BRONTË : table
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L’analyse de plusieurs cas a révélé que l’enfant climatérique rejoue pour la deuxième fois le drame le plus précoce du développement sexuel féminin tel que Freud [5] en a établi l’équation symbolique : Fèces Cadeau Pénis Enfant. Je voudrais consacrer la présente contribution au cas d’une quinquagénaire pour qui la fantaisie du rédempteur joue un rôle fondamental dans la reconfiguration de son appareil psychique au moment du retour d’âge. Cette enquête a fait l’objet d’une thèse sous la direction du Pr François Pommier intitulée : Explorations cliniques du climatère au Liban, qui sera soutenue en cours d’année devant l’Université Paris V – René Descartes. 2 Cf. CLAUDIA AJAIMI, « La déroute du désir à la ménopause & la fantaisie de l’âme sœur », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 20041020, octobre 2004, 6 p., repris in ’Ashtaroût, cahier hors-série n°6, décembre 2005, pp. 62-67. Shadya est une femme au foyer. Elle a cinquante ans. Elle est mère de trois garçons. L’aîné a vingt-huit ans, le cadet vingt-sept et le benjamin dix-huit. C’est une femme sympathique, vive, joyeuse et loquace. Je l’ai rencontrée chez une amie, à une réunion matinale regroupant quelques femmes autour d’un café (Soubhiyyé). On discutait des problèmes de la femme contemporaine. Shadya n’était pas maquillée, ce qui contrastait avec les autres femmes présentes. Elle était habillée modestement et elle faisait son âge. C’est une femme résignée. Elle accepte les signes de la vieillesse qui apparaissent sur son corps. Elle ne pense ni à les réparer ni à les cacher. Elle affirme qu’elle assume les rôles de grand-mère, et celui de la femme mûre et sage, apanage de celles qui sont dans la deuxième 1 Dans le cadre de l’enquête que j’ai menée au Liban sur les notions de crise du milieu de la vie et de climatère 1 j’ai été amenée à repérer trois manières de négocier la ménopause chez la femme libanaise : 1/ par la stase libidinale, 2/ par la fantaisie de l’âme sœur 2, et 3/ par la fantaisie du rédempteur. C’est de cette dernière catégorie que je vais traiter. Un nombre élevé de Libanaises rêvent à ce moment de leur vie – que j’ai désigné de crise du milieu de la vie – de faire un enfant. Elles passent souvent à l’acte en mettant effectivement au monde un enfant que je désigne à cet effet d’ 2 1 16 Vignette clinique moitié de la vie. Elle dit : « Ma cousine a presque mon âge. Elle refuse d’être nommée mamie par sa petite-fille. Elle n’accepte pas la chose. Elle demande à la petite de l’appeler par son prénom. Je ne suis pas comme elle, moi. J’aimerais bien qu’on m’appelle bientôt mamie. » Elle ajoute : « Ma sœur non plus n’est pas comme moi. Elle n’aime pas qu’on la consulte pour les problèmes de la vie courante. Elle ne veut pas avouer ni assumer la sagesse que notre âge nous confère. Quant à moi, beaucoup de gens me consultent, surtout les amies de mes enfants. Elles me parlent de leurs problèmes intimes. Je réussis souvent à les aider. Elles me remercient souvent en me montrant leur affection et leur reconnaissance. » Shadya est une femme ordonnée. Sa vie et sa maison sont bien rangées. Elle prend ses mesures à l’avance et prévoit certains événements avant leur arrivée. Elle aime toujours être prête. Elle fait beaucoup de calculs. Elle est bien adaptée à son entourage. Elle s’entend avec toutes les générations et traite avec humour tous les problèmes qui lui arrivent. Elle est réputée pour son enjouement, pour son calme et pour sa sagesse. Shadya s’est mariée à l’âge de vingt ans. Elle a formé avec son mari un couple idéal que tout le monde vantait et admirait. Leur amour était connu dans leur région. Elle accompagnait son mari partout dans ses voyages. Les gens étaient habitués à les voir ensemble dans toutes les circonstances. Ils s’aimaient éperdument. Elle disait : « S’il arrivait qu’on voit mon mari seul on s’inquiétait de moi. On demandait à mon mari si je n’étais pas malade. Nous nous entendions à merveille. Nous avons passé de très beaux moments ensemble. Nous dépensions tout ce que mon mari gagnait. Nous faisions tout ce que nous souhaitions. Notre amour était connu partout à la ronde. » 3 Renoncement