Entretien avec Nacer Ibn AbdelJalil, premier Marocain à avoir gravi l

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Entretien avec Nacer Ibn AbdelJalil, premier Marocain à avoir gravi l
Blog de la psychologie du sport
La psychologie appliquée au sportif et à l'entraîneur
http://www.psychologiesport.fr
Entretien avec Nacer Ibn AbdelJalil, premier Marocain à
avoir gravi l'Everest
Pour illustrer mon article "Psychologie de l'exploit", j'ai eu l'occasion de rencontrer Nacer Ibn
AbdelJalil, qui est le premier Marocain à avoir gravi l'Everest pour discuter de son expérience et
parler des aspects psychologiques de son exploit.
Pour commencer, peux-tu faire un petit résumé de ton parcours sportif?
J’ai toujours été intéressé par les sports d’endurance parce que le mental y joue un rôle
important. Très jeune, j’ai commencé par la course à pied, donc le semi-marathon, puis le
marathon. Ensuite, j’ai continué vers le triathlon, puis l’Ironman. En 2003, j’ai rencontré un
Autrichien qui m’a parlé d’alpinisme. Je me suis rendu compte que c’était un sport
d’endurance avec des expéditions longues et qu’il y a aussi une stratégie et de l’adrénaline
liée au risque. J’ai commencé à escalader le Mont Blanc. Puis, je me suis lancé un défi: celui
de gravir les 7 sommets (le plus haut sommet de chaque continent). J’ai commencé par le Mc
Kinley, l’Aconcagua et l’année dernière, l’Everest. Quand j’étais jeune, faire le marathon me
paraissait le but ultime et un exploit insurmontable. Quand je l’ai fait, j’ai réalisé que ce n’était
pas si dur. Et ainsi de suite. J’y suis allé par palier. Chaque palier m’a motivé à aller plus
haut. Donc le prochain défi est le pôle nord où ce sont des conditions beaucoup plus
difficiles et où je veux voir comment je me comporte dans le froid polaire.
Pourquoi avoir choisi de gravir l’Everest plutôt que de réaliser un autre exploit?
Je suis très curieux et je veux tenter des défis et essayer de repousser mes limites. L’Everest
est mythique et me faisait rêver. J’ai voulu montrer, en tant que marocain, que l’on était
aussi capable de réaliser de tels défis. Mais la traversée de l’atlantique à la rame aurait pu
être aussi passionnante. Je n’exclue rien et j’ai envie de faire des choses différentes.
L’Everest était un défi personnel. Il m’a permis par la suite de transmettre des messages aux
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jeunes et de coacher des collaborateurs en entreprise.
Qu’est-ce qu’il y a dans ta personnalité qui te pousse à aller vers ce genre
de défi?
Je pense que c’est un parcours personnel, déterminé par l’enfance, l’éducation, le
milieu scolaire… Jeune, j’étais studieux mais un peu rebelle. J’étais différent de mes parents
qui me disaient de faire attention, de ne pas prendre de risques. J’ai eu cette frustration de ne
pas m’épanouir car j’aurais rêvé être sportif, mais on m’a fait comprendre que ce n’était pas
un métier. En étant indépendant financièrement, j’ai voulu réaliser des choses que je n’ai pas
faites en étant plus jeune. Il y a aussi une envie de se différencier des autres. Cela est
probablement lié à notre estime de soi. C’est vrai que le résultat de ces exploits et le bonheur
que l’on donne aux autres est très gratifiant.
J'ai parlé de l’aspect narcissique de l’exploit sportif. Qu’en penses-tu?
Je suis sûr que les grands champions acceptent de faire des sacrifices car ils croient
qu’ils font quelque chose qui les dépasse et qui va rester dans l’histoire. J’aime saisir les
opportunités quand elles se présentent. Puis un jour on réussit à être au bon endroit, au bon
moment. Je pense qu’il y avait une envie incroyable et puis j’ai aussi beaucoup d’admiration
pour des sportifs marocains qui sont devenus des stars mondiales. Parfois, il y a peut être en
jeu un sentiment de manque, un besoin de reconnaissance vis a vis d’une (ou plusieurs
personnes) qui nous poussent à nous différencier. Quand il y a la gratification, cela dépend
d’où cela vient. Tu peux être acclamé par des personnes que tu ne connais pas, et
pourtant, ce peut-être simplement le regard d’une personne en particulier que l’on
recherche.
Quelles sensations as-tu éprouvé en faisant cet exploit?
Sur la montagne, il y a un côté spirituel. On se sent tout petit et éphémère dans cette vie. Dans
la ville, on peut avoir l’impression de tout contrôler. Dans la montagne, tu sais que tu es
entouré de montagnes qui sont là depuis des millenaires et qui seront là encore pendant
des millénaires. Tu te dis que tu n’es que poussière. On se remet en question sur la place
de l’homme dans l’univers. Sur l’Everest, encore plus. Je me dis que je suis sur le plus haut
sommet mais qu’en un coup de vent, je peux partir. J’ai ensuite ressenti un sentiment
d’euphorie en pensant à tout le chemin parcouru pour arriver là-haut. Enfin, je me suis aussi
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dit « pourquoi moi? ». J’ai ressenti cette culpabilité du bonheur. Et d’un seul coup, j’ai
angoissé à l’idée de mourir dans la descente vers le camp de base.
