Film de Alfred Hitchcock

Transcription

Film de Alfred Hitchcock
Alfred Hitchcock
Par Yannick Lemarié
Coordinateur académique-cinéma / Rectorat de Nantes
Collège au cinéma 53
1
Sommaire
1- Une nouvelle de Cornell Woolrich et des faits-divers……..
p.3
2- Du réalisateur au personnage de Jefferies…………………
p.6
3- Le point de vue………………………………………………
p.9
4- Espace et point de vue : plan de l’immeuble……………….
p.12
5- Les personnages …………………………………………….
p.13
6- Le masculin et le féminin……………………………………
p.17
7- En guise de conclusion : le meurtre, un bel art ?.................
p.19
Annexes…………………………………………………………
p.20
[email protected]
2
1- Une nouvelle de Cornell Woolrich et des faits-divers
A- La nouvelle
Fenêtre sur cour d’Alfred Hitcock s’inspire d’It Had to be Murder (1942), une nouvelle écrite
pour Dime Detective Magazine de William Irish, un des pseudonymes de Cornell Woolrich,
auteur
de
thrillers
souvent
adaptés
par
Hollywood.
(http://www.miettecast.com/woolrich.pdf).
N.B. La nouvelle paraîtra également en mai 1958, dans The Saint Detective Magazine, revue
anglaise
Entre la nouvelle et le film, on relève quelques différences :
• Une différence de ton : teinté d’humour chez Hitchcock, noir chez Woolrich/Irish.
• Un léger changement de temps (une dizaine d’années : 1942/1954) puisque les deux
créateurs ont décidé de situer leur œuvre dans leur époque.
• Dans la nouvelle, le personnage principal s’appelle Hal Jefferies et
n’a pas de profession vraiment établie, alors que dans le film, L.B.
Jefferies est un baroudeur, qui parcourt le monde pour son travail
de photographe.
• Hitchcock et son scénariste remplacent Sam, the house boy, par
Stella, l’infirmière et Lisa, the girlfriend.
• Dans la scène de la confrontation finale entre le héros et le
criminel, Hal est sauvé par le buste de Rousseau (« ou de
Montesquieu », il ne sait pas distinguer les deux…) alors que dans
le film, Jefferies est sauvé par les flashes de son appareil photo.
Extrait n°1 : situation initiale
I didn’t know their names. I’d never heard their voices. I didn’t even know them by sight, strictly
speaking, for their faces were too small to fill in with identifiable features at that distance. Yet I could
have constructed a timetable of their comings and goings, their daily habits and activities. They were
the rear-window dwellers around me.
Sure, I suppose it was a little bit like prying, could even have been mistaken for the fevered
concentration of a Peeping Tom. That wasn’t my fault, that wasn’t the idea. The idea was, my
movements were strictly limited just around this time. I could get from the window to the bed, and
from the bed to the window, and that was all. The bay window was about the best feature my rear
bedroom had in the warm weather. It was unscreened, so I had to sit with the light out or I would have
had every insect in the vicinity in on me. I couldn’t sleep, because I was used to getting plenty of
exercise. I’d never acquired the habit of reading books to ward off boredom, so I hadn’t that to turn to.
Well, what should I do, sit there with my eyes tightly shuttered ?
Extrait n°2 : les premiers soupçons
I looked around to make sure the door was safely closed between Sam and me. My hand hovered
uncertainly over the telephone dial a minute. Boyne, he’d be the one to tell about it. He was on
Homicide. He had been, anyway, when I’d last seen him. I didn’t want to get a flock of strange dicks
and cops into my hair. I didn’t want to be involved any more than I had to. Or at all, if possible.
They switched my call to the right place after a couple of wrong tries, and I got him finally.
“Look, Boyne? This is Hal Jefferies—“
“Well, where’ve you been the last sixty-two years?” he started to enthuse.
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“We can take that up later. What I want you to do now is take down a name and address. Ready ? Lars
Thorwald. Five twenty-five Benedict Avenue. Fourth-floor rear. Got it ?”
“Fourth-floor rear. Got it. What’s it for?”
“Investigation. I’ve got a firm belief you’ll uncover a murder there if you start digging at it. Don’t call
on me for anything more than that—just a conviction. There’s been a man and wife living there until
now. Now there’s just the man.
