prisme - Etudes économiques du Crédit Agricole
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La note de conjoncture Agriculture et Agroalimentaire PRISME Agriculture et Agroalimentaire, une affaire d’experts DÉCRYPTAGE P. 2 BREVETS : L’Office européen des brevets ouvre la voie au brevetage des plantes conventionnelles en Europe. OBSERVATOIRE DES PRIX ET DES MARGES : Pour la première fois, l’OFPM enregistre un recul des prix. CONSEIL À L’AGRICULTURE : Google Ventures investit dans le « Big Data » Agricole. NÉGOCE : Chine - Grandes manœuvres au sein des sociétés publiques agricoles. 09 JUIN 2015 NÉGOCE : L’ex Canadian Wheat Board repris par Bunge et un fonds saoudien. VOLAILLE : Terrena en négociations exclusives pour la reprise de Doux. BIOTECHNOLOGIES AGRICOLES : L’Américain Monsanto lance une offre d’achat à 45 Mds $ sur le groupe suisse Syngenta. GRAINS P. 6 GRAINS MONDIAUX : DANS LE SILLAGE DU PÉTROLE ? ❙ Le prix des céréales poursuit le fléchissement entamé en 2013 et seule la baisse de l’euro a permis un récent rebond au profit des producteurs européens. Ceci fait suite à des récoltes record en 2014/15, et cette abondance pourrait se maintenir ou presque, si l’absence de véritable inquiétude météorologique se poursuit. La demande n’étant pas prévue en forte hausse malgré les prix bas, les stocks se maintiendraient à un niveau élevé, prévenant la remontée des prix, sachant que rien n’est vraiment assuré, la récolte étant encore loin. FOCUS ❙ Oléoprotéagineux : la montée des protéines ❙ Blé : finalement, pas trop de mal DRONES P. 15 DRONES ET AGRICULTURE : AU-DELÀ DU BUZZ… LE DRONE EST DANS LE PRÉ ❙ L’usage d’aéronefs autonomes ou semi-autonomes dans l’agriculture n’est pas récent. Certains servent à des traitements aériens ; leur utilisation en France est concentrée sur le diagnostic et le recueil de données. L’émergence d’une nouvelle génération de drones moins coûteux et plus faciles à mettre en oeuvre offre désormais des perspectives inédites aux applications en agriculture de précision. Avec près de 270 sociétés de services spécialisées sur des applications agricoles sur les 1 380 opérateurs civils de drones, l’agriculture française fait figure de pionnière dans l’usage de ces équipements, grâce en particulier à la mise en place prévue d’un cadre réglementaire clarifiant les règles d’usage. Alors même que nous n’en sommes qu’aux prémices du développement des services agronomiques associés aux drones, et que les coûts et la concurrence satellitaire demeurent élevés, ce marché paraît prometteur et doit désormais entrer dans une phase de structuration et de développement de l’offre. Retrouvez-nous ❙ Sur http://etudes-economiques.credit-agricole.com Rubrique Secteur Agriculture et Agroalimentaire ❙ Abonnement gratuit : cliquez ici PRISME - 09 Note de conjoncture - Juin 2015 D É CRYP TAG E PRIS ME - 09 Décryptage Brevets L’Office européen des brevets ouvre la voie au brevetage des plantes conventionnelles en Europe L’Office européen des brevets a tranché le 25 mars en faveur de brevets contestés portant sur des brocolis et des tomates, brevets incluant un procédé de sélection mais aussi les plantes elles-mêmes. Ces brevets faisaient depuis des années l’objet de recours fondés sur le principe que les organismes issus d’un processus biologique naturel ne devaient pas être brevetables. COMMENTAIRE Les plantes (et les animaux) issues de procédés de sélection « conventionnels », au contraire des plantes OGM, échappent en principe au domaine du brevetable. Une variété de semence est ainsi couverte par le système des « certificats d’obtention végétale », qui demande aux utilisateurs de payer des redevances, mais qui laisse libreEN l’usage génétique PAGE 2 de cette variété pour poursuivre la sélection et en mettre au point de nouvelles. C’est pourquoi la récente décision de l’Office des brevets est de nature à ouvrir une brèche dans la muraille très disputée de la brevetabilité du vivant. L’enjeu est l’exclusion du marché de tous les acteurs n’ayant pas la puissance nécessaire pour déposer des brevets, et de rendre payant l’accès à des traits génétiques parfaitement naturels. La jurisprudence ainsi établie validerait de nombreux brevets déjà déposés, face à de nombreux recours aussi bien de la part d’ONG que de semenciers concurrents. La Fédération européenne des semences a ainsi exprimé ses regrets face à cette décision. Observatoire des prix et des marges Pour la première fois, l’OFPM enregistre un recul des prix L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) a présenté le 21 avril, pour la quatrième année consécutive, son Rapport au Parlement. En 2014, pour la première fois depuis que paraissent ces travaux, sont enregistrés : un recul des prix à la production (-5 %), un recul des prix des industries agroalimentaires (-2 %) et, en bout de chaîne, un recul des prix à la consommation (-0,7 %). COMMENTAIRE Sous la conduite de Philippe Chalmin, l’Observatoire repose essentiellement sur les travaux France AgriMer. Il a pour mission « d’éclairer les acteurs économiques et les pouvoirs publics sur la formation des prix dans la chaîne de commercialisation ». La mission de cet outil, en France, est de créer une pédagogie de la transparence entre ces acteurs, du producteur agricole jusqu’au commerce de détail, alors que les relations commerciales entre les différents fournisseurs au sein des filières sont marquées par des rapports de force. Les chiffres masquent de très grandes disparités selon les produits, au sein même de chaque filière. Cependant, la quasi-totalité des acteurs parle d’une spirale déflationniste. La baisse des prix agricoles, la plus importante, laisse supposer une amélioration des marges en aval. Il est cependant difficile d’en être sûr pour la GMS car les comptes de ses rayons ne concernent que 2013. Celle-ci repose sur une interprétation étroitement technique du droit. Les parties prenantes opposées demandent une intervention d’ordre politique sur ce sujet. En même temps, 11 sociétés semencières (dont certaines ayant manifesté leur opposition à la brevetabilité) ont créé fin 2014 une plateforme dite ILP (International Licensing Paltform) qui compte parmi ses membres des majors comme Limagrain, Syngenta et Bayer. Elle concerne le domaine des légumes et est destinée à faciliter entre ses membres l’utilisation des variétés brevetées par ces derniers. Une façon de jouer sur tous les tableaux. En bout de chaîne, le consommateur bénéficie au moins sur le court terme d’une baisse de prix auprès du commerce organisé. Celui-ci étant engagé dans une phase de concurrence accrue, la construction du prix consommateur n’en est que plus sophistiquée, intégrant des stratégies agressives de parts de marché au niveau de la GMS. 2 D É CRYP TAG E Conseil à l’agriculture Google Ventures investit dans le « Big Data » Agricole Google a investi 15 millions de dollars (via son fonds de placement Google Ventures) dans la startup étasunienne Farmers Business Network (FBN), aux côtés d’autres partenaires financiers comme Kleiner Perkins Caufield & Byers, ou l’investisseur DBL, portant le total de capital risque de FBN à plus de 28 millions de dollars. Le géant de l’internet suit en cela l’intérêt pour ce nouvel univers dématérialisé déjà amorcé par des acteurs plus traditionnels du monde agricole comme John Deere avec son logiciel APEX et surtout Monsanto, à travers les acquisitions de ce dernier dans le domaine de l’analytique agricole depuis 2012 (Precision Planting, Climate Corporation, Solum...). En France, le groupe InVivo n’est pas en reste et a décidé également d’investir dans le Big Data agricole, avec pour objectif d’en devenir le champion européen. COMMENTAIRE Toutes les solutions sont à explorer afin de répondre au principal défi de l’agriculture dans le monde : continuer à pouvoir assurer l’alimentation d’une population mondiale qui pourrait dépasser les 9 milliards d’individus d’ici 2050 selon la FAO, tout en respectant la préservation des ressources de notre planète. PRIS ME - 09 Chine - Grandes manœuvres au sein des sociétés publiques agricoles Négoce Cofco veut créer, à partir de ses activités chinoises dans les grains et des sociétés de négoce international que le groupe a rachetées en 2014 (Nidera, Noble Agriculture), une société d’agrobusiness internationale appelée Cofco International. Celle-ci serait montée en partenariat avec China Investment Corp. Deux sociétés d’état chinoises, Bright Food Group et Shanghai Liangyou Group, ont annoncé leur fusion, qui créera un des plus grands groupes agroalimentaires du pays. COMMENTAIRE Le groupe public China National Cereals, Oils and Foodstuffs Import and Export Corporation (COFCO) veut prendre un nouveau tournant. La plus grande société agroalimentaire chinoise, initialement chargée dans les années 1950 du commerce extérieur agricole, a un chiffre d’affaires d’environ 60 GUSD. Elle est active aussi bien dans les grains que dans les produits de consommation de marque, et est diversifiée dans l’immobilier et la finance. Elle