, sans oublier d’y déguster ses spécialités. Je te conseille la Rue de VerreVille et son restaurant La Grande Couronne pour te rassasier et goûter le vin local Gris Meunier. En prenant le Chemin des Ecoliers, tu découvriras les jeux des enfants dans leur monde aquatique au bout de la Rue des Bons Enfants. Si tu veux rendre visite aux « vieux » flottants au-dessus de la ville, tu pourras monter dans la montgolfière à la Place du Paradis, à côté du parc des Longues Allées, mais une seule et unique fois. On m’a beaucoup parlé de la Rue Montdésir, mais je ne crois pas que tu puisses la trouver ! Elle est très dure à atteindre. Très peu y sont parvenus. 102 J’imagine que tu en as déjà entendu parler ? On dit que dans cette rue tous tes vœux se réalisent. Ne te laisse pas emporter par tes rêves car, pour accéder à la Rue Montdésir, il te faut avoir les pieds sur terre. Il te faut d’abord trouver la Rue Sans Nom. Mais quand tu l’auras trouvée, méfie-toi d’elle, car la Rue Sans Nom ne ressemble à aucune autre ou plutôt peut ressembler à n’importe quelle autre ; elle reflète en fait la rue que tu auras à l’esprit. A toi de savoir à ce moment faire fi de tout ce que tu connais, à toi de libérer ton esprit de tout ce qui l’encombre, à toi de te laisser pénétrer de la ville, de la Rue Sans Nom, sans arrière-pensée, sans a priori, sans préjugé ni idée préconçue ; et alors, seulement, tu pourras traverser la Rue sans Nom pour entrer dans la Rue Montdésir qui exaucera tes vœux. Tu pourras peut être comme les vieux les plus sages atteindre le Nirvana. N’oublie pas: un jour, une nuit ! Bien sûr, si tu atteins le NIRVANA le temps ne défilera plus de la même façon…. 103 Lettre de Mathilde à sa mère Par Sophie Gonzalbes Mère, Je reçois tout juste la lettre d’Hortense. Elle est affolée ! Vous savez combien son coeur est fragile. Il me semble opportun que vous, sa mère, veilliez à ce qu’il résiste le plus longtemps possible. Visiblement, vous n’en n’avez cure puisque vous osez lui faire part de votre nouvelle lubie : « Voir Saint-Jean de Braye et mourir ! ». Est-ce là le discours d’une femme de votre âge ? Mourir, passe encore - il est vrai que vous n’en n’êtes guère éloignée, Dieu soit loué ! - Mais revenir à Saint-Jean de Braye, vous n’y songez pas ! Vous souhaitez, ai-je lu, vous y rendre « expressément avec Hortense » ? Votre fille préférée, la plus fragile d’entre nous, que vous poussâtes énergiquement dans les ordres voilà dix ans. A-t-elle mérité cela ? Oh, je vous entends d’ici me vanter les mérites de cette ville. Sa « délicieuse impasse des Framboisiers » où vous et père échangeâtes votre premier baiser… Pauvre papa ! Que vous fîtes passer pour votre premier et unique amour ! Savezvous seulement que l’aboutissement de cette impasse est la porte du cimetière des Premières Amours ? Vous souvenez-vous que là, à l’emplacement qui vous est réservé, sont inscrits non pas un mais treize noms ? Treize noms dont celui de papa, treize jeunes hommes à qui vous fîtes croire qu’ils étaient vos « uniques » ! Imaginez-vous ma pauvre Hortense faisant cette terrifiante lecture ? Je perçois l’inutilité de mon agacement. Je sais que mes efforts pour vous dissuader de ce périple seront tous vains. Aussi faites-moi au moins le plaisir, le seul peut-être de votre vie – et puisque votre mort est proche, pourquoi ne pas enfin l’envisager ? – oui, faites-moi le plaisir de ne pas loger dans cet hôtel de la rue de Verville ni de dîner place Centrale dans ce restaurant que je n’ose nommer. Mère, votre mémoire est fraîche malgré le temps et vous n’avez pu oublier la disparition de cette femme dont jamais on ne retrouva le corps ni le verre de vin qu’elle tenait à la main. Faites-moi cette grâce et écoutez-moi un peu, je suis de bon conseil. Maître Coquille dont je suis particulièrement proche est, comme je vous le contais dans ma précédente lettre, imprimeur. Ce métier s’exerçant davantage la nuit, il a, dans la journée, une grande liberté. En mai dernier, il a ouvert un restaurant rue Vomimbert. 104 Eh bien, cet homme des mots se révèle être également un homme des mets, ses omelettes sont délicieuses. Allez-y de ma part surtout, il vous gâtera. Ah, j’oubliais, prévoyez dans vos bagages un emplacement pour vos horribles bottes en caoutchouc. La Loire, discrète l’été, prend de l’ampleur les mois en « r ». L’an dernier, Saint-Jean de Braye fut inondée de septembre à décembre. Des saumons sont même venus frayer en ville ! Les gens d’ici, toujours avides de fausses croyances, imputent cette catastrophe au poissonnier de la rue de Mondésir ; il en aurait – dit-on - émis trop fort le souhait. Mais passons, vous savez ce que je pense des rumeurs. Enfin, dernière recommandation pour vos sorties. Le théâtre Clin d’oeil que vous connûtes enfant, réputé de longue date pour ses spectacles bien pensants, est devenu un lieu de débauche ! A aucun prix notre bonne Hortense ne doit en franchir le seuil ! Des personnes, hommes et femmes mélangés, plumes à la main, s’y retrouvent régulièrement autour d’une sorte de gourou. Là, sont évoqués des mondes indicibles où les pires rumeurs circulent. Enfants battus, bateliers alcooliques, femmes de mauvaise vie… Toutes les déviances sont présentes en ce lieu. Aussi, s’il ne vous fallait respecter qu’une seule de mes recommandations, faites en sorte que ce soit celle-ci, je vous en conjure. Votre fille, Mathilde 105 Conseils aux voyageurs Par Harry L Si tu descends la Loire, arrête ta gabarre dans un village qui s’appelle Saint Jean de Braye, arrime ton esquif à un des anneaux scellés dans le vieux mur sous le pont. Avant l’accostage, attention toutefois aux tourbillons qui, dit-on, ont englouti maints voyageurs. Mais si tu es courageux, tu débarqueras à cet endroit. Tu apercevras alors une charmante petite église médiévale. On dit qu’une trappe dans la sacristie permet d’accéder à l’ancienne salle où se réunissaient les Templiers. D’ailleurs, certains visiteurs venus exprès arpentent l’église en quête d’indices ou de signes laissés après leur passage. Derrière l’église, tu pourras emprunter une venelle serpentant entre les jardins, dit sentier de la Braye, mais prends bien soin d’éviter le cimetière et surtout la rue de la Feularde, tant il est de notoriété publique que dans ce coin-là des miaulements atroces résonnent le soir venu. Et l’on a retrouvé maints corps sans vie de voyageurs égarés avec de profondes traces de griffures sous leurs vêtements lacérés. Donc, même si tu passes par-là en journée, hâte-toi. Prends ensuite le chemin des Trois Clés, qui, si tu as de la chance, seront disponibles pour toi et te feront pénétrer dans des mondes insoupçonnés. Néanmoins, prends soin d’emporter quelques grains de sel pour monnayer la remise de ces trois clés par le vieillard à l’entrée qui les conserve dans sa besace. Une fois que tu auras étanché ta soif d’inconnu, tu auras certainement envie de te restaurer. Alors dirige-toi vers l’auberge du Grand Coquille, dans la rue du même nom. C’est, paraît-il, la meilleure auberge du coin et on y sert la spécialité qui a forgé sa réputation : l’omelette du Grand Coquille, un met roboratif à la fricassée d’escargots. Si, à tes heures perdues, tu apprécies la sculpture, tu peux rendre visite de ma part à un certain Gaudier Brezska qui possède son atelier non loin de là, dans la rue idoine. Il est fort sympathique et tu verras qu’il maîtrise son art à la perfection. S’il est d’humeur aimable, il te fera peut-être cadeau d’une de ses oeuvres, surtout si tu lui dis que je t’ai envoyé chez lui. Mais tu sais ce qu’est la vie d’artiste, alors n’hésite pas à l’inviter rue du Coin du Buffet, ou tiens même plutôt rue de Verville pour déguster ensemble une bonne bouteille à ma santé. Ensuite, vous pourriez rendre 106 visite à un de ses pairs, un nommé Picasso, qui a trouvé original de faire rebaptiser la rue à son nom ! En fait, si tu es à la recherche de personnalités connues, Saint-Jean de Braye est l’endroit où il faut se rendre, « the place to be » : des écrivains, jadis, Voltaire, Racine, Rostand ou bien plus récemment Camus, par exemple, y ont élu domicile. Crois-moi, les poètes connus, les peintres les plus en vogue ont aussi marqué cette ville de leurs noms illustres. Non, vraiment, il ne faudrait rater Saint-Jean de Braye pour rien au monde. Et c’est fourbu, mais ravi, que le soir tu regagneras ta barque avec dans la tête et devant les yeux des souvenirs pour toute une vie ! 107 Ma chère Jeanne Par Anne LheureuxMa chère Jeanne, Il se dit ici que tu approches de la Loire et que tu auras bientôt atteint les murs de Blois ou ceux d'Orléans. Si ta course folle sur les chemins de France te laisse quelque oisiveté aux faubourgs d'Orléans, prends le temps de pousser ta monture vers le Levant, vers Saint-Jean, sur la rive droite du fleuve, en amont de la ville. C'est là que je vins au monde, il y a maintenant si longtemps que seuls les arbres et quelques framboisiers se souviendront de la jeune fille qui vivait au castel Mondésir. J'étais heureuse en ce temps-là. Le pays était riche encore et Saint-Jean attirait en foule les bateliers avinés, les vendeurs de saumon et nombre d'animaux. Si tu vas à Saint-Jean, demande à une vieille de t'emmener au cimetière des amours anciennes. Mes soeurs et moi y avons enterré nos premiers chagrins, comme toutes les filles de Saint-Jean avant nous. Je ne sais si ce lieu a survécu à ma jeunesse, mais j'aime à croire que les jouvencelles y vont encore pleurer pour les beaux yeux d'un chevalier ou d'un jongleur, ou même, ne rougis pas, pour une amie de couvent. Je connais ta vertu, mais pense à ta grand-mère, à la jeune fille fantasque que j'étais et regarde pour moi ce lieu magique où il me semble que je vis encore un peu, où je vis plus sûrement qu'ici. Ma Jeanne, si ta chevauchée t'en laisse le loisir, regarde pour moi, une dernière fois avant que je ne meure, la colline de Verville où j'ai perdu mon coeur et un peu plus encore. Mon père m'a mariée à un meunier fort riche et fort ventru qui sentait le vin gris et qui suintait l'ennui. Moi, Jeanne de Mondésir, la plus belle de Saint-Jean. Si tu vas à Saint-Jean, on te dira peut-être qu'un soir d'hier, la fille de Mondésir, celle qu'on avait mariée au meunier gris, par ce qu'elle était grosse, a pourfendu le ventru, l'a laissé crever dans son sang et dans sa peur, qu'elle a pris son tas d'or et qu'elle a disparu. Certains te diront même qu'un manant l'attendait, le visage noir, un charbonnier peut être, ou pourquoi pas le diable, qu'elle est montée dans sa charrette, tirée par deux ânes, l'un gris et l'autre blanc, et qu'on ne l'a jamais revue. Peut-être qu'on en parle encore à Saint-Jean ou peut être que la misère et la guerre ont lavé scandales et péchés, et qu'il est temps pour moi d'aller rejoindre le diable. Jeanne 108 Lettre au chevalier Papin Par Christiane Noisette Moy brave chevalier Papin, Si toy, par volonté de Montesquieu viens par Brayedejean l'y voir, avec coeur songaillez à moy, toy gentil damoiseau. J’y conduirois toy dans ruelles délicates. T’y voiras la Martine et la Maryse Bastié s’égailler à Bechet sous beau soleil. A la Fougère, tous deux biseronT en silence religieux. La paix, fauvettes et étourneaux pour noys piailleront. T’y voiras ici vie très cavalante. Bons Enfants sur place commune jouailleront en grand carré pour liberté. J’y t’y guiderois en coquine à pointe du saint loup. Toy et moy lanternerons la rue où haies édifient hautes croix. Derrière la fontaine, noy, des gris meuniers et des frères voisins nous taisserons. Sous groseilliers et framboisiers, ouvertes noys bouches s’y pourlécheront. Reposerons-noy sur toit maison plate en ardoise et couchaillerons noys mains sur tapis de marjolaine. Loin, toy mènerois des trois clefs car bizarres choses y déroulent. Avec toy, moy bien-aimé le pot vert passeront sur Loire et allons glisser pieds dans bois des saumons. Si capitaine Jean avec toy, toy et moy chez clos St François l’y mèneront pour noy regarder étoile du nord seuls. J’y marcherois avec toy par la clairière qui laissera moy cacher de la providence et aimer beaucoup toy sous catalpas et châtaigniers. Chaudes odeurs fortes par bruyère, romarin et sarriette noys nez régaleront. En éveil seront noys désirs charnels. Moy, nenni, t’y conduirois à l’allée des bouchers, à rue pour égoutiers nenni plus à la feularde. Sanglant à ouïdire par peintre Picasso et penseur Diderot. Nenni à la rue des martinets si bruits de cris par gueules noires noys entendaillons. Quand charpentoyers rentrer, noys, à table du chevalier de Louville soupailleront d’étourneaux en pâtés, de bouvreuil en sauce rabelais et de gradoux de Lenôtre. Dans verre d’un grand carré, moult nectars de vignerons y déverseront. Si mistral souffle, noy arrêterons noys corps sur chemin du halage et noys intérieurs des senteurs par chaumes abandonnées par mésanges s’occuperont. Au pont du Bordeau prendront route mondésir et reposeront dans grand maison. Toy ouieras en matin femmes chantantes car puits de ville sous noys lucarnes du moulin eau tireront. Grandes jours toy peux durer près de moy. T’y découvrirois autres lieux de belle ville. En ici, par ma foi, violettes, coquelicots et oeillets offriront noys bouquets d’amour. Par Ste Marie, Ste Euverte et St Lyé, j’y t’esprèrois à vite caché derrière cèdre bleu. Ta dulcinée Marguerite, Colette Le Corbusier 109 Lettre à Marie Par Régine Paquet Ma chère petite Marie (d’accord, plus si petite que ça à 27 ans!), J’ai appris par ta mère que tu es en recherche d’un lieu où t’installer pour débuter ton métier d’illustratrice. Rejoins-moi à Saint-Jean de Braye. Quoi, dans une petite commune sans cachet particulier et à la vie bien ordinaire ? T’insurgeras-tu ! Que nenni ma belle! Si tu prends, comme moi, le temps d’aimer cette commune, tu y découvriras des richesses insoupçonnées. J’y ai accès, moi. Oui, moi, ta « vieille tante », je peux t’ouvrir les portes de l’autre Saint-Jean de Braye. Tiens, par exemple, dans le parc du Château des Longues Allées, rue de Mondésir, juste après minuit, il suffit de soulever un coin de la toile