Blonde `a forte capacité pulmonaire

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Blonde `a forte capacité pulmonaire
Blonde à forte capacité pulmonaire
Fred Nera
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Blonde à forte capacité pulmonaire
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Kalia est une elfe blonde à forte capacité pulmonaire.
Blonde, c’est indiscutable. Même si ses longs cheveux ne sont pas en ce moment très propres,
ils en sont pour le moins jaune pâle ; il n’y a donc pas de doute sur le sujet.
Elfe, cela se voit moins. En fait, la seule chose qui permet de dire que Kalia en est une,
ce sont ses oreilles pointues, mais elles sont en général cachées par les cheveux mentionnés
précédemment. Elle n’est ni grande, ni mince, comme le sont la majorité de ses congénères. À
vrai dire, elle est plutôt petite, et elle a pris quelques kilos dernièrement. En ce qui concerne la
beauté éblouissante des elfes, tout est dans l’œil de l’observateur, mais il faut reconnaı̂tre que
la plupart des observateurs ne semblent pas si éblouis que ça par Kalia.
Quand à sa capacité pulmonaire, même si sa poitrine est significativement moins volumineuse
que la moyenne des femmes adultes, elle est plutôt forte, puisque Kalia entame sa troisième
minute sous l’eau et qu’elle n’a pas encore perdu connaissance.
Si elle se trouve actuellement sur le fond vaseux de la Malsaine, le fleuve qui traverse la ville
de Nonry et qui mérite particulièrement son nom en aval de celle-ci, ce n’est pas parce qu’elle
a envie de se décrasser ou de batifoler dans l’eau. La raison à sa présence ici, c’est qu’elle a été
jeté d’un pont, pieds et poings liés, attachée à une solide barre en fonte.
Et si elle a une barre de fonte aux pieds, c’est, indirectement, parce qu’un homme bien
habillé est venu frapper à la porte de son appartement il y a deux jours. Kalia avait essayé de
transformer son logement en bureau, et avait certes ajouté une table et une pile de documents
qui donnaient un air sérieux. Mais le lit qu’on apercevait derrière ruinait cette impression.
Lorsqu’il est entré, l’homme bien habillé a essayé de cacher sa surprise ; il n’a pas, en revanche, essayé de cacher son mépris.
« C’est bien ici, qu’il y a un détective ? a-t-il demandé.
— C’est moi », a simplement répondu la jeune femme.
Elle se lançait tout juste dans le métier, à vrai dire. Elle avait été garde, avant, mais avait
réalisé qu’elle n’était pas faite pour ce métier. Elle avait envisagé de travailler à la forge Durfer,
mais on n’avait pas voulu d’elle parce qu’elle était une femme. Alors, elle s’était dit qu’elle allait
devenir détective. Même si l’homme la rendait nerveuse, elle était quelque peu soulagée de voir
son premier client.
« Asseyez-vous », a-t-elle dit en passant derrière ce qui lui servait de bureau.
L’homme a jeté un regard à la chaise bancale, a hésité un moment, et s’est finalement assis
dessus. Puis il a retiré son chapeau haut-de-forme et l’a posé sur ses genoux.
« Vous... n’êtes pas comme je l’imaginais, a-t-il dit.
— Désolée, a dit Kalia en s’asseyant à son tour. Excusez le désordre, nous sommes en train
de déménager notre local. »
Bien sûr, c’était un mensonge, mais cela faisait sans doute plus sérieux que « on n’a pas de
quoi se payer plus qu’une planche et des tréteaux ».
« Qu’est-ce qui vous amène, alors ?
— Je m’appelle Antoine Delacour, a commencé l’homme. J’ai vu l’une de vos affiches, elle
promettait la discrétion... »
Kalia n’a pas pu s’empêcher de sourire. Voilà donc comment un homme à l’air si riche pouvait
débarquer chez elle. Les affiches faisaient professionnel. Les presses étaient toutes récentes dans
le pays, et il fallait être riche pour pouvoir en utiliser une. L’elfe avait tiré ses affiches sur celle
utilisée par un groupe clandestin pour la propagande contre l’esclavage des trolls. Elle couchait
avec la personne qui avait fondé ce groupe, alors, forcément, ça crée des liens.
