La Cour d`appel de Montpellier par un arrêt du 28 juillet

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La Cour d`appel de Montpellier par un arrêt du 28 juillet
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1° Chambre Section D
ARRET DU 28 JUILLET 2015
Numéro d’inscription au répertoire général : 13/06957
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 SEPTEMBRE 2013
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
N° RG 11/04549
APPELANTS :
Monsieur Jacques LAIGLE
28 Grand Rue
62270 NUNCQ HAUTECOTE
représenté par Me Jacques-Henri AUCHE de la SCP AUCHE
HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de
MONTPELLIER, avocat postulant et assisté de Me Gilles
GASSENBACH, avocat au barreau de PARIS et de Me Thierry
VERNHET de la SCP SCHEUER - VERNHET ET ASSOCIES,
avocat au barreau de MONTPELLIER, avocats plaidants
Grosse + copie
délivrées le
à
Monsieur Robert CLEMENT
17 Rue Canteraine
62130 ST POL SUR TERNOISE
représenté par Me Jacques-Henri AUCHE de la SCP AUCHE
HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de
MONTPELLIER, avocat postulant et assisté de Me Gilles
GASSENBACH, avocat au barreau de PARIS et de Me Thierry
VERNHET de la SCP SCHEUER - VERNHET ET ASSOCIES,
avocat au barreau de MONTPELLIER, avocats plaidants
Monsieur Bertrand CLERET
6 Rue du Pont
62270 MONCHEL SUR CANCHE
représenté par Me Jacques-Henri AUCHE de la SCP AUCHE
HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de
MONTPELLIER, avocat postulant et assisté de Me Gilles
GASSENBACH, avocat au barreau de PARIS et de Me Thierry
VERNHET de la SCP SCHEUER - VERNHET ET ASSOCIES,
avocat au barreau de MONTPELLIER, avocats plaidants
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SAS LA COMPAGNIE DU VENT prise en la personne de
son représentant légal domicilié ès qualités audit siège social
Le Triade II
215 Rue Samuel Morse
34000 MONTPELLIER
représentée par Me Jacques-Henri AUCHE de la SCP AUCHE
HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de
MONTPELLIER, avocat postulant et assistée de Me Gilles
GASSENBACH, avocat au barreau de PARIS et de Me Thierry
VERNHET de la SCP SCHEUER - VERNHET ET ASSOCIES,
avocat au barreau de MONTPELLIER, avocats plaidants
INTIMES :
Monsieur Erik WALLECAN
né le 27 Juillet 1948 à IEPER (BELGIQUE)
de Nationalité Belge
2 Rue de l’église
62270 FLERS
BELGIQUE
représenté par Me Mandine CORTEY LOTZ, avocat au barreau
de MONTPELLIER, avocat postulant et assisté de Me Philippe
BODEREAU du CABINET BODEREAU AVOCATS, avocat
au barreau d’ARRAS, avocat plaidant
Madame Ingrid VANSTRAELEN épouse WALLECAN
née le 30 Août 1949 à SINT-TRUIDEN (BELGIQUE)
de Nationalité Belge
2 Rue de l’église
62270 FLERS
représentée par Me Mandine CORTEY LOTZ, avocat au
barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et assistée de Me
Philippe BODEREAU du CABINET BODEREAU AVOCATS,
avocat au barreau d’ARRAS, avocat plaidant
SCI FREKA
90 Constitutiestraat
2060 ANVERS
BELGIQUE
représentée par Me Mandine CORTEY LOTZ, avocat au
barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et assistée de Me
Philippe BODEREAU du CABINET BODEREAU AVOCATS,
avocat au barreau d’ARRAS, avocat plaidant
ORDONNANCE DE CLOTURE DU 01 Juin 2015
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COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 15 JUIN 2015, en audience
publique, Monsieur Jacques MALLET ayant fait le rapport prescrit
par l’article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour
composée de :
Monsieur Jacques MALLET, Président
Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre
Madame Chantal RODIER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Myriam RUBINI
ARRET :
- CONTRADICTOIRE.
- prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la
cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les
conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de
Procédure Civile ;
- signé par Monsieur Philippe GAILLARD, Président de
chambre, en remplacement du Président empêché et par Madame
Myriam RUBINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été
remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
< Par acte authentique du 6 juin 1996, les époux Wallecan
ont fait, par le biais de la société Freka dont ils sont les associés,
l’acquisition d’une propriété comprenant un château du XVIIIe
siècle, située à Flers (Pas-de-Calais).
