Film de Alfred Hitchcock
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Film de Alfred Hitchcock
Alfred Hitchcock Par Yannick Lemarié Coordinateur académique-cinéma / Rectorat de Nantes Collège au cinéma 53 1 Sommaire 1- Une nouvelle de Cornell Woolrich et des faits-divers…….. p.3 2- Du réalisateur au personnage de Jefferies………………… p.6 3- Le point de vue……………………………………………… p.9 4- Espace et point de vue : plan de l’immeuble………………. p.12 5- Les personnages ……………………………………………. p.13 6- Le masculin et le féminin…………………………………… p.17 7- En guise de conclusion : le meurtre, un bel art ?................. p.19 Annexes………………………………………………………… p.20 [email protected] 2 1- Une nouvelle de Cornell Woolrich et des faits-divers A- La nouvelle Fenêtre sur cour d’Alfred Hitcock s’inspire d’It Had to be Murder (1942), une nouvelle écrite pour Dime Detective Magazine de William Irish, un des pseudonymes de Cornell Woolrich, auteur de thrillers souvent adaptés par Hollywood. (http://www.miettecast.com/woolrich.pdf). N.B. La nouvelle paraîtra également en mai 1958, dans The Saint Detective Magazine, revue anglaise Entre la nouvelle et le film, on relève quelques différences : • Une différence de ton : teinté d’humour chez Hitchcock, noir chez Woolrich/Irish. • Un léger changement de temps (une dizaine d’années : 1942/1954) puisque les deux créateurs ont décidé de situer leur œuvre dans leur époque. • Dans la nouvelle, le personnage principal s’appelle Hal Jefferies et n’a pas de profession vraiment établie, alors que dans le film, L.B. Jefferies est un baroudeur, qui parcourt le monde pour son travail de photographe. • Hitchcock et son scénariste remplacent Sam, the house boy, par Stella, l’infirmière et Lisa, the girlfriend. • Dans la scène de la confrontation finale entre le héros et le criminel, Hal est sauvé par le buste de Rousseau (« ou de Montesquieu », il ne sait pas distinguer les deux…) alors que dans le film, Jefferies est sauvé par les flashes de son appareil photo. Extrait n°1 : situation initiale I didn’t know their names. I’d never heard their voices. I didn’t even know them by sight, strictly speaking, for their faces were too small to fill in with identifiable features at that distance. Yet I could have constructed a timetable of their comings and goings, their daily habits and activities. They were the rear-window dwellers around me. Sure, I suppose it was a little bit like prying, could even have been mistaken for the fevered concentration of a Peeping Tom. That wasn’t my fault, that wasn’t the idea. The idea was, my movements were strictly limited just around this time. I could get from the window to the bed, and from the bed to the window, and that was all. The bay window was about the best feature my rear bedroom had in the warm weather. It was unscreened, so I had to sit with the light out or I would have had every insect in the vicinity in on me. I couldn’t sleep, because I was used to getting plenty of exercise. I’d never acquired the habit of reading books to ward off boredom, so I hadn’t that to turn to. Well, what should I do, sit there with my eyes tightly shuttered ? Extrait n°2 : les premiers soupçons I looked around to make sure the door was safely closed between Sam and me. My hand hovered uncertainly over the telephone dial a minute. Boyne, he’d be the one to tell about it. He was on Homicide. He had been, anyway, when I’d last seen him. I didn’t want to get a flock of strange dicks and cops into my hair. I didn’t want to be involved any more than I had to. Or at all, if possible. They switched my call to the right place after a couple of wrong tries, and I got him finally. “Look, Boyne? This is Hal Jefferies—“ “Well, where’ve you been the last sixty-two years?” he started to enthuse. 