peinte du plus vieux cèdre pour plonger dans la forêt magique. Des voitures grimpent le long des arbres, se perchent en leur sommet ou sortent à moitié de terre. Des échassiers vêtus de rutilants costumes pailletés ouvrent des chemins d’étoiles éphémères parmi les massifs. Une femme-chapiteau invite les promeneurs à un inoubliable voyage sous sa robe-coupole. Des machines à laver volent dans les airs. Des coulées de feux d’artifice jaillissent des fenêtres du château et la musique se déploie sur le ciel nocturne. Et je ne te raconte pas tout. Cela chatouille-t-il tes pinceaux ? Pas assez, mademoiselle ?... Alors écoute encore. Quand la grosse horloge ronde de la mairie, bâtiment farouchement voulu par Emile Rossignol, s’immobilise sur 2 heures du matin, le décor, subtilement, se métamorphose. Des centaines de petites touffes d’herbe pointent leur nez hors du béton. Elles poussent, poussent, mêlées de fleurs sauvages où bourdonnent des insectes. Des arbres fruitiers étirent leurs branches et dansent une immobile farandole autour de la mairie et s’étalent à perte de vue. Les bassins de béton tout proches redeviennent un libre ruisseau. Et là, écoute bien ma belle, des couples de mariés viennent s’unir au fil de l’eau qui n’est plus que le long voile ondulant de toutes les mariées. Ah ! Je te sens qui hésites soudain. Voici de quoi finir de te convaincre. Rue de la République, un vulgaire et banal ensemble de préfabriqués se transforme, en un clin d’oeil, en d’infinies possibilités. Un soir, tu te croiras devant et dans un superbe opéra digne de La Scala. Une autre fois, tu pénètreras dans une tente berbère odorante. Une nuit, tu seras au coeur d’un théâtre à l’italienne flambant de 110 velours rouge ; une autre tu t’assiéras sous le dôme blanc d’un immense chapiteau ; une autre encore assise dans ton fauteuil, tu t’envoleras dans l’air et survoleras des contrées inconnues ou reconnues... Et dans tous ces bâtiments éphémères, tu seras emportée par un flot de paroles, de mots, de musiques ou de silences, de rires et de pleurs, de cris de joie et de colère aussi... A quelle heure arrives-tu demain, ma petite Marie? Tu connais ma nouvelle adresse rue des Quatre Vents et tu sais que ma maison, comme ma commune, est assez grande pour y accueillir tes crayons, tes pinceaux, tes bagages et tes envies. A demain. Ta tante Régine 111 Des axes majeurs Par Guy Viennot Saint-Jean de Braye se déploie suivant trois axes. L’axe Est Ouest suit la Loire entre la rue du Gris-Meunier à l’Est et les remparts d’Orléans à l’Ouest. Un deuxième axe relie le hameau de Charbonnière et rejoint les Longues Allées en passant par le centre-ville. Enfin, le troisième axe relie le Royaume des Enfants, une trentaine de mètres sous terre à la Cité des Anciens perchée à quelque mille mètres d’altitude. Il te faudra trois jours, au minimum, pour explorer ces trois axes et ainsi mieux connaître les différents quartiers. Premier axe, première journée La rue du Gris-Meunier suit le coteau qui surplombe la Loire. Plusieurs caves de propriétaires s’ouvrent sur cette rue. Entre au n° 31. M. Morgon porte de superbes moustaches mais c’est avant tout un professionnel de renom. Cet homme-là connaît son métier. Si tu lui inspires confiance, il te fera goûter son vin n° 9 et même peutêtre le 10. M. Morgon t’aura dit « Recrache ! », comme on fait pour une dégustation. Mais, tu feras signe de ne pas avoir compris. Au contraire, tu le boiras d’un trait. L’effet est immédiat. Te voilà parti au pays des songes. Un conseil ! Dès que tu seras réveillé, prends tes jambes à ton cou et file ! Entre au n° 22. C’est une sorte de prison mais il vaut mieux être en prison que dans les griffes de M. Morgon. Vers 2 heures, quand M. Morgon fait sa sieste, tu peux t’échapper et dévaler jusqu’à la Loire. A n’importe quelle heure du jour, a fortiori le soir, la Loire est belle. Suis son flot. Repère mouettes, cygnes, colverts, poules d’eau et foulques. Regarde-les se poursuivre, s’envoler et s’abattre tout à coup sur le fleuve. Laisse-toi porter et envahir par cet espace sauvage. Mais attention, lorsque tu atteindras les murs d’Orléans, la herse sera sûrement fermée. Les portes ferment à 19 heures en été et à 17 h 30 en hiver. Aussi, au terme de ce premier jour riche en émotions, je te conseille de rejoindre L’Auberge des Groseilliers. On dit que cet endroit a accueilli bien des amours débutantes. De fait, les lits sont bons, la chère excellente et les hôteliers très courtois. N’hésite pas à demander pour ton repas l’un de ses saumons de Loire, accompagné d’un riz au safran. Tu m’en donneras des nouvelles. 112 Deuxième axe, deuxième journée Tu partiras des Longues Allées. Ce lieu a connu de profondes transformations. Deux admirables mégalithes, encore dressés, témoignent, selon la légende, d’un très ancien culte païen voué à l’eau ou plus spécialement à la Loire. Les spécialistes se disputent à ce sujet. Toujours est-il que ces deux mégalithes entouraient la porte du château de Grognon, suivant des archives retrouvées dans l’une des caves de la rue du GrisMeunier. D’après ces mêmes archives, le troisième propriétaire du château, un certain Gontran aurait rédigé la constitution actuelle, puis imposé par la force la séparation des familles abraysiennes en trois groupes, enfants, parents et anciens, ce qui, à l’époque, avait été âprement combattu. D’ailleurs, la guerre entre partisans du partage actuel et partisans des formes familiales traditionnelles peut se rallumer à tout instant. Mais, il faudrait y consacrer trop de place, ce qui n’est pas possible ici. Pour le trajet Longues Allées – Hameau de Charbonnière, deux options s’offrent à toi. Soit, tu suis la rue des Impôts puis la rue Ursulines et enfin la rue de la Clé-des-Bois, soit, et je te le conseille, tu empruntes l’ancien souterrain du Château de Grognon qui part précisément du lieu dit Cache-Misère … 113 La machine à voyager dans le temps Destination : Saint-Jean de braye On découvre une machine à voyager dans le temps à SaintJean de Braye Les jeunes de l’école Paul Langevin montent dans la machine et découvrent le futur. Ils écrivent une carte postale à leurs grands-parents. Certains d’entre eux répondent à leurs petitsenfants : ils sont remontés dans le temps ! LETTRE DE MARIE ..................................................................................................................................................... REPONSE A MARIE PAR MARIE-EDITH BASILLE .......................................................................................... LETTRE DE GARANCE .............................................................................................................................................. REPONSE A GARANCE PAR JEAN-JACQUES RICHER .................................................................................. LETTRE DE CLEMENCE ........................................................................................................................................... REPONSE A CLEMENCE PAR FRANÇOISE RUBINSTENN............................................................................ LETTRE DE TOM ......................................................................................................................................................... LETTRE DE MATHIS .................................................................................................................................................. LETTRE DE MANON ................................................................................................................................................... 114 Lettre de Marie St Jean de Braye, année 4000 Chère mamie, cher papi, Je suis bien arrivée. Ici, il fait froid et il neige. Les habitants sont habillés avec des shorts qui leur arrivent aux cuisses et des teeshirt sans manches. Leur couleur de peau est jaune. Dans la ville, les maisons sont rondes et les rues suspendues. Les véhicules volent et ressemblent à des soucoupes volantes. J’aime la spécialité de là-bas : des bonbons chocolat, vanille et citron. Je n’aime pas beaucoup être dans les soucoupes volantes. Je te rapporte en souvenir des bonbons chocolat, vanille, citron. Réponse à Marie par Marie-Edith Basille Saint jean de Braye 2011 Bonjour ma petite Marie Chérie, Merci beaucoup pour ta carte, elle m'a fait très plaisir. Je vois que tu as découvert beaucoup de choses que je ne connaîtrai jamais. J'ai hâte de goûter aux bonbons chocolat, vanille, citron, ça doit être délicieux et je deviendrai peut-être jaune, moi aussi. Tu me parles des rues suspendues. Je m'imagine marcher dessus, ça doit balancer ! Brrrrrrrr, mais avec les soucoupes volantes, la circulation est peut-être moins compliquée qu'avec les travaux du tram. Cela a dû te changer. Tu avais emporté des pulls et des pantalons pour la neige. J'espère que tu ne les as pas coupés pour ressembler aux abraysiens de l'an 4000 parce que tes parents feraient une drôle de tête. Eux, ils seraient peut-être rouges de colère. Garde bien tous tes souvenirs dans ta tête. Tu pourras les raconter à tes petits enfants plus tard. Encore merci et gros bisous. Mamie Voyage dans le passé Merci beaucoup Marie pour le joli cadeau que tu nous as fait, à ton grand-père et à moi. Dans la machine à remonter le temps, j'ai appuyé sur une date au hasard. Quand ça s'est arrêté, je me suis sentie un peu dépaysée. 115 Imagine, nous sommes au XVe siècle au château fort de Saint Loup, à St Jean de Braye. Tu vois où c'est. Il reste encore une grande propriété avec des sapins, en bord de Loire. Ah, bien sûr, tu n'y as jamais pénétré, alors je vais t'expliquer comment ils vivent aujourd'hui, en 1450. Ce château est en ruines : la guerre l'a une fois de plus démoli. Aujourd'hui, la baronne nous reçoit. On est très impressionnés avec Papy. En passant sous la poterne, machinalement, je présente ma carte d'identité...... Si tu avais vu l'air ahuri du garde devant ce morceau de plastique... ! Et nous qui voulions passer inaperçus. On suit le serviteur qui nous conduit dans les appartements de la baronne. Très accueillante, ma foi. Elle nous fait visiter toute sa propriété, son verger, son potager,... On a une vue splendide sur la Loire , tu sais, le "fleuve royal" . Mais la visite de la demeure, c'est autre chose. Il n'est pas facile d'habiter une ruine quand les alentours se construisent à neuf. Alors on enjambe les gravats pour aller jusqu'à la seule pièce à peu près en état. Il n'y a plus ni meubles, ni tapisseries, ni belle vaisselle mais quelques tabourets et un coffre. On nous sert du poisson de Loire, quelques topinambours sur une grande tartine de pain gris et du gris meunier. Cela ne ressemble en rien à ce que tu nous as décrit de l'an 4000. Nous garderons un bon souvenir de notre remontée dans le temps. Personnellement, j'aurais aimé pouvoir observer plus longuement la vie des habitants de l'autre côté de la route mais ce sera peut-être pour une autre fois. Nous aussi, on te rapportera un petit souvenir et ce sont également des bonbons. Ils sont noirs, ronds. Ils sentent un peu la réglisse, ça s'appelle des "boulets de canon". C'est la spécialité de Saint Loup en 1450. On t'embrasse très fort. Papy et Mamie Lettre de Garance St Jean de Braye, année 3111. Chère mamie, cher papi, Je suis bien arrivée. Ici, il fait chaud mais pas super chaud. Les habitants ont des ailes et ils sont habillés tout en violet avec des jupes et des tee-shirt en forme de chèvre. Les maisons sont faites de livres et de métal. Maintenant la ville s’appelle : la Chalopignière aux chevaux. J’aime leurs chevaux ailés. 116 Je n’aime ni leur nourriture, du poisson cru, ni leurs maisons. Je te rapporterai un cheval volant en souvenir. Réponse à Garance Par Jean-Jacques Richer Ma chère petite Garance. Ta carte m'a rassuré, et comme je le vois tu as fait bon voyage. Tu me dis qu'il fait chaud mais pas super chaud. Tu aurais dû suivre mes conseils car ta doudoune en duvet de canard et tes après-ski, ne te seront pas d'une grande utilité. Vous a-t-on collé des ailes comme aux habitants de ta nouvelle destination ? J'ai beaucoup de mal à t'imaginer avec une jupe en forme de chèvre, mais enfin ! Les habitants ont-ils quatre pattes dans ce pays ? Tu me dis que tu n'aimes pas les maisons. Ne serait-ce pas comme tu le précises par ce qu'elles sont en forme de livre et que tu n'as jamais eu un goût immodéré pour la lecture ? Cette forme permet-elle au moins à leur propriétaire d'être à la page ! Tu pourrais faire un effort pour manger du poisson cru afin de ne pas nous revenir anémiée. Ne dépense pas ton argent inutilement ! N'y aurait-il pas un souvenir plus utile et moins encombrant qu'un cheval volant ? Car tu sais, chez nous la place manque et avec cette sécheresse l'avoine devient une céréale rare et chère. La prochaine fois, c'est Manène qui t'écrira. Elle te remercie de ta carte qui lui a fait énormément plaisir. Nous t'embrassons bien fort, profite bien de ton séjour. Voyage dans le passé Ma chère petite Garance. Je suis très heureux que tu aies choisi de nous offrir ce voyage dans le passé plutôt que le séjour à Disney Land comme tu en avais parlé. Nous avons atterri hier soir à 22 heures, par une nuit sans lune et avons eu du mal à trouver une auberge car les rues ne sont pas éclairées. Ce matin, je me trouve rue du Faubourg de Bourgogne où règne une certaine agitation. Je ne crois pas que ce soit pour moi, car je n'avais pas prévenu de ma visite. Là, quelques notables en haut de forme et queue de pie regardent leur montre à gousset tout en discutant. Plus loin des badauds parlent de la pluie et du beau temps. L'un d'eux m'indique que l'on attend l'arrivée du ministre des Transports venu de Paris pour inaugurer la mise 117 en service de la ligne de tramway Martroi/Saint-Loup. La vie est donc vraiment un éternel recommencement … Je continue mon chemin et suis surpris par le nombre de cafés qui s'appellent d'ailleurs plutôt bistrot, auberge. Ici la Pomme de Pin qui existe toujours d'ailleurs, là l'Auberge Mineau qui a été abattue pour faire l'entrée de la Cité Saint-Loup où habite maintenant Margot ta copine. L'envie de boire un café me pousse dans l'un de ces estaminets où les discussions vont bon train. A cette table, on parle de prolonger le canal de Combleux à Orléans. A cette autre ,c'est la disparition annoncée de la vigne avec l'arrivée du phylloxéra qui alimente la conversation. On parle de la remplacer par des vergers, et pourquoi pas par des maisons ajoute l'un des interlocuteurs. Toutes ces personnes semblent heureuses de se retrouver, les hommes autour d'un verre parfois les cartes à la main ou autour d'un jeu de dominos. Les femmes, plus discrètes, conversent souvent assises sur un muret à proximité. Il est vrai que nous sommes dimanche et qu'il fait beau. Soudain, tous les visages se tournent vers un engin bruyant qui fait vibrer les vitres de toute la rue. C'est Albert Guyot qui, entre deux tours d'avion, met au point sa dernière invention dans son atelier proche. Il s'agit d'une magnifique voiture aux cuivres rutilants et tu me croiras si tu veux, avec des roues à rayons. Certains disent qu'elle peut atteindre 90 km par heure et qu'il va aller courir en Amérique ! Pendant ce temps là, ici on se déplace à vélo et en voiture à cheval. Ce matin, j'ai même vu un chien attelé à une petite charrette qui transportait du lait. Sa propriétaire allait de maison en maison pour vendre sa marchandise dans des laitières. J'allais oublier de te rapporter un petit souvenir en remerciement de ce merveilleux voyage dans le passé. Me voici devant la fonderie de cloches Bollée, je vais t' y choisir une petite cloche. Tu pourras me rappeler à l'ordre lorsque tu jugeras que je ne suis pas assez sage. Je te récrirai prochainement pour te raconter comment se passent les journées de travail dans cette ville. Nous t'embrassons bien fort et encore merci. Tes grands-parents en voyage dans le temps. 