Est-ce que réaliser un exploit donne un sens à la vie?
Oui. Toute ma vie j’ai voulu me prouver des choses professionnellement, sportivement, en
amour. J’avais toujours l’impression de devoir me prouver et prouver aux autres des
choses…Et là pour la première fois de ma vie, depuis de longues années , je ne ressens plus ça.
Je suis beaucoup plus serein. Je fais ce que j’aime. Très longtemps j'ai cherché un sens à
ma vie en voulant me rendre utile aux gens qui m’entourent. Maintenant, tout ce qui
m’arrive, c’est du bonus. J’essaye de donner de mon temps aux autres à travers des
associations, et en partageant mon experience avec des écoliers et des étudiants.
Est-ce que l’on devient accro à l’exploit et qu’il faut toujours se lancer des défis
plus risqués?
On essaye d’aller toujours un petit peu plus loin. Mais j’ai risqué ma vie sur l’Everest en ayant
sous-estimé ces risques. Je me suis dit que cela ne valait pas la peine de risquer autant sa
vie pour se prouver ou prouver aux autres des choses. Maintenant, je veux faire des trucs
différents. Je ne suis pas dans cette surenchère du risque. Je suis plus dans la recherche de
faire le plus de choses possibles. Je dois trouver un bon équilibre entre recherche d’adrénaline
et risque. Je suis plutôt dans la recherche du partage et du passage de relais.
Est-ce que pendant l’ascension, tu as eu des doutes, des difficultés et comment y
as-tu fait face?
J’ai eu deux moments de doute où j’ai failli abandonner. Au début, en arrivant au camp de
base, il y a eu le décès d’un sherpa. Il est tombé dans une crevasse et cela m’a fait prendre
conscience que l’on pouvait mourir sans avoir commis d’erreur. Cela m’a perturbé. J’ai
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ressenti un sentiment d’impuissance qui m’a angoissé. J’y ai fait face en pensant à ceux qui
suivaient mon aventure. Un sherpa m’a dit que je devais prendre la mort comme une donnée
mais que cela ne devait pas m’immobiliser pour autant. Ensuite, sur la fin, j’ai eu un problème
d’oxygène et j’ai commencé à suffoquer. J’ai eu un moment d’angoisse où je me suis dit que
j’étais arrivé à la limite. Je ne savais pas si je pouvais faire la descente. Donc là, je me suis
accroché à ma foi et j’ai aussi repensé à tous les messages de soutien que je recevais tous les
jours. J’ai persévéré et un sherpa que j’ai croisé m’a aidé en me donnant une nouvelle
bouteille. Comme dans la vie, dans les moments de doute, il faut persévérer en attendant
le rebond! Ce moment finit toujours par arriver, il ne faut pas baisser les bras.
Avais-tu bien anticipé les risques que l’ascension représentait?
J’ai essayé de minimiser le risque le plus possible. Je me suis inscrit dans la meilleure équipe
anglaise où j’ai fait d’abord un stage de trois semaines pour voir si j’étais apte et ils ont hésité.
J’ai rajouté 2 semaines et j’ai été sélectionné pour partir avec eux. Cela m’a rassuré. J’ai
dépensé beaucoup d’argent pour avoir le meilleur matériel. J’ai regardé aussi des vidéos pour
voir le chemin que l’on prendrait. J’ai pris en compte le risque mortel mais je ne pensais
pas que cela pouvait être aussi aléatoire. Je me suis aussi bien entraîné physiquement car je
n’étais pas assez bon techniquement. Je me suis préparé à ce que ce soit très difficile
physiquement et mentalement. Mais cela vient aussi des expériences difficiles que j’ai eu avant
et de la souffrance que j’avais déjà enduré lors des autres sports que j’ai pratiqués. J’ai
éduqué ma propension à souffrir avec les différents marathons et Ironman que j’ai faits
par le passé. Quand on te dit que tu vas mettre 12h pour atteindre le sommet, tu penses à
l’ironman où c’est aussi long et donc cela fait relativiser.
Est-ce que tu as quelque chose à ajouter?
Quand je suis arrivé au camp de base, je n’étais pas bien. Cela a été un signal très important.
Car le camp est déjà haut et on fait un trek de deux semaines où ils m’ont averti de marcher
très lentement pour habituer mon corps au manque d’oxygène. Comme je me sentais bien, je
fonçais pour arriver vite et me reposer. Mais en réalité, j’ai souffert en arrivant au camp de
base car je ne m’étais pas bien acclimaté au manque d’oxygène. Cela m’a fait prendre
conscience qu’il fallait écouter ceux qui ont plus d’expérience. Parfois on ne comprend pas
tout de suite les consignes que l’on nous donne, mais on le comprend par la suite. C'était un
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signal et il fallait rester humble. Je voulais peut-être leur montrer que j’étais bon
physiquement, que j’étais à la hauteur. Si je n’avais pas eu cela avant, j’aurais peut-être
continué à pêcher par prétention et j’aurais pu avoir un problème plus tard, plus haut sur la
montagne, qui aurait pu être fatal.
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