3 “We can take that up later. What I want you to do now is take down a name and address. Ready ? Lars Thorwald. Five twenty-five Benedict Avenue. Fourth-floor rear. Got it ?” “Fourth-floor rear. Got it. What’s it for?” “Investigation. I’ve got a firm belief you’ll uncover a murder there if you start digging at it. Don’t call on me for anything more than that—just a conviction. There’s been a man and wife living there until now. Now there’s just the man. Extrait n°2 : la mort rode Suddenly, death was somewhere inside the house here with me. And I couldn’t move, I couldn’t get up out of this chair [..]. I could have shouted out the window to that gallery of sleeping rear-window neighbors around me, I supposed. It would have brought them to the windows. It couldn’t have brought them over here in time. By the time they had even figured which particular house it was coming from, it would stop again, be over with, I didn’t open my mouth. Not because I was brave, but because it was so obviously useless. The pitch : Hal Jefferies has never been one for reading. So when he's laid up in his swelteringly small apartment he doesn't have the solace of books to turn to, instead he turns to his window and the lives of his neighbors. He becomes fascinated with their routines. B- Les faits-divers Le meurtre de l’épouse de Thorwald est inspiré de l’affaire Patrick Mahon. En avril 1924, Patrice Mahon tua et coupa en morceaux sa maîtresse dans un bungalow au bord de la mer ; il plaça ensuite les membres dans une malle avant d’essayer de l‘incendier. 4 Patrick Mahon is arrested on suspicion of murder after showing up at the Waterloo train station in London to claim his bag. He quickly confessed that the bloody knife and case inside were connected to the death of his mistress, Emily Kaye. Mahon then directed the Scotland Yard detectives to a particularly grisly scene in a Sussex bungalow, where they found Kaye's remains, dismembered and hidden among hatboxes, trunks, and biscuit tins. Le détail de l’alliance (absent de la nouvelle) vient de l’affaire Crippen. Le docteur Crippen tua sa femme mais se fit prendre quand il offrit l’alliance de cette dernière à sa maîtresse. Age 50, height 5ft 3 or 4, complexion fresh, hair light brown, inclined sandy, scanty, bald on top, rather long scanty moustache, somewhat straggly, eyes grey, bridge of nose rather flat, false teeth, medium build, throws his feet outwards when walking. May be clean shaven or wearing a beard and gold rimmed spectacles, and may possibly assume a wig. Somewhat slovenly appearance, wears his hat rather at back of head. Very plausible and quiet spoken, remarkably cool and collected demeanour. Speaks French and probably German; carries firearms. An American citizen and by profession a doctor. Police Poster: 'Wanted for Murder and Mutilation' July 1910 Propositions de travail 1- Travail sur l’un des trois extraits ou sur le pitch. Travail sur les faits-divers : faire le portrait de Thorwald à la manière de celui de Crippen (Police poster : Wanted for Murder and Mutilation) 2- Étude de quelques affiches de Dime Detective Magazine (couleurs, cadrage, échelle de plan, choix de la scène, hors champ, choix des personnages…) 3- Réalisation d’une affiche de ce type à partir du film. 5 2- Du réalisateur au personnage de Jefferies Questions Étude du photogramme : À quel moment Hitchcock apparaît-il dans le film ? Que fait-il ? Son geste est-il anodin ? Qui est avec lui ? Pourquoi les deux personnages sont-ils associés ? Étude du générique : En quoi le générique du film assimile-t-il le réalisateur à son personnage ? En quoi L.B. Jefferies est-il lui aussi réalisateur ? 1- Le réalisateur Hitchcock apparaît à la 26e minute environ. Il remonte une horloge, confortant ainsi son rôle de démiurge. Rappelons que Dieu est souvent qualifié de « grand horloger ». Il est par ailleurs associé au musicien. Hasard ? Sans doute pas puisque le pianiste essaie de composer un morceau de musique intitulé Lisa (du nom de l’héroïne) et commente l’action à sa manière. Le morceau de musique et le film sont deux works in progress et s’achèvent en même temps. Remarques sur la bande musicale et la place du musicien dans le film : La bande musicale est une des plus réalistes dans la filmographie du cinéaste : les musiques correspondent à ce qu’on pouvait