veut maintenant, avec l’appui du gouvernement, devenir plus internationale et s’inscrire parmi les grandes sociétés de négoce mondiales, comme Cargill, ADM, Bunge et Dreyfus. Ceci doit déboucher sur une introduction en bourse. Un des objectifs est de démultiplier les moyens d’actions chinois en matière d’approvisionnement alimentaire. En parallèle, les développements technologiques facilitent désormais la collecte et le traitement d’une quantité exponentielle de données (cf. article sur les drones dans ce numéro de PRISME), et le monde agricole ne fait pas exception : fertilité des sols, pluviométrie, types de plantations, rendements... jusqu’à présent exploitées de manière plutôt empirique et dispersée. L’une des voies les plus prometteuses réside dans l’exploitation intelligente de ces masses de données, afin d’en sortir des modélisations fiables grâce aux technologies du « Big Data » qui ont déjà fait leurs preuves dans d’autres domaines. Les espoirs reposent sur l’agrégation de données disponibles en quantité, auxquelles sont appliqués des traitements analytiques adaptés, grâce à l’utilisation de technologies informatiques massivement parallèles désormais plus aisément accessibles techniquement et financièrement. Cependant, au-delà de la multiplication des solutions proposées et des beaux discours (cf. le « Don’t be evil » de Google), se posent les questions sensibles de la propriété, de la protection et de l’utilisation des données récoltées, qui en sont à un stade relevant plutôt du flou artistique. Les données permettent en effet la photographie plus ou moins complète d’une exploitation à un instant donné, ainsi que son évolution en quasi temps réel. Serontelles revendues à des acteurs tiers ? Leur utilisation pourraitelle être détournée à d’autres fins (exploitations concurrentes, assurance « à la carte », tarification fournisseurs...) ? Aux États-Unis, l’American Farm Bureau Federation a d’ores et déjà lancé une alerte l’an dernier sur le sujet en estimant que les données recueillies auprès des propriétaires des exploitations individuelles doivent rester la propriété des agriculteurs et en recommandant l’instauration de compensations pour les agriculteurs dont les données privées sont partagées avec des tierces parties qui exploitent ces données. Comment donc réconcilier agrégation de données et utilisation équitable de l’information ? La solution pourrait s’inspirer du mouvement « open source » déjà bien établi dans le domaine informatique. C’est d’ailleurs la voie proposée par l’Open Ag Data Alliance. Avec l’appui du fonds souverain CIC, qui investit les réserves de change de la Chine et prendrait 20 % de l’ensemble Cofco International, celui-ci disposera de moyens financiers considérables. Cofco veut vendre certains actifs et en rassembler d’autres, en particulier Nidera et Noble Agri. Cependant, la création d’un nouveau négociant international nécessite un savoirfaire allant très au-delà de l’import-export. Cofco a du reste recruté un responsable issu d’ADM pour le nouvel ensemble. Cofco avait été sélectionnée en 2014 parmi les 6 groupes publics chinois que le gouvernement voulait réformer, via des fusions, des partenariats et l’ouverture à des investisseurs privés. C’était le seul groupe agro-alimentaire dans ce cas. Mais le mouvement existe aussi au niveau régional en Chine, comme le montre la fusion de Bright Food Group et Shanghai Liangyou Group qui appartiennent tous deux à la municipalité de Shanghai : celle-ci a adopté une politique similaire à celle du gouvernement national, vis à vis de ses actifs industriels et commerciaux. Comme Cofco, le groupe sera actif dans les grains, les oléagineux et les produits de consommation, avec un chiffre d’affaires d’environ 20 GUSD. 3 D É CRYP TAG E Négoce PRIS ME - 09 L’ex Canadian Wheat Board repris par Bunge et un fonds saoudien Le CWB, autrefois porteur de l’ancien monopole sur la commercialisation du blé au Canada levé en 2011, va être repris par un partenariat intitulé Global Grain Group. Celui-ci est basé à Winnipeg mais détenu en majorité par le groupe agro-industriel Bunge et également par Salic Canada Ltd, une filiale du fonds saoudien Agricultural & Livestock Investment Company. Ces investisseurs en détiendront 51 %, les 49 % restants étant attribués à un trust composé de producteurs agricoles, avec une option de rachat pour la société majoritaire dans 7 ans. COMMENTAIRE Le bureau canadien du blé faisait partie des nombreux offices de commercialisation institués dans des pays anglo-saxons, qui ont été peu à peu privatisés. Le CWB, dont le monopole avait été levé par le gouvernement conservateur canadien, devait être cédé avant 2016. Les actions sont remises à 3G en échange d’un engagement d’investissement de 250 millions de dollars. Le bilan du CWB fait l’objet de profondes divergences de vues, certains fermiers ayant manifesté pour dénoncer la privation de liberté commerciale et insistant sur le besoin de concurrence, d’autres soulignant le confort et la stabilité apporté par ce système ainsi que la performance logistique, et aussi la préservation du niveau de qualité qui est celui du blé canadien. Des procès sont en cours contre la libéralisation, qui n’ont pas obtenu jusqu’à présent d’issue favorable. Une offre de reprise proposée par des producteurs a été rejetée en 2014. Le nouveau système offre manifestement des possibilités nouvelles aux négociants, locaux et internationaux, sur le marché canadien. Il reste à voir si ceci profite aussi aux producteurs, la concurrence ainsi créée étant limitée par la concentration croissante à l’aval et la puissance des négociants. Le fonds Salic fait partie des moyens mis en place par l’Arabie saoudite pour approvisionner le pays qui est en train, pour préserver ses ressources en eau, de renoncer à la production de céréales (mais pas à l’élevage). Les fonds saoudiens de ce type ont acheté des terres en particulier en Europe de l’est et en Ukraine. L’investissement au Canada vise à se rapprocher d’une ressource stable. L’Arabie saoudite était un des principaux débouchés du Canadian Wheat Board avant la dérégulation. Volaille Terrena en négociations exclusives pour la reprise de Doux Dans un communiqué du 19 mai dernier, le groupe Terrena a annoncé être entré en négociations exclusives avec D&P Participations, filiale de la holding de la famille Calmels, « en vue du rachat de sa participation majoritaire de 52,5 % dans le groupe Doux ». Il serait accompagné de Sofiproteol (groupe Avril) en tant qu’actionnaire minoritaire ; les actionnaires minoritaires actuels, la famille Doux (22,5 %) et le groupe saoudien Al Munajem (25 %) resteraient également présents au capital. L’opération devrait être bouclée dans les prochains mois. COMMENTAIRE Avec un chiffre d’affaires de près de 900 M€ en 2014 pour sa filiale Gastronome, le groupe coopératif Terrena est le numéro 2 français de la viande de volailles, mais loin derrière le leader LDC (CA 2014-15 de 3 Mds€ dont 2,1 Mds pour le pôle volailles). De son côté, le groupe Doux, numéro 3 du secteur avec un CA de 457 M€ en 2014, voit désormais son activité répartie entre deux pôles : le poulet congelé grand export (80 % environ de son activité) et les produits élaborés avec la marque Père Dodu, après l’arrêt de la branche poulet frais métropolitain en 2012. Arnaud Marion a redressé le groupe en trois ans, grâce aux restructurations menées et à la modernisation des outils industriels, et malgré l’arrêt, en 2014, des restitutions européennes à l’exportation de poulet vers les pays du Proche et Moyen-Orient ; le groupe ayant également bénéficié de l’évolution favorable de la parité euro - dollar et de la baisse du prix des céréales. Le rapprochement des deux groupes constituerait une nouvelle étape dans la consolidation de la filière en France, après la reprise des activités volailles du groupe Avril par LDC fin 2014. Il permettrait à Terrena d’accéder à la position de numéro 5 européen, en lui offrant d’une part une ouverture à l’exportation vers des marchés durablement porteurs, où la marque Doux jouit d’une forte notoriété, et d’autre part, un renforcement de ses positions sur les produits élaborés, notamment dans la grande distribution française, avec 2 marques, Douce France et Père Dodu. 4 D É CRYP TAG E Biotechnologies agricoles PRIS ME - 09 L’Américain Monsanto lance une offre d’achat à 45 milliards de dollars sur le groupe suisse Syngenta Les actionnaires de Syngenta, issu de la fusion des activités agrochimiques de Novartis et AstraZeneca, ont rejeté la proposition de Monsanto en arguant d’un prix inadéquat, et en mettant en avant le risque de voir cette opération bloquée par les autorités de la concurrence. Monsanto, pour essayer de l’emporter, propose le versement de 2 Mds $ d’indemnités en cas d’échec de l’opération qui serait dû aux autorités de la concurrence. Syngenta annonce qu’il ne cédera pas à moins d’une indemnité de 10 % du prix d’achat, soit près de 4,5 Mds $. COMMENTAIRE Monsanto (CA : 15,9 Mds $) s’intéresse de longue date