Numéro 62 - Juin 2012

Transcription

Numéro 62 - Juin 2012
L’organisation patrimoniale en présence
d’un enfant handicapé
M
aitre Sophie Chaine, notaire retraitée a décidé de mettre son expérience professionnelle
au profit des familles confrontées aux problèmes du handicap, qu'il s'agisse d'un enfant,
d'un frère, d'une sœur ou de parents vieillissants dépendants.
Lors du dernier numéro de la revue en décembre 2011, nous avions publié, avec son accord, un de
ses articles consacrés à « La Protection du Conjoint Survivant en Présence d'Enfants Communs ».
Comme elle nous l'avait promis, Maitre Chaine est venue présenter et animer, ce samedi 3 mars
2012, à l'ESAT Hélène Rivet, une intervention sur le thème de l'enfant vulnérable et des dispositions
particulières à prendre concernant le patrimoine familial.
En partant d'exemples et de situations familiales précises où chacun pouvait se retrouver, la conférencière a su
apporter beaucoup de clarté à son exposé, suscitant un grand intérêt et entrainant de nombreuses questions de
l'auditoire.
En remerciant Mme Sophie CHAINE pour cette matinée très instructive, nous reproduisons ci-dessous son
intervention qui a réuni plus de cent parents et professionnels de l'ALGED.
A
survivant et celle de l'enfant handicapé, sachant que les
autres intérêts sont tout aussi importants et qu'il n'y a pas de
honte à parler « protection des autres enfants » ou
« protection du capital ».
ujourd'hui donc mon propos visera le
questionnement des parents d'un enfant
souffrant d'un handicap : l'enfant vulnérable.
Le sujet est immense et, bien sûr, je ne prétends pas à
l'exhaustivité.
La protection du conjoint survivant.
Pourquoi ? Comment ?
La question à laquelle je vais tenter de répondre est la
suivante :
Le handicap dont souffre mon enfant doit il m'inciter à
prendre des dispositions particulières concernant
mon patrimoine ?
Ayant fait récemment un article pour votre revue, je ne
pense pas utile de faire de longs développements. En
revanche je pourrai répondre aux questions qu'ont pu
soulever cet article.
Les intérêts en jeu peuvent être très variés.
Au premier décès, si vous n'avez rien prévu, le conjoint
survivant va se trouver en indivision avec ses enfants. Il ne
peut plus prendre aucune décision pour ce patrimoine
indivis sans en référer à ses enfants majeurs et au juge des
tutelles pour ses enfants mineurs ou handicapés. Cette
absence de liberté est généralement mal vécue par le
survivant et parfois elle peut le mettre dans un grand
embarras si, par exemple, le juge des tutelles exige que la
part revenant au majeur en tutelle lui soit reversée et ne soit
pas investie dans le nouveau logement du survivant.
Ils dépendront de la composition de la famille, de l'âge des
différents protagonistes, de la structure du patrimoine, du
degré de handicap, des attentes respectives des parents, de la
fratrie et de la personne vulnérable elle même.
On peut citer les plus couramment évoqués :
[ La protection du conjoint survivant,
[ La protection de l'enfant handicapé,
[ La protection des autres enfants,
[ La protection de tout ou partie du patrimoine
familial.
Il faut donc au minimum :
[ lui assurer la totale maîtrise de son logement, ceci est
possible grâce à un aménagement du régime
matrimonial, aujourd'hui beaucoup plus simple et
moins onéreux que précédemment,
[ lui assurer la maîtrise d'un capital dont il pourra
disposer librement sans avoir de compte à rendre au
juge des tutelles. Le recours à l'assurance vie est un
excellent moyen.
L'expérience m'a montré que la hiérarchisation de ces
objectifs était un travail difficile à faire pour les
familles, car l'analyse véhicule des sentiments très
divers parmi lesquels un fort sentiment de culpabilité,
si on ne met pas en premier la protection de l'enfant
handicapé.
Et, au contraire, je voudrais vous montrer que faire cette
analyse, c'est mettre votre enfant au cœur du débat car il n'y
a de protection possible pour lui que dans une situation
familiale apaisée.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire mais cela n'est
pas le centre de notre propos aujourd'hui. Il me semble
préférable de terminer mon exposé et de vous donner la
parole ensuite. Vous trouverez peut être la réponse à vos
questions dans la suite du propos.
