LE SYSTEME DE FILIATION DAGARA

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LE SYSTEME DE FILIATION DAGARA
LE SYSTEME DE FILIATION DAGARA
Tout Dagara naît avec deux noms importants d’identification qu’il reçoit
automatiquement, le premier nom de son père, le second de sa mère ; prenons l’exemple
de notre propre appellation : « Kusiele Dabire « . Ces noms ne sont pas choisis par les
parents, ceux-ci les transmettent par le fait même de la naissance de l’enfant, et euxmêmes ont reçu ces noms, le père de son père, la mère de sa mère : nous sommes
KUSIELE parce que notre père est KUSIELE ; notre père est kusiele parce que son père
à lui (notre grand-père paternel) est kusiele, et ainsi de suite.
Nous sommes Dabire parce que notre mère est Dabire parce que sa mère à elle (notre
grand-mère maternelle) est Dabire, et ainsi de suite.
Mais le nom Kusiele de notre père n’est pas l’équivalent du nom Dabire de notre mère.
Les deux noms que notre père a reçus à sa naissance de sont père sont KUSIELE
SOMDA : Kusiele lui a été transmis par son père, et Somda par sa mère. Il nous a
transmis, à nous, à nos frères et sœurs, le nom de Kusiele, mais pas celui de Somda.
Notre mère de ses deux noms s’appelle Zawa Dabire
Zawe (équivalent de Kusiele) lui a été transmis par son père (notre grand-père maternel)
et Dabire (équivalent de Somda) par sa mère. Elle nous a transmis à nous et à nos frères
et sœurs le nom de Dabire mais pas celui de Zawe.
La catégorie des noms Kusiele et Zawe sont transmis par l’homme (vir) de génération en
génération à tous ses descendants : ce sont les grands patriclans dagara, dont le
nombre approche la quarantaine. La catégorie des noms Dabire et Somda, transmis par
la femme de génération en génération à tous ses descendants, en compte 7.
L’enfant naît donc avec deux noms, et reçoit de son père un prénom : de notre prénom
par exemple, nous nous appelons Der. Les prénoms sont l’expression d’une pensée, d’un
sentiment envers Dieu (noms théophores) ou devant la mort (noms thanatophores), d’une
pensée adressée à la famille ou à la société.
Il existe aussi des noms déterminés d’avance par les circonstances ayant entouré la
naissance de l’enfant : les jumeaux (Zièm et Naab), l’enfant qui naît après des jumeaux
(Kow), l’enfant qui naît pendant que la famille célèbre des funérailles (Bèyuon), etc…. Ces
noms « standard » sont différents selon qu’il s’agisse d’un garçon ou d’une fille…. Ainsi
notre prénom Der (Yuora pour une fille) signifie qu’avant notre naissance, plusieurs
enfants (garçons) nés de notre mère sont morts en bas âge, ou sont morts nés. Ainsi
donc nous nous appelons Kusiele Dabire Der Raphaël (Raphaël, nom chrétien reçu au
baptême). Dans la vie quotidienne, ce sont les prénoms dagara et/ou chrétiens qui sont
utilisés.
Examinons de plus près le patriclan (Kusiele) et le matriclan (Dabire) pour voir quelle est
sa structure de cette bilinéarité.
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UNE FILIATION BILINAIRE HIERARCHISEE
LE PATRICLAN
Le patriclan est signifié par les mots « dowlù » ou « yiilu ». « Dowlù » c’est la naissance
par laquelle l’individu est comme marqué d’un signe indélébile ; « yiilu » indique la
« maison ». Les deux termes signifient la famille patriclanique, la « maison » familiale à
laquelle on appartient par la naissance.
La structure fondamentale de l’organisation du peuple dagara est le « patriclan », que
Gbaane Dabire C. définit comme « le plus vaste ensemble des membres qui se réclament
d’un même ancêtre (mythique) agnatique « (p 118). Il découle de la naissance (d’où le
terme dowlù) et est transmis en ligne agnatique. Garçons et filles reçoivent le même
dowlù de leur père, mais seuls les garçons le transmettront à leurs enfants. Le « dowlù »
(naissance) ou « yiilu » (maison, famille) est le premier élément et le plus fondamental
qui situe l’individu Dagara dans sa société. Le dowlù détermine l’appartenance juridique
de l’individu à un groupe social, qui est celui du père. A l’intérieur du même dowlù, chaque
membre jouit d’un certain nombre de droits, et se sait soumis à un certain nombre de
devoirs et d’interdits. Un système classificatoire permet aux individus de s’attribuer
l’appellation « père » ou « frère », indépendamment de leur âge. Le mariage est
strictement exogamique.