entendre au début des années 50 ; elles sont justifiées (Miss Lonelyhearts -Miss Cœur solitaire- écoute, par exemple, To se you is to love you quand elle s’imagine en face d’un invité) et leurs sources sonores le plus souvent signalées (une radio, un électrophone…). Le pianiste de son côté tente de composer une chanson : Lisa. Sa composition dure le temps du film. N° d’apparition / timing approximatif N°1 : 2’33 N°2 : 5’45 Action du musicien Fonction de la musique Musicien se rase Tente de jouer au piano mais est gêné 6 Radio / commentaire sur la santé Il commence la partition de la par la musique de Miss Torso N°3 : 26’10 Il joue une partie du thème de Lisa N°4 : 33’33 Il arrive soûl chez lui N°5 : 43 N°5 : 46’9 Il passe la serpillère Il joue au piano en arrière plan / au premier plan se trouve Lisa Soirée avec des femmes et des amis N°6 : 62’ / 65’ / 70’ / 72’ / 78’ / 84’ (montage alterné) N°7 : 107’ Met un disque avec Miss Lonely Heart chanson Lisa. Fond sonore à peine perceptible qui devient l’accompagnement sonore de la séquence avec Stella. « C’est un enchantement. On dirait presque qu’elle a été composée pour nous » / le morceau de musique est associé à l’héroïne et à son compagnon. Il tente de faire quelques notes avant de s’effondrer. Il s’arrête et fait quelques notes Une phrase musicale « Encore cette chanson » / à nouveau, le thème est lié à Lisa. Dissonances qui annoncent des difficultés : tentative de suicide de Miss Lonelyhearts ou l’échec de Lisa La partition de la chanson est finie. 2- Étude du générique Le générique a plusieurs caractéristiques intéressantes : • La séquence commence par le matin / nous sommes au début de quelque chose (un film, une aventure, une nouvelle vie pour Jefferies et Lisa qui vont apprendre à se découvrir). L’heure matinale est confirmée par les activités des uns et des autres (mettre sa cravate, se peigner, s’éveiller, se raser, / passage du laitier…) • La caméra est déjà installée dans la pièce. • Les rideaux s’ouvrent comme au théâtre ou au cinéma autrefois. • Le plan est déjà divisé par les fenêtres. Il s’agira donc de suivre plusieurs « écrans en même temps » et donc plusieurs histoires. • Le nom d’A. Hitchcock s’inscrit sur l’écran alors que les rideaux sont tous ouverts. Il est, au même titre que Jefferies, un voyeur. • Nous sommes également, nous spectateurs à la place du voyeur, derrière les vitres de la fenêtre. 3- Jefferies réalisateur Jefferies se comporte en réalisateur puisque : 7 • Il a, devant lui, un décor ; • Il a des jumelles et un objectif d’appareil photo qui ressemblent à l’objectif de la caméra ou du chef opérateur ; • Il choisit des histoires qu’il veut raconter ; • Il choisit de regarder (de cadrer) tel endroit ou tel autre. Les fenêtres, les portes sont autant de cadres dans le cadre qui rappellent les principaux formats d’image : 1,33 : 1 (format notamment de la télévision qui fait concurrence au cinéma dans les années 50) ; 2,35 : 1 (cinémascope). Le dispositif est celui du cinéma. 8 3- Le point de vue Le film est l’occasion de rappeler la notion de point de vue ou de focalisation aux élèves. Travaux possibles Rappeler les trois points de vue possibles. Quels sont les points de vue privilégiés par le réalisateur ? Commenter les photogrammes ci-dessous. L’effet Koulechov : définition. Associer à chaque champ-contrechamp un sentiment. Justifier son choix. Discussion : Stella dit que « nous sommes devenus une race de voyeur ». Qu’en pensezvous ?[on pourra à cette occasion faire des rapprochements avec les dispositifs de la téléréalit. Cf. Document en annexes] 1- Points de vue omniscient Si on trouve dans le film les trois points de vue (interne, externe, omniscient), Hitchcock privilégie surtout le point de vue interne. Nous voyons les événements à travers le regard de Jefferies. Remarquons cependant que le premier travelling du film – celui qui présente l’immeuble et s’achève sur les gouttes de sueur – est un point de vue omniscient. En effet, Jefferies dort encore et ce n’est pas lui qui regarde l’ensemble de l’immeuble. Un autre moment clé privilégie le point de vue omniscient du créateur (surplombant grâce à une plongée) : la lettre anonyme. Jefferies et ses comparses interviennentt directement dans le destin d’un homme. 