LA GUERRE EN TCHÉTCHÉNIE : QUELLE EFFICACITÉ DU
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LA GUERRE EN TCHÉTCHÉNIE : QUELLE EFFICACITÉ DU
LA GUERRE EN TCHÉTCHÉNIE : QUELLE EFFICACITÉ DU CONSEIL DE L’EUROPE FACE À DES VIOLATIONS MASSIVES DES DROITS DE L’HOMME ? par Céline FRANCIS (*) Doctorante à l’Université catholique de Louvain « Compte tenu de ces assurances et des considérations et engagements ci-dessous, l’Assemblée estime que la Russie — au sens de l’article 4 du Statut — a clairement la volonté et sera capable dans un avenir proche de se conformer aux dispositions de l’article 3 de ce Statut précisant les conditions requises pour pouvoir adhérer au Conseil de l’Europe (‘ Tout membre du Conseil de l’Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il s’engage à collaborer sincèrement et activement à la poursuite [de ce] but... ’) » ( 1). « Les autorités russes ne semblent pas être capables de mettre un terme aux graves violations des droits de l’homme en Tchétchénie. Eu égard au fait que certaines enquêtes concernant les cas les plus médiatisés de meurtres et disparitions massifs se poursuivent depuis plus de trois ans sans aboutir à des résultats tangibles, l’Assemblée est amenée à conclure que les instances de poursuite n’ont ni la volonté ni la capacité de rechercher les coupables et de les déférer à la justice » ( 2). Le premier passage provient de l’avis positif de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe concernant l’adhésion de la Fédéra(*) Ce thème est abordé sous l’angle des sanctions administrées dans un ouvrage collectif sous la direction de Tanguy de Wilde d’Estmael et Laetitia Spetschinsky, La politique étrangère russe et ses implications par l’Union européenne, à paraître chez Peter Lang en 2004. (1) Assemblée parlementaire, « Avis n o 193 (1996) relatif à la demande d’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe », 25 janvier 1996. (2) Assemblée parlementaire, « Résolution 1315 (2003). Evaluation des perspectives de résolution politique du conflit en République tchétchène », 29 janvier 2003. 78 Rev. trim. dr. h. (57/2004) tion de Russie, datant de 1996. Grâce à celui-ci, la Russie accède au cercle restreint que représente l’Organisation paneuropéenne. Les autorités russes sont alors entraînées depuis plus d’un an dans un conflit tchétchène devenu inextricable. La deuxième déclaration est énoncée par l’Assemblée dans la résolution de la session de janvier 2003. Sept ans et deux conflits entre la Tchétchénie et la Russie séparent ces deux textes. L’illusion des débuts a alors fait place au réalisme des violations quotidiennes des droits de l’homme et de l’impunité de leurs auteurs. Cependant, depuis le début de la procédure d’adhésion de la Russie en 1994, le Conseil de l’Europe tente de faire face à une situation qui, quoiqu’elle se déroule aux confins du Caucase, viole ses fondements mêmes. L’objectif de cet article n’est pas de composer une liste exhaustive des divers mécanismes de réaction vis-à-vis des violations massives des droits de l’homme. Une étude très complète de Andrew Drzemczewski y contribue déjà largement ( 3). De manière plus circonspecte, cette contribution s’arrête à l’évaluation de l’efficacité des mesures prises en réaction des conflits en Tchétchénie. Face à une violation massive des droits de l’homme telle qu’exercée en Tchétchénie, le Conseil de l’Europe possède-t-il des moyens véritablement efficaces ? La continuité de la guerre entre la République tchétchène et la Fédération de Russie semble davantage être l’illustration de l’incapacité de l’Organisation à faire face à un conflit qui se déroule dans le cœur même de son espace. Conçue dans le but d’une action structurelle et à long terme, l’Organisation paraît dépourvue de capacité et/ou de volonté pour répondre à l’avènement d’une zone de non-droit. Dans cet article, nous aborderons cette hypothèse au travers de l’étude des réactions, actions et efficacité des divers acteurs de l’Organisation (Conseil de l’Europe) vis-àvis du conflit russo-tchétchène. I. — Le contexte général : la Russie face à l’exigence des droits de l’homme A. — Le Conseil de l’Europe et l’effondrement du bloc communiste Fondé en 1949 par onze Etats, le Conseil de l’Europe fut créé afin de porter en étendard les valeurs démocratiques partagées par ses (3) Drzemczewski Andrew, « La prévention des violations des droits de l’homme : les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe », Rev. trim. dr. h., 2000, p. 385. Céline Francis 79 membres, dont font partie les droits et libertés fondamentales. Durant quarante ans, l’accès de cette Organisation fut restreint aux candidats possédant les capacités de poursuivre les idéaux communs d’état de droit et de respect des droits de l’homme. L’effondrement du bloc de l’Est et la disparition de l’Union soviétique provoquèrent un assouplissement des conditions d’entrée de l’Organisation. Dans la perspective d’une consolidation progressive de la démocratie et de la création d’un espace de paix et de liberté en Europe, entendu sous le concept global de sécurité démocratique, le Conseil de l’Europe entreprit une vaste politique d’inclusion des démocraties en transition. Celle-ci se traduisit par l’attribution dès 1989 du statut d’invité spécial à la Hongrie, la Yougoslavie, l’URSS et la Pologne, qui fut le premier pays à rejoindre l’Organisation en 1990. L’ouverture à ces anciens satellites de l’Union soviétique n’entendait pas avoir comme conséquence une diminution des standards européens en terme de droits de l’homme. A contrario, placés au centre des préoccupations de l’Organisation depuis sa création, consolidés dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, les droits fondamentaux et leur respect par les Etats membres ont toujours constitué l’objectif premier du Conseil de l’Europe. Pour mettre en œuvre ce dernier, diverses mesures ont été établies par les organes constitutifs de l’Organisation, parmi lesquels une large gamme de conventions relatives aux droits fondamentaux, des programmes de sensibilisation ou encore la formation aux droits et libertés au travers de séminaires. Des postes et mécanismes spécifiques furent également développés, tels que le Commissaire aux droits de l’homme ou le Comité pour la prévention de la torture (CPT). La majorité de ces instruments agissent de manière préventive et structurelle : formation des autorités judiciaires, éducation, mise en place d’ombudsmen régionaux, rapports sur les situations nationales qui sont autant de moyens d’anticiper et d’empêcher les violations. La Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et la Cour sont des exceptions de contrôle dans un système globalement coopératif. En ce qui concerne la gestion des crises et conflits européens, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) vient pallier à l’action proactive du Conseil de l’Europe via ses mécanismes d’urgence parmi lesquels REACT et l’envoi de missions sur le terrain. Cependant, en succédant à la période de tension du début de la décennie quatrevingt dix, cette complémentarité théorique des deux organisations va être remise en cause lorsqu’éclateront les conflits en Tchétchénie, et qu’apparaîtront les violations des conditions d’appartenance de la Russie au Conseil de l’Europe suivie de la mise hors jeu de 80 Rev. trim. dr. h. (57/2004) l’OSCE par la Russie. Pour chacune des instances du Conseil de l’Europe responsables du suivi des engagements des Etats membres, la situation tchétchène posera un véritable défi. B. — Les violations des droits de l’homme au cours des guerres en Tchétchénie Avant d’aborder les différents acteurs du Conseil de l’Europe, revenons brièvement sur les conflits