Un article de la revue ETP/TPE sur les besoins des

Transcription

Un article de la revue ETP/TPE sur les besoins des
Quelles compétences peuvent être mobilisées par des patientes
atteintes de cancer du sein durant leur parcours de soin ?
Une enquête par entretiens auprès de patientes et de
professionnels d’un centre de lutte contre le cancer.
Which skills should be used or achieved by patient suffering from breast cancer while they are cured. An
investigation by interviews of patients and professionals in a cancer pole.
Emmanuelle Arfé1, Marie Bombail2, Henri Roché2, Rémi Gagnayre1
1
Laboratoire de Pédagogie de la santé, EA 34-12, Université Paris 13, Bobiny, France.
2
Institut Claudius Regaud, Centre de lutte contre le cancer, Toulouse, France
Résumé - Introduction : En France, le parcours de soins en cancérologie est défini par le plan cancer 2007 –
2010 qui précise les étapes et les dispositifs. Des études internationales montrent un rapprochement possible
entre l’éducation thérapeutique du patient et la cancérologie. Si les recommandations de la Haute Autorité de
Santé en 2007 et la loi française HPST du 21 juillet 2009 permettent un langage commun, elles ne précisent pas
le parcours possible d'éducation du patient. Objectif : Préciser, dans un parcours de soin de sénologie, les
compétences pouvant être acquises par les patientes atteintes de cancer du sein pour réaliser leurs auto-soins
et s’adapter aux changements occasionnés par la maladie. Méthode : L’étude est réalisée au Centre de Lutte
Contre le Cancer de Toulouse. Des entretiens semi directifs sont établis auprès de patientes et de
professionnels. Les patientes sont suivies par un oncologue dans le cadre d’un cancer du sein non
métastatique. Les professionnels présentent une activité clinique auprès de patientes atteintes de cancer
mammaire. La grille d’entretien est identique pour les patientes et les professionnels. Les verbatim ont fait
l’objet d’une analyse catégorielle permettant l’identification d’éléments de compétences. Résultats : 12
entretiens auprès de patientes, 18 auprès de professionnels. 101 éléments constitutifs de compétences
répertoriés. Ils sont énoncés avec une fréquence variable. Les compétences qui recueillent le plus d’éléments
sont des compétences d’adaptation à la maladie. Discussion : Nous retrouvons dans l’ensemble des propos des
personnes interrogées les éléments de compétences que sont : l’utilisation d’un vocabulaire adapté, s’écouter,
appréhender le regard des autres, lutter contre la maladie. Globalement, les compétences s’orientent vers la
résolution de problèmes en lien avec la gestion de l’émotion, de l’adaptation à la maladie.. Les verbatim des
patientes confortent des approches de la pédagogie par les compétences et permettent de projeter un
parcours d’éducation en sénologie qui privilégie chez les patientes l’implantation de stratégies d’adaptation.
Mots clés : Education thérapeutique / cancer / compétences d’adaptation
Abstract – Which skills should be used or achieved by patient suffering from breast cancer while they are
cured. An investigation by interviews of patients and professionals in a cancer pole. Introduction: In
oncology, path of care is defined in France by the 2007-2010 cancer plan which specifies the steps and devices.
International Studies can show similitude between the therapeutic patient education and cancerology. If the
st
high authority of health recommendations in 2007, and the French law “HPST” from the 21 of July 2009, allow
a common language, they do not propose (or provide, precise) a possible patient education path. Objective:
To clarify, on a senology path of care , the necessary skills to be achieved by the breast cancer patients to cure
themselves on their own and adapt themselves to the changes caused by the disease. Method: The study has
been drived at the “Centre de Lutte contre le Cancer” in Toulouse. Directive semi interviews are set for both
patients and professionals. Patients are adults, have a non-metastatic breast cancer, and are followed by an
oncologist
who cure breast cancer patients. The questions scheduled are the same for patients and
professionals. The verbatim has been chosen (or selected) in order to point out a skills identification . Results:
12 interviews with patients, and 18 with professionals have been done. 101 different skills have been listed.
1
They have been used with a variable frequency. Skills which have been the most expressed point out
adaptation to the disease. Discussion: According to most of the people interviewed, the competencies
developped during their path of care are: the use of an adapted and technical vocabulary, the care of
themselves, how to live better in the society, the fight against cancer. Globally, the skills expected should help
in solving problems linked to the management of emotion and adaptation to the disease. The verbatim of
patients confirms that the pedagogy approaches should promote their own personal skills and be the start of a
senology education training program, helping to adapt themselves better to their new way of life and fight
against cancer.
Key words : Therapeutic education / cancer / adaptation competencies / skills
Abréviations: HAS: Haute Autorité de Santé / OMS: Organisation Mondiale de la Santé / INPES: Institut
National de Prévention et d’Education pour la Santé / ICR : Institut Claudius Regaud / CLCC : Centre de Lutte
Contre le Cancer.
1. Introduction
Les Plans Cancer 2007 – 2010 puis 2009 – 2013 présentent l’institution sanitaire, non plus seulement
comme un lieu qui soigne, mais aussi comme un lieu qui prend soin. Ces plans mettent l’accent sur le dispositif
d’annonce, les réunions de concertation pluridisciplinaires, le programme personnalisé de soins, les soins de
support, les soins palliatifs et l’accompagnement social. Ils tendent à améliorer le parcours de soins, avec
notamment des moments clés tels que l’annonce du diagnostic, le retour au domicile, la rechute, la fin du
traitement. Les différents axes mentionnés s’articulent grâce à des thèmes transversaux, qui visent à analyser
et prendre en compte les facteurs individuels et environnementaux pour personnaliser la prise en charge
avant, pendant et après la maladie. Ces Plans Cancer ont été une source d’inspiration pour l’organisation
territoriale des soins, portée aujourd’hui par la loi HPST n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de
l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, notamment par l’organisation de l’accès aux soins,
avec la création d’un premier et d’un second recours. Cette loi précise que l’éducation thérapeutique du
patient fait partie intégrante du parcours de soin, ce qui n’est pas sans rappeler celui du malade atteint de
cancer, qui notifie notamment l’intérêt d’une collaboration étroite entre établissements et professionnels « de
ville ». La loi HPST présente l’éducation thérapeutique comme une priorité nationale. Selon l’OMS [1], le cancer
répond aux critères de maladie chronique car il implique « un problème de santé qui nécessite une prise en
charge sur une période de plusieurs années ou plusieurs décennies avec la présence d’une cause organique,
une ancienneté de plusieurs mois et un retentissement de la maladie sur la vie quotidienne ». Lorsque l’on
parle de maladie chronique, un traitement au long court est le plus souvent associé. Ce schéma existe
notamment dans le traitement du cancer du sein. Aujourd’hui, plusieurs médicaments anticancéreux majeurs,
principalement de la classe pharmacologique des anti-métabolites et des poisons du fuseau, sont
commercialisés par voie orale. Le développement de la chimiothérapie anticancéreuse per os est facilité par un
certain nombre de dispositions réglementaires notamment la levée de la réserve hospitalière pour certains
traitements. Cette galénique rend le traitement plus pratique, mais implique comme la forme intraveineuse,
une surveillance, une vigilance et une rigueur dans l’utilisation. Lorsque le diagnostic de cancer du sein est
posé, suit dans la majorité des cas, un plan de traitement qui induit des modifications dans l’organisation de la
vie des patientes. Face aux nécessités personnelles ou professionnelles et dès lors que la maladie surgit, les
patientes cherchent à donner un sens, et pour elles « apprendre est devenu un challenge au quotidien» [2].
