la dissuasion française garante de notre indépendance au xxie siècle

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la dissuasion française garante de notre indépendance au xxie siècle
LA DISSUASION
FRANÇAISE GARANTE DE
NOTRE INDÉPENDANCE
AU XXIE SIÈCLE
NOTE n° 31 - Fondation Jean-Jaurès
ORION - Observatoire de la défense - 13 octobre 2015
Gwendal Rouillard*
*Président d’Orion Observatoire de la
Défense de la Fondation
Jean-Jaurès, député de
Lorient, secrétaire de
la commission de la
Défense nationale et
des Forces armées à
l’Assemblée nationale.
L
e non-respect récurrent des accords de Minsk II, l’expansionnisme chinois en
mer de Chine, l’implantation de missiles balistiques russes à Kaliningrad, la
modernisation des arsenaux stratégiques américains et russes, le renforcement des
arsenaux pakistanais, indiens, nord-coréens, les tentations nucléaires de plusieurs pays et
la prolifération des vecteurs sont autant de démonstrations que le XXIe siècle sera nucléaire.
Dans ce contexte où l’article 6 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires
(TNP) semble être plus que jamais un vœu pieux, où le mémorandum de Budapest de
1994 est désormais caduc, la dissuasion demeure pour la France la garantie ultime de
la sécurité, de la protection et de l’indépendance de la Nation. La pérennisation de sa
dissuasion concourt à la cohérence de l’ensemble du dispositif militaire de la France et
lui permet d’assumer pleinement ses responsabilités à l’échelle mondiale.
La publication du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a permis
d’exposer la cohérence d’ensemble de l’appareil de défense. À cette occasion, la posture
nucléaire française fut rappelée : « La dissuasion nucléaire a pour objet de nous protéger
contre toute agression d’origine étatique contre nos intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et
quelle qu’en soit la forme. […] L’emploi de l’arme nucléaire ne serait concevable que dans
des circonstances extrêmes de légitime défense. »
La dialectique nucléaire de notre pays repose sur l’ambiguïté entourant la définition de
nos intérêts vitaux – à la discrétion du chef de l’État –, sur la vocation exclusivement
défensive de l’arme nucléaire. Ceci évacue de fait tout débat sur une évolution doctrinale
tendant vers un concept d’emploi et le développement d’armes de bataille. Elle repose
également sur la mise en adéquation des intérêts vitaux et des capacités de la dissuasion.
En outre, le président de la République François Hollande a utilement rappelé lors de son
discours d’Istres que l’arme nucléaire pourrait si nécessaire être employée en guise d’ultime
avertissement afin de rendre impossible un conflit majeur ou de restaurer notre dissuasion.
Orion, Observatoire de la défense de la Fondation Jean-Jaurès, est un laboratoire d’analyse et de propositions
dans les domaines de la réflexion stratégique, de la gestion des crises internationales et de paix, et en matière
de politique militaire et d’armement. Présidé par Gwendal Rouillard, il réunit des responsables politiques, des
fonctionnaires civils et militaires, des universitaires et des experts.
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INDÉPENDANCE AU XXIE SIÈCLE
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Instrument de souveraineté, la dissuasion nucléaire est la prérogative ultime du chef de
l’État. L’assurance absolue de l’indépendance de la France.
C’est à l’automne 1956, sur les rives du canal de Suez en Égypte, que les responsables
politiques français prennent conscience de l’importance stratégique que revêt l’acquisition
de l’arme atomique ; la France venait de recevoir un ultimatum de l’Union soviétique et
de subir son premier chantage nucléaire. Deux ans plus tard, la Constitution de la Ve
République détermine par son article 5 que le président de la République « est le garant
de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. » François
Mitterrand ne s’y trompait pas lorsque, le 16 avril 1983, – en pleine crise des euromissiles
– il affirma : « La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion, c’est le chef de l’État, c’est
moi ; tout dépend de sa détermination. Le reste, ce ne sont que des matériaux inertes. »
Le chef de l’État, son appréciation des intérêts vitaux de la Nation et sa détermination en
font la clé de voute de la dissuasion. Depuis près de 51 ans, les présidents de la République
successifs ont reconnu que le développement de l’arme nucléaire et de ses vecteurs –
écartant toute forme de chantage y compris de nature nucléaire – offre à la France une
liberté de décision et d’action indispensable pour garantir l’indépendance nationale.
Paradoxalement, malgré son importance stratégique, jamais le poids de la dissuasion n’aura
été aussi contracté pour les finances publiques.