2- Point de vue interne + Commentaires des photogrammes 1 2 3 4 5 6 9 A. Les photogrammes 1 & 2 montrent quel point de vue est adopté : c’est Jefferies qui regarde les événements, comme le prouvent les jumelles puis le téléobjectif. Le film est une affaire de regard : voyons-nous ce que nous voyons ? Notre regard est-il fiable à cent pour cent ?... La caméra est, comme Jefferies, condamnée à rester dans l’appartement, la plupart du temps impuissante à sortir de la pièce. Ces plans rapprochés appellent le hors champ et imposent des raccords voyant-vu (ou raccord-regard). B. Le plan 3 donne le contre-champ. L’utilisation de l’iris est une façon de montrer la restriction du champ visuel (et mental). L’observateur ne regarde que ce qui l’intéresse. C- Le point de vue de Jefferies est petit à petit partagé, non seulement par Lisa Fremont mais également par Stella. On peut parler ici d’une contamination du désir qui touche également le spectateur. D- Magnifique plan qui prouve que la pulsion scopique est une pulsion vitale, aussi importante que le boire et le manger pour Jefferies. 3- L’effet Koulechov Le point de vue interne n’est pas qu’une question de regard. Nous partageons également les sentiments, les impressions du personnage. En littérature, le discours indirect libre est l’un des moyens de rendre compte de cela. Au cinéma, cela devient plus compliqué. Hitchcock recourt au montage et notamment à l’effet Koulechov. a) Définition L’effet Koulechov (du nom d’un cinéaste russe) est un effet de montage. Alfred Hitchcock l’évoque lors de ses entretiens avec Truffaut : (…) Vous avez l’homme immobile qui regarde au-dehors. C’est un premier morceau de film. Le deuxième morceau fait apparaître ce qu’il voit et le troisième montre sa réaction. Cela représente ce que nous connaissons comme la plus pure expression de l’idée cinématographique. Vous savez ce que Poudovkine a écrit là-dessus ; dans un de ses livres sur l’art du montage, il a raconté l’expérience qu’avait faite son maître Liev Koulechov. Cela consistait à montrer un gros plan d’Ivan Mosjoukine puis à lui faire succéder le plan d’un bébé mort. Sur le visage de Mosjoukine se lit la compassion. On enlève le plan du bébé mort et on le remplace par l’image d’une assiette de nourriture et, sur le même gros plan de Mosjoukine, vous lisez maintenant l’appétit. De la même façon, nous prenons un gros plan de James Stewart. Il regarde par la fenêtre et il voit par exemple un petit chien que l’on descend dans la cour dans un panier ; on revient à Stewart, il sourit. Maintenant, à la place du petit chien qui descend dans le panier, on montre une fille à poil qui se tortille devant sa fenêtre ouverte ; on replace le même gros plan de James Stewart souriant et, maintenant, c’est un vieux salaud ! (…) Seul le visage ne signifie rien ou, au contraire, on peut lui attribuer de multiples émotions. 10 Exercices : 11 4 - Espace et point de vue : plan de l’immeuble Quel est le point de vue adopté ? Où les différents personnages vivent-ils ? Raconter en quelques lignes l’histoire de chacun d’eux ou imaginer une lettre écrite par le jeune marié / Miss Lonelyhearts / Miss Torso dans laquelle on retrouvera les principaux événements vus dans le film. f a e g b d c • • • • • • La sculptrice Lars Thorwald et sa femme Le couple au yorkshire Le musicien Les jeunes mariés Miss Lonelyhearts/Miss Cœur solitaire • Miss Torso, « la reine des abeilles » 5- Les personnages Suggestions Pour compléter les remarques faites dans le livret : 1- On étudiera la façon dont les personnages sont présentés. Pour Jefferies : Remettre dans l’ordre ces différents photogrammes. En quoi l’ordre est-il important ? Y a-t-il des paroles durant cette présentation ? Que pouvez-vous en conclure sur le travail d’Hitchcock. Rédigez en deux ou trois lignes ce que vous savez de Jefferies grâce à ces photogrammes. Pour Lisa : quels sont les trois moyens de la présenter avant qu’elle ne soit à l’écran physiquement ? Ces deux présentations correspondent-elles à ce que le film nous montre ? [on complètera cette partie avec la partie sur le masculin et le féminin]. 