L’éducation thérapeutique pose le principe que les compétences nécessaires pour gérer la maladie, le
traitement et vivre le mieux possible avec une maladie chronique peuvent être acquises par les patientes, grâce
à des temps d’apprentissage formels proposés en premier lieu par les soignants de façon concomitante aux
soins. Ces compétences ne s’acquièrent pas comme les connaissances, elles présentent une construction
complexe car « elles concernent l’intelligibilité de soi et de sa maladie, l’auto-observation, l’auto-soin, le
2
raisonnement et la décision, ainsi que les relations à l’entourage et l’utilisation correcte du système de santé,
que complètent d’autres compétences d’adaptation à la maladie » [3]. La notion de compétences des patientes
répond à « un savoir-agir complexe qui prend appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une
variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » [4]. Une fois passée la
surprise du diagnostic, les patientes s’interrogent sur leur avenir, et certaines incertitudes liées aux
traitements, aux examens, à leur vie professionnelle… sont source d’angoisse. Il est clair que les patientes
cherchent de l’information, se questionnent à propos de leur santé, de leur maladie, de leur traitement et de
leurs valeurs de vie. Elles apprennent par des cheminements divers, par l’appropriation d’un savoir qu’elles
construisent, dans un environnement socioculturel particulier [5], on peut alors s’interroger sur les
compétences acquises en lien avec leur parcours de soin.
2. Problématique
2.1 En cancérologie, une organisation et une délivrance des soins, planifiées.
Le cancer du sein est une pathologie qui sévit dans tous les pays du monde et qui mobilise de nombreux
spécialistes dans différents domaines. Dans plusieurs pays, une dynamique s’est instaurée autour de cette
pathologie pour rendre l’environnement qui entoure cette maladie, le plus favorable possible, pour les
patientes. La Grande Bretagne, les Pays Bas, le Canada et la France, notamment ont défini un plan Cancer [6].
En Grande Bretagne, par exemple, le rapport Calman Hine en 1995 [7] a fixé des règles qui président à
l’organisation et à la délivrance des soins en cancérologie avec notamment la continuité entre les différentes
étapes du parcours de soins (dépistage-diagnostic-traitement-suivi), la meilleure information du patient et la
mise en place d’une dynamique de travail multidisciplinaire, centrée autour des patientes. En France, le Plan
Cancer 2009 – 2013 évoque la même organisation en précisant de « renforcer la qualité des prises en charge
pour tous les malades atteints de cancer et notamment de rendre accessible aux patients une information de
référence sur les cancers afin d’en faire des acteurs du système de soins». Ce dernier concept n’est pas sans
rappeler la notion d’acteurs de E.Friedgerg et M.Crozier [8] pour lesquels « l'acteur n'existe pas en dehors du
système qui définit la liberté qui est la sienne et la rationalité qu'il peut utiliser dans son action. Mais le
système n'existe que par l'acteur qui seul peut le porter et lui donner la vie, et qui seul peut le changer ». Les
patientes atteintes de cancer du sein sont des actrices au cœur d’un système de soins. Ce dernier leur est plus
ou moins familier, et s’impose comme lieu ou cause de changements. Les femmes touchées par le cancer du
sein, acquièrent le statut de patientes au regard de leur maladie. Placées en condition d’actrices, elles
communiquent sur leur maladie et acquièrent des connaissances. Notre constat empirique montre qu’elles
développent des habiletés et adoptent des stratégies d’adaptation pour apprendre et acquérir des
compétences en transférant leurs connaissances, leurs capacités, leurs habiletés dans des situations qui leurs
sont propres. Le but serait d’aider les patientes à acquérir ou maintenir les compétences dont elles ont besoin
pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. L’éducation thérapeutique du patient est un
processus continu d’apprentissage et de soutien psychosocial qui peut permettre aux patientes de mobiliser
ces compétences.
2.2. Un rapprochement possible entre la cancérologie et l’éducation thérapeutique
Des études [9] [10] [11] [12] montrent un rapprochement possible entre l’éducation et la cancérologie
notamment, dans la prévention (agir sur les facteurs de risque de la récidive, d’une complication), les adjuvants
de la thérapeutique (observance de la chimiothérapie orale, hormonothérapie, stomie, chambre implantable),
la gestion des effets secondaires des traitements spécifiques, la gestion des risques inhérents aux traitements
chirurgicaux, médicaux et de radiothérapie anticancéreux. Un des premiers programmes (educational group)
pour les personnes atteintes de cancer fut un programme intitulé « I can cope » en Australie [13]. Les résultats
de ce type de programme ont montré un impact significatif chez les patientes sur leur niveau d’anxiété et les
connaissances sur leur maladie. Par la suite, ces programmes ont aussi montré une amélioration chez les
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patientes de leur relation avec leurs proches. En Europe, l’évaluation du programme éducatif intitulé
« Learning to live with cancer » montre une amélioration chez les patientes de la compréhension du matériel,
une meilleure connaissance des traitements et de leur maladie ainsi qu’une facilité à se confier, à parler avec
les professionnels de santé et à adopter une stratégie d’ajustement, de « coping » [14]. Il convient de préciser
que les patientes ont non seulement développé leurs connaissances sur la maladie et les traitements mais aussi
sur les processus d’adaptation suite au diagnostic de cancer [15] avec notamment une amélioration de leurs
connaissances et de la compréhension de leur cancer ainsi qu’une meilleure habileté à communiquer sur leur
maladie avec les autres personnes et avec le personnel médical [16]. Une autre étude a montré que l’éducation
modifiait les effets du cancer sur l’employabilité des patients [17]. Aux Etats Unis, un travail de recherche a
permis de mettre en évidence qu’un programme d’éducation permettait de limiter l’impact de la douleur chez
les patientes atteintes de cancer [18]. De plus, un nombre important de praticiens reconnaissent les difficultés
pour les patientes d’adhérer au traitement antinéoplasique oral, un programme intitulé « Compliance Strategic
initiative » a été créé pour améliorer l’adhérence aux traitements oraux [19]. En conclusion, de nombreuses
études montrent un impact plutôt positif de l’éducation pour les patients atteints de cancer.
Toutes ces expériences montrent l’utilité d’une information sur la maladie, les traitements, les
examens et leurs conséquences sur la santé, la vie individuelle et sociale, mais elles vont plus loin en proposant
une démarche d’intégration de l’information par une construction de compétences nécessaires pour vivre au
quotidien avec une maladie chronique. Une démarche d’éducation thérapeutique du patient appréhende le
changement avec des objectifs d’équilibre de santé au regard d’une maladie chronique. Une pathologie de
longue durée comme le cancer du sein, exige que les patientes puissent négocier leurs propres priorités, leurs
préférences, pour devenir des actrices effectives du processus de décisions et de soins. Les mesures
préconisées par le plan Cancer 2009 – 2013 facilitent la prise en compte des spécificités liés à l’âge, aux
difficultés sociales, aux comportements et aux expositions professionnelles ou environnementales à risque ; les
personnes et notamment les femmes sont prises en compte dans leurs besoins spécifiques dans leurs
dimensions bioclinique, psychosociale et pédagogique. Le parcours de soins, qui répond au diagnostic de
cancer du sein, comporte des moments forts qui doivent être particulièrement accompagnés: l’annonce du
cancer ou celle des rechutes, le retour au domicile entre les phases hospitalières de traitement, la fin du
traitement. Ces moments forts se vivent actuellement au cours d’un parcours de soin qui n’intègre pas de
parcours d’éducation. Aujourd’hui, en France, si les recommandations de bonnes pratiques publiées par la HAS
en juin 2007 [20] permettent un langage commun et sont connues par la plupart des professionnels de
l’éducation thérapeutique, elles ne précisent pas le type de parcours d’éducation des patientes possible.
