Article Quotidien rue Desbassyns Sainte-Marie 1
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Article Quotidien rue Desbassyns Sainte-Marie 1
12 > SOCIETE Le Quotidien de la Réunion - mardi 04/06/13 SAINTE-MARIE Et sous la rue Desbassyns coule un canal La partie souterraine d’un canal en pierre taillée reliant la rivière des Pluies (depuis l’îlet Quinquina) jusqu’aux terres fertiles de la plaine de Gillot a été mis à jour lors d’un chantier d’installation d’un collecteur d’eaux usées rue Desbassyns. L’association « Coup de main » et l’historien Laurent Hoarau défendent ce vestige patrimonial « extrêmement rare » qui alimentait en eau le site de la Vierge noire. « Ce canal était connu par la population, mais il est tombé peu à peu dans l’oubli, au point d’arrêter de couler sans que cela n’émeuve personne ». Jean-Michel Pounoussamy, président de l’association « Coup de main » a du mal à s’en cacher, la mise à jour d’une partie d’un canal d’irrigation souterrain par une pelle hydraulique de l’entreprise qui réalise actuellement un chantier de réhabilitation des rues Desbassyns et Médard, va sans doute permettre de poser sur la place publique le problème de la restauration de ce canal, qui n’est pas qu’un vestige patrimonial, puisqu’il alimentait jusqu’en 2011 le site de la Vierge noire (lire ci-contre). C’est en creusant une tranchée sur le côté gauche de la chaussée (en se rendant à la Grande-Montée) que les ouvriers ont mis à jour un canal souterrain en pierre taillée, qui traversait de part en part la petite rue Desbassyns. Comme c’est la règle en cas de découverte archéologique, une partie de ce chantier (destiné à la mise en place du tout-àl’égout, d’un réseau d’eau pluviale et de l’enfouissement des divers réseaux EDT et téléphone) a été stoppé sur une dizaine de mètres, le temps que l’expert de la Dac-OI (direction des affaires culturelles océan Indien) ne se rende sur place pour examiner les lieux et établisse un rapport. Des sondages archéologiques ont été faits par l’entreprise pour éviter de causer d’autres dégâts, confirmant que le canal passe bien sous la route. Réhabiliter le canal Le chantier de réhabilitation de la rue Desbassyns a mis à jour ce canal souterrain « extrêmement rare », selon l’historien Laurent Hoarau. On l’a dit, ce canal est tout, sauf une découverte pour les riverains, même s’ils ne soupçonnent pas forcément l’intérêt archéologique de l’ouvrage. Benjamin Damour et Thierry l’intérieur de la maison, des roues dentées installées comme élément de décoration témoignent du passé de cet ancien site industriel. Un intérêt archéologique L’eau quitte le canal souterrain et entre dans une buse visible depuis le terrain de Benjamin Damour. Couder habitent de part et d’autre de cette rue Desbassyns, respectivement aux numéros 27 et 42. Le premier nommé habite dans le quartier depuis... « soixante-dix ans », dit fièrement le gramoune. Une petite partie de son terrain est longée par une portion du canal, là où justement l’eau quitte l’ouvrage en pierre taillée pour finir de cheminer dans une buse. Benjamin Damour se souvient que l’eau « s’est arrêtée de couler il y a un an et demi », sans qu’il sache vraiment pourquoi. Cette eau, il sait qu’elle va ensuite « vers la Vierge noire », mais qu’elle sert aussi « à irriguer des terres de Monsieur Lagourgue ». De l’autre côté de la rue, Thierry Couder habite une maison à l’intérêt architectural indéniable. Et pour cause, « c’est une ancienne petite usine à sucre, transformée ensuite en moulin à maïs ». A l’entrée de la case, un lourd tuyau en fonte témoigne de l’ancienne activité du moulin à maïs. « L’eau arrivait par un canal aérien (qu’on retrouve à l’arrière de sa case et sur plusieurs autres parcelles, NDLR) et tombait du toit, pour faire tourner une roue à aubes, qui n’existe plus aujourd’hui ». La taille du bassin témoigne de ce passé. Lui aussi est catégorique, l’eau coulait encore il y a « un peu plus d’un an et demi. On entendait une cascade qui tombait dans le bassin où on trouvait des poissons et des crevettes. Des anciens disent même qu’on a pu y trouver des camarons. C’était agréable et ça couvrait les bruits de la rue ». A Compte-tenu de l’urbanisation dans ce secteur de SainteMarie, il n’est guère possible de suivre ce canal, qui fonctionnait donc encore correctement jusqu’en 2011. Mais il est connu, et pas seulement des riverains. Laurent Hoarau, historien, qui intervient auprès de l’association « Coup de main » sur la réhabilitation de la cave Desbassyns et plus largement sur un projet de « circuit sur les traces de la famille » (voir ci-dessous). « La prise d’eau de ce canal se situe à l’îlet Quinquina, dans la rivière des Pluies, explique-t-il. Le canal est connecté au moulin à maïs et servait à irriguer une partie