2- Lisa et Jefferies se posent des questions sur leur avenir. Doivent-ils vivre seuls, à deux, … ? Où trouvent-ils les réponses à leurs questions ? 3- Les autres « personnages » : objets et animaux 1- Présentation de Jefferies et Lisa a) Jefferies 1 2 3 4 5 6 7 8 Réponse : 2-8-3-6-7-5-4-1 Hitchcock présente Jefferies selon une méthode proprement cinématographique : aucune parole, aucun commentaire. C’est au spectateur de deviner la vie du personnage grâce aux images réunies dans un long travelling. Notons également que le spectateur est d’autant plus actif que le cinéaste donne la conséquence avant la cause : Jefferies a de grosses gouttes de sueur (conséquence). Est-il malade ? a-t-il chaud ? Le thermomètre donne la réponse (cause). De même, il a la jambe cassée (conséquence). Quelle en est la raison ? Il a certainement eu un accident alors qu’il couvrait un évènement – une course de voitures par exemple). En un travelling, nous avons des informations sur sa vie privée et sa vie publique. Il est reporter mais aussi photographe de mode (le négatif montre que la femme doit être révélée : c’est ce qui arrivera à Lisa…) Le film déconstruit cette image de baroudeur. 13 9 Le corps de l’acteur n’a rien d’un corps de sportif. On voit les chairs flasques lorsqu’il se déshabille pour être massé. 9 Il sursaute parce que le produit de massage est trop froid 9 Il peine à ouvrir une bouteille de vin à tel point que le garçon du restaurant se propose de l’aider. 9 Il n’agit jamais durant le film. b) Lisa Elle est donc présentée 9 d’abord à travers un sujet de discussion entre Stella et Jefferies 9 puis, c’est une ombre 9 et enfin une vision de rêve (son ombre recouvre le visage de Jefferies en train de dormir et, au moment du baiser Hitchcock recourt au gros plan et à un ralenti). Tout le début de film insiste sur le caractère éthéré du personnage. « Trop sophistiquée » dira Jefferies pour justifier qu’il ne veuille pas l’épouser. ◄L’image semble confirmer cette opposition entre les deux personnages (le baroudeur/la fille du monde). On peut également se demander si le plan demi-ensemble ne nous prépare pas à la suite. Remarquons en effet que Lisa porte des vêtements blanc et noir. Le monde est-il vraiment blanc OU noir ? Le film et les vêtements disent le contraire : Lisa est à la fois une femme sophistiquée ET une baroudeuse, le positif ET le négatif, le blanc ET le noir. D’ailleurs lors de la première soirée, elle est virevoltante, jamais en arrêt quand Jefferies reste coincé sur son fauteuil. 2- Un film sur le couple Comment un couple est-il constitué ? (cf. Discussion entre Jefferies et Stella. Dialogue argumenté). Les deux personnages principaux s’interrogent sur leur avenir. Doivent-ils rester seuls ou se mettre en couple ? Pour répondre à leurs questions, ils se tournent vers la cour qui leur montre les différents cas de figure : 14 Miss Lonelyhearts « Cœur solitaire » Miss Torso « La reine des abeilles » Thorwald et sa femme : le couple déchiré Le couple au yorkshire Les nouveaux mariés Le couple homosexuel Un jeune couple, tout juste marié. L’homme fait le geste de porter sa femme à l’intérieur de l’appartement. Il va rapidement se lasser d’un amour exclusif… Un couple déjà installé : l’homme et la femme avec pour seul enfant un chien. Un couple qui se dispute tout le temps : Thorwald et son épouse. Dès le début, ils sont montrés dans des cadres séparés. Deux femmes / couple homosexuel : pour contourner le code Hayes, Hitchcock les cache derrière un muret quand elles sont nues, allongées, mais il prend soin de mêler leurs hauts de pyjamas. Des célibataires : o Une séductrice : Miss Torso, « la reine des abeilles choisissant ses bourdons », en réalité, fidèle à un seul homme Stanley. o Une vieille fille (Miss Lonely Heart Cœur solitaire) o Un musicien peut-être séparé ou divorcé. On remarquera également que, souvent, ce qui se passe chez les voisins fait écho à ce qui se passe chez Jefferies. 