Le geste suicidaire chez l`enfant : mesure du phénomène
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Le geste suicidaire chez l`enfant : mesure du phénomène
Journal de pédiatrie et de puériculture (2015) 28, 197—204 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com POINT DE VUE DU PSY Le geste suicidaire chez l’enfant : mesure du phénomène, caractéristiques épidémiologiques et recommandations de base Suicidal gesture in French children: Measure of the phenomenon, epidemiology and basic recommendations J. Vandevoorde a,b,∗ a Laboratoire IPSé, université Paris Ouest-Nanterre, 200, avenue de la République, 92000 Nanterre, France b Accueil de psychiatrie, hôpital René-Dubos, 6, avenue de l’Île-de-France, 95300 Cergy-Pontoise, France Reçu le 25 mars 2015 ; accepté le 9 juin 2015 MOTS CLÉS Suicide ; Tentative de suicide ; Idée suicidaire ; Recommandations ; Mort ∗ Résumé Le geste suicidaire chez l’enfant est un phénomène rare et dramatique. En 2011, 36 enfants se sont donnés la mort (Cepidc). Dans l’ordre de fréquence, les moyens les plus utilisés sont la pendaison, l’auto-intoxication, le saut dans le vide et la décharge par arme à feu. Le développement de la notion de mort chez l’enfant s’acquiert progressivement. Le sens du mot suicide est compris aux alentours de 8 ans mais il n’est pas nécessaire que l’enfant ait une représentation aboutie de la mort pour effectuer un geste suicidaire. La médiatisation de tels gestes, l’émoi qu’ils provoquent ainsi que la difficulté à les étudier scientifiquement nous invitent à une rigueur particulière sur la lecture des études et l’interprétation des résultats. Nous ne disposons pas encore de théories ni de recherches sur le traitement du processus suicidaire chez l’enfant. Les principales recommandations consistent à prendre au sérieux les idées suicidaires, à privilégier la sécurité du patient en cas de situation aiguë, à mener une multiple évaluation, à empêcher l’accès aux moyens létaux et à mettre en œuvre une prise en charge maximaliste, dirigée et planifiée. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Correspondance. Hôpital René-Dubos, 6, avenue de l’Île-de-France, 95300 Pontoise, France. Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.jpp.2015.06.005 0987-7983/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 198 KEYWORDS Suicide; Suicide attempt; Suicidal ideation; Recommendations; Death J. Vandevoorde Summary The suicidal gesture at the child is a rare and dramatic phenomenon. In 2011, 36 children committed suicide in metropolitan France. Among these children, 27 (75%) died by hanging, strangulation and oppression, 4 (11%) died by auto-poisoning, 4 (11%) died further to a jump in the space and 1 (3%) died by discharge of a firearm. Twenty-three were boys and 13 of the girls. Suicide attempts at the child are more difficult to quantify. Three French studies having concerned the suicide attempts of the minors under age 15 show that the girls are more numerous than the boys. Most of the suicide attempts take place in the family place of residence by voluntary medicinal ingestion. The development of the notion of death at the child acquires itself gradually and requires to understand five fundamental notions: the termination of biological office, the irreversibility, the unpredictability, the universality, the determinism and the inescapability. The sense of the word commits suicide is understood near 8 years whereas most of the children know how to name at least a means of potentially mortal auto-aggressive acting out. The clinical presentations show that it is not necessary that the child has an accomplished representation of the death to make a suicidal gesture. The suicidal gesture does not still mean a real will to die but frequently the wish to obtain a change of his own internal state or the state of its environment. Rather than to die, the patients wonder how to exist. The mediatization of such gestures, the emotion, which they so cause, and the difficulty studying them scientifically invites us in a particular rigor on the reading of the studies and the interpretation of the results. It seems besides essential to distinguish the childhood of the adolescence in the epidemiological studies, to watch the definition of the suicidal gesture which is used, to be all eyes in the excessive