< Après une étude d’impact sur l’environnement courant
octobre et novembre 2002 ainsi qu’une enquête publique durant
l’été 2003, la société La Compagnie du Vent, spécialisée dans le
développement de l’énergie éolienne en France et ayant son siège
social à Montpellier, a obtenu du préfet du Pas-de-Calais, par
arrêtés du 2 avril 2004, un permis de construire concernant :
•
un parc éolien dénommé “Les Tambours”, situé sur les
communes de Monchel-sur-Canche (62270) et Conchy-surCanche (62270) et composé de cinq aérogénérateurs ;
•
un parc éolien dénommé “Les Campagnes”, situé sur la
commune de Boubers-sur-Canche (62270) et composé
également de cinq aérogénérateurs.
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Commencée au début de l’année 2006 pour donner lieu à
une mise en service en juillet 2007, la construction de ces
aérogénérateurs ou éoliennes s’est faite :
•
s’agissant du parc éolien “Les Tambours”, sur des terrains
appartenant à M. Bertrand Cleret et donnés à bail à
construction à la société La Compagnie du Vent, par acte du
7 mars 2006 ;
•
s’agissant du parc éolien “Les Campagnes”, sur des terrains
appartenant respectivement à MM. Jacques Laigle et Robert
Clément et donnés à bail à la même société, par actes des 26
et 31 mars 2006.
< Suivant exploits des 29 juillet et 2 août 2011, la société
Freka et les époux Wallecan ont fait assigner devant le tribunal de
grande instance de Montpellier la société La Compagnie du Vent
ainsi que MM. Laigle, Clément et Cleret, aux fins, au visa des
articles 544 et 1382 du code civil, d’entendre condamner in
solidum ces défendeurs, ou l’un à défaut de l’autre :
•
à démonter et enlever ces éoliennes selon des modalités
définies dans l’acte introductif d’instance ;
•
à payer, ensemble, outre les intérêts, les sommes
suivantes :
- 30 000 € à la société Freka et aux époux Wallecan,
à titre de dommages-intérêts pour les inconvénients
d’ores et déjà subis au titre des conséquences
résultant des désagréments du voisinage soulevés en
application de l’article 544 du code civil et de la
théorie en résultant ;
- 20 000 € aux époux Wallecan à titre personnel au
titre du préjudice moral ;
- 15 000 € à la société Freka et aux époux Wallecan
sur le fondement de l’article 700 du code de
procédure civile ainsi que les dépens.
Par jugement contradictoire du 17 septembre 2013, le
tribunal de grande instance de Montpellier a, au visa des articles
544 et 1382 du code civil :
•
dit et jugé que lesdites éoliennes sont directement la cause
de nuisances d’ordre esthétique, auditif et visuel les plus
importantes subies par les époux Wallecan, propriétaires du
Château de Flers, et leur causent un trouble anormal de
voisinage ;
•
condamné la société La Compagnie du Vent à démonter et
à enlever dans un délai de quatre mois à compter de la
signification du jugement les cinq éoliennes du parc de
Boubers-sur-Canche et les cinq éoliennes du parc “Les
Tambours” ;
•
dit que passé ce délai, la société La Compagnie du Vent sera
redevable envers les époux Wallecan d’une astreinte de
500 € par jour de retard pour chaque éolienne encore en
place ;
•
condamné la société La Compagnie du Vent et MM. Laigle,
Clément et Cleret à payer in solidum aux époux Wallecan et
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•
•
•
à la société Freka, ensemble, avec les intérêts au taux légal
à compter du jugement, une somme totale de 37 500 € à titre
de dommages-intérêts ainsi qu’une somme de 5 000 € au
titre des frais irrépétibles ainsi qu’à supporter les entiers
dépens ;
dit que dans les rapports entre codébiteurs solidaires, ces
sommes resteront à la charge de la société La Compagnie du
Vent ;
rejeté comme irrecevables ou mal fondées toutes prétentions
plus amples ou contraires ;
dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.