Le temps nous étant compté, parmi les intérêts en jeu nous
ne nous attarderons que sur la protection du conjoint
4
Venons en maintenant à la protection de l'enfant handicapé.
de son logement. Il peut à son choix l'habiter ou le mettre en
location, mais il ne peut pas le vendre.
La protection de l’enfant handicapé
Lucas et Marie ne sont pas défavorisés puisqu'à terme ils
deviendront propriétaires de l'appartement.
ère
La 1 étape consiste à définir les besoins de consommation
et d'investissement de la personne handicapée, en tenant
compte de ses revenus et de son patrimoine.
La donation résiduelle
Les parents donnent à Fabien l'appartement, mais en
précisant que, si ce bien se trouve encore dans son
patrimoine au jour de son décès, celui ci reviendra à ses frère
et sœur. Cette donation peut être faite sans restriction, avec
la seule interdiction de donner ou de léguer, ou encore avec
l'interdiction totale d'aliéner.
Il faut ensuite hiérarchiser ces objectifs :
[ assurer un complément de revenus,
[ privilégier la sécurité et la disponibilité,
[ privilégier le rendement à long terme,
[ permettre la conservation d'un patrimoine familial,
[ ….
Au décès des parents, Fabien est apparemment avantagé
puisqu'il reçoit le tiers de la succession en plus de
l'appartement, Mais au décès de Fabien, Lucas et Marie
sont, à leur tour, gratifiés en bénéficiant d'une économie de
droits de succession qui passent d'environ 45% à 0.
Une fois ce travail fait, il faudra trouver les outils juridiques
et/ou financiers les plus adaptés.
Il est totalement impossible de faire une analyse exhaustive
de tous les outils juridiques qui sont à notre disposition. Il
n'existe pas deux situations identiques dans la vie des
familles. Je devrais peut être m'arrêter ici et vous dire
simplement :
La donation graduelle
Le bien est transmis à Fabien avec obligation de le
transmettre ensuite à ses frère et sœur. Il ne peut donc en
disposer ni de son vivant, ni à cause de mort.
Dans ces trois propositions :
[ l'enfant vulnérable profite du bien: il peut l'occuper (il
pourrait aussi en percevoir des revenus, mais
attention à l'incidence sur l'AAH),
[ le patrimoine est conservé dans la famille,
[ le bien échappe au droit de récupération de l'état.
Votre situation est unique, je ne peux que vous conseiller de
prendre rendez-vous avec votre notaire pour qu'il vous aide,
mais je crains que, si tel était mon propos, vous ne repartiez
que peu satisfait de cette réunion. Je vous propose donc de
prendre quelques exemples pour illustrer ce qu'il est
possible de faire, sachant que ces solutions doivent être
combinées entre elles et avec d'autres.
Sans rentrer dans le détail, je voudrais juste dire qu'il y a tout
intérêt à combiner ces donations avec le mécanisme de la
donation partage qui constitue un véritable pacte de famille
et a l'avantage de régler définitivement la répartition des
biens entre les enfants.
Premier exemple
Fabien jouit d'une certaine autonomie.
Objectif : Sécuriser son logement
Les données de l'exemple :
Deuxième exemple
Fabien n'est pas autonome mais aura
besoin de revenus
Yves et Michèle ont trois enfants, Lucas, Marie et Fabien.
Fabien souffre de handicap, mais peut malgré tout vivre seul
avec une assistance éducative.
Le patrimoine d'Yves et Michèle se compose de leur
résidence principale, d'un appartement dans lequel vit
Fabien et de quelques disponibilités financières.
Voyons maintenant un autre exemple.
Fabien ne dispose pas d'assez d'autonomie pour habiter
chez lui, même avec une assistance éducative. En revanche,
les parents le prennent souvent chez eux, lui paient des
vacances, des sorties… et leur souhait est que Fabien puisse
profiter des mêmes plaisirs, même après leur décès. Pour
cela il faut donc lui assurer des revenus complémentaires.
Leur souci est de sécuriser le logement de Fabien en cas
d'ouverture de leurs successions, mais sans pour autant lui
en laisser la libre disposition car ils craignent que Fabien ne
vende le bien et dilapide trop facilement l'argent.
Nous vous proposons trois outils :
[ la donation d'usufruit,
[ la donation résiduelle,
[ la donation graduelle.