9 Lorsque Lisa propose le mariage à Jefferies, elle se place devant la fenêtre du petit couple ; 9 Lorsque Lisa prépare le repas (à un homme qui ne veut pas d’elle et qui est souvent absent à cause de son métier) Jefferies suit le repas solitaire de Miss Lonelyhearts. D’ailleurs il finit par trinquer avec cette dernière… Est-ce le destin de Lisa ? 9 Après la dispute entre Lisa et Jefferies, le voisin Thorwald tue sa femme… comme si les deux hommes se débarrassaient de leur femme respective en même temps. 3- Des objets et des animaux a) Les animaux Le cinéaste (comme souvent : cf. Les oiseaux) aime mettre des animaux dans ses films. Ici on trouve : • Des pigeons, des oiseaux dans une cage • Un chat (qui arrive le matin, sans doute de ses chasses nocturnes). On peut se demander si ce chat n’annonce pas un drame. Il indique, en tout cas, par où Stella et Lisa passeront à la fin. • Un chien yorkshire. Il devient un indice du meurtre de Mme Thorwald. b) Des objets 9 Des horloges et des montres : une course contre la montre. 15 9 9 9 9 Un téléphone : le seul lien avec l’extérieur pour Jefferies. Des jumelles et un objectif d’appareil photo afin de mieux voir et de mieux surveiller. Une valise : sert-elle à transporter des preuves, un corps ? Un sac avec une alliance. Lisa met la bague au doigt : elle a trouvé l’indice ; elle se marie également avec Jefferies ! 16 6- Masculin et féminin Le film est l’occasion de réfléchir sur le masculin et le féminin ainsi que sur leurs représentations. • • • Questions Comment le masculin et le féminin sont-ils représentés dans ce film ? Quelles fonctions sont dévolues à l’homme et à la femme ? Commenter le photogramme. Comment Hitchcock modifie-t-il les rapports entre les hommes et les femmes ? Comment, dans la seconde partie du film, les fonctions évoluent-elles ? 1- Une répartition traditionnelle Au début du film, la représentation du masculin et du féminin est traditionnelle. L’homme est le baroudeur, celui qui n’a pas d’attaches et qui court le monde. (Cf. Les photographies, les vêtements suspendus de Jefferies). La femme, de son côté, occupe son temps à faire les magasins, à choisir des robes et à servir à table. Mais on perçoit déjà des signes de faiblesse dans le monde masculin : • le musicien, parfois comparé à Jefferies, éteint la radio qui vante les mérites d’un remontant. • Jefferies est assimilé à un malade (gouttes de sueur / thermomètre – température) / il évoque ses douleurs dans le dos. • Son corps est loin d’être celui d’un athlète. • Son impuissance est soulignée par sa jambe cassée, puis ses deux jambes cassées. Cette crise du masculin est une crise de la société. La preuve, Stella assimile les problèmes urinaires des dirigeants à la crise de 29 : « Quand General Motors doit aller aux toilettes dix fois par jour, c’est tout le pays qui doit y aller ». 2- Étude des photogrammes Stella s’occupe de Jefferies comme d’un enfant : elle le réprimande, le nourrit, le change, le prend dans ses bras pour le transporter dans son siège… Elle domine Jefferies par sa position physique (toujours debout, jamais assise) et par son nom (l’étoile) Profondeur de champ + diagonale qui accentue la confrontation Lisa domine l’inspecteur qui vient de refuser d’agir alors qu’elle l’incite à le faire. 3- Révolution 17 Le film révèle la véritable nature de Lisa. Le négatif et le positif du début la concernaient : elle montre qu’elle est une battante et qu’elle obtient ce qu’elle veut. Dans la dernière partie du film, ce sont les femmes qui : 9 poussent Jefferies à aller de l’avant ; 9 agissent (elles creusent la terre, fouillent l’appartement de Thorwald…) 9 franchissent des obstacles (les grilles), montent les escaliers… 9 font face à l’assassin Jefferies de son côté veut rester prudent. On remarquera également que Lisa s’impose dans la vie de Jefferies (elle s’installe pour la nuit malgré le refus de Jefferies, se passe elle-même la bague au doigt…). La dernière image montre même son côté manipulatrice puisqu’elle fait croire qu’elle s’intéresse aux livres d’aventures, mais reprend son magazine Bazaar, sitôt son compagnon/mari endormi. 