à son rival Syngenta (CA : 15,1 Mds $). En effet, le groupe américain, premier producteur mondial de semences (25 % du marché mondial), en opérant un regroupement avec Syngenta, premier fabricant mondial d’herbicides, d’insecticides et de fongicides et troisième producteur mondial de semences (8 % du marché mondial), créerait un leader mondial des semences et phytosanitaires. Ce rapprochement lui permettrait également de se renforcer en Europe et de procéder à une « tax inversion ». Cette opération consiste pour une société américaine à transférer son siège dans un pays moins taxé (il serait question en l’occurrence du Royaume-Uni), ce que le Trésor étasunien cherche désormais à limiter. Monsanto vient de lancer une opération de promotion de son image en France. Celle-ci est son marché le plus important dans la zone Europe, Moyen Orient, Afrique, qui ne représente toutefois que 13 % de son activité globale. Sa filiale française principale est Dekalb. D’un côté comme de l’autre, après des années de convoitises, la partie reste ouverte, avec un pronostic de l’ordre de 50 % pour le succès ou l’échec de l’opération. Dans des domaines où la recherche est fondamentale, mais coûteuse, le regroupement de deux géants du secteur permet de substantielles économies d’échelle. Ainsi, s’il voyait le jour, ce nouveau groupe pèserait 31 Mds $ de CA. Cependant, Syngenta oppose une forte résistance afin de conserver son indépendance, et sa spécificité. De fait, le rapprochement ne pourrait se faire sans accepter d’importantes concessions. Dans cette perspective, Monsanto se dit prêt à toiletter le portefeuille des deux entreprises pour obtenir le feu vert de la concurrence, en privilégiant les pesticides, principale activité de Syngenta, alors que la chimie représente actuellement moins d’un tiers de celles de Monsanto. Il s’est ainsi engagé à : ❙ céder toute l’activité semencière de Syngenta et ses traits OGM, une branche qui représente près de 21 % des ventes, soit 3 milliards de dollars. Les investisseurs estiment son prix à 8 Mds $, et citent BASF comme potentiel acheteur. ❙ céder certaines activités herbicides redondantes entre les deux entreprises. Monsanto, qui vend un désherbant très connu, le glyphosate, sous la marque Roundup, serait prêt à vendre le produit similaire dans la gamme de Syngenta. Si elle se concrétise, la fusion de Monsanto et Syngenta serait la plus importante jamais réalisée par un groupe américain sur une société européenne. Mais elle pourrait aussi se heurter à une opposition forte de l’opinion publique. Après de nombreuses autres actions ces dernières années, une marche contre Monsanto vient encore d’être organisée dans le monde entier en mai 2015, pour dénoncer la mainmise de l’Américain sur l’agriculture mondiale. Le glyphosate a pour sa part été classé en mars dernier cancérigène « probable chez l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer. 5 G R AINS PRIS ME - 09 GRAINS MONDIAUX : DANS LE SILLAGE DU PÉTROLE ? Le prix des céréales poursuit le fléchissement entamé en 2013 et seule la baisse de l’euro a permis un récent rebond au profit des producteurs européens. Ceci fait suite à des récoltes record en 2014/15, et cette abondance pourrait se maintenir ou presque, si l’absence de véritable inquiétude météorologique se poursuit. La demande n’étant pas prévue en forte hausse malgré les prix bas, les stocks se maintiendraient à un niveau élevé, prévenant la remontée des prix, sachant que rien n’est vraiment assuré, la récolte étant encore loin. La récente chute du pétrole, bien plus brutale que celle de la plupart des autres matières premières, montre un affaiblissement de la corrélation entre pétrole et prix agricoles. L’énergie pèse fortement dans les coûts variables de la production agricole, avec plus de 60 % des achats qui en dépendent étroitement. Mais son impact économique reste indirect, variable selon les cultures, les régions et les années, et n’est pas forcément lié directement au prix du pétrole. Les agrocarburants, débouché dont le rôle a été majeur après 2007, ont maintenant un rôle amorti car leur consommation est stabilisée et est régie surtout par la réglementation. Reste la dépendance commune du pétrole et de l’alimentation à la conjoncture économique : mais le pétrole bas peut être aussi bien un facteur de pouvoir d’achat qu’un signal de faible demande. LE MAINTIEN DES PRIX BAS DES CÉRÉALES : FIN D’UN CYCLE ? 1200 300 Sources : Banque mondiale, Agreste. Soja Rotterdam Maïs Golfe 5 4 /1 /1 01 3 01 /1 2 01 1 /1 01 0 Blé SRW États-Unis Maïs rendu Bordeaux /1 /1 9 8 /0 01 7 /0 /0 01 01 5 /0 01 5 /1 4 01 3 /1 /1 01 2 01 1 /1 01 /1 0 Pétrole Blé tendre Rouen 01 /1 01 /0 01 /0 01 /0 01 /0 01 /0 9 0 8 50 0 7 200 6 100 5 150 400 6 200 600 /0 800 250 01 1000 EUR/t u ❙ Prix du blé et du maïs USD/t u ❙ Prix du blé, maïs, soja et pétrole 01 La spectaculaire dégringolade du prix du pétrole, accélérée en novembre, a-t-elle interféré dans cette évolution, et doit-elle conduire à s’interroger sur une poursuite de la baisse pour les prix agricoles, qui n’ont pas connu une telle chute, sauf certains (le sucre en particulier, de façon cependant plus progressive) ? Une légère reprise du prix du pétrole est intervenue depuis janvier, et par ailleurs les matières premières non agricoles, qui ont décroché elles aussi, l’ont fait moins fortement dans leur ensemble, à l’exception du fer (-20 % depuis le palier de 2014 pour l’indice CRB des métaux, au lieu de -40 % pour le pétrole). Surtout, les liens entre pétrole et agriculture sont devenus très complexes, comme nous le constaterons. 01 En euros, l’effet est différent (2e graphique) : la baisse de l’euro par rapport au dollar, de 1,37 à 1,1 USD/EUR depuis un an, donne une impression de rebond et a permis de préserver la valeur de la production pour les Européens. 01 les liens entre pétrole et agriculture sont devenus très complexes... Le prix des grains dans leur ensemble a poursuivi au début de 2015 la lente érosion qui prévaut depuis 2013. Les prix en dollars sont aujourd’hui très proches du niveau atteint en 2009, qui n’avait pas duré, car les rebonds violents de 2010 et 2012 n’avaient pas tardé à suivre. Blé Rouen Maïs USA Sources : Banque mondiale, Agreste. 6 G R AINS PRIS ME - 09 ❙ Le temps de l’abondance se poursuit Les premières estimations pour 2015/16 tablent sur un repli des volumes, qui resterait léger. Elles viennent de sortir en avril-mai et sont bien entendu encore très précaires, car tout peut arriver dans les derniers mois avant la récolte, surtout pour le maïs qui est seulement en cours de semis en mai. L’option prise par les prévisionnistes est de réduire un peu les rendements par rapport au niveau exceptionnel de 2014/15. Le CIC (retenu pour les totaux mondiaux sur les graphiques) est ici un peu plus prudent que l’USDA. Au total, les surfaces doivent se maintenir à peu près (légère montée en blé et en soja) et les conditions climatiques n’ont pour l’instant pas donné lieu à des inquiétudes particulières. Un épisode El Niño est à nouveau attendu, comme en 2014, où finalement sa force est restée très modérée. Cette année, l’anomalie était présente au moins jusqu’en avril (à un niveau minimal) et la probabilité qu’elle se maintienne jusqu’à la fin de l’année est estimée en juin à 80 %. Cependant, l’amplitude du phénomène - s’il se confirme - est très aléatoire et les effets possibles le sont aussi, surtout en céréales (sécheresse en En blé, une baisse de production est cependant attendue en Europe, par retour à un rendement moins exceptionnel, ainsi qu’en Russie et Ukraine. Là-bas aussi, il s’agit d’une baisse de rendement qui s’ajoute à une perte de surfaces par suite de mauvaises conditions hivernales. Celui de 2014 était très bon, mais les conditions de cette année sont un peu moins favorables. En blé, la situation politique et économique de l’Ukraine, qui continue à être très délicate, joue modérément sur la production. Elle pourrait peser davantage sur d’autres cultures avec des impasses prévisibles sur les apports d’engrais. La Russie a abandonné le système de taxation des exportations de blé qu’elle avait mis en place au début de 2015, pour en instituer un nouveau. Le but est toujours d’éviter l’inflation des prix alimentaires et des charges pour les élevages, face à la chute du rouble et à la fuite possible de blé vers des exportations plus rémunératrices. Il s’agit désormais d’une taxe très faible, mais qui pourra monter selon le niveau des cours et aussi du rouble, qui s’est maintenant un peu redressé. Une récolte record devrait aussi être obtenue au Maroc, et un bon niveau en Égypte, limitant les besoins dans ces pays très importateurs. En maïs, l’enthousiasme est limité : seule la Chine devrait augmenter significativement sa production, les autres pays restant en dessous de leur record - mais il s’agirait quand même de la 3e récolte en volume après 2014 et 2013. Consommation Production Stocks clôture Stock pays exportateurs Canada, Australie, Argentine Mer Noire États-Unis Inde 15/16p 