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Jeudi 3 novembre 2016 20h
Vendredi 4 novembre 2016 20h
Strasbourg, PMC Salle Érasme
Marko Letonja direction
Charlotte Juillard violon
Belà Bartók (1881 – 1945)
Musique pour cordes, percussion et célesta Sz. 106
1. Andante tranquillo
2. Allegro
3. Adagio
4. Finale
►
Serge Prokofieff (1891 – 1953)
Concerto n° 1 pour violon et orchestre en ré majeur op. 19
1. Andantino
2. Scherzo (Vivacissimo)
3. Final (Moderato)
Claude Debussy (1862 – 1918)
La Mer, trois esquisses symphoniques
1. De l’aube à midi sur la mer
2. Jeux de vagues
3. Dialogue du vent et de la mer
Concert enregistré par Accent 4, la radio classique d’Alsace
La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile […]
Charles Baudelaire
27’
22’
23’
Belà Bartók
Musique pour cordes, percussion et célesta Sz. 106
Lorsqu’il compose sa Musique pour cordes, percussion et célesta, Belà Bartók est à
la fois en pleine maturité artistique et dans une période de réelle notoriété
internationale. En France et depuis 1919, ses collègues compositeurs du groupe des
Six (Tailleferre, Durey, Auric, Honegger, Milhaud, Poulenc) programment
régulièrement ses pièces. Il voyage hors de Hongrie : tournée européenne de
concerts en 1921 ; en 1927, il crée lui-même son Premier concerto pour piano à
Francfort sous la direction de Wilhelm Furtwängler ; en 1935 et 1936, il voyage en
Turquie pour y enregistrer et transcrire des musiques traditionnelles comme il l’a fait
plus tôt avec celles des folklores roumain et magyar ; en 1939, il donne une série de
concerts aux États-Unis avec le clarinettiste Benny Goodman.
Ce renom lui vaut d’obtenir régulièrement des commandes d’œuvres dont la
rémunération lui permet de se libérer des « contraintes » du métier de professeur de
piano et de se consacrer à celui de compositeur.
La Musique pour cordes, percussion et célesta fait partie de celles-là en 1936, à
l’instigation du généreux mécène et chef d’orchestre Paul Sacher, qui lui
commandera aussi la Sonate pour deux pianos et percussion en 1938 et le
Divertimento en 1939.
L’œuvre est harmoniquement et rythmiquement novatrice même si son titre n’en
valorise guère la richesse. En effet le célesta n’y est pas plus important que les
autres claviers impliqués, piano et xylophone. Rien n’indique non plus que l’œuvre
est en réalité écrite pour deux orchestres à cordes de taille identique qui se
répondent souvent, à la façon d’une antienne, les jeux de sons nourrissant
l’expressivité.
Le premier des quatre mouvements – Andante tranquillo – s’ouvre sur une lente
fugue jouée par les altos des deux orchestres qui va se développer et s’amplifier
avec toutes les cordes jusqu’à un point culminant marqué de percussion pour
redescendre sous les arpèges du célesta.
Le deuxième mouvement – Allegro – puise dans le matériau thématique du premier
mouvement et affirme des rythmiques martelées par le piano et les timbales dans
une danse à l’énergie irrésistible.
Le troisième mouvement – Adagio – est un « retour au calme », l’introduction de
xylophone installant d’emblée une ambiance troublante et extatique, entre
lamentation et musique nocturne. Le mouvement se poursuit avec des effets plus
marqués, nimbés du bruissement des cordes et du scintillement du célesta.
Le dernier mouvement - Allegro molto - adopte une forme que Bartók utilisera
souvent, une danse inspirée de thèmes populaires et s’emballant jusqu’à
l’exubérance. Une musique ardente et débridée, presqu’à l’opposé du portrait que
Paul Sacher donne de Bartók lorsqu’il crée l’œuvre en janvier 1937 : « il a
l’apparence extérieure d’un jeune boursier poli et réservé. »
Serge Prokofieff (1891 – 1953)
Concerto n° 1 pour violon et orchestre en ré majeur op. 19
Faut-il trouver un lien entre les qualités de pianiste de sa mère qui lui joue Chopin ou
Beethoven et les prédispositions de Serge Prokofieff ?