tchétchènes et le droit international qui s’y applique. La guerre en Tchétchénie éclate alors que la procédure d’adhésion de la Russie débute sous les auspices du Comité des ministres. Trois ans se sont écoulés depuis la déclaration d’indépendance de la République tchétchène (Ichkerie) ( 4) prononcée par son président, Djokhar Doudaev. Durant ces années, le dialogue restera quasiment absent de l’agenda des deux parties, et la petite république plongera dans les luttes claniques. Suite à l’échec du soutien russe à l’opposition tchétchène de Mamodaev, censée déstabiliser le président Doudaev, Eltsine va passer à une action plus vigoureuse via le lancement de l’opération anti-terroriste en Tchétchénie. La crainte officielle est alors l’embrasement de tout le Nord-Caucase. Le 11 décembre 1994, 30.000 soldats russes entrent sur le territoire tchétchène. Selon les prévisions du ministre de la Défense, Pavel Grachev, la guerre durera deux semaines. La réalité du terrain ne pouvait guère être plus éloignée : la guerre durera près de deux ans, faisant entre 50.000 et 100.000 victimes et déstabilisera toute la région nord-caucasienne déjà fragilisée par sa composition ethnique et sa dépendance financière vis-à-vis de Moscou. Profitant du huis clos du territoire tchétchène, les soldats russes envoyés par l’armée, le ministère de l’Intérieur (MVD) et les services de renseignement (GRU) commettront diverses formes de persécutions : ‘ nettoyages ’ des villes et des villages (zachistki) ( 5) basées sur le principe de la punition collective, détentions arbi- (4) L’Ichkerie, nom officiel de la République tchétchène, représente traditionnellement la partie montagneuse sise au sud de la Tchétchénie. Les habitants y sont connus pour être plus réticents à la présence russe, contrairement aux plaines du nord annexes au territoire de Stavropol (district de Nadterechny par exemple). (5) Le terme ‘nettoyage ’ couvre les pratiques de contrôle systématique des maisons et des identités de leurs habitants. Elles se terminent souvent par l’arrestation des hommes en âge de combattre, la destruction et/ou le vol des biens matériels, ainsi que par la maltraitance et/ou le meurtre des populations civiles. Céline Francis 81 traires dans les centres de filtrage, tortures, disparitions et retour monnayé des corps rythmeront le quotidien des civils ( 6). Signée le 31 août 1996, la Déclaration commune sur les principes des relations entre la Russie et la Tchétchénie, dit accord de Khassaviourt, mit un terme à la guerre mais pas à l’instabilité prévalente. En janvier 1997, les élections présidentielles permirent au général Aslan Maskhadov, chef de guerre et négociateur de l’accord, d’accéder au pouvoir. Les deux années de paix qui suivirent furent marquées par les tensions interclaniques et par une opposition grandissante au gouvernement du président élu. Sans aide extérieure ni économie capable de résorber un taux de chômage de plus de 80 %, sans volonté et/ou capacité de faire face à la criminalité ambiante, Maskhadov se retrouva rapidement impuissant. Cette faiblesse se traduisit par la tentative d’amadouer les forces islamistes ( 7) plutôt que de s’y opposer en proclamant la sharia en février 1999. Les explosions de trois bâtiments russes, ainsi que l’invasion du Daghestan par les hommes de Chamil Bassaiev furent considérés comme les déclencheurs du second conflit qui débuta en septembre 1999. Nonobstant les incertitudes concernant les véritables responsables, les attentats de Moscou, de Volgodonsk et Buinaksk furent rapidement attribués aux Tchétchènes. A l’incursion du chef de guerre Chamil Bassaiev dans la république voisine, bien que condamnée par Maskhadov, les autorités russes vont répondre par l’attaque du territoire daghestanais et tchétchène. Nous sommes alors au commencement du deuxième conflit en Tchétchénie, qui fera tout autant, si pas davantage, le malheur de la population civile. C. — Les obligations internationales de la Russie Quelle que soit la justesse des raisons officielles qui ont déclenché les deux conflits, elle n’ôte pas pour autant l’obligation pour la Rus(6) Quelques rapports sur les violations de droits de l’homme commises lors du premier conflit russo-tchétchène : Human Rights Watch, « Partisan war in Chechnya on the eve of the World War II commemoration », vol. 7, n o 8, mai 1995 ; Human Rights Watch, « Russia/Chechnya, Report to the 1996 OSCE Review conference », vol. 8, n o 16, novembre 1996 ; Human Rights Watch, « Russia/Chechnya. A legacy of abuse », vol. 9, n o 2, janvier 1997. (7) Les Tchétchènes sont majoritairement musulmans, d’origine soufie et se partagent entre deux confréries : la Naqshbandiya et la Qadiriya. L’arrivée des « wahhabites » (du courant venu d’Arabie Saoudite, promouvant un retour aux fondements de l’Islam) durant le premier conflit russo-tchétchène ébranla quelque peu les traditions. Leur influence, quoique limitée, fut cependant présente parmi la jeunesse désœuvrée, nourrie par leurs perspectives d’un avenir plus glorieux (possibilité d’éducation, richesse, etc.). 82 Rev. trim. dr. h. (57/2004) sie de suivre les règles du droit international. Et pour cause, ce que la théorie de la guerre juste appelle le jus ad bellum (droit de faire la guerre, qui comprend l’intention droite, la cause juste et l’autorité compétente) ne donne pas la possibilité à l’Etat d’outrepasser le jus in bello (droit dans la guerre) ( 8). Même si ses intentions sont légitimes, un Etat ne peut se voir absoudre de ses obligations internationales vis-à-vis des combattants et des populations civiles auxquelles il s’est soumis. Au cours de ces deux guerres ( 9), la Russie était tenue de respecter le minimum du droit international humanitaire contenu dans l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 ( 10) et dans le deuxième Protocole additionnel de 1977. Sa justification par le truchement de l’opération anti-terroriste ne peut cacher qu’il s’agisse de conflits armés internes tels que définis par le II e Protocole additionnel ( 11). Dans le domaine des droits de l’homme, la Fédération a ratifié les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques ainsi qu’aux droits économiques, sociaux et culturels, et le Code de conduite de l’OSCE, dont l’encre était à peine sèche lorsqu’éclata le premier conflit. La ratification par la Russie de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits et libertés fondamentales et de la Convention pour la prévention de la torture et des peines et autres traitements inhumains ou dégradants en 1998, soumit également ce pays à leur respect durant le deuxième conflit armé. Dans le cadre plus précis de cette analyse, ce sont particulièrement les violations de ces dernières conventions (8) L’application de la théorie de la guerre juste au cas tchétchène a été menée de manière fort intéressante par Bruno Coppieters et Matthew Evangelista. Matthew Evangelista, The Chechen wars, Washington DC, Brookings Institution Press, 2002. (9) Selon la définition de la guerre comme un « conflit violent entre groupes humains organisés dont le but est d’imposer sa volonté au vaincu ». On peut par ailleurs estimer qu’il n’y eut qu’une seule guerre en Tchétchénie présente depuis 1994. Néanmoins, pour davantage de facilité de compréhension, je continuerai à distinguer les deux périodes. (10) Article 3. — En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, (...) sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus : a) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ; b) les prises d’otages ; c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. (...) (11) Selon la définition de l’article 1 er du II e Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1977, le conflit armé non international est un conflit « opposant les forces armées d’une Partie contractante d’un côté à des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés de l’autre côté. Les seconds doivent détenir une partie du territoire pour pouvoir appliquer le Protocole ». 