Jacques et son maître de Milan Kundera – Copains comme cochons
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Jacques et son maître de Milan Kundera – Copains comme cochons
Jacques et son maître de Milan Kundera – Copains comme cochons Par Gwendoline Soublin En y regardant de plus près, l’affiche de Jacques et son maître conçue pour La Pépinière théâtre par Michel Bouvet est explicite. Des champignons phalliques ? Pas seulement. Librement adaptée de Jacques le fataliste de Diderot, la pièce de Kundera est surtout l’occasion de célébrer l’amitié philosophique virile, savant mélange d’esprit et de chaleur humaine. Pour interpréter ces deux copains comme cochons, Yves Pignot et Nicolas Briançon s’en donnent à coeur joie. Déployant un énergique théâtre de tréteaux, Jacques et son maître est un spectacle simple et couillon. En un mot : intelligent – les femmes en moins. Un récit tout en digressions et en histoires dans l’histoire de Diderot : du pain bénit pour le théâtre ! La célèbre structure dramaturgique du roman est ici l’occasion idéale de ramener le théâtre à ses qualités les plus ludiques. Un claquement de pied et le récit change de narrateur, de lieux, de personnages. Grâce à un décor transformable simple et à quelques tréteaux, Jacques et son maître affiche sa volonté d’un théâtre convivial qui annule toute frontière entre les spectateurs et les comédiens. Bienvenu dans le monde de la farce médiévale et du siècle des Lumières. Le plaisir de jouer se mêle ici au plaisir de penser. Et comme à une querelle de bistro, la réflexion se nourrit de philosophie plus ou moins consistante à mesure que les bouteilles se vident. I want to break free Entre deux saynètes, Kundera a la malice de proposer une réflexion sur la liberté. Soumis au bon vouloir de leur créateur (l’auteur/Dieu/le metteur en scène), les personnages s’en remettent à lui. Ce qui a été écrit sera réécrit. La répétition se veut éternelle. Pourtant, l’auteur franco-tchèque propose une autre alternative à cette fatalité. Sur le point d’être pendu, Jacques supplie son auteur-créateur de le sauver. Et c’est ce qui arrive. La créature se libère de ses chaînes. Derrière l’humour de la situation se cache un propos bien plus subtil : la liberté est donnée à celui qui la prend. Et voilà l’humanisme résumé en une scène. À bien de regrettables égards, Jacques et son maître est une pièce d’hommes. Les femmes n’y tiennent que bien peu de place. Manipulatrices, prostituées ou pieuses, elles mènent les héros à leur perte ou font tout bonnement partie du décor. À l’exception de l’hôtesse, le metteur en scène Nicolas Briançon présente les femmes comme de gentilles potiches servant de faire-valoirs aux (excellents) comédiens masculins. Certes, l’époque des Lumières ne brillait pas par son féminisme. L’affiche nous avait prévenus: deux champignons, that’s all.