« Bien sûr, a dit Kalia. Personne ne saura que vous avez fait appel à nous.
— Il s’agit de ma femme, a expliqué l’homme. Je crois qu’elle me trompe. »
Kalia a souri une nouvelle fois.
« Bien sûr, je comprends. Vous souhaitez vous en assurer ?
— Voilà. Mais, si c’est le cas, il ne faudrait pas que ça s’ébruite, vous comprenez ?
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— Bien sûr », a-t-elle fait en hochant la tête.
Monsieur Delacour et l’elfe ont ensuite discuté rapidement des honoraires de cette dernière,
qui se sont révélés moins élevés que ce à quoi l’homme s’était attendu en voyant les affiches. Et
puis Kalia s’est mise au travail.
Pour commencer, elle est sortie de l’appartement et est allée faire un tour au marché. Avec
l’avance que lui avait laissé son client, elle pouvait se payer de la viande. Ensuite, elle est revenue
au « bureau » et s’est allongée un moment sur le lit.
Une vingtaine de minutes a passé avant que quelqu’un ne frappe à la porte. Kalia attendait
cette visite.
« C’est ouvert », a-t-elle dit.
La porte s’est ouverte lentement, et une femme aux cheveux noirs à l’air hébété est entrée
avec une démarche hésitante. Elle s’appelait Nelly.
Le moins qu’on pouvait dire, à son sujet, c’est qu’elle n’était pas très vive. Elle avait en effet
trouvé la mort quelques mois plus tôt. Un nécromancien l’avait ramenée à la vie ; enfin, plus ou
moins. La plupart des morts-vivants étaient retournés à la poussière lorsque le sort du sorcier
n’avait plus eu d’effet, mais, pour une raison obscure, Nelly était restée, à défaut d’être vivante,
animée.
Elle avait erré un certain temps avant de croiser la route de Kalia et d’essayer de la manger.
L’elfe avait, par miracle, réussi à avoir le dessus, mais elle n’avait pas pu se résoudre à la tuer
pour de bon. Bien sûr, les zombies n’avaient pas d’âme, mais l’église soutenait la même chose
pour les femmes, et elle trouvait la raison insuffisante pour leur couper la tête. Kalia avait décidé
de résoudre leur différend par la discussion, et, de manière surprenante, avait fini par y arriver.
Si on considérait que grogner en faisant une grimace était une forme de discussion, évidemment.
« Referme la porte, s’il te plaı̂t », a dit Kalia.
Nelly a grogné, et a obéi avec lenteur.
« Comment ça va ?
— Huuurrrr.
— Pareil. Je t’ai apporté à manger, au fait. »
Nelly s’est approchée du sac qui était posée sur la table et l’a ouvert avec une certaine
difficulté. Et puis elle a dévoré les morceaux de viande crue.
« Tu penseras à nettoyer le sang, après ? a demandé Kalia.
— Huuurrr.
— Bien, a fait l’elfe en se levant. J’ai un boulot discret à mener. Je te laisse, d’accord ? »
Nelly l’a regardée en penchant la tête, avec une moue interrogative.
« Un type qui pense que sa femme le trompe, a expliqué Kalia. Bon, j’y vais.
— Accompagne ? a demandé Nelly dans un râle.
— Non. Reste là. Je t’ai dit, il faut que ça soit discret. »
Nelly a fait une nouvelle grimace. Elle ne voyait pas pourquoi l’elfe ne la trouvait pas discrète.
*****
Kalia avait un genou posé au sol, et était en train de refaire ses lacets pour la quatrième fois,
lorsqu’Isabelle Delacour est sortie du salon de thé du Quartier Haut. Elle a discuté un moment
avec deux amies, puis elle se sont séparées.
La détective a soupiré en se relevant. Elle n’était pas à l’aise. Elle n’avait pas l’habitude
d’être à l’aise dans beaucoup d’endroits, mais ici, dans un quartier chic, c’était encore pire. Elle
avait bien l’impression que, si ces gens vivaient dans la même ville qu’elle, ils ne vivaient pas
dans le même monde.
Elle a refoulé son appréhension et s’est approchée de madame Delacour. Celle-ci lui a jeté
un regard mi-méprisant, mi-effrayé, et Kalia a du se retenir pour ne pas rougir. Elle était sale,
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mal peignée, portait des habits simples et usés, alors que la femme de son client portait une
robe à dentelle et même une ombrelle. Elle avait aussi un maquillage élaboré.