2.3 Particularités épidémiologiques du cancer du sein.
En cancérologie, un parcours de soin se décline pour tous les cancers quelle que soit la localisation
primitive. Cependant, certaines localisations sont la cible de traitements anticancéreux de plus en plus
efficaces, et ont bénéficié de découvertes chirurgicales, radiothérapeutiques et pharmacologiques permettant
d’augmenter considérablement l’espérance de vie des patients. C’est le cas du cancer du sein. Il est à l'origine
de 20 % des décès féminins par cancer et présente des taux de survie à 1, 3 et 5 ans respectivement de 97 %,
90 % et 85%, selon une étude des registres du réseau Francim portant sur la période 1989-1997 [21] tous
stades confondus. Le cancer du sein se développe à partir des canaux et des lobules de la glande mammaire.
Cette tumeur maligne est diagnostiquée principalement chez les femmes, le cancer du sein survient 200 fois
moins souvent chez l'homme [22], ce pourquoi le féminin sera employé pour la suite de l’étude. Entre 1980 et
2000, le nombre de nouveaux cas de cancer du sein a presque doublé, mais la mortalité a très peu augmenté
grâce au diagnostic plus précoce et à l'amélioration des soins. C’est un cancer qui touche une population jeune,
plus de 50 % des cancers sont observés après 65 ans, moins de 10 % avant 35 ans [23]. Cinq types de
traitements existent, seuls ou associés : chirurgie (mastectomie ou tumorectomie), radiothérapie
(Curiethérapie et radiothérapie externe), chimiothérapie, hormonothérapie et traitements ciblés. La durée du
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traitement est variable et peut dépasser l’année. Le parcours de soins du cancer du sein est long et fastidieux, il
est l’œuvre de professionnels de santé spécialisés et de patientes qualifiées de « héros ordinaires » lors de la
campagne audiovisuelle de l’Institut National du Cancer intitulée « Pour un nouveau regard sur les cancers » en
2010. Héros ordinaires malgré elles, car elles ont présenté un cancer avec ce que cela comporte de
représentations, d’émotions, d’angoisses, et de mal être. Chacune a su construire des ressources lui
permettant de faire face et de vivre avec cette maladie, car la vie ne s’arrête pas avec un diagnostic de cancer.
Ces femmes ont ressenti la nécessité de faire connaître leur besoins, de comprendre, d’analyser, de faire face,
de gérer leur vie, de faire, de s’adapter et d’utiliser les ressources du système qui les entoure [24]. A partir de
ce constat, le but de notre étude qualitative à caractère exploratoire s’attache à examiner à partir du point de
vue des patientes et des professionnels de santé les apprentissages formels susceptibles d’être réalisés durant
le parcours de soin par les patientes atteintes de cancer du sein au regard des « compétences à acquérir par le
patient au terme d’un programme d’éducation thérapeutique, quels que soient la maladie, la condition ou le
lieu d’exercice » [3]
3. Population et méthode
L’étude a été présentée par le responsable des affaires médicales, du Centre de Lutte Contre le Cancer de
Toulouse (Institut Claudius Regaud) à l’ensemble des professionnels travaillant avec des patientes atteintes de
cancer du sein au cours d’un comité de sénologie. Le recueil d’information a été établi à partir d’entretiens
semi directifs sur 2 populations différentes : les patientes et les professionnels. Les patientes et les
professionnels ont donné leur accord verbal pour leur participation à l’étude au moment de la proposition
d’entretien. Cette étude ne répond pas à une procédure particulière en termes de confidentialité, elle respecte
la charte éthique en vigueur à l’Institut Claudius Regaud.
3.1 Population de l’étude
Les patientes
Le recrutement des patientes a été réalisé dans le Centre de Lutte contre le Cancer de Toulouse
(Institut Claudius Regaud) à partir de la file active de 3 sénologues tirés au sort parmi les 5 travaillant à l’ICR.
Les patientes sont âgées de plus de 18 ans, suivies par un oncologue dans le cadre d’un cancer du sein non
métastatique ayant nécessité un traitement par radiothérapie et/ou par chirurgie, et/ou par chimiothérapie,
et/ou hormonothérapie et/ou thérapie ciblée. Les patientes sont en suivi post traitement, ce qui signifie que le
traitement curatif répondant au diagnostic initial est terminé. Ne sont pas concernées par l’étude, les patientes
en cours de traitements actifs, les femmes atteintes de cancer autre que le cancer du sein ainsi que les
patientes présentant des handicaps ou difficultés dans le domaine de l’expression orale, cognitif,
comportemental, psychologique ou contre-indication médicale.
Afin de répondre à un critère d’efficience, au regard du temps consacré à l’étude et de la répartition
géographique des patientes, les entretiens sont établis lors de consultations regroupant un nombre important
de patientes « en suivi ». Les patientes étant déjà très sollicitées pour le suivi de leur maladie, un rendez-vous
et un transport supplémentaire induit par l’étude, n’étaient pas envisageables. La proposition d’entretiens est
faite dans la salle d’attente, avant ou après la consultation médicale, considérant la disponibilité des patientes,
leur état émotionnel et leur intérêt. Le nombre d’entretiens auprès des patientes a été ordonné selon la
technique de saturation [25]. Les entretiens ont été enregistrés sur un dictaphone numérique après l’accord
des personnes interrogées.
Les professionnels
5
Le recrutement des professionnels s’est établi à partir d’une liste de personnels travaillant à l’Institut
Claudius Regaud. Ils ont été tirés au sort à partir de listes regroupant l’ensemble des professionnels salariés à
l’Institut Claudius Regaud. Un premier travail a consisté à mettre en évidence l’ensemble des professionnels
intervenant dans le parcours de soin, pour le cancer du sein, puis 1 professionnel de chaque catégorie
« métier » a été tiré au sort. Les professionnels présentent une durée d’activité auprès de patientes atteintes
de cancer du sein supérieure à 2 ans, durée estimée nécessaire pour prendre en charge une patiente de façon
autonome. Une activité professionnelle en contact direct avec les patientes est un critère de sélection pour
participer au tirage au sort. Les professionnels sont représentés par : 1 oncologue, 1 sénologue, 1 chirurgien, 1
radiothérapeute, 1 médecin généraliste, 1 coordinateur de soins à domicile, 1 infirmier de chirurgie, 1 infirmier
de médecine, 1 infirmier libéral, 1 algologue, 1 cadre de santé, 1 kinésithérapeute, 1 diététicien, 1 assistante
sociale, 1 psychologue clinicienne, 1 sophrologue, 1 aide-soignante.
1 membre d’association (La ligue contre le Cancer), a été associé à cette liste parce que le Plan Cancer
2009 -2013 tend à améliorer le parcours de soins en insistant sur des moments se situant hors des structures
hospitalières. La professionnelle sollicitée n’est pas une patiente atteinte de cancer du sein.
Les entretiens se sont déroulés sur rendez-vous, sur le lieu de travail des professionnels.
Le nombre d’entretiens auprès des professionnels respecte le nombre minimal d’au moins un entretien dans
les catégories professionnelles citées ci-dessus. Chaque professionnel répondant avec sa vision de spécialiste, il
s’agissait d’avoir la palette la plus large possible de professionnels en ne visant pas la saturation mais une
complémentarité maximale des entretiens. Une liste a permis d’identifier 20 professionnels.
3.2 La grille d’entretien
Conception
La grille d’entretiens est conçue pour favoriser une « relation d’écoute active et méthodique» [26]. Les
compétences à acquérir par le patient au terme d’un programme d’éducation thérapeutique, développées en
2001 par JF.d’Ivernois et R.Gagnayre [24] ont servi d’appui à la construction de questions cohérentes,
pertinentes et ordonnées de façon logique, eu égard à la problématique. Les 8 compétences de référence
visent un but à atteindre par les patientes pour gérer leur maladie et leur traitement, à raison de compétences
d’autosoins et de compétences d’adaptation à la maladie. Au moment de l’étude, la matrice de 8 compétences
transversales, ne comporte que 2 compétences d’adaptation à la maladie : (1) Faire connaître ses besoins ;
Informer son entourage. (2) Utiliser les ressources de soins ; Faire valoir ses droits.