Motifs pris, en substance, que :
* les demandeurs subissent incontestablement un préjudice
en provenance de ces éoliennes, se manifestant :
- par un préjudice esthétique de dégradation de
l’environnement résultant d’une dénaturation totale d’un
paysage bucolique et champêtre, d’une gravité bien plus
importante et non comparable avec la modification d’un
paysage urbain environnant par la construction d’un
immeuble ou d’un mur dans un espace encore non
construit ;
- par un préjudice auditif dû au ronronnement et sifflement
des éoliennes et existant en raison de son caractère
permanent, même en dessous des limites réglementaires
d’intensités du bruit (...) et créant un trouble sanitaire
reconnu par l’Académie nationale de médecine (rapport du
14 mars 2004) ;
- surtout par un préjudice d’atteinte à la vue dû au
clignotement de flashes blancs ou rouges toutes les deux
secondes de jour et de nuit, fatiguant les yeux et créant une
tension nerveuse auquel s’ajoutent en cas de soleil rasant
des phénomènes stroboscopiques et de variation d’ombre ;
* cet ensemble de nuisances, de caractère tout à fait
inhabituel, permanent et rapidement insupportable crée un
préjudice dépassant les inconvénients normaux de voisinage,
constituant une violation du droit de propriété des époux Wallecan
contraire à l’article 544 du code civil auquel il convient de mettre
fin pour l’avenir par démontage des éoliennes et indemnisation
sous forme de dommages-intérêts.
< Le 20 septembre 2013, la société La Compagnie du Vent
et MM. Laigle, Clément et Cleret ont relevé appel de ce jugement.
Vu le courrier du président de la chambre en date du 12 juin
2014 demandant aux parties d’une part, de prendre acte de ce
qu’en application des dispositions de l’article 92 du code de
procédure civile, s’agissant d’une action qui pour partie, pourrait
relever de la compétence du juge administratif, la cour sera
conduite à soulever d’office l’incompétence d’attribution du juge
judiciaire et d’autre part, de conclure d’ores et déjà sur ladite
exception.
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Vu les dernières conclusions régulièrement déposées :
* le 15 décembre 2014 par la société La Compagnie du Vent et
MM. Laigle, Clément et Cleret ;
* le 29 décembre 2014 par la société Freka et les époux Wallecan.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er juin 2015.
Postérieurement à cette ordonnance, la société Freka et les
époux Wallecan ont remis au greffe, le 12 juin 2015, via le RPVA,
à 14h02 un premier jeu de conclusions dites “de procédure afin de
révocation de l’ordonnance de clôture” (3 pages) et à 15h07 un
second jeu de conclusions dites “récapitulatives” (75 pages),
tendant à la révocation de l’ordonnance de clôture du 1er juin 2015,
notamment à raison de la production d’une dernière décision
rendue le 13 avril 2015 par le Tribunal des conflits qui vient
seulement d’être portée à leur connaissance et qui s’est
précisément prononcé en faveur de la compétence du juge
judiciaire pour “faire cesser les troubles anormaux du voisinage
liés à une implantation irrégulière ou à un fonctionnement non
conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de
nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à
la protection de la santé publique et aux brouillages
préjudiciables”.
******
# La société La Compagnie du Vent et MM. Laigle,
Clément et Cleret demandent à la cour, au visa des lois du 16 et
24 août 1790, du 13 juillet 2005 et de son arrêté ministériel du 15
décembre 2009, de l’article L. 311-5 du code de l’énergie, R. 1112 et suivants du code de l’urbanisme, L. 553-1 et L. 511-1 du code
de l’environnement, de :
•
se déclarer incompétente sur la demande de démolition des
éoliennes des parcs “Les Tambours” et “Les Campagnes” au
profit du tribunal administratif de Lille, dans la mesure où
l’autorité administrative qui assure la police de ces parcs est
le préfet du Pas-de-Calais ;
•
en conséquence, infirmer le jugement en ce qu’il a ordonné
la démolition de la totalité des aérogénérateurs des parcs des
lieudits “Les Tambours” et “Les Campagnes” ;
•
condamner in solidum les intimés à payer, à chacun des
appelants, une somme de 5 000 € sur le fondement de
l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux
dépens.
Sur l’incompétence, les appelants entendent voir transposer
au cas des éoliennes, la jurisprudence relative aux antennes-relais
telle que ressortant de la décision rendue le 14 mai 2012 par le
Tribunal des conflits et donnant compétence au seul juge
administratif pour connaître d’une action tendant à l’enlèvement
ou le déplacement d’une installation régulièrement autorisée et
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implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public au
motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre
la santé des personnes vivant dans le voisinage et d’impliquer, en
cas de saisine du juge judiciaire, une immixtion de ce dernier dans
l’exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques en
la matière.