generalization of the results, to distinguish staff and rates of committed suicide, to distinguish the causes and the suicidal motives, to study the rate of rescue and to examine the method of interrogation of the patients. We do not still arrange theories nor researches on the treatment of the suicidal process at the child. The main recommendations consist (1) to take seriously suicidal elements (ideation, threat), (2) to practice a somatic examination in case of actual suicidal gesture, (3) to use a protocol of dismantling of the crisis, (4) to practice a multidisciplinary evaluation following the rule of ‘‘4 evaluations’’ (evaluation of the risk factors, the family and social situation of the child and the possible elements of danger, evaluation of a psychiatric pathology, evaluation of the psychological processes, evaluation of the suicidal process [preparatory behavior, suicidal ideation. . .]), (5) to relieve immediately the suffering of the child, (6) to imply families and social network and to inform the patient and the circle of acquaintances about the care, (7) to prevent the access to the lethal means, (8) to practice a structured, managed and strategic maximalist care, (9) to implement a suicidal monitoring at the exit of hospitalization (regular and moved closer consultations, phone reminder, house call), (10) to operate a follow-up of prevention of the suicidal relapses, (11) to establish the long-term treatment (ambulatory, psychotherapy, etc.). Most of the authors recommend the development of a better accessibility of the professionals to the formations in suicidology and a regular supervision for those who are daily confronted with acts or threats containing such violence. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction Bien qu’elle soulève des interrogations méthodologiques et cliniques, la réalité du geste suicidaire chez l’enfant semble aujourd’hui admise par la plupart des cliniciens. La gamme des comportements suicidaires chez les moins de 13 ans est similaire à celle de l’adulte bien que les formes cliniques et la psychopathologie en soient différentes : idéation suicidaire [1], menace suicidaire, tentative de suicide et suicide. Le jeune Max, 11 ans, nous a décrit comment un soir il s’était présenté devant son père, couteau à la main et avait menacé de s’enfoncer l’arme dans le ventre. Le lendemain, dans l’automobile familiale l’emmenant à l’école, il avait émis le souhait de se jeter sous un train ou d’avoir un accident de voiture. Quelques études de cas rapportent de même l’utilisation, par les enfants, de moyens létaux extrêmes : tir de pistolet dans la tête, pendaison, étouffement, coup de couteau à la gorge, ingestion de produits extrêmement corrosifs [2]. Le suicide chez l’enfant est rare et dramatique. Relayé par les médias, il peut générer un émoi considérable dans la population et nécessite de ce fait, comme nous le rappelle De Tournemire [3], une attitude sobre et modeste sur l’explication et la mesure d’un tel phénomène. Nous nous proposons ici de faire le tour de la question en abordant Le geste suicidaire chez l’enfant successivement les aspects méthodologiques, épidémiologiques et les principales recommandations cliniques. Les questions méthodologiques Mesurer l’intention : définition et concept de mort chez l’enfant Mishara [4] et Berthod et al. [5] rappellent que la manipulation mentale du concept de mort nécessite l’intégration et la compréhension de cinq notions essentielles : • la cessation des fonctions biologiques (« l’état de mort ») ; • l’irréversibilité ; • l’imprévisibilité ; • l’universalité et la mortalité personnelle ; • le déterminisme et l’inéluctabilité. Globalement, on considère que l’acquisition du concept de mort passe par différentes étapes sans que ces dernières ne soient aussi linéaires et chronologiques qu’une succession fixe d’acquisitions. L’expérience de l’enfant et les événements de sa vie auront naturellement une incidence sur le développement de la notion de finitude (décès d’un parent, enfant gravement malade, éducation religieuse, mort d’un animal domestique, télévision, etc.) : • avant 5 ans : l’enfant compose avec les notions de disparition/réapparition, de permanence d’objet, d’absence/présence ; • 5 ans : la mort est temporaire et réversible ; • 5—8 ans : la mort désigne