sexuel du milieu de la vie Il semble que cette lune de miel, qui a duré plusieurs dizaines d’années, se soit terminée depuis un certain temps pour Shadya. Faire l’amour avec son mari ne l’intéresse plus vraiment. Elle continue à le satisfaire par courtoisie. Elle disait : « Je ne veux pas lui faire de mal. Lorsque nous faisons l’amour je fais un effort pour lui montrer que je suis complètement heureuse et satisfaite. Je simule la joie parce que, moi, je n’ai plus envie de faire souvent l’amour. Ça me fatigue, mais je ne lui dis rien parce que je l’adore. L’âge et les travaux du ménage m’épuisent abominablement. Je ne suis pas de bonne humeur tout le temps. » Elle affirme qu’elle aime toujours son mari mais que la sexualité ne l’intéresse plus. Elle a perdu son désir sexuel pour son mari, comme pour tout autre homme. Le caractère joyeux de Shadya, son sens de l’humour, sa famille équilibrée et sa grande histoire d’amour avec son mari ne laissaient guère prévoir un pareil déclin au milieu de la vie. On aurait plutôt imaginé qu’elle traverserait tranquillement la crise du milieu de la vie avec les béquilles qui soutiennent ordinairement la femme dans de pareils moments. Contre toute attente 1 Shadya perd son désir sexuel pour son mari et pour tous les hommes. Apparemment, ça ne la dérange pas. Elle juge cela normal et le relie à l’épuisement dû à l’avancement en l’âge. Outre le désir sexuel, Shadya semble perdre parfois sa bonne humeur et son sens de l’humour. Elle passe parfois par des moments de déprime, de tristesse et d’ennui qu’elle attribue également à l’âge sans en être trop convaincue. Elle semble témoigner d’une fragilité psychique inattendue. On se demande pourquoi cette femme amoureuse perd son désir sexuel au seuil de cette On reconnaît dans cette expression un colophon de l’inconscient, tel que Dostoïevski l’a magistralement notifié dans l’incipit de L’Éternel mari (1870). 1 17 nouvelle étape de la vie tandis que le désir sexuel de son mari ne change pas pour elle ? Qu’est-ce qui a provoqué l’extinction de son désir alors que son mari continue de l’aimer comme autrefois et qu’elle n’éprouve elle-même aucune inclination pour un autre homme ? 4 la sexualité n’est pas liée à la reproduction. Pendant plus de vingt ans elle a recouru à la pilule sans états de conscience. Shadya manifeste une certaine jalousie envers la génération de ses enfants. Elle envie ces derniers parce qu’ils disposent d’une grande liberté sexuelle. Elle évoque avec amertume que de son temps la situation était complètement différente. Elle disait : « Nos parents étaient très sévères à notre égard. Non seulement nous ne disposions pas d’une vie sexuelle avant le mariage, nous n’étions pas même informées sur ce sujet. On ne nous parlait des relations sexuelles qu’avant le mariage. Il y avait même des filles qui se mariaient sans avoir aucune idée de la vie sexuelle. C’était au mari qu’incombait la responsabilité de l’initiation sexuelle complète. Vous êtes très chanceuses, vous. Votre génération a bénéficié d’une très grande liberté affective et sexuelle. Je vois ça à travers les copines de mes fils. » Shadya maintient une très bonne relation avec ses fils devenus adultes. Elle évoque leur adolescence disant que c’est elle qui les a aidés à s’initier à la vie sexuelle. Elle leur donnait de l’argent pour le dépenser à leur guise et pour le plaisir, tout en les mettant en garde contre les dangers et les risques possibles de la dépravation sexuelle. Elle disait : « À l’époque où ils étaient étudiants et qu’ils ne gagnaient pas encore leur vie, c’est moi qui leur donnait de l’argent. Je leur disais : prenez ça, c’est pour acheter des bonbons. Je ne suis pas idiote, moi. Je savais bien qu’ils allaient dépenser cet argent avec des filles. Il fallait qu’ils sachent que je suis au courant et que ça ne me gêne pas. Je ne veux pas me quereller avec eux. Je fais tout pour ne pas perdre leur affection. Je reçois souvent leurs petites amies chez moi. Je les traite comme si elles étaient mes propres filles. Elles m’adorent. Je me dis toujours que ces jeunes filles pourraient devenir un jour mes belles-filles. Alors pourquoi ne Effroi devant la ménopause Shadya parlait joyeusement et tranquillement