118 Lettre de Clémence St Jean de Braye, année 3050, Chère mamie, cher papi, Je suis bien arrivée. Ici, il fait très chaud, 55 degrés ! Le climat est humide, sans vent et le ciel toujours bleu. Les habitants sont habillés de linge blanc, les garçons, torse nu et les femmes en jupe et chemisette. Tous portent des sandales et des chapeaux de paille. Ils font des paris, se baladent, se baignent et jouent. Ils ne travaillent pas mais cueillent des sous sur des arbres à sous. La ville est construite avec des cases végétales : toit en feuilles de palmier, murs en roseau. Il y a des vergers d’arbres à poulet ou d’autres d'arbres à viande ainsi que des potagers pour les légumes et les fruits. Dans les rues, il y a plein de fleurs de toutes les couleurs. Il n’y a pas de véhicule donc pas de pollution. J’aime bien cet endroit, c’est très relax, sans histoire de sous. Je n’aime pas les cases qui ne sont pas très confortables. Je vous rapporte une tunique de linge blanc pour mamie et pour papi, un pagne que portent les hommes et aussi plein de photos. Réponse à Clémence par Françoise Rubinstenn Ma grande, Ravie d’avoir lu ton courrier; il me rappelle quelque voyage en Afrique par temps de mousson. Quelle découverte !...Ce n’est pas tant l’habillement qui m’étonne, ni les loisirs mais l’arbre à sous ; comment les habitants se partagent-ils billets et pièces ? Au fait même, le sens du « partage juste » existe-t-il là-bas ? Renseigne-toi pour me l’expliquer dans ta prochaine lettre. Et puis l’arbre à poulets et l’arbre à viande, comment en est-on arrivé là ? Profite bien des paysages, des fleurs, du calme sans véhicule bruyant ! Fais connaissance avec tes voisins de case pour en savoir plus…Tu apprendras beaucoup. Un grand merci pour les « souvenirs » Les photos surtout nous feront plaisir. Gros bisous de nous deux. 119 Voyage au XIXe siècle A mon atterrissage à St Jean de Braye près de la côte de Bionne, Je décide d’aller visiter en bordure de Loire le village de St Jean de Braye. J’aperçois la malle poste qui descend la route Impériale de Briare à Orléans en venant de Chécy. Le vent souffle dans les crinières des chevaux ; le cocher fait claquer son fouet pour qu’ils maintiennent le rythme tandis que les passagers à l’arrière papotent. Je porte une robe longue noire et des bottines cirées ; mon corset me donne une taille de guêpe et j’étouffe ! Une cape confortable recouvre mes épaules et m’abrite du vent.. La malle poste fait halte à l’auberge située à mi côte. J’observe les voyageurs emmitouflés descendre avec précaution du marchepied. Ils sont réjouis car l’aubergiste les attend sur le pas de la porte et leur a préparé un repas chaud et copieux pour les réchauffer. Je prends la direction de Combleux pour atteindre la Loire que je longe jusqu’au lavoir à l’embouchure de la Bionne. Malgré le froid, les femmes et les jeunes filles battent le linge en chantant. Au port, les bateliers amarrent les bateaux pour décharger leur cargaison. Ils s’interpellent pour ensuite aller trinquer. De la Bionne au bourg de St Jean de Braye dont on aperçoit le clocher, il n’y a qu’un quart d’heure de marche, selon mes informations. Du sentier, j’aperçois Orléans et ses églises, Saint Aignan et la cathédrale. Sur les coteaux surplombant le fleuve, les terres sont plantées de vigne. Les prairies entourées de haies accueillent les moutons. En arrivant au bourg, j’entends le hennissement des chevaux à l’écurie, face au parvis de l’église. Les poules picorent sur la place et les vaches d’un pas tranquille, prennent le chemin de leur étable. Les habitants du bourg, surtout des vignerons, portent des vêtements sombres et épais. Les femmes sont coiffées de bonnets couvrant leurs oreilles. Chacun, chacune rentre chez soi après quelques bavardages. Le bedeau entre à l’église pour sonner l’Angelus. Je choisis de rentrer après la balade en passant par la Haute Croix où se trouve le café épicerie. Je double 2 moulins à vent. A mon retour, je te remettrai en souvenir un almanach que l’épicière m’a vendu ; tu pourras y puiser beaucoup d’informations pour le jardin, la cuisine et les remèdes pour ta santé, qui te seront utiles en grandissant. Un gros bisou pour te remercier de ce périple que j’ai beaucoup aimé 120 Lettre de Tom Saint-Jean de Braye, année 3905, Chère mamie, cher papi, Je suis bien arrivé. Ici, il fait très, très chaud : 50 degrés ! Les habitants se baladent tous nus dans les rues et ils ne travaillent pas. La ville est pleine de maisons de deux cents mètres carrés. Les rues sont toutes petites. Les véhicules ne touchent pas le sol. Les bonbons tombent du ciel et on peut aussi manger des Tacos volants. Les véhicules vont super vite. Je n’aime pas les licornes à deux têtes. Je te rapporte une corne de licorne à deux têtes en souvenir. Lettre de Mathis Saint-Jean de Braye, année 180 001, Chère mamie, cher papi, Je suis bien arrivé. Ici, il pleut toutes les deux heures. Les habitants ressemblent à Pépé Jean-Jacques. Ils ont des points rouges sur la tête. La majorité sont bibliothécaires. En ville, les maisons ressemblent à des maisons bretonnes et les rues sont en ruine. On se déplace en soucoupe volante. J’aime la Loire qui n’a pas changé. Je n’aime pas leurs gâteaux qui sont fait à base de crottin de cheval. Je te rapporte un album photo en souvenir. Lettre de Manon Saint-Jean de Braye, année 3000, Chère mamie, cher papi, Je suis bien arrivée. Ici, il fait froid et il neige. Les habitants sont en bleu, blanc et rouge. Ils ont juste à dormir et ils gagnent de l’argent. En ville, les maisons sont toutes peintes en violet et les rues sont les mêmes qu’ici. On se déplace en soucoupe volante. J’aime bien cette ville car on n’a pas besoin de travailler mais je n’aime pas voler en soucoupe par ce qu’on est trop serrés. Je te rapporte le tee-shirt rouge et blanc que portent les habitants. 121 Les habitants de Saint-Jean de Braye Décrivez de manière objective un des personnages précédemment évoqués dans vos textes. Evoquez une vision fantasmée ou une rumeur concernant ce même personnage. Un visiteur lettré est dépêché auprès de notre personnage. Il fait un compte-rendu à son seigneur. SIMONE, LA PATRONNE DU BALLON PAR ALINE BAUDU ........................................................................ LE SACRISTAIN PAR CHRISTIAN FER ............................................................................................................... GONTRAN DE BEAUGENCY PAR CHRISTOPHE HUGUET.......................................................................... MARCEL COLOMBUS, GARDIEN DU CIMETIERE DES AMOURS PERDUES PAR SOPHIE GONZALBES .................................................................................................................................................................. MARCEL COLOMBUS, GARDIEN DU CIMETIERE DES AMOURS PERDUES PAR CHANTAL LERAITRE ...................................................................................................................................................................... MAITRE COQUILLE PAR CHRISTIANE NOISETTE ....................................................................................... BENEDICITE, LE SACRISTAIN DE ST JEAN DE BRAYE PAR REGINE PAQUET.................................. LE MENESTREL PAR CHARLOTTE TALEC...................................................................................................... 122 Simone, la Patronne du Ballon Par Aline Baudu Au Ballon, il y a cette vieille photo, début du siècle, juste au-dessus du zinc. Sur l’image, une grande femme opulente d’une cinquantaine d’années ; elle pose devant le bar, en train d’essuyer un verre-ballon avec un torchon à carreaux. Elle a les cheveux coiffés en un chignon qui se défait. Elle fronce les sourcils, nous regarde et ne sourit pas. Elle porte un chemisier noir avec une dentelle blanche au cou. Cela fait comme une collerette. Sa jupe noire lui marque les cuisses. Par-dessus, attaché à la taille, un tablier clair taché ; aux pieds, des bottillons bien vernis. On dit qu’elle n’était pas marrante, La Simone, et qu’elle tenait le bar d’une main de fer ! Il paraît aussi qu’elle devait avoir un certain charme puisque plus d’hommes entraient dans son bar qu’il en sortait ! Quelques personnes bien intentionnées avaient rapporté au premier édile de Saint-Jean de Braye quelques faits se déroulant Au Ballon. Craignant une débauche de ses administrés, monsieur le maire ordonna à M. Julius, l’instituteur, d’aller dans ce troquet et de lui rapporter ce qu’il s’y passait réellement. « Je me suis rendu Au Ballon le jeudi 17 novembre 1903, à 20 h. De l’extérieur, je distinguais peu de choses. Les vitres étant recouvertes de buée. Cela m’a étonné, car il ne faisait guère froid ce soir-là. « Je poussai la porte et je reconnus cette chanson quelque peu commune La Madelon. A l’intérieur, des hommes, de nombreux hommes, que des hommes. La Madelon était chantée par un groupe de bateliers à fort accent angevin. D’autres messieurs levaient le coude et semblaient agrippés au zinc. « Quelqu’un cria « Chut ! Chut ! » . Le silence se fit. Je m’aperçus que l’ordre de se taire avait été émis par le sacristain. Il parut quelque peu gêné de me voir… Les autres me dévisageaient religieusement. Des pas semblant provenir du sous-sol résonnèrent. Quelqu’un montait un escalier. Et une trappe située près du comptoir s’ouvrit d’un coup sec. « C’est quoi ce bordel ! On ne vous entend plus en bas ! » « La femme qui avait éructé ces mots referma la trappe et les mains sur ses hanches opulentes regarda la salle. 123 « C’est alors qu’elle me vit. « C’est toi l’ nouveau qui fait taire mes gars ? « - Madame, je, je … « - Allez vous autres, reprenez La Madelon que j’en aie les oreilles qui frissonnent ! Et toi (s’adressant à moi en me pointant du doigt), viens m’ voir un peu ! » « Personne n’osa bouger puis un des bateliers reprit la chanson suivi des autres. L’endroit devint de nouveau bruyant. « J’avoue avoir été impressionné par cette femme imposante, qui me dépassait d’au-moins deux têtes et semblait d’une force peu commune. Elle était toute de noir vêtue, excepté un tablier tâché à sa taille. « Alors, tu viens ? » « Je me dirigeai vers le comptoir. Quelques gars s’écartèrent. Elle posa un verre-ballon devant moi qu’elle commença à remplir de vin. J’ai bien tenté de refuser, sans grand succès. Je remarquai alors ses larges mains et ces marques rouges sur son tablier. Sûrement du vin, que cela pouvait-il être d’autre ? » 124 Le sacristain Par Christian Fer Dans l’atelier de Claire, il y a cette statue de ciment que j’ai tout de suite associée à Basile, le sacristain de la paroisse saint Loup. Il lutte contre les éléments. Son long manteau traîne derrière lui, comme soulevé par une bourrasque. Sa main gauche essaie de retenir sur sa tête son chapeau qu’un vent imaginaire repousse en arrière. Il avance son buste pour mieux faire pression contre la tempête. Cette allure lui donne à la fois l’air grave qu’on lui connaît lorsqu’il officie auprès de notre curé, mais aussi ridicule et impuissant. Claire ne lui a pas donné de visage. La statue n’a pas d’ yeux, pas de bouche, pas de nez. On pourrait croire qu’elle est inexpressive et pourtant, miracle de l’art, on voit derrière cette surface ronde et lisse tout le tourment et la souffrance qui animent notre sacristain. Le sacristain, sous son air grave et cérémonieux et son allure dévote cacherait en fait une grande addiction à Bacchus. Il aurait commandé pour sa consommation personnelle des caisses de Saint Estèphe qu’il aurait payé avec le denier du culte, ce qui constituerait un abus de biens divins. C’est un fait que le goût du vin de messe n’a rien à voir avec celui de ce grand cru. Les caisses seraient livrées, de nuit, derrière le presbytère à l’insu du curé et la démarche suspecte et le trajet parfois sinusoïdal du sacristain dans les rues de Saint-Jean de Braye s’expliqueraient par un abus du breuvage bordelais. Le sacristain m’avait donné rendez-vous au presbytère. Je devais produire un article sur lui pour mon journal. J’étais un peu inquiet sur la nature du personnage que j’allais rencontrer. Claire, l’artiste du village, l’avait représenté en statue de ciment, mais je me demandais bien pourquoi, compte-tenu de la rumeur de débauche qui courait dans Saint-Jean de Braye sur le sacristain. J’avais choisi, pour préparer mon article, de le rencontrer à 10 h du matin, craignant que plus tard ses propos ne me soient plus difficiles à décrypter. Il m’attend à la porte d’entrée et me laisse passer devant lui. Je constate qu’il est courbé et que sa démarche est pénible. Nous nous installons dans un petit salon et il m’offre un verre d’eau. Il s’en sert un également. Il me vient un premier doute. Tout ce que l’on dit sur lui est-il vrai ou bien est-ce un stratagème de sa part pour me tromper, car l’individu me parait très intelligent. 