ce qui est inanimé, ce qui « ne bouge pas ». L’enfant y associe progressivement des éléments sociétaux (cimetière, cercueils, rites. . .) ou des entités mortes-vivantes ou célestes niant l’immobilité du corps : fantômes, squelettes, anges. . . Le couple vie-mort n’est pas antinomique, la mort étant simplement un autre état existentiel [6] ; • 7—9 ans : la mort devient un état irréversible. Dans certains cas, début d’un questionnement intérieur ; • 9—11 ans : la mort est associée à la disparition et à la décomposition du corps. Elle prend toute sa dimension d’universalité ; • après 12—13 ans : l’avènement de la pensée abstraite offre à l’enfant les premiers outils intellectuels pour réfléchir au sens de la vie et l’amène à se poser des questions d’ordre existentiel. En 1995, Mishara [4] publie une étude incluant 65 enfants âgés de 6 à 12 ans chez lesquels l’auteur a évalué la compréhension du suicide. Les résultats montrent que : • à 6 ans, aucun des enfants de l’échantillon n’a une connaissance du suicide ; • à 7 ans, environ un tiers de ces enfants savent ce qu’est le suicide ; • à 8 ans et 9 ans, respectivement 87 % et 81 % de ces enfants savent ce qu’est le suicide ; • entre 10 et 12, 100 % des enfants savent ce qu’est le suicide. Le chercheur montre à cette occasion que la plupart des participants ont une représentation claire de la manière de se tuer : 58 % évoquent un couteau comme moyen autolytique possible, 34 % un saut d’une hauteur, 31 % une arme 199 à feu, 25 % un empoisonnement, 12 % une percussion avec une automobile, 9 % une noyade, 6 % la pendaison, 4 % l’immolation et 1 % déclare qu’on peut se frapper la tête contre un mur. De surcroît, l’auteur met en évidence que 80 % des enfants interrogés parlent entre eux du suicide tandis qu’une large majorité en a pris connaissance par la télévision (75 % des enfants de 7 à 8 ans et 100 % des enfants de 9 à 12 ans). Berthod et al. [5] estiment qu’« il n’est pas nécessaire d’avoir une représentation achevée de la mort pour vouloir se la donner ». L’enfant peut en effet nommer des moyens très concrets de se donner la mort, quand bien même ne prend-il pas la mesure du résultat. Le geste suicidaire ne signifie paradoxalement pas toujours une volonté de mourir mais fréquemment le souhait d’obtenir un changement de son propre état interne ou de l’état de son environnement. Mesurer la proportion du phénomène : le recueil des données De Tournemire [3] et Alvin [7] attirent notre attention sur les précautions et la prudence méthodologique qui s’imposent lorsqu’on aborde le geste suicidaire chez l’enfant et nos outils de mesure : • nous ne disposons pas d’une définition universelle et consensuelle du suicide en raison de la difficulté à différencier le suicide (ou ses diverses formes) d’autres comportements : accidents suspects, suicide passif, équivalent suicidaire, scarification, suicide « abouti » vs suicide « raté », « parasuicide », conduites à risque. On notera toutefois l’existence d’outils aidant à déterminer la nature d’un geste hétéro-agressif comme le Classification Algorithme for Determination of Suicide Attempt and Suicide (CAD-SAS) [8]. Delamare [9] rappelle que la plupart des causes de décès des 5—14 ans sont les « causes extérieures de traumatismes et empoisonnements », « causées d’une manière indéterminée quant à l’intention » ; • il existe encore peu d’études distinguant réellement les classes d’âges. La plupart d’entre elles rassemblent en effet des données ciblant les 0—19 ans ou bien les 10—18 ans ou bien les 15—25 ans. Or les enfants et les adolescents ne présentent pas les mêmes caractéristiques psychologiques ; • la généralisation de l’échantillon étudié à la population de référence ne va pas de soi. La représentativité nationale des échantillons et les biais liés aux sujets qui échappent au système de recueil de l’information méritent d’être systématiquement questionnés avant d’élargir les conclusions ; • il convient de distinguer les effectifs des taux de suicide (généralement pour 100 000 habitants). Nous ajoutons aux propos de De Tournemire [3] que : • la méthode d’interrogation est fondamentale, particulièrement dans la recherche sur le suicide. Non seulement les résultats peuvent différer selon le support employé (entretien, questionnaire, etc.) mais surtout la formulation même des