En tout cas, c’est elle qui décide de l’engager tôt dans une carrière musicale et de
l’orienter vers le Conservatoire de Saint Pétersbourg où il entre à 13 ans. Outre le
piano dont il deviendra un excellent soliste, il y travaille l’harmonie avec Liadov, la
composition avec Glière, l’orchestration avec Rimski-Korsakov et la direction
d’orchestre avec Tchérepnine. Excusez du peu !
Indépendamment de l’apport de ces maîtres (et du « fil à retordre » qu’il leur donne
du fait de son anticonformisme et de ses certitudes quant à son talent), Prokofieff
affirme très tôt sa volonté de s’affirmer comme compositeur : en 1902, il propose un
« opéra » pour enfants qui en inspirera un autre entre 1904 et 1907, Ondine ; en
1911/12, il écrit son Premier concerto pour piano qui sera honoré du prix Rubinstein.
Dans la même période, il participe aux soirées de musique contemporaine où il
présente ses premières œuvres et où il entend et découvre aussi Debussy et
Schönberg.
C’est dans ce maelström créatif que naît le Premier concerto pour violon et orchestre
vers 1915. Initialement envisagé comme un concertino, l’œuvre prit progressivement
des proportions et des ambitions plus imposantes. Sa composition achevée,
la première fut prévue pour octobre 1917 mais dut être reportée pour cause de…
révolution bolchévique. Il sera finalement créé en octobre 1923 à Paris sous la
direction de Koussevitzky.
Depuis lors, il n’a plus quitté le répertoire des grands violonistes. Pourtant ce n’était
pas acquis. Plusieurs violonistes, dont Bronisław Huberman, avaient refusé
d’apprendre ce concerto nouveau. C’est donc Marcel Darrieux, premier violon de
l’orchestre fondé par Koussevitzky, qui a tenu la partie de soliste. Le succès du
concert intéressa Joseph Szigeti qui travailla le Concerto et le popularisa ensuite
dans le monde entier.
Contrairement à ses Concertos pour piano qui sont souvent novateurs (et
surprenants pour l’auditeur de l’époque), les deux Concertos pour violon de
Prokofieff semblent d’une veine plus traditionnelle et le premier en particulier est
empreint d’un grand lyrisme.
La structure du concerto n’est pas conventionnelle puisque deux mouvements lents
encadrent un mouvement rapide.
Le Concerto s’ouvre sur un Andantino. La douceur rêveuse du premier thème
contraste avec la vigueur du second, propice à de beaux effets de virtuosité.
Avec le deuxième mouvement – Scherzo vivacissimo – on reconnaît davantage le
compositeur au travers de traits plus mordants et sardoniques, accentués par le
soliste qui joue par moments sul ponticello, c’est-à-dire au plus près du chevalet du
violon.
Le troisième mouvement – Moderato – revient à une ambiance lyrique puis gagne en
intensité et en virtuosité pour se conclure avec le rappel de la poétique rêverie
initiale.
Ce qui faisait dire au violoniste Szigeti que ce Concerto était un « mélange de
naïveté de conte de fées et de sauvagerie audacieuse ».
Claude Debussy
La Mer, trois esquisses symphoniques
Anticonformiste, Claude Debussy ne l’était pas moins que son confrère russe,
Prokofieff. Il y ajoutait une bonne dose d’indiscipline. Devant Lavignac, son
professeur de solfège, il refuse d’admettre la légitimité de l’expression « mesure
composée » : « composée de quoi ? » demande-t-il du haut de ses 13 ans. En
classe de piano avec Marmontel, il refuse fond et forme de l’enseignement de ce
professeur pourtant réputé qui dira de Debussy qu’il « aime la musique plus que le
piano ». La sévérité de cette appréciation est confirmée par le compositeur Ambroise
Thomas, alors directeur du Conservatoire, qui prétendait vouloir « mater l’indiscipline
de cet élève trop doué ».
Prix de Rome en 1884, il vit son séjour à la Villa Médicis à contre cœur. De retour à
Paris, il connaît ses premiers succès (Trois nocturnes en 1900). En 1902, le succès
« à scandale » de son opéra Pelléas et Mélisande confirme son statut de
compositeur en vue.
