Cours : Le temps et la mémoire
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Cours : Le temps et la mémoire
Cours : Le temps et la mémoire I- du refus du passé à l'afflux du passé : l'histoire d'une reconstruction I.1 – la question du temps et de la mémoire traverse le film I.1.1 - le problème de la mémoire au centre du film 1:02:23 « Dans quelques années, quand je t'aurai oubliée, je me souviendrai de toi comme l'oubli de l'amour-même. Je penserai à cette histoire comme à l'horreur de l'oubli ». une question qui unifie les 2 thèmes – amour et Hiroshima menacés par l'oubli - « ça recommence » (à la fin de la partie 1) – couple effroyable amour / oubli qui est la tension du film – fonction allégorique re-soulignée : Hiroshima mon amour parle de l'horreur de l'oubli, in fine – I.1.2 - Resnais, cinéaste mémoriel temps/mémoire : ce sont des images fragmentaires qui prennent sens – une forme de mystère qui se dissout : images du jardin suspendu (CUT sur le jardin 39:14 : « Puis il est mort » - on ne sait pas encore). Les images trouvent un sens : jardin en 55:53. Le récit de souvenirs se fait sans chronologie du tout : « les cloches de l'église de St Etienne » entremêlant le temps de la sortie de crise et celui du début – le Japonais a quitté l'écran. Parce que la mémoire ne suit pas la chronologie. – I. 2. le refus du souvenir et la pulsion du souvenir au début, Elle est celle qui ne veut pas se souvenir, qui a oublié. Ne pas négliger le jeu de mot : Nevers. NE-VER(S) = jamais. 42:54 : « ça ne veut rien dire, en Français, Nevers ? » (en Français, non – en Anglais, si) refus très longtemps : d'abord sur le balcon quand elle reste muette puis refus qui accompagne sa parole quand elle a commencé à parler : toutes les formes négatives + 44:50, elle baisse les yeux et se cache les oreilles : « Comment supporter une telle douleur ? » : regard de Riva vers le bas / plongée sur l'Allemand agonisant au bas de l'escalier, qui relève la tête et la regarde. Mais il y a une force qui la pousse à se rappeler. Qui demande à recomposer le puzzle en morceaux de cette femme-là (voir la phrase du livre à chercher).13:52 voix off : « Déforme-moi jusqu'à la laideur », où Dé-former, c'est quitter sa forme acquise. Acquise, comment ? Par le silence et le mensonge. Elle va s'en libérer, mais par-à coups et douloureusement 37:14 à 41:53 = la grande évocation de Nevers s'achève avec le retour de l'angoisse. « Je veux partir d'ici ». Ils se retrouvent en 41:53 dans la pièce du départ 37:14, portes ouvertes. « Il ne nous reste qu'à tuer le temps qui nous sépare de ton départ ». Portes ouvertes = symbolique = on ne peut plus faire autrement que de l'affronter. Puis lors de la 2ème grande évocation, la course à rebours dans Nevers sous la musique du bar japonais 59:42, elle dit : « Ce soir ? Oui ce soir je m'en souviens, mais un jour je ne m'en souviendrai plus ». A ce moment-là, ne nouvelle angoisse à cause du lien refait... qui est censé se défaire à nouveau. Elle associe le retour du passé à un nouvel effacement, à la perte. I.3 – à la recherche du trauma Le passé finit par envahir leur histoire : « ils regardent Nevers, ils sont un peu, tous les deux, comme des possédés de Nevers » Chronologie : film selon Resnais construit comme un flash-back, mais la chronologie est perturbée à l'intérieur du fb, réorganisée en fonction de la douleur (la tonte après la cave) descendre en soi : descendre en soi, comme la bille – objet transparent et pur. scène chez lui, après l'amour : les fondus enchaînés. Elle qui parle, qui se souvient, lentement, au rythme de la musique - « la lumière a encore baissé » (p62) – revit les souvenirs, et même l'emballement joyeux : succession de plans très courts où elle court et lui se déplace quand il la voit (39:29) puis le « mariage de Nevers » dans la cabane – on est très loin dans son intimité. Intériorité : regards de Riva de plus en plus tournés en elle – de plus en plus longs (41:17 à 41:21) – et ensuite, 0processus très douloureux de retour mémoriel. Les images de Nevers sont blessantes : « d'une banalité voulue, en même temps qu'elles effraient » (p64) ; et puis il y a les images de la maison (tâche d'humidité au plafond) avant celles de la cave (ombre-gibet). Regards de Riva de plus en plus souvent intériorisés au restaurant. 