Extrait n°2 : la mort rode
Suddenly, death was somewhere inside the house here with me. And I couldn’t move, I couldn’t get up
out of this chair [..]. I could have shouted out the window to that gallery of sleeping rear-window
neighbors around me, I supposed. It would have brought them to the windows. It couldn’t have
brought them over here in time. By the time they had even figured which particular house it was
coming from, it would stop again, be over with, I didn’t open my mouth. Not because I was brave, but
because it was so obviously useless.
The pitch :
Hal Jefferies has never been one for reading. So when he's laid up in his swelteringly small
apartment he doesn't have the solace of books to turn to, instead he turns to his window and
the lives of his neighbors. He becomes fascinated with their routines.
B- Les faits-divers
Le meurtre de l’épouse de Thorwald est inspiré de l’affaire Patrick Mahon. En avril 1924, Patrice
Mahon tua et coupa en morceaux sa maîtresse dans un bungalow au bord de la mer ; il plaça ensuite
les membres dans une malle avant d’essayer de l‘incendier.
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Patrick Mahon is arrested on suspicion of murder after showing up at the Waterloo
train station in London to claim his bag. He quickly confessed that the bloody
knife and case inside were connected to the death of his mistress, Emily Kaye.
Mahon then directed the Scotland Yard detectives to a particularly grisly scene
in a Sussex bungalow, where they found Kaye's remains, dismembered and
hidden among hatboxes, trunks, and biscuit tins.
Le détail de l’alliance (absent de la nouvelle) vient de l’affaire Crippen. Le docteur Crippen tua sa
femme mais se fit prendre quand il offrit l’alliance de cette dernière à sa maîtresse.
Age 50, height 5ft 3 or 4, complexion fresh, hair light brown, inclined sandy, scanty, bald on
top, rather long scanty moustache, somewhat straggly, eyes grey, bridge of nose
rather flat, false teeth, medium build, throws his feet outwards when walking.
May be clean shaven or wearing a beard and gold rimmed spectacles, and may
possibly assume a wig. Somewhat slovenly appearance, wears his hat rather at
back of head. Very plausible and quiet spoken, remarkably cool and collected
demeanour. Speaks French and probably German; carries firearms. An
American citizen and by profession a doctor.
Police Poster: 'Wanted for Murder and Mutilation' July 1910
Propositions de travail
1- Travail sur l’un des trois extraits ou sur le pitch. Travail sur les faits-divers : faire le portrait de
Thorwald à la manière de celui de Crippen (Police poster : Wanted for Murder and Mutilation)
2- Étude de quelques affiches de Dime Detective Magazine (couleurs, cadrage, échelle de plan, choix
de la scène, hors champ, choix des personnages…)
3- Réalisation d’une affiche de ce type à partir du film.
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2- Du réalisateur au personnage de Jefferies
Questions
Étude du photogramme : À quel moment Hitchcock apparaît-il dans le film ? Que fait-il ?
Son geste est-il anodin ? Qui est avec lui ? Pourquoi les deux personnages sont-ils associés ?
Étude du générique : En quoi le générique du film assimile-t-il le réalisateur à son
personnage ? En quoi L.B. Jefferies est-il lui aussi réalisateur ?
1- Le réalisateur
Hitchcock apparaît à la 26e minute environ. Il remonte une horloge, confortant ainsi son rôle
de démiurge. Rappelons que Dieu est souvent qualifié de « grand horloger ».
Il est par ailleurs associé au musicien. Hasard ? Sans doute pas puisque le pianiste essaie de
composer un morceau de musique intitulé Lisa (du nom de l’héroïne) et commente l’action à
sa manière.
Le morceau de musique et le film sont deux works in progress et s’achèvent en même temps.
Remarques sur la bande musicale et la place du musicien dans le film :
La bande musicale est une des plus réalistes dans la filmographie du cinéaste : les musiques
correspondent à ce qu’on pouvait entendre au début des années 50 ; elles sont justifiées (Miss
Lonelyhearts -Miss Cœur solitaire- écoute, par exemple, To se you is to love you quand elle
s’imagine en face d’un invité) et leurs sources sonores le plus souvent signalées (une radio, un
électrophone…).
Le pianiste de son côté tente de composer une chanson : Lisa. Sa composition dure le temps
du film.