125 - Cela vous étonne que je ne serve que de l’eau ? Je bredouillai que non, me sentant découvert. - Vous êtes venu, n’est-ce pas, pour savoir si tout ce que l’on dit de moi est vrai et pour confirmer dans votre article la rumeur qui court sur moi ? Il avait donc décidé de m’entraîner sur ce terrain-là et je ne pouvais plus reculer. - Je ne suis pas exactement venu pour cela. Il est vrai que je suis intrigué par tout ce que l’on raconte, cependant je sais aussi que vous êtes apprécié de certaines personnes comme Claire qui vous a choisi comme sujet de statue. Je l’ai vue et j’en suis encore ému. - Alors, il faut que je vous explique ce que sont certains messieurs de Saint-Jean de Braye. Lorsque je suis arrivé, il y avait parmi les fidèles des hommes de peu de morale, des viticulteurs, des producteurs de Gris Meunier et j’ai découvert qu’ils faisaient un trafic avec leur vin. J’étais jeune et naïf et malgré les recommandations du curé, je suis allé voir le responsable de leur organisation. Je ne le regrette pas, mais c’est là que tout a commencé. Ces gens sont puissants, ils ont répandu sur mon compte des tas de fausses rumeurs, que je buvais, que je détournais l’argent du denier du culte. Je lui demandais alors si le curé n’avait pas tenté de l’aider. - Oh, le père Lepleutre, me dit-il, est certainement très bon, mais il n’est pas très brave et il n’a pas voulu se heurter à tous ces gens de peur que l’évêché ne l’envoie dans une paroisse reculée du Gâtinais. Ebranlé, je lui dis tout de même que parfois sa démarche dans les rues pouvait laisser penser qu’il s’adonnait à la boisson. Il me confia alors d’un air malheureux qu’il fallait attribuer son allure bizarre à une arthrose qui le faisait énormément souffrir et lui faisait souvent perdre l’équilibre quand il marchait. Tout ceci m’avait perturbé et j’étais impressionné par son apparente sincérité. Je décidais d’écourter notre rencontre. Je prétextai un autre rendez-vous et je décidai avant de revenir pour collecter la matière de mon article de me rendre chez Claire pour essayer d’en savoir plus sur cet homme. 126 Gontran de Beaugency Par Christophe Huguet Gontran Philibert Marie Joseph de Beaugency a l'allure altière de l'homme bien né. Il vous fixe d'un regard bleu et serein, un rien condescendant. Son front dégarni et son gros nez luisent de quelques touches de blanc, à la limite de l'impressionnisme. Il se tient debout de trois quarts, devant l'âtre du salon de son cher château médiéval si pittoresque. La main gauche sur la hanche, l'autre sur une canne en bois rare et pommeau d'ivoire. Un gilet rouge, peinant à contenir une bedaine proéminente, recouvre une chemise à jabot blanche. Il affiche ses ascendances écossaises par un kilt épais et des chaussettes qui ne cachent pas totalement le foisonnement de la pilosité de ses jambes. Gontran était connu pour ses nombreux tics et manies assaisonnés de problèmes d'élocution qui, disait-on, n'étaient pas étrangers aux rumeurs de consanguinité qui couraient sur sa famille. En somme, il était un peu débile. « Mon Seigneur, votre dévoué trésorier est de retour et vous salue bien bas. Je puis vous assurer de la fidélité de Gontran de Beaugency à la couronne. Il me faut cependant attirer votre attention sur la gestion de son domaine. La lecture des tables de comptes m'a confirmé le manque de rigueur dont il faisait preuve pour lever l'impôt,... et remplir les caisses de Mon Seigneur. J'ai d'abord suspecté une filouterie, un tour pendable qu'il nous aurait joué. Mais lorsque je l'entretins avec prudence de mes doutes, j'ai compris bien vite que la rumeur disait vrai : il est en tout point débile. « Et même plus, il est possédé, Mon Seigneur ! Moi qui l'ai vu de près, j'en suis encore consterné. Il bave, il éructe des gargouillis incompréhensibles et se frappe le crâne de la main à longueur de temps. C'est une vision diabolique, Mon Seigneur ! S'il ne tenait qu'à moi, j'enverrai les inquisiteurs l'exorciser proprement et le brûler vif ! Bien qu'il ait une charmante sœur, il ne dispose pas de frères, ni d’aucun autre parent de confiance et ses enfants ne sont pas encore en âge de gouverner. Il serait sans doute hasardeux de laisser son domaine à l'abandon et de provoquer l'ambition des nobliaux voisins. C'est pourquoi, Mon Seigneur, je propose humblement de mettre son domaine sous votre tutelle. Et si vous l'acceptez, je m'occuperai personnellement de ses affaires avec toute la rigueur qui convient. » 127 Marcel Colombus, gardien du cimetière des amours perdues Par Sophie Gonzalbes Au bas du tableau, une signature discrète : Grégoire d’Outre Tombe. Représenté assis sur une pierre tombale, Marcel Colombus est vêtu d’un pantalon et d’une blouse de soie noire. Des bracelets dorés ornent ses poignets épais. Autour de son cou, une chaîne avec un pendentif en forme de coeur traversé d’une flèche rouge sang. Son visage, de face, est d’une laideur peu commune. Deux canines particulièrement pointues terminent son sourire cruel. Sur le haut de ses oreilles, quelques poils noirs se dressent. Marcel Colombus est mort depuis belle lurette. Il est enterré au cimetière du Père Lamour, aux premières loges. On fait le voyage pour s’agenouiller sur sa tombe. Il paraîtrait que ce simple geste suffirait à provoquer une rupture franche, définitive et indolore entre deux êtres qui en auraient assez de s’aimer. Marcel Colombus fut en son temps, dit-on, spécialiste en la matière. La rumeur laisse croire qu’une seule poignée de main accompagnée d’un regard franc, suffisait à mettre un terme à une histoire d’amour encombrante. « Madame la Duchesse, « Je vous écris cette missive depuis l’auberge du Ballon à Saint-Jean de Braye. J’ai, pas plus tard qu’hier, rencontré le sieur Marcel Colombus. Par le plus grand des hasards, on célébrait son anniversaire. De jeunes enfants en costumes d’anges dansaient autour de lui une gracieuse ronde en chantant dans un patois fort désagréable à mes oreilles. Cela faisait quelque chose comme : « a pis beur cedayeux tou iou ». Mais passons et revenons à la mission que vous m’avez fait l’honneur de me confier : quérir le plus d’informations possibles sur ce personnage. Eh bien, figurez-vous que contrairement à toute attente, l’homme est sympathique ! Vous l’apprécierez, Duchesse, je puis vous l’assurer. « A peine les présentations faites, il m’a immédiatement invité à m’attabler à ses côtés. Nous fîmes bombance ! Il y avait là Maître Coquille, le fameux cuisinier de son altesse royale Estefania Del Monac, venu par amitié pour, comme il le dit, « honorer le plus célèbre des gardiens de cimetières ». Il nous gâta tant et si bien que Colombus lui-même, finit par demander grâce et ce, dans un langage encore une fois très particulier. Il vous aurait fait rire, je n’en doute point. Il chantait des 128 paroles incompréhensibles « ail file goude, ail file goude, tala tala tala » et, ce faisant, se trémoussait sur sa chaise en pétant et rotant à souhait pour – nous informa-t-il – donner plus de rythme à sa mélodie. Je n’ai jamais rencontré personnage si étonnant ! S’il paraît délicat de le convier à un dîner en présence de Monsieur le Duc, sachez que vous prendriez grand plaisir à le connaître. « Concernant ce don qu’on lui attribue pour dissoudre les premières amours, figurez-vous qu’il ne s’agit en rien d’une légende. Je l’ai testé sur mon crétin de fils qui, s’étant amouraché de la fille illégitime du sacristain, nous amenait, mon épouse et moi, vers de graves ennuis. Eh bien, vous auriez été surprise de constater qu’une seule poignée de main, les yeux dans les yeux, a permis en un éclair à ce pauvre Alphonse d’oublier qu’il fût jamais amoureux de cette pucelle ! La magie opèrera sur votre fille j’en suis certain ! « Il faut que je vous conte toutefois la suite. Peu de jours après ce radical détachement, mon fils tomba fou amoureux de l’une des filles de la patronne du Ballon avec qui j’ai longtemps entretenu des relations tarifées… S’agissant de son deuxième amour, notre bon Colombus n’y peut plus rien ! Portez-vous bien. » 129 Marcel Colombus, gardien du cimetière des amours perdues Par Chantal Leraître Ce qui frappe, dans l’image que j’ai sous les yeux, c’est le regard à la fois doux et perçant du personnage, qu’émettent des yeux lilas, francs et comme délavés par les années d’intempéries et de soleil. C’est un homme de taille moyenne, un travailleur rude, solide, en pantalon et veste de toile grossière et sombre et aux croquenots destinés à tous les terrains et à toutes les saisons. Il pourrait passer inaperçu si ses mains n’étaient si expressives. Elles sont larges, calleuses, peu soignées et pourtant étonnamment belles, à l’évidence capables de s’ouvrir et de donner le jour au «beau ». La légende du dessin dit : « Monsieur Colombus, le gardien du cimetière des premières amours. » (Portrait sans doute pas objectif…. Je ne suis pas du tout physionomiste et j’ai toujours été très myope… Ma façon de voir les gens est assez impressionniste !) On dit de lui, que c’était un solitaire qui a consacré sa vie à entretenir les stèles et sépultures du cimetière, avec amour et dans un silence quasi religieux. On dit aussi qu’il accordait une attention toute particulière à un petit mausolée toujours fleuri et qu’on vit grandir et changer d’aspect et de couleurs au fil des saisons et des années. Ce serait celui de son premier amour, Aimée, celle que ni Madame Colombus, car elle existe, ni ses nombreux enfants, ni aucune femme, n’a jamais su lui faire oublier. Un amour fou, quoi…. « Votre Majesté, « J’ai l’honneur de porter à la connaissance de votre Majesté, les conclusions de ma visite au gardien du cimetière des premières amours de Brayellide (Saint-Jean de Braye). « J’ai rencontré un taiseux, qui m’a semblé aussi rustre que doux. Le personnage est un manant grossier, mais il a su faire du cimetière un lieu de mélancolie colorée, du meilleur aloi. La végétation y est essentiellement pastelle comme le regard franc et étonnamment décoloré du bonhomme. Décoloré par les 130 intempéries ou par la tristesse ? Les avis divergent, mais une chose est certaine, le susdit est aussi amoureux de ses plantes que de ses monuments funéraires. « Celui d’Aimée Martin, en particulier, est un véritable enchantement d’arômes et de nuances. Ceci semble confirmer la rumeur selon laquelle elle aurait été son premier amour et l’inspiratrice, toujours active, de son merveilleux travail. « De gardien, le sieur Colombus est devenu le jardinier en chef du lieu. Avec talent et une fantaisie qu’il serait difficile de lui imaginer de prime abord, il l’a transformé en un véritable parc d’agrément, dans lequel votre Majesté pourrait, à l’occasion, venir se ressourcer avec bonheur. « Le bonhomme ne quitte jamais ce lieu. Votre Majesté parviendrait peutêtre à lui tirer un mot…. « Votre très dévoué et très respectueux, Léonard Bourdon. » 131 Maître Coquille Par Christiane Noisette En voyant le tableau, « Le grand Coquille à trois étoiles », au musée de La Braye, j’en suis restée comme deux ronds de flan. Mes parents m’avaient toujours parlé de Maître Coquille – Le Grand Cuisinier. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, perché sur un tabouret, un homme que je pourrais classer comme de petite taille. Même sur son perchoir, il ne dépassait guère ses fourneaux. Sa posture était de trois-quarts pour le corps et de face pour le visage. La première chose qui attira mon regard fut ses yeux. Deux noisettes globuleuses piquetées de taches vertes ressortaient de la toile comme deux obus. Ses cils roux d’une longueur à faire pâlir toutes les femmes ressemblaient à des éventails. Sa bouche large était constituée de deux lèvres goulûment charnues. Deux énormes fossettes, creusant tel un cratère ses joues, nous donnaient l’impression d’un sourire éternel. (Mes parents m’avaient pourtant rapporté que ses colères étaient légendaires.) Pour couronner le tout, une chevelure rousse aux éclats de feu trônait sur le haut de sa tête, un peu à la façon des punks actuels. De son corps revêtu d’un énorme tablier blanc, le tableau ne nous dévoilait que les manches bleues d’une chemise au col râpé, un pantalon de bure et une paire de godillots dont le vernis avait disparu avec le temps. Ce tableau, je l’aurais plutôt intitulé vue l’impression qu’il me laissait « Le Grand Coquin étoilé » Les experts disent que si, muni d’une loupe, on s’approche très près du tableau, on peut voir peint sur le cul de chaque faitout ou casserole le portrait d’un certain nombre de femmes ayant succombé au charme de Maître Coquille. Il les aurait, parait-il, toutes mises dans son lit après un menu spécialement élaboré dans l’espoir de… Mais de cet homme de grande renommée, aussi bien pour la bonne chère que pour la chair fraîche, nous n’avons trouvé trace que d’une de ses recettes spéciales soirée galante. Le cuissot de biche au chocolat moutardé, accompagné d’un retourné de haricots plats d’Espagne aux petits oignons nappé de sauce grenadine. Ma mère tient de sa mère qui le tenait de la sienne que ce mets fin était tout ce qu’il y a de plus aphrodisiaque. Et si mon amour du bien manger me venait de là ? « Bien la joie de vous revoir Monseigneur de la condition de la restauration en vos terres orléanaises laissez-moi vous conter ce que de mon voyage en 132 Brayedejean je rapporte. Vous m’aviez, de cela quelques semaines, envoyé en Abraysie rencontrer le plus illustre de nos chefs étoilés du guide « Mange en ton pays ». J’en reviens à peine d’hier et me hâte de vous saluer avant de vous relater ce que de ses mots il a bien voulu me dire et de mes impressions vous faire part. « Cet homme, ô Monseigneur, se nomme par lui-même, Maître Coquille. De son prénom Edgar. Devant lui, je tremblais tant son regard profond par un simple coup d’oeil me remplit d’effroi. J’en craignais même pour mon honneur tant les rumeurs courent bon train sur les ardeurs de ce cuisinier étoilé. Je n’ai pas eu le temps de vérifier si coureur il était car de lui peu de mots m’apprirent les villageois. Silence pour l’étranger est de rigueur en ce terroir. Il n’en fut rien de ma peur vite oubliée par la prévenance de cet homme de petite taille. « Sur un fauteuil recouvert de soie il me fit prendre place et un verre de grand cru il me donna. L’entrevue put sans encombre se commencer. Sans aucune question de moi posée ses talents d’orateur en marche se mirent. En termes choisis si bien de son métier il me parla que dans mon gosier les odeurs naquirent. De ses mots enchanteurs, grande envie me vint de devenir à mon tour ripailleur de senteurs aux noms si prometteurs. Si de cuisine il fut question de sa vie il n’en fut rien. Il daigna tout de même, mais seulement parce que de vous il s’agissait, divulguer sa célèbre recette de séduction. Elle devrait, selon lui, vous permettre, monseigneur, de trouver escarpin à votre pied pour faire famille et avoir moult descendants. Cette recette, monseigneur, la voici, telle qu’elle me fut dictée par Maître Edgar Coquille, restaurateur en pays de Braye. Si Monseigneur me permet quelque attention j’aurais à dire. « - Trouver une biche de 3 ans et vivante la ramener au domaine. N’est-ce pas cruel, Monseigneur, de garder vive une telle bête et de l’ouïr se plaindre ? « - De son sang la vider que soigneusement au frais vous garderez pour la marinade. « - Dans un grand sac de toile l’animal vous enfermerez et par les pieds dans un plein de courants d’air le pendrez. 