L’étude s’organise dans le contexte du soin oncologique, il convient de rappeler que les perspectives
de guérison, pour un cancer du sein, impliquent de préparer et d'accompagner l'après cancer. En faisant
référence à la mesure 25 du plan Cancer 2009-2013, il importe de considérer l’après cancer comme faisant
partie intégrante du parcours de soin, et de considérer, à part entière, la dimension sociale de la maladie. La
dernière question du guide d’entretien est donc écrite pour faire sens auprès des professionnels et des
patientes, interviewés dans le contexte particulier de la cancérologie. Cependant pour éviter une orientation
trop marquée sur un registre de compétences et afin de permettre aux interviewés d’émettre un récit complet
concernant leurs compétences d’auto soins et leurs compétences d’adaptation, la dernière question du guide
d’entretiens s’inspire des compétences d’adaptation à la maladie type HAS-INPES [27] définie par l’OMS [28] en
termes de compétences psychosociales. L’OMS énumère 10 compétences psychosociales, reprises par la HASINPES sous forme de 7 compétences d’adaptation à la maladie.
6
Test de la grille d’entretien
La grille d’entretiens a été testée auprès d’une infirmière et d’une patiente. Les résultats de ces tests
ont conduit à ajouter une question générale d’introduction pour permettre aux interviewés de préciser le cadre
du dialogue : « Durant votre parcours de soins, qu’avez-vous eu besoin d’apprendre, de comprendre ? » puis
les questions suivantes permettaient aux personnes de compléter leur propos.
Tableau I. Guide pour les entretiens semi-directifs auprès des patientes et des professionnels.
Questions proposées aux patientes
Questions proposées aux professionnels
Durant votre parcours de soins, qu’avez-vous eu
besoin d’apprendre, de comprendre ?
Selon vous, qu’est-ce que les patientes atteintes de
cancer du sein ont besoin d’apprendre, de
comprendre durant leur parcours de soins ?
Notamment pour :
 Informer votre (leur) entourage de votre état de santé ?
 Faire connaître vos (leurs) besoins auprès des professionnels de santé ou de votre (leur) entourage ?
 Repérer, analyser, mesurer certains symptômes, certaines données biologiques ?
 Faire face à la (leur) maladie, au (à leur) traitement, au (à leur) pronostic, décider d’une conduite à
tenir ?
 Résoudre un problème de thérapeutique quotidienne, de gestion de votre (leur) vie et de votre (leur)
maladie ?
 Pratiquer un geste technique spécifique, faire une activité particulière ?
 Adapter votre (leur) mode de vie, réajuster certaines habitudes ?
 Utiliser les ressources du système de soins, faire valoir vos (leurs) droits ?
 Résoudre les problèmes posés par le regard des autres sur vous (sur elles), par la modification de
votre (leur) capacité d’action ou pour envisager un projet.
Les 2 personnes ayant participé au test de la grille d’entretiens ne sont pas intégrées dans l’étude. Les
entretiens ont duré en moyenne quarante minutes.
3.3 Méthode d’analyse de contenu
L’analyse de contenu des entretiens est descriptive. Elle utilise une grille d’analyse catégorielle qui
reprend le schéma du guide d’entretiens. Les éléments de compétences recueillis lors des entretiens sont
inscrits dans une grille créée au regard d’une des 8 « compétences à acquérir par le patient au terme d’un
programme d’éducation thérapeutique, quels que soient la maladie, la condition ou le lieu d’exercice » [3] et
d’une compétence inspirée des compétences d’adaptation répertoriées dans le rapport HAS-INPES [29]. Au
moment de l’étude, la proposition de nouvelles compétences d’adaptation à la maladie proposées par un
7
groupe de travail n’est pas publiée [37].Les éléments de compétence sont retenus en fonction de leur
énumération et de leur répétition fréquentielle [25].
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Figure I : Exemple de catégorisation
Verbatim
Eléments de compétence
Compétence
« Au début, je parlais de
perfusion d’antibiotiques à
mon mari pour parler de la
chimiothérapie »
Utiliser un vocabulaire
spécifique
« j’ai expliqué à mon mari la
chambre implantable, et oui !
il parlait toujours du truc »
« Je lui ai d’abord dit ce que
j’avais compris »
Informer leur
entourage de leur état
de santé
Prioriser les
informations
« En premier, je lui ai dit que
la tumeur était stable, et après
j’ai dit pour la suite du
traitement »
4. Résultats
4.1 Présentation des populations de l’étude
Les patientes
12 patientes ont été sollicitées pour des entretiens, elles ont toutes répondu positivement. Les
patientes interrogées ont en moyenne 61 ans et avaient 50 ans lors du diagnostic. Parmi les 12 patientes
interrogées, 7 ont reçu un traitement qui associe un acte chirurgical, de la chimiothérapie et de la
radiothérapie, 3 un acte chirurgical et de la chimiothérapie, 1 seulement de la chimiothérapie et pour finir 1
seulement de la chirurgie. Aucune de ces patientes n’a bénéficié d’un programme d’éducation thérapeutique
énoncé comme tel, ou d’un suivi particulier centré formellement sur des apprentissages.
Les professionnels
Sur les entretiens prévus auprès de 20 professionnels au départ, 18 entretiens ont pu être effectué. 1
kinésithérapeute et 1 aide-soignante n’ont pu se rendre disponible pour participer à l’étude. C’est au total 18
entretiens exploitables. 17 professionnels sur 18 interrogés présentent plus de 5 ans d’expérience
professionnelle en cancérologie. Aucun n’a suivi de formation spécifique en éducation thérapeutique,
pédagogie ou communication.
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4.2 Eléments de compétences énoncés lors des entretiens.
Au cours des 30 entretiens menés auprès des patientes (n=12) et des professionnels (n=18), 101
éléments de compétences ont été répertoriés. 52 ont été énoncés de façon commune par les professionnels et
par les patientes, 17 uniquement par les patientes et 32 uniquement par les professionnels. Ils sont énoncés
avec des fréquences variables (cf. Tab II).