questions provoque des réponses différentes. Nous avons par exemple montré qu’une formulation spécifique des questions cliniques augmentaient 200 J. Vandevoorde considérablement le nombre de patients suicidant ayant un plan suicidaire avant leur passage à l’acte [10,11] ; • les causes du suicide (les processus psychologiques) ne sont pas les motifs suicidaires (les raisons du suicide : dispute, rejet, volonté de paix, deuil. . .) ; • l’évolution du taux de suicide nécessite aussi d’être lu avec l’éclairage des progrès de la médecine et du taux, peu étudié, de sauvetage. Ainsi certains patients ont commis un geste suicidaire extrêmement grave (ou utilisé un moyen extrêmement létal) qui aurait dû provoquer leur décès mais ont eu la chance de s’en sortir. • 1 (3 %) est mort par décharge d’une arme à feu (code CIM10 X74). Quelques études étrangères aboutissent aux mêmes conclusions quant à l’utilisation privilégiée de ces quatre moyens létaux, notamment la pendaison, par les enfants [14,15]. La tentative de suicide chez l’enfant en France Épidémiologie et caractéristiques cliniques Les études ciblant spécifiquement la tentative de suicide chez l’enfant (moins de 13 ans), sans inclure la population adolescente sont rares. En France, à notre connaissance, seulement trois études descriptives ont été publiées sur le sujet. Le Tableau 2 résume les principales découvertes de ces publications auxquelles nous renvoyons naturellement pour davantage de précision. Le suicide chez l’enfant en France (métropolitaine) Les recommandations cliniques Sur les taux épidémiologiques, Aouba et al. [12] estiment que le taux de suicides en France est sous-évalué d’environ 10 %. En dépit de la sous-évaluation globale des suicides d’enfants, on peut espérer que le phénomène reste fort heureusement relativement rare. En 2008, le centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (Cepidc) [13] relevait 26 décès d’enfants par suicide, 37 en 2009, 40 en 2010 et 36 en 2011 (Tableau 1). En 2011, le taux total de suicide, tout âge confondu, pour la France est de 10 359 morts (7754 hommes et 2605 femmes) soit un taux de 16,4 pour 100 000 habitants (25,3 pour les hommes et 8,0 pour les femmes). En tenant compte des biais méthodologiques et de la sous-évaluation d’environ 10 % [12], l’effectif total s’élèverait aux environ de 11 500 morts par suicide. D’après la base de données du Cepidc, sur les 36 enfants (5—14 ans) morts en 2011 par suicide : • 27 (75 %) sont morts par pendaison, strangulation et suffocation (code CIM-10 X70) ; • 4 (11 %) sont morts par auto-intoxication (code CIM10 X60-X69) ; • 4 (11 %) sont morts suite à un saut dans le vide (code CIM10 X80) ; Tableau 1 Nombre de suicide en France chez l’enfant de moins de 14 ans et les jeunes adultes entre 2008 et 2011. 2008 2009 2010 2011 Âge Garçons 5—14 ans 15—24 ans 5—14 ans 15—24 ans 5—14 ans 15—24 ans 5—14 ans 15—24 ans 20 421 26 401 23 380 23 364 (0,5) (10,6) (0,7) (10,1) (0,6) (9,7) (0,6) (9,3) Filles 6 108 11 121 17 116 13 124 (0,2) (2,8) (0,3) (3,1) (0,5) (3,0) (0,3) (3,3) Total 26 529 37 522 40 496 36 488 Source : Cepidc. Chiffre : effectif brut ; () : taux pour 100 000 habitants. (0,3) (6,8) (0,5) (6,7) (0,6) (6,4) (0,5) (6,3) Il n’existe pas, à notre connaissance, de modélisation théorique spécifique à l’enfance (moins de 13 ans) et aucune étude n’a, à ce jour, réussi à prédire le suicide [19]. Si l’Anaes (devenue HAS) a publié en 1998 des recommandations sur le geste suicidaire chez l’adolescent [20], il n’existe pas à notre connaissance de recommandations pour les mineurs de moins de 13 ans, bien que l’on puisse supposer que les grands principes connus pour les autres âges de la vie s’appliquent de manière similaire à l’enfance. Ainsi, les idées suicidaires sont toujours à prendre au sérieux. Comme le rappelle Josee Lake [21], il apparaît dommageable que les adultes entourant l’enfant « préfèrent entendre les passages à l’acte plutôt que ses discours », bien qu’il ne soit pas non plus admissible que certains enfants/adolescents se servent de l’inquiétude générée par une menace suicidaire pour contrôler ou obtenir de leurs parents des objets de convoitise ou des comportements spécifiques (« chantage au suicide »). Le clinicien autant que les parents sont confrontés à un enjeu relationnel de taille : prendre au sérieux la