83 Céline Francis ainsi que des conditions d’adhésion qui nous préoccuperont. Les engagements consentis par la Russie lors de son adhésion, contenus dans l’avis n o 193, stipulaient tant l’observation du droit international humanitaire (« respecter strictement les dispositions du droit international humanitaire, y compris en cas de conflits armés sur son territoire » ( 12)) que le principe de prééminence et de respect des droits de l’homme. Leurs violations par la Russie vont entraîner la mobilisation de diverses instances responsables du contrôle de ces engagements au sein de l’Organisation. II. — Efficacité des acteurs chargés du contrôle du respect des droits de l’homme Chacun des organes du Conseil de l’Europe actifs dans la problématique tchétchène sont repris ci-dessous. Ils sont analysés au travers des mesures adoptées et de l’efficacité de celles-ci dans le cadre du conflit. A. — L’Assemblée parlementaire Nous nous étendrons davantage sur ce premier acteur qui s’est avéré être l’instance la plus active depuis le début de la première guerre russo-tchétchène. Organe de délibération du Conseil de l’Europe, composée de parlementaires nationaux, l’Assemblée parlementaire possède une liberté de discussion et de recommandation étendue dans les manières relatives aux objectifs du Conseil de l’Europe. En cas de non-respect de ces obligations par un Etat membre, l’Assemblée peut agir « en adoptant une résolution et/ou une recommandation, ou en refusant de ratifier les pouvoirs d’une délégation parlementaire nationale au début de sa session ordinaire suivante, ou en annulant des pouvoirs ratifiés dans le courant de la même session ordinaire, conformément à l’article 6 du Règlement. » ( 13) La persistance de la violation peut mener l’Assemblée à demander la suspension ou l’exclusion de l’Etat au Comité des ministres, selon les articles 8 et 9 du Statut du Conseil de l’Europe. (12) Assemblée parlementaire, « Opinion n o 193 (1996) relatif à la demande d’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe », 25 janvier 1996. (13) Assemblée parlementaire, « Résolution 1115 (1997) sur la création d’une commission de l’Assemblée pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) », 29 janvier 1997. 84 Rev. trim. dr. h. (57/2004) L’implication de l’Assemblée dans le dossier tchétchène débute avec l’avis concernant l’adhésion de la Fédération de Russie qu’elle doit soumettre au Comité des ministres ( 14). Le déclenchement de la guerre en décembre 1994 provoque l’ajournement de l’analyse du dossier par l’Assemblée : « ces actions constituent (...) une grave violation des principes des droits de l’homme les plus élémentaires du Conseil de l’Europe, que la Russie, en demandant à adhérer à l’Organisation, s’est engagée à défendre. [En conséquence] l’Assemblée décide de suspendre la procédure concernant son avis statutaire sur la demande d’adhésion de la Russie » ( 15). L’année de suspension permettra à la sous-commission des droits de l’homme, chargée de la protection de ceux-ci dans les Etats membres, de faire une visite dans la République tchétchène. La procédure est reprise en septembre 1995. « (...) Malgré la tragique expérience de la Tchétchénie (telle que la décrit le rapport de la sous-commission des droits de l’homme), l’Assemblée reconnaît la dynamique et la direction de nombreuses évolutions positives dans toute la Fédération de Russie, évolutions soutenues par les programmes de coopération avec le Conseil de l’Europe et avec l’Union européenne ». Ces évolutions sont principalement au nombre de trois : les futures élections parlementaires russes de décembre 1995, présentées comme l’illustration de la mise en œuvre des principes démocratiques par la Russie, la reconnaissance d’erreurs commises en Tchétchénie et l’acceptation du Groupe d’assistance de l’OSCE ( 16). Pour les parlementaires de l’Assemblée, la prééminence du droit et le respect des libertés fondamentales dépendent d’une culture à établir. « L’Assemblée compte sur la poursuite et le renforcement du programme de coopération à long terme du Conseil de l’Europe, axé sur les droits de l’homme, (14) « Un consensus [existe] pour que la Fédération de Russie adhère à l’Organisation dès que les conditions requises par le Statut sont satisfaites ». Comité des ministres, « Résolution(92)27 sur la Fédération de Russie », 478 e réunion, 25 juin 1992. (15) Assemblée parlementaire, « Résolution 1055 (1995) relative à l’adhésion de la Russie à la lumière de la situation en Tchétchénie », 2 février 1995. (16) Suite aux rapports de deux missions de droits de l’homme, le Comité des ministres, en collaboration avec la Fédération de Russie, décidera d’envoyer une mission à long terme en Tchétchénie. Composée de diplomates, elle commencera à travailler sur le terrain en avril 1995. Permanent Council, « OSCE Permanent council issue resolution on Chechnya », http://www.osce.org/pressJrel/1995/02/653-pr.html, 3 février 1995. Céline Francis 85 la démocratie et l’instauration d’un ordre juridique dans la Fédération de Russie » ( 17). Lors de la session de janvier 1996, durant laquelle l’adhésion proprement dite est examinée, les parlementaires sont confrontés à un choix cornélien : l’exclusion de la Russie, au risque de l’isoler encore davantage, et l’inclusion, alors que le pays ne remplit pas les conditions essentielles, parmi lesquelles le respect des droits de l’homme. La réussite des élections parlementaires du 17 décembre 1995 encouragea les députés à plus de souplesse. Tenues en Tchétchénie, considérées comme satisfaisante par les députés de l’Assemblée, ces élections présidentielles et parlementaires furent pourtant jugées comme un simulacre de vote remporté par Zavgaev, placé comme Premier ministre par les autorités russes en octobre 1995 ( 18). Face à l’événementiel, rythmé alors par la prise d’otages de Kizliar ( 19) et l’arrêt des négociations entre les parties, l’Assemblée choisit l’adhésion par 164 voix contre 35 ( 20). La désillusion perceptible lors de la session d’avril 1996, au cours de laquelle l’Assemblée réalise le peu d’efforts menés par la Russie pour mettre un terme aux violations, va mener à la création d’une commission ad hoc pour la Tchétchénie. Composée de parlementaires, son mandat comprendra le contrôle du respect des droits de l’homme et de l’effectivité des poursuites judiciaires, la mise en place de rencontres avec les différentes parties, la création d’une audition parlementaire à Strasbourg et le contrôle du cessez-le-feu, prévu dans le Plan pour résoudre la crise dans la République tchét- (17) Assemblée parlementaire, « Résolution 1065 (1995) relative à la procédure pour un avis concernant l’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe », 26 septembre 1995. (18) Anatol Lieven, Chechnya. Tombstone of Russian power, New Haven & London, Yale University Press, 1998, p. 137 ; Longuet Marx Frédérique (dir.), Tchétchénie. La guerre jusqu’au dernier ?, Paris, éd. Mille et une nuits, Fayard, 2003. « However great the imperfections and unforeseeably difficult the circumstances, it is surely right to have gone ahead with arrangements for elections in the Chechen republic. Failure to do so would have weakened the civil authority. Some clearly perceived locus of civil authority will be essential for re-starting the peace process, in due course. » Parliamentary Assembly, « Addendum V to the Progress report of the Bureau of the Assembly and the Standing Committee », (doc. 7430 addendum V), 22 January 1996. (19) Sur le modèle de la prise d’otage de Boudennovsk en juin 1995, Salman Radouev et ses hommes vont prendre en otage des civils à Kizliar, au Daghestan. Ils tenteront de se retirer à Pervomaskoe et parviendront à s’échapper. (20) Assemblée parlementaire, « Débat de la session de janvier 1996 », 25 janvier 1996. 