Pour mon père …1

Transcription

Pour mon père …1
Pour mon père …1
-------------------------« Nous avons su que notre père allait mourir, alors nous avons été le voir tous
les jours, le soir après l’école. Mais dans les jours de congé on allait le voir tout
l’après-midi.
Avant quand j’étais chez ma tata, ma maman allait à l’hôpital. Elle était
pompée d’y aller et c’est pour cela qu’il fallait la tata pour nous emmener à l’école,
surtout les derniers jours où maman était beaucoup à l’hôpital. Maman nous avait dit
de ne pas y aller parce que notre papa pâlissait, jaunissait et on était petite, elle ne
voulait pas qu’on le voit dans cet état.
Un jour maman nous a dit qu’à l’hôpital, elle avait vu la famille et qu’elle avait
bien rigolé avec papa et la famille et que les rires s’entendaient à l’autre bout du
couloir et elle n’oubliera jamais.
Le jour du décès, mon papa s’est réveillé et a demandé maman. Elle prenait un
café en bas. Les infirmières sont venues la chercher. Elle est montée et à ce
moment-là ils se regardaient tous les deux dans les yeux et maman lui a tenu la
main. Il est mort comme ça avec maman qui le tenait.
Nous étions à ce moment-là chez ma tata, prêtes à nous coucher. Maman est
arrivée, elle nous a dit : « les filles, ça y est, il est mort. » C’est à ce moment-là que
j’ai rigolé de joie. Nous nous sommes rhabillées vite fait pour aller le voir à l’hôpital.
Alors nous sommes entrées dans la chambre. Nous l’avons vu bien mort sur son lit
comme maman nous l’avait dit. Alors à ce moment-là, je m’approchai de mon père qui
était bien mort et je lui soulevai un bras pour voir s’il était bien mort, alors je
reposai son bras doucement. Maman pleurait dans la pièce et c’était émouvant de
voir notre père là, en personne, mort.
Savez-vous pourquoi j’ai rigolé de joie quand j’ai appris que mon père était
mort ? Non ? Alors je vais vous le dire. J’ai rigolé de joie parce qu’avant quand je
savais que mon papa allait mourir, ça faisait comme une bulle de tristesse autour de
mon cœur. C’est quand cette bulle a explosé que je me suis enlevée de ma tristesse
et c’est là que j’ai rigolé de joie. Ça m’a libérée de la tristesse de mon papa malade.
La bulle était du fait que mon papa était à l’hôpital, était malade, allait mourir et on
ne pouvait pas le voir souvent. Tout cela remplissait ma bulle et cela m’a soulagée de
savoir qu’enfin tout cela était terminé.
Maintenant qu’il est là-haut, tout ça s’est échappé, c’est émouvant, ça me fait
du bien, je n’oublierai jamais.
La mort, j’ai vécu ça tristement même si c’était parti un peu, ça revenait, ça
me faisait très mal au fond de moi, surtout que mon père était très gentil et aucun
homme ne pourra le remplacer. J’ai ressenti que c’est comme s’il m’avait dit : « je
suis parti, j’attendais ça, j’en avais besoin ». Ça m’a soulagée et c’est grâce à ça, la
joie.
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Témoignage écrit et lu par M. lors de la journée « l’enfant, la maladie, la mort » organisée par l’AREABN, en
novembre 2000 à Caen (14 F). M. avait alors 9 ans et demi, son père était décédé 2 ans auparavant. Avec sa grande
sœur elle a été informée de la maladie de son père ainsi que de son évolution létale.
C’est très émouvant. C’est très, très ennuyeux de ne pas avoir mon père à
côté de moi, j’étais habituée à le voir souvent. Je ne sais pas si tous les enfants ont
le droit de voir leur père mort.
Après, quand il était dans son cercueil, il y avait des gens qui pouvaient le voir
avant de fermer le cercueil. Nous sommes allées dans une salle pour parler un petit
peu de mon père et j’ai souvent dit, quand je partais « priez pour tous ceux que
vous connaissez et qui sont morts ».
Depuis, je prie un petit peu des fois chez moi, le soir au coucher ou au lever.
Je vais maintenant à la messe presque tous les dimanches.
Ça me fait beaucoup de peine quand je revois sa photo et je me
dis : « pourquoi, mais pourquoi tu es mort ? » Et c’est pour ça que je me sens
presque seule avec ma sœur, ma mère et mon chat. Et c’est depuis que je pense
souvent à mon père.
C’est dur pour moi de dire des choses comme ça mais là je me sentais capable
de le faire pour mon père.
Si maman ne m’avait pas dit très tôt que mon père allait mourir, je lui en
aurais voulu.
J’ai beaucoup pleuré avant et plus après. J’en ai beaucoup pleuré, il me
manque.
Novembre 2000