Parlons en-corps : le corps, la sexualité, le handicap

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Parlons en-corps : le corps, la sexualité, le handicap
« Parlons en-corps – le corps, la sexualité, le handicap » - FPS - 2010
« Parlons en-corps »
Le corps, la sexualité, le handicap.
2010
Editrice responsable : Dominique Plasman, Place Saint-Jean, 1 – 1000 Bruxelles
1
« Parlons en-corps – le corps, la sexualité, le handicap » - FPS - 2010
Xavier Malisoux,
Service Etudes du Secrétariat National des FPS
2010
02/515.17.68
[email protected]
Editrice responsable : Dominique Plasman, Place Saint-Jean, 1 – 1000 Bruxelles
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« Parlons en-corps – le corps, la sexualité, le handicap » - FPS - 2010
1. Avant-propos
L’évolution des mœurs dans nos sociétés a porté la volupté sexuelle et l’épanouissement
affectif à la pointe des besoins fondamentaux. Ainsi, le « droit à la sexualité (…) s’inscrit dans la liste
des nouveaux droits concernant certains groupes de population qui en étaient jusque-là privés »1.
Partout en Europe, un large tissu associatif milite pour une meilleure prise en compte de la vie intime,
affective et sexuelle des personnes en situation de handicap.
Cela a abouti aujourd'hui à une
réflexion éthique sur la manière d’envisager l'accompagnement à la sexualité des personnes
handicapées.
Le corps est une dimension prédominante dans le handicap, qu’il soit physique ou mental.
Dans la première situation, lorsqu’il est déficient ou mutilé, le corps impose des repères anormatifs,
entre spécificités et similitudes par rapport aux valides.
Il déploie des fonctionnalités propres, à
l’épreuve de l’interaction avec l’environnement. Dans la deuxième situation, si la fonctionnalité est
intacte, le vécu et le ressenti du sujet à l’expérience de son corps peuvent être sources de difficultés.
Sans les moyens cognitifs pour le gérer, le sujet mentalement déficient peut éprouver la sensation
d’un corps morcelé dans ses multiples potentialités. Le corps, de par sa structuration, est moyen
d’échanges et de contacts.
L’organisation des comportements permet au sujet d’agir sur son
environnement, de s’y adapter, de créer.
Parce qu’il est le vecteur des émotions, de la sexualité, de l’attachement, et donc du lien
social, le corps en situation de handicap confronte les intervenants à des questions complexes d’ordre
éthique. Le droit effectif à la vie affective et sexuelle (VAS) des personnes handicapées, ainsi que
l’accès à la vie en couple et à la parentalité sont de celles-là. Les réponses proposées sont tout aussi
complexes car d’une part, elles touchent aux tabous du handicap et de la sexualité (la vraie, pas celle
que nous vendent les magazines…) mais surtout parce qu’elles mettent en jeu les émotions et le corps
tant des professionnels que des bénéficiaires.
Ces questions se compliquent davantage lorsque l’on considère la pluralité des situations de
handicap : il peut être congénital ou secondaire, résulter de déficiences physiques, motrices, mentales
ou sensorielles, qui peuvent être concomitantes ou d’origines diverses. Il faut également tenir compte
des situations de vie particulière des personnes concernées : la présence ou non d’un entourage
familial et/ou institutionnel.
De plus, le principe d’individualité implique la prise en compte de la
singularité des désirs exprimés par la personne handicapée. Ces diverses dimensions importent pour
réfléchir respectueusement à la promotion de la santé des personnes en situation de handicap et les
soutiens qui leur sont proposés, y compris ceux relatifs à la VAS. Cette démarche doit être menée en
1
R. Ehrhardt, « Développement de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées », mai 2003 www.textes-psy.com/spip.php?article217
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concertation avec les personnes handicapées, par la voix des associations, qui, en tant qu’acteurs
sociaux, peuvent revendiquer et spécifier les enjeux d’une VAS épanouie1.