N°
d’apparition /
timing
approximatif
N°1 : 2’33
N°2 : 5’45
Action du musicien
Fonction de la musique
Musicien se rase
Tente de jouer au piano mais est gêné
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Radio / commentaire sur la santé
Il commence la partition de la
par la musique de Miss Torso
N°3 : 26’10
Il joue une partie du thème de Lisa
N°4 : 33’33
Il arrive soûl chez lui
N°5 : 43
N°5 : 46’9
Il passe la serpillère
Il joue au piano en arrière plan / au
premier plan se trouve Lisa
Soirée avec des femmes et des amis
N°6 : 62’ /
65’ / 70’ / 72’
/ 78’ / 84’
(montage
alterné)
N°7 : 107’
Met un disque avec Miss Lonely
Heart
chanson Lisa.
Fond sonore à peine perceptible qui
devient l’accompagnement sonore
de la séquence avec Stella.
« C’est un enchantement. On dirait
presque qu’elle a été composée pour
nous » / le morceau de musique est
associé à l’héroïne et à son
compagnon.
Il tente de faire quelques notes
avant de s’effondrer.
Il s’arrête et fait quelques notes
Une phrase musicale
« Encore cette chanson » / à
nouveau, le thème est lié à Lisa.
Dissonances qui annoncent des
difficultés : tentative de suicide de
Miss Lonelyhearts ou l’échec de
Lisa
La partition de la chanson est finie.
2- Étude du générique
Le générique a plusieurs caractéristiques intéressantes :
• La séquence commence par le matin / nous sommes au début de quelque chose (un
film, une aventure, une nouvelle vie pour Jefferies et Lisa qui vont apprendre à se
découvrir). L’heure matinale est confirmée par les activités des uns et des autres
(mettre sa cravate, se peigner, s’éveiller, se raser, / passage du laitier…)
• La caméra est déjà installée dans la pièce.
• Les rideaux s’ouvrent comme au théâtre ou au cinéma autrefois.
• Le plan est déjà divisé par les fenêtres. Il s’agira donc de suivre plusieurs « écrans en
même temps » et donc plusieurs histoires.
• Le nom d’A. Hitchcock s’inscrit sur l’écran alors que les rideaux sont tous ouverts. Il
est, au même titre que Jefferies, un voyeur.
• Nous sommes également, nous spectateurs à la place du voyeur, derrière les vitres de
la fenêtre.
3- Jefferies réalisateur
Jefferies se comporte en réalisateur puisque :
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• Il a, devant lui, un décor ;
• Il a des jumelles et un objectif d’appareil photo qui ressemblent à l’objectif de la
caméra ou du chef opérateur ;
• Il choisit des histoires qu’il veut raconter ;
• Il choisit de regarder (de cadrer) tel endroit ou tel autre. Les fenêtres, les portes sont
autant de cadres dans le cadre qui rappellent les principaux formats d’image : 1,33 : 1
(format notamment de la télévision qui fait concurrence au cinéma dans les années
50) ; 2,35 : 1 (cinémascope). Le dispositif est celui du cinéma.
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3- Le point de vue
Le film est l’occasion de rappeler la notion de point de vue ou de focalisation aux élèves.
Travaux possibles
Rappeler les trois points de vue possibles. Quels sont les points de vue privilégiés par le
réalisateur ?
Commenter les photogrammes ci-dessous.
L’effet Koulechov : définition. Associer à chaque champ-contrechamp un sentiment. Justifier
son choix.
Discussion : Stella dit que « nous sommes devenus une race de voyeur ». Qu’en pensezvous ?[on pourra à cette occasion faire des rapprochements avec les dispositifs de la
téléréalit. Cf. Document en annexes]
1- Points de vue omniscient
Si on trouve dans le film les trois points de vue
(interne, externe, omniscient), Hitchcock privilégie
surtout le point de vue interne. Nous voyons les
événements à travers le regard de Jefferies.
Remarquons cependant que le premier travelling du
film – celui qui présente l’immeuble et s’achève sur
les gouttes de sueur – est un point de vue
omniscient. En effet, Jefferies dort encore et ce
n’est pas lui qui regarde l’ensemble de l’immeuble.
Un autre moment clé privilégie le point de vue omniscient du créateur (surplombant grâce à
une plongée) : la lettre anonyme. Jefferies et ses comparses interviennentt directement dans le
destin d’un homme.