menace suicidaire et en même temps briser le mode relationnel qui consiste à faire de la menace suicidaire un outil de communication, un appel relationnel ou un contrôle de l’autre [9]. Autrement dit, il faut rapidement dégager l’enfant du processus suicidaire qui l’enferme dans un tunnel où seul le passage à l’acte auto-agressif apparaît comme une solution au changement d’état souhaité. La plupart des auteurs s’accordent sur l’importance de la restriction de l’accès au moyen létal [22]. Contrairement à une idée reçue, la plupart des personnes suicidaires ont une préférence pour leur moyen létal, si bien qu’en l’absence de ce même moyen, certains passages à l’acte se voient ajournés. Il existe néanmoins des cas où le patient suicidaire emploie divers modes opératoires et passe de l’un à l’autre (« switch »). On sera de surcroît vigilant à l’aspect très influençable des enfants qui sont davantage touchés que les adultes par l’effet Werther (contamination de désir suicidaire suite au décès d’une personne célèbre relayé par les médias) et plus vulnérable à la télévision. Concernant le mode de prise en charge, les études sur l’enfant suicidaire sont actuellement trop peu nombreuses Brève synthèse des études françaises sur les tentatives de suicide chez l’enfant de moins de 15 ans. Étude Objet — type d’étude Données socio-démographiques Vie générale de l’enfant État psychologique de l’enfant au moment du geste suicidaire Mode opératoire utilisé et circonstance du geste Delamare et al. (2007) [16] Étude descriptive et rétrospective Questionnaires envoyés au secteur de psychiatrie infanto-juvénile et service de pédiatrie (taux de réponse : 33 %) Inclus 97 enfants de moins de 13 ans Les filles suicidantes sont plus nombreuses que les garçons (58,3 % vs 42,7 %) 49 % des enfants vivent au domicile familial avec leurs deux parents 63 % des enfants ont des parents présentant des troubles psychiatriques 62 % des familles d’enfants suicidant présentent des conflits conjugaux 95 % des enfants ont des difficultés relationnelles avec au moins un de leur parent 56 % des enfants ont vécu un évènement douloureux 31 % ont vécu une situation d’abandon 20,6 % une situation de maltraitance 8,2 % une situation d’agression sexuelle 13,4 % des enfants sont suivis dans le cadre d’une mesure socio-éducative ou d’un placement 40 % ont une mauvaise scolarité 55,8 % des enfants mettent en cause la relation qu’ils ont avec leur parent et 19,8 % évoquent un conflit lié à la scolarité 50 % des enfants ont des antécédents psychologiques et 30 % ont un suivi psychologique en cours 14 % sont des récidivistes 81 % présentent des prodromes psychologiques 27 % ont exprimé des idées suicidaires avant leur geste 87 % des TS se déroulent au domicile familial et 78 % sur les lieux de vie pour les enfants placés La plupart des TS on lieu entre mai et octobre Dans l’ordre de fréquence, les moyens les plus utilisés sont l’IMV (souvent à partir de la pharmacie familiale), la pendaison et la défenestration 88 % des TS n’aboutissent à aucune séquelle physique Giraud et al. (2013) [17] Étude descriptive de 517 adolescents de moins de 15 ans admis dans un service d’urgence pédiatrique Les filles suicidantes sont plus nombreuses que les garçons (86,1 % vs 13,9 %) 31,9 % des enfants vivent avec leurs deux parents et 50,7 % avec leur mère 20,7 % ont une mesure de socio-éducative et 7,7 % ont une mesure de placement 27 % présentent des difficultés scolaires et 12 % sont déscolarisés 25,8 % des enfants ont un suivi en cours 20,3 % sont des récidivistes Des éléments d’ordre psychiatriques sont présents pour 42,9 % des enfants Dans l’ordre de fréquence, les moyens les plus utilisés sont l’IMV, la défenestration, la phlébotomie, ingestion de produit toxique et la pendaison 15 % des enfants récidivent dans l’année qui suit la TS Le geste suicidaire chez l’enfant Tableau 2 201 202 Tableau 2 (Suite) Étude Objet — type d’étude Données socio-démographiques Vie générale de l’enfant État psychologique de l’enfant au moment du geste suicidaire Mode opératoire utilisé et circonstance du geste Berthod et al. (2013) [5] Étude rétrospective. Description de 48 enfants de moins de 13 ans hospitalisés pour tentative de suicide en service de pédopsychiatrie les filles suicidantes sont plus nombreuses que les garçons (54 % vs 46 %) 56 % des enfants suicidants ont des parents séparés et 44 % des parents unis 41,6 % vivent dans des familles traditionnelles 14 % des enfants suicidants ont une aide éducatives administratives (AED) ou judiciaire (AEMO) et 16,6 % sont placés 29 % des enfants suicidants sont des récidivistes 44 % ont un suivi psychologique en cours Les troubles les plus fréquent sont le trouble de l’adaptation (37,5 %) et le trouble dépressif (27 %) Dans l’ordre de fréquence, les moyens les plus utilisés sont l’IMV, la défenestration, la strangulation et la pendaison 91 % des gestes ont eu lieu au domicile 71 % des gestes sont réalisés entre janvier et juin avec un pic au mois de juin Les enfants plus jeunes utilisent des moyens plus violents Stordeur et al. (2015) [18] Étude descriptive et rétrospective multicentrique 30 enfants de moins de 12 ans admis en CHU pour TS Sex-ratio proche de 1 (0,9) L’intentionnalité suicidaire est modérée pour 56,2 % des enfants et faibles pour 43,8 % Dans l’ordre de fréquence, les moyens les plus utilisés sont les IMV, la pendaison/strangulation, le saut dans le vide, l’intoxication par produit toxique, l’utilisation d’objet tranchant La létalité potentielle des TS est élevée pour 43,7 % des cas 63,3 % des TS ont eu lieu lors du premier semestre de l’année J. Vandevoorde Le geste suicidaire chez l’enfant pour affirmer que tel ou tel mode de prise en charge est scientifiquement préférable à une autre. Outre la nécessité de soins somatiques, l’indication d’hospitalisation dépend de la nature et de l’intensité de la crise suicidaire. Elle reste la prise en charge la plus fréquemment recommandée, davantage pour des raisons pratiques et déontologiques que scientifiques d’ailleurs, car elle constitue l’un des moyens les plus sûrs pour mettre en sécurité le patient et analyser sa situation avec attention. Les critiques retenues contre l’hospitalisation sont généralement le risque de rupture de l’alliance thérapeutique, l’occurrence de comportement régressif, le frein à l’apprentissage de l’autonomie et la tolérance au stress et, dans certains cas, l’augmentation des tentatives de suicide, notamment pour les patients présentant une « suicidalité chronique » ou « addictive » [23]. À ce jour, nous ne disposons pas d’études sur les effets de l’hospitalisation chez l’enfant. Chez l’adolescent, les débats persistent [24] et quelques études s’aventurent sur des propositions alternatives (intervention multisystémique à domicile [25] ; équipe ambulatoire spécialisée à réponse rapide [26]) bien que l’hospitalisation reste l’indication prioritaire en cas de situation très aiguë (dans l’étude de Huey [25], 44 % des participants du groupe expérimental avaient été ré-hospitalisés en cours de traitement faussant ainsi les résultats, de même qu’il n’est pas évident de savoir si les effets de l’intervention multisystémique à domicile sont dus à la nature de l’intervention elle-même ou à l’intensité rare et particulière de cette prise en charge : contact quotidien, et un thérapeute pour 4 ou 6 familles. L’étude de Greenfield [26], quant à elle, exclut les patients qui ont nécessité une hospitalisation impérative et on ne sait pas très bien à quel vécu font référence les résultats puisqu’on observe des hospitalisations dans les deux groupes comparés). Il apparaît important de juger aussi les enjeux relationnels qui sous-tendent une conduite suicidaire dans le cadre d’une hospitalisation, certains enfants éprouvant rapidement le manque de leur famille et de leur domicile, d’autres au contraire se servant de l’hospitalisation pour s’éloigner momentanément de leurs parents ou d’un environnement menaçant (scolarité, quartier où le jeune à des conflits, etc.). Quel que soit le mode de prise en charge, le contenu de cette dernière est probablement plus important que l’indication elle-même. Ainsi le choix d’une hospitalisation complète, d’une hospitalisation de jour, d’un suivi ambulatoire ou d’un suivi à domicile par exemple dépendra essentiellement du projet et des objectifs inhérents à ces différentes interventions. Globalement, la prise en charge est dite « maximaliste » (c’est-à-dire qu’elle agit sur tous les secteurs à la fois) et respecte le principe de précaution. Hélas, il n’existe pas à notre connaissance d’étude randomisée sur l’efficacité des traitements psychothérapeutiques