2. Des animations à la vie affective et sexuelle…
Notre expérience dans le secteur des centres de planning familial nous fait souligner
l’importance de la sensibilisation et des animations à la VAS déjà auprès des plus jeunes. La sexuation
s’inscrit dès les premières années de vie du nourrisson et se prolonge, outre la période de latence, à
l’adolescence où la recherche d’identité, entre égocentrisme et altruisme, s’effectue dans la relation à
l’autre. Cette psychogenèse, comme la sexualité humaine, est de nature essentiellement émotionnelle
et relationnelle. La sexualité se construit d’abord dans la découverte de son corps, avec l’activité
autoérotique, avant de se tourner vers le corps de l’autre. Nous croyons qu’il est nécessaire
d’accompagner les enfants déficients dans cette découverte en leur offrant un soutien informatif et
adapté à leur situation. Et puisque le corps est sexué à vie, il est obligatoire de penser cet
accompagnement jusqu’à l’âge adulte2. Cet accompagnement dans le champ affectif et sexuel doit
tenir compte tant des déficiences et des incapacités que des efficiences et des désirs.
Nous nous intéresserons ici principalement aux animations à destination des enfants scolarisés
dans l’enseignement spécialisé fondamental. Nous insistons sur la nécessité d’aborder la VAS en des
termes positifs avant d’en venir aux aspects préventifs et aux inconvénients. Nous reprendrons pour
l’essentiel les propositions du rapport interuniversitaire de M. Andrien (ULg), K. Renard (ULB) et H.
Vanorlé (FUNDP)3.
Pour concevoir ces animations, il s’agit de s’intéresser à la réalité des élèves,
d’écouter leurs questionnements et de partir des difficultés concrètes qu’ils rencontrent.
Chaque
animation doit être adaptée au groupe en fonction de la maturité, du type de handicap et de la
situation de vie (famille ou institution). Les besoins, demandes et difficultés particulières seront donc
pris en compte.
« La durée des séances sera évidemment proportionnelle aux capacités de
concentration des élèves (parfois 20 min) ». Il ne faut bien-sûr pas oublier les parents, qui doivent
être informés de l’existence de l’animation, et leur garantir un espace de questionnement avant et/ou
après l’animation.
Il sera utile de mettre à leur disposition un numéro de téléphone pour qu’ils
puissent a posteriori se tourner vers des professionnels de référence.
En ce qui concerne les handicaps physiques, il s’agit avant tout de sonder auprès de l’équipe
paramédicale, le potentiel préservé des élèves (érection, mobilité des mains, …).
En cas de
déficiences sensorielles, il est nécessaire de préparer l’animation avec des supports et du matériel
1
M. Mercier, « La vie affective et sexuelle des personnes handicapées physiques dans une perspective éthique de
promotion de la santé », in « Amour, sexualité, parentalité & handicap physique », Liège, l‘Observatoire, n°40,
2003.
2
I. Dohet, « Le droit à la sexualité pour les personnes handicapées mentales en institution », A.S.P.H. asbl,
Bruxelles, 2006.
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« Animations à la vie affective et sexuelle à l’école – Propositions d’objectifs, de thématiques et de stratégies »,
décembre 2003.
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adéquats.
L’équipe éducative, de par son expérience quotidienne auprès des enfants, est une
ressource essentielle qu’il est utile d’impliquer directement dans le travail d’animation à la VAS, qu’il
s’agisse d’enfants mentalement déficients ou atteints d’invalidités sensori-motrices. En retour, il est
indispensable que ces équipes soient soutenues à moyen et à long terme par les animateurs.
Les thèmes principaux de ces animations se concentrent sur la santé (hygiène,
contraception), le respect de l’autre (prévention de la violence), le respect de soi (affirmation de soi,
confiance en soi), les liens familiaux (le mariage, la vie de couple, la cohabitation, la parentalité) et les
liens avec les pairs (amitié, communication). Un volet important doit être consacré à la socialisation
et à l’autonomisation : l’habillage/déshabillage, l’apprentissage de la propreté (sphinctérienne et
corporelle), la gestion des émotions et la manifestation des sentiments, la découverte de la dimension
sexuelle du corps (érection, masturbation, éjaculation, menstruation) et l’insertion sociale du plaisir
(intimité, désir, les interdits). Pour les élèves atteints de déficience mentale sévère, il s’agira plutôt
d’éveiller à la conscience de soi et des autres, à la différenciation du désir et à la différence des sexes.