Cependant, ce dernier ne masquait pas totalement les hématomes qu’elle avait au visage. La
femme avait été frappée. Kalia aussi avait un certain nombre de marques de coups, que ce soit
à cause d’une griffure que lui avait faite Nelly ou d’un coup de tête qu’elle avait donné dans
une bagarre après avoir bu plus que de raison. Mais elle ne voyait pas cette dame fréquenter
des tavernes ou des morts-vivants.
« Il faudrait qu’on parle, madame Delacour.
— Qui êtes vous ?
— Je m’appelle Kalia. On pourrait discuter dans un endroit tranquille ? »
*****
Isabelle Delacour remuait la cuillère dans sa tasse de chocolat alors que Kalia lui expliquait
l’objectif de son travail.
« Alors, a-t-elle dit une fois que l’elfe eut fini, vous travaillez pour mon mari ?
— Voilà.
— Mais pourquoi est-ce que vous venez me voir ? »
Kalia a avalé une gorgée de chocolat chaud avant de répondre :
« Que vous trompiez ou pas votre mari, je m’en fous. Comment vous vous êtes fait ça ? »
Elle montrait les marques de coups sur le visage de la jeune femme.
« Une porte, a répondu madame Delacour sans grande conviction.
— Plusieurs portes », a rectifié l’elfe.
La femme a baissé les yeux vers sa tasse. Kalia a, intérieurement, eu un petit sourire triste.
D’habitude, c’était elle qui baissait les yeux.
« Écoutez, Isabelle... Je peux vous appeler Isabelle ? Je ne sais pas si vous trompez votre
mari, mais ce n’est pas une raison pour qu’il vous frappe. Vous ne pouvez pas le laisser continuer
comme ça. »
Isabelle Delacour s’est mise a pleurer. Kalia a sorti un mouchoir crasseux et le lui a tendu.
« C’est quand il a bu, a expliqué l’épouse. Des fois, il s’énerve et... »
Kalia connaissait l’histoire. Elle l’avait déjà entendue, avec quelques variations, dans la
bouche d’autres femmes. Ce n’était pas franchement rare.
« Je ne sais pas ce qu’on peut faire, a-t-elle dit quand la femme eut fini. Mais on va y réfléchir
ensemble, d’accord ? »
*****
Le lendemain, Kalia est allée voir monsieur Delacour. Il vivait dans une maison impeccable,
avec un jardin parfaitement tenu, en plein milieu du Quartier Haut de Nonry. Définitivement
pas le monde de la détective.
Il l’a faite patienter un moment dans un salon avant de la recevoir dans un bureau énorme.
Elle s’est assise. Le contraste avec leur premier entretien était saisissant : c’était trois fois plus
grand que tout l’appartement de Kalia, et au lieu d’une planche et deux tréteaux, Delacour
était derrière un véritable bureau en bois verni, sur lequel traı̂nait un encrier en or.
« Vous avez déjà réglé notre affaire ? s’est étonné l’homme.
— Oui.
— Alors ?
— Vous aviez raison. Votre femme voit quelqu’un d’autre. »
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Antoine Delacour a grimacé, atteint dans son honneur. Il a frappé le bureau d’un coup de
poing, avant de secouer sa main. Évidemment, s’est dit Kalia, ça devait faire mal. Le bois massif
devait être plus solide que le visage de sa femme.
« Qui ? a-t-il demandé.
— Je ne peux pas vous le dire. »
L’homme l’a regardée, surpris.
« Comment ça ? Vous n’avez pas encore trouvé de qui il s’agissait ?
— Ce n’est pas le problème, monsieur.
— Quel est le problème, alors ? » a demandé Delacour. Il avait maintenant le visage rougi
par la colère.
« Elle ne veut plus vous voir, a expliqué Kalia.
— Comment ça ? s’est exclamé l’homme. La petite garce ! Avec tout ce qu’elle me doit !
— Vous parlez de ses blessures au visage ou de ses côtes cassées ? a demandé l’elfe. Ou alors,
des relations sexuelles que vous lui avez imposées lorsqu’elle n’en avait pas envie ? »
Antoine Delacour s’est véritablement énervé. Il a haussé le ton. Kalia a répliqué, calmement.