18 7- En guise de conclusion : le meurtre, un bel art ? Pour conclure, on pourra s’amuser avec Hitchcock et se demander si le meurtre n’apparaît pas ici comme un art. On remarque, en effet, que tous les habitants auxquels s’intéressent Jefferies sont des artistes : • sculpture • Miss Torso, « la reine des abeilles », est une ballerine • Le voisin est musicien • Thornwall est joaillier et amateur de fleurs : il fait preuve d’un goût certain. • Lisa de déplace comme pour un défilé de mode dans l’appartement / elle conduit son enquête avec ses vêtements de femme du monde. La révélation (le terme a double sens !) du crime passe par la photographie. Tuer est décidément tout un art ! 19 20 Du réalisateur au personnage Questions Étude du photogramme : À quel moment Hitchcock apparaît-il dans le film ? Que fait-il ? Son geste est-il anodin ? Qui est avec lui ? Pourquoi les deux personnages sont-ils associés ? Étude du générique : En quoi le générique du film assimile-t-il le réalisateur à son personnage ? En quoi Jefferies Jefferies est-il lui aussi réalisateur ? 1- Le réalisateur N° d’apparition Action du musicien 2- Étude du générique 21 Fonction de la musique Fenêtre sur cour et la téléréalité Interview deSerge Héfez, psychiatre pour Libération, 3 mai 2001. Vous avez refusé de travailler avec la production... J'ai refusé parce que le principe même de l'émission me déplaît. Je ne pense pas que l'on puisse, comme ça […] montrer la vie, les pensées, les actions, les discours de vraies personnes. […] Ce que l'on cherche à scruter, c'est la vérité des personnes, leurs désirs. Certes, mais on voit des scènes, des gens… Ce ne sont plus des personnes, mais des rats dans une cage. Et on a l'illusion qu'en voyant des rats, on se rendra compte de ce que c'est que la pensée. Celui qui est observé est déshumanisé, instrumentalisé. Pire, on lui impose un scénario. Mais c’est un jeu… Là, on demande à ces gens d'entrer en relation, puis on leur demande de s'éliminer, pour ne retenir qu'un seul couple à la fin. Cette dimension de l'élimination est effroyable. Cela cautionne toutes les dérives, y compris pour ceux qui regardent: les adolescents croient qu'ils vont apprendre quelque chose sur eux-mêmes. Or, on leur apprend à disséquer l'autre au plus intime sans qu'il y ait d'échange. Quant aux adultes, s'ils sont tant excités, ce n'est pas parce qu'ils vont voir un bout de sein. C'est qu'ils ont conscience, eux, de participer à un scénario pervers: voir sans être vu. Il n'y a pas de limite au scénario pervers. Pourquoi diable s'arrêter là ? Les séances de confession vous paraissent-elles alors dérisoires? Elles participent encore plus de cette perversion. Un confessionnal, c'est tout dire. Mais tout dire à une caméra? L'illusion est de présenter ce lieu comme le lieu de vérité de l'émission. Or, sans relation, c'est le lieu où l'on ne peut que mentir. Comment les candidats vont-ils s'en sortir? Je n'arrive pas à penser qu'il n'y a pas de danger pour eux. Tous ceux qui vont être éliminés vont devoir supporter cette humiliation. Humiliés au nom de ce qu'ils sont. 22 1- Quel est le point de vue adopté ici ? Pourquoi ? 2- Point de vue interne + Commentaires des photogrammes 1 2 3 4 5 6 3- L’effet Koulechov a) Extrait des entretiens Hitchcock/Truffaut Vous savez ce que Poudovkine a écrit là-dessus ; dans un de ses livres sur l’art du montage, il a raconté l’expérience qu’avait faite son maître Liev Koulechov. Cela consistait à montrer un gros plan d’Ivan Mosjoukine puis à lui faire succéder le plan d’un bébé mort. Sur le visage de Mosjoukine se lit la compassion. On enlève le plan du bébé mort et on le remplace par l’image d’une assiette de nourriture et, sur le même gros plan de Mosjoukine, vous lisez maintenant l’appétit. b) Exercice 23