SECURISATION ET FACILITATION DE LA CHAINE LOGISTIQUE
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SECURISATION ET FACILITATION DE LA CHAINE LOGISTIQUE
Networks and Communication Studies, NETCOM, vol. 23 (2009), n° 3-4 pp. 301-304 SECURISATION ET FACILITATION DE LA CHAINE LOGISTIQUE GLOBALE (sous la direction de Frédéric Carluer) ALEXANDRE TRIBOLET, THOMAS WILLEMOT1 L’étude Sécurisation et facilitation de la chaîne logistique globale : les impacts macro et micro-économiques de la loi américaine 100 % scanning2 a été commandée en 2007 à l’UMR IDEES-CIRTAI3, Université du Havre, par l'Organisation Mondiale des Douanes (OMD). Elle vise à cerner les enjeux de l’application de la loi « 100% scanning » prévue pour 2012 et votée en août 2007 par le Congrès américain. Cette loi intervient dans un contexte post « 11 septembre » et s’inscrit dans le cadre de la politique américaine de lutte contre le terrorisme : d’ici juillet 2012 tous les conteneurs en partance pour les Etats-Unis devront être scannés. Cette étude a pour objectif d’identifier les tendances en matière d’échanges internationaux et d’étudier les conséquences de cette loi sur le commerce mondial à l’horizon 2012. Elle met, entre autre, l’accent sur les bouleversements que connaîtra le fret mondial, mais aussi sur les innovations nécessaires pour intégrer la réglementation américaine. Elle interroge plusieurs responsables de grands ports mondiaux sur leurs projets en matière d’investissements et le laps de temps très court qu’ils ont pour s’équiper. Plus précisément cet ouvrage amène à étudier la pertinence de la loi « 100% scanning » ainsi que son efficacité et son équité en matière de sécurisation et de facilitation du commerce. L’étude, divisée en trois parties, fait état dans un premier temps du contexte macro-économique, abordant les questions de la dynamique des flux commerciaux, des différents acteurs du scanning et de la sécurisation de la chaîne logistique globale avant de s'intéresser dans un second temps à l'analyse micro-économique des impacts de la loi sur les acteurs portuaires. Cette seconde partie se compose d'une analyse sous la forme d'un questionnaire-type, support de travail auprès de 10 grands ports mondiaux. Dans un troisième temps, les auteurs établissent à partir de différentes 1 Master Géographie et Aménagement Ingénierie Territoriale, Urbanisme et Politiques publiques de l’Université du Havre. 2 Publiée aux Editions Management et Société (EMS) en juin 2008, dirigée par Frédéric CARLUER, professeur des universités en management territorial avec la collaboration d’Olivier JOLY, maître de conférences en aménagement et de Yann ALIX, professeur de management portuaire. 3 Centre Interdisciplinaire de Recherche en Transport et Affaires Internationales, laboratoire spécialisé dans les questions de transports et de logistique. 302 NETCOM, vol. 23, n° 3-4, 2009 données, des scenarii sur les stratégies des acteurs face à cette nouvelle loi. La première partie de l’étude révèle le dynamisme du marché américain dans le commerce mondial. Les auteurs rappellent qu'à l'heure actuelle, l'essentiel des importations américaines proviennent du sud-est asiatique (75% contre 13% pour l'Europe). La loi concerne plus particulièrement les ports chinois puisque la moitié des conteneurs importés aux États-Unis proviennent de ce pays. L’étude évoque le très probable renforcement de cette tendance d'ici à l'année 2012. L'Asie pourrait ainsi représenter entre 80 et 92% des importations américaines. Ce trafic devra donc être absorbé par les grands ports américains et plus particulièrement ceux de la côte ouest, comme Los-Angeles qui enregistre 44% du trafic des conteneurs entrants aux EtatsUnis. Les impacts de ces flux commerciaux se font déjà ressentir sur ces ports qui arrivent à saturation. C'est dans ce cadre que les TIC sont évoquées comme l'un des moyens de réguler le trafic et donc de limiter ces engorgements. Les auteurs soulignent que la mise en place de la loi « 100% scanning » risque de s’accompagner d’un monopole de certains ports de par