72 heures passées vous pourrez la bête désosser et seul le cuissot garder. Le reste, Monseigneur, dans votre remise à sel garderez pour plusieurs mois si vous le désirez selon dires de Maître Coquille. « - Dans un grand plat le morceau de viande, vous placerez. « - Abondamment de beurre de lait de chamelle le badigeonnerez. Mettre au frais. « - D’anis étoilé, de piment d’Espelette et de crépinette de panse de brebis au bout de 6 heures le recouvrirez. « - 5 litres de marinade vous confectionnerez avec : « - Moitié sang de biche et moitié Quart de Chaumes grand cru « - 12 grains de poivre jaune de Limoges 133 « - 4 feuilles de laurier de Nancy « - 2 pommes granny de Tours coupées en cubes de 2 sur 2 « - 1 bâton de cannelle de Madagascar « - 20 feuilles d’oseille de Quimper « - 6 têtes d’ail de Martigues « - La marinade sur le cuissot vous verserez et laisserez 48h reposer. « - Qu’un quart de cette marinade dans le plat ne laisserez et sur feu doux de votre cheminée pendant 5 heures le placerez. Régulièrement arroser vous devrez afin le dessèchement éviter. Une demi-heure avant fin de cuisson : - une poêle avec saindoux sur le petit cuiseur de votre fourneau vous placerez avec les haricots plats d’Espagne et les petits oignons. « - une large casserole sur le tout petit cuiseur vous poserez afin d’y faire fondre dans du vinaigre de cidre de Lisieux le chocolat de Colombie pur à 90 % et 514 gr de moutarde d’Orléans. Au moment de servir, n’oubliez d’agrémenter votre assiette de quelques rondelles de grenadine. « Voilà, Monseigneur ! Une fois la recette notée ses adieux il me fit. A ses fourneaux il retourna car au soir venu gentilshommes et damoiseaux à sa porte se bousculent. Je quittai Brayedejean en l’instant sans avoir, à mon grand désespoir, une miette de régalade goûtée. « Pour ne point rien oublier, je transmets sous la seconde aux archives la recette. » - Faites mon brave et aux cuisines demandez qu’en cette semaine recette soit servie pour le souper en l’honneur d’Eurasthénie Lafoi, cousine par alliance du sieur Gontran de Beaugency. 134 Bénédicité, le sacristain de Saint-Jean de Braye Par Régine Paquet Sur le vieux tableau, au mur de l’actuelle sacristie, Bénédicité - ancien sacristain de l’église de Saint-Jean de Braye - se tient aussi droit qu’il le peut. C’est son visage qui attire d’abord le regard. Des pommettes rouge vif contrastent avec un long nez fin surplombant des mâchoires austères et des lèvres étroites. Les yeux, d’un bleu un peu délavé, donnent à l’ensemble de la face un air lointain et fuyant. Le corps, dégingandé et mince, est dans le droit sillage du visage. Les mains noueuses, striées de veines, s’agrippent avec force à la canne qu’elles tiennent. Le sombre du costume-veste et pantalon est relevé par l’éclat blanc cassé de la chemise dont le plastron porte deux petites taches rouges qui intriguent. On murmurait que le jour, Bénédicité, le sacristain, était fermé et austère comme une porte de prison. Il assurait son service les lèvres serrées et ne les ouvrait qu’à contrecoeur. On disait que certains parents se servaient de son personnage, à l’image du père Fouettard, pour effrayer leurs enfants désobéissants, On chuchotait aussi beaucoup que le soir venu l’individu se métamorphosait. Sous l’effet de nombreux litres d’alcool absorbés, Bénédicité se mettait à crier et à chanter et à rire tout seul. En le croisant dans ces moments-là les vieilles dévotes et les vieux dévots se signaient peureusement et s’écartaient. Bref, on glosait sans cesse sur son compte. « Cher ami, « Tu m’as expressément demandé le récit de mon bref voyage à Saint-Jean de Braye, le voici donc. Des faits étranges et contradictoires ayant été rapportés à l’archevêque de Tours au sujet du sacristain de l’église de Saint-Jean de Braye, je reçus mission d’aller sur place vérifier ces dires. Je décidai de m’introduire incognito auprès du dit sacristain. Ce fut donc à l’église que je me rendis. Je m’enfonçai dans une profonde prière. En fait, je n’avais de prière que la posture car, entre mes mains jointes, j’observais les allers et venues de l’homme. Le claquement sonore de sa canne sur le pavé de l’église troublait la sérénité du lieu. Il en était visiblement gêné. Il s’affairait tout à son travail. « Je le vis aider une vieille femme, fort maladroitement j’en conviens, à se relever du confessionnal. Elle le remercia d’un regard dédaigneux et glacial. Un peu 135 plus tard, notre homme voulut guider un enfant vers les cierges. Mais le petit bambin refusa la main tendue et courut se cacher tout au fond de l’église comme s’il avait vu le diable. Le sacristain resta immobile, le regard perdu dans une douloureuse rêverie, me sembla-t-il. Je me décidai à l’aborder. « Excusez-moi, monsieur, j’ai besoin de me confesser. A quelle heure, monsieur le curé pourra-t-il me recevoir ». Les yeux bleu-délavé du sacristain fuyaient mon regard. Il respirait de façon saccadée et s’agrippait à sa canne. Il finit par murmurer d’une voix à peine audible : « Il est, est, est tro...op tard, mon, mon monsieur. Re, revenez de, de, demain à 8, 8, 8 heures. » « Une fois ces mots dits, il rougit violemment. Le personnage m’intriguait, je poussai un peu mon investigation. « Je suis de passage et seul. Voudriez-vous discuter avec moi autour d’un verre ou même souper en ma compagnie ? Je vous invite bien sûr. » Le pauvre homme ouvrit tout grands ses yeux et sa bouche. Il se balança d’une jambe sur l’autre et me murmura toujours bégayant : « Ah mon...sieur, quelle bon...ne idée! Je peux être un...un agréable compagnon quand... quand j’ai un peu ....peu bu. » Je m’apprêtais à l’entraîner à l’estaminet de la place, « Au Ballon », quand il reprit: «Je...je...préfèrerais res....ter à la sa...cristie. Les...les gens di...disent trop de mé...méchancetés. » « J’accédai bien sûr à sa prière et nous allâmes déguster un bon petit vin de Loire, dans l’arrière boutique de l’église. Oh ! Pardon ! Je voulais dire dans la sacristie. Au bout d’un long silence, rempli par la dégustation du vin, nous commençâmes à deviser et devisâmes jusque fort tard dans la nuit ! Plus Bénédicité - c’était son nom - buvait, plus son affreux bégaiement s’atténuait jusqu’à disparaître totalement. Cela nécessita un bon litre de vin. « Je demande sans cesse au bon Dieu pourquoi il m’a fait comme ça. Est-ce péché si ma parole est aisée quand j’ai bu le vin de messe ? Je ne bois que du vin consacré, monsieur. Mais je boirais volontiers toute l’eau de La Loire si elle pouvait aussi m’enlever mon bégaiement. Si vous saviez, monsieur, comme les gens se moquent de moi que je bégaie ou que je boive. » L’homme libérait son coeur et se délivrait de ses tourments. La soirée avançant nous partageâmes, outre le vin que je bus avec modération pour ma part, tranche de pain et de bon saucisson. Bénédicité devenait au fil des heures partagées un hôte de bon aloi, rieur, amusant, connaissant plein d’anecdotes, philosophe et conteur à sa façon. Je passai une excellente soirée. » De retour à Tours, je fis à l’archevêque le récit détaillé et scrupuleux de ma rencontre avec le sacristain, récit à peu près semblable à celui que je viens de vous faire. Ce Bénédicité est un bien brave homme au fond qui mériterait que Dieu changeât son vin en eau et sa triste vie en bonheur. 136 Le ménestrel Par Charlotte Talec Le ménestrel déroula son parchemin et chanta devant son seigneur A Saint-Jean de Braye m’en suis allé Jusqu’au cimetière des longues allées Là où vous m’avez dépêché Et Colombus ai rencontré Il garde avec grande fierté Le cim’tière des amours passées Les tombes y sont bien honorées Les morts y sont grandement pleurés. Refrain : Au cimetière des amours perdues On ne s’attriste qu’au début : « Dix de perdus, dix de perdus Ça fait ça d’ moins pour les cocus » A force de faire des mises en bières Notre gardien n’est pas peu fier De faire goûter son vin nouveau A tous ces jeunes jouvenceaux. Qu’ils soient Don Juan ou bien puceaux Pour eux, il perce les tonneaux. Aux demoiselles, il sert de l’eau En célébrant les tourtereaux. On ne pleure jamais en vain Ça met un peu d’eau dans le vin On oublie vite son chagrin Dans le cimetière abraysain Devant les tombes des grandes allées Il m’a confié, ô majesté « Une de perdue, dix de r’trouvées On pense que c’est la Vérité » (bis) Refrain … 137 Janus Brayus Décrire 3 jours de fête à « Janus Brayus » (qui aurait donné son nom à la ville de Saint-Jean de Braye) avec les noms de rues de la ville (soulignés). GRANDE FETE OCTONOGONALE DE JANUS BRAYUS PAR MARIE-EDITH BASILLE ...................... DU TEMPS OU SAINT JEAN DE BRAYE S’APPELAIT JANUS BRAYUS PAR GERARD COTTIGNY LES FETES DE JANUS BRAYUS PAR CHRISTIAN FER................................................................................... JOURS DE FÊTES À IANUS BRAÏUS PAR JACK FOUCHER.......................................................................... PAR SOPHIE GONZALBES........................................................................................................................................ PAR CHRISTOPHE HUGUET.................................................................................................................................... LA FETE DE BRANUS VARIUS PAR HARRY L................................................................................................... PAR CHANTAL LERAITRE....................................................................................................................................... ECOUTEZ MES ANGES PAR CHRISTIANE NOISETTE................................................................................... LES TROIS GLORIEUSES PAR REGINE PAQUET............................................................................................. JANUS BRAYUS PAR JULIE, UNE FILLETTE DE 10 ANS (CHANTAL RICHER) .................................... PAR JEAN-JACQUES RICHER ................................................................................................................................. 138 Grande fête octonogonale de Janus Brayus Par Marie-Edith Basille A vous tous, mes amis, les bouvreuils, les mésanges, les étourneaux , les hirondelles et autres martinets... Je donne rendez-vous rue du petit bois, comme d'habitude. Quittez vos longues allées, vos aubépines, vos acacias, vos bouleaux, bruyères, cèdres et catalpas... Pour me rejoindre, traversez les châtaigniers, les peupliers et les saules. Ne vous arrêtez pas au-dessus des coquelicots ni des marguerites. Venez directement. Je suis heureuse de vous retrouver une nouvelle fois depuis la dernière fête de la Bionne. En traversant la place de la planche de pierre, ouvrez l'oeil, vous avez une belle vue sur les grands champs. C'est là que se rassemble la cavalcade pour le 1 er jour. Chaque confrérie regroupe ses bons enfants sur un char recouvert de chaumes. La première, ça s'impose c'est celle des vignerons, gris meunier en tête. Viennent ensuite les confréries des gueules noires (juste sorties de la fosse Belaude) puis celle des veneurs avec la corne de cerf pour emblème, celle des charpentiers, des meuniers... et en fin de cortège, celle des mariniers avec leur saumon de Loire qui nage encore dans la fosse Goujon . Le lendemain, dans les rues, vous pourrez participer à un grand jeu pour trouver de quoi vous restaurer. Ne ménagez pas vos efforts sinon... rien dans le gésier ! Surtout, évitez le boucher en vous réfugiant en haut du clocheton. Vous connaissez aussi (depuis le temps) Janus Brayus qui monte la garde devant la herse du castel. Alors, évitez-le aussi car, sous prétexte de garder les trois clés de l'hôtel de ville dans un pot vert au fond du puits de ville, il s'acoquine avec les frères Voisin et la Malvoisine pour jeter aux quatre vents tous les tonneaux des grands clos. Quand vous aurez le bec plein de graines de fougère, désaltérez-vous à la fontaine. Le troisième jour, sous le beau soleil, vous lisserez vos plumages multicolores pour avoir un bel air devant le jury des frères Lumière et du chevalier de Louville. En 139 effet, nous irons tous en formant un grand carré jusqu'à la place Avicennne. J'espère que cette année, le "Nobel de l'Echarbeau" deviendra le nôtre. Je compte sur le succès de toutes ces réjouissances qui ne se renouvellent que tous les 8 ans. Que tout se passe au mieux dans la liberté. Ceci est mon désir le plus cher. A bientôt la fauvette. 