durant tout l’entretien. Elle ne se renfrogna que lorsque j’ai évoqué avec elle la question de la ménopause. Ses répliques devinrent courtes et froides. Elle ne paraissait pas vouloir en parler. Elle disait qu’elle est très proche de la ménopause et que ses règles avaient parfois des ratées. Son gynécologue l’a prévenue de l’approche de la ménopause. Elle affirma que cela ne la gênait pas trop. Ses yeux larmoyants trahissaient cependant une amertume et un regret qu’elle ne réussissait pas totalement à cacher. Elle disait : « C’est normal d’être ménopausée à mon âge. C’est la loi de la vie. Je le savais depuis toujours. Hier c’était le tour de nos mères, aujourd’hui c’est notre heure, et demain ce sera la vôtre. Personne n’y échappe. C’est un destin prédéterminé qui nous est réservé depuis des millénaires. Nous devons tout simplement l’accepter avec sagesse. » On se demande pourquoi cette femme résignée souffre autant de l’approche de la ménopause ? Pourquoi les projets qu’elle a déjà échafaudés pour cette étape de la vie n’ont pas contribué à lui épargner cette douleur ? Qu’est-ce qui la dérange dans ce phénomène pourtant attendu comme un événement naturel appartenant à la deuxième moitié de la vie d’une femme? Shadya ne semble pas regretter la perte de la fonction de reproduction. Elle avait depuis longtemps décidé de ne plus avoir d’enfant parce qu’elle ne voulait pas avoir une famille nombreuse. Dans sa tête comme dans son univers culturel 18 pas les choyer ? Du coup je conserve comme ça l’amour de mes enfants. » Shadya semble investir son énergie sur ses enfants. Elle pense toujours à eux et cherche à garder leur amour à tout prix. Ils accaparent ses pensées. Elle dépense temps et énergie à chercher comment se conduire avec eux et avec leurs petites-amies. Une question se pose : Shadya éprouve-t-elle les mêmes sentiments pour tous ses enfants ? Occupent-ils la même place dans son cœur ? Ne distingue-t-elle pas entre eux ? N’entretient-elle pas une relation plus privilégiée avec l’un d’eux ? 5 qui épuisaient son corps. Après de longues souffrances l’un des nombreux médecins consultés lui a conseillé d’arrêter tous les médicaments et de faire un enfant. Elle n’a pas expliqué comment ce médecin est parvenu à cette suggestion. Elle disait : « Il m’a prescrit de faire un enfant, ce que j’ai beaucoup apprécié. L’enfant nettoie le corps de toutes les saletés. Il régénère le corps, me dit cet excellent médecin. Il m’a conseillé d’arrêter tous les traitements et les médicaments et d’attendre un mois avant de tomber enceinte. J’ai suivi ses recommandations à la lettre parce que j’ai eu confiance en lui. Il était très compréhensif. Il avait raison ! J’ai été régénérée dès le premier jour de ma grossesse. Mon corps et mon âme se sont débarrassés de tous leurs troubles. Vous ne pouvez pas imaginer ma situation à cette époque. J’étais une ruine et presque sans vie. On craignait beaucoup pour ma vie. Cet enfant m’a formidablement guéri. » Shadya fut guérie de tous ses maux en tombant enceinte. À distance, il y a toute apparence que son problème essentiel à cette époque ait été son envie d’avoir un enfant. C’est cette envie persistante et non approuvée par le mari qui semble avoir provoqué chez elle une floraison de troubles somatiques et psychiques qui l’ont conduite chez les médecins. Elle ne pouvait pas dire à son mari adoré qu’elle voulait avoir un dernier enfant. Elle connaissait bien sa position. Heureusement pour elle, il s’est trouvé un brave médecin dans le nombre de ceux qu’elle a consultés à légitimer pour elle et pour son mari son désir d’avoir un enfant. C’est sur ordonnance médicale qu’elle a obtenu l’acquiescement de son mari et qu’elle est parvenue à ses fins. L’enfant est né maladif. Elle l’a soigné pendant une longue période. Elle a beaucoup souffert avant de réussir avec son mari à bien lui rendre la santé. La maladie de cet enfant a considérablement renforcé l’intimité entre la mère et lui. Shadya affirma qu’elle avait beaucoup pris L’enfant thérapeutique Shadya déclare qu’elle préfère son benjamin. Elle raconte joyeusement son histoire avec lui. Son mari ne voulait plus d’enfant. Il se contentait d’avoir eu deux fils et il refusait catégoriquement