Comment faire sans que cela n'entraine une diminution des
aides de l'état, ce qui reviendrait à substituer les revenus
d'origine familiale aux revenus de solidarité nationale sans
augmentation du niveau de vie pour Fabien.
La donation d'usufruit
Yves et Michèle font une donation partage aux termes de
laquelle ils donnent à Fabien l'usufruit de l'appartement et,
en indivision entre eux, à Lucas et Marie la nue propriété de
cet appartement
Trois types de rentes n'ont pas d'incidence sur l'attribution
de l'AAH :
[ la rente survie,
[ La rente constituée par un ascendant,
[ Le contrat épargne handicap.
La rente survie
On voit que Fabien a la certitude de disposer sa vie durant
5
Les parents investissent un capital en une ou plusieurs fois
de sorte qu'à leur décès, l'enfant handicapé touche une
rente, qui ne vient pas limiter le montant de l'AAH.
Deux solutions sont possibles :
[ transmettre le bien en usufruit à Fabien. Lucas et
Marie devront donc renoncer à percevoir leur réserve
héréditaire en pleine propriété. Ils ne la récupéreront
qu'au décès de Julien.
Inconvénient: si Fabien ne peut plus rester dans l'appartement,
il ne pourra pas le vendre pour placer le capital et toucher un
revenu lui permettant de payer sa pension. Il ne pourra que
louer l'appartement.
[ transmettre le bien par donation résiduelle mais sans
interdiction de vendre. Lucas et Marie devront
renoncer à percevoir une part de l'héritage dès le
décès de leurs parents et prendre le risque de ne rien
percevoir du tout si le bien est vendu.
La rente ainsi versée est hors succession et constitue donc
un avantage successoral pour l'enfant handicapé.
La rente constituée par un ascendant
Différences avec la rente survie:
[ le versement de la rente peut être fixé à une date
différente de celle du décès des parents, par exemple :
l'âge de la retraite de la personne handicapée, donc
lorsqu'elle ne touchera plus un salaire mais une
retraite inférieure.
[ le versement peut aussi être lié à la situation des
parents. Ainsi les parents pourront prévoir que la
rente soit versée lorsqu'eux-mêmes seront à la retraite
par exemple et disposeront donc de moins de
moyens.
Vous constatez que les outils de transmission et de
protection sont nombreux et doivent être combinés
entre-eux.
Le sujet est vaste et loin d'être épuisé.
Ce versement qui n'est donc pas lié au décès des parents fait
sortir le contrat du régime de l'assurance vie et constitue
donc une donation éventuellement taxable.
Si vous ne deviez retenir qu'une seule chose de cet
exposé, c'est que :
[ votre situation n'est pas celle de votre voisin,
[ vos projets ne sont pas ceux de vos voisins,
[ vos priorités sont celles de votre famille et non
celle de la famille de votre voisin.
Le contrat épargne handicap
Constituée par la personne handicapée elle même et non
par ses parents, au moyen de ses économies ou de fonds
provenant d'une donation partage.
Donation de l'immobilier à Lucas et Marie et donation
d'une somme d'argent à Fabien à charge pour lui de placer
cette somme dans un contrat Epargne Handicap.
Sophie CHAÎNE
mail : [email protected]
Troisième exemple
Fabien vit avec ses parents
Dernier exemple
Même schéma familial : un couple avec 3 enfants :
[ Lucas et Marie ont de bonnes situations.
[ Fabien a un tout petit boulot, une retraite qui lui
permettra de vivre mais non de se loger.
Patrimoine des parents :
[ L'appartement où ils vivent avec Fabien.
[ Un livret de Caisse d'épargne.
Souhait des parents :
[ Permettre à Fabien de conserver l'appartement après
leur décès.
On voit que dans cette hypothèse, s'ils donnent ou lèguent
l'appartement à Fabien, les parents n'ont plus la possibilité
de donner quoique ce soit aux autres enfants.
Tout le monde sait qu'en droit français, on n'a pas le droit de
déshériter ses enfants et, pourtant depuis 2007, il est
possible de conclure un véritable pacte de famille
permettant, avec l'accord de tous, une répartition inégale du
patrimoine, ne respectant même pas la réserve des enfants
acceptants.
Ainsi du vivant de leurs parents, Lucas et Marie peuvent
renoncer à tout ou partie de leur succession.
6