140 Du temps ou Saint Jean de Braye s’appelait Janus Brayus Par Gérard Cottigny Aujourd’hui13e jour du 12e mois de l’ère nouvelle, à Janus Brayus, débutent les trois jours des fêtes de Janetus d’Arcus. En effet Janetus d’Arcus est la libératrice de Janus Brayus du puissant Luiggi Pasteurus. Elle a créé la première République et c’est en cet honneur que les grandes fêtes commencent. Le premier jour débute par un grand défilé où sont réunis les notables de la ville. En tête on peut apercevoir le bien-aimé Saint François. A cette époque de l’année, les bleuets, les œillets, les coquelicots, les marguerites, les roses et le muguet ornent les longues allées. Les bordures des belles allées sont recouvertes de fougères, de bruyères, de genêts, de rameaux de marjolaine et de sarriette. Sur des massifs, sont plantés des framboisiers, des groseilliers, de l’aubépine. Il pousse dans cette espace un grand nombre d’essences d’arbres : des cèdres, des cèdres bleus, des saules, des bouleaux, des châtaigniers, des tilleuls, des noyers, des peupliers, des pins, des érables mais aussi des acacias et des poiriers. Les petits bois resplendissent et le camaïeu des verts contraste avec la couleur des violettes. La senteur des romarins nous enivre. Le centre de la ville est un grand carré. On peut y voir la maison républicaine appelée également hôtel de ville ou mairie. C’est d’ici que démarre le défilé Saint François sur son char. Il emprunte les sentes pour aboutir au bord du fleuve la Loirus. Dans le ciel on aperçoit, voletant, des hirondelles, des martinets, des mésanges, mais aussi des masses d’étourneaux, de fauvettes et de bouvreuils. Pour clore ce défilé, un banquet est servi au coin buffet. Les discussions vont bon train et le gris meunier fabriqué par les vignerons du cru coule à flot et échauffe le cœur jusqu’à la tombée de la nuit alors qu’un bal est organisé. 141 J’habite dans une maison au toit d’ardoises à côté d’un grand champ et proche du petit bois où des charbonnières (métier très féminin à l’époque) à la gueule noire s’affairaient à travailler à la fabrication du charbon de bois. Pour ce 2e jour, les maisons sont décorées suivant des plans bien précis laissés par Le Nostrus. Au déjeuner sont chantées des œuvres du célèbre Georgius Brassensus, de Luiggi Armstrongum, sans oublier bien sûr Sidnum Bechetus. Dans l’après midi, à l’heure du goûter, après avoir lu quelques poèmes de Guillaume Apollinaris le grec, Janus Racinem, et Paulus Verlainum, les collégiens partent pour la fête foraine. Le Mistral qui souffle fort, l’un des quatres vents, fait tourner les différents manèges. Du haut de la grande roue, on peut avoir une belle vue et à la nuit tombée un grand feu d’artifice est tiré en l’honneur de Janetus d’Arcus place de l’église. Le troisième jour est une représentation de notre ville dans l’avenir. On vénère les futures inventions. On parle d’un système qui fonctionnera miraculeusement sur des rails, alimenté par une énergie autre que le vent ou l’eau. Cette ère nouvelle vient du passé étend vers l’avenir, que toutes les traditions soient transmises afin que Janus d’Arcus soit toujours dans nos cœurs. (Il y a quelque chose qui cloche) 142 Les fêtes de Janus Brayus Par Christian Fer Je me présente, je suis la place de l’Eglise. C’est moi le centre du village et non seulement le centre mais aussi le plus bel endroit. On me respecte. Aujourd’hui, je suis aux premières loges. On fête Janus Brayus. Depuis quelques semaines les jardiniers ont planté tout autour de moi des aubépines, des bleuets, des coquelicots, des marguerites, du muguet, des œillets, des fleurs de paradis, je n’en avais jamais vu auparavant, des violettes. Tout cela dans une belle terre de bruyère. D’habitude je suis assez présentable, là je suis carrément belle. Ce matin, alors que l’étoile du Nord était encore présente dans le ciel, les employés municipaux m’ont arrosée avec leur jet d’eau. A peine éveillée, la fraîcheur m’a un peu surprise. Mais j’aime bien me sentir propre et cela faisait longtemps que je n’avais pas fait une toilette aussi complète. D’ordinaire je dois conserver plusieurs jours sur mes pavés délicats crottes de chiens et crottin de cheval. Et puis, j’ai entendu des pas venant de la rue de la Mairie, tout un cortège, le maire, le curé, le capitaine suivis par tous ces gueux, d’habitude sales comme des noues, aujourd’hui apprêtés pour la fête. Et puis mes bons enfants. Tout ce monde était entouré par les braves hirondelles à vélo. C’était une véritable procession qui commençait à emprunter mes pavés. Chacun portait son saint, saint Lyé, sainte Marie, saint Loup. Lorsque le clocheton de l’église a entamé sa sonnerie, ils se sont tous avancés vers le porche après avoir contourné la fontaine. Leurs godillots et leurs sabots qui me martelaient commençaient à me faire souffrir. Il y en a un particulièrement. Je l’ai fait glisser sur un pavé humide tellement il me faisait mal. Une fois qu’ils sont passés sous l’arche, j’étais enfin tranquille. Mais évidemment cela a recommencé à la sortie. Je ne peux pas vous dire comment s’est déroulée la messe en l’honneur de Saint-Jean, je n’y étais pas. Mais elle a duré deux bonnes heures. Deux bonnes heures de repos pour moi. Sur le coup d’11 h 30, je me suis inquiétée. Ils sont venus installer sur moi des tables et des chaises et puis un énorme buffet qui devait bien peser une tonne. Je l’ai senti, d’autant plus qu’ils ont posé un de ses pieds sur un endroit que j’ai sensible. Et puis à midi, tout le monde s’est installé, comme s’ils étaient chez eux. J’ai reçu leurs déchets, le gris meunier renversé, les coquilles, des morceaux entiers de grasdoux qu’ils étalaient avec leurs chaussures de paysans. Et aussi des crachats et même à 143 la fin du repas tellement ils avaient mangé et bu…mais je n’ose pas vous le dire. Ils ont fini par se lancer des cotillons, des serpentins qu’ils dispersaient aux quatre vents et tout cela finissait par tomber sur moi. Pauvre France ! Heureusement qu’il faisait un beau soleil. Et le maire a parlé. Il a salué notre célébrité, la binoche. Il a parlé de la création d’une bissonnerie ainsi que d’une griffonerie dans la commune. Il a promis la liberté aux frères Voisin et il a dit qu’il lotirait les grands champs. Tout cela avant d’entonner avec les habitants rassemblés, l’hymne de la République. Et ils ont poussé les tables et se sont mis à danser et leurs godillots et leurs sabots se sont à nouveau plantés dans la tendre roche de mes pavés. Et j’ai eu envie de déporter tous ces étourneaux dans la glacière ou chez ma vile collègue, la place de la commune. Le soir enfin est arrivé et tout le monde est parti et je suis restée seule et sale. Qui va payer l’ardoise ? Enfin j’ai pu reposer et soigner mes pavés à l’abri de mes ormes et de mes tilleuls. 144 Jours de fêtes à Ianus Braïus Par Jack Foucher "Aujourd'hui, primidi die du mois de Ianus, l'an 892 de la fondation de Rome, notre ville mère, en ce lever de soleil, qui, à l'instant même, nous éclaire de sa lumière, nous, maître des cérémonies de Anna perenna, déclarons ouvertes les fêtes de Ianus Braïus, qui s'inscrivent dans le cycle de nos fêtes romaines. Ave Caesar, nostrus magnus imperator !" Une foule immense et composite de patriciens et de plébéiens de toutes conditions rassemblée place longue applaudit à tout rompre le discours inaugural du représentant de l'Empereur. Il y a là des milliers de personnes qui piaffent d'impatience tels des chevaux de course avant le coup de... buccin (et pas "feu" comme certains auraient aimé que j'écrive, ce qui eut constitué un très grave et dommageable anachronisme), annonçant le départ. Les trois jours qui commencent sont placés sous le signe de Bacchus. Faute de place, deux immenses calicots ont été placés au droit de beau soleil, non loin de là. On peut y lire une pensée de Bacchus connue de toutes et de tous et qui nous servira de fil rouge tout au long de ses festivités : "Veritas in vino" (et non pas : verre et tastevin). On ne saurait être plus clair, pour le moment. Le parcours a été soigneusement établi et balisé afin de n'éviter aucun quartier et ce de longue date. Tout le monde a droit à ces trois jours de fête, ceux qui habitent près d'Orléans, comme ceux qui habitent près de Chécy et de Combleux (ou de ce qui en tient lieu et place). On y a installé douze lieux de buvette et de restauration, douze lieux de prière, douze lieux d'aisance avec latrines et vomitoirs, plusieurs lupanars. Il y a donc force prostituées venues de loin parfois, des jeunes et des moins jeunes, des belles et des moins belles. Il y a même des fours à pain construits exprès pour l'occasion et des fours à cuire la viande, (les ancêtres de nos barbecues). On peut en voir notamment à l'ardoise, à l'aubépine, aux Aubraies où il y une gare pour les chars; aux chaumes où il y a des fougères pour dormir ; à la petite noue où il y a des bains de boue ; aux nignerons où il y un cabaret où l'on sert uniquement du gris meunier et du saumon de Loire. A cet endroit précis, a été installé un autre calicot où on peut lire (traduction française) : "Mieux vaut le vin d'ici que l'eau-delà", pensée attribuée à un certain Petrus Dacus. Les lieux de prière se situent entre autres au Grand Carré pour honorer Jupiter ; au petit bois, pour saluer Diane ; à bel air, pour volcanus ; à la fougère, pour Diane ; à la croix des haies, pour Fons. 145 Le parcours traversant tout Ianus Braïus, je m'en vais vous donner quelques indications de sa conformation conforme à la conformité des décisions démocratiques du comité d'organisation appelé "Comité des Fêtes" ou "Tabardus". Donc, nous descendrons sur la Liger maximus, par le camine de Mondésir, du saumon de Loire, puis la promenade du front de Loire jusqu'au port de Ianus Braïus, notre port Saint Loup d'aujourd'hui. Ensuite nous prendrons la via Ianus, qui par un heureux concours de circonstance est devenue notre avenue du capitaine Jean ; puis la via de la pax romana, notre actuelle avenue de la Paix ; la via Iulius Caesar, notre avenue du Général Leclerc ; la via Traévia, notre avenue de Verdun ; puis contournement de Ianus Braïus, en empruntant la via de la Gerberie où se trouvent un lieu d'aisance et un vomitoir, camine de la binoche, puis en longeant la Bionne, nous retournerons sur la place longue en empruntant les bords de Loire... Un plan détaillé est d'ailleurs fourni par l'organisation moyennant finances. Mais avant que de partir, nous pratiquons la lustratio, c'est-à-dire la purification du peuple et de l'armée. Voici comment cela se passe : le peuple réuni, ici place longue, est entouré par trois fois par une procession qui accompagne un taureau, un porc et une brebis ; lesquels animaux sont sacrifiés à la fin de la cérémonie. Ensuite et seulement ensuite, le cortège peut s'ébranler au son des flûtes et des tibias. Des dizaines de participants portent des masques de cire. Notre première véritable halte se situe au port de Ianus Braïus. Là il y a une grosse buvette et une vraie restauration. Les plus riches y dégustent des langues de flamant rose qu'on a fait venir de très loin et même davantage. Ils peuvent manger aussi du foie de porc engraissé aux figues fraîches. L'animal est tué en lui faisant boire du vin avec du miel. Pour les estomacs délicats, on peut se pencher sur la corne de cerf farcie aux tripes de sanglier accompagnée de beignets aux pommes frits à la graisse d'oie, un plat léger et très diététique. Les plus pauvres se contenteront, comme à leur habitude, d'une bouillie de céréales, voire de fèves. Les galettes de froment sont gratuites et fournies par les autorités de la Province. Pour le vin, c'est du gris meunier classique. Pour le reste, on y trouve des vins au poivre, au miel, de la cervoise tiède, qui nous vient de nos ancêtres les Gaulois. On a percé moult fûts arrivés tout droit des caves Brouardus, construites à l'embranchement de la route de Trèves et de celle de Nevers. On y a installé un lieu d'aisance et un vomitoir sur lequel un festivalier facétieux a écrit : "Si j'aurai su, j'aurai pas v'nu !" et un autre a ajouté : "Je suis venu, j'ai bu, je suis foutu!". Puis nous remontons vers Orléans. Nous sommes au pied du Mont. Certains, à cause de la pente assez raide, y vont de leur plaisanterie grivoise : "Ici commence l'escalade du Mont de Vénus !", ce qui a le don de déclencher l'hilarité quasi générale. Il est vrai que, comme tout le monde a déjà bien picolé, le cortège est bon public. Ensuite, nous prenons la route d'Orléans à Trèves, dans sa première partie baptisée (le mot n'est pas très heureux pour l'époque) via Ianus. Des deux côtés de 146 la voie, qui marque aussi l'entrée d'Orléans, on peut découvrir des tombes, des tombeaux et des mausolées, dont la splendeur est fonction de la richesse de celles et ceux qui les ont fait bâtir. Quelques centaines de mètres plus avant ou plus loin ou plus près du bourg, on y donne un bal populaire avec des faunes petits et grands et même des méga faunes. Tout se déroule dans une atmosphère bon enfant. Pour le moment, la Providence veille sur nous ainsi que des légionnaires aguerris qui ont été disséminés tout le long du parcours et qui n'ont pas l'air bien amusants. Il faut dire qu'on les a transformés en policiers municipaux ce qui est dégradant pour eux, reconnaissons-le tout de même. A chaque pas, la ferveur grandit. Il faut dire que les fêtes de Ianus Braïus sont réputées dans tout le monde romain et même au-delà, jusque chez les peuplades barbares. Donc forcément, les gens ne sont pas venus pour peigner la girafe ou le bouvreuil, l'écureuil, la fauvette... On y entend toutes les langues de l'empire, du celte au germain, en passant par le latin classique, le latin populaire plus abordable pour le commun des mortels quoiqu'un peu vulgaire et sujet à caution, du breton (le breton