le droit des ressortissants étrangers aux prestations sociales

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le droit des ressortissants étrangers aux prestations sociales
LE DROIT DES RESSORTISSANTS ETRANGERS AUX PRESTATIONS SOCIALES
Novembre 2014
Tout propos et toute action en la matière doivent viser à répondre aux préoccupations
légitimes des Français, qui considèrent qu’ils payent pour les étrangers, à dissiper un certain
nombre de fantasmes (il est faux de dire que les étrangers ont droit à toutes les prestations
sociales dès leur arrivée en France) et à formuler des propositions crédibles, c’est-à-dire
solides juridiquement, dans un environnement normatif extrêmement contraint.
Le principe de base est que les étrangers en situation régulière peuvent normalement
prétendre aux mêmes prestations que les Français, sous réserve de distinctions qui doivent
être justifiées au cas par cas par une différence de situation pertinente. A l’inverse, les
étrangers en situation irrégulière ne peuvent revendiquer les mêmes droits que les Français
et les étrangers en situation régulière, mais la Constitution et certaines normes internationales
leur garantissent un « socle minimal » de prestations.
En conséquence, les marges de manœuvre juridiques sont extrêmement limitées dans le
premier cas, et plus importantes dans le second. A noter que les ressortissants de l’Union
bénéficient de conditions plus favorables qui ne sont pas abordées ici1.
1/
ETRANGERS EN SITUATION REGULIERE
S’agissant des prestations de sécurité sociale stricto sensu (assurance maladie, accidents du
travail, retraite et famille) et l’assurance chômage, les marges de manœuvre sont quasiment
nulles sur le plan juridique, en raison de contraintes tant constitutionnelles qu’internationales.
Et, excepté pour les allocations familiales (financées par la CSG et les employeurs), la
légitimité d’une restriction est éminemment douteuse, alors que ces prestations sont la
contrepartie des cotisations versées par le salarié. Il apparaît préférable de ne pas modifier
l’état du droit en la matière, et de l’assumer. Il est tout à fait normal qu’un étranger qui
séjourne régulièrement en France, qui exerce le même travail qu’un Français et qui s’acquitte
des mêmes cotisations sociales bénéficie de la même couverture sociale.
En revanche, il apparaît légitime d’instituer une condition de durée de résidence
minimale pour les « prestations non contributives », c’est-à-dire celles qui ne trouvent pas
leur contrepartie directe dans les cotisations sociales versées par le salarié. Il est choquant, en
effet, qu’un étranger fraîchement débarqué en France puisse bénéficier de prestations qui ont
été financées par l’impôt des personnes qui y résident de longue date. Au contraire, il apparaît
1
Ils peuvent bénéficier de l’ensemble des prestations d’aide sociale sans condition de résidence, s’ils sont
travailleurs, ou après un séjour de 3 mois dans les autres cas. Ils peuvent être éloignés s’ils deviennent une
« charge déraisonnable » pour le système d’assistance sociale (ce qui est le cas s’ils bénéficient pendant une
durée excessive des prestations d’aide sociale).
1
légitime d’exiger une forme d’auto-suffisance sociale des étrangers (hors ressortissants de
l’Union) dans les premiers temps de leur séjour.
Cette condition pourrait être propre aux étrangers en matière de logement : aide personnalisée
au logement (APL) et droit au logement opposable (DALO)2. Sauf à dénoncer la convention
OIT n° 97, cette condition ne pourrait pas s’appliquer aux travailleurs migrants (qu’on peut
réduire aux titulaires des cartes « salariés », « salariés en mission » et « travailleurs
saisonniers »).
Juridiquement, il semble plus difficile de conditionner le droit à la CMU à une durée de
résidence propre aux étrangers. Mais il apparaît possible d’augmenter la durée de résidence
minimale commune aux Français et aux étrangers. Actuellement de 3 mois, elle pourrait être
portée à 2 ans. De la même façon, une condition de durée de résidence de 2 ans, commune
aux Français (ce qui viserait concrètement les retours d’expatriation) et aux étrangers, pourrait
être instituée s’agissant des allocations familiales. Les Français résidents comprendraient mal
qu’à l’heure où on demande aux familles d’importants efforts financiers, les étrangers ne
soient pas mis à contribution et bénéficient au contraire d’allocations payées par ceux qui
s’acquittent de longue date de leurs impôts sur notre territoire.