13/14 14/15e 12/13 11/12 10/11 09/10 08/09 07/08 06/07 05/06 04/05 03/04 15/16p 13/14 14/15e 12/13 11/12 10/11 09/10 08/09 07/08 06/07 0 05/06 100 0 04/05 200 100 03/04 300 200 02/03 400 300 01/02 500 400 00/01 600 500 02/03 700 600 01/02 800 00/01 700 Mt u 800 Mt u ❙ Production et consommation mondiales de blé Chine UE 27 Sources : CIC, USDA. Sources : CIC, USDA. Consommation Sources : CIC, USDA. Production Stocks clôture Mt u 1000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 0 00/01 01/02 02/03 03/04 04/05 05/06 06/07 07/08 08/09 09/10 10/11 11/12 12/13 13/14 14/15e 15/16p 1000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 0 Mt u ❙ Production et consommation mondiales de maïs 00/01 01/02 02/03 03/04 04/05 05/06 06/07 07/08 08/09 09/10 10/11 11/12 12/13 13/14 14/15e 15/16p La production de 2014/15 a finalement atteint ou dépassé le record de 2013/14 pour les principaux produits La production de 2014/15 a finalement atteint ou dépassé le record de 2013/14 pour les principaux produits (blé, maïs, soja, colza...). Ceci a bénéficié à la plupart des pays producteurs. Les quelques baisses (Australie, Canada, États-Unis en blé, Ukraine, Chine en maïs) ont été effacées par des records impressionnants : Union Européenne en blé comme en maïs et en colza, Chine, Russie en blé, États-Unis en maïs, et pour le soja, tous les grands producteurs : ÉtatsUnis, Brésil, Argentine. Australie et en Chine, mais effets favorables à l’ouest ?). Pour l’instant, il est difficile d’en attendre un impact précis. Ukraine UE 27 Brésil Chine États-Unis Sources : CIC, USDA. 7 G R AINS PRIS ME - 09 ❙ La demande ralentirait nettement Le stock mondial de maïs a vraiment été regonflé suite aux récoltes de 2013 et 2014 Selon les premières prévisions, la hausse de 2014/15 ne se renouvellerait pas : +0,2 à 0,3 % pour le blé contre à peu près 1,5 % sur 10 ans, - 0,1 à +1,3 % pour le maïs contre 3,2 % environ sur 10 ans. Malgré les prix bas, les prévisions ne retiennent pas de forte utilisation en alimentation animale (le CIC prévoit même une baisse), et la production d’éthanol américaine n’augmente pas. Le ralentissement attendu en Chine est net : moins de 2 % de croissance sur le maïs en 2015/16 comme en 2014/15 (le CIC voit +3,8 %, ce qui reste peu pour la Chine) ; pour le blé, une baisse et un retour au volume de 2011/12 sont attendus. La Chine importe en fait depuis quelques années de l’orge, pour la brasserie mais aussi pour l’alimentation animale, ainsi que du sorgho. Les importations pour ces deux céréales atteignaient 14 Mt au total en 2014/15 et ceci se renouvellerait 2015/16 selon l’USDA, contre 4 Mt en blé et maïs. C’est une des conséquences de l’arrêt des importations de maïs et de drèches de maïs étasuniens décidé par la Chine en 2013, parce qu’il s’agissait de variétés OGM non autorisées. Certaines ont été admises fin 2014, mais d’autres ne le sont pas pour l’instant, et des conditions supplémentaires pèsent aussi sur les importateurs de maïs, qui doivent acheter des grains issus des stocks publics. En outre, la Chine reste toujours, depuis la fin de l’année, en deçà de son objectif de croissance économique pour l’année : 5,9 % en avril pour la production industrielle, comparé à un objectif de 7 %. Le gouvernement en est à déployer des efforts de soutien (baisse des taux d’intérêt), de peu d’effet jusqu’ici, et pourrait passer à d’autres mesures plus fiscales, plus ciblées et au final plus coercitives. Sur le front de la consommation agricole, pas d’attente forte en tous cas. ❙ Au total les stocks se maintiendraient à un niveau élevé Il subsiste donc une grande incertitude sur le sens du bilan céréalier mondial : déficit de 1 à 2 % comme le pense le CIC, ou quasi équilibre comme l’avance l’USDA ? En fait le marché réagit sans donner signe d’inquiétude, car les stocks sont attendus à un niveau considéré comme plutôt abondant depuis les 3 dernières campagnes : 27 à 28 % de la consommation en blé, 19 % en maïs. Le stock mondial de maïs a vraiment été regonflé suite aux récoltes de 2013 et 2014. Mais par rapport à la progression de la consommation, et surtout en termes de stock disponible chez les exportateurs, le niveau reste limité. En blé il n’y a pas vraiment de changement par rapport aux dernières années. Comme d’habitude, c’est la Chine qui est réputée détenir la plus grande partie des réserves, et si le stock mondial prévu par l’USDA augmente, c’est en Chine, aussi bien pour le blé que pour le maïs, compte tenu des bonnes récoltes qui y sont attendues. Ce stock joue peu sur les prix mondiaux tant qu’il est peu sollicité. Si, comme on pouvait s’y attendre au vu des évolutions politiques chinoises, il commençait à être résorbé, cela aurait probablement un effet baissier (moins d’importations chinoises). Mais ce n’est pas ce que l’on constate pour l’instant. Le bilan attendu peut ainsi être à peu près équilibré, mais il pourrait également devenir excédentaire si les prévisions de récolte s’avéraient trop prudentes. Malgré le caractère relatif de cette abondance, il n’est pas prévu que les prix décollent à brève échéance, et ce d’autant plus que les investisseurs financiers sont peu enthousiastes sur le blé et le maïs. Les spéculateurs à court terme, dont les positions sont au plus bas ou presque, sont accompagnés par les investisseurs sur indice, dont les positions, maintenues sur la durée, tendent à s’éroder depuis 6 mois, davantage pour le blé. Ces positions plus vendeuses qu’en 2009 n’ont cependant pas entraîné les prix en dessous du niveau de l’époque. DANS QUELLE MESURE LE PRIX DE L’ÉNERGIE CONTRIBUE-T-IL AUX BAS PRIX AGRICOLES ? Trois leviers interviennent pour relier pétrole et nourriture : celui des coûts dans la production agricole et au sein de la filière ; celui de l’utilisation énergétique des produits agricoles (essentiellement les agrocarburants) et enfin celui de la demande générale, de la conjoncture économique dans son ensemble. cultures comparables, car intensives dans les deux cas : blé en France, maïs aux États-Unis). En France, ces trois postes représentent 80 % des frais variables et 60 % seulement aux États-Unis : dans ce pays, les semences représentent une part beaucoup plus importante des coûts variables, s’agissant du maïs. Les coûts de production : poids élevé, mais corrélation imparfaite. L’énergie est requise principalement à trois niveaux dans la production agricole de grandes cultures : les carburants, les engrais, les produits chimiques. On peut y ajouter le fret, dont le cours est lui aussi devenu particulièrement bas. Les carburants ne sont pas un poste majeur. Du reste, ils représentent une part minoritaire des coûts de mécanisation (15 à 20 %, mais jusqu’à 35 % aux États-Unis en maïs). Le poids des consommations liées à l’énergie dans la production agricole (carburants, engrais, pesticides) est lourd : il représente 1/3 environ des coûts de production totaux, en France comme aux États-Unis (en retenant des Ce sont les engrais qui constituent la plus grande part des frais variables dans les deux cas, et en premier lieu les engrais azotés (les 3/4 du poids des engrais environ). Ceux-ci ont comme premier coût le gaz naturel (70 à 90 % de leur valeur selon les cours et les origines géographiques). Quant aux pesticides, le poids de l’énergie dans leur prix de revient est plus limité, mais tout de même significatif. 8 G R AINS PRIS ME - 09 ❙ Coût de production maïs USA ❙ Coût de production blé en France 2011 : total 1 515 USD/ha. 2011 : total 1 552 €/ha. 68 155 217 364 341 171 78 171 80 65 62 372 221 63 264 103 Autres frais fixes Autres frais variables Main d’œuvre salariée et autre Équipements(amortissement) Foncier Engrais Carburants et autres énergies Pesticides Semences Autres frais fixes Engrais Carburants et autres énergies Pesticides Semences Autres frais variables Main d’œuvre salariée et autre Équipements(amortissement) Foncier Source : USDA ERS. Source : Arvalis. Le poids de l’énergie est donc important au total dans les coûts. Mais elle intervient d’une façon indirecte, variable selon les cultures, les régions et les années, et n’est pas forcément directement reliée au prix du pétrole. En France, en 2014, comme pour le maïs aux États-Unis, la vente du blé ne couvre pas son coût total de production ; c’est le cas même en intégrant les aides publiques. Par exemple, le coût du carburant a beaucoup augmenté dernièrement en Ukraine, compte tenu du taux de change. Le prix du gaz a lui évolué différemment selon les régions. Aux États-Unis, à l’ère des gaz de schiste, il n’est jamais remonté après le pic de 2008 et la chute qui a suivi et il est aujourd’hui plus bas qu’en 2006. Mais le prix des engrais azotés dans le pays, s’il a fléchi aussi en 2009 et 2010, est pour sa part reparti à la hausse. En France, le coût des intrants varie d’une façon amortie par rapport aux prix des sous-jacents. Au total, les coûts de production tels qu’ils sont suivis aux ÉtatsUnis montrent une croissance assez continue, qui reflète peu le coût réel de l’énergie (surtout du gaz) malgré