Pour
les
élèves
physiquement
handicapés
sans
atteintes
mentales,
les
thèmes
seront
préférentiellement le rapport au corps : changer le regard sur le corps (critères de beauté vs. laideur),
apprendre à prendre soin de soi et de son enveloppe corporelle, mais aussi tout ce qui concerne les
changements de la puberté et les relations amoureuses (différentes manières d’aimer, de (se) faire
plaisir, la tendresse). L’animateur doit être en mesure de répondre aux questions d’ordre médical ou
physiologique (reproduction, positions sexuelles adaptées, l’impossibilité d’avoir des relations
sexuelles). Il devra également pouvoir accompagner dans un questionnement existentiel (le désir
d’enfant, de vivre en couple, la solitude, la normalité, les possibilités de rencontrer un partenaire,
assumer sa sexualité et la vivre) mais aussi répondre à des questions d’ordre pratique (relatives à la
vie en institution, à qui parler de sa sexualité, comment faire l’amour avec tel handicap).
3. … à l’assistance sexuelle
De nombreuses personnes handicapées sont en mesure de vivre pleinement leur sexualité et
de manière autonome. Mais d’autres sont dans une telle situation de handicap que ce champ de leur
existence est pour une grande part soumis aux choix d’un tiers, voire complètement évincé. Dans
certains cas, la réalisation même de cette VAS dépendra entièrement de l’intervention d’une autre
personne, que ce soit pour une aide technique ou un accompagnement, ou simplement pour la rendre
possible dans les conditions de vie institutionnelle1. Il est donc indispensable de penser un mode
d'accompagnement à la VAS pour les individus en situation de dépendance, car sans cette guidance,
certains ne pourront investir ni la sensualité ni le plaisir érotique. La sexualité humaine nécessite une
double gestion cognitive individuelle et sociale. Lorsqu’un handicap est présent, l’enjeu est de rendre à
la personne la possibilité de vivre sa sexualité en tenant compte de ses compétences propres, de ses
1
Le point sur les réflexions du secteur bruxellois, coll., « Sexualité, plaisir et handicap : et moi, et moi,
émoi… », 2008 – 2009.
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spécificités, et de ses limites physiques et/ou mentales. Les conditions d’un épanouissement sexuel et
affectif socialement reconnu pour la personne handicapée passent par un changement des mentalités
et de représentations liées au handicap et à la sexualité, dans la population, chez le tiers intervenant
et chez les personnes handicapées elles-mêmes.
Lorsque aux infirmités physiques ou mentales viennent se cumuler les griefs sociaux, les
possibilités d’une rencontre amoureuse s’amenuisent jusqu’à contraindre certains à l’abstinence et à
l’indigence affective.
Dans le panel des réponses possibles aux besoins intimes et sensuels des
personnes en situation de handicap, l’assistance sexuelle ou l’aide sexuelle directe – car l’intervenant
s’implique corporellement dans la sexualité du bénéficiaire – est la plus controversée. Elle invite à
reconnaître et à légitimer le plaisir, au-delà du handicap, en ce qu’il humanise les déficiences.
A
1
l’instar du Collectif associatif Sexualités et Handicaps , de nombreuses associations européennes
militent pour une prise en compte plus respectueuse de la sexualité des personnes handicapées. Elles
appellent à modifier les représentations au sujet des personnes handicapées et à les accepter comme
êtres sexués, et dont la vie est empreinte des dimensions affectives, relationnelles et sexuelles comme
tout un chacun. Des pays comme le Danemark, l’Allemagne ou les Pays-Bas ont été les pionniers
dans la reconnaissance et la promotion du droit à l’expérience intime des personnes en situation de
handicap. Pour répondre aux manques sensuels et sexuels de ces dernières, ces pays ont autorisé la
formation d’assistants sexuels et leur ont octroyé un statut professionnel reconnu. Jusqu’à ce jour en
Belgique, rien de semblable n’existe, même si quelques initiatives privées sont à saluer.
Pour Catherine Agthe Diserens2, sexopédagogue, l’aide sexuelle directe est une avancée
remarquable pour les personnes handicapées.
Cependant, « en matière de bien-être sensuel et
affectif, l’assistance sexuelle ne représente qu’une réponse possible, qui a sa juste place dans
l’éventail des offres à disposition »3 et qu’il convient de proposer au cas par cas. Toutes les personnes
dépendantes du fait d’une infirmité n’aspirent pas à ce type de service. Tout d’abord, parce que
certains peuvent jouir d’une sexualité dans l’intimité du couple.