S’agissant de l’aide sociale, une condition de résidence est d’ores et déjà prévue pour le RSA
(5 ans) et le minimum vieillesse (10 ans). Une condition de 2 ans, représentative de la période
au cours de laquelle on estime qu’un étranger doit disposer des moyens nécessaires à sa
propre prise en charge, pourrait être instituée pour l’allocation adulte handicapé (AAH), la
prestation de compensation du handicap (PCH) et l’allocation personnalisée d’autonomie
(APA).
2/ ETRANGERS EN SITUATION IRREGULIERE (ESI)
La réforme devrait reposer sur un principe simple : les étrangers en situation irrégulière
sont pris en charge par la collectivité à titre provisoire, dans la limite de ce qui est
strictement nécessaire jusqu’à ce qu’ils quittent le territoire ou, à titre exceptionnel,
qu’ils soient régularisés.
2.1. Aide médicale d’Etat
Le budget de l’AME a progressé de 25 % entre 2012 et 2013, pour atteindre 744 millions
d’euros (M€). Le dynamisme des dépenses et le développement de la fraude donnent à penser
que la charge atteint ou atteindra à brève échéance le milliard d’euros.
Sauf à réviser la Constitution, il paraît impossible de supprimer purement et simplement
l’AME, sans la remplacer par un dispositif adapté. L’opportunité d’une telle mesure serait en
outre douteuse sur le plan sanitaire. Des restrictions sévères doivent en revanche y être
apportées.
Il conviendrait donc :
•
à titre liminaire, sur un plan symbolique, de supprimer formellement l’AME au profit
d’une simple « dispense provisoire de frais de santé » (DPFS) ;
2
S’agissant du DALO, il faudrait plus radicalement s’interroger sur le bien-fondé du maintien d’un dispositif
dans lequel l’Etat se condamne lui-même en surchargeant les juridictions administratives au passage, au lieu
d’affecter ces crédits au logement…)
2
•
de limiter la DPFS à la prise en charge des urgences sanitaires et des maladies
infectieuses et contagieuses (hors mineurs), ce qui est le cas dans 19 Etats membres
de l’Union3.
•
et surtout de supprimer le droit à la DPFS en l’absence de dépôt d’une demande
de titre de séjour dans un délai raisonnable (2 mois) après la délivrance de
l’attestation (ce dépôt permet aux intéressés de bénéficier d’une autorisation
provisoire de séjour, donc d’être en situation régulière le temps que leur situation soit
examinée, donc de bénéficier de la CMU). Les préfectures et les CPAM se
communiqueraient les informations nécessaires à la gestion des dossiers.
Pour que cette suppression soit effective, il conviendrait de mieux encadrer la délivrance des
soins aux étrangers bénéficiant de la dispense :
• D’une part, en limitant l’utilisation de cette aide à des établissements agréés, et en
particulier des établissements publics de santé.
• D’autre part, en obligeant ces établissements à informer sans délai les autorités de la
prise en charge d’une personne étrangère en situation irrégulière ne bénéficiant
pas de la dispense, comme c’est le cas en Allemagne. A défaut, l’hôpital ne
bénéficierait d’aucune prise en charge par l’assurance maladie, voire pourrait
s’exposer à des sanctions financières infligées par l’agence régionale de santé.
Pour sécuriser juridiquement le dispositif, il conviendrait de dénoncer le paragraphe 1 de
l’article 13 de la Charte sociale européenne, ce qu’il est possible de faire, sans remettre en
cause l’ensemble de la convention.
En revanche, il n’est pas proposé de restaurer la franchise de 30 euros : d’une part, ce
dispositif fonctionnait mal et était lourd à gérer pour les CPAM ; d’autre part, elle n’apparaît
pas justifiée s’agissant essentiellement de soins d’urgence, répondant à une logique
humanitaire.
2.2. Hébergement d’urgence
Là encore, la Constitution garantit un droit minimal à l’hébergement de toute personne, y
compris en situation irrégulière.
La contrepartie de ce droit doit être l’examen systématique de la régularité du séjour des
personnes accueillies et leur éloignement, le cas échéant.
Une première possibilité consisterait à exiger des gestionnaires de centres qu’ils
communiquent immédiatement l’identité des étrangers en situation irrégulière qui s’adressent
au centre d’hébergement d’urgence (CHU) afin de procéder sans délai à leur placement en
rétention. On peut toutefois craindre que cette mesure ne suffise pas, faute de coopération des
gestionnaires associatifs de centres.