Tableau II. Population et fréquence des éléments de compétences énoncés
Enoncés par les professionnels et
les patientes (n =30)
Enoncés uniquement par les
patientes (n= 12)
Enoncés
uniquement
professionnels (n= 18)
par
les
Informer son entourage, faire connaître ses besoins
UTILISER
un
vocabulaire COMPRENDRE
certaines
spécifique (30)
causes spécifiques du cancer
S'ECOUTER (30)
du sein (2)
PRIORISER les informations (26)
COMPRENDRE la nécessité de
l'information de l'entourage (20)
IDENTIFIER
les
attitudes
réciproques possibles entre la
patiente et son entourage (14)
GERER l'émotion (12)
EVALUER la gravité de la maladie (10)
TRANSMETTRE
des
informations
spécifiques aux enfants (5)
RECONNAITRE les étapes du deuil (4)
Comprendre, s’expliquer
APPRENDRE une hygiène de vie en
rapport à la maladie (30)
FAIRE référence aux besoins
spécifiques liés à la maladie (19)
UTILISER
des
moyens
de
sollicitation de l'entourage (15)
UTILISER des techniques de
reformulation (10)
EXPLIQUER sa maladie (12)
FAIRE référence aux besoins de santé
(15)
CRITIQUER les discours médiatisés (13)
LIRE de façon clairvoyante les notices
des médicaments (9)
Repérer, analyser, mesurer
AUTO EVALUER les symptômes
(30)
MAITRISER son poids (24)
LIRE les résultats des bilans
biologiques (15)
MESURER la douleur (18)
MESURER la tolérance de la douleur
(15)
OBSERVER l’état cutané (3)
Faire face, décider
GERER les effets secondaires des
traitements anticancéreux (28)
REPONDRE
à
une
perte
d'autonomie temporaire (23)
RECONNAITRE
les
signes
d'aggravation, et faire appel à un
professionnel (12)
PRIORISER les symptômes (12)
GERER les interdits liés au
traitement (11)
UTILISER des thérapeutiques
parallèles (11)
ADOPTER des gestes adéquat /
l'alopécie (9)
ANTICIPER les évènements (16)
PRIORISER les interventions (4)
10
Résoudre un problème de thérapeutique quotidienne, de gestion de sa vie, résoudre un problème de
prévention
UTILISER l'homéopathie pour
résoudre la symptomatologie liée
aux effets secondaires du
traitement (25)
INTEGRER le traitement dans ses
habitudes de vie (20)
CONNAITRE les effets secondaires
liés à la prise d'hormonothérapie
(18)
CONNAITRE la conduite à tenir en
cas d'aplasie fébrile (18)
GERER les prescriptions "si
besoin" (16)
RESPECTER une observance du
traitement (14)
MAINTENIR une activité physique
(12)
UTILISER
des
prothèses
mammaires (10)
UTILISER des prothèses capillaires
(8)
ADAPTER
une
contraception
compatible
avec
l’hormonothérapie (4)
APPREHENDER des éléments de
pharmacologie et pharmacocinétique
(5)
Pratiquer, faire
MOBILISER le bras en adéquation
avec
un
acte
chirurgical
effectué(29)
UTILISER des termes précis pour
nommer le matériel spécifique
utilisé dans le cadre du
traitement(15)
ANTICIPER
l'alopécie
par
l’adoption d’une coupe de
cheveux adéquate(14)
FAIRE un autoexamen de son bras
après une mammectomie (12)
FAIRE un autoexamen de ses
prothèses mammaires (8)
GERER les alarmes des pompes
ambulatoires (3)
PREVENIR le lymphocèle (8)
SURVEILLER la chambre implantable (7)
ADOPTER une protection cutanée
compatible avec la radiothérapie (5)
Adapter, réajuster
SE REPOSER (30)
ADOPTER un rythme de vie
prenant en compte la fatigabilité
du moment (30)
UTILISER des techniques de
relaxation, méditation (28)
RESPECTER les modalités de suivi
DECIDER de l’intervention du
kinésithérapeute, au regard
d’une prescription en fonction
des symptômes observés au
niveau du bras en post
chirurgie(8)
GERER les priorités en cas de polypathologies (12)
ORGANISER les vacances en fonction du
rythme du traitement (9)
11
du traitement (19)
Utiliser les ressources du système de soins, faire valoir ses droits
DIFFERENCIER le rôle du médecin
traitant et celui du spécialiste (30)
TROUVER la personne ressource
par rapport à un type de
problème (23)
CHERCHER les étapes du parcours
de soin, notamment les moments
dédiés à prise de décision
médicale(19)
PRATIQUER le rôle et les fonctions
des soins de support (18)
EXPERIMENTER
le
fonctionnement de l’ICR, pour les
prises de rendez-vous, les
astreintes médicales (12)
UTILISER les associations (7)
UTILISER les instituts de
beauté (3)
IDENTIFIER le rôle respectif des
professionnels de santé (18)
RESPECTER les contraintes du système
de soins (10)
SOLLICITER les systèmes d’aides à
domicile, (9)
IDENTIFIER les caractéristiques des
Centres de Lutte Contre le Cancer(6)
SOLLICITER les professionnels libéraux
entre 2 hospitalisations ou 2 rendezvous (6)
ORGANISER
son
reclassement
professionnel (6)
UTILISER les services d’urgences (2)
Résoudre les problèmes posés par le regard des autres sur soi, par la modification de sa capacité d'action ou
pour envisager un projet
APPREHENDER le regard des
autres sur l'alopécie (30)
LUTTER contre le cancer (30)
CRITIQUER la diminution de
salaire(27)
COMMUNIQUER avec son réseau
amical (27)
REAGIR face à la crainte de la
récidive (27)
MAINTENIR une vie sociale (20)
GERER le stress de la réponse (20)
REPONDRE à la peur des autres
(20)
UTILISER l'arrêt de travail (18)
ADAPTER sa vie professionnelle
(16)
ORGANISER son retour à une
activité professionnelle (12)
GERER l'inconnu du pronostic
(12)
REPONDRE aux sollicitations
de l'entourage (12)
GERER la disponibilité par
rapport aux enfants (10)
DEPASSER l’appréhension du
jugement des professionnels
(8)
APPREHENDER l'image de la
maigreur que l’on se fait(7)
RECONNAITRE et UTILISER ses
ressources personnelles (6)
DEMYSTIFIER la maladie, le
traitement (6)
APPRECIER le moment présent
(5)
INTEGRER les concepts de Non guérison,
de rémission (27)
APPREHENDER le préjudice esthétique
(12)
GERER le sentiment de colère (14)
REPONDRE à la pitié (8)
IDENTIFIER le regard que l’on porte sur
soi (6)
PROJETER une idée d'investissement (6)
TROUVER du plaisir malgré la maladie
(4)
IDENTIFIER les devoirs du patient (2)
Les patientes ayant subi un acte chirurgical, de la radiothérapie et de la chimiothérapie énoncent 69 éléments
de compétence, soit la totalité des éléments donnés par les patientes. Pour celles qui ont eu recours à la
chirurgie et à la chimiothérapie, elles énoncent 51 éléments sur 69. Pour celle, qui n’a bénéficié que de la
chimiothérapie, elle énonce 37 éléments sur 69 et la patiente n’ayant bénéficié que d’un acte chirurgical, 18
éléments de compétence sur 69.
Pour l’ensemble des 2 populations étudiées, la répartition des éléments de compétence s’organise de la façon
suivante : (cf. Tab. III)
12
Tableau III : Répartition des éléments de compétences au regard des compétences de référence pour les 30
personnes interviewées soit 12 patientes et 18 professionnels.
Compétences de référence
Nombre d'éléments de
compétence (n=101)
Résoudre les problèmes posés par le regard des autres sur soi, par la
modification de sa capacité d'action ou pour envisager un projet
27
Utiliser les ressources du système de soins, faire valoir ses droits
14
Résoudre un problème de thérapeutique quotidienne, de gestion de sa vie et
de sa maladie
11
Informer son entourage, faire connaître ses besoins
10
Faire face, décider
9
Pratiquer, faire
9
Comprendre, s'expliquer
8
Adapter, réajuster
7
Repérer, analyser, mesurer
6
5. Discussion
5.1 Les limites
Cette étude ne prend en considération que les patientes en période de suivi, et n’aborde pas les
compétences susceptibles d’être acquises par les patientes en cours de traitement suite à une récidive, ou en
phase palliative.
Elle n’interroge que les patientes et non la famille, qui apporterait aussi une autre vision des compétences
développées.
Le recrutement des patientes constitue un biais de sélection. La population des patientes interrogées à
l’Institut Claudius Regaud n’est pas représentative de l’ensemble des patientes atteintes de cancer du sein. En
1
France, une étude montre que l’âge moyen des femmes lors d’un diagnostic de cancer du sein est supérieur à
60 ans, la population étudiée est en moyenne 10 ans plus jeune.
Malgré une grille d’entretien orientée sur les compétences, la question d’introduction de l’entretien
permet aux patientes de s’exprimer spontanément, les questions suivantes sont utiles pour relancer
1
Issu du BEH n° 41-42/2003 de l'INVS
13
l’entretien. De plus la dernière question de relance permet aux patientes de faire un retour élargi sur leur
expérience.