de la Bretagne) aux langues nordiques, slaves (quand ils peuvent) et hunniques (cas d'espèce). A certains moments, il y a des regroupements et des dispersions. Chacun fait le parcours un peu à sa guise. Donc, parfois, il y a des embouteillages et les légionnaires doivent intervenir pour rétablir la circulation. Le carrefour Rigault et l'accès à charbonnière sont deux points de fixation. Quant à l'orme Gâteau, où il n'y a rien à voir, les curieux affluent, par ce qu'ils ils croient qu'il y a une pâtisserie. Donc, au carrefour de charbonnière, il a été construit une estrade sur pilotis et pour cause, il y a un grand concert à la tombée de la nuit. Des bardes ont été invités, tels que les Tri Iani, des bardes armoricains qui marchent au Whisky, une boisson Picte ; Carolus Baudelarus, lui c'est plutôt un aède ; Georgius Brassinus, un barde venu du Sud de la Gaule. Après il y aura des jeux du cirque avec Alix Grussus. Après le spectacle, les plus courageux et il faut bien l'avouer ici bien humblement, les moins éméchés, se rassemble au Grand Carré pour voir les danseuses, notamment Adriana Bollanda, la Germanique et Elénaïs Bousacriachis, la Grecque. Ces deux là sont célèbres jusqu'à Rome où elles sont vénérées comme des déesses. Quant aux autres, ils dorment déjà, là où ils peuvent. Les plus riches sont allés à la gare pour chars des Aubraies. Maintenant la nuit est tout à fait installée. Il y a beaucoup moins de bruit et de monde. Les autorités ont fait procéder à la relève de la garde, ce qui constitue toujours un spectacle. Certains légionnaires, malgré la consigne, ont abusé du vin ou de la cervoise et ils ont "la gueule noire" comme on dit à Rome. Le passage de la 147 consigne est un peu difficile mais tout rentre dans l'ordre assez rapidement. Rejoignons, après ce court intermède, les fêtards confirmés, surentraînés, de vrais gladiateurs de la débauche. Ils sont à Coquille. Là, pour ceux qui sont encore conscients et propres sur eux, ont été montés des lupanars ambulants, un peu comme les BMC des militaires de nos jours. On les appelle des "Clos", pour maison close. Chaque personne qui entre dans un clos se voit attribuée un masque ou un foulard. En sorte qu'il est difficile de savoir avec qui on se livre aux plaisirs de la chair. Chaque clos a un nom. On y trouve donc : le clos de Bionne, le Clos de Champray, le clos de l'Arche, le clos de la Herse, le clos des Venelles, le clos du Castel, le clos Gobert. On a aussi installé de grandes latrines pompeusement appelées "Au Coin Buffet", pour dire qu'on peut, à cet endroit évocateur, évacuer ce qu'on a dans le buffet. A la sortie, pour celles et ceux qui le souhaitent, on peut se laver et se parfumer à la fleur d'acacia, au bleuet, à la bruyère, au coquelicot, à l'érable, au genêt, à la marjolaine, au muguet, à l'oeillet, au pin, au romarin et même à l'eau de rose et tant et plus qu'il y a de parfums différents et délicats, subtils et agréables. Et il en faut du parfum pour atténuer un tant soit peu l'odeur nauséabonde qui exhale de deux grandes fosses pourtant éloignés de Coquille, à savoir la fosse Belaude et la fosse Goujon où l'on collecte dans des citernes tous les produits des déjections humaines et animales produites pendant ces trois jours de fête, sans compter les eaux usées. Et nous ne sommes, au lever du jour, qu'au tout début du deuxième jour des fêtes de Ianus Braïus... 148 Par Sophie Gonzalbes Ader ? Présent, m’sieur Ferry Allende ? Présent ! Apollinaire ? Présent ! Aragon ? Présent ! Brassens Présent ! Camus ? Présent ! Césaire ? Présent ! Churchill ? Présent ! Daudet ? Présent ! Debussy ? Présent ! Eiffel ? Présent ! Fitzgerald ? C’est un fille, m’sieur ! Oui, j’oubliais. Genevoix ? Présent ! Jaurès ? Absent ! Pourquoi cela ? Mort, une balle perdue m’sieur. Soit. Kennedy ? Pareil. Bon. Laurencin ? C’est une fille, m’sieur, vous savez bien qu’elles sont avec m’sieur Lamartine, elles répètent les poésies pour les fêtes. ← Hum. Mendès ? ← Présent ! ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← 149 Molière ? Présent ! Nobel ? Présent ! Newton ? Présent ! Pagnol ? Pas là m’sieur, l’est chez sa mémé avec Cézanne. Péguy ? Présent ! Picasso ? Il est puni m’sieur. Pourquoi cela ? Il a taggé les volets de l’école pendant la nuit avec Ravel. Ils ont dessiné plein de taureaux. ← Soit … ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← ← Robespierre, Rochefort, Rousseau, Schumann, Schweitzer, Voltaire, Zay, ils étaient tous là, en rang par deux, ces petits que l’instruction publique et la providence m’avaient confiés. Ces bons enfants, du lundi au samedi, je me devais de les instruire, toute l’année, sauf au cours de ces sacro saintes fêtes de Janus Brayus qui débutaient ce jour-là. Trois jours de festivités, de beuveries et d’excès auxquels ces âmes pures allaient être malgré moi mêlées. En bon capitaine, ce matin-là, je passai ma petite troupe en revue. La journée allait être longue. Elle débuta par un défilé de bateliers rue de Verville. Les enfants, des bouquets d’aubépines, de bleuets, de marguerites et de roses dans les mains furent rassemblés place de la Bastille saint Loup, un bonnet phrygien sur la tête pour accueillir ces soiffards comme il se devait, en chantant « boire un petit coup c’est agréable, boire un petit coup…. ». Spectateurs, leurs parents bavaient d’admiration devant ces écoliers ignares. Je revis l’Emile, le grand Coquille, Gueule noire et même celui que j’appelais encore le p’tit Vomimbert, alors qu’il était trois fois papa. Ces pères de famille, avec leurs airs ahuris de saumons de Loire, avaient été mes élèves autrefois. Qu’étaient-ils devenus ? Des Janus Brayens épris de Porto qui troussaient les filles à n’en plus pouvoir, au point que le cimetière des premières amours avait dû fermer ses portes faute de place. Enfin… Après la cérémonie des bateliers, ce fut près du petit bois que ce poursuivirent les festivités. Le puits de ville, comme chaque année, allait être béni. Le père Grouette, sorti exceptionnellement de son église, psalmodia ses « Croix de Haies », « Croix de Pierre » aux noms de saint Lyé et sainte Marie. Ensuite il orna sa tête de 150 cornes de cerf et, tel un indien, se mit à danser autour du fameux puits. Là, devant une foule en liesse, dans ce grand champ, l’ecclésiastique lança ses grotesques incantations : « Vigneron ! Sors de ce puits, Electra ! Sors de ce puits, Fausse Goujon ! Sors de ce puits, Gradoux ! Sors de ce puits Godde ! Sors de ce puits… Au mot Godde, l’assistance fut prise d’une sorte de hoquet. L’incantation se poursuivit « Grouette, Guignegault, Rameau, sortez ! Sortez ! Sortez ! » Du puits, devenu fontaine, jaillit enfin en un puissant jet, un liquide rouge, odorant, aux accents de violettes et de tilleul. Un cru exceptionnel, une merveille qui allait, trois jours durant, saouler tous les Janus Brayens. Le nectar du puits de ville se déversa sur la promenade du front de Loire puis place de la République. Le vin, car c’était du vin, se répandit aux pieds des tilleuls, des cèdres et des châtaigniers, il envahit la ville et même l’air. Jusque dans les cieux protecteurs de la cité, on vit les mésanges, les hirondelles et même les morts, se délecter de ce doux breuvage et participer comme il se devait aux mémorables fêtes de Janus Brayus. 151 Par Christophe Huguet Aux trois jours de la fête de Janus Braillus, on associe trois clefs. Le premier jour, le maire donne la première clef de la ville aux Bons Enfants. Montés sur des chars multicolores, de l'église à la mairie en passant pas la gare, ils parcourent les rues en chantant et jouant. De tous âges, collégiens, écoliers ou bébé en grenouillère, ils insufflent à tous, joie innocente et débordante énergie, qu'il pleuve ou qu'il fasse beau soleil. Le clou du spectacle est un lâcher d'oiseaux aux quatre vents, près du petit bois : un étourneau, une fauvette, une hirondelle, un martinet, une mésange, un oiseau de paradis et une colombe, tels sept anges en ciel. Le deuxième jour, on honore les travailleurs en offrant la deuxième clef de la ville au Conseil des Guildes Abraysiennes. Le long des trottoirs, les artisans présentent leurs œuvres. Aux passantes, les charpentiers montrent leurs biceps et les bouchers, leurs gigots. Les égoutiers se font discrets au coin buffet. Les gueules noires se récurent un peu à la fontaine. Le gris meunier vante sa farine, criant depuis son moulin. Les vignerons picolent du porto. Les savonniers parfument les ruelles de violettes, de roses, de cèdre, de romarin et de sarriette. Les paysans font des concours de binoche. On les voit bêcher du matin au soir dans la clairière. On les entend ronfler, quand la nuit tombe, allongés dans les chaumes et les coquelicots. Le troisième jour, la dernière clef revient aux Anciens. C'est le jour des raconteurs d'histoire de quand c'était mieux, à leur époque, dans l'temps. Un œillet, un bleuet, un brin de muguet ou un rameau d'olivier à la boutonnière, ils racontent la guerre, puis la paix, le retour de la République et de la liberté. Assis sur une roche ou un banc en châtaignier, à l'ombre d'un peuplier, d'un érable, d'un saule, d'un noyer, d'un pin ou d'un bouleau, ils racontent pour ne pas oublier. 152 La fête de Branus Varius Par Harry L Ah ! Si vous aviez vu comme c’était beau la fête de Branus Varius ! D’abord, c’était les seuls jours où l’on autorisait la mixité des enfants avec les jeunes, les adultes et les moins jeunes. Toute distinction de classe était abolie: à l’aide des trois clés, on ouvrait les portes des trois quartiers de la ville pour que pauvres, riches et sans emplois puissent s’amuser et se distraire trois jours durant. Les festivités étaient nombreuses et variées. En premier lieu, il y avait le concours du plus beau bouquet. Comme les autres Abraysiens, je voulais que SaintJean de Braye remporte le concours de la ville la plus fleurie en cueillant des fleurs d’aubépine, de bruyère, de coquelicots, de framboisiers, de marguerites, de tilleul, de violettes, de romarin, de bleuets, muguet, roses, oeillets. En passant par le petit bois, au milieu des genêts et des fougères, au beau soleil du 8 mai 1945 - Ou était-ce le 19 mars 1962 ? - entre les bouleaux, les cèdres bleus, les châtaigniers, les érables, les noyers, les ormes, peupliers, pins, tilleuls, les acacias, les poiriers, les saules, … qui entouraient la clairière, près de la fontaine ou du puits de ville, nous remontions la rue du clocheton pour nous rendre sur la place de l’église, près de la mairie. Là, le capitaine Jean, juché sur le pont bordeau, tentait de décerner le prix du pot vert, dans lequel pourrait trôner le plus bel ensemble floral. Bien sûr, dans cette quête endiablée, il fallait éviter la désagréable allée des (M)oucherons, la dangereuse place saint Loup et la peu recommandable rue de la Feularde. Si soudain la faim nous tenaillait, il suffisait alors de faire un tour par le petit bois, où l’orme gâteau, près du fournier, nous tendait ses fruits blonds et savoureux. Et pourquoi pas faire un détour par l’auberge du Grand Coquille pour déguster la célèbre omelette idoine truffée à l’escargot. Pour finir, nous pouvions visiter les vergers et nous régaler aux dépens des nombreux poiriers ou mûriers. Du côté des moulins, celui du moulin Pinault et celui du moulin Jean, près du chemin de halage et de la gerberie, se tenait un autre concours, celui du meilleur vigneron. Après un porteau, si nous n’étions pas encore tout à fait Souls-las, et si nous souhaitions encore profiter pleinement de ces 3 jours exceptionnels, nous pouvions encore parcourir, selon « mon désir », toutes les venelles, allées, chemins, rues, ruelles, clos, places, impasses, sentes, boulevard ou mêmes avenues de la commune, sans oublier sa « tangentielle » ! Au passage, c’était ainsi l’occasion de 153 saluer le boucher, les écoliers, le charpentier, les collégiens, les vominberts (« veaux Mimbert »), les gueules noires, les frères Voisin, les bons enfants, les égoutiers, les gris meuniers, le général Leclerc ou bien encore le chevalier de Louville. Nous en profitions aussi pour emprunter la promenade du front de Loire, pour bénéficier du bel air et de la bellevue, et voir s’envoler quelques nuées d’étourneaux, de mésanges charbonnières, de fauvettes, de martinets, d’hirondelles … ou bien encore admirer les illustres artistes de la ville animer le concours d’aquarelles, de sculpture, de pièce de théâtre, de nouvelles ou de morceaux de musique enlevée … ou simplement recouvrer notre liberté ! 