# Aux termes de leurs dernières conclusions déclarées
recevables (29 décembre 2014), la société Freka et les époux
Wallecan demandent à la cour de :
* au visa des articles 72, 74 et 92 du code de procédure
civile et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme :
•
se déclarer compétent ;
* au visa des articles 544, 1382, 1356 du code civil et 15 du
code de procédure civile :
•
confirmer le jugement déféré ;
* y ajoutant, à titre reconventionnel et en application de
l’article 1382 du code civil :
•
condamner les appelants in solidum ou l’un à défaut de
l’autre à payer :
- à chacun des intimés, 30 000 € à titre de dommages
et intérêts pour les inconvénients d’ores et déjà subis
au titre des conséquences résultant des désagréments
du voisinage ;
- aux époux Wallecan, chacun, 20 000 € au titre du
préjudice moral et spécifique lié à la situation
générée par les appelants et qui les a profondément
heurtés et choqués au regard des énergies par eux
dépensées ;
•
liquider dès à présent l’astreinte prononcée par le tribunal
de grande instance au regard du caractère dilatoire de
l’appel régularisé et du préjudice subi par les intimés et
condamner à ce titre in solidum les mêmes à payer à chacun
des concluants, sur ce poste, la somme provisionnelle de
15 000 € ;
•
condamner in solidum les mêmes à procéder à la
destruction, en tout état de cause à la suppression des
éoliennes situées à Boubers-sur-Canche et sur “Les
Tambours”, ainsi que défini ci-dessus, sous astreinte
indemnitaire définitive acquise jour après jour de 1 500 €
par éolienne et par jour de retard, à compter de la décision
à intervenir ;
•
en tout état de cause, condamner in solidum les mêmes à
leur payer, outre les dépens avec distraction au profit de
Maître Mandine Cortey-Lotz :
- 10 000 € pour appel abusif ;
- 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du code
de procédure civile.
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SUR CE :
Sur la révocation de l’ordonnance de clôture :
Selon l’article 784 du code de procédure civile,
l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle
une cause grave depuis qu’elle a été rendue.
Au cas d’espèce, au soutien de leur demande de révocation
de l’ordonnance de clôture du 1er juin 2015, les intimés arguent de
la production d’une décision rendue le 13 avril 2015 par le
Tribunal des conflits.
Toutefois, en dehors de procéder par simple affirmation, les
intimés ne démontrent pas en quoi la production après clôture d’un
document relatif à une jurisprudence serait constitutive d’une
cause grave au sens de l’article précité, ni en quoi, de manière
spécifique, la communication de cette jurisprudence serait de
nature à déterminer la solution du litige.
Leurs conclusions remises le 12 juin 2015, après clôture,
seront donc déclarées irrecevables, la cour s’en tenant à leurs
dernières écritures régulièrement déposées le 29 décembre 2014.
Sur l’incompétence susceptible d’être soulevée d’office par
la cour :
Il s’évince des dispositions de l’article 92 du code de
procédure civile, que si l’incompétence peut être prononcée
d’office en cas de violation d’une règle de compétence
d’attribution d’ordre public, devant la cour d’appel, cette
incompétence ne peut être relevée d’office que si l’affaire relève
de la compétence, notamment, d’une juridiction administrative.
Au cas d’espèce, la cour rappelle que :
* d’une part, dès leur premier jeu d’écritures en date du 17
décembre 2013, les appelants ont soulevé l’incompétence du juge
judiciaire à connaître l’action, entre autres en démolition des
éoliennes, ainsi initiée par la société Freka et les époux Wallecan
devant le tribunal de grande instance de Montpellier ;
* d’autre part, aux termes de leurs premières conclusions en
réponse, valant appel incident, remises au greffe le 16 février
2014, les intimés ont sollicité le débouté des appelants en leur
appel, motifs pris notamment, au visa des articles 73 et 74 du code
de procédure civile, que les appelants étaient irrecevables à
soulever pour la première fois devant la cour d’appel une
exception d’incompétence après s’en être abstenus devant les
premiers juges et avoir conclu au fond devant ces derniers.