Il a haussé le ton plus haut. Et puis, il s’est mis à frapper. Et finalement, la jeune femme s’est
retrouvée au fond de la Malsaine, une barre de fonte aux pieds.
Elle y est maintenant depuis plus de trois minutes et, même si elle a une forte capacité
pulmonaire, l’air commence à lui manquer sérieusement. Elle a invoqué la plupart des dieux
qu’elle connaissait, mais on dirait que son sort ne les intéresse pas vraiment.
Ou du moins, c’est ce qu’elle croit, jusqu’au moment où elle voit un couteau descendre du
ciel. Ou plutôt, de la surface, mais ce qui compte, ce n’est pas tant l’origine de l’objet que sa
présence, qui lui offre une chance de survie pour peu qu’elle arrive à tenir un peu plus longtemps.
Elle essaie de l’attraper alors qu’il chute, mais, avec les mains liées, ce n’est pas facile. Elle
le rate. Le couteau tombe au fond. Elle essaie de l’atteindre, mais, avec les pieds et les poings
liés, le manque d’air, et la vase, elle n’y parvient pas.
Enfin, alors que sa vision commence à s’obscurcir, elle sent quelque chose de dur sous ses
doigts. Elle s’entaille légèrement un index sur la lame avant de trouver la garde, mais ce n’est
pas bien important. Elle se hâte pour se libérer les mains et y parvient en quelques secondes.
Elle se contorsionne ensuite pour libérer ses pieds.
Elle finit par y parvenir aussi. Finalement, dans un dernier effort, elle prend appui contre le
fond vaseux et remonte vers la surface.
La première bouffée d’air qu’elle peut respirer est sans doute celle qu’elle a le plus appréciée
au cours de son existence. L’espace d’un instant, Kalia se sent étrangement heureuse d’être en
vie.
Puis elle se dirige à la nage vers le bord du fleuve. Elle remonte sur la terre ferme. Elle reste
quelques instants allongée, sur le dos, à regarder le ciel, un sourire béat sur le visage.
Lorsqu’elle remonte sur le pont d’où elle a été jetée, elle a eu un peu de temps pour se
remettre et a une petite idée sur la provenance du couteau miraculeux.
« Merci de m’avoir sauvé la vie », lance-t-elle en s’approchant de la forme agenouillée sur le
pont.
« Huuuurrrr », lui lance Nelly en se retournant.
Kalia remarque qu’elle a du sang sous la bouche. Elle s’approche un peu de la mort-vivante,
avec appréhension. Et elle découvre avec horreur le cadavre d’Antoine Delacour, dont une partie
a déjà été dévorée par son amie.
« Qu’est-ce que tu as fait ? Tu l’as tué ? »
Nelly s’arrête de mâcher et hausse les épaules.
« Tu l’as tué », lui reproche Kalia.
La zombie secoue la tête.
« Tu ne l’as pas tué ?
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— Suicide », grogne Nelly, avant d’arracher un nouveau morceau de chair à feu monsieur
Delacour.
« Comment ça, suicide ? Il s’est tué ?
— M’a... attaquée », répond Nelly dans un nouveau râle.
Kalia soupire.
« Tu ne peux pas manger les gens ! proteste-t-elle.
— Connard, grogne Nelly.
— Oui, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour le manger ! Je veux dire... »
Elle soupire à nouveau. Elle a déjà eu le débat sur l’antropophagie avec la zombie. Le
problème est qu’il est plutôt dur de débattre lorsque votre interlocuteur vous contente de grogner
et de faire des grimaces.
Et puis, il faut admettre que Nelly lui a sauvé la vie. En plus de ça, Isabelle Delacour n’aura
plus à subir sa colère le soir. Il y aurait peut-être eu moyen d’arriver au même résultat avec
moins de sang, mais ce qui est fait est fait.
« Oh, et puis fais comme tu veux, lâche Kalia en s’éloignant. Je rentre. Ne laisse pas traı̂ner
le corps. »
Nelly s’arrête un instant de mâcher pour grogner et lui faire un petit signe de la main.
« Ouais, salut, répond Kalia. Et bon appétit. »