le rôle majeur de celle-ci. La marge du producteur (hors aides publiques) est surtout dépendante du niveau des prix de vente, c’est-à-dire du marché des céréales, voire des marchés plus généralement. ❙ Coût de production et marges par ha, Maïs, EUA 2 500 2 000 1 500 1 000 500 0 -500 2007 2008 2009 Coût fixe Coût variable Source : USDA. Les producteurs ont aussi une capacité de réaction aux coûts. L’élasticité de la consommation de carburant agricole au Canada est estimée à 0,24 : une baisse de prix de 10 % entraîne un baisse de consommation de 2,4 % (meilleur entretien du matériel, moins de passages en culture…). Le choix des cultures peut aussi dépendre du coût de l’énergie. Mais ces réactions ne vont pas forcément dans le sens le plus intuitif. Le maïs a un coût de production à l’hectare beaucoup plus élevé que le soja, notamment parce qu’il est beaucoup plus demandeur en engrais azotés (364 USD/ha pour le maïs contre 56 USD/ha pour le soja, aux États-Unis). Comme les deux cultures se font concurrence dans les mêmes régions, le maïs pourrait être soutenu par la perspective de coûts allégés : mais cette année, on attend au contraire davantage de soja, car les prix bas sur le marché incitent à moins immobiliser de frais en culture, et surtout parce que les marges sur le soja se présentent mieux que sur le maïs, vu les prix de vente respectifs. Un nouveau lien pétrole - produits agricoles est intervenu dans les années 2000 avec les agrocarburants. Ce débouché énergétique allait dans le sens d’une hausse des prix agricoles, puisqu’il s’agissait d’une demande nouvelle c’était d’ailleurs le motif de sa création, sur les instances du secteur agricole, face à la stagnation des prix. USD/ha u En France, en 2014, comme pour le maïs aux États-Unis, la vente du blé ne couvre pas son coût total de production 62 208 2010 2011 2012 Revenu Marge sur variable 2013 2014 Marge nette Le prix du pétrole et celui des produits agricoles ont alors été fortement corrélés à partir de 2007. Les agrocarburants ont contribué à la hausse des produits agricoles : leur production a alors beaucoup augmenté, sans tenir compte de la tension qui existait à ce moment sur la ressource ; et l’essor attendu de ce secteur a contribué à l’intérêt porté par les investisseurs financiers, qui sont devenus actifs à l’achat. 9 G R AINS PRIS ME - 09 La corrélation pétrole-produits agricoles diminue à partir de 2012 et reste faible lors de la récente chute du pétrole. En fait, comme l’essentiel de la consommation d’agrocarburants est liée aux dispositions réglementaires prescrivant leur usage - il ne s’agit pas d’un véritable marché mais d’une consommation réglementée - l’élasticité reste limitée. Il s’agit presque d’une élasticité réglementaire : quand les prix baissent, certains pays augmentent le taux prescrit d’agrocarburants, comme au Brésil pour l’éthanol de canne récemment. Actuellement le débouché énergétique contribue à soutenir les prix agricoles, car c’est une composante significative de la consommation. Mais ce débouché est à peu près stabilisé, les pouvoirs publics étant devenus beaucoup plus prudents en la matière. Ils sont notamment retenus par les tensions qu’un tel essor est susceptible de provoquer surtout en cas de difficultés climatiques réduisant la production, et par la déforestation induite, directement ou indirectement. Par la suite, la question posée est de savoir si le fléchissement actuel est un signe de la fin d’un supposé « super-cycle » des matières premières. Différents analystes considèrent que cela ne va pas être le cas, au moins pour les produits agricoles, compte tenu de la population croissante, de ses besoins - ou envies - alimentaires et des limites sur les terres agricoles. Nous n’entrerons pas dans ce débat. Disons pour finir, comme il a été rappelé lors de la récente conférence Cyclope, que la baisse du prix du pétrole ne va pas dans le sens de la vertu. Les nécessaires mesures liées à l’urgence de la lutte contre le changement climatique (en cette année de conférence considérée comme cruciale à Paris fin 2015), devraient conduire à déconnecter le prix de marché du pétrole de son tarif à la consommation, par des dispositions appropriées de prix du carbone. Troisième composante du lien agriculture-pétrole, la demande générale et la conjoncture économique. Le pouvoir d’achat est bien sûr soutenu par la baisse du prix du pétrole - sauf dans les pays producteurs. En même temps, la baisse conjointe du pétrole et d’autres matières premières peut être un signal de baisse de régime économique - c’est en partie le cas aujourd’hui. 10 G R AINS Focus - Oléoprotéagineux FOCUS PRIS ME - 09 OLÉOPROTÉAGINEUX : LA MONTÉE DES PROTÉINES Comme pour les céréales, le prix des oléoprotéagineux est en glissement progressif depuis 2013, effet simplement atténué en euros. La demande évolue de façon un peu plus soutenue que pour les céréales, mais les récoltes de soja en croissance rapide depuis plusieurs années pèsent nécessairement sur les cours, d’autant que la production serait au moins maintenue en 2015/16. Le colza en revanche connaîtrait un repli après une poussée en 2013/14. Au sein du complexe oléoprotéagineux, on observe depuis quelques années un rééquilibrage de la valeur au profit des protéines, probablement lié à la moindre pression de la demande en agrocarburants. BAISSE CONTINUE DES PRIX ❙ Prix du colza (huile, graine, tourteau) 1800 1600 1400 1200 1000 800 600 400 200 0 1200 1000 800 EUR/t u ❙ Prix des principaux oléoprotéagineux USD/t u Exprimé en euros, le glissement est limité depuis la fin de 2014 par la baisse de l’euro contre dollar. Cela explique largement la meilleure tenue récente du colza, qui apparaît dans le second graphique. 600 400 200 5 /1 4 /1 01 3 01 2 /1 /1 Colza rendu Rouen 01 1 01 0 /1 01 9 /1 /0 Huile de colza 01 8 01 7 /0 01 /0 01 6 /0 5 01 Huile de palme Tourteau de soja 01 /0 5 /1 4 01 3 /1 /1 01 2 01 /1 1 Huile de soja Graine de soja 01 0 /1 01 9 /1 01 8 /0 01 7 /0 01 6 /0 01 /0 01 01 /0 5 0 Tourteau de colza Sources : Public Ledger, Agreste. Source : Banque mondiale. La production de soja apparaît en effet pléthorique. Les trois principaux pays producteurs, États-Unis, Brésil, Argentine, ont connu une récolte 2014/15 record, et qui fait suite à une progression continue depuis le creux de 2011/12. L’estimation faite pour le stock de fin de campagne (en totalisant graine, tourteau et huile) est en hausse, ce qui correspond à une consommation qui reste en retrait. Pour 2015, une stabilité de la production est prise comme hypothèse par l’USDA, ce qui conduirait à une nouvelle augmentation du stock. L’huile de palme au contraire voit ralentir un peu sa production et baisser son stock, d’où le rattrapage de prix. La perspective d’un épisode El Niño, même modéré, soutient son prix car l’Asie du Sud-est, d’où part plus de 80 % de l’huile de palme mondiale, serait la première touchée par ses effets. ❙ Graine de soja : production et stocks 350 300 Mt u Chine Argentine 250 Brésil 200 EUA Production Stocks graine, huile, tourteau 150 100 15/16p 14/15e 13/14 12/13 11/12 10/11 09/10 08/09 07/08 06/07 05/06 04/05 03/04 0 02/03 50 01/02 Soja : les trois principaux pays producteurs, États-Unis, Brésil, Argentine, ont connu une récolte 2014/15 record Le prix des huiles végétales est en repli presque continu depuis 2013. Les prix se retrouvent proches de leur niveau de 2009, sans cependant tomber à l’étiage de 2006. En 2014, l’huile de soja a rattrapé l’huile de palme, qui avait dévissé plus vite. Source : USDA. 11 G R AINS Focus - Oléoprotéagineux PRIS ME - 09 Pour le colza, une certaine baisse de la production est attendue. Elle fait suite à deux années exceptionnelles, au Canada en 2013/14, en Europe en 2014/15. Une diminution des surfaces interviendrait en Europe. Les moratoires sur les insecticides néonicotinoïdes sont mis en cause : au Royaume Uni les producteurs affirment que la culture du colza est impossible sans ces produits. Mais leur nocivité envers les abeilles tend à se confirmer. ❙ Graine de colza : production et stocks Mt u 80 70 60 Inde Chine 50 Canada 40 UE Production Stocks graine, huile, tourteau 30 20 15/16p 14/15e 13/14 12/13 11/12 10/11 09/10 08/09 07/08 06/07 05/06 04/05 03/04 01/02 0 02/03 10 Source : USDA. LA DEMANDE SE PORTE PROGRESSIVEMENT VERS LES PROTÉINES Depuis quelques années, la valeur des graines oléoprotéagineuses se porte davantage vers les protéines plutôt que vers l’huile : pour le colza, qui contient 40 % d’huile, celle-ci représentait pendant longtemps 75 % environ de la valeur : c’est plutôt 65 % depuis 2013. Pour le soja (20 % d’huile) on est passé de 40 % à 30 %. ❙ Part de l’huile dans la valeur du colza et du soja 90 % 80 % 70 % 60 % 50 % 40 % 30 % 20 % 10 % 0% La limitation de ce débouché, qui intervient surtout en Europe et pour le colza, contribue au repli des semis de colza. L’oléagineux privilégié de l’Europe pourrait être globalement moins apprécié, étant surtout riche en huile, avec un tourteau moins qualitatif que celui de soja. Pour l’instant, la demande est suffisante pour éviter cela. Pendant ce temps, la demande de protéines fourragères se redresse aux États-Unis (remontée de l’effectif de porcs en particulier), mais la grippe aviaire pourrait peser sur la consommation. En France, la saison 2014/15 a été particulièrement faste pour le colza, en termes de surfaces et de rendements, après le trou de 2013/14. Pour la récolte 2015, la surface resterait stable : si le rendement reste moyen, une baisse limitée de production peut intervenir. 