Le patriclan est la véritable famille dagara. Toute l’ethnie Dagara est organisée en
patriclans, et l’appartenance à un patriclan est déterminée par la filiation en ligne
agnatique. Sans jamais se réduire au petit foyer nucléaire, le patriclan s’y appuie en vue
de la reproduction de ses membres ; elle se développe alors en « sous-patriclans » (cf
Gbaane Dabire C. p. 119) ou « lignées familiales » (Kusiele Dabire J.M p. 249), pour enfin,
tel un arbre gigantesque, s’épanouir à son niveau le plus englobant où il assume le sens
plénier de famille.
2
LE MATRICLAN
Le matriclan est indiqué par le terme « Belu » dont l’étymologie est difficile à
déterminer. Il regroupe l’ensemble des descendants d’une même filiation utérine. Il est
désigné par un nom que porte chacun des membres, et qui est le nom de la première
ancêtre fondatrice : ex. Dabire (pluriel : Dabiri). Les
« Dabiri » forment un matriclan, et se réclament tous
de loin en loin, de la même ancêtre fondatrice. Le
« Bélu » découle aussi de la naissance, mais est
transmis par la femme. Garçons et filles reçoivent le
même Bèlu de leur mère, mais seules les filles le
transmettent à leurs enfants. Le matriclan a uns
structure interne, tel que cela apparaît dans ces mots
de Gbaane Dabire C. :
« La communauté de bèlù créé un régime de parenté au
titre de laquelle les membres (bèl-taabè = compagnons
du même matronyme) se disent ‘frères’ (yèbr) ‘enfants
de même mère’ (ma-biir) ; une distinction interne entre
‘mères’ et ‘enfants’ au sein du clan peut avoir lieu en tenant compte de la différence des
générations. » (op. c. p.126)
Quoique secondaire par rapport au dowlù (patriclan), le bèlù (matriclan) entre dans
l’identification sociale de l’individu dagara. Pour se présenter, on dit son dowlù, puis son
bèlù. L’utilité du bèlù est de créer entre les membres une solidarité parentale, c'est-àdire une solidarité d’obligation fondée sur le devoir d’appartenance à une même
« mère ». Cette solidarité se concrétisera surtout lors des funérailles, dans la maladie
et autres circonstances difficiles. Une de ses fonctions semble être – certaines régions
dagara – de déterminer le droit « d’héritage de certains biens personnels qui, dans ce
cas, vont de oncle maternel (ma-dèb) a neveu utérin (arbile) (Kusiele Dabire JM. p. 257258). Mais comme fait remarque Gbaane Dabire C., cette pratique tend à disparaître,
qui voit le neveu aller dans la maison d’origine de sa mère hériter de certains des biens
de son oncle maternel. (Gbaane Dabire C. op. cit. p. 135).
Le Bèlù se révèle donc être important dans l’identification sociale de l’individu, et comme
un facteur qui déterminera une assez grande partie de ses relations.
On peut rester perplexe devant un tel système de parenté à double filiation et certains
témoins étrangers, missionnaires et colonisateurs, n’ont pas manqué de se fourvoyer en
prononçant le verdict du matriarcat, alors qu’il s’agit d’un régime patriarcal absolu.
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PRIMAUTE ABSOLUE DU PATRICLAN SUR LE MATRICLAN
La double filiation dont on a pris acte n’est pas différenciée à proprement parler, car iy
a une hiérarchisation très énergique, qui voit le matriclan se soumettre et se mettre en
arrière plan par rapport au patriclan. Gbaane Dabire C. le souligne en indiquant les signes
de cette primauté du patriclan :
« Cette priorité-primauté qui suit d’ailleurs la hiérarchie entre l’homme (aîné) et la
femme (cadette) est manifestée de différentes manières ; résidence virilocale,
appartenance patriclanique des enfants en cas de divorce, responsabilité sociale plus
grande du père de famille « (p.135)
Observons de plus près la résidence virilocale, la responsabilité du père de famille et le
statut juridique de son épouse.
RESIDENCE VIRILOCALE ET PATRICLANIQUE
Les Dagara vivent dans de grosses cases en habitat dispersé. La résidence est
virilocale : au mariage, l’homme reste dans sa case paternelle, son épouse quitte sa case
à elle et le rejoint ; ils construisent si besoin est, deux à trois chambres adossées à la
grande case, pour eux et leurs enfants qui vont naitre ; en cas de divorce, les enfants
restent avec leur père ; ils sont à lui, juridiquement et socialement ; en ce sens, les
enfants n’appartiennent jamais à l’épouse.