C’est dans ce contexte procédural que le président de la
chambre devant connaître de cette affaire, a jugé nécessaire, par
son courrier du 12 juin 2014, dans le respect du contradictoire et
du principe de la loyauté des débats, mais aussi afin de ne pas
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retarder ces mêmes débats, que les parties s’expliquent
précisément sur cette incompétence susceptible d’être relevée
d’office par la cour, en application de l’alinéa de l’article 92 du
code de procédure civile.
En effet, les mesures ordonnées par les premiers juges
relativement au démontage et à l’enlèvement de ces éoliennes et
dont la confirmation est requise en cause d’appel par les intimés,
pourraient caractériser une possible immixtion du juge judiciaire
dans l’exercice d’une police administrative spéciale en matière de
production énergétique, en l’amenant à substituer sa propre
appréciation à celle que l’autorité administrative aurait déjà portée
sur les risques et dangers que présenteraient lesdites installations,
voire à priver d’effet les autorisations que cette autorité a
délivrées.
Dès lors, après que les parties ont, précisément et de
manière ultime, conclu sur cette exception en réponse à
l’injonction du 12 juin 2014, il appartient à la cour de rechercher
si, en connaissant de l’action en démolition de ces éoliennes, le
juge judiciaire ne porte pas atteinte au principe de la séparation
des pouvoirs.
Sur la compétence du juge judiciaire à connaître de l’action
ayant conduit les premiers juges à ordonner le démontage
et l’enlèvement de ces éoliennes :
< Il s’évince des articles 7 et 47 dans leur version issue de
la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation
et au développement du service public de l’électricité, comme de
la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national
pour l’environnement, que l’autorisation d’exploiter est délivrée
par le ministre chargé de l’énergie tandis que toute personne
physique ou morale qui produit, transporte, distribue, importe,
exporte ou fournit de l'électricité est tenue d'adresser au ministre
chargé de l'énergie toutes les données relatives à son activité.
Désormais, les objectifs de la politique énergétique se
trouvent définis par le code de l’énergie, issue de l’ordonnance
n° 2011-504 du 9 mai 2011, entrée en vigueur le 11 de ce mois,
portant codification de la partie législative du code de l’énergie,
notamment en ce que :
•
cette politique vise à préserver la santé humaine et
l’environnement, en particulier en luttant contre
l’aggravation de l’effet de serre (article L. 100-1) ;
•
pour atteindre ces objectifs, l’Etat, en cohérence avec les
collectivités territoriales, veille à diversifier les sources
d’approvisionnement énergétique, réduire le recours aux
énergies fossiles et augmenter la part des énergies
renouvelables dans la consommation d’énergie finale
(article L. 100-2) ;
•
pour contribuer à ces objectifs, la fiscalité des énergies tient
compte de l’incidence de leur utilisation sur la compétitivité
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de l’économie, la santé publique, l’environnement ainsi que
la sécurité d’approvisionnement et vise, au regard de ces
objectifs, à un traitement équilibré des différents types
d'énergie (article L 100-3).
De même, avec le concours et sous le contrôle de la
Commission de régulation de l’énergie prévue aux articles L. 1311 à L. 135-16 du code de l’énergie, dans le cas d’installations de
production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent,
notamment implantées à terre, raccordées aux réseaux publics de
distribution dans leur zone de desserte, Electricité de France et les
entreprises locales de distribution chargées de la fourniture ont
l’obligation de conclure un contrat pour l’achat de l’électricité
ainsi produite sur le territoire nationale, par application des
dispositions de l’article L. 314-1 du code de l’énergie.
Enfin, c’est dans ce même cadre législatif et notamment par
application de l’article L. 311-5 du code de l’énergie que
“l’autorisation d’exploiter une installation de production
d’électricité est délivrée par l’autorité administrative en tenant
compte des critères” tels que :
1° (...) ;
2° Le choix des sites, l'occupation des sols et l'utilisation du
domaine public ;
3° L'efficacité énergétique ;
4° (...) ;
5° La compatibilité avec les principes et les missions de
service public, notamment avec les objectifs de
programmation pluriannuelle des investissements et la
protection de l'environnement ;
6° (...).
< Il est tout aussi constant que tant le parc éolien “Les
Tambours” que le parc éolien “Les Campagnes” ont fait l’objet,
courant octobre et novembre 2002, d’une étude d’impact quant aux
effets de ces projets sur l’environnement (milieu physique, milieu
naturel, milieu humain, impacts paysagers), sur la santé et sur les
mesures de préservation de ces milieux (pièces 1 et 4 des
appelants).