l’investissement financier nécessaire. D’après l’US Coast Guard cet effort pourrait être de 1,125 milliard de dollars par an sur les dix prochaines années. La loi du « 100% scanning » pourrait donc contribuer à créer des « méga-ports », capables de scanner les conteneurs à grande échelle et qui polariseraient les échanges vers les États-Unis. La seconde partie traite des impacts micro-économiques liés notamment aux acteurs du monde du scanning, portuaire, mais aussi de manière générale, à tout acteur lié à la sécurisation de la chaîne logistique globale. La plupart de ses acteurs affirment leurs craintes, leurs interrogations quant à l’évolution du secteur du scanning avant l’entrée en vigueur de la loi. L’ouvrage nous apprend que le marché des fabricants est cloisonné en oligopole. Les principaux fabricants sont Smith Detection qui reste très implanté en Europe, Nuctech sur le marché chinois et SAIC et Rapscan pour les États-Unis. Les auteurs évoquent également le taux d’équipement par continent qui se révèle fortement inégal : le Brésil est déjà richement doté alors que l’Afrique n’est pas équipée en appareils de scanning. Tout un volet est consacré à la question du traitement des données et de l'intégration du scanning dans la chaîne logistique. Les autorités portuaires mettent en avant la nécessité de la mise en place d’une norme ou d’un standard technologique qui devrait être édicté par les Etats-Unis pour faciliter le traitement des images. L’étude souligne l’importance des douanes qui restent en première ligne dans l’interprétation des données générées par les scanners mais aussi celle des bureaux d'expertises comme Veritas ou Cotecna. Ces acteurs privés sont d’ailleurs essentiellement présents dans les pays du Sud. Les TIC restent également un enjeu considérable du secteur puisque la généralisation du scanning implique un traitement rapide et sûr des données. Cette problématique est un enjeu de « guerre stratégique » en matière d'innovation, de ressources humaines et surtout de formation autour de la gestion des données. Quelques critiques soulignent également la zone d’ombre existante autour de la formation du personnel, de la responsabilité des traitements physiques des conteneurs NETCOM, vol. 23, n° 3-4, 2009 303 et de l’interprétation des images scannées. L’investissement trop important dans ces domaines pose donc des difficultés techniques et économiques qui pourraient remettre en cause l’échéancier imposé par le Congrès. Le dernier volet de cette partie traite de la faisabilité du « 100% scanning » du point de vue des autorités portuaires. Les auteurs ont choisi d’utiliser un questionnaire-type pour répondre à cette interrogation. Il est structuré en 6 rubriques : dynamique portuaire ; technologie ; gouvernance ; ressources humaines ; finance ; procédure. L’échantillon est constitué de 10 ports mondiaux et de 4 grandes institutions internationales (CNUCED, Banque Mondiale, Commission Européenne et OMD). Les auteurs ont également procédé à des entretiens avec des organismes divers comme Eurotunnel ou Aéroport de Paris. De ces questionnaires ressort avant tout l'enjeu primordial pour les ports d'un classement CSI (Conteneur Security Initiative). Pour cela, certains ports envisagent des solutions originales pour transmettre les informations aux autorités américaines, comme l'utilisation de puces RFID (Radio Frequency IDentification) déjà envisagée par le port de Montevideo. La vitesse de traitement des données apparaît également comme un enjeu majeur. Les TIC apparaissent bel et bien comme l'une des solutions possibles dans la sécurisation de la chaîne logistique. La loi n'obligeant pas le traitement des données sur place, il est possible d'envoyer les données cryptées vers les Etats-Unis pour un traitement par les autorités concernées. C'est le cas dans le port de Southampton aujourd’hui. Les acteurs portuaires évoquent le surcoût envisagé et estimé (entre 3 et 15$ par conteneurs EVP (Equivalent Vingt Pieds)) selon le type de scanner utilisé et le nombre de conteneurs traités. Néanmoins, l'étude rappelle que