L’institut Claudius Regaud présente une dimension régionale et draine une population habitant
majoritairement en Midi Pyrénées (plus vaste région de France), mais aussi dans les régions voisines. Pour des
raisons d’efficience, en termes de temps et de transport, les entretiens ont été effectués aux décours d’une
consultation de suivi, il s’avère que ce type de consultation est une source d’appréhension pour les patientes,
et on peut penser que les conditions ne sont pas optimum, à ce moment-là, pour établir un retour approfondi
sur expérience.
5.2. Les éléments de compétence énoncés communément par toutes les personnes interviewées (n=30).
Certains éléments constitutifs des compétences avancées se retrouvent dans l’ensemble des propos
recueillis auprès des personnes interrogées.
D’une part, l’ « Utilisation d’un vocabulaire spécifique » par les femmes atteintes de cancer du sein. Ces
dernières acquièrent des compétences dans l’usage d’un lexique spécifique à la cancérologie comme par
exemple les mots « tumeur », « métastase », « marqueur ». Elles adoptent un vocabulaire relatif aux examens,
aux bilans biologiques tels que « scanner », « aplasie » etc…. Il ne s’agit pas pour les patientes d’apprendre
formellement du vocabulaire mais bien d’apprendre à penser, créer, agir avec ce vocabulaire, outil inscrit dans
un espace culturel particulier.
D’autre part, « S’écouter ». Les signes et les symptômes méconnus auparavant, deviennent importants,
voir vitaux, avec la maladie. Le contexte sanitaire des femmes atteintes de cancer du sein leur impose
d’écouter leur corps afin d’effectuer une auto-vigilance quotidienne. Ceci se traduit notamment par la mesure
d’indicateurs tels que le poids, ou de symptômes tels que la douleur, les troubles digestifs. Elles appréhendent
leur corps différemment du fait de l’usage de prothèses capillaires, de l’installation de prothèses mammaires,
ou encore d’ajout de matériels spécifiques au traitement tels que les pompes ambulatoires. Globalement, elles
prêtent davantage attention à leurs envies, à leurs souhaits, ceci s’est illustré à travers le propos suivant :
« Quand j’avais envie de dormir, je dormais, même s’il était 5h de l’après midi » (entretien n°7, patiente 9). Leur
corps est soumis à des thérapeutiques puissantes qui peuvent induire des effets secondaires non négligeables,
il convient aux patientes de les détecter pour les réguler.
Les répondants mentionnent également, l’élément « Adopter un rythme de vie prenant en compte leur
fatigabilité ». Les patientes adoptent un regard pragmatique sur leurs capacités. Elles doivent intégrer le
rythme du traitement dans une organisation familiale et professionnelle, elles organisent par exemple, leurs
vacances, en fonction du rythme du traitement et de ces impératifs et surtout en fonction de ses effets
secondaires avec notamment la fatigue. Certaines d’entre elles, énoncent cet élément en rapport avec la
disponibilité qu’elles peuvent octroyer à leurs enfants. La fatigue les empêche parfois d’effectuer des activités
avec eux, ou simplement d’être à leurs côtés.
Les 30 personnes interrogées déclarent aussi « Appréhender le regard des autres sur l’alopécie ». Signe
clinique en lien avec la chimiothérapie, l’alopécie est un stigmate relié facilement au cancer dans les
représentations de la population en générale. Malgré les artifices qui existent pour minimiser l’impact
esthétique des chimiothérapies, l’alopécie est une épreuve pour les patientes. Impact sur leur propre image
corporelle, mais aussi sur leur entourage et notamment sur les enfants. Les femmes font preuve d’ingéniosité
pour trouver un sens aux regards portés sur leur alopécie.
Le dernier élément mentionné est « la lutte contre le cancer ». Les patientes veulent être plus fortes que le
cancer. Cette notion de lutte fait référence notamment à la période du parcours de soin correspondant à la
phase active du traitement. Lutte avec leur corps, mais aussi lutte en terme de résistance « il (le cancer) ne
14
m’aura pas, je tiendrais ! » (Entretien n° 9, patiente 2). Comme le chef d’une armée en guerre, elles analysent
les informations reçues, elles informent leur entourage, sollicitent de l’aide en cas de besoin, identifient
l’existant et utilisent les ressources à disposition pour mener la bataille. Cependant celle-ci peut durer plusieurs
semaines, plusieurs mois, et présente des répercussions sur le long terme. Les patientes apprennent alors « sur
le tas », dans un environnement qui leur est au départ étranger, elles modifient leur capacité d’action du fait de
l’impact de l’ennemi identifié. Tous les propos recueillis parlent d’une vie avant, et d’une vie après le cancer.
« Même si ça ne se voit pas, je n’serais plus jamais comme avant, c’est dans la tête que ça se passe ! »(Entretien
n°9, patiente 2).
5.3. Les éléments de compétence énoncés uniquement par les patientes (n=12).
Tout d’abord, les 12 patientes interrogées mentionnent spécifiquement l’élément de compétence qui
consiste à « expliquer » leur cancer du sein. Les patientes sont dans la position de devoir comprendre le
discours du spécialiste et le traduire dans un vocabulaire profane. C’est le cas, lorsque les patientes se voient
dans l’obligation d’expliquer leur pathologie à leur conjoint. La vie de couple est marquée par une maladie qui
touche un critère de féminité important. Par exemple, les patientes en âge de procréer, sous hormonothérapie,
sont dans l’obligation de reconsidérer leur moyen de contraception. Même si, la prescription médicale valide
un moyen contraceptif en particulier, les patientes doivent le comprendre et l’expliquer à leur conjoint. Ce
procédé va au-delà du simple respect d’une prescription, il implique que les patientes soient en capacité
d’intégrer et d’expliquer des notions de pharmacocinétique et de pharmacologie. « Je ne supporte pas le
stérilet, donc pendant un temps le seul moyen c’était le préservatif, pas évident après 25 ans de mariage… »
(Entretien n°21, patiente 13).
Ensuite, l’ensemble des patientes énonce l’élément qui consiste à « prioriser les symptômes ». Elles
précisent que souvent les symptômes apparaissent simultanément, il convient alors de les gérer l’un après
l’autre en élaborant des règles de priorités spécifiques à chaque personne. Les symptômes peuvent être en lien
avec la maladie, le traitement, ou une toute autre somatisation non spécifique au cancer. « Quand vous avez
mal à la tête, des nausées et mal aux articulations, vous essayez de savoir ce qui est important maintenant et ce
qui peut attendre » (Entretien n°8, patiente 5).
De plus, elles mentionnent toutes, l’élément qui consiste à « gérer l’inconnu du pronostic ». Les patientes
se heurtent souvent à l’incertitude du résultat attendus au regard du traitement subi. Elles cherchent à donner
un sens aux concepts de guérison et de rémission « Pour moi, je suis guérie, rémission ça veut rien dire »
(Entretien n°9, patiente 1). « J’ai toujours une épée au-dessus de la tête, je suis en rémission ! » (Entretien n°10,
patiente 2).
Pour finir, les 12 patientes interrogées s’accordent pour retenir l’élément de compétence qui consiste à
« Répondre aux sollicitations de leur entourage ». Voulant bien faire, l’entourage surprotège les patientes, ou
encore les encouragent fortement dans un sens qui n’est pas celui partagé par les patientes. Par exemple, des
propos tels que « Mais, manges, tu vois bien que tu maigris ! », « Ne bouges pas, je réponds au téléphone ! »
(Entretien n°29, patiente 12). Les réponses à ce type de sollicitations nécessitent de trouver un argumentaire et
parfois impose une maîtrise de soi, surtout quand cette sollicitation perdure dans le temps. « Je lui disais
toujours que je n’avais pas faim et un jour « laisses moi tranquille avec tes plats ». (Entretien 29, patiente 12).