Il en est de même des enquêtes publiques diligentées entre
le 10 juin et le 10 juillet 2003.
Il ressort de ces mêmes documents que si chacune des
éoliennes a une capacité de 2 mégawatts (MW), soit 10 MW par
parcs éoliens (page 95 de la pièce 1 et page 92 de la pièce 4 des
appelants), la hauteur du moyeu (centre de la nacelle) de ces
éoliennes est de 67 mètres pour un point haut de 107 mètres,
compte tenu d’un rotor d’un diamètre de 80 mètres (page 87 de la
pièce 1 et page 84 de la pièce 4 des appelants).
Dès lors, contrairement à ce que soutiennent les intimés,
s’agissant de l’application, au cas d’espèce, de la législation sur les
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installations classées pour la protection de l’environnement
(ICPE), peu importe que les parcs éoliens n’aient qu’une puissance
ne dépassant pas au total 20 MW, dès lors que :
* selon l’article L. 511-1 du code de l’environnement, dans
sa version en vigueur depuis le 18 janvier 2001 et applicable à la
date de la construction et de la mise en service des éoliennes :
“Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers,
dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations
exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale,
publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des
inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la
santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture,
soit pour la protection de la nature et de l’environnement, soit
pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des
éléments du patrimoine archéologique” tandis que dans sa version
modifiée par la loi n° 2010.788 du 12 juillet 2010, a été ajoutée la
mention : “soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie” ;
* selon l’article L. 513-1 du code de l’environnement, “Les
installations qui, après avoir été régulièrement mises en service,
sont soumises, en vertu d’un décret relatif à la nomenclature des
installations classées, à autorisation ou à déclaration peuvent
continuer à fonctionner sans cette autorisation ou déclaration à
la seule condition que l’exploitant se soit déjà fait connaître du
préfet ou se fasse connaître de lui dans l’année suivant la
publication du décret” ;
* enfin, selon l’article L. 553-1 du même code, en
substance :
“Sans préjudice des dispositions de l'article L. 513-1, les
installations de production d’électricité utilisant l’énergie
mécanique du vent classées au titre de l'article L. 511-2, ayant fait
l’objet de l’étude d’impact et de l’enquête publique prévues à
l'article L. 553-2, dans sa rédaction en vigueur jusqu’à la
publication de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant
engagement national pour l’environnement, et bénéficiant d’un
permis de construire, peuvent être mises en service et exploitées
dans le respect des prescriptions qui leur étaient applicables
antérieurement à la date de leur classement au titre de l'article
L. 511-2” ;
“Les installations visées au premier alinéa sont, à cette
date, soumises au titre Ier du présent livre [celui relatif aux ICPE]
et à ses textes d'application” ;
“L’exploitant de ces installations doit se faire connaître du
préfet dans l’année suivant la publication du décret portant
modification de la nomenclature des installations classées”.
“Les installations terrestres de production d’électricité
utilisant l'énergie mécanique du vent dont la hauteur des mâts
dépasse 50 mètres sont soumises à autorisation au titre de l'article
L. 511-2, au plus tard un an à compter de la date de publication
de la loi nE 2010-788 du 12 juillet 2010 précitée”.
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Or, il n’est pas discuté, comme rappelé précédemment, que
les installations litigieuses ont fait l’objet d’une étude d’impact,
d’une enquête publique et ont donné lieu à la délivrance de permis
de construire pour chacun des parcs éoliens, au demeurant non
contestés en leur temps, encore moins que la hauteur des mâts des
éoliennes dépasse 50 mètres, atteignant en l’occurrence celle de
107 mètres, de sorte que lesdites installations relèvent bien de la
législation sur les installations classées pour la protection de
l’environnement.
< Au surplus, la cour observe que la demande de permis de
construire imposait à l’autorité préfectorale, le respect notamment
:
- de la sécurité et de la salubrité publiques (article R. 111-2
du code de l’urbanisme), ce qui inclut les risques sanitaires ;
- de la préservation du caractère et de l’intérêt des lieux
avoisinants (article R. 111-21 du code de l’urbanisme).
< Ainsi, le législateur a-t-il organisé une police
administrative spéciale de production de l’exploitation des
installations de production d’électricité, entre autres, celles
utilisant l’énergie mécanique du vent implantées à terre, par
application des dispositions de l’article L. 311-5 du code de
l’énergie ainsi qu’une police spéciale des installations classées
pour la protection de l’environnement, conformément aux articles
combinés L. 511-1 et L. 553-1 du code de l’environnement.