seul 1/3 de ce surcoût est lié à l'achat du matériel, le reste étant lié aux investissements en matière de ressources humaines et informatiques. L'innovation dans les TIC serait donc l'une des solutions envisagées pour réduire le surcoût du « 100% scanning ». Les réponses données par les autorités portuaires posent certaines interrogations quant aux problématiques d’engorgement, de réaction du personnel face aux conteneurs à risque, du fonctionnement et de la transmission des données ainsi que de leur sécurisation. Il apparaît également une différence de pratiques entre les différents ports étudiés, d’où la perspective à terme d’une harmonisation et d’une normalisation. La troisième et dernière partie traite de différents scenarii prospectifs aux vues des impacts attendus de la loi. Quatre possibilités sont envisagées : le statu quo avec une impossibilité pour tous les ports mondiaux d’appliquer de manière stricte la règle du « 100% scanning » ; un renforcement de la concentration triadique où seuls les ports de la Triade seraient capables de sécuriser le trafic vers les Etats-Unis ; la polarisation avec l’apparition de hubs aussi bien dans la Triade que dans d’autres pays et enfin le scénario du maillage où tous les ports seraient équipés. On peut retenir ici les deux scenarii les plus probables, à savoir le statu quo et la concentration triadique. Le statu quo postule qu'aucun port ne pourra être en conformité avec la loi d'ici 2012, ce qui paraît l'option la plus probable. Cette hypothèse obligerait les autorités étatsuniennes à rééchelonner l'application de la loi ou de revenir sur ses modalités d'application. L'autre scénario envisagé serait celui d'une concentration triadique des 304 NETCOM, vol. 23, n° 3-4, 2009 échanges. Les ports capables de traiter massivement les conteneurs deviendraient ainsi des hubs incontournables dans la chaîne logistique globale. Les autres ports non équipés se verraient ainsi condamner au trafic de cabotage. Néanmoins, cette hypothèse ne table pas sur le « 100% scanning » mais sur un ratio d'environ 50% de conteneurs scannés au maximum et implique également d'importants progrès en termes de formation et d'investissements. L’enquête menée révèle que la plupart des grands ports mondiaux seront incapables de suivre les recommandations de la loi pour l’année 2012. Des efforts considérables doivent encore être consentis en termes de ressources humaines et de formation pour aller dans ce sens. L'application de la loi risque de provoquer une importante désorganisation de la chaîne logistique, des engorgements, des réaménagements importants et donc des coûts supplémentaires. Néanmoins, l'apparition de nouveaux acteurs, la course à l'innovation et la sécurité renforcée de la chaîne pourraient compenser ces désagréments passagers. L’ouvrage offre une bonne compréhension des enjeux qui découlent de l’application de la loi « 100% scanning ». L'importance du trafic, qui semble-t-il, ira en s’accroissant, nécessite une rapidité importante dans la transmission et l'interprétation des données. L'efficacité des TIC semble ici l'un des maillons importants dans la chaîne logistique. Diverses technologies, comme la mise en place de puces RFID sur les conteneurs, sont envisagées pour faciliter leur traitement avant chargement. L'ouvrage, bien que technique et s'adressant avant tout à un public de professionnels, apporte des perspectives intéressantes quant à l'application des TIC dans le domaine de la logistique. Cette loi va nécessairement bouleverser le commerce mondial et faire évoluer les échanges vers une meilleure sécurité entre les pays. Cependant cette loi pose naturellement des interrogations dans sa mise en œuvre et dans son efficacité. Des doutes subsistent quant à son caractère protectionniste qui fait porter le coût de la sécurisation de la chaîne logistique sur les pays commerçant avec les Etats-Unis. Elle constitue vraisemblablement un défi humain et technologique pour l’avenir du commerce global auquel les ports mondiaux se doivent de répondre en un laps de temps extrêmement court.