5.4. L’élément de compétence énoncé uniquement par les professionnels (n=18)
Les 18 professionnels interrogés mentionnent l’élément de compétence qui consiste à « Identifier le rôle
respectif des professionnels de santé ». Ils disent que les patientes sont capables d’interpeler le médecin
traitant ou le spécialiste au regard de leur rôle respectif. Ils supposent qu’elles sont en capacité d’appréhender
le système sanitaire, et la spécialité de la cancérologie, qui offre une multitude de services. Ceux-ci font
appellent aux soins spécifiques, aux soins de support ou encore aux activités d’accompagnement. Ces services
15
sont destinés aux patientes mais ne sont pas forcément utiles à toutes, au même moment. Un professionnel dit
alors : « Certaines patientes demandent à bénéficier de tous les services et ne voit plus leur médecin traitant, et
d’autres, ne demandent rien, elles attendent qu’on leur propose » (Entretien 28, professionnel 5).
5.5. Discussion sur l’importance des compétences orientées vers la résolution de problèmes.
Le cancer est une source de stress et peu de mots peuvent évoquer et représenter un danger pour la vie
comme le mot « cancer ». C’est une maladie qui implique une série d’évènements (investigation, diagnostic,
traitements multiples, suivi…) induisant des changements dans les sphères du travail, des activités sociales, de
la vie familiale, de l’image de soi, et de l’équilibre financier. Les patientes cherchent à contrôler la situation de
stress, mobilisent leurs ressources, prennent des dispositions et utilisent leurs expériences de vie pour faire
face non seulement au diagnostic initial de cancer, mais également à des procédures peu familières et aux
options thérapeutiques. Il semble donc normal de trouver de nombreuses compétences orientées vers la
résolution de problèmes car c’est une des stratégies active d’adaptation. Les patientes cherchent, raisonnent,
expérimentent, critiquent, pratiquent et communiquent. Dans le contexte de l’étude, l’adaptation est
« l’ajustement effectué en réponse à des changements perçus ou attendus ainsi qu’à leur impacts» [30]. Selon
les circonstances, elle est effectuée ou non par les patientes. Risbey et al [31] distinguent quatre étapes dans le
processus d’adaptation : la détection d’un signal (les patientes réalisent la nécessité de s’adapter et choisissent
consciemment ou inconsciemment, les éléments auxquels elles s’adapteront et ceux qu’elles ignoreront),
l’évaluation (les patientes déterminent les conséquences probables de la situation problématique), la décision
(les comportements des patientes changent) et le suivi (l’observation des effets des mesures d’adaptation
choisies).
Le tableau III montre que les compétences « Résoudre les problèmes posés par le regard des autres sur soi,
par la modification de sa capacité d’action ou pour envisager un projet » et « Utiliser les ressources du système
de soins, faire valoir ses droits » recueillent à elles seules 41 éléments de compétences sur les 101 au total. Les
2 compétences visées sont des compétences d’adaptation à la maladie. Elles accueillent des éléments autant
énoncés par les professionnels que par les patientes, ce qui montre une préoccupation partagée. Les
professionnels par une conscience de la réalité d’adaptation des patientes, et ces dernières par un véritable
travail de recherche de sens et de prise de contrôle.
Pour la première compétence, citée ci-dessus, si le cancer du sein implique la maîtrise d’une
thérapeutique, d’un protocole de soin, il implique aussi une adaptation constante des patientes à leur maladie,
dans un élan de lutte et de vie. Cette adaptation leur permet de faire face, de se fixer des buts à atteindre, de
trouver un nouvel équilibre dans leur vie, elles surmontent les obstacles en résolvant les problèmes quand ils
se présentent, voir en les anticipant. Les patientes font des choix délibérés et utilisent un ou plusieurs moyens
pour résoudre leurs problèmes, elles adoptent une réelle « stratégie de résolution de problèmes »[32]. G.
Scallon explicite que quand « il y a problème, c’est qu’il n’y a pas de solution évidente », il revient alors à
l’apprenant de chercher dans son répertoire de connaissances et d’habiletés, ce dont il a besoin pour arriver à
une solution. « J’ai d’abord regarder sur internet, j’ai attaché mes cheveux, quand j’allais à l’Institut Claudius
Regaud, je regardais les autres femmes, et puis je me suis résolue à poser la question à l’infirmière, pour la
perruque…elle m’a confirmé ce qu’on m’avait dit avant, elle m’a donné des numéros de téléphone (de
fournisseurs de prothèses capillaires), mais je n’arrivais pas à appeler. C’est quand mes cheveux sont vraiment
tombés que j’ai paniqué, j’aurai fait ouvrir tous les magasins de la terre le dimanche matin pour me procurer un
foulard, une perruque » (Entretien n° 10, patiente 4). Comme le montre les éléments de compétence recueillis
lors des entretiens, la compétence de résolution de problème comprend la mobilisation d’habiletés pour bien
poser et représenter le problème, l’énumération de plusieurs solutions originales et efficaces, la prise de
décisions réfléchies et structurées, ainsi que la planification et l’action en vue de la réussite de la démarche
d’adaptation.
16
Pour la seconde compétence citée, « Utiliser les ressources du système de soins, faire valoir ses droits », il
s’avère que les patientes mobilisent des connaissances de base dans un contexte complexe pour résoudre des
problèmes en lien avec leur maladie. Par exemple, elles identifient le rôle du médecin traitant et celui du
spécialiste tout en identifiant les différentes étapes du parcours de soin. Elles intègrent des « éléments qui
étaient dissociés au départ » [33] et les rendent interdépendants. Les patientes cherchent à savoir comment les
professionnels interagissent entre eux, elles rapprochent les éléments apportés par le médecin traitant, par les
infirmières, l’oncologue et les autres intervenants. Elles identifient leurs points communs, leurs discours
communs ainsi que leurs différences pour mieux formaliser les liens qui existent entre eux, elles notent les
points de rencontre des différents intervenants et la formalisation de leur interdépendance les rassure. Elles
intègrent des acquis en donnant un sens à leur besoin, et en émettant une intention. « J’ai accepté la présence
d’une aide-ménagère quand j’ai compris que ça me permettrait de passer plus de temps avec mes enfants »
(Entretien n° 7, patiente 9). De plus, cette compétence met en évidence que les patientes « traitent une
information utile pour faire valoir leurs droits ». Le cancer étant un élément nouveau dans leur vie, elles se
retrouvent devant des situations inédites. Elles font « usage de connaissances acquises, dans une situation
nouvelle » [35] et trouvent la solution à leur problème en interpellant, entre autre, l’interlocuteur adéquat
(médecins, infirmiers, assistante sociale, psychologue, associations…). Elles développent un esprit critique en
écoutant les instructions des professionnels de santé, en confrontant les informations reçues aux indications
trouvées dans les journaux et sur internet. Elles échangent avec leurs pairs, comparent et essaient entre-elles.
Elles identifient leurs erreurs et modifient leurs représentations, leurs croyances, elles identifient le ou les
problème (s) et prennent une décision acceptable à leurs yeux. A défaut de pouvoir s’appuyer sur des directives
précises en termes de pronostic, les patientes s’attachent aux conditions posées par le problème qui les
concerne, elles intègrent leurs connaissances. X. Roegiers spécifie qu’ « une situation d’intégration est une
situation complexe qui contient des informations essentielles et des informations parasites, et qui sollicite les
apprentissages antérieurs » [34]. Les patientes se trouvent dans une situation d’intégrer une multitude de
ressources de nature variées, elles acquièrent des compétences qu’elles déploient au cours de leur parcours de
soin. Pour illustrer ce propos une patiente dit « J’ai pleuré toute la durée de ma première chimio, on m’a parlé
de psychologue, de sophrologue, d’associations, de dames en blouse rose, pour moi c’était du chinois, je ne
savais pas trop ce qui m’arrivait alors savoir ce que j’avais besoin…les psychologues, j’étais pas folle, dans
sophrologue, il y avait souffrance, association (pour la patiente) c’était les alcooliques anonymes et le rose m’a
bien plu… ».