86 Rev. trim. dr. h. (57/2004) chène de Boris Eltsine entériné par l’Assemblée ( 21). A cette période préelectorale, Eltsine lance son va-tout en négociant un accord de cessez-le-feu basé sur le Plan avec Zemlikhan Yandarbiev, le nouveau président tchétchène ayant succédé à Djokhar Doudaev. L’accord, signé le 10 juin 1996 à Nazran (Ingouchie), ne sera qu’un mirage destiné aux électeurs russes. Dès la fin des élections, l’accord est abandonné. La guerre prendra fin sans que la commission ad hoc n’ait eu le temps de déployer ses effets : seule la mise en place d’une audition parlementaire fut lancée, sitôt arrêtée par l’accord conclu entre les parties. Les nombreux défis de la stabilité en Tchétchénie et l’action du Conseil de l’Europe dédiée à la démocratisation auraient pu être propices à une implication en profondeur de l’Assemblée. Au contraire, l’entre-deux-guerres connaîtra un désengagement de l’Assemblée parlementaire dans le Nord-Caucase. Les visites, menées par la Commission ad hoc en novembre 1997 et par la Commission des questions politiques et des droits de l’homme en juin 1998, donneront seulement lieu à certaines considérations sur l’importance de la stabilité politique et à propos de la continuité de l’impunité pour les crimes commis durant la guerre 1994-96 ( 22). L’éclatement du deuxième conflit remet le dossier tchétchène sur la table de l’Assemblée. En décembre 1999, le Bureau de l’Assemblée déclare que « la persistance des violations pourrait conduire l’Assemblée parlementaire à remettre en question la participation de la Russie aux travaux de l’Assemblée et du Conseil de l’Europe en général » ( 23). Somme toute, la réaction internationale est alors virulente, particulièrement lors du sommet de l’OSCE à Istanbul en novembre 1999 où Eltsine, bien que pliant, ne cédera pas sur les demandes d’intervention extérieure. L’Assemblée s’empare véritablement du dossier lors de la session de janvier 2000. Le discours du président de l’Assemblée, Lord Russell-Johnston, illustre la position générale de l’instance : « Que les droits de l’homme de la population civile et les règles du droit humanitaire international sont gravement menacés. Que la Russie ne respecte pas de manière satisfai(21) Assemblée parlementaire, « Résolution 1086 (1996) relative au développement dans la Fédération de Russie en relation avec la situation en Tchétchénie », 24 avril 1996. (22) Commission des questions politiques, « Conflit en Tchétchénie. Rapport », (doc. 8585), 3 novembre 1999 ; commission des questions politiques et des droits de l’homme, « Le conflit en Tchétchénie. Mise en œuvre par la Russie de la recommandation 1444 (2000) » (doc. 8700), 4 avril 2000. (23) Council of Europe, « Parliamentary Assembly declaration on Chechnya », http://wwww.reliefweb.int/w/rwb.nsf/f303799b16d2074285256830007fb33f/ e58a2b65d74f3baac12568480037f01e?OpenDocument, 13 december 1999. Céline Francis 87 sante ses obligations de membre du Conseil de l’Europe. (...) Il ne m’appartient pas de prédire quelle mesure l’Assemblée décidera (...). Mais il y a une chose qui est sûre : quoi que nous fassions, il faut le faire rapidement. Ce ne sont pas seulement les droits de l’homme qui sont menacés. Ce sont des vies qui sont perdues » ( 24). A une courte majorité, l’Assemblée rejette l’amendement proposant le retrait du droit de vote de la délégation russe ( 25). Cependant, elle souligne dans sa recommandation 1444 que « la Russie viole (...) certaines de ses obligations les plus importantes aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme et du droit humanitaire international, ainsi que les engagements qu’elle a souscrits en adhérant au Conseil de l’Europe » ( 26). Aux côtés des demandes de résolution pacifique du conflit et d’un cessez-le-feu, l’Assemblée exige de la part de la Russie un respect « scrupuleux » des droits de l’homme et des libertés des médias. Au Comité des ministres, elle recommande une analyse de la violation des droits de l’homme et l’adoption de mesures adéquates. En avril 2000, les rapports des différentes commissions de l’Assemblée sont unanimes pour noter l’absence d’améliorations. A la suite de deux visites en Russie, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme conclut : « La conduite de la Fédération de Russie en Tchétchénie au cours des derniers mois et jusqu’à aujourd’hui constitue une violation de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe suffisamment grave pour que l’utilisation de toutes les possibilités offertes par le Statut et le Règlement de l’Assemblée parlementaire soit pleinement justifiée » ( 27). Pour la première fois de son Histoire, l’Assemblée décide de retirer le droit de vote d’une de ses délégations. La surprise est alors totale pour le Président Poutine, qui venait de refuser de rencontrer le Haut (24) Les Européens, le magazine électronique de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Edito. lord Russell-Johnston », http://assembly.coe.int, janvier 2000. (25) Par 83 voix contre l’adoption de l’amendement, 73 voix pour et 9 abstentions. Assemblée parlementaire, « Débat du 27 janvier 2000 », 2000. (26) Assemblée parlementaire, « Recommandation 1444 (2000). Le conflit en Tchétchénie », 27 janvier 2000. (27) « Il avait été assuré en particulier que l’adhésion de la Russie n’entraînerait pas un abaissement des normes élevées de l’Organisation. Conformément à ces assurances, l’Assemblée est en droit d’insister sur le maintien et le respect des normes du Conseil de l’Europe, et ne peut que déplorer que la Russie s’en écarte par sa conduite en Tchétchénie et qu’elle viole ses engagements et obligations de la manière la plus grave. » Commission des questions politiques et des droits de l’homme, « Le conflit en Tchétchénie. Mise en œuvre par la Russie de la recommandation 1444 (2000) » (doc. 8700), 4 avril 2000. 88 Rev. trim. dr. h. (57/2004) représentant aux droits de l’homme, Mary Robinson ( 28). La réaction des autorités russes est symbolisée par ce communiqué : « En prenant cette décision, l’Assemblée parlementaire a sérieusement entamé les efforts du Conseil de l’Europe pour créer un environnement européen unique, qui incluerait les sphères humanitaires et juridiques, et encourt ainsi une sérieuse responsabilité » ( 29). La mise au ban dura moins d’un an : le droit de vote est rétrocédé lors de la session de janvier 2001. Durant cette période, les visites des commissions sur le terrain tchétchène ne révéleront aucun progrès, particulièrement absents du domaine des droits de l’homme et de la poursuite judiciaire des violations. Quoique reconnu, cet état n’est pas un obstacle au retour du droit de vote de la délégation russe. En effet l’Assemblée, quelques temps auparavant profondément déçue par la réaction du Comité des ministres de ne pas suspendre la Russie de l’Organisation ( 30), décide cette rétrocession afin de soutenir les efforts de la Douma, perçus comme pacificateurs. Elle charge dès lors le nouveau Groupe de travail mixte (GTM), composé de parlementaires de l’Assemblée et de la Douma, du contrôle des évènements en Tchétchénie. Comme priorité, celui-ci s’attribue le suivi du respect des droits de l’homme ( 31). Un mois plus tard, 51 corps mutilés sont retrouvés dans une fosse commune près de la base militaire de Khankala (Grozny) dans le village de (28) Suite à une visite dans le Nord-Caucase, Mary Robinson concluait par ces mots : « I have no hesitation in saying, in the light of the information made available to me and my visit to the region, that the scale of serious allegations of gross human rights violations warrants international attention and concern. This is particularly true in the light of eye witness accounts of mass killings, of summary executions, of rape and of widespread pillage, together with the disproportionate use of heavy armaments in populated areas ». UN Commission on Human rights, « Situation of human rights in Chechnya in the Russian Federation », 56 th session, 5 april 2000. (29) Government of the Russian Federation, « The resolution passed on April 6, 2000, by the Parliamentary Assembly of the Council of Europe on the situation in the Chechen Republic can only cause puzzlement and profound regret », Reliefweb, 7 april 2000. (traduction de l’auteur) (30) « L’Assemblée juge totalement inacceptable que le Comité des ministres n’ait pas dénoncé comme contraire aux principes du Conseil de l’Europe la manière dont la Fédération de Russie a mené sa campagne militaire dans la République tchétchène et les graves violations qui s’en sont suivis, ni sérieusement réfléchi à leurs implications pour l’appartenance de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe ». Assemblée parlementaire, « Résolution 1221 (2000) », 29 juin 2000. (31) Assemblée parlementaire, « Résolution 1240 (2001) Conflit en République tchétchène — développements récents », janvier 2001. Groupe de travail mixte, « Rapport sur les activités du groupe de travail mixte » (doc. 9038), 23 avril 2001. Céline Francis 89 Dachny ( 32). Après deux ans, l’évaluation de l’efficacité du travail du GTM est pour le moins mitigée. Les rencontres se sont soldées par des demandes d’informations sur l’état des enquêtes auprès des tribunaux russes. Sur 168 affaires ouvertes auprès des procureurs militaires de la République tchétchène depuis le début du conflit, on sait aujourd’hui que seuls 58 cas ont été tranférés auprès des tribunaux militaires ( 33). Le Groupe servira davantage de relais d’information entre les initiatives russes et l’Assemblée, affaiblissant la critique que possédaient les commissions. Ce manque d’effectivité sera tel qu’en juin 2002, une vingtaine de parlementaires de l’Assemblée émirent une proposition afin de réfléchir à l’établissement d’un autre mécanisme, mais cette idée ne sera pas suivie d’effets ( 34). L’année 2003 fut dédiée à une politique de ‘normalisation ’ dans la République par Vladimir Poutine et Akhmad-Hadji Kadyrov, chef de l’administration pro-russe en Tchétchénie depuis juin 2000. La première étape, consistant en l’élaboration d’une nouvelle Constitution tchétchène, se termina par son adoption — fortement contestée ( 35) — lors du référendum du 23 mars dernier. La tenue de ce référendum fut entérinée par l’Assemblée parlementaire, lors de la session de janvier, provoquant la démission du rapporteur spécial pour la Tchétchénie, lord Judd, qui estimait que les conditions (32) « The dead bodies had traces of both bullet and stab woulds. Some bodies had their ears cut. Many bodies had their hands tied and their faces tied with kerchiefs or eyes blindfolded. (...) Moreover, there are many witnesses who know that at least part of these people had been, at different moments, arrested in different settlements of Chechnya by servicemen or policemen ». Memorial, « Bodies discovered near Khankala-irrefutable evidence of war crimes committed by Federal Forces », http://www.memo.ru/eng/memhrc/texts/presconf.shtml, 26 March 2001 ; HRW, « Russia/Chechnya. Burying the evidence : the botched investigation into a mass grave in Chechnya », vol. 13, n o 3, May 2001. (33) Les procureurs militaires sont chargés des affaires liées aux soldats ou rebelles. Les procureurs civils suivent les affaires liées aux policiers et aux civils. Memorial, « Deceptive justice. Situation on the investigation on crimes against civilians committed by members of the Federal Forces in the Chechen Republic during the military operations 1999-2003 », Moscow, May 2003. (34) « Proposition de résolution. Structures mal adaptées du suivi des violations des droits de l’homme dans la République de Tchétchénie (doc. 9440) », 7 mai 2002. (35) 96 % des électeurs ont voté en faveur de la Constitution, selon les sources officielles. Cependant pour de nombreux observateurs, journalistes étrangers ainsi que défenseurs des droits de l’homme, ce chiffre est très éloigné de la réalité. A l’AFP, Pavel Felgenhauer, analyste indépendant, dénonçait ces « élections à caractère soviétique, avec des résultats manifestement truqués. Les résultats ne peuvent être pris au sérieux ». « Si les autorités avaient déclaré que 52 % des électeurs avaient voté, tout le monde l’aurait cru. Maintenant les rebelles ont une véritable raison de le rejeter », déclarait pour sa part un anonyme pro-russe. AFP, « Officials say most Chechens want Moscow’s rule, but war continue », Reliefweb, 27 mars 2003. 90 Rev. trim. dr. h. (57/2004) n’étaient pas réunies ( 36). Les attentats et les attaques auxquelles les forces russes doivent faire face depuis cette adoption ne démentent pas l’avis de l’ex-rapporteur. « Dieu sait que l’on désire la paix et la sécurité pour le peuple tchétchène. J’espère uniquement que je me suis totalement trompé et que les Russes ont raison, que mes doutes et mon cynisme sont entièrement sans fondements. Mais je ne vois pas comment je pourrai y arriver » ( 37). Le déroulement des élections présidentielles, présentées comme la deuxième phase de la normalisation, n’a pas laissé davantage d’espoir sur une issue pacifique du conflit ( 38). Pour des questions de sécurité, le Bureau de l’Assemblée a refusé d’y envoyer des observateurs, tandis que l’Assemblée attend l’année 2004 pour réévaluer les efforts de la Russie dans le domaine des droits de l’homme. B. — Le Secrétaire général Avant d’aborder le Comité des ministres, analysons quelque peu le rôle du Secrétaire général dans le processus de contrôle des obligations étatiques. Le Statut de l’Organisation reste très large sur ses fonctions : il est chargé des tâches administratives que lui attribuent l’Assemblée parlementaire ou le Comité des ministres. Il ne possède donc aucun mandat statutaire de contrôle ( 39). Ses pouvoirs ne sont cependant pas limités aux déclarations : soulignons à cet égard l’article 52 de la Convention européenne des droits de l’homme qui attribue au Secrétaire général la possibilité d’enquêter sur le respect de la Convention par les Etats membres ( 40). C’est à ce titre que le Secrétaire général demanda des explications sur le respect de la Convention sur le territoire tchétchène au ministre des (36) Commission des questions politiques, « Evaluation des perspectives de résolution du conflit en République tchétchène » (doc. 9687), 28 janvier 2003. (37) Interview de lord Judd, De Waal Thomas, « Lord Judd : Chechen dialogue must go on », Institute for war and peace reporting, http://www.iwpr.net/index.pl?archive/cau/cauJ200303J172J1Jeng.txt, 20 mars 2003. (38) Ce 5 octobre 2003, Akhmad Kadyrov a été élu président par 81.1 % des électeurs. Les quatre personnalités ayant pu lui faire de l’ombre (deux Tchétchènes renommés au niveau fédéral, R. Khasboulatov, A. Aslakhanov, ainsi que deux hommes d’affaires, M. Saidullaiev et H. Djabrailov) avaient auparavant été distancées de diverses manières ou s’étaient retirées, laissant à l’ancien mufti toute la latitude pour remporter des élections considérées en conséquence comme jouées d’avance. (39) Secretary General’s Monitoring Unit, « Council of Europe/OSCE meeting on monitoring