154 Par Chantal Leraître Les délires de Janus Brayus ont lieu tous les dix ans, le premier de janvier, et durent trois jours pleins. Trois jours durant lesquels les trois mondes se rejoignent, les trois clefs ayant, exceptionnellement, ouvert toutes les portes de la ville… Comme tout événement rare, chaque célébration se doit d’être sans égal et se donne pour défi de faire oublier la précédente qu’elle éclipse de ses trouvailles. Quelques traditions incontournables ouvrent les festivités et lancent le délire et la liesse frénétique qui laisseront les participants, pantelants, exténués et ravis, soixante-douze heures plus tard. D’abord certaines conditions, inchangées depuis les origines, s’imposent lors des fêtes janesques : Beau Soleil, Bel Air, Belle Allée, Bons Enfants et Gay Lussac Saint Emilion, avec un coup de Mistral le deuxième jour, et l’Etoile du Nord brillant de tous ses feux, la première nuit. Le premier jour a lieu le défilé de mise en jambes… Janus, sur son Char, immense personnage grotesque et inquiétant tient de la main gauche la traditionnelle clef et de la droite les non moins indispensables verges… Il semble dévisager les habitants, massés sur le passage de l’interminable cortège, de son double regard inquisiteur. Les Ecoliers et les Bons Enfants, armés de Martinets, encadrent le Char et foncent dans la foule fouetter tous ceux qui, honteux, détournent la tête ou baissent les yeux au passage du dieu figuré. Rappelons que, selon la légende, Janus ouvre la porte de la décade nouvelle, fermant au passage celle qui vient de s’écouler. Suivent les confréries des Vignerons, puis des Bouchers, Hélène en tête, des Charpentier(s), guidés par Marc Antoine, Dezarnauld(s), conduite par Pierre, Descartes dont René est devenu l’unique représentant, des Egoutier(s) toujours un rien trop parfumés, des Gueules Noires et des Charbonnière(s), plus noires que jamais et enfin des Veneurs à la trompe de chasse soigneusement accordée en ré, qui sonorisent avec enthousiasme l ’ensemble du défilé. Chaque membre des différentes confréries sort, pour la circonstance, sa meilleure tenue d’apparat. Dignité de l’allure mesurée, étoffes richement colorées et souvent chatoyantes, coiffes emplumées, colliers de confréries donnent à l’ensemble une gueule et un panache incomparables… 155 Viennent ensuite les Frères Lumière et les Frères Voisin, évidemment renouvelés à chaque fête, nippés, coiffés, briqués comme jamais. Ces deux familles brayotes, sont connues de la contrée entière, puisqu’elles reçoivent régulièrement le prix Cognac, depuis six décennies au moins, tant les mères en sont fécondes. La Rose et la Violette, en leur temps, la Marguerite et la Marjolaine, ensuite, leurs belles filles, maintenant, mettent tout leur cœur et un peu de leur corps à renouveler la population du bourg. En moyenne, dans chacune de ces familles, on compte un Brayot tous les six mois, grâce aux jumeaux et aux quintuplés occasionnels…. Tout va bien ! L’avenir est assuré. Plus nonchalants et décontractés, les délégués de la Mairie, de l’Hôtel de Ville et de L’Eglise papotent et rient en envisageant déjà la suite des festivités….. Il faut préciser que le défilé de l’Orbette aux Oucherons, terminé, tout le monde se retrouve à La Fontaine qui jouxte le Puits de Ville, près du Coin Buffet où la ripaille peut commencer. On y déguste la célèbre omelette aux escargots et à la Sarriette du Grand Coquille et les incomparables pâtisseries de Le Nôtre. Les libations se font surtout au vin, longuement maturé des Mûriers, des Framboisiers et des Groseilliers . Le fameux Gris Meunier coulant à flots aromatisé pour la circonstance à la Violette et au Coquelicot est à l’origine de quelques somptueux maux de crâne. Les plus argentés se délectent du Gay Lussac Saint Emilion, qui, il y a encore vingt ans enivrait tous les participants, sans distinction. N’est-ce pas, Louis Joseph, tu t’en souviens, toi qui t’y Soulas une fois sans vergogne ? Mais, que voulez-vous, la crise est passée par-là, mon bon Monsieur !!!!!!!! La nuit venue, le feu d’artifice enchante Etourneaux, Bouvreuils, Fauvettes, Martinets, Villeserins et autres Hirondelles. Donné sur la Promenade du Front de Loire, il épate même les Saumons (de Loire) …. (A la quarante-cinquième heure, plus de rues ont été citées que d’heures ne sont passées !) Mais tout cela n’est jamais que le début descriptible des festivités. Il faut participer à la suite pour bien réaliser….. 156 Ecoutez mes anges Par Christiane Noisette Ecoutez mes anges. A l’âge que vous avez, les roses de vos joues brilleront face aux gueules noires qui éructeront par dizaines des rots marins aux relents de chaumes bus au coin du buffet. Sous la haute croix de pierre, au fond du jardin, vous trouverez les trois clefs qui vous permettront d’ouvrir la malle voisine à celle cachée sous les poiriers. Petite nous, les filles, enfilions dès le matin du premier jour les grenouillères de coutume et allions comme vous allez le faire y passer trois jours fous. Cette fête au petit bois est la plus belle. Allez sous le beau soleil mes bons enfants écouter le bel air de mai qui vous attire aux quatre vents. Courez vite à la fontaine rafraîchir votre écharbeau afin que beau soit votre char. Ne prenez pas racine. Le temps presse. Le vin coule déjà à flots. Chantez mes petits étourneaux un do dès que vous serez prêts. Je vous mènerais à la mairie en évitant les venelles bouchées par les branches de pins et de cèdres tombées lors de l’orage. Mais surtout ne touchez en aucun cas au pot vert placé sous l’arche du pont bordeau que les vignerons vous proposeront ou la paix de votre âme vous quittera. C’est de l’alcool à base d’écailles de saumons de loire produit au moulin électra. Il est très néfaste pour la vie en devenir. Croix de haies et hautes croix, si je mens adieu le paradis et la liberté mais bonjour le puits de ville où je me jetterais. Des cartes aussi on vous proposera. Mais jamais aucune, hélas, n’a répondu à mon désir. Dans des glacières aussi vos mains vous plongerez. Au choix des brillants arcs dorés ou des vers d’un framboisier habité par les martinets rieurs du matin. Ne vous laissez pas avoir. Ne regardez pas non plus les lignes au pied de la clairière autrement des cornes de cerf sur vos épaules pousseront. Véridique. Je les ai vus autrefois quand soufflait fort le mistral sur la cape du noyer des grands champs de marguerites. Attention aussi mes enfants, car sous ses airs de collégien, le père Gaud ira jusqu’à vous demander une danse. Dans ton allure d’écolier, petit rameau de mon coeur, il croira voir son idole. Refusez ! Refusez tout mes amours ! N’oubliez pas que, de ces trois jours de fêtes dans cette ville sans vertu du nom de Janus Brayus, il n’en résulte jamais rien de bon. Que nos têtes blondes, malgré toutes mes craintes, s’amusent bien sans nier le futur qui les attend. 157 Les Trois Glorieuses Par Régine Paquet Comme chaque année, la réunion du conseil de préparation des Trois Glorieuses promettait d’être animée. Ambert et Armstrong, en qualité de tête de liste, avaient pris les opérations en main. Je suggère, pérorait Ambert du haut de son mètre soixante deux, que nous semions à tout vent, dès l’aube du premier matin, des bleuets, des coquelicots et des marguerites, en plastique bien sûr. - Et des violettes, renchérit Armstrong, pour leur parfum subtil. - Vous avez du plastique parfumé ? Ironisa Franklin, ce qui coupa la chique à Armstrong. Mais Ambert vola au secours de son comparse: - Belle idée d’associer au bleu, blanc, rouge, le violet du souvenir. Des bouquets de violettes seront donc accrochés aux rameaux des acacias, des bouleaux, des tilleuls, des saules et de.... Danton l’interrompit sans cérémonie avec sa fougue habituelle: - Bon ça c’est pour la décoration mais pour les actions, qu’est-ce que vous proposez ? Moulin et Zay approuvèrent la question: - Oui, qu’est-ce que vous proposez ? Ambert eut un sourire de satisfaction en déclarant: - Un lâcher d’oiseaux. - Des vrais ? Vivants ? , demanda Franklin d’un air effrontément naïf. - Palsambleu, bien sûr! Tonna Ambert. Les bons enfants du privé et les écoliers du public ouvriront les portes de la grande volière communale pour libérer les oiseaux. Le ciel sera alors sillonné de bouvreuils, d’étourneaux, de fauvettes, d’hirondelles, de mésanges et... Schuman mit fin à l’envolée d’Ambert en ricanant: - Vous êtes bien bucoliques cette année, messieurs. Churchill rugit en lieu et place d’Ambert et d’Armstrong:- Notre commune est avant tout bucolique et le restera. Un profond silence accueillit cette remarque. Armstrong en profita pour continuer: - Le deuxième jour les festivités seront nocturnes. Un cercle d’ampoules de faibles ampères - économie d’énergie impose - symbolisera un beau soleil accroché à la croix des haies dans la clairière. Des remarques fusèrent: - Non, mettons-le sur le clocheton- Pas du tout ! Il faut le suspendre à l’arche - Vous n’y êtes pas ! C’est à la herse qu’est sa place. Pardon, la glacière qu’il réchaufferait serait mieux indiquée... 158 Chacun y allait de son envie. Danton gueula: - Ce sera à l’église. Tous approuvèrent. - Je suggère pour ma part, glissa Satie qui n’avait jusqu’alors rien dit, de fabriquer aussi une grande étoile du nord que l’on hisserait au sommet du moulin. Personne ne le contredisant, on en conclut que l’idée était adoptée. Ambert reprit la tête des opérations en soulignant que la boisson était indissociable de la nuit et de la lumière. On s’étonna de la formule mais on approuva le contenu. - Du bon gris Meunier coulera à la fontaine et dans le puits de ville toute la nuit en lieu et place de l’eau. Voilà qui devrait nous rallier les vignerons, s’esclaffa Armstrong qui n’était jamais le dernier pour lever le coude. - Bien et qu’en est-il du troisième et dernier jour ? S’enquit Montesquieu qui aurait aimé planter des arbres de la liberté et de mondésir aux quatre vents de la commune. On perçut un flottement dans l’air, un temps suspendu d’indécision. Que faire pour clore sans gueule noire ces belles journées ? (Gueule noire est une expression janusienne équivalant à gueule de bois). Diderot sortit de sa légendaire léthargie pour crier: - Des chars! Il nous faut un défilé de chars. L’idée séduisit toute l’assemblée et chacun d’y aller de son couplet. - Un char couvert d’ardoises. - Non, ce serait d’un sinistre. Un char couvert de chaumes. Restons bucoliques. - Vous oubliez le char des trois clés.... Avant que les échanges ne dégénèrent Ambert intervint et mit fin au débat: Vous avez tous raison. Nous ferons défiler différents chars qui partiront dans des directions opposées avant de se réunir sur la place du marché. L’un passera par les venelles, un autre par la tangentielle, un autre par la sente et un autre encore par la promenade du Front de Loire. Armstrong donna le signal des bravos. Tout le conseil debout battit des mains pour célébrer ce nouveau programme de festivités en l’honneur des Trois Glorieuses de Janus Brayus. Les trois glorieuses, que Rabelais évoquerait un peu plus tard dans son Gargantua comme l’une des plus étranges et anciennes fêtes de la région Centre. 159 Janus Brayus Par Julie, une fillette de 10 ans (Chantal Richer) Grand’père m’a raconté les festivités qui avaient lieu autrefois à Janus Brayus pendant trois jours à l’occasion de la grande foire annuelle : Le premier jour se déroulait la foire aux arbres et aux plantes dans différents lieux de la commune tels l’allée des acacias et celle des catalpas. Un peu plus loin, au croisement de la rue des peupliers et de la rue des bouleaux se trouvait tous les ans, le père Bruyère, pépiniériste de père en fils depuis quatre générations, installé rue des tilleuls et ami de mes grands-parents qui résidaient depuis longtemps allée des roses. Il proposait de tout, de l’aubépine, du romarin, des bleuets, des cèdres, des châtaigniers, des érables, des genêts…….. Le deuxième jour était consacré à la foire aux oiseaux dans les allées des étourneaux, et des fauvettes. On pouvait trouver des oiseaux de toutes sortes, des martinets, des mésanges et même des hirondelles. Il paraît qu’une année, un perroquet s’est échappé et qu’il n’a été rattrapé par un promeneur que deux ans après, sur le chemin des écoliers, près du sentier de l’orme aux loups. Il disait sans cesse, « Jacob, Jacob », mais on n’a jamais su s’il cherchait son copain Jacob, ou s’il voulait rejoindre son ancienne demeure de la rue Max Jacob. Le troisième et dernier jour, avait lieu allée charpentier, une exposition présentée par des artisans locaux et des peintres dont les tableaux ressemblaient d’après Grand’Père à ceux de Vincent Van Gogh et de Claude Monet. Suivaient ensuite, la fête foraine puis le banquet servi en soirée au coin buffet et bien arrosé de gris meunier. On dansait ensuite place du noyer jusque tard dans la nuit, et les amoureux se retrouvaient tous promenade du front de Loire jusqu’au petit matin. Grand’père s’en souvient en souriant ; je crois bien qu’il y allait avec mamie Colette ! 160 Par Jean-Jacques Richer Sur les conseils du chevalier de LOUVILLE et moyennant quelques menues monnaies (MONET), j'ai réussi à sous-louer une chambre mansardée à un collégien de Monod à l'auberge de Saint-Loup pour pouvoir participer sans retenue aux festivités de Janus Brayus car comme chacun le sait ici, quand le gris meunier coule, il n'y a pas que pierre qui roule … Je suis agréablement réveillé ce matin par la musique lointaine d'une chanson que j'ai déjà entendue hier soir à l'auberge. Si j'ai bien compris le cabaretier alsacien, qui n'en était pas à son premier verre, il s'agirait de « Aubraies de ma plonde ». J'ouvre ma fenêtre et découvre, se dirigeant vers le port Saint Loup, un cortège formé de plusieurs groupes défilant bons enfants. Celui qui entonne cette chanson est formé de conscrits qui arborent un bleuet à la boutonnière, un coquelicot à la poche et portent une couronne d'aubépine. Suivent les chars (René Char), composés uniquement de fleurs naturelles et réalisés avec la participation de l'atelier Art Menault (Armenault). Ce défilé se dirige vers le port de Saint Loup et ses participants prennent place sur le pont et de chaque côté du canal. Sur le canal, les jouteurs se mettent en place afin de se livrer à des tournois sans merci qui dureront jusqu'à la nuit tombée. Sur la proue de l'une des embarcations dont le barreur est natif de Soissons, on peut lire vers l'Aisne (Verlaine) tandis que sur la proue de cette autre est gravée cette devise : Maurice, je ne vois rien venir ! (Maurice GENEVOIX) sans doute car les rameurs sont tous aveugles … Les affrontements se succèdent, entrecoupés de démonstrations de plongeons, du haut d'un plongeoir en bois pas peint (Papin) échafaudé par un certain M. Charpentier. Le long du chemin de halage, les odeurs de friture se mêlent à celles plus subtiles du saumon de Loire au romarin cuisiné dans les échoppes des cabaretiers et autres taverniers ayant quitté pour l'occasion la place du marché. Tous ces « coins buffets » rivalisent d'imagination pour attirer le client. Celui-ci propose des brochettes de cuisse de bouvreuils aux racines d'érable et au miel de bruyère ; celui-là des étourneaux providence servis avec des groseilles dans un pot vert … La foule se presse à l'affût d'un mets original et gouleyant sous ce beau soleil. 161 « Tu Connais la Nouvelle ? » - Décembre 2011 Retrouvez l’ensemble des textes écrits par les jeunes, adultes et seniors sur le site internet de l’association http://www.tuconnaislanouvelle.fr/ rubrique : Les Pôles de nouvelles => En 2011-2012 : le pôle de Saint-Jean de Braye 162
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