2- Point de vue interne + Commentaires des photogrammes
1
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3
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5
6
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A. Les photogrammes 1 & 2 montrent quel point de vue est adopté : c’est Jefferies qui regarde
les événements, comme le prouvent les jumelles puis le téléobjectif. Le film est une affaire de
regard : voyons-nous ce que nous voyons ? Notre regard est-il fiable à cent pour cent ?...
La caméra est, comme Jefferies, condamnée à rester dans l’appartement, la plupart du temps
impuissante à sortir de la pièce.
Ces plans rapprochés appellent le hors champ et imposent des raccords voyant-vu (ou
raccord-regard).
B. Le plan 3 donne le contre-champ. L’utilisation de l’iris est une façon de montrer la
restriction du champ visuel (et mental). L’observateur ne regarde que ce qui l’intéresse.
C- Le point de vue de Jefferies est petit à petit partagé, non seulement par Lisa Fremont mais
également par Stella. On peut parler ici d’une contamination du désir qui touche également
le spectateur.
D- Magnifique plan qui prouve que la pulsion scopique est une pulsion vitale, aussi
importante que le boire et le manger pour Jefferies.
3- L’effet Koulechov
Le point de vue interne n’est pas qu’une question de regard. Nous partageons également les
sentiments, les impressions du personnage. En littérature, le discours indirect libre est l’un des
moyens de rendre compte de cela.
Au cinéma, cela devient plus compliqué. Hitchcock recourt au montage et notamment à l’effet
Koulechov.
a) Définition
L’effet Koulechov (du nom d’un cinéaste russe) est un effet de montage. Alfred Hitchcock
l’évoque lors de ses entretiens avec Truffaut :
(…) Vous avez l’homme immobile qui regarde au-dehors. C’est un premier morceau de film.
Le deuxième morceau fait apparaître ce qu’il voit et le troisième montre sa réaction. Cela
représente ce que nous connaissons comme la plus pure expression de l’idée
cinématographique.
Vous savez ce que Poudovkine a écrit là-dessus ; dans un de ses livres sur l’art du montage, il
a raconté l’expérience qu’avait faite son maître Liev Koulechov. Cela consistait à montrer un
gros plan d’Ivan Mosjoukine puis à lui faire succéder le plan d’un bébé mort. Sur le visage de
Mosjoukine se lit la compassion. On enlève le plan du bébé mort et on le remplace par
l’image d’une assiette de nourriture et, sur le même gros plan de Mosjoukine, vous lisez
maintenant l’appétit. De la même façon, nous prenons un gros plan de James Stewart. Il
regarde par la fenêtre et il voit par exemple un petit chien que l’on descend dans la cour dans
un panier ; on revient à Stewart, il sourit. Maintenant, à la place du petit chien qui descend
dans le panier, on montre une fille à poil qui se tortille devant sa fenêtre ouverte ; on replace
le même gros plan de James Stewart souriant et, maintenant, c’est un vieux salaud ! (…)
Seul le visage ne signifie rien
ou, au contraire, on peut lui
attribuer
de
multiples
émotions.
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Exercices :
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4 - Espace et point de vue : plan de l’immeuble
Quel est le point de vue adopté ?
Où les différents personnages vivent-ils ? Raconter en quelques lignes l’histoire de chacun d’eux ou imaginer une lettre écrite par le jeune marié / Miss
Lonelyhearts / Miss Torso dans laquelle on retrouvera les principaux événements vus dans le film.
f
a
e
g
b
d
c
•
•
•
•
•
•
La sculptrice
Lars Thorwald et sa femme
Le couple au yorkshire
Le musicien
Les jeunes mariés
Miss Lonelyhearts/Miss Cœur solitaire
•
Miss Torso, « la reine des abeilles »
5- Les personnages
Suggestions
Pour compléter les remarques faites dans le livret :
1- On étudiera la façon dont les personnages sont présentés.
Pour Jefferies : Remettre dans l’ordre ces différents photogrammes. En quoi l’ordre est-il
important ? Y a-t-il des paroles durant cette présentation ? Que pouvez-vous en conclure sur
le travail d’Hitchcock.
Rédigez en deux ou trois lignes ce que vous savez de Jefferies grâce à ces photogrammes.
Pour Lisa : quels sont les trois moyens de la présenter avant qu’elle ne soit à l’écran
physiquement ?
Ces deux présentations correspondent-elles à ce que le film nous montre ? [on complètera
cette partie avec la partie sur le masculin et le féminin].