En septembre 1903, Debussy écrit à son nouvel éditeur Durand.
« Mon cher ami ; Qu’est-ce que vous diriez de ceci :
La Mer, trois esquisses symphoniques pour orchestre
I. Mer belle aux îles Sanguinaires
II. Jeux de vagues
III. Le vent fait danser la mer.
C’est à quoi je travaille d’après d’innombrables souvenirs et que j’essaie de terminer
ici… »
Debussy n’achèvera son chef-d’œuvre orchestral que deux ans plus tard et les
première et troisième parties gagneront alors leur titre définitif, De l’aube à midi sur la
mer et Dialogue du vent et de la mer.
La Mer est créée le 15 octobre 1905 dans une grande incompréhension. Debussy
veut « renouveler », et cela déroute même ses plus fervents admirateurs. A la
critique qui n’imaginait pas la mer « sonner » ainsi, Debussy rétorque : « vous aimez
et défendez des traditions qui n’existent plus pour moi. »
Effectivement, il « fait du neuf » et malgré le titre de l’œuvre, il faut se garder de n’y
entendre qu’une description pittoresque de la mer. Debussy fait un usage délicat
d’un orchestre pourtant imposant, construit des mosaïques sonores visant moins à
évoquer la mer elle-même que les sensations que celle-ci suscite pour qui l’observe.
Une ambiance plutôt qu’une image.
Dans sa forme, La Mer n’oublie pas la tradition française des symphonies en trois
mouvements (César Franck, Vincent d’Indy, Ernest Chausson). Mais dans son
matériau, la musique offre une souplesse et une malléabilité inédites : superposition
de thèmes et de rythmes dans une orchestration transparente ; aucune séquence
rejouée à l’identique ; nombreux changements de mesures et de tempos, comme
pour nous rappeler le caractère insaisissable, changeant et mystérieux de la mer.
Même si c’est la célèbre Vague d’Hokusaï qui figure en première page de la partition
originale, comment ne pas songer ici plutôt à Turner dont Debussy disait qu’il était
« le plus beau créateur de mystère qui soit en art » ?
Le premier mouvement nous mène progressivement du mystère de l’aube jusqu’à
l’éclatante clarté de midi.
Le deuxième mouvement a des allures de scherzo donnant, derrière une réelle
architecture, l’illusion d’une musique (presque) non écrite et jouée avec liberté.
Le troisième mouvement nous présente le Dialogue du vent et de la mer tantôt
comme une aimable discussion, tantôt sous l’aspect du rude combat que l’air et l’eau
peuvent se livrer, jusqu’à atteindre, crescendo, un finale extatique, puissant et
voluptueux et nous laisser sans savoir réellement si l’un des deux éléments l’a
emporté.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
L’Homme et la mer (Charles Baudelaire)
Bibliographie
Bartók par Pierre Citron
Prokofieff par Claude Samuel
Debussy par Jean Barraqué
[Collection Solfèges – Editions du Seuil]
Discographie
Bartók
Musique pour cordes, percussion et célesta Sz. 106
• Orchestre RIAS Berlin – Ferenc Fricsay [DGG]
• Orchestre symphonique de Chicago – Georg Solti [Decca]
• Orchestre philharmonique d’Oslo – Mariss Jansons [Warner classics]
Prokofieff
Concerto n° 1 pour violon et orchestre en ré majeur op. 19
• David Oistrakh – Orchestre symphonique de Londres – Lovro von Matacic [EMI]
• Ruggiero Ricci – Orchestre de la Suisse romande – Ernest Ansermet [Decca Legends]
• Sarah Chang – Orchestre philharmonique de Berlin – Sir Simon Rattle [EMI]
Debussy
La Mer, trois esquisses symphoniques
• Orchestre philharmonique de Strasbourg – Alain Lombard [Erato]
• Orchestre New Philharmonia – Pierre Boulez [Sony classical]
• Orchestre de l’ORTF – Jean Martinon [EMI]
• Orchestre Les Siècles – François Xavier Roth [Musicales Actes Sud]