3
Dans 11 de ces 19 pays, les soins d’urgence restent payants (Autriche, Bulgarie, Danemark, Finlande, Grèce,
Hongrie, Irlande, Lettonie, Pologne, République tchèque et Suède). Dans les 8 autres pays, ces soins sont, de
droit ou en fait, gratuits (Allemagne, Chypre, Estonie, Roumanie, Slovaquie, Lituanie et Luxembourg).
3
Une mesure plus efficace consisterait à limiter le droit à l’hébergement d’urgence des ESI
à des centres spécialisés, gérés par l’Etat et incluant un dispositif d’examen des
demandes de séjour, en lien avec les services de la préfecture et les centres de rétention.
Ces centres seraient mis en place par reconversion de centres existants. Corollairement, il
serait fait obligation aux gestionnaires des centres « de droit commun » de réorienter les
intéressés vers ces centres dédiés, et interdiction de les accueillir dans les premiers, sous peine
de sanction administrative voire pénale. La plupart des Etats de l’Union européenne excluent
les étrangers en situation irrégulière de leur dispositif classique d’hébergement d’urgence, ou
l’assortissent d’une obligation d’enregistrement en vue de leur éloignement (cas de
l’Autriche, de l’Allemagne, des Pays-Bas…).
3/ DEMANDEURS D’ASILE
L’enjeu essentiel est la réduction des délais d’examen des demandes (cf. note sur l’asile), qui
réduira d’autant la charge afférente aux prestations qui leur sont dues, en application des
directives européennes. Il conviendrait toutefois d’exploiter toutes les possibilités ouvertes par
la directive de 2013 et, à ce titre, de supprimer le droit à l’hébergement en CADA et à
l’allocation temporaire d’attente aux étrangers qui se soustraient à leurs obligations (non
réponse aux convocations…). La directive permet aussi de limiter les prestations sociales pour
les demandeurs d’asile qui n’ont pas déposé leur demande au moment où ils entraient en
France.
En outre, les centres dédiés évoqués au point 2.2 pourraient aussi héberger des demandeurs
d’asile.
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Principales propositions en matière de prestations sociales aux étrangers
I. ETRANGERS EN SITUATION REGULIERE
1. Exiger l’ « auto-suffisance sociale » des nouveaux entrants : l’idée générale est
d’introduire une condition de durée de résidence de 2 ans pour les prestations non
contributives pour lesquelles il n’existe pas déjà une condition de résidence plus
contraignante : CMU, AAH, PCH, APA. Il doit en aller de même des APL et du
DALO, sauf pour les travailleurs migrants. Selon les prestations, il conviendrait ou
non d’instituer une durée commune aux Français et aux étrangers, afin de renforcer la
solidité juridique de la proposition.
2. A défaut, refuser l’aide sociale à ceux qui refusent de s’intégrer : il s’agirait de
sanctionner la méconnaissance du contrat d’accueil et d’intégration par la réduction ou
la suppression de prestations sociales, comme l’aide personnalisée au logement.
II. ETRANGERS EN SITUATION IRREGULIERE
3. Transformer l’aide médicale d’Etat en « dispense provisoire de frais de santé » :
• Limiter la DPFS à la prise en charge des urgences sanitaires et des maladies
contagieuses (hors mineurs), dans des établissements agréés.
• Supprimer tout droit à la DPFS (hors mineurs) en l’absence de dépôt d’une
demande de titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la remise
de l’attestation.
• Obliger les établissements agréés, à peine de sanction financière, à signaler
toute prise en charge d’un étranger sans titre ne disposant pas d’une attestation
DPFS.
4. Mettre fin à l’inconditionnalité du droit à l’hébergement d’urgence :
• Limiter le droit à l’hébergement d’urgence des étrangers en situation irrégulière
à des centres spécialisés (par reconversion de centres existants), gérés par
l’Etat et incluant un dispositif d’examen des demandes de séjour, en lien avec
les services de la préfecture et les centres de rétention.
• Faire obligation aux gestionnaires des centres d’hébergement de droit commun
de réorienter les intéressés vers les centres dédiés, sous peine de sanction
(retrait d’agrément, voire sanction pénale).
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