2- Lisa et Jefferies se posent des questions sur leur avenir. Doivent-ils vivre seuls, à deux,
… ? Où trouvent-ils les réponses à leurs questions ?
3- Les autres « personnages » : objets et animaux
1- Présentation de Jefferies et Lisa
a) Jefferies
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3
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Réponse : 2-8-3-6-7-5-4-1
Hitchcock présente Jefferies selon une méthode proprement cinématographique : aucune
parole, aucun commentaire. C’est au spectateur de deviner la vie du personnage grâce aux
images réunies dans un long travelling.
Notons également que le spectateur est d’autant plus actif que le cinéaste donne la
conséquence avant la cause : Jefferies a de grosses gouttes de sueur (conséquence). Est-il
malade ? a-t-il chaud ? Le thermomètre donne la réponse (cause). De même, il a la jambe
cassée (conséquence). Quelle en est la raison ? Il a certainement eu un accident alors qu’il
couvrait un évènement – une course de voitures par exemple).
En un travelling, nous avons des informations sur sa vie privée et sa vie publique. Il est
reporter mais aussi photographe de mode (le négatif montre que la femme doit être révélée :
c’est ce qui arrivera à Lisa…)
Le film déconstruit cette image de baroudeur.
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9 Le corps de l’acteur n’a rien d’un corps de sportif. On voit les chairs flasques lorsqu’il
se déshabille pour être massé.
9 Il sursaute parce que le produit de massage est trop froid
9 Il peine à ouvrir une bouteille de vin à tel point que le garçon du restaurant se propose
de l’aider.
9 Il n’agit jamais durant le film.
b) Lisa
Elle est donc présentée
9 d’abord à travers un sujet de discussion entre Stella et Jefferies
9 puis, c’est une ombre
9 et enfin une vision de rêve (son ombre recouvre le visage de Jefferies en train de
dormir et, au moment du baiser Hitchcock recourt au gros plan et à un ralenti).
Tout le début de film insiste sur le caractère éthéré
du personnage. « Trop sophistiquée » dira
Jefferies pour justifier qu’il ne veuille pas
l’épouser.
◄L’image semble confirmer cette opposition
entre les deux personnages (le baroudeur/la fille
du monde). On peut également se demander si le
plan demi-ensemble ne nous prépare pas à la
suite. Remarquons en effet que Lisa porte des vêtements blanc et noir. Le monde est-il
vraiment blanc OU noir ? Le film et les vêtements disent le contraire : Lisa est à la fois
une femme sophistiquée ET une baroudeuse, le positif ET le négatif, le blanc ET le
noir.
D’ailleurs lors de la première soirée, elle est virevoltante, jamais en arrêt quand
Jefferies reste coincé sur son fauteuil.
2- Un film sur le couple
Comment un couple est-il constitué ? (cf. Discussion entre Jefferies et Stella. Dialogue
argumenté). Les deux personnages principaux s’interrogent sur leur avenir. Doivent-ils rester
seuls ou se mettre en couple ? Pour répondre à leurs questions, ils se tournent vers la cour qui
leur montre les différents cas de figure :
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Miss Lonelyhearts
« Cœur solitaire »
Miss Torso
« La reine des abeilles »
Thorwald et sa femme : le
couple déchiré
Le couple au yorkshire
Les nouveaux mariés
Le couple homosexuel
ƒ Un jeune couple, tout juste marié. L’homme fait le geste de porter sa femme à
l’intérieur de l’appartement. Il va rapidement se lasser d’un amour exclusif…
ƒ Un couple déjà installé : l’homme et la femme avec pour seul enfant un chien.
ƒ Un couple qui se dispute tout le temps : Thorwald et son épouse. Dès le début, ils sont
montrés dans des cadres séparés.
ƒ Deux femmes / couple homosexuel : pour contourner le code Hayes, Hitchcock les
cache derrière un muret quand elles sont nues, allongées, mais il prend soin de mêler
leurs hauts de pyjamas.
ƒ Des célibataires :
o Une séductrice : Miss Torso, « la reine des abeilles choisissant ses bourdons »,
en réalité, fidèle à un seul homme Stanley.
o Une vieille fille (Miss Lonely Heart Cœur solitaire)
o Un musicien peut-être séparé ou divorcé.
On remarquera également que, souvent, ce qui se passe chez les voisins fait écho à ce qui se passe
chez Jefferies.
