Blog Obea_Exemplarite

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L'exemplarité : vertu ou nécessité pour les DRH ?1
Charles-Henri Besseyre des Horts, HEC Paris
Professeur Associé, HEC Paris
Senior Advisor Obea
A la suite des évènements qui ont marqué l'année 2011, que ce soient les remises en cause des
dirigeants de plusieurs pays dans les mouvements du "printemps arabe", des responsables d'une grande
entreprise automobile dans le cas d'une dénonciation infondée de pratiques frauduleuses, et d'une
personnalité politique dans une affaire privée, la question de l'exemplarité se trouve posée lorsqu'on
est en situation de leadership face à un groupe humain. Dans le cadre de l'entreprise, en dehors du
comportement du dirigeant, ce sont également les comportements des autres responsables, et plus
généralement de l'ensemble des managers, qui seront évalués
pour juger de leur exemplarité par
rapport aux valeurs qui sont affichées. Dans ce contexte, le DRH est interpellé sur sa capacité à être
exemplaire lui-même mais aussi, et surtout, à veiller que les comportements de l'ensemble des
managers, en commençant par les dirigeants, soient des exemples perçus comme tels par l'ensemble
des collaborateurs. Face au défi de l'engagement des collaborateurs, y compris de celui des cadres2, le
DRH peut-il faire l'économie d'une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour développer
l'exemplarité que ce soit au nom d'une vertu réputée universelle ou, de façon plus pragmatique, comme
une nécessité dans une entreprise devenue de plus en plus transparente3 ?
L'exemplarité comme vertu
Si l'on se réfère à la définition de la vertu donnée par le Petit Larousse, elle est "une disposition
constante qui porte à faire le bien et à éviter le mal" dans son sens littéral. Wikipédia4 propose de
définir la vertu comme "un habitus de la volonté, acquis par répétition des actes, et qui habilite
l'homme à agir bien". Ces deux définitions mettent en avant la dimension morale de la vertu avec le
"bien" comme un résultat positif du comportement de l'individu. Il est certain que l'exemplarité
attendue des responsables, dirigeants et managers, relèvent aujourd'hui de cette dimension morale tant
la question des valeurs ne s'est jamais posée avec une telle vigueur dans un contexte où l'entreprise
traditionnelle doit céder progressivement la place à un nouveau modèle d'organisation plus basée sur la
confiance que sur le contrôle.
1
Une version précédente de cet article a été publié dans « Personnel », ANDRH, juillet 2011.
Courpasson D. & JC Thoenig ; Quand les cadres se rebellent, Vuibert, 2008.
3
Meyer C. & J Kirby : "Leadership in the age of transparency", Harvard Business Review, Avril 2010, p38-46
4
http://fr.wikipedia.org/wiki/Vertu
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1
Or, pour créer la confiance, les managers et les collaborateurs ont besoin de s'identifier à des leaders
exemplaires qui représentent pour eux des "role models" (modèles de rôles) agissant pour le bien de
l'entreprise et, plus généralement, pour celui de la communauté. Les DRH doivent être
particulièrement vigilants pour éviter que se creuse l'écart entre le discours et les réalités lorsque, par
exemple, des dirigeants s'affichent comme exemplaires avec des décisions "socialement responsables"
mais dont leur mise en œuvre est très loin d'être exemplaire. L'entreprise peut alors courir un risque de
réputation très dommageable à moyen et long terme surtout auprès de certaines parties prenantes (les
futurs collaborateurs, les consommateurs, les communautés..) qui n'hésiteront pas, en cas de nonrespect des valeurs affichées, à activer les réseaux sociaux ou d'autres formes de communication non
contrôlée comme l'a montré l'exemple récent de Wikileaks à l'égard des Etats.
L'exemplarité comme nécessité
Dans une situation où les nouvelles générations ont des attentes radicalement différentes de celles qui
les ont précédées, et où les technologies de l'information ont fait éclater les frontières de l'espace et du
temps, il est illusoire de vouloir conserver des modèles de management désormais obsolètes. Les DRH
sont bien conscients de leur rôle primordial pour recréer du sens dans l'entreprise mais leurs discours
et leurs actions resteront lettre morte si l'exemplarité des dirigeants, et plus généralement celle de
l'ensemble des managers, n'est pas au rendez vous. Comment convaincre les collaborateurs de
changer ou de se mobiliser, en cas de nécessité, si l'exemple ne vient pas d'en haut ?
Deux aspects sont particulièrement importants aux yeux de tous dans l'entreprise car ils comportent
une dimension symbolique sur le plan de l'exemplarité : le premier concerne les rémunérations pour
lesquelles les décisions de réduction ou de suppression du bonus des dirigeants
ont un impact
favorable important sur l'engagement collaborateurs en cas de situation difficile, le second aspect
concerne le changement lui-même qui reste trop souvent au niveau de la rhétorique des dirigeants qui
poussent les autres - managers et collaborateurs - à changer sans qu'ils sortent eux-mêmes de leur
zone de confort pour progresser. Sur ces deux aspects, on comprend facilement l'importance du rôle
des DRH qui doivent agir en "catalyseurs" de l'exemplarité dans l'entreprise à commencer par euxmêmes car eux aussi, et sans doute plus que d'autres dirigeants, doivent être exemplaires dans leurs
décisions et leurs actions.
Les limites de l'exemplarité
Comme tout modèle idéal, l'exemplarité comporte également ses propres limites car si l'on retient
l'idée de l'exemplarité comme une vertu, il existe une autre définition de la vertu que propose le petit
Larousse à savoir une "qualité qui rend propre à produire certains effets : pouvoir, propriété". Cette
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perspective peut amener les dirigeants,
et d'autres responsables de l'entreprise,
à adopter des
comportements pourtant réputés comme exemplaires mais qui peuvent la conduire à sa perte tant la
pression de la culture est forte pouvant résulter dans une forme d'aveuglement sur la perception du
bien et du mal. On peut être en présence d'un phénomène bien connu en psycho-sociologie, celui du
"groupthink"5 qui ne reconnait aucune place aux individus pouvant alerter l'entreprise sur des
décisions et actions inopportunes. Le rôle des DRH pourrait être alors celui de "whistleblowing"
(donner un coup de sifflet) pour signaler aux parties prenantes les dérives éventuelles d'une
exemplarité excessive. Ce serait une occasion de plus pour eux de prendre une certaine distance par
rapport à leur fonction et à leurs pratiques et d’éviter la syndrôme « Lost in Human Resources »6
5
Whyman, W. & R Ginnett: "A question of leadership: What can leaders do to avoid groupthink?". Leadership
in Action, May2005, pp.13-14
6
Besseyre des Horts, CH :"Lost in Human Resources : revenir aux fondamentaux du pourquoi et du comment
pour les DRH", Personnel, Mai 2011, pp. 86-87.
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