l’idée d’avoir un troisième enfant. Pourtant, au Liban, il est très courant d’avoir une famille nombreuse. Une famille moyenne dépasse d’habitude les trois ou quatre enfants dans la région où réside Shadya. Est-ce que cet homme craignait d’avoir une fille, comme c’est le cas de pas mal de pères ? Refuse-t-il le troisième enfant à cause de ce risque ? En tout cas cet enfant n’était pas désiré par le père et n’a été conçu que part la seule volonté de la mère. Voyons comment. Shadya a eu ce troisième enfant pour des raisons assez particulières. Elle avait décidé avec son mari de se contenter de leurs deux enfants lorsqu’elle est tombée malade à un moment donné. Ses symptômes ne se rattachaient pas une maladie connue. Elle souffrait de rhumatisme et de quelque maladie sanguine. Elle m’a décrit très vaguement ses symptômes. Elle ne savait pas vraiment de quoi elle souffrait. Elle fut traitée, dit-elle, par un médecin pour un faux diagnostic. Elle avait pris en vain beaucoup de médicaments 19 soin de lui et que ça lui procurait un grand plaisir. Elle disait : « Mon enfant est né malade. Je ne me séparais presque pas de lui. J’ai fait de mon mieux pour le guérir. Je suis restée à ses côtés durant toute son enfance. Nous étions très proches l’un de l’autre. » En fait, ils étaient presque collés l’un à l’autre. 6 7 Intrusion dans la vie intime du fils Shadya entretient une relation très intime avec son fils. Elle le mêle à sa propre vie en même temps qu’elle s’immisce elle-même dans la sienne. Elle lui demande le bilan de ses journées. Elle lui donne des conseils et l’aide à échafauder des projets d’avenir. Cet homme entretient depuis quelques mois une relation amoureuse avec une jeune fille. Il en a parlé à sa mère. Celle-ci ne s’est pas opposée à cette relation amoureuse. Elle n’a pas osé le contrarier, dit-elle, par peur de le perdre en perdant son amour. Elle n’a rien dit sur le compte de la jeune fille. Elle se retient d’exprimer devant lui ses sentiments à son égard. Shadya ne parle pas de l’amie de son benjamin comme elle le fait des copines de ses deux autres fils. Il ne semble pas qu’elle réussisse à la traiter avec la même neutralité et la même hospitalité. En parlant d’elle, ses yeux et sa voix expriment une certaine amertume. D’ailleurs, elle ne l’a évoquée que pour répondre à ma question concernant la vie affective de son fils. Ce sujet semble la déranger à l’égal de celui de la ménopause. Elle en parle très peu et passe rapidement à un autre sujet. La destitution du père en faveur du fils Shadya est restée très attachée à ce fils devenu adulte. Depuis un certain temps déjà elle lui confiait le salaire de son père. Elle l’a complètement chargé de l’entretien de la maison. Elle disait : « Si je veux acheter quelque chose pour la maison je lui demande de l’argent. Je le consulte dans toutes mes affaires. Il est encore étudiant, il ne gagne pas sa vie comme ses frères. Je lui ai légué la maison familiale. Tout cela l’a beaucoup aidé à avoir confiance en lui-même. Il est très attaché à moi. » Il est clair que Shadya a détrôné le père en faveur de son benjamin. Elle dépouille le chef de famille de son argent et de sa maison. Elle se met avec son mari sous sa tutelle, justifiant sa conduite en disant que cet enfant s’occupera bien d’eux durant leur vieillesse. Elle dit : « Il nous traitera avec amour et il ne sera pas ingrat parce que je lui ai tout donné. » On pourrait décrire la situation en disant que cette femme est entrée en « déhiscence » vis-à-vis de son enfant. La déhiscence est un terme de botanique. Il désigne l’action par laquelle l’organe clos s’ouvre le long d’une suture préexistante et livre tout son pollen comme une anthère. Je reprends ce terme proposé par Amine Azar dans le cadre de son étude sur « la folie de la maternité amoureuse » chez des quadragénaires [3]. Il lui sert à décrire ce mouvement d’oblativité par lequel une personne veut disparaître dans une totale démission de soi au service de l’objet de son amour. 