6 5 Mt u ❙ Bilan français du colza 4 Ceci est vraisemblablement lié à un effet du plafonnement de la production d’agrogazole, dont la consommation a atteint environ 12 % des huiles végétales mondiales (10 % pour l’huile de palme, 13 % pour le soja, 23 % pour le colza). Production de colza Utilisations intérieures Production d’huile Production d’agrogazole 5p /1 14 4e /1 13 3 /1 12 2 /1 11 1 /1 10 0 /1 09 08 /0 9 0 07 Sources : Public Ledger, Agreste, Banque mondiale. 1 8 5 /1 4 01 3 /1 /1 01 2 /1 01 01 1 /1 % huile dans valo soja graine 2 /0 % huile dans valo colza 01 0 9 /1 /0 01 8 /0 01 01 7 /0 6 /0 01 /0 01 5 3 01 la demande mondiale fléchit quelque peu, même si la Chine continue d’importer massivement Dans son ensemble, la demande mondiale fléchit quelque peu, même si la Chine continue d’importer massivement. Le soja et les huiles en général continuent à voir croître leur consommation plus rapidement que les céréales, surtout pour les tourteaux (+4 à 6 % environ), avec ici la Chine qui ne faiblit pas. Le colza est dans l’ensemble moins porteur. Exportations totales Sources : FranceAgriMer, FOLicht, Oil World. 12 G R AINS Focus - Blé FOCUS PRIS ME - 09 BLÉ : FINALEMENT, PAS TROP DE MAL Les graves problèmes de qualité dont souffrait la récolte 2014 ont pu être en partie neutralisés, surtout par des efforts accrus sur le grand export. D’une manière atypique, les exportateurs ont pu développer des ventes de blé fourrager et trouver des destinations nouvelles et lointaines, alors que les clients habituels du Maghreb recherchaient ailleurs leurs blés meuniers - sauf l’Egypte dont la France est cette année devenue le premier fournisseur. Cela grâce à la baisse de l’euro, au retrait partiel de la Russie et à un coût du fret très faible. Le stock final est ainsi moins élevé qu’initialement anticipé, mais il s’ajoutera à une future récolte qui pourrait être très abondante, au vu de semis record. La filière met en place diverses mesures pour améliorer la qualité future. DES PROBLÈMES DE QUALITÉ À RÉSOUDRE Les perspectives étaient ainsi plutôt ternes, avec en octobre 2014 des prévisions d’exportations à la baisse à moins de 16,8 Mt (pays tiers à 8 Mt) et des stocks en hausse, à 4,4 Mt. Les utilisations intérieures en revanche devaient augmenter, surtout en alimentation animale. En fait, cela n’a pas été le cas, car la concurrence du maïs, au prix écrasé par une récolte encore plus extraordinaire, a joué pleinement. Le volume de blé consacré à la panification est pour sa part prévu plutôt en légère hausse (il ne représente de toute façon que 8 % de la récolte), mais l’approvisionnement n’a pas été très facile. Au total les meuniers ont pu être livrés relativement normalement grâce au travail des organismes stockeurs, suite aux investissements dans des tables densimétriques et à la reconstitution de lots plus homogènes. Durant la campagne la qualité a cependant été très recherchée en meunerie, avec une prime de 30 à 40 EUR/t, bien supérieure à celle de l’année précédente. Ces différences de prix ne sont pas reflétées par le cours du blé Euronext/ Matif (n° 2), c’est pourquoi a été créé un nouveau contrat Euronext n° 3 (qualité supérieure) qui a commencé à être coté en mars. Ses volumes ne sont cependant pas encore significatifs. De son côté, le nouveau contrat de blé en euros coté à Chicago qui était annoncé pour avril 2015 a désormais du plomb dans l’aile, l’opérateur américain (CME) ayant annoncé en mars que sa création restait à confirmer. L’exportation vers l’Europe n’a pas non plus été très porteuse, compte tenu de la concurrence intérieure (Allemagne, Pologne, Lituanie...). C’EST UNE NOUVELLE FOIS LE GRAND EXPORT QUI A ÉTÉ LE RECOURS La prévision actuelle est remontée à 10,6 Mt pour les pays tiers, en retrait par rapport au record de l’année précédente, mais bien plus qu’initialement prévu. 40 35 30 Mt u ❙ Bilan français du blé tendre Production 25 Exportations totales 20 Utilisations intérieures 15 10 Exportations pays tiers 14/15e 13/14 12/13 11/12 10/11 09/10 08/09 07/08 06/07 05/06 04/05 03/04 02/03 0 01/02 5 00/01 ... beaucoup de blés se retrouvaient en qualité fourragère Le blé français a connu une récolte record en 2014, mais des problèmes de qualité eux aussi exceptionnels ont fortement inquiété la filière : taux de protéine faible et dégradation de l’amidon traduite dans un faible « temps de chute de Hagberg ». La qualité boulangère était ainsi très fortement diminuée en moyenne, et beaucoup de blés se retrouvaient en qualité fourragère. Sources : FAM, Agreste. 13 G R AINS Focus - Blé le tarif du fret particulièrement bas a permis des exportations lointaines PRIS ME - 09 Mais ni les produits exportés, ni les destinations ne ressemblent au schéma habituel. Les organismes stockeurs ont innové, la France a exporté beaucoup de blé fourrager et elle a trouvé une série de destinations inédites pour des petits volumes à chaque fois : en particulier en Asie, Thaïlande, Bangladesh, Japon, Philippines, Turquie, Mexique... On peut mentionner aussi les remarquables exportations d’orges vers la Chine. C’est un facteur capital pour l’Egypte qui cherche surtout des prix compétitifs et dont les exigences qualitatives sont un peu moindres qu’en Algérie. Un autre atout de l’origine France a été le ralentissement des exportations russes, traditionnellement très bien placées (et offrant un niveau de protéine particulièrement avantageux) : les freins à l’exportation, puis la taxe mis en place début 2015, ont pesé sur le blé meunier russe. Les destinations habituelles au Maghreb ont cependant fléchi : Algérie, Maroc, au moins en partie du fait de leurs exigences de qualité, notamment en Hagberg, peut-être aussi pour l’Algérie, l’effet de la baisse du prix de l’énergie sur les ressources du pays et enfin, face à la concurrence des autres pays européens. Enfin, le tarif du fret particulièrement bas a permis les exportations lointaines qui ont permis d’écouler certains lots. En revanche, la France a réussi sur cette campagne à devenir le premier fournisseur du GASC, l’agence nationale d’importation égyptienne, alors que le débouché égyptien était toujours très en retrait habituellement. Elle a vendu jusqu’au 5 mai plus de 2 Mt (contre 660 000 t l’année précédente), devançant la Roumanie, la Russie et l’Ukraine. Les exportations françaises ont été aidées par trois facteurs : tout d’abord la baisse de l’euro. L’Europe dans son ensemble en a profité, avec des exportations encore supérieures au record de 2013/15, déjà considérable. Le prix de l’origine française s’est trouvé très compétitif sur l’ensemble de la campagne jusqu’en mai. POUR 2015 : DES SEMIS RECORD Le stock prévisionnel de fin de campagne n’est ainsi plus que de 3,6 Mt en mai selon FranceAgriMer. Mais il serait ainsi à son plus haut niveau depuis 2000 au moins, et il contiendra beaucoup de blés de qualités difficiles à valoriser, donc la campagne n’en sera pas facilitée. D’autant plus que la récolte pourrait être à nouveau importante : les semis de blé se situent selon les premières estimations à un niveau record (dépassé seulement au début du siècle dernier), à 5,2 Mha. Dans ce contexte, la filière réfléchit beaucoup à la qualité, avec plusieurs initiatives pour la renforcer, car la dégradation progressive des blés français est dénoncée régulièrement. On leur reproche le faible taux de protéines, mais aussi l’humidité, la densité trop faible. Une nouvelle classification a été élaborée, précisant mieux les qualités et correspondant au nouveau contrat Euronext. Les producteurs ont annoncé cette année un choix de variétés favorisant davantage le taux de protéines, et des programmes de terrain sont en cours pour optimiser les modalités de la fertilisation azotée. 