chez l’enfant suicidaire. Si l’intervention psychologique présente des résultats positifs sur la baisse des comportements suicidaires chez les adolescents et les jeunes adultes, il est encore délicat à ce jour de se prononcer sur la supériorité d’une technique par rapport à une autre malgré les résultats prometteurs de la thérapie cognitivo-comportementale [27], de la thérapie comportementale dialectique [27] et de la psychothérapie interpersonnelle [28]. Au total, d’après nos recherches, et bien que certains points nécessitent encore des arguments empiriques, la 203 littérature scientifique propose un relatif consensus sur les recommandations cliniques à tenir en présence des patients en situation de crise suicidaire [20,29]. Au vu de ces travaux, il apparaît recommandé : • de toujours prendre au sérieux des éléments suicidaires (idéation, menace. . .) ; • de pratiquer un examen somatique en cas de geste suicidaire effectif ; • d’utiliser un protocole de désamorçage de la crise [19], à adapter aux enfants (supports ludiques et adaptés aux compétences intellectuelles) ; • de pratiquer une évaluation « pluri-secteur » [30,31] : ◦ évaluation des facteurs de risque, de la situation familiale et sociale de l’enfant et des éventuels éléments de danger [32], ◦ évaluation d’une pathologie psychiatrique, ◦ évaluation des processus psychologiques (gestion émotionnelle, fonctionnement cognitif, compétence relationnelle, etc.), ◦ évaluation du processus suicidaire (comportement préparatoire, idéation suicidaire, mise en état. . .) [11,19,30,31,33] ; • de soulager immédiatement la souffrance de l’enfant ; • d’impliquer les familles et le réseau social, d’expliquer les processus relationnels et psychologiques en jeu, d’informer le patient et l’entourage sur la prise en charge ; • d’empêcher l’accès aux moyens létaux ; • de pratiquer une prise en charge maximaliste structurée, dirigée et planifiée ; • de mettre en œuvre une veille suicidaire (à la sortie d’hospitalisation par exemple, consultations régulières et rapprochées, rappel téléphonique, visite à domicile) ; • de mettre en œuvre un suivi de prévention des rechutes suicidaires ; • d’établir le traitement au long cours (ambulatoire, psychothérapie, etc.). De plus, la plupart des auteurs recommandent le développement d’une meilleure accessibilité des professionnels aux formations en suicidologie [34] et une supervision régulière pour ceux qui sont quotidiennement confrontés à des actes ou des menaces contenant une telle violence [29]. Enfin, il apparaît essentiel de coordonner les différentes institutions s’occupant de l’enfance : les services de santé (somatiques et psychiatriques), les services de protection de l’enfance [32], les services de justice et les services de l’éducation nationale. Sur ce point, il nous semble important de souligner qu’une collaboration de ces différentes institutions est possible et souhaitable, en dépit des réserves liées au secret professionnel et aux nécessaires précautions déontologiques. Enfin, un état des lieux complet des connaissances devrait être réitéré régulièrement [35]. Conclusion Le geste suicidaire dont il est question ici est le résultat d’un processus psychosocial. Le sens global du mot suicide est compris aux alentours de 8 ans mais il n’est pas nécessaire que l’enfant ait une représentation aboutie de la mort pour effectuer un geste suicidaire. Mesurer l’ampleur de tel geste 204 chez l’enfant et le traiter nécessite de considérer les biais méthodologiques et de les réduire, de distinguer la classe épidémiologique de l’enfance des catégories « adolescence » et « jeunes adultes », d’élaborer des théories suicidologiques spécifiques chez l’enfant et d’expérimenter empiriquement les prises en charge, les moyens thérapeutiques et les méthodes prophylactiques. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Petot D. Présence précoce et continue d’idées suicidaires pendant l’enfance. Evol Psychiatr (Paris) 2004;69:663—70. [2] Schimdt P, Müller R, Dettmeyer R, Madea B. Suicide in children, adolescents and young adults. Forensic Sci Int 2002;127:161—7. [3] De Tournemire R. Suicides et tentatives de suicide à l’adolescence. « Données épidémiologiques comment s’y retrouver ». Arch Pediatr 2010;17:1202—9. [4] Mishara B. 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