of commitments », CE/OSCE(97)2, 10 mars 1997. (40) Article 52 : « Toute Haute Partie contractante fournira sur demande du Secrétaire général du Conseil de l’Europe les explications requises sur la manière dont son droit interne assure l’application effective de toutes les dispositions de cette Convention ». Céline Francis 91 Affaires étrangères russe, Igor Ivanov, au mois de décembre 1999. Effectivement, bien qu’internes, les opérations russes en Tchétchénie n’en restent pas moins soumises au respect de la totalité des dispositions de la Convention, la Russie n’ayant demandé aucune dérogation en vertu de l’article 15. L’échange épistolaire qui s’en suivit fut analysé par trois experts de renom ( 41). Il en ressortit un usage « légitime et approprié » de l’article 52 par le Secrétaire général, en opposition à la réponse donnée par le ministre, qui « ne satisf[ais]ait même pas au minimum » attendu. Dans ces diverses lettres, ce dernier ne fit que des allusions « très rares, très brèves et très fragmentaires » à la Convention, montrant une « ignorance totale » en ce qui concerne l’essence, le respect et la jurisprudence de la Cour concernant l’article 2 (droit à la vie), et présentant une « absence totale d’explications relatives aux articles 3 [interdiction du recours à la torture], 5 [droit à la liberté et à la sûreté] et 6 [droit à un procès équitable] de la Convention, ainsi qu’à l’article 2 du Protocole n o 4 [liberté de circulation] de celle-ci » ( 42), soit les dispositions les plus violées en Tchétchénie. Vu la mauvaise foi des autorités russes, le Secrétaire mit fin à l’échange et transmit son rapport à l’Assemblée parlementaire et au Comité des ministres, habilités à prendre les mesures opportunes ( 43). Le rôle du Secrétaire général peut donc également être défini par le Comité des ministres. Lors de sa réunion de décembre 1999, le Comité chargea le Secrétaire de « présenter des propositions pour une éventuelle contribution du Conseil de l’Europe en vue du retour de la démocratie, au renforcement du principe de l’Etat de droit et au respect des droits de l’homme dans la région » ( 44) en collaboration avec le Commissaire aux droits de l’homme tout nouvellement institué. De cette synergie naîtra un séminaire ( 45) ainsi que l’envoi (41) Comité des ministres, « Rapport consolidé contenant une analyse de la correspondance entre le Secrétaire général du Conseil de l’Europe et la Fédération de Russie au titre de l’article 52 de la Convention européenne des droits de l’homme établie par M. Tamas Ban, M. Frédéric Sudre et M. Pieter Van Dijk », SG/Inf(2000)24, 26 juin 2000. (42) Ibid. (43) Comité des ministres, « Demandes d’explications sur la manière dont la Convention est appliquée en Tchétchénie et sur les risques de violations qui pourraient en résulter », SG/Inf(2000)21 Addendum, 10 mai 2000. (44) Comité des ministres, « La contribution du Conseil de l’Europe à la restauration de l’état de droit, du respect des droits de l’homme et de la démocratie en Tchétchénie », 692 e réunion, 15 décembre 1999. (45) « Séminaire du Caucase du Nord concernant le rôle des institutions démocratiques dans la construction d’un Etat fondé sur les principes de l’Etat de droit et du respect des droits de l’homme » 92 Rev. trim. dr. h. (57/2004) de trois experts-conseillers sur le terrain, dont Walter Schwimmer, alors Secrétaire général, négociera la présence auprès du représentant spécial du Président chargé des droits de l’homme dans la République tchétchène, Vladimir Kalamanov ( 46). Ces experts furent assignés au Bureau de Kalamanov, dont le rôle était d’assurer le respect des droits de l’homme dans la République. Dans son premier rapport, le Secrétaire déclarait que le « premier mérite [de l’arrivée des experts] est le fait-même de la présence du Conseil de l’Europe à Znamenskoïe », mais que « la crédibilité du Bureau dépendra des suites qui seront données à ces requêtes » ( 47). Malheureusement l’enregistrement des plaintes de la population civile par les experts ne fut quasiment pas suivi de poursuites. Malgré un bilan jugé « affligeant » ( 48) par le Secrétaire général, le mandat des experts fut cependant prolongé jusqu’en 2003, où ils retournèrent à Strasbourg pour des questions de sécurité. Leurs rapports permirent au Secrétaire général d’établir des ‘ rapports intermédiaires ’ précieux sur la situation en Tchétchénie ( 49). Néanmoins l’absence de résultats permet de s’interroger sur la présence des experts et si celle-ci n’a pas fait dès lors davantage le jeu d’une légitimisation des actions russes que d’une amélioration des droits de l’homme. C. — Le Comité des Ministres Le Comité des ministres peut être considéré comme l’organe exécutif du Conseil de l’Europe. Composé des ministres des Affaires étrangères ou de leurs représentants, le Comité travaille générale(46) Les experts sont arrivés en Tchétchénie le 21 juin 2000. Comité des ministres, « La contribution du Conseil de l’Europe à la restauration de l’Etat de droit, du respect des droits de l’homme et de la démocratie en Tchétchénie », 703 e réunion, 22 mars 2000. (47) Secrétaire général, « Rapport d’étape du Secrétaire général sur la présence des experts du Conseil de l’Europe au bureau du Représentant spécial du Président de la Fédération de Russie chargé de veiller au respect des droits de l’homme en Tchétchénie », SG/Inf(2000)27 révisé, 5 septembre 2000. (48) « Je dois porter un jugement sévère sur les suites données par les procureurs russes aux plaintes déposées contre les forces armées de la Fédération. Il n’ont presque rien fait. C’est à la fois affligeant et inacceptable ». Secrétaire général, « Prolonger notre présence en Tchétchénie appelera à des progrès bien plus importants de la Russie », 28 juin 2001. (49) Le 28 e rapport intermédiaire date du 17 septembre 2003. Secrétaire général, « Vingt-huitième rapport intérimaire du Secrétaire général sur la présence d’experts du Conseil de l’Europe au Bureau du Représentant spécial du Président de la Fédération de Russie chargé de veiller au respect des droits de l’homme et des droits et libertés civils en République tchétchène — période du 21 juin au 16 septembre 2003 », SG/Inf (2003)32, 17 septembre 2003. Céline Francis 93 ment de manière confidentielle, une contrainte majeure dont il faut tenir compte lorsqu’on tente d’évaluer le travail fourni. Globalement, le pouvoir de contrôle du Comité découle indirectement de son aptitude à prendre les décisions finales en vertu des articles 8 et 9 du Statut du Conseil de l’Europe, à savoir la suspension ou l’exclusion d’un Etat membre. Ce contrôle des obligations est complété par le contrôle du suivi de la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par les Etats membres, qui lui incombe en vertu de l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’absence actuelle d’arrêts au sujet de la Tchétchénie nous dispense d’aborder ce deuxième point. L’implication de cette instance lors du premier conflit russotchétchène fut minime. Sur la base de l’avis émis par l’Assemblée, il invita la Fédération de Russie à entrer dans l’Organisation ( 50). Dès son adhésion, il lança un processus de suivi des engagements russes dont les rapports furent davantage étudiés par l’Assemblée parlementaire. A contrario, son rôle lors du deuxième conflit fut plus important et plus critiqué. Au début de l’année 2000, les délégués tinrent des réunions hedbomadaires sur le sujet, lors desquelles furent décidés l’envoi des experts et la création d’un séminaire. Néanmoins le Comité ne remit jamais en question les pouvoirs de la Russie comme le réclamaient les recommandations de l’Assemblée. Il indiquera cependant qu’un « suivi plus effectif devrait être donné aux requêtes concernant les crimes et les violations des droits de l’homme présumés » et ordonna un examen approfondi de la loi antiterroriste russe par un comité d’experts russes et du Conseil de l’Europe en juin 2001 ( 51). Depuis 2000, son rôle se limita principalement au contrôle et au prolongement du mandat des experts, dont l’évaluation du travail se fit au travers des rapports du Secrétaire général. D. — Commissaire aux droits de l’homme Dans le domaine de la protection des droits de l’homme en Tchétchénie, une place spécifique revient au premier Commissaire aux (50) Comité des ministres, « Résolution (96) 2. Invitation à la Fédération de Russie à devenir membre du Conseil de l’Europe », 557 e réunion, 8 février 1996. (51) Ce Comité travailla jusqu’en 2002 pour comparer la loi russe de suppression du terrorisme de 1998 aux standards européens, particulièrement à la Convention européenne des droits de l’homme. Il proposera de nombreuses recommandations pour pallier aux lacunes juridiques de la loi. Comité des ministres, « Conflit en République tchétchène », réunion 756, 12-14 juin 2001. 