8 Un objet sexuel incestueux refoulé On peut se demander si l’intérêt sexuel de Shadya pour son mari n’a pas commencé à diminuer à ce moment-là – justement – où son benjamin a débuté sa liaison amoureuse avec cette jeune fille ? De fait, le désintérêt sexuel de Shadya pour son mari a eu lieu beaucoup plus tôt. Shadya le fait remonter à plusieurs années en arrière, sans préciser davantage. Nous ne saurions donc déterminer avec exactitude l’époque de son renoncement sexuel. Mais ce que nous pouvons avancer c’est qu’il est en relation avec son attachement libidinal à son fils. Qu’il ait débuté à la naissance de l’enfant, ou à son entrée en ado20 lescence nous n’en savons rien, parce que Shadya n’a pas livré d’informations à ce sujet. Nous pouvons tout de même préciser que cette période de renoncement sexuel a été tranquillement vécue par elle. Elle n’a pas souffert de moments de déprime, comme c’est le cas aujourd’hui. Il semble que ses troubles se sont déclenchés quand son fils a contracté cette relation amoureuse. Cela nous amène à dire qu’en renonçant à l’amour de son mari Shadya a déplacé son investissement libidinal sur son fils. Elle n’a pas uniquement détrôné le père en faveur du fils sur le plan matériel mais aussi sur le plan libidinal. Il nous semble que son renoncement sexuel est dû à ce surinvestissement libidinal incestueux du fils. Il n’est pas surprenant qu’elle manifeste une certaine fragilité en parlant de la ménopause dans la mesure où il apparaît que cet événement a malheureusement coïncidé avec l’initiation sexuelle de son benjamin avec cette jeune fille. En conséquence de quoi elle a doublement souffert. On peut se demander si cet enfant non voulu du père et qui fut ardemment protégé par la mère contre le monde extérieur n’est pas finalement l’héritier de son grand-père maternel. Nous savons bien, d’après ce que Freud nous a enseigné, que la jeune fille surinvestit son fils des qualités de l’idéal dont elle auréolait petite fille son propre père. À écouter Shadya, il semble que cet enfant en tant qu’héritier du grand-père (maternel) accapare les investissements libidinaux de sa mère parvenue à l’âge critique. De sorte que, pour cette femme, on peut considérer que cet enfant climatérique, en sus de vérifier l’équation symbolique de Freud [5] évoquée plus haut, en sus d’être un enfant thérapeutique, et en sus d’avoir la fonction de bâton de vieillesse, il fait également office de relais entre les générations. – Quatre bonnes raisons pour une bonne mère d’entrer en déhiscence vis-à-vis de son dernierné au moment de la ménopause. 9 Le relais entre les générations Shadya parle avec admiration de la ressemblance corporelle entre son propre père et son benjamin. Elle dit : « Si vous voyez mon fils maintenant, vous ne diriez pas que cet homme était malingre et chétif dans son enfance. Il est tellement robuste et grand comme mon père ! Vous diriez un Abaday 1 du village. » De même, elle a souvent évoqué des traits de personnalité communs entre les deux hommes. Elle dit : « Mon fils a un caractère un peu particulier. Il est très bon mais il est obstiné. Il lui arrive parfois de refuser de discuter certaines idées et de ne se fier qu’à lui-même. Je pense qu’il a hérité ce trait – comme tant d’autres d’ailleurs – de mon défunt père. Il ressemble bien plus à mon père qu’à la famille de mon mari. » 1 Références [1] AJAIMI, Claudia : « La déroute du désir à la ménopause & la fantaisie de l’âme sœur », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙1020, octobre 2004, 6 p. Repris in ’Ashtaroût, cahier horssérie n°6, décembre 2005, pp. 62-67. [2] AJAIMI, Claudia : Explorations cliniques du climatère au Liban, Thèse de l’Université de Paris V – René Descartes, soutenance prévue en juin 2006. [3] AZAR, Amine : « La sexualité féminine réduite à quelques axiomes », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙1016, octobre 2004, 17+2 p. Repris in ’Ashtaroût, cahier hors-série n°6, décembre 2005, pp. 42-57. [4] DOSTOÏEVSKI, Fiodor M. : (1870) L’Éternel mari, trad. de Nina Halpérine-Kaminsky, édition établie et préfacée par Wladimir Troubetzkoy, Paris, GF-Flammarion, in-12, 1992, 247p.. [5] FREUD, Sigmund : (1917e) « Des transpositions pulsionnelles, en particulier dans l’érotisme anal » in La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, pp. 106-112 ; GW, 10 : 402-410 ; SE, 17 : 127-133 ; OCF, 15 : 55-62. Homme fort et baraqué, une sorte de malabar. 21