52:20 et 52:43 : elle redit dans un autre ordre, elle ressasse – visage livide sur lequel joue la lumière une psychanalyse : Le besoin de l'autre dans le processus de réveil. 40:13 : pourquoi parler de lui plutôt que d'autres ? / Non, ce n'est pas par hasard, c'est toi qui doit me dire pourquoi. De l'autre pour questionner, mais aussi de l'autre pour prendre la place – procédé psychanalytique presque (hypnotique – avec le réveil par gifle) : c'est là que j'ai failli te perdre (avant même le restaurant) processus presque d'hypnose, psychanalytique, qui permet de faire réémerger les moments traumatiques par l'empathie (« comme s'ils savaient ensemble ces choses très intimes » p74 – le crachat). 51:30 : la tonte, montée avec la musique du juke-box du bar japonais qui s'est arrêtée, donc en silence. Seul son de Nevers sera celui du cri ressurgi en 53:06 : crier est aussi exprimer sa douleur, donc déjà être dans un processus de guérison. Pleurs en 55:40 – pas guérie pour autant – récit halluciné qui s'achève par : « des ressemblances [entre ce corps mort et le mien]. Hurlantes ! ». il la gifle là 57:10. II- la fusion des temps II- 1. l'équivalence des temps et des douleurs : clef poétique du film cette équivalence des temps et des douleurs, cette union de cette femme-là et du peuple japonais, de l'UNE et du multiple, la douleur d'UNE permettant d'appréhender la douleur multiple, qui est la clef poétique d'Hiroshima mon amour, est en germe dès les premières images : plans sur les pas dans le musée // 44:58 : « La Marseillaise passe au-dessus de ma tête, c'est assourdissant ». Mais les protagonistes n'en sont pas conscients. Les mois d'août les images animées de Nevers remplacent (et continuent) les images animées d'archive II- 2. Comment s'opère la fusion ? Non seulement il y a davantage d'images de Nevers, mais ce retour se fait en deux étapes : - avant la scène du bar brutalement, par effraction : par la superposition des mains - puis pendant et après la scène du bar, par fusion : par la dialogue pour toute la partie 4, au restaurant. Il questionne, tellement en empathie avec elle. Elle parle, et tandis qu'elle parle, on voit les images des berges de la Loire avec ses bancs de sable (enlisement) en 44:20, son absence de navigation/de vie, le piège de sa lumière douce. La parole est libératrice : « quand tu es dans la cave, je suis mort ? » (44:42), avec la nuit, la boisson (eau d'un autre fleuve, le Styx). Tout le montage parallèle restaurant // Nevers se fait avec les sons d'ambiance d'Hiroshima (grenouille) et le montage violent qui impose des images de sang (les mains écorchées) fait écho aux images d'archive. (Peu à peu, le dialogue se fait aussi entre Riva d'H et Riva de Nevers. 45:50 : yeux perdus, regards vers la droite en bas // yeux nets, regard à gauche). Et regards et dialogues d'elle-même devant la glace avant TIME CODE 2 Le fondu enchaîné : jusqu'en 37:44, une seule image de Nevers (le CUT) ? Puis après l'amour chez lui, le mode d'évocation du passé est le fondu enchaîné. Elle en vélo, panoramique en partie du point de vue de l'Allemand, grande harmonie et équilibre (descente et montée de la bicyclette) ce fondu enchaîné favorise le brouillage temporel : 41:40 fondu enchaîné sur elle seule (après les 3 explications si stylisées de Pourquoi Nevers, qui dessinent et isolent chacun des deux), en blanc, aboiement des chiens : ce pourrait être Nevers comme Hiroshima. Le montage alterné : voir TIME CODE 2 séquence déterminante de la marche nocturne, de la poursuite, de 1:11:09 à 1:14:41 – elle rêve dans son monologue intérieur, d'abord qu'il la prend par l'épaule (mais ça ne changerait rien), qu'elle serait « perdue », puis le rêve dérive : on retrouve au ralenti les mêmes lieux d'Hiroshima qu'au début, avec les mêmes mots : « Je te rencontre, je me souviens de toi », auxquels s'associe de manière fluide à présent (contre-plongée à même hauteur) les images de Nevers. Tout s'est fondu : les lieux et les temps et les identités. Ce n'est pas non plus un environnement paisible : moignons de platanes, persiennes, ni à Nevers ni à Hiroshima – mais il y a un lien entre les deux. Invisible, mais réel. III- de la peur de l'oubli à l'émerveillance (les évidences nocturnes) III.1 - le temps est une angoisse. Il vient tuer une deuxième fois : J'ai peur / De quoi ? / De ne plus te revoir (47:28) - « Je n'ai plus qu'une seule mémoire, celle de ton nom » - oubli des mains, de tant d'amour - « c'est horrible, je commence moins bien à me souvenir de toi » (54:53) [avec grosse ambiguïté sur le toi] le temps est une prison : Combien de temps dans la cave ? / L'éternité. 