des terres Desbassyns et poursuivait sa route vers le site de la Vierge noire et aussi vers la plaine de Gillot ». Laurent Hoarau le dit sans détour, ce canal a « un intérêt archéologique indéniable, car ce type d’ouvrage en souterrain est très rare dans l’île, surtout en milieu rural. C’est la deuxième réalisation connue de ce type avec le Grand-Pourpier dans l’Ouest. On retrouve aussi la même logique dans le canal souterrain au Seuil de Bellepierre à Saint-Denis, mais on est dans un milieu urbain ». Le fait que le canal ait été Laurent Hoarau « sur les traces des Desbassyns » Jean-Michel Pounoussamy, Laurent Hoarau et les adhérents de l’association « Coup de main » travaillent depuis maintenant plus de deux ans sur la réhabilitation d’une cave ayant appartenu à la famille Desbassyns et dont les vestiges ont été retrouvés sur le site de l’école... Desbassyns. « Cette cave était connue de tous les marmailles qui fréquentaient l’école, explique Jean-Michel Pounoussamy. Les marmailles y ont joué et certains, m’a-t-on raconté, y ont brûlé leurs cahiers ou leurs bulletins scolaires », ri- gole-t-il. « C’est dans les années 80 que la mairie a décidé de boucher l’accès et de sécuriser les lieux, car c’était dangereux. » Laurent Hoarau rappelle que « tout le quartier de Desbassyns, comme son nom l’indique, et tous les hauts de la Rivière-des-Pluies, ont été marqués par l’empreinte des Desbassyns ». Pas de la fameuse Madame Desbassyns, mais de ses descendants. Un patrimoine à découvrir Jean-Michel Pounoussamy et Laurent Hoarau (à dr.) devant l’entrée de la cave Desbassyns en cours de réhabilitation. C’est d’ailleurs, selon l’historien, lorsque la famille a quitté le quartier pour se recentrer sur ses terres de l’Ouest que la « grande maison » autour de laquelle tout gravitait a périclité. Elle a disparu totalement au fil des démolitions « vers 1913 ». Selon Laurent Hoarau, il faut « imaginer sur ce site une maison de l’importance de celle située à Villèle ». Rien d’étonnant à ce qu’on trouve dans tout le quartier des vestiges et des objets ayant appartenu à la famille. L’association « Coup de main » a d’ailleurs souhaité que deux pièces assez importantes retrouvées sur le site de la mairie du centre-ville reviennent sur Desbassyns. Car, petit à petit, la cave est réhabilitée sur un site destiné à plus ou moins court terme à accueillir du public. L’entrée de cette cave a été bien isolée et une porte en ferronnerie a été réalisée « selon certains documents d’époque et la mémoire orale des anciens ». Une porte faite de chaînes – dont certaines trouvées sur place – et qui porte la mention « prison ». « A chaque fois qu’on interroge les gens dans le quartier, c’est le mot qui revient, prison, prison... » précise Laurent Hoarau. L’historien avoue toutefois avoir du mal à faire le distinguo « entre les récits historiques qui concernent le quartier de Desbassyns et tout ce qui a été dit et répété sur la famille Desbassyns dans toute l’île ». Le risque d’amalgames dans la mémoire collective est de toute manière inhérent à la transmission orale. Sur place en tout cas, le chantier avance. « L’étanchéité de la cave et sa déshumidification ont été réalisées, l’eau s’évacue normalement, indique Jean-Michel Pounoussamy. Il reste à réaliser le toit sur l’escalier d’accès à la cave, sans doute en bardeaux ». Parallèlement, la mairie a rehaussé le mur qui isole la partie « historique » de la cour de l’école. La cave s’étend d’ailleurs « en partie sous cette cour », dit le président de l’association. C’est en s’appuyant sur cette cave mais aussi le canal et ce qui reste de vestiges dans le quartier que Laurent Hoarau et Jean-Michel Pounoussamy montent un projet qui devrait voir le jour pour « les prochaines journées du patrimoine, les 14 et 15 septembre. Nous souhaiterions proposer un circuit “ sur les traces des Desbassyns”, qui permettrait de comprendre et de donner un sens à l’urbanisation de ces quartiers de Desbassyns et de la Rivière-desPluies ». Et de rappeler qu’avant l’urbanisation plus ou moins sauvage des mi-pentes, « les cases et les terrains étaient tous, comme les autres propriétés Desbassyns dans l’île, exposées plein Nord ». Pour mener à bien son projet patrimonial, « Coup de main » s’appuiera notamment sur « trois jeunes en CAE (contrat d’accès à l’emploi) qui travaillent sur la partie visite guidée. Ils ont notamment fait un stage d’immersion à l’office de tourisme intercommunal (OTI) du Nord ». Laurent Hoarau, lui, interviendra sur la partie historique. « Actuellement, les éléments sont isolés. Il faut les relier pour comprendre et donner un sens, permettre aux visiteurs de se reprojeter sur cette maison – dont on a conservé quelques “ souvenirs”, dessins, lithographie, description – et son environnement ».