L’essentiel des compétences développées par les patientes atteintes de cancer du sein réside dans la
mobilisation de ressources internes et externes, qui utilisent leurs savoirs, leur savoir-faire et leur savoir-être.
Les patientes apprennent, non par simple « ajout continuel d’informations factuelles » [36], elles élaborent de
nouvelles conceptions en remettant en question leurs conceptions antérieures. « Vous savez, quand j’ai appris
mon cancer, je pensais que j’étais foutue, je ne voulais même pas commencer le traitement, et puis vous voyez
j’ai gagné 5 ans ! » (Entretien n°14, patiente 2) ; « Je pensais que la chimio ça faisait vomir, et bien non, j’ai été
plus malade pendant ma grossesse ! » (Entretien n°21, patiente 8) ; « Je faisais comme si de rien n’était, et puis
un jour j’ai demandé de l’aide pour le ménage, je ne pouvais plus ! » (Entretien n°28, patiente 7). Les
compétences développées leur permettent d’intégrer de nouvelles ressources et de nouvelles situations sans
que la nature même de la compétence soit compromise. C’est ce que J.Tardif nomme le caractère intégrateur,
combinatoire, développemental, contextuel et évolutif d’une compétence. Certains savoirs se présentent sous
la forme de connaissances formalisées, codifiées, décontextualisées, alors que d’autres prennent la forme de
savoirs tacites, ancrés dans l’action, dans les routines. En somme, il revient aux patientes de déterminer la
nature de leurs problèmes à résoudre alors qu’ils sont parfois mal définis. Elles se placent alors dans une
situation de compétences dans le sens d’une mobilisation de ressources en situation.
5.6. Implication pour l’éducation thérapeutique
17
6. Actuellement, le parcours de soins en sénologie intègre, conjointement aux soins spécifiques, les soins
de support qui regroupent des services destinés aux patientes pour optimiser leur qualité de vie. Leur
développement est inscrit dans la mesure 42 du Plan Cancer 2003-2007 et vise la lutte contre la
douleur, la prise en charge psychologique, l’accompagnement social, le suivi nutritionnel, la
rééducation et l’entretien physique, la sophrologie, les soins esthétiques et les soins palliatifs. Ces
soins de support sont sous tendus par les principes de multidisciplinarité, de coordination et de
concertation entre professionnels. De nombreuses patientes sollicitent les professionnels de soins de
support pour « supporter » les contraintes du cancer, ce qui les aide à surmonter le stress et les
symptômes engendrés par la maladie ou les traitements. Ce dispositif présente un certain nombre
d’exigences communes avec celui que l’on pourrait imaginer pour l’éducation thérapeutique du
patient dans le cadre du cancer du sein. Les soins de support sont notamment centré sur la patiente,
ils font partie intégrante du traitement, ils concernent la vie quotidienne des patientes, ils sont réalisés
par des professionnels de santé, ils sont organisés dans le temps, et ils sont définis en terme
d’activités. Cependant, les soins de support ne s’organisent pas selon un processus permanent, et
l’évaluation des besoins n’aboutit pas à la négociation d’objectifs d’apprentissage. De plus, les soins de
support ne visent pas l’apprentissage chez les adultes, en utilisant des techniques pédagogiques
scientifiquement fondées. De ce fait, le parcours d’éducation pourrait intégrer des processus
d’apprentissage adaptés à l’évolution de la maladie et à l’état de santé des patientes, en leur donnant
les capacités de négocier leur projet de soin. L’étude montre que les patientes acquièrent des
compétences qui s’appuient sur des « orchestrations différenciées de ressources »[4]. Elles se
développent tout au long du parcours de soin et sont mises en œuvre dans des contextes qui
orientent leur action. Actuellement, les patientes développent leurs compétences de manière
expérientielle, un parcours d’éducation pourrait se dérouler de façon concomitante à un parcours de
soin. Le Centre de Lutte contre le Cancer qui a accueilli l’étude, serait susceptible de promouvoir un
projet en rapport avec les savoirs à acquérir par les patientes atteintes de cancer du sein. Le domaine
de l’éducation en matière d’adaptation est peu développé et les stratégies permettant d’atteindre des
objectifs spécifiques sont encore peu expérimentées. Il convient de poser la question des conditions
qui permettent l’évolution d’une pensée et l’adhésion des patientes aux savoirs jugés importants pour
vivre avec leur maladie. Les patientes ne s’approprient un savoir que s’il produit un surcroît de sens
pour elles. Ce sens ne peut être donné. Il convient alors de réfléchir à des situations d’apprentissage
pour guider les patientes. « Un savoir est une chose que l’on s’invente pour expliquer, c’est-à-dire
donner du sens à une situation » [35]. La présence d’une démarche d’éducation thérapeutique au sein
du Centre de Lutte contre le Cancer permettrait de considérer le parcours de soins avec une approche
par compétences. Ce qui caractérise cette approche, c’est que les objectifs d’apprentissage ne sont
plus de l’ordre du contenu à transférer mais plutôt de capacité d’action et d’adaptation à atteindre.
6. Conclusion
Les patientes acquièrent des compétences au cours de leur parcours de soin, et ces savoirs sont
souvent acquis par expérience. Lors de la conclusion des entretiens et des échanges de formules de politesse,
toutes les patientes prenaient conscience des données fournies. Elles étaient surprises par la quantité de
choses qu’elles avaient dû changer, modifier, apprendre du fait de leur maladie. Cet entretien leur a permis de
conscientiser l’acquisition de compétences. « Je ne m’étais pas rendu compte que j’avais appris tout ça ! »
(Entretien n°14, patiente 10). Les échanges avec les professionnels de santé au cours de consultations,
d’hospitalisation, sont des sources d’informations indispensables à la construction de ces savoirs. Cependant,
l’intention pédagogique n’est pas le principal motif de la rencontre. Positionner l’éducation dans le soin, ou le
soin dans l’éducation nécessite d’adopter une logique d’intégration basée sur une approche par les
compétences. Or, il s’avère que les patientes apprennent, acquièrent des compétences à cause ou grâce à leur
cancer du sein car le parcours de soin ne peut se dérouler sans elles. Les patientes se construisent un parcours
d’éducation qui vise des compétences d’auto soins et des compétences d’adaptation à la maladie. Il serait alors
18
question de formaliser, de faciliter ce parcours pour que les professionnels et les patientes amènent les
patientes atteintes de cancer du sein à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent
aptes à apprendre à apprendre toute leur vie, y compris l’après cancer, et à prendre une place dans leur
parcours de soin.
19
Références
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chroniques. octobre 2005.
2. Giordan A. Saltet J. Apprendre à apprendre. Genève : Librio. 2007
3. Ivernois (d’) J-F, Gagnayre R. Mettre en œuvre l’éducation thérapeutique. Actualité et dossier en Santé
Publique. 2001 ; 36 : 11-13
4. Tardif J. L’évaluation des compétences. Chenelière Education. 2006
5. Giordan A, Guichard F. Des idées pour apprendre. Delagrave. 2002.
6. European cancer patient coalition [En ligne]. Disponible sur http://www.ecpc-online.org. (consultée le
15 mars 2010)
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