En 2015, aux titres des différents programmes (144, 146, 178 et 212), sont disponibles des
enveloppes de 3,7 milliards d’euros en crédits d’engagement et de 3,3 milliards d’euros en
crédits de paiement. La dissuasion nucléaire représentera donc 21 à 22 % des dépenses
d’équipement, entre 11 et 12 % du budget de la défense et seulement 0,17 % du PIB.
Toutefois, l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) voit la part des crédits
consacrés à la dissuasion subir un léger tassement, conséquence du choix de consacrer
les crédits nouveaux et les crédits redéployés au profit des équipements conventionnels.
Au titre du programme 146, l’effort au profit de la dissuasion nucléaire s’élèvera, sur la
période 2015-2019, à environ 19,7 milliards d’euros courants, soit 22,45 % sur la période,
en léger retrait par rapport à la LPM initiale (le pourcentage était alors de 22,75 %).
Synonyme d’exigence technique, d’extrême complexité, de fiabilité, de sécurité et de sureté,
la dissuasion a toujours été un levier pour l’industrie française. La dissuasion dans son
ensemble garantie, au quotidien, des dizaines de milliers d’emplois directs et indirects
hautement qualifiés, à haute valeur ajoutée et non délocalisables.
L’investissement important dans le programme simulation (notamment le laser mégajoule
et les supercalculateurs du projet « Tera » conduit par le Commissariat à l’énergie atomique
et aux énergies alternatives (CEA) permettant de qualifier et garantir des armes robustes
– c’est-à-dire peu sensibles aux variations technologiques et aux évolutions des matériaux
nucléaires – a eu un effet d’entrainement considérable sur l’industrie militaire mais aussi
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civile. Le centre de calcul recherche et technologie (CCRT), le développement de Ter@
tec, la création de « la route des lasers » et les partenariats importants avec des acteurs
industriels ont permis d’obtenir des retombées significatives en matière d’aéronautique,
d’optique, de climatologie, de géologie, d’hydrologie, d’astrophysique, de santé publique,
etc.
La dissuasion est également un vecteur de coopération scientifique et militaire de premier
ordre avec nos alliés de premiers rangs (États-Unis et Royaume-Uni).
Au-delà des statistiques, évaluer la dissuasion nucléaire au seul prisme de son coût pour nos
armées serait faire fi de son impact majeur sur nos capacités classiques et de la dualité de
nos équipements. Des satellites de renseignement au développement d’avions ravitailleurs
en passant par le développement constant de nos sous-marins nucléaires d’attaque, la
dissuasion nucléaire porte, depuis son avènement, en grande partie les programmes de
défense les plus ambitieux de notre pays. Tandis qu’une nouvelle période de modernisation
de la dissuasion approche, il est indispensable de rappeler que la dissuasion nucléaire est
totalement imbriquée dans le domaine de la défense, y compris conventionnelle, et que
ses capacités d’entrainement sur l’industrie, la recherche et la formation ont toujours été
l’un des moteurs économiques les plus performants de notre pays.
Toutefois, malgré la flexibilité de l’armement nucléaire offert par la mise en œuvre des
composantes océanique et aéroportée, la dissuasion nucléaire n’a pas vocation à traiter
toutes les menaces. Une force de dissuasion sans capacités conventionnelles verrait sa
crédibilité affectée car elle ne répondrait pas aux exigences d’efficacité, de fiabilité et
de sureté. Un adversaire pourrait contourner facilement, par le bas, notre doctrine de
dissuasion en lui faisant perdre toute crédibilité ou décapiter par une frappe préemptive nos
moyens dissuasifs et ainsi nous obliger à augmenter le critère de suffisance de nos forces.
Sans satellites de renseignement d’origine électromagnétique, d’observation terrestre et
maritime, nous ne pourrions pas mettre en œuvre le ciblage. Sans moyens autonomes de
guerre électronique, de guerre sous-marine, nos composantes aériennes et sous-marines
seraient vulnérables et probablement incapables de délivrer un ultime avertissement ou
de garantir une frappe en second. Sans moyens offensifs significatifs (avions de combat,
missiles de croisière, frégates lance engins) matérialisant un seuil significatif d’engagement
de la France, notre pays ne serait pas en mesure d’assurer sa propre dissuasion.
