Le Procureur de la République est-il une autorité judiciaire
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Le Procureur de la République est-il une autorité judiciaire
Le Procureur de la République est-il une autorité judiciaire ? Corrigé de la note de synthèse n°3 Michel Laurain Juillet 2012 Institut d’études Judiciaires En affirmant dans un arrêt de chambre du 10 juillet 2008 (Medvedyev et autres c/ France) que « le Procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion », la Cour européenne des droits de l’homme a suscité débats et polémiques sur le statut du ministère public (Doc n° 6, 8 et 10). Certes, la portée de cet arrêt doit être appréciée au regard du cadre institutionnel français et des dispositions spécifiques de l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, l’absence d’indépendance du Procureur de la République, pourtant membre de l’autorité judiciaire (I) rendait inévitable la solution retenue par la juridiction de Strasbourg et justifie la recherche d’un statut conforme à ces exigences (II). I – En dépit de son appartenance à l’autorité judiciaire, le Procureur de la République, n’est pas indépendant A – Le Procureur de la République, composante de l’autorité judiciaire… L’article 66 de la Constitution française de 1958 institue l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle. L’autorité judiciaire s’entend, selon le Conseil constitutionnel, de l’ensemble des magistrats du siège et du parquet ; la haute juridiction a ainsi considéré que l’exigence d’une décision du Procureur de la République quant à la prolongation de la garde à vue, place cette mesure « sous le contrôle de l’autorité judiciaire » (Doc n° 5, 9 et 14) Cette unicité de l’autorité judiciaire résulte également du statut commun de l’ensemble des magistrats du siège et du parquet : ceux-ci attachent à cette unité une grande importance, en dépit de la diversité de leurs fonctions (doc 7). B - … n’est pas indépendant du pouvoir exécutif Le lien de dépendance entre le Procureur de la République et le ministre de la justice, membre du pouvoir exécutif, conduit à mettre en doute l’indépendance du Procureur : en droit positif, en effet, les articles 30 et suivants du Code de procédure pénale placent le Procureur de la République sous l’autorité du ministre de la justice : le ministère public doit prendre les réquisitions écrites conformément aux instructions qui lui sont données. Il reçoit des directives d’orientation générale de l’action publique. En outre, le ministre peut donner au Procureur Général des instructions individuelles de poursuivre, écrites et versées au dossier. Le Procureur Général peut également donner de telles instructions au Procureur de la République. Ce dernier, de plus, est autorité de poursuite et assure l’exécution des décisions de justice. (Doc n°3). En dépit de cette dépendance hiérarchique, la Cour de cassation a pu juger que le Procureur de la République était un magistrat « habilité à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l’article 5 § 3 de la convention européenne des droits de l’homme. C’est cette solution que deux arrêts récents de la Cour européenne des droits de l’homme sont venus contredire. II – Le Procureur de la République, à la recherche d’un statut conforme à la convention européenne des droits de l’homme A – Le Procureur de la république n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme. C’est ce qu’a décidé la Cour de Strasbourg le 10 juillet 2008 au regard de l’article 5 §1- c de la convention européenne des droits de l’homme aux termes duquel nul ne peut être privé de sa liberté, sauf s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, texte à rapprocher de l’article 5 § 3selon lequel toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévues à l’article 5 § 1-c doit aussitôt être traduite devant un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, la Cour affirmant de manière constante que les deux expressions « magistrat » et « autorité judiciaire » sont synonymes (Doc n°2, 4) Cet arrêt a été suivi par un arrêt de la grande chambre rendu entre les mêmes parties le 29 mars 2010, qui – s’il ne reprend pas la formule concernant le Procureur de la République français – rappelle les conditions auxquelles doit répondre le magistrat ou l’autorité judiciaire aux sens des textes précités, à savoir l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif et des parties et le non-cumul du pouvoir de poursuite et celui de statuer sur la liberté. (Doc n° 10). La Cour de Strasbourg avait déjà énoncé les mêmes exigences à plusieurs reprises à propos du procureur roumain, du magistrat instructeur bulgare, du procureur polonais ou de l’auditeur militaire suisse, non pas en raison du titre de procureur mais de l’absence d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif (Doc n° 2). B – Ces arrêts interviennent au cœur d’un débat ancien et qui demeure ouvert Dès les années 80, le lien entre le Parquet et le pouvoir exécutif a été critiqué à l’occasion des affaires de financement illégal des partis politiques et des interventions politiques exercées alors sur les parquets ; pour autant, la proposition faite en 1997 par la Commission présidée par Pierre Truche d’interdire les instructions dans les affaires individuelles et de renforcer le statut du Parquet de même que le projet du gouvernement Jospin de subordonner la nomination des membres du ministère public à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature n’ont pas été concrétisés dans les textes ; la loi du 9 mars 2004 a maintenu une organisation pyramidale et hiérarchique du Parquet (doc n° 13). L’avant-projet de réforme du Code de procédure pénale de 2010 prévoyait quant à lui, de maintenir le lien hiérarchique entre les Procureurs et le ministre de la justice et d’élargir le pouvoir de donner des instructions (doc n° 1) En l’état, au regard de l’ensemble des dispositions qui requièrent l’intervention d’un magistrat indépendant et impartial, telles que les visites domiciliaires, les gardes à vue, les contrôles d’identité, le Procureur de la République ne répond pas aux conditions d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif et d’impartialité fonctionnelle (Doc 2 et 6 ). Lui confier, comme le suggère l’avant-projet de réforme du Code de procédure pénale, des pouvoirs d’instruction aux lieu et place du juge d’instruction suppose un accroissement corrélatif de son indépendance (doc n° 10).A défaut, le Parquet risque de demeurer dans une situation hybride, inconfortable pour ses membres et inquiétante pour les justiciables.