48:55 : plans très pathétiques, petite en bas à droite, tête tondue, grillage? Puis plan sur les yeux seuls, pas de son : coeur de la souffrance. Prison de l'éternité : « Ma vie qui continue. Ta mort qui continue », c'est la sortie avec rotation dans le sens des aiguilles d'une montre 54:43. Mais elle sort de l'éternité : un évènement (la bille), puis 59:04 / 59:21 : la course à vélo, similaire à la précédente (sauf qu'elle est de nuit), la sortie des fourmis et elle de la cave, donc les sorties : de la cave, du refus... III. 2 - Issues ? accepter le temps : cela semble être la solution, entraperçue au milieu des douleurs : 1:15:45 « j'aurais préféré que tu sois morte à Nevers » - mais comme elle n'est pas morte, elle « s'en fout ». Elle vivait somnambulique depuis Nevers, dans un jeu de rôles (actrice !) dont elle sort en se retrouvant. 1:17 : « Nevers que j'avais oubliée, je voudrais te revoir ce soir » - montages alternés de plus en plus fréquents Nevers/Hiroshima. La seconde aventure amoureuse la replace dans une conscience, dans une volonté, hors des chimères (« cela n'existe pas. Ni le temps d'en vivre, ni le temps d'en mourir »). rêver, peut-être : Retour sur le TIME CODE 2 la « boucle » nocturne, ou plutôt les boucles, entre Nevers et Hiroshima, hier et maintenant, mais aussi entre la veille et le jourmême. Les mêmes mots ou presque. Page 27 : « j'ai le temps » et page 94 : « Depuis toujours ». c'est une ronde. On passe à une abstraction du temps, et non plus à un temps dévoreur. III. 3 - « L'émerveillance » C'est très délicat parce que le sens même du film semble être qu'on ne peut rien édifier de solide sur Hiroshima... mais c'est faire l'abstraction de la toute fin. Ce sens n'épuise pas les sens du film. la douleur est là jusqu'au moment ultime, avec les cris, la folie de détresse - « Oui : je t'oublierai » (1:25:15) – folie de détresse ? Mais ses yeux noyés. Ils sont dilués dans quelque chose de supérieur : l'émerveillance. Mais qu'est-ce que c'est ? La conviction d'un lien inaltérable ? Un lien invisible mais réel : une évidence nocturne. Comme leur lien au Casablanca. Elle est « sous son regard ». Le lien qui les unit est indiscutablement plus fort que ce qui se passe (1:19) et lui semble le comprendre (révélation). Le thème musical est celui de « l'émerveillance » finale déjà, Lui donnait la clé paradoxale : (d'une réconciliation ? D'avec soi et le temps – p83 : « Il dit, retiré du présent ») : 1:02:23 « Dans quelques années, quand je t'aurai oubliée, je me souviendrai de toi comme l'oubli de l'amour-même. Je penserai à cette histoire comme à l'horreur de l'oubli ». 1:14 : « Du temps viendra. Nous ne saurons plus nommer ce qui nous unira. Le nom s'en effacera peu à peu ». Le lien absolu est celui qu'on ne peut pas nommer et qui disparaît des mémoires. On arrive ainsi à l'équivalence : Amour = Oubli. Paradoxe ? Mais ce sont deux absolus et c'est grâce à cette particularité qu'on peut opérer la conversion de l'oubli-douleur et oubli-union. L'amour devient perpétuel car sauvegardé par l'oubli même. Il arrive à cet état d'être « l'amour même », tous les amours particuliers (les leurs, les nôtres), il touche à l'immatérialité et c'est pourquoi les impossibilités se digèrent. 1:17 « Je te donne à l'oubli ». Plus rien à voir avec l'oublinéant. Voir comme elle rentre dans une ruelle et, absente dans l'autre, elle est cependant là. P96 et 97 : « Je te donne à l'oubli » = une prière, qui donne tout à l'oubli. Parce que grâce à l'oubli : « tu deviendras une chanson » 1:18:58 [paroles d'India Song]. Dépassement de l'oubli, qui est la forme supérieure du souvenir les images du palais de l'Industrie scandent leur histoire d'amour, en faisant un lieu symbolique de leur amour et de la destruction tout à la fois. « Quel évènement » 13:52 / 42:15, quand il ne reste plus qu'à « tuer le temps ». Ambiguïté du symbole parce qu'il est malheureux mais éternisé dans sa forme détruite.