Arène - Gis Démocratie et Participation

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Arène - Gis Démocratie et Participation
DICTIONNAIRE
CRITIQUE ET
INTERDISCIPLINAIRE
DE LA
PARTICIPATION
Not ions
Arène
Alain FAURE
Direct eur de recherche
Science polit ique
CNRS IEP - Inst it ut d'Ét udes Polit iques Grenoble
July 2012
DÉFINIT ION DE L'ENT RÉE
Une scène, t errit oriale ou polit ique, d’int eract ions ent re les individus en lien avec des lut t es
inst it ut ionnelles, un lieu où les act eurs polit iques int eragissent , s’affront ent , exercent le
pouvoir ou y résist ent , mais sans que l’issue des négociat ions soit mécaniquement maît risé
ou inst rument alisé par une cat égorie d’act eurs.
UNE NOT ION EN ÉVOLUT ION
L’arène est une not ion mobilisée dans les t ravaux de science polit ique française dans les
années 1990 pour nuancer le t ravail int ellect uel de descript ion des lieux du polit ique. C’est
au polit ist e Bruno Jobert que l’on doit not amment les premières t ent at ives de t héorisat ion
spécifiant deux scènes dans l’analyse de l’act ion gouvernement ale : d’un côt é les arènes
polit iques, lieu d’affront ement ent re act eurs, et de l’aut re les forums de polit iques
publiques, lieu de t raduct ion des problèmes en priorit és collect ives (Jobert , 1995, 2004). Le
débat fait écho à une abondant e lit t érat ure anglo-saxonne cent rée sur les Public Arenas
(Hilgart ner et Bosk, 1988) et sur la mise sur agenda des problèmes dans les sphères de la
décision publique, avec une classificat ion qui propose une dist inct ion ent re politics, policies
e t problems streams (la compét it ion polit ique, l’act ion publique, le public). Lorsque
l’économist e Albert Hirschman ét udiait les mécont ent ement s des individus dans sa célèbre
ét ude Exit, Voice and Loyalty, il assignait explicit ement les arènes polit iques aux jeux du
pouvoir et aux jout es élect orales dans une perspect ive d’inst rument alisat ion polit ique
(Hirschman, 1970). On voit donc que la not ion d’arène émerge sans lien direct avec la
quest ion de la démocrat ie part icipat ive, et même qu’elle symbolise plut ôt une
appréhension du polit ique inscrit e dans les t héories du gouvernement représent at if (Manin,
1996). À cet égard, l’ouvrage collect if consacré aux débat s publics et à ses « espaces
mosaïques » mobilise clairement la not ion d’arène dans une perspect ive crit ique
diagnost iquant la vict oire de la parole des professionnels de la polit ique sur les « gens
ordinaires » (François et Neveu, 1999).
C’est précisément cet t e dichot omie t ranchée qui fait l’objet d’une discussion renouvelée
depuis une décennie, et cela sans dout e pour part ie grâce aux t ravaux sur la part icipat ion.
Mais pour comprendre ce renouveau, il faut d’abord s’at t arder sur les dimensions
symboliques et signifiant es du t erme dans le lexique français. L’arène vient not amment de
l’Espagne, en référence aux corridas, ces courses de t aureaux organisées dans un espace
clos de combat (d’abord des places fermées, ensuit e des amphit héât res circulaires
spécifiquement dédiés). L’arène const it ue donc à l’origine un lieu d’affront ement et de
violence. Sa t ransposit ion dans l’univers polit ique véhicule l’idée d’une confront at ion brut ale
et elle fait sens dans cet t e accept ion, aussi bien dans le langage courant que pour ses
développement s plus savant s. Mais le parallèle avec la t auromachie permet aussi de
comprendre que l’arène est un espace cont rôlé de codificat ion de l’affront ement polit ique.
Dans une corrida, t out est réglé au millimèt re (le t emps des tercio, l’ordre de passage des
peons, le rôle du gardien du toril…). À la différence des lieux du lobbying ou du client élisme,
l’arène est publique et elle génère une violence polit ique cont enue dans un syst ème
domest iqué par la publicit é.
Si l’on suit cet t e pist e de la violence cont enue, il apparaît que c’est bien la parole cit oyenne,
dans sa capacit é d’int erpellat ion des aut orit és publiques, qui colore l’usage savant et
profane de la not ion d’arène à part ir des années 1990. On accole volont iers le t erme à des
lieux polit iques placés sous les feux des médias et de l’opinion publique : l’arène élect orale,
régionale, parlement aire, européenne, int ernat ionale, judiciaire... L’arène est ment ionnée
comme une scène d’int eract ions ent re les individus en lien avec des lut t es inst it ut ionnelles,
un lieu où les act eurs polit iques int eragissent , s’affront ent , exercent le pouvoir ou y
résist ent , mais sans que l’issue des négociat ions soit mécaniquement maît risée ou
inst rument alisée par une cat égorie d’act eurs. Dans cet t e perspect ive, on repère des
int erprét at ions qui insist ent sur la t errit orialisat ion de la négociat ion polit ique, d’abord dans
les apprent issages régionaux sur les sit es inst it ut ionnels (Nay, 1997), ensuit e dans
l’exercice du mét ier d’élu local (Faure, 1997), enfin au cœur des t ournois d’act ion publique
de l’Ét at local (Lascoumes et Le Bourhis, 1998). Dans les t hèses récent es en science
polit ique, la not ion est couramment mobilisée comme variable explicat ive, que ce soit pour
décrypt er les st rat égies de changement d’arènes (Delori, 2008), pour décrire les nouveaux
disposit ifs de la démocrat ie part icipat ive (Gourgues, 2010) ou encore pour dét ailler le
« champ gravit at ionnel » des cercles polit iques de la décision publique (Audikana, 2012).
Dans l’ouvrage que le polit ist e américain Theodore J. Lowi vient de consacrer aux Arenas of
Power (Lowi, 2009), on ret rouve ce même effort de combinaison ent re le politics et les
policies, l’aut eur défendant l’idée que chaque t ype de polit ique publique dét ermine une
st ruct ure de compét it ion polit ique.
LE RÔLE DES ARÈNES
Au fil de ces évolut ions sémant iques, il apparaît que la not ion d’arène suggère des
éclairages st imulant s dans t rois direct ions : t out d’abord aut our de l’hypot hèse selon
laquelle les arènes (t errit orialisées et polit iques) ent rent en int erférence croissant e avec les
forums (professionnalisés et sect oriels) à t out es les échelles de l’act ion publique ; ensuit e
avec le const at que les arènes produisent des sit uat ions nouvelles de modus vivendi
(plut ôt que de consensus) dans lesquelles les disposit ifs de part icipat ion jouent un rôle
import ant ; enfin sur le const at que cert ains groupes d’act eurs s’approprient la not ion
comme un sigle signifiant une post ure crit ique (t elle cet t e associat ion marseillaise Arènes
port ée par des expert s pour faire de la recherche aut rement sur les conflit s de quart ier ou
encore ce réseau nat ional ARENE – agences régionales de l’énergie et de
l’environnement – pour promouvoir des prat iques écocit oyennes). La not ion prend ainsi
parfois une t ournure plus milit ant e qui semble désigner un espace dynamique et
concurrent iel de démocrat isat ion des échanges polit iques t errit oriaux.
Po ur citer cet article
Alain FAURE, « Arène », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L., CHATEAURAYNAUD F.,
FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et
interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocrat ie et Part icipat ion, 2013, ISSN :
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Groupement d’intérêt scientifique Participation du public, décision, démocratie
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