14 D R O NE S PRIS ME - 09 DRONES ET AGRICULTURE : AU-DELÀ DU BUZZ… LE DRONE EST DANS LE PRÉ L’usage d’aéronefs autonomes ou semi-autonomes dans l’agriculture n’est pas récent. Certains servent à des traitements aériens ; leur utilisation en France est concentrée sur le diagnostic et le recueil de données. L’émergence d’une nouvelle génération de drones moins coûteux et plus faciles à mettre en oeuvre offre désormais des perspectives inédites aux applications en agriculture de précision. Avec près de 270 sociétés de services spécialisées sur des applications agricoles sur les 1 380 opérateurs civils de drones 1, l’agriculture française fait figure de pionnière dans l’usage de ces équipements, grâce en particulier à la mise en place prévue d’un cadre réglementaire clarifiant les règles d’usage. Alors même que nous n’en sommes qu’aux prémices du développement des services agronomiques associés aux drones, et que les coûts et la concurrence satellitaire demeurent élevés, ce marché paraît prometteur et doit désormais entrer dans une phase de structuration et de développement de l’offre. UN CADRE RÉGLEMENTAIRE FRANÇAIS FACILITATEUR la France demeure le premier pays au monde à avoir posé un cadre légal strict visant à réglementer l’usage de ces appareils Les drones aériens sont des aéronefs autonomes ou semiautonomes capables de voler sans présence humaine à bord. Ils sont équipés d’un système de bord permettant le vol de façon préprogrammée ou « débrayable » en mode manuel (contrôle par le « télépilote »). Dès lors que les images sont exploitées à des fins autres qu’un vol de loisir ou de compétition, le vol des drones est soumis à la réglementation aérienne avec notamment une certification des télépilotes et la déclaration obligatoire des vols auprès de la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile). Les États-Unis ont très récemment proposé une libération de l’espace pour les drones à visée commerciale 2, mais la France demeure le premier pays au monde à avoir posé un cadre légal strict visant à réglementer l’usage de ces appareils. Les circulaires émises par la DGAC à partir d’avril 2012 prévoient à ce titre des scénarios assez restrictifs 3. Les survols « sauvages » qui ont récemment défrayé la chronique ne militent pas pour un assouplissement de ces règles. UN USAGE FOCALISÉ SUR LE DIAGNOSTIC A l’échelle mondiale, les usages peuvent être classés en deux catégories principales : le traitement (pulvérisation en général), et le diagnostic (recueil de données géo-référencées sur l’état des cultures). ❙ pour le traitement, l’appareil doit être capable de vols stationnaires, avec une charge utile plus importante, tout en évitant les obstacles proches du sol, ce qui est le cas des drones à voilures tournantes (de type « multi-rotors »). Ces deux branches impliquent des différences technologiques sur l’architecture des drones : En France, l’épandage aérien de pesticides est interdit, et la tendance est plutôt à la suppression des dérogations existantes, compte tenu des risques de contamination pour les habitations et pour les cours d’eau en particulier. Ceci s’applique aussi aux drones, comme aux hélicoptères et aux ulm. ❙ pour le diagnostic, l’appareil emporte le bon capteur (en visible ou en infrarouge) à une altitude assez élevée pour éviter tous les obstacles et peut couvrir de grandes surfaces rapidement, ce qui est le cas des drones à voilure fixe (de type « mini-avion ») ; 1 - Selon F Barré (INRA), B Solan (Arvalis). 2 - http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/le-ciel-americain-s-entrouvre-enfin-aux-drones-884683.html 3 - Arrêté du 11 avril 2012 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui les utilisent, version consolidée du 22 avril 2015. 15 D R O NE S PRIS ME - 09 DE LA RÉCOLTE DE DONNÉES À LA PRÉCONISATION AGRONOMIQUE ❙ Ces mesures sont intégrées dans un ensemble de données de référence ❙ Le drone recueille les données de terrain la précision obtenue s’approche de l’échelle centimétrique et est supérieure à celle d’un satellite... Après décollage et positionnement automatique via GPS, l’appareil enregistre des clichés pris à intervalles réguliers tout au long du trajet préprogrammé. Après l’atterrissage, les données sont récupérées, et une cartographie de la parcelle est reconstituée grâce au croisement des données et des coordonnées GPS. Selon François Barré de l’Inra et Benoît de Solan d’Arvalis, la réalisation d’une ortho-carte nécessite en moyenne une centaine de passages au-dessus de la parcelle afin d’obtenir un recouvrement efficace des prises de vue. D’autres modes de recueil de données existent : directement sur les tracteurs, par avion ou ulm, ou par satellite. L’image obtenue avec un drone ne diffère pas structurellement d’une image satellite ; mais la précision obtenue s’approche de l’échelle centimétrique et est supérieure à celle d’un satellite du fait de l’altitude de vol plus faible. Le drone permet surtout de ne pas être gêné par les nuages. Les constructeurs de drones les plus en pointe dans le domaine agricole proposent des capteurs dédiés : systèmes de prise de vue évolués, capteurs infrarouge, multispectraux ou de réflectance ou bien encore caméras thermiques. Le choix du capteur embarqué dépend de la mesure recherchée : biomasse, taux de chlorophylle, densité foliaire, stress hydrique ou simple imagerie (estimation de dégâts causés par des nuisibles par exemple). Cependant, la récolte de données brutes ne représente qu’une partie de l’équation, ces informations devant être analysées et interprétées afin d’aboutir à des stratégies concrètes et directement utilisables par les exploitants agricoles. L’aide à la décision repose avant tout sur le géo-référencement des données mesurées sur la culture. L’expert opère par comparaison avec des mesures déjà réalisées et avec des bases de données. Celles-ci sont alimentées en partie par des informations publiques (« open data ») météorologiques, topographiques, géologiques. Il utilise aussi des informations privées, générées par chaque agriculteur, qui sont sécurisées et uniquement partagées par la société de conseil avec ses clients (données historiques conservées, données de la coopérative dont l’agriculteur est membre, données du fournisseur de semences et de phytosanitaires). ❙ Le traitement de l’information est alors assuré par les sociétés de conseil En dehors des mesures, la valeur ajoutée provient donc aussi bien de l’utilisation des données de référence et de terrain que des modèles biologiques, agronomiques, zootechniques, écologiques qui sont destinés à permettre des prises de décision dûment confortées. Il faut cependant savoir que l’interprétation des images obtenues est encore d’ordre expérimental et n’est pas efficace sur tous les types de cultures. Ce travail nécessite les compétences spécifiques de l’expert, souvent issues de collaborations avec les organismes de recherche agricole comme Arvalis. Les prescripteurs peuvent être les sociétés exploitant les données issues de satellites, telles Farmstar (développé par Arvalis, Cetiom et Airbus Defence and Space). Les entreprises utilisant le satellite couvrent d’ailleurs toute la chaîne de traitement allant de la mesure jusqu’à l’édition d’un conseil pouvant se présenter sous la forme d’outils d’aide à la décision en ligne ou de cartes de préconisations. Cette filière du conseil intégré existe déjà car près de 25 % des surfaces cultivées font aujourd’hui l’objet d’un abonnement aux images satellites. Les activités de conseil en agriculture de précision affichent selon le cabinet Alcimed une croissance de l’ordre de 14 % en rythme annuel avec un chiffre d’affaires mondial estimé à 3,7 Mds $ à l’horizon 2018. ❙ La filière de conseil agronomique Instituts techniques Associations Information, avertissement, etc. (Arvalis, CTIFL, Comifer, etc.) Distributeurs Élaboration d’outils Seuls ou en collaboration Sociétés privées (Yara, GPN, Astrium, etc.) Prescripteurs Distribution, conseil, utilisation, assistance technique, etc. Agriculteurs Coopératives, Chambres d’agriculture, conseil Source : SupAgro Montpellier, Irstea. 16 D R O NE S PRIS ME - 09 ❙ Des applications agricoles qui demeurent encore limitées, tout en progressant vers l’agriculture de précision le nouveau plan éco phyto maintient l’objectif de diviser par deux l’usage des pesticides L’utilisation du drone agricole ou d’autres systèmes de recueil de données vise à faire progresser vers l’agriculture de précision. Celle-ci a pour objectif de maximiser et régulariser les rendements, tout en assurant une utilisation raisonnée des intrants qui s’inscrit naturellement dans la progression de l’exigence environnementale. Ainsi, le nouveau plan éco phyto maintient l’objectif de diviser par deux l’usage des pesticides, même si cet objectif est reporté à 2025. Le facteur clé de l’agriculture de précision est bien la donnée et tous les moyens permettant d’en obtenir de nouvelles. Grâce à elles et à leur interprétation il est alors possible de doser le plus finement possible l’usage des intrants sur les seules zones qui les réclament. l’optimisation concernent le travail du sol, le semis, la pulvérisation de produits phytosanitaires et l’épandage d’engrais. Cela demande, par exemple, outre le guidage, de disposer d’équipements de coupure automatique des tronçons, avec fermeture différentielle des buses, sur le pulvérisateur et d’un dispositif d’ouverture automatique des trappes pour épandeur centrifuge d’engrais. Le secteur de l’agroéquipement intègre désormais en option pour la plupart des nouveaux matériels l’autoguidage fondé sur la cartographie des parcelles, avec localisation précise des rangs de semis. Il existe aujourd’hui des matériels pulvérisant à moins de 3 cm du sol, permettant d’appliquer des dosages précis aboutissant à une réelle