9 Lorsque Lisa propose le mariage à Jefferies, elle se place devant la fenêtre du petit couple ;
9 Lorsque Lisa prépare le repas (à un homme qui ne veut pas d’elle et qui est souvent absent à
cause de son métier) Jefferies suit le repas solitaire de Miss Lonelyhearts. D’ailleurs il finit
par trinquer avec cette dernière… Est-ce le destin de Lisa ?
9 Après la dispute entre Lisa et Jefferies, le voisin Thorwald tue sa femme… comme si les deux
hommes se débarrassaient de leur femme respective en même temps.
3- Des objets et des animaux
a) Les animaux
Le cinéaste (comme souvent : cf. Les oiseaux) aime mettre des animaux dans ses films. Ici on trouve :
• Des pigeons, des oiseaux dans une cage
• Un chat (qui arrive le matin, sans doute de ses chasses nocturnes). On peut se demander si ce
chat n’annonce pas un drame. Il indique, en tout cas, par où Stella et Lisa passeront à la fin.
• Un chien yorkshire. Il devient un indice du meurtre de Mme Thorwald.
b) Des objets
9 Des horloges et des montres : une course contre la montre.
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9
9
9
Un téléphone : le seul lien avec l’extérieur pour Jefferies.
Des jumelles et un objectif d’appareil photo afin de mieux voir et de mieux surveiller.
Une valise : sert-elle à transporter des preuves, un corps ?
Un sac avec une alliance. Lisa met la bague au doigt : elle a trouvé l’indice ; elle se marie
également avec Jefferies !
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6- Masculin et féminin
Le film est l’occasion de réfléchir sur le masculin et le féminin ainsi que sur leurs
représentations.
•
•
•
Questions
Comment le masculin et le féminin sont-ils représentés dans ce film ? Quelles fonctions
sont dévolues à l’homme et à la femme ?
Commenter le photogramme. Comment Hitchcock modifie-t-il les rapports entre les
hommes et les femmes ?
Comment, dans la seconde partie du film, les fonctions évoluent-elles ?
1- Une répartition traditionnelle
Au début du film, la représentation du masculin et du féminin est traditionnelle.
L’homme est le baroudeur, celui qui n’a pas d’attaches et qui court le monde. (Cf. Les
photographies, les vêtements suspendus de Jefferies).
La femme, de son côté, occupe son temps à faire les magasins, à choisir des robes et à servir à
table.
Mais on perçoit déjà des signes de faiblesse dans le monde masculin :
• le musicien, parfois comparé à Jefferies, éteint la radio qui vante les mérites d’un
remontant.
• Jefferies est assimilé à un malade (gouttes de sueur / thermomètre – température) / il
évoque ses douleurs dans le dos.
• Son corps est loin d’être celui d’un athlète.
• Son impuissance est soulignée par sa jambe cassée, puis ses deux jambes cassées.
Cette crise du masculin est une crise de la société. La preuve, Stella assimile les problèmes
urinaires des dirigeants à la crise de 29 : « Quand General Motors doit aller aux toilettes dix
fois par jour, c’est tout le pays qui doit y aller ».
2- Étude des photogrammes
Stella s’occupe de Jefferies comme d’un
enfant : elle le réprimande, le nourrit, le
change, le prend dans ses bras pour le
transporter dans son siège…
Elle domine Jefferies par sa position
physique (toujours debout, jamais assise) et
par son nom (l’étoile)
Profondeur de champ + diagonale qui
accentue la confrontation
Lisa domine l’inspecteur qui vient de refuser
d’agir alors qu’elle l’incite à le faire.
3- Révolution
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Le film révèle la véritable nature de Lisa. Le négatif et le positif du début la
concernaient : elle montre qu’elle est une battante et qu’elle obtient ce qu’elle veut.
Dans la dernière partie du film, ce sont les femmes qui :
9 poussent Jefferies à aller de l’avant ;
9 agissent (elles creusent la terre, fouillent l’appartement de Thorwald…)
9 franchissent des obstacles (les grilles), montent les escaliers…
9 font face à l’assassin
Jefferies de son côté veut rester prudent.
On remarquera également que Lisa s’impose dans la vie de Jefferies (elle s’installe pour la
nuit malgré le refus de Jefferies, se passe elle-même la bague au doigt…). La dernière image
montre même son côté manipulatrice puisqu’elle fait croire qu’elle s’intéresse aux livres
d’aventures, mais reprend son magazine Bazaar, sitôt son compagnon/mari endormi.