La résidence est patriclanique en ce sens que la case appartient à l’homme et à son
patriclan. Par ce fait que le mariage déplace seulement les femmes et que l’homme
transmette à tous ses enfants son nom patriclanique, une case regroupe donc des
membres d’un même patriclan. Les maisons d’habitation sont patriclaniques, c’est pour
cela que le mot « yir » signifie à la fois ‘maison d’habitation » (case) et « famille »
(descendants d’un même ancêtre agnatique). Dans notre case par exemple où vivent plus
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de 100 personnes, nous sommes tous « KUSIELE », à l’exception de 19 femmes encore
vivantes qui sont venues d’ailleurs se marier là : notre mère, les épouses de mes oncles,
celles de mes frères et cousins. On parle alors de « maison de Kusiele » (Kusiele yir),
aux deux sens du mot « yir ».
Contrairement au patriclan, dont les membres habitent les mêmes cases, le matriclan n’a
pas de résidence reconnaissable. On ne peut parler de « Dabire yir » ni de « Dabiri yir »
comme on parlerait de « Kusiele yir ». Chaque case ayant un chef dont le seul critère de
désignation est l’âge, il peut se trouver qu’un chef de case soit Dabire ; on entendra
alors parfois parler de « Dabire Yir » mais un tel langage est sans équivoque : cela ne
signifie pas que tous les habitants de la case soient des « Dabiri », ni que la maison
appartienne aux Dabiri, encore moins que le chef ait été choisi parce que Dabire. Peu
importe en effet que le chef de case soit Dabire, Somda, Somé etc… il est Kusiele, c’est
l’élément déterminant, c’est à ce titre que, grâce au critère d’âge, il se trouve être à la
tête de la famille.
La primauté du patriclan sur le matriclan apparaît aussi dans la responsabilité du père de
famille.
RESPONSABILITE AUTORITE ABSOLUE DU PERE DE FAMILLE
Nous avons déjà évoqué la résidence virilocale et patriclanique des enfants, et le fait
qu’ils sont la propriété juridique non de la mère mais du père. Puryiile Kpowda Novat
affirme la même chose :
« .. Un enfant est d’abord une progéniture de son opère avant d’être celle de sa mère ;
nous sommes dans une société masculinisée où l’homme a une place prépondérante, étant
considérée comme l’élément moteur et premier de la société. Si la femme n’est
cependant pas méconnue, elle ne peut prétendre aux mêmes prérogatives que l’homme.. »
C’est l’homme qui engendre et qui éduque ses enfants, dans tous les sens du mot
éduquer. Le rôle de la mère est reconnu comme étant irremplaçable, surtout durant les
premières années de l’enfant, et de façon plus durable en ce qui concerne les filles ;
mais c’est perçu comme un rôle de collaboration par rapport à l’homme auquel « revient
la tâche d’assurer à ses enfants le gîte (habitation, sécurité, protection), le couvert
(subsides, nourriture) le soin (vêtements, santé…) et l’éducation. Tout ceci se résume
dans trois mots-clés que le Dagara a constamment à la bouche : dog (engendrer), guoli
(nourrir, élever) et wul (montrer, éduquer). » (Gbaane Dabire C. p 133)
En liaison avec ses frères du même patriclan, le père de famille exerce sans aucune
timidité sa responsabilité absolue, avec une attention particulièrement concentrée sur
l’éducation des garçons auxquels il transmet le savoir être (formation humaine et
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morale, sans de la solidarité) et le savoir faire (agriculture, élevage, artisanat) (id. page
134). Un des aspects essentiels de son rôle de responsabilité touche au mariage des
enfants : trouver et/ou doter une femme pour chacun de ses fils, donner en mariage
et/ou recevoir la dot de chacune de ses filles.
La mère n’est pas exclue de l’éducation des enfants, au contraire, elle en assure une part
essentielle ; mais c’est d’un devoir qu’elle s’acquitte, au bénéfice du propriétaire
juridique des enfants. Elle jouira d’un certain droit d’autorité sur les enfants, mais cette
autorité, surtout sur les garçons au fur et à mesure que ceux-ci grandissent, prendra
plutôt les formes d’une influence ; influence souvent assez grande certes, mais simple
influence tout de même, de l’ordre plutôt de l’affectif et du sentimental que du
juridique
Tiré de…
« Approche de la condition de la femme dagara »,
(condition de la femme dans différentes cultures)
Kusiele Dabire Der Raphaël, diocèse de Diébougou
Pontificia Universita Gregoriana
Facolta di Science Sociali
Rome le 27 novembre 1987
non publié
Avec l’aimable autorisation de l’auteur
Citations : Gbaane Dabire Constantin : « Nisaal, l’homme comme relation « janvier 1983
http://www.burkinafaso-cotedazur.org
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