94 Rev. trim. dr. h. (57/2004) droits de l’homme, Alvaro Gil-Robles. Créé en 1999, ce poste été conçu afin de promouvoir les droits de l’homme dans les Etats membres, d’assurer leur protection via la possibilité de recommandations et d’avis et afin de jouer un rôle d’alerte rapide en cas de violations ( 52). La situation en Tchétchénie fera l’objet de la première visite du Commissaire dans un Etat membre en décembre 1999. Depuis lors, il s’est rendu à de nombreuses reprises dans la région afin d’évaluer la situation des droits de l’homme et d’aider à la mise en place de mécanismes adéquats. Son influence permettra l’installation d’un ombudsman régional des droits de l’homme, dont la proposition avait été faite au ministre des Affaires étrangères Igor Ivanov en 1999, et la nomination à ce poste de Vladimir Kalamanov, auquel a succédé Abdul-Khakim Sultygov ( 53). Il organisera également deux séminaires, l’un sur le rétablissement de la démocratie et l’autre à propos des droits de l’homme (« Pas de paix sans justice ») en mai 2000 et en novembre 2001. Malgré ces initiatives, la situation des droits de l’homme, et la lenteur des poursuites judiciaires, continueront à être jugées comme préoccupantes par le Commissaire. Ses demandes d’éclaircissements adressées au Procureur général de Russie, V. Oustinov, en février 2002 ne seront pas davantage courronnées de succès. « Tout particulièrement préoccupé par les plaintes de la population civile faisant état de nombreuses disparitions de personnes retenues lors des opérations de nettoyage qui continuent d’être conduites régulièrement » ( 54), il y répondra par une recommandation plus musclée, où il demanda le respect des droits constitutionnels des citoyens tchétchènes. Vu l’absence de réponse, le Commissaire décidera de retourner en Tchétchénie au début de 2003. Quatre ans après sa première visite, ses conclusions érodent l’optimisme dont il faisait part au début du conflit : la volonté politique pour mettre fin à l’impunité est prise en défaut (52) « Le Commissaire est une instance non-judiciaire chargée de promouvoir l’éducation et la sensibilisation aux droits de l’homme tels qu’ils ressortent des instruments du Conseil de l’Europe, ainsi que leur respect. » Comité des ministres, « Résolution (99)50 sur le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe », 104 e session, 7 mai 1999. (53) Commissaire aux droits de l’homme, « Rapport de M. Alvaro Gil-Robles, Commissaire aux droits de l’homme, sur sa visite en Fédération de Russie (en particulier Tchétchénie, Daghestan et Ingouchie (7-10 décembre 1999) » CommDH(1999)1, 10 décembre 1999. (54) Commissaire aux droits de l’homme, « Recommandation du Commissaire aux droits de l’homme relative à certains droits devant être garantis lors de l’arrestation et de la détention des personnes à la suite des opérations dites de ‘ nettoyage ’ en République Tchétchène de la Fédération de Russie », CommDH/Rec(2002)1, 30 mai 2002. Céline Francis 95 tandis que les violations s’aggravent. « En fait, quelles que soient les raisons de ces disparitions, elles mettent en évidence, de la manière la plus cruelle qui soit, l’absence dramatique de l’Etat de droit. » ( 55) Ses trois principales demandes, — le respect des droits fondamentaux, la création d’insitutions et d’un dialogue politiques et l’établissement de conditions de vie élémentaires en Tchétchénie — sont toujours d’actualité. E. — Comité pour la prévention de la torture Depuis la ratification de la Convention européenne pour la prévention de la torture en 1998, la Fédération de Russie est soumise aux visites du Comité pour la prévention de la torture (CPT) dont l’existence est prévue à l’article 1 er de la Convention. Chargé d’examiner le traitement des prisonniers dans tous les lieux de détention, officiels et officieux, le Comité s’est rendu à six reprises en Tchétchénie depuis février 2000. Travaillant de manière confidentielle et en coopération avec les autorités des Etats, le Comité possède néanmoins la possibilité de sanctionner un Etat récalcitrant d’une déclaration publique dans laquelle certains aspects des manquements sont révélés. En ce qui concerne la Tchétchénie, le Comité fit par deux fois appel à cette sanction. Dans la première déclaration, en juillet 2001, le Comité dénonça surtout l’utilisation de la torture dans le principal centre de détention tchétchène, Tchernokozovo, ainsi que l’impunité entourant ces actes ( 56). Ces faits, décrits précédemment dans le rapport confidentiel du Comité, avaient été contestés par les autorités russes qui avaient nié jusqu’à l’existence du centre de détention de même que toute légitimité au Comité. Une deuxième déclaration publique, en juillet 2003, critiqua entre autres l’absence de suivi judiciaire des allégations de torture : « il ressort clairement d’informations transmises par les autorités russes au CPT, que seule une faible proportion de ces procédures a débouché sur des poursuites judiciaires et très peu sur des condamnations » ( 57). La succession de ces déclarations montre la relative efficacité de ces mesures : les améliorations obtenues grâce à la pre(55) Commissaire aux droits de l’homme, « Rapport du commissaire aux droits de l’homme, Alvaro Gil-Robles sur sa visite en Fédération de Russie (Tchétchénie et Ingouchie) du 10 au 16 février 2003 », CommDH(2003)5, 4 mars 2003. (56) CPT, « Déclaration publique relative à la République tchétchène », http://www.cpt.coe.int/documents/rus/2001-07-10-fra.htm, 10 juillet 2001. (57) CPT, « Déclaration publique relative à la République tchétchène de la Fédération de Russie », http://www.cpt.coe.int/documents/rus/2003-33-inf-fra.htm, 10 juillet 2003. 