Il s’agit pour l’Etat de développer une politique énergétique
et d’en assurer l’efficacité, tout en prenant en compte les risques
et inconvénients pouvant impacter le voisinage, au titre de la santé,
la sécurité et la salubrité publiques.
Dans ces conditions, l’action portée devant le juge judiciaire
par les intimés, en ce qu’elle tend à obtenir le démontage et
l’enlèvement de ces éoliennes, et non pas seulement à solliciter des
dommages-intérêts sur le fondement de la théorie du trouble
anormal de voisinage, implique une immixtion de ce juge dans
l’exercice d’une police administrative spéciale en matière de
production énergétique, en l’amenant à substituer sa propre
appréciation à celle que l’autorité administrative aurait déjà portée
sur les risques et dangers que présenteraient lesdites installations,
voire à priver d’effet les autorisations que cette autorité a
délivrées.
Relevant d’office son incompétence pour connaître de cette
demande aux fins de démontage et d’enlèvement des éoliennes,
par application de l’article 92 du code de procédure civile, le
jugement sera infirmé en ce sens et la cour ne peut que renvoyer
les parties à mieux se pourvoir devant la juridiction administrative
sur cette demande, conformément aux dispositions de l’article 96
du même code.
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Il n’est pas contesté que la cour demeure saisie et
compétente pour connaître de la demande relative au trouble
anormal de voisinage invoqué par les intimés ainsi que sur le
montant de l’indemnisation des dommages causés par
l’implantation ou le fonctionnement de ces installations.
Toutefois, la solution donnée par le juge administratif à la
demande de démontage et d’enlèvement des éoliennes est de
nature à influer directement sur l’action à faire cesser ce trouble
que sur l’indemnisation revendiquée, de sorte qu’il y a lieu de
surseoir sur ce chef de demande ainsi que sur celles pour appel
abusif et à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, outre
celles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
et les dépens.
Tenant les délais et l’incertitude concernant l’issue
définitive de la procédure devant la juridiction administrative, il
convient, afin de ne pas alourdir inutilement le rôle par la présente
affaire, de la retirer du rôle dans l’attente d’une telle issue, sa
réinscription pouvant se faire à la demande de la partie la plus
diligente.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à
disposition au greffe,
Rejette la demande de révocation de l’ordonnance de clôture
formée par la société Freka et les époux Wallecan, en l’absence de
cause grave ;
Déclare irrecevables leurs conclusions remises au greffe le
12 juin 2015 ;
Statuant sur les dernières conclusions régulièrement
déposées par les parties, par application de l’article 954 du code de
procédure civile ;
Constate que l’action portée devant le juge judiciaire par la
société Freka et les époux Wallecan, en ce qu’elle tend à obtenir
le démontage et l’enlèvement d’éoliennes, implique une immixtion
dans l’exercice d’une police administrative spéciale en matière de
production énergétique ;
Infirme le jugement déféré en ses dispositions relatives à la
condamnation de la société La Compagnie du Vent, sous astreinte,
à démonter et à enlever dans un délai de quatre mois à compter de
la signification du jugement les cinq éoliennes du parc de
Boubers-sur-Canche et les cinq éoliennes du parc “Les
Tambours” ;
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Se déclare d’office incompétent pour connaître de cette
demande aux fins de démontage et d’enlèvement des éoliennes,
par application de l’article 92 du code de procédure civile ;
Renvoie pour cette demande les parties à mieux se pourvoir
devant la juridiction administrative ;
Sursoit à statuer, jusqu’à décision définitive concernant
l’action en démontage et en enlèvement des éoliennes portée
devant les juridictions administratives, sur le surplus des
demandes des intimés relatives aux troubles anormaux de
voisinage liés à l’implantation ou au fonctionnement de ces
éoliennes, à l’appel abusif des appelants et au préjudice moral subi
par les époux Wallecan, ainsi que sur l’ensemble des demandes
des parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure
civile et les dépens ;
Ordonne dans l’attente de cette décision définitive, le retrait
du rôle de l’affaire qui pourra être rétablie sur simple demande de
l’une ou l’autre des parties.
LE GREFFIER.
JM/MR
LE PRÉSIDENT empêché,
Philippe Gaillard, président de chambre.