Ensuite, parce que d’autres
préfèreront vivre leur sexualité en solitaire et soigner un érotisme singulier. Enfin, selon la sévérité du
handicap et de ses répercussions – physiques ou mentales – sur l’expérience corporelle, d’autres
encore se seront détachés de toute sexualité, cultivant d’autres plaisirs non moins satisfaisants.
Notamment, le droit au plaisir sexuel ne nous paraît pas prioritaire pour ceux que les déficiences
cognitives ont rendus plus vulnérables aux affres de la sexualité. Ils risquent en effet d’être victimes
tant de « leurs propres pulsions mal contrôlées ou mal tolérées (que) d’abus (ou) de leurs illusions
1
Formé à la suite du colloque « Dépendance physique : intimité et sexualité » qui s’est déroulé à Strasbourg en
avril 2007, ce collectif qui comprend l’Association Française contre les Myopathies, l’Association des Paralysés
de France, la Coordination Handicap et Autonomie et Handicap International, s’est imposé pour objectif de
favoriser l’accès à la vie affective et sexuelle des personne en situation de handicap.
2
Elle est aussi présidente de l’association « SExualité et Handicaps Pluriels » (SEHP) qui a mis sur pied la
première formation d’Assistants Sexuels en Suisse romande.
3
C. Agthe Diserens, « Assistance sexuelle : une nouvelle offre » http://www.insieme.ch/journals/j_3_09/Repere_3_09_f.pdf
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dans leur attente amoureuse »1. Nous ne saurions, après des années de négation et de déni de la
sexualité chez les personnes handicapées, imposer le sexe comme une norme d’épanouissement en
réponse aux aspirations socioculturelles modernes. Toutefois, il est clair que beaucoup bénéficieront
de ce type de service pour pallier un manque important de contacts physiques. Pour celles et ceux
qui en feraient la demande, les prestations des assistant(e)s sexuel(le)s contribueront indéniablement
à un mieux-être, donc vers un bien-être.
4. « L’Ange et la Bête »2
En juin 2009, soit cinq ans après la Suisse alémanique, 10 assistant(e)s sexuel(le)s diplômés
(6 hommes et 4 femmes) ont débuté leur activité en Suisse romande. Mais de quoi parlons-nous
exactement lorsqu’on mentionne la profession d’assistant sexuel en Europe ?
Cette activité
correspond à un « service sexuel tarifé, exercé dans le cadre d’une activité lucrative et pratiquée par
des professionnels dotés d’un savoir-faire et d’un savoir-être, tels que cette activité l’exige »3. Ce sont
donc, nous l’avons dit, des professionnels détenteurs d’un diplôme spécialisé et qui les autorise à
dispenser une guidance sexuelle à des adultes en situation de handicap physique et/ou mental. Cela
consiste principalement en des contacts de nature érotique et sexuelle : caresses, massages, corps à
corps, guidance sexuelle, masturbation. La pénétration n’est (officiellement) autorisée qu’aux PaysBas. L’essentiel est d’offrir des ressentis de plaisirs intimes à des personnes que l’état physique ou
mental confronte au vide sensuel et sexuel. Les assistant(e)s sexuel(le)s sont pour l’essentiel des
professionnels issus du secteur paramédical sélectionnés sur candidature tant pour leurs compétences
professionnelles que pour leur équilibre personnel. Ils ont suivi une formation spécifique et reconnue
intégrant de solides connaissances sur le handicap, la sexualité, les abus sexuels ainsi que des notions
d’éthique.
L’encadrement de la formation prévoit également une supervision continue avec les
formateurs.
La volonté sous-jacente à ce projet est de soutenir l’accès à la sexualité des personnes en
situation de handicap. Mais certains ont jeté dans la mare le pavé de la prostitution. S’il subsiste une
confusion quant au champ d’action de ces travailleurs du sexe, c’est sans nul doute en raison des
diverses modalités d’existence de cette pratique (appellations, financement, recrutement) que du
projet en lui-même. Tâchons avec C. Agthe d’en préciser la nature4 : « l’assistant(e) sexuel(le) est
un(e) professionnel(le) qui répond à des besoins spécifiques par des approches sensuelles et sexuelles
nuancées, différentes de celles apportées par des femmes prostituées, essentiellement pour des
1
R. Ehrhardt, op. cit.
A. Giami, « L’ange et la bête. Représentations de la sexualité des handicapés mentaux par les parents et les
éducateurs », CTNERHi, 2007.