Valorisation doctrinale, valorisation opérationnelle, valorisation budgétaire, polyvalence
des moyens justifient le niveau et la répartition de nos engagements financiers dans la loi
de programmation militaire. La complémentarité des forces nucléaires et conventionnelles
est totale et garantit à tout moment la liberté d’action de la France, assure sa capacité à
entrer en premier sur un théâtre d’opération. De plus, la complémentarité et la cohérence
nucléaire/conventionnelle sont aussi présentes dans tout le personnel concourant à la
crédibilité de la stratégie générale de la France. C’est en croisant, partageant, valorisant
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les cultures différentes et le parcours professionnel de tous les acteurs que cette crédibilité
est atteinte.
Le spectre de maintien de compétence et d’exigence de très haut niveau, de maîtrise de
savoir-faire technique et opérationnel, de parcours professionnel de valeur est large. Il va
de la recherche amont/fondamentale, à la mise en œuvre en passant par la production
des armes, des vecteurs sous-marins, balistiques et aériens associés, de moyens de
renseignement satellitaire, terrestre, maritime et aéroporté, de navigation autonome, de
guerre électronique, de protection et de fiabilité des communications, la maîtrise de
la propulsion, de la furtivité et de la discrétion dans les domaines visible, infra rouge,
acoustique et électromagnétique, etc. La pérennité de ce spectre, par la maîtrise du
renouvellement du personnel, est un impératif à préserver afin de garantir notre autonomie
de décision et notre capacité d’entrée en premier sur un théâtre d’opération.
Ces critères d’exigence ont permis à la France, dès les années 60 de reprendre toute
sa place sur la scène internationale dans une approche de suffisance capacitaire où le
facteur humain a donné, très tôt, tout son sens à la cohérence de l’ensemble Doctrine,
Organisation, Ressources humaines, Équipement, Soutien. Ce fut aussi le regroupement
dans un seul corps des différents ingénieurs spécialistes de milieux au sein de la Délégation
ministérielle de l’armement, créée afin de répondre au besoin d’une conduite optimum
et de la maîtrise des programmes complexes nucléaires, missiles-engins, électronique
nécessaires aux forces nucléaires stratégiques dans une « œuvre commune ».
La période 2014-2019 est marquée à la fois par la poursuite de la modernisation des
composantes et par la préparation de leur renouvellement afin de permettre, demain,
la continuité de la permanence à la mer des forces océaniques stratégiques (FOST) –
invulnérable, garante de la frappe en second et par conséquence, de la crédibilité de la
dissuasion – et de la prise d’alerte nucléaire des forces aériennes stratégiques (FAS). La
composante océanique bénéficiera notamment de la livraison du M 51.2 avec sa tête
nucléaire océanique, de l’adaptation de deux SNLE NG au missile M 51, du lancement
des travaux d’élaboration du sous-marin nucléaire lanceur d’engin de 3e génération et du
lancement du développement de la future version du missile M 51. La modernisation
de la composante aéroportée sera poursuivie, notamment par la livraison de Rafale
permettant la transformation du second escadron nucléaire, le lancement des travaux de
rénovation à mi-vie du missile ASMP-A et des études technologiques de son successeur.
Le renouvellement des ravitailleurs C 135 (56 ans en 2019), longtemps retardé, a été
engagé par l’acquisition d’une flotte de 12 MRTT, dont les deux premiers seront livrés
sur la période. Ces nouveaux appareils répondront au besoin mutualisé des fonctions de
dissuasion, de protection et d’intervention. Les systèmes de transmissions nucléaires feront
l’objet de mesures de modernisation touchant principalement les réseaux d’infrastructures
de transports des services, le système de transmissions de la composante océanique, le
système de transmissions de la composante de dissuasion aéroportée et le système de
communication de dernier recours.
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Pourtant des choix devront être faits afin de garantir l’avenir de la dissuasion à long terme.
Les études amont portant sur le remplacement du porte-avion Charles de Gaulle devront
être entreprises. La montée en puissance probable de la défense anti-missile balistique dans
les vingt prochaines années pose dès aujourd’hui la question des armements de demain. La
France fera-t-elle le choix d’un missile plus rapide et à plus longue allonge, s’engagera-t-elle
dans la voie de l’hyper vélocité, quelle place sera donnée à des vecteurs dont les trajectoires
ne sont plus balistiques ? Quelle place sera donnée aux armes électromagnétiques comme
arme de dissuasion aux menaces cybernétiques ? De ces choix dépendra la capacité de
la France à assurer la dissuasion mais surtout sa capacité à peser sur l’évolution de notre
monde.
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