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7- En guise de conclusion : le meurtre, un bel art ?
Pour conclure, on pourra s’amuser avec Hitchcock et se demander si le meurtre n’apparaît pas
ici comme un art.
On remarque, en effet, que tous les habitants auxquels s’intéressent Jefferies sont des artistes :
• sculpture
• Miss Torso, « la reine des abeilles », est une ballerine
• Le voisin est musicien
• Thornwall est joaillier et amateur de fleurs : il fait preuve d’un goût certain.
• Lisa de déplace comme pour un défilé de mode dans l’appartement / elle conduit son
enquête avec ses vêtements de femme du monde.
La révélation (le terme a double sens !) du crime passe par la photographie.
Tuer est décidément tout un art !
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Du réalisateur au personnage
Questions
Étude du photogramme : À quel moment Hitchcock apparaît-il dans le film ? Que fait-il ?
Son geste est-il anodin ? Qui est avec lui ? Pourquoi les deux personnages sont-ils associés ?
Étude du générique : En quoi le générique du film assimile-t-il le réalisateur à son
personnage ? En quoi Jefferies Jefferies est-il lui aussi réalisateur ?
1- Le réalisateur
N° d’apparition
Action du musicien
2- Étude du générique
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Fonction de la musique
Fenêtre sur cour et la téléréalité
Interview deSerge Héfez, psychiatre pour Libération, 3 mai 2001.
Vous avez refusé de travailler avec la production...
J'ai refusé parce que le principe même de l'émission me déplaît. Je ne pense pas que l'on
puisse, comme ça […] montrer la vie, les pensées, les actions, les discours de vraies
personnes. […] Ce que l'on cherche à scruter, c'est la vérité des personnes, leurs désirs.
Certes, mais on voit des scènes, des gens…
Ce ne sont plus des personnes, mais des rats dans une cage. Et on a l'illusion qu'en voyant des
rats, on se rendra compte de ce que c'est que la pensée. Celui qui est observé est déshumanisé,
instrumentalisé. Pire, on lui impose un scénario.
Mais c’est un jeu…
Là, on demande à ces gens d'entrer en relation, puis on leur demande de s'éliminer, pour ne
retenir qu'un seul couple à la fin. Cette dimension de l'élimination est effroyable. Cela
cautionne toutes les dérives, y compris pour ceux qui regardent: les adolescents croient qu'ils
vont apprendre quelque chose sur eux-mêmes. Or, on leur apprend à disséquer l'autre au plus
intime sans qu'il y ait d'échange. Quant aux adultes, s'ils sont tant excités, ce n'est pas parce
qu'ils vont voir un bout de sein. C'est qu'ils ont conscience, eux, de participer à un scénario
pervers: voir sans être vu. Il n'y a pas de limite au scénario pervers. Pourquoi diable s'arrêter
là ?
Les séances de confession vous paraissent-elles alors dérisoires?
Elles participent encore plus de cette perversion. Un confessionnal, c'est tout dire. Mais tout
dire à une caméra? L'illusion est de présenter ce lieu comme le lieu de vérité de l'émission.
Or, sans relation, c'est le lieu où l'on ne peut que mentir.
Comment les candidats vont-ils s'en sortir?
Je n'arrive pas à penser qu'il n'y a pas de danger pour eux. Tous ceux qui vont être éliminés
vont devoir supporter cette humiliation. Humiliés au nom de ce qu'ils sont.
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1- Quel est le point de vue adopté ici ?
Pourquoi ?
2- Point de vue interne + Commentaires des photogrammes
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3- L’effet Koulechov
a) Extrait des entretiens Hitchcock/Truffaut
Vous savez ce que Poudovkine a écrit là-dessus ; dans un de ses livres sur l’art du montage, il a raconté
l’expérience qu’avait faite son maître Liev Koulechov. Cela consistait à montrer un gros plan d’Ivan Mosjoukine
puis à lui faire succéder le plan d’un bébé mort. Sur le visage de Mosjoukine se lit la compassion. On enlève le
plan du bébé mort et on le remplace par l’image d’une assiette de nourriture et, sur le même gros plan de
Mosjoukine, vous lisez maintenant l’appétit.
b) Exercice
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