diminution des volumes de phytosanitaires. Par exemple, afin de déterminer les apports en engrais ou en phytosanitaires et leur cadencement, on observe l’état nutritionnel de la plante à différents moments, et à partir des prélèvements et de mesures de température au sol lors du passage des matériels il est possible de compléter l’analyse par des images de parcelles. La variabilité à l’intérieur des parcelles est une problématique forte. Les rendements peuvent varier de 20 à 30 % sur de très courtes distances, d’où le bénéfice de pouvoir moduler les traitements à cette échelle. En pratique, l’application dépend du niveau de performance des équipements mécaniques, qui doivent avoir le niveau requis de précision. Les principaux matériels qui permettent Analyse parcellaire d’un champ par drone. VERS UNE INTÉGRATION DE L’OFFRE Les sociétés de conseils agronomiques se reposent entièrement pour la partie matérielle sur les offres de constructeurs de drones généralistes. La filière de constructeurs français de drones compte une cinquantaine de fabricants répertoriés par la DGAC, mais peu atteignent le stade de production en série, parmi lesquels Parrot. Dans le domaine agricole, ceux-ci opèrent au travers de filiales spécialisées : Delair-Tech (filiale de Parrot), Delta Drone, Fly-n-Sense (groupe Viva Santé). Parmi les constructeurs étrangers, on pourra citer Lehmann Aviation, DJI Innovation, HoneyComb (modèle Agdrone), PrecisionHawk (Lancaster), 3DRobotics, Agribotix (Hornet) ou encore AgEagle (Rapid System). Pour opérer dans le domaine agricole, les constructeurs de drones doivent travailler avec des prestataires de conseils agronomiques. C’est là où se situe l’essentiel de la valeur ajoutée et de la marge. La plupart du temps l’agriculteur ou la coopérative achètent un abonnement et non un matériel. Ainsi dans le domaine spécifique de la vigne qui est le plus adapté à ce type d’agriculture de précision, le parteneriat Vitidrone associe les industriels Vitivista et Fly-n-Sense, et la société australienne d’imagerie Specterra. Selon l’opérateur RedBird, spécialisé dans la prestation de services aux professionnels, seuls 10 % des opérateurs sont aujourd’hui à même de livrer des solutions complètes intégrant à la fois la captation et le traitement des données pour répondre à une demande spécifique. Ces sociétés sont ainsi à la fois opérateurs de drones et prescripteurs. Des modèles différents existent, comme celui d’Airinov, qui a mis en place Agridrone, un réseau d’opérateurs locaux, constitué d’exploitants désirant s’engager dans une activité complémentaire. Ils effectuent les vols sur leur exploitation afin d’identifier des problèmes agronomiques, avec des drones eBee de Parrot qui a investi 1,6 M€ dans la société. Ils peuvent aussi travailler pour d’autres clients de la région. Une fois les vols effectués, l’opérateur adresse les données à Airinov et ce dernier renvoie après traitement et interprétation les cartes et conseils aux clients. 17 D R O NE S PRIS ME - 09 ❙ Concurrence satellitaire et coûts sont de réels freins au développement du marché Les drones sont en concurrence frontale avec le satellite qui représente à l’heure actuelle la principale source de données alimentant les outils d’aide à la décision et les modèles utilisés en agriculture de précision. Pour l’opérateur, un drone accompagné d’un ensemble adapté aux besoins agricoles, comprenant matériel, capteur, logiciels de planification de vol, le coût de l’investissement est de l’ordre de 28 000 €. Les drones sont en concurrence frontale avec le satellite qui représente à l’heure actuelle la principale source de données Pour l’utilisateur, le satellite présente un profil économique qui plaide en sa faveur. Selon Farmstar, ses services permettent de générer un gain de l’ordre de 25 €/ha pour un coût d’abonnement au service de l’ordre de 15 €/ha/an. L’imagerie obtenue avec un drone coûte environ 45 à 80 €/ha/an (pilotage, prise de vues, interprétation). Le coût devrait cependant baisser dans les années à venir, avec le grand nombre de fournisseurs de services. Airinov annonce une préconisation de fertilisation colza basée sur deux couvertures par drone, pour 15 €/ha plus 1 € pour les cartes de modulation : en la matière, la définition de la prestation devra être précise pour juger de la performance. Le coût d’utilisation d’un drone se justifie particulièrement pour certains types de cultures qui exigent une précision de l’ordre de l’inter-rang comme le maraîchage, la culture de la betterave ou pour des cultures à haute valeur ajoutée comme la vigne (notamment les grands crus). Le coût demeure, selon Benoit Solan d’Arvalis, prohibitif pour les céréales. Une mutualisation technique est possible, avec une complémentarité entre les données issues des drones et des satellites. La récente collaboration entre Airbus DS/Arvalis et le constructeur Delta Drone, afin d’alimenter la solution Farmstar Expert, en est un exemple flagrant et pourrait fournir des images à des prix plus bas. ❙ Une filière prometteuse mais en devenir La filière française se structure et les business modèles s’affinent, grâce notamment à la mise en place d’un des premiers cadres réglementaires dans le monde. L’existence d’acteurs compétents s’appuyant sur une recherche agricole à la pointe représente également un atout fort pour le développement des applications agricoles des drones. Toutefois, pour que les perspectives prometteuses donnent naissance à un marché économiquement viable, des évolutions doivent avoir lieu : ❙ en premier lieu, positionner les drones dans l’ensemble du flux d’information qui alimente l’agriculture de précision afin de jouer notamment la carte de la complémentarité avec l’apport satellitaire ; ❙ ensuite, structurer la filière, du constructeur aux spécialistes de la préconisation agronomique, en renforçant l’intégration, ce qui permettrait de diminuer les coûts et de développer l’innovation afin de multiplier les applications. Tout ceci fait ressortir l’importance des données en agriculture : comment elles sont produites, comment elles sont stockées et utilisées, qui les met en œuvre et qui les contrôle. Un sujet que nous développerons dans un de nos prochains numéros... ❙ Ailleurs dans le monde... Au Japon ou aux États-Unis, où la réglementation sur les dosages des produits phytosanitaires est beaucoup moins précise qu’en Europe et qu’en France, les drones sont utilisés depuis longtemps dans le domaine de la pulvérisation. Les autorités japonaises ont été confrontées au double problème du vieillissement de la population des riziculteurs et de l’isolation croissante des parcelles au milieu de nouvelles constructions immobilières limitant l’utilisation traditionnelle de l’hélicoptère pour le traitement phytosanitaire. L’intérêt pour une solution plus précise et d’une mise en œuvre facile a abouti aux drones de la série Rmax de Yamaha depuis la fin des années 90. La conjonction d’une motorisation thermique de 246 cm3 et d’un rotor principal de plus de 3 mètres permet à l’engin d’embarquer une charge de plus de 30 kg pour traiter les sols, voire une rampe d’épandage d’engrais. Mais c’est l’intégration d’un système de contrôle miniaturisé permettant un pilotage aisé qui représente le principal intérêt de l’appareil. Près de 2500 d’entre eux sont en service, principalement au Japon ainsi qu’en Australie et en Nouvelle Zélande. Dans le domaine de la pulvérisation aérienne, de nouveaux débouchés sont également escomptés suite à des tests dans les vignes de la Napa Valley, aux États-Unis, le drone pouvant couvrir jusqu’à 5 hectares à l’heure, au lieu d’un demi-hectare par tracteur. PRISME - 09 Note de conjoncture - Juin 2015 Directeur de la publication : François MOURY Rédacteur en chef : Isabelle JOB-BAZILLE Rédacteurs : Brigitte HELAINE, Noël ISORNI, Chum-Kau LY, Catherine MOLLIERE, Claudine ROUSSEAU, Véronique VIGNER Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A., à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification, Elle est réalisée à titre purement informatif. Ni l’information contenue, ni les analyses qui y sont exprimées ne constituent en aucune façon une offre de vente ou une sollicitation commerciale et ne sauraient engager la responsabilité du Crédit Agricole S.A. ou de l’une de ses filiales ou d’une Caisse Régionale. Crédit Agricole S.A. ne garantit ni l’exactitude, ni l’exhaustivité de ces opinions comme des sources d’informations à partir desquelles elles ont été obtenues, bien que ces sources d’informations soient réputées fiables. Ni Crédit Agricole S.A., ni une de ses filiales ou une Caisse Régionale, ne sauraient donc engager sa responsabilité au titre de la divulgation ou de l’utilisation des informations contenues dans cette publication. Réalisation : Art6 - Photos : 123rf / Goodshoot. PRISME - 09 Retrouvez-nous La note de conjoncture Agriculture et Agroalimentaire - Juin 2015 ❙ Sur http://etudes-economiques.credit-agricole.com Rubrique Secteur Agriculture et Agroalimentaire ❙ Abonnement gratuit : cliquez ici