3
J. Pióro Ferrand, « Assistance sexuelle et prostitution : un binôme tabou ? », Aspasie, Genève.
4
In B. Boucquey et M. Mercier, « Assistance sexuelle, recours à la prostitution et accompagnement par un
éducateur : perceptions et représentations sociales de personnes handicapées physiques » http://www.icampus.ucl.ac.be/claroline/backends/download.php?url=L0FydGljbGVfQm91Y3F1ZXlfTWVyY2ll
ci5wZGY%3D&cidReset=true&cidReq=SEXM2252
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questions de temps et d’adaptation. Les services d’assistance sexuelle ont pour objectif de donner à
la personne handicapée physique (et/ou mentale) l’opportunité d’expérimenter des situations
sexuelles afin de l’aider à choisir son mode de vie sexuelle, de trouver ou retrouver confiance en soi et
en sa fonctionnalité, d’exprimer et de réaliser ses besoins et désirs de sensualité ». Leurs prestations
font donc l’objet d’une préparation rigoureuse avec les protagonistes (le bénéficiaire, son entourage
direct, les prestataires de soins). Le temps laissé à la rencontre est une dimension essentielle de cette
démarche, alors qu’elle n’est qu’accessoire dans la relation entre la prostituée et son client.
Inversement, la rémunération n’est qu’un prétexte dans l’aide sexuelle directe puisque les
accompagnants érotiques n’exercent qu’à titre complémentaire. La finalité première de cette pratique
reste de restituer à la personne handicapée un maximum d’autonomie dans la gestion de sa sexualité
et de l’aider à expérimenter l’ensemble de ses potentialités sensuelles et érotiques, seule ou dans la
rencontre avec un éventuel partenaire.
Le besoin vital d’expériences relationnelles chaleureuses et gratifiantes est présent chez tout
un chacun, valide ou infirme, à des degrés et à divers niveaux.
Quels espaces sont laissés à
l’épanouissement de l’affectif et du sexuel en institution, en concurrence avec les obligations d’une vie
en groupe ?
Comment ces manifestations intimes peuvent-elles exister dans le quotidien d’une
famille, entre l’enfant et ses parents, en fonction de l’âge et des facultés cognitives de celui-ci ? Entre
dénégation et problématisation, le discours des parents se veut prudent, modérateur, protecteur :
alors que 82% des parents affirment que les personnes handicapées sont préoccupées par la
sexualité, cette proportion tombe à 47% si on évoque la situation particulière de leur enfant1. Ni
ange, ni bête, nous devons reconnaitre que les personnes handicapées sont aussi aux prises avec une
sexualité que bien des valides peinent à gérer. Ni bête, ni ange, les assistants sexuels leur permettent
d’appréhender cette part de leur être à travers une guidance affective et un accompagnement sexuel.
La sexualité, lorsqu’il y a handicap, ne peut être pensée avec les référents qui nous sont propres. A
l’instar des diverses situations où le handicap est présent, l’expression de la sexualité et de la
sensualité sera plurielle.
Notre principal effort sera donc de repousser nos représentations d’une
sexualité monolithique et bestiale.
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M. Mercier & C. J. Delville, « Vie affective, relationnelle et sexuelle des personnes déficientes mentales », De
Boeck, 2001.
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Points de repère :
∗
Les diverses appellations
- Caresseur, caresseuses : plusieurs offres sensorielles, sensuelles et sexuelles, à l'exception
des baisers et de la pénétration.
- Assistant(e) sexuel(le) : définition première qui comprend l'idée d'être avec, d'être présent
et d’aider concrètement à la sexualité en mettant son corps en jeu dans la relation.
- Aide sexuelle : prestation de soin sexologique, au même titre que le soin physiothérapeutique, d'hygiène ou de rééducation fonctionnelle – ce sont des soins de plaisir.
∗
Objectifs
- Sans relation sexuelle. Une mission qui demande beaucoup de préparation, des discussions
avec les aidants, les parents et les professionnels qui travaillent avec la personne en situation
de handicap. Pendant les séances sont proposés des massages, un contact corps à corps, des
enlacements, des caresses et des touchers. Mais pas de rapports sexuels, ni relation sexuelle
orale. L'orgasme n'étant pas l'objectif principal. Pour certaines personnes c'est la première fois
de leur vie qu'ils ont un contact physique proche, sensuel.