96 Rev. trim. dr. h. (57/2004) mière sanction furent révélées alors que le Comité émettait sa seconde réprimande. Face à des situations qui perdurent, le Comité n’a cependant pas d’autre capacité de réaction. F. — Cour européenne des droits de l’homme Dans l’étendue des moyens coopératifs, la Cour européenne des droits de l’homme fait figure d’instrument réactif plutôt coercitif. Révolutionnaire dans sa saisine, elle peut recevoir des plaintes émanant d’individus ayant — sauf exception — épuisé les voies de recours internes. Depuis le début du conflit, la Cour a été saisie à de nombreuses reprises par des citoyens tchétchènes. Sur cette base, deux tendances peuvent être dessinées, en distinguant les violations effectives et potentielles. La première tendance est la plus courante, et se rapporte majoritairement à la violation des articles 2, 3 et 5 de la Convention. Sont comprises dans cette catégories les premières six plaintes qui furent déclarées recevables en janvier 2003, malgré l’exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par la partie russe, dont l’examen fut rejeté au stade de l’examen au fond ( 58). La deuxième catégorie ne contient actuellement qu’un cas, l’affaire Chamaiev et al. c. Géorgie et Russie. Dans les faits, Chamaiev et les douze autres requérants furent arrêtés en Géorgie pour trafic d’armes, de port illégal et pour violation de frontière. Considérés comme des terroristes ayant participé au conflit tchétchène, Moscou demanda leur extradition aux autorités géorgiennes. La crainte des requérants de subir des actes de torture en cas de détention en Russie fut la raison de leur requête. Dans la lignée des arrêts Soering et Vilvarajah, cette plainte, déclarée recevable en septembre 2003, soulève la question de la violation potentielle de l’article 3 en cas d’extradition ou d’expulsion ( 59). La (58) Les affaires Khaschiyev c. Russie (n o 57942/00), Akayeva c. Russie (n o 57945/ 00), Issayeva c. Russie (n o 57947/00), Youssoupova c. Russie (n o 57948/00), Bazayeva c. Russie (n o 57949/00) et Issayeva c. Russie (n o 57950/00), concernant les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture), 13 (droit à un recours effectif) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et de l’article 1 du protocole 1(droit à la propriété privée). (59) « L’expulsion d’un demandeur d’asile par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, donc engager la responsabilité de l’Etat en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Affaire Cruz Varas c. Suède (n o 15576/89), 20 mars 1991. Voy. affaire Soering c. Royaume-Uni (n o 14038/ 88), 7 juillet 1989 ; Affaire Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991. Céline Francis 97 Cour a d’ores et déjà décidé de mener des enquêtes sur le terrain ; toutefois il faudra encore attendre pour apprécier son travail. Bien qu’il faille de la patience pour évaluer le rôle de la Cour, on peut néanmoins déjà souligner quelques critiques. Limitée par sa saisine, la Cour n’offre qu’un soulagement individuel qui reste impuissant face à une violation massive des droits de l’homme. Les procédures sont longues, lorsque les requérants ne sont pas attaqués ou intimidés ( 60). Enfin, même dans la perspective d’une condamnation, l’attitude générale de la Russie et les précédents turcs ne laissent que peu d’espoir d’une coopération fructueuse pour la mise en œuvre des arrêts. Pour répondre à ces problèmes, l’Assemblée parlementaire a proposé deux nouvelles mesures : l’élaboration d’un Tribunal pénal international pour la Tchétchénie et la création d’un poste de procureur à la Cour. Lors de la session d’avril 2003, les parlementaires ont entériné la proposition du président de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, Rudolph Bindig, relative à la mise en place d’un tribunal international en cas de persistance de l’impunité ( 61). Cette déclaration, purement formelle actuellement, n’a d’avantage que symbolique. De fait, la création d’un tel tribunal ne peut être adoptée que par le Conseil de sécurité des Nations Unies, où siège la Fédération de Russie. La deuxième proposition est plus séduisante parce que plus réaliste. Proposée hors du cadre de la situation en Tchétchénie mais manifestement marquée par cette expérience, la création d’un poste de procureur permettrait de soulever les cas de violation massive des droits fondamentaux devant la Cour ( 62). La mise en œuvre de cette recommandation, de même que la deuxième proposition d’une actio popularis dépend actuellement du Comité des ministres. IV. — Quelques leçons du cas tchétchène Plutôt que de conclure, tentons plutôt de tirer quelques leçons de cette guerre contemporaine. A la suite de l’énumération non exhaustive des actions entreprises, on ne peut dire que le Conseil de l’Europe soit resté indifférent face à la situation tchétchène. Par le tru(60) Ce qui fut le cas de Zoura Bitieva, dont la famille fut assassinée après avoir déposé plainte auprès de la Cour. FIDH, « Tchétchénie. Note de situation », http:// www.fidh.org/europ/rapport/2003/tch0310.pdf, octobre 2003. (61) Assemblée parlementaire, « Recommandation 1600(2003). La situation des droits de l’homme en République tchétchène », 2 avril 2003. (62) Assemblée parlementaire, « Recommandation 1606(2003). Zones où la Convention des droits de l’homme ne peut pas être appliquée », 23 juin 2003. 98 Rev. trim. dr. h. (57/2004) chement de ses différents organes, il a agi de manière globalement coopérative et conciliante, gardant à l’esprit l’« intérêt bien compris » de l’inclusion pour la création d’un espace de sécurité démocratique. Rares, les sanctions telles que le retrait du droit de vote ou la déclaration publique furent utilisées avec parcimonie. Cependant, sept ans après l’entrée de la Russie au sein du Conseil de l’Europe, les tentatives de pacification n’ont pas réalisé leurs promesses. Les espoirs de démocratisation de la Russie prononcés lors de son adhésion ont aujourd’hui laissé la place à une certaine désillusion. Lors du premier conflit, l’impact de l’action de l’Organisation fut négligeable face à l’implication efficace de l’OSCE et de son Groupe d’assistance. Ce dernier donna l’impulsion pour les rencontres entre les différentes parties au cours de l’année 1996 et fut présent jusqu’à l’accord de Khassaviourt. L’entre-deux-guerres (1996-99) fut probablement une période d’opportunités manquées pour le Conseil de l’Europe, durant laquelle une attention et un soutien plus marqués auraient pu être bénéfiques à la pacification de la région. Au contraire, le deuxième conflit a fourni le contexte d’un large engagement des instances de l’Organisation. Mais la persuasion et les techniques de socialisation ne fonctionnent que si l’Etat a une réelle volonté de changement, ce qui n’est manifestement pas le cas de la Fédération de Russie ( 63). Les quelques avancées russes, parmi lesquelles la nomination d’un représentant du Président aux droits de l’homme ou l’élaboration de certains décrets et ordres chargés de légiférer sur les opérations russes, ne furent souvent que des changements cosmétiques destinés à apaiser les inquiétudes occidentales, mais sans traduction dans la réalité. Ce manque de détermination politique fut également couplé à l’absence d’une véritable coopération des autres organisations internationales et régionales. Bien que disponible, l’OSCE fut écartée par la Russie, tandis que le Parlement européen et les Nations Unies se rallièrent davantage à la rhétorique antiterroriste de Moscou. Le poids d’une action conjointe sur la politique russe resta ainsi inexploité. Actuellement, les plus grands dangers reposent dans les conséquences du conflit tchétchène, qui semble agir comme un révélateur et comme une cause de la diminution des droits fondamentaux en Russie. Révélateur, ce conflit illustre un cas particulier d’une situation générale marquée par un manque de protection des droits de l’homme. Mais le conflit agit sur les consciences du million de jeunes Russes ayant servi sur (63) Jeffrey T. Checkel, « Rejoigning Europe ? The socializing power of the European insitutions », PONARS Policy Memo n o 260, http://www.csis.org/ruseura/ ponars/policymemos/pmJ0260.pdf, octobre 2002. 99 Céline Francis le territoire tchétchène, rendant plus insoluble le cycle de la haine et de la violence. Plus que jamais le conflit en Tchétchénie nécessite une réévaluation des mesures du Conseil de l’Europe, conjointement avec une implication accrue des organisations internationales et régionales sans lesquelles ces mesures ne pourront probablement jamais avoir une véritable influence sur la politique russe. ✩