- Avec relation sexuelle. Pratique la pénétration, avec comme objectif l'orgasme, d'où une
limite plus difficile à saisir par rapport à la prostitution.
∗
Financement
Selon les pays, les modalités de financement sont variées. Certains pays remboursent ces
prestations. Dans d’autres, le bénéficiaire prend en charge la totalité de la rémunération.
L'échange financier permet d'établir un cadre de travail clair et contractuel entre le prestataire
et le bénéficiaire : la mission est prédéfinie, les gestes proposés sont prédéterminés et les
tarifs sont stables.
Source : http://www.quelsexe.com/article.php?ar=21
5. Sous le manteau de la prostitution ?
Il est certain qu’évoquer une rétribution financière en échange de services sexuels réveille la
crainte de la prostitution, et en creux, celle du proxénétisme. Mais peut-on pour autant accuser l’aide
sexuelle directe de se parer des oripeaux de la prostitution ? Faut-il nécessairement conclure qu’elle
s’enchevêtre comme une queue d’aronde
dans cet opprobre ?
On aurait pu croire que sa
reconnaissance légale et professionnelle, en termes de spécialisation, lui eut évité cette désignation.
Si certaines prostituées acceptent de travailler avec des personnes handicapées, on ne peut
cependant parler de spécialisation qu’en ce qu’elles acceptent des clients porteurs de handicap, par
rapport à leurs collègues qui refusent ces contacts.
A un niveau historique, il s’avère que les
prostituées ont été les premières à proposer, à défaut, un apaisement sexuel aux personnes en
situation de handicap. Mais, nous l’avons expliqué ci-dessus, « le statut de l’assistance sexuelle se
distingue socialement, financièrement et légalement de celui de la prostitution en général »1.
Pourtant, ces nuances n’éclipsent qu’à peine la multitude de questions que pose l’aide sexuelle
1
C. Agthe Dieserens, « L’Aide Sexuelle Directe », pour l’Association Socialiste de la Personne Handicapée
(ASPH), Bruxelles, 2006.
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directe. D’autant plus que dans les pays où ce service existe, il est effectivement considéré comme
une forme spécialisée de prostitution. Il ne peut d’ailleurs être mis en place par les associations qu’à
condition de modifier partiellement la loi relative au proxénétisme.
A cet égard, les questions posées par Claudine Legardinier, Malka Marcovich, Sabine Salmon
et Annie Sugier sont riches de sens : « Faut-il garantir un «droit à la vie sexuelle», droit qu’il
deviendra difficile de dénier à d’autres catégories de population (prisonniers, malades, etc.) ?
Et
qu’est-ce qu’un «droit à la sexualité» qui implique un «devoir sexuel» pour celles et ceux qui seront
chargés de l’assurer ? (…) Comment concilier la création de «services d’assistant(e)s sexuel(le)s» et
les mesures préconisées - y compris législatives - à même de dissuader les «clients» des personnes en
situation de prostitution ? »1.
Il est certain qu’on ne peut rapprocher le stéréotype du client
« prostituteur » de la figure du client handicapé. La demande de reconnaissance et de respect des
besoins affectifs et sexuels des personnes handicapées est légitime. Mais légitime-t-elle de facto le
recours à l’offre sexuelle ? D’aucuns, féministes convaincus ou simplement humanistes, considèrent la
prostitution comme étant l’iconographie de la violence envers les femmes et des discriminations liées
au genre. Dès lors, il parait hasardeux d’en faire « un « métier de service », au nom de la détresse –
réelle – de quelques-uns ».
En effet, l’expérience nous force à constater que les solutions
marchandes ne servent jamais la dignité humaine. Les intentions louables sont malheureusement
trop souvent viciées par le règne du mercantile.
La sexualité, dans notre société, est considérée comme une valeur marchande, un « luxe ».
Elle est devenue un signe ostensible de bien-être intérieur. Nous en faisons tous l’expérience dans
nos vies. Mais la sexualité est aussi un droit fondamental assimilé aux droits humains déjà reconnus,
quelle que soit la condition d’existence.
Il participe aux besoins d’épanouissement individuel et
d’affirmation de soi. Toutefois, le « droit à la sexualité » ne peut impliquer un « devoir sexuel »,
même consenti, ou remettre en cause la dimension d’intégrité morale inhérent à toute conduite
sexuelle. La tolérance à la vie sexuelle d’autrui se crispe notamment autour de la pudeur, qui est une
dynamique à double sens. Mais dès qu’il y a handicap, la dépendance précipite le tiers dans une
perspective à sens unique, ne voulant pas être exposé au désir de l’autre. Alors que nous élaborons
des solutions technologiques, architecturales ou financières, pour pallier les déficiences, les prothèses
affectives sont sujettes à discussion. Et à juste titre : on ne joue pas avec les sentiments, dit-on !
Mais le corps handicapé ne peut être réduit à ses seules modalités instrumentales. L’aide sexuelle
directe propose de le réconcilier avec sa dimension la plus humaine et relationnelle qui soit.
1
http://www.liberation.fr/societe/0101583552-assistante-sexuelle-pour-handicapes-ou-prostitution
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6. Discussion
A l’instar de Raymond Ehrhardt, nous pensons que « tenter de comprendre le vécu des
personnes handicapées (…) est une gageure »1. Leur vécu nous est en réalité quasiment inaccessible.
Comment en effet appréhender la multitude d’obstacles à laquelle ils ont été confrontés parfois depuis
la naissance ? Fort de nos représentations de ce qu’est (doit-être) la normalité, nous peinons à nous
empêcher de considérer le développement en termes de « tracés » harmonieux. Et pour éviter toute
perturbation, nous nous prêtons l’autorisation – peut-être même l’exigence morale – de permettre ou
de refuser, de soumettre ou de dénier, à ceux-là que la vie a contraints de vivre dans une situation de
dépendance parfois extrême. La technocratie médico-scientifique s’est lancée à corps perdu dans le
contrôle du chaos existentiel.
Les vécus de souffrance, de maladie ou d’infirmité contredisent les
valeurs de réussite, de progrès et de performance dont se targue notre société. Mais le règne social
du fonctionnel, du conforme, du lisse, justifie-t-il les ingérences plus ou moins nécessaires des tiers
parentaux et professionnels, mais aussi des pouvoir publics à propos d’une sexualité qui ne leur
appartient pas ?
L’aide sexuelle directe force à reconsidérer nos perspectives culturelles et morales au sujet de
la sexualité.
Nous autoriserons-nous à la considérer comme un service de soin, une pratique
corporelle palliative, un encadrement libidinal ? Comment mettre en balance le respect inconditionnel
de l’intégrité corporelle avec le désir et les manques d’autrui ? En dehors de toute contrainte et sans
référence à l’ignominie de la traite, l’intégrité corporelle est un précepte nécessaire au maintien de
l’ordre moral. Elle est un déterminant collectif qui prévaut sur l’autodétermination individuelle. Ainsi,
selon cette perspective, ni la libre volonté ou le consentement ne sont raisons suffisantes à autoriser
le marchandage de sa chair. Au pragmatisme libéral ainsi s’oppose la sacralisation du corps. Pour
nous dégager de cette opposition radicale, autorisons-nous un écart heuristique en questionnant le
rapport au manque dans notre société de « l’effi-science ».
Les technologies modernes jouent à
passe-muraille avec les limites. Elles procurent la sensation que rien ne sera bientôt plus impossible.
Du même coup, tout ce qui fait barrage aux potentialités humaines devient un challenge.
Des
solutions sont créées pour parer aux manques à mesure que la tolérance aux inégalités et aux
injustices s’affaiblit. Parmi celles-là, la marchandisation des corps. L’aide sexuelle directe répond à un
idéal : celui de restituer à la personne handicapée l’entière possibilité d’une gestion autonome de son
expérience sexuelle. Pour autant, n’en reste-t-elle pas moins un commerce où un individu met sa
sexualité en jeu pour satisfaire celle d’un autre ? Dans l’affirmative, et malgré une intention louable,
nous ne pourrons que nous y opposer, par défaut ...
Nous souhaitons discuter de ces questions tant avec les associations concernées par le
handicap et les professionnels qui